Il faut imaginer Sisyphe heureux - Correspondance - Charlotte Taylor - E-Book

Il faut imaginer Sisyphe heureux - Correspondance E-Book

Charlotte Taylor

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Beschreibung

Cette correspondance s’est tenue pendant quelques mois entre Sarah Mostrel, écrivain, journaliste, artiste, et Maud Hofmann, professeur. Partition à quatre mains éclairée par les phares de l’actualité – actualité éprouvante sous le signe de la pandémie – et par des trajectoires différentes, cet échange, alerte, dynamique, porteur d’espérance, est un dialogue entre deux êtres, un instantané de vie où les questionnements intérieurs, les doutes, les états d’âme côtoient la réalité, non sans un certain optimisme.


À PROPOS DES AUTEURES


Journaliste, écrivain et artiste, Sarah Naor a publié une quarantaine d’ouvrages aussi bien dans le domaine littéraire qu’artistique. Médaillée Arts-Sciences-Lettres en 2015, elle figure dans des anthologies poétiques. 


Professeur certifiée d’anglais, Charlotte Taylor a participé à plusieurs jurys littéraires, dont certains, sous l’égide de Frédéric Mitterrand et de Christine Ockrent. Elle a par ailleurs animé des réunions littéraires en Allemagne et en France et fait des improvisations littéraires sur la scène du Théâtre des Déchargeurs à Paris.

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Charlotte Taylor & Sarah Naor

Il faut imaginer Sisyphe heureux

Correspondance

© Lys Bleu Éditions – Charlotte Taylor & Sarah Naor

ISBN : 979-10-377-4147-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

L’enfance décide.

Sartre

Il n’est de grand amour qu’à l’ombre d’un grand rêve.

Edmond Rostand

Le monde aurait pu être simple comme le ciel et la mer.

André Malraux

Préface

À l’époque de mon adolescence, j’avais un petit carnet où je notais les aphorismes, les proverbes et les sentences qui me frappaient au cours de mes lectures. Un jour, j’en ai trouvé une qui m’a accroché par sa formulation et par le sujet qu’elle abordait. Elle était anonyme. Elle semblait avoir été placée là dans un coin de page pour remplir un blanc. Elle disait sur deux lignes : « L’amitié, les hommes avec les hommes la vivent, les femmes avec les femmes la miment, les femmes avec les hommes la risquent, les hommes avec les femmes l’inventent. »

J’ai perdu mon carnet et j’ai oublié pratiquement tout son contenu, mais je n’ai jamais oublié cette sentence qui m’a souvent servi de repère dans la réflexion que j’ai mené ma vie durant.

Elle m’a aidé à mon adolescence à saisir ce qu’il en était de l’amitié et concevoir la différence qu’il y avait entre les copains et les amis bien moins nombreux.

J’ai vérifié sa pertinence lorsque je me suis mis à réfléchir au mécanisme de l’amour et de la relation des sexes. Les femmes sont naturellement attractives et veillent heureusement à entretenir cette attractivité qui est au principe de leur désir. Et comme les hommes sont mus par leur désir d’une femme, elles courent donc le risque de se voir devenir l’objet du désir de celui avec lequel elles veulent entretenir une amitié. Quant aux hommes, ils doivent, quitte à inventer, trouver toutes sortes de moyens pour maîtriser leur désir d’objet.

Reste le mystère de l’amitié mimée par les femmes entre elles. J’ai dû convenir que la formulation était, là aussi, on ne peut mieux choisie. Parce que la relation d’une femme à toute autre femme se dessine sur fond de la relation toujours complexe de cette femme à sa mère. Mon expérience m’a néanmoins permis de repérer des exceptions et de voir des femmes entretenir une authentique amitié entre elles.

Cela peut se vérifier dans la correspondance entretenue finement par Maud et Sarah, sinon Sarah et Maud, qui n’ont probablement jamais su ou eu conscience que leur entreprise était une parfaite illustration de l’exception dont j’ai fait état.

Ça semble léger, anodin, ne toucher à rien, mais ça fait réfléchir bien au-delà des sujets abordés.

