Il voulut être écuyer - Jean-Luc Graff - E-Book

Il voulut être écuyer E-Book

Jean-Luc Graff

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Beschreibung

Fin du XIVe siècle, Bavière 

Johannes Schiltberger, âgé de 15 ans, devient l’écuyer d’un comte. Celui-ci décide de participer à la guerre contre l’Empire ottoman, voulue par le roi de Hongrie, mais les armées chrétiennes sont défaites par les Ottomans lors de la bataille de Nicopolis en 1396. Schiltberger est fait prisonnier et doit accepter de devenir fantassin au sein de l’armée victorieuse. Il participe à diverses batailles mais