Aldo Naouri

Prologue

Tout au long de cette aventure épistolaire, c’est l’amitié qui se profile. Débutée il y a vingt ans, elle voit aujourd’hui éclore ce manuscrit.

En écrivant cette correspondance à quatre mains, nous nous sommes reliées d’abord à nous-mêmes, puis aux autres bien sûr.

L’écriture a renforcé l’altérité et transcendé notre imaginaire aride et solitaire.

Établir un pont, avec l’autre.

Écriture miroir, reflet de nos vies, trait d’union de cultures et d’héritages très proches, de passés communs ou ressemblants parfois.

Écriture témoignage, précis, ciselé, cisaillé, au contour défini qui évoque l’invisibilité et l’ineffable. Écriture dissimulée, réinventée, sortie de l’abîme du désenchantement en vue d’un avenir lumineux et enchanteur.

Par l’esthétisation des mots, des interrogations essentielles, des paradoxes et de l’ambivalence, nous avons conjugué allègrement les verbes au futur, avec déraison, en toute bonne foi !

Maud et Sarah

De : Maud

Envoyé : jeudi 30 janvier 2020 15 h 8

À : Sarah

Entreprendre cette correspondance était un projet qui nous tenait à cœur, qui nous agitait, qui était même devenu entre nous a private joke.

Désormais, il se réalise.

Il est là, bien là, et je t’avoue, Sarah, en être très heureuse, même s’il m’effraie un peu.

Je me sens un peu muette, mais je vais poser des mots, remplir cette feuille blanche, donner un port d’attache à toutes mes émotions.

Ainsi, je bousculerai toutes mes appréhensions.

Les sujets ne manquent pas, et comme dit le proverbe alsacien, Quand le cœur est plein, la bouche déborde.

Je suis ravie de partager avec toi, Sarah, cette aventure épistolaire, cette bouteille à la mer que nous nous lançons toutes deux, et les vents seront porteurs, sans nul doute !

J’ai essayé sans grande conviction la peinture, et suis revenue à l’écriture qui reste, comme la lecture, essentielle à mes yeux.

De : Sarah

Envoyé : vendredi 31 janvier 2020 13 h 29

À : Maud

Serait-ce le début de la correspondance ? Actons cela, sur cette difficulté, sur cet écart entre l’oralité et l’écrit chez toi, sur cette page blanche que tu remplis parfaitement malgré tes doutes, tes réticences. Tu as tant de choses à dire, et tu les dis formidablement bien. Les phrases sont référencées, étayées, elles reflètent ton être, celui en devenir, celui qui n’ose pas, qui ne se sent pas légitime, comme s’il fallait être autorisé à écrire.

De quoi faut-il avoir peur ? Soyons libres dans l’expression. Tes mots me sont précieux, intéressants, les sujets ne manquent pas. Doit-on les sérier ? Et si on se laissait tout simplement porter ? Écrivons-nous.

Raconte-moi pourquoi la non-peinture…

Écrivons sur le décalage, l’indulgence envers soi, la complexité de l’être qui veut et qui ne peut pas, qui respecte mais ne l’est pas, qui se terre au lieu d’éclore, qui est dans l’échec quand tout lui est donné. Écrivons sur les maux impossibles à raturer, sur la fatalité qui est à combattre, sur les erreurs que nous récidivons, mais qui nous constituent. Apprenons de ces expériences, avançons, ne réfléchissons plus. Le vent qui se lève nous donne la chance, à deux, d’y voir plus clair, de mieux comprendre, d’aller ou non à contre-courant, de nous envoler, mais aussi de maîtriser un peu plus l’élan initial.

Ne nous mettons pas de barrières. Nous ne sommes pas là pour être jugées, mais pour échanger.

Ceci est déjà pour moi le début d’une correspondance.

Je t’embrasse.

Sarah

De : Maud

Envoyé : vendredi 31 janvier 2020 17 h 12

À : Sarah

On s’est connues autour des mots, lors de soirées littéraires que nous ne manquions jamais, autour d’une écriture à thèmes qui me réjouissait.

Je peux tout à fait t’expliquer mon désintérêt de la peinture.

Grâce à ton idée lancée un jour lors de nos échanges « Et si tu te mettais à peindre, Maud ? », j’ai trouvé près de chez moi un atelier, et me voilà inscrite.

Ce fut rapide, chaleureux, et efficace.

Les pinceaux, les toiles, la blouse, le chevalet m’attendaient dès le lendemain, ainsi qu’Isabelle, le professeur.

Elle a guidé mes premiers pas vers la toile blanche posée sur le chevalet.

Cela ne me semblait pas du tout effrayant.

Je me suis prise au jeu.

L’ennui est venu très vite : effacer ses erreurs prend du temps et de l’énergie.

Rapidement, les mains et les chiffons deviennent sales, les pinceaux durcissent, et les tubes sont pénibles à ouvrir, quand la peinture sèche.

Cet environnement matériel m’a peu à peu ennuyée, et je me disais que le temps consacré à la peinture était perdu pour l’écriture.

Écrire reste urgent !

Au bout de quelques mois, j’ai laissé tomber l’atelier, mais je n’ai pas quitté les personnes qui s’y trouvaient.

Des gens divers, d’une extrême gentillesse, loin de mon environnement, une maman de zadiste, une amie de Carlos Ghosn, une autre engagée pour les chrétiens d’Orient.

De Sarah

Envoyé : jeudi 6 février 2020 17 h 23

À : Maud

Ah, la peinture ! Pour moi, chère Maud, c’est devenu une véritable passion. Une nécessité. Comme finalement chaque expression artistique qui est venue m’assaillir voilà maintenant plus d’une vingtaine d’années, lorsque la pluie des mots a commencé à me submerger, que la musique est réapparue, comme par miracle, dans ma vie, après que le piano a bercé mon enfance, épongé mes états d’âme, durant toute ma jeunesse.

La peinture est pour moi un merveilleux moyen d’établir une certaine distance avec soi.

Est-ce moi qui ai peint ce tableau ?

De façon analogue, je m’émerveillais à mes débuts de certaines poésies. Est-ce moi, me disais-je le lendemain, qui ai composé cela la veille ?

Il y a dans tout cela quelque chose de divin. Cela m’échappe totalement.

Le matériel de peinture est certes contraignant, mais une fois la peinture étalée, quel plaisir !

Parfois, le tableau peut ressembler à un barbouillis d’enfant, mais les enfants ont un don inné pour la créativité, bien souvent mise à mal. Alors, n’est-ce pas un privilège de retrouver cet état initial ?

En réponse à ton dernier mail, écrire va-t-il combler le vide affectif ? Le manque d’amour ? Je n’en suis pas sûre. Mais c’est une passerelle entre toi et moi, un rempart contre lequel se blottir pour adoucir la vie peut-être, tenter d’en comprendre un mot, une direction.

Qu’ai-je fait ? Qu’ai-je mal fait ? Ce sont en fait les questions que je me suis déjà posées et que j’exprime dans mon dernier livre Rien à voir.

Thèmes que j’avais esquissés dans Le Grand Malentendu aussi. Qu’est notre vie si ce n’est ce décalage entre les intentions et le résultat, leur réception ? Ce qu’on dégage n’est pas toujours bienvenu. Ainsi, trop de franchise, de sincérité, de sensibilité, sont souvent néfastes, et sources de maladresse.

Enfin, je parle pour moi. Comment faire autrement ? Comment se déconstruire, être autre ?

Si l’analyse m’a appris à être moi, j’ai parfois l’impression que ce moi doit changer puisqu’il n’est pas accepté comme je le voudrais. D’où l’impasse, l’incompréhension, le malaise difficilement transmissible, je crois que tu comprends…

De : Maud

Envoyé : samedi 8 février 2020 19 h 12

À : Sarah

Je retiens, Sarah, dans ce tout début de nos échanges, qu’une petite musique se dégage, toujours la même : le décalage, l’impossibilité d’être ce qu’on est, de se faire accepter.

Une phrase m’a interpellée, écrite sous ta plume, « l’être qui est dans l’échec quand tout lui est donné ».

Je ne l’ai pas bien comprise, peut-être pourrais-tu me l’expliciter ? Ce serait très instructif.

Y aurait-il un lien avec le double je ?

Tu me le diras.

Ce fichu décalage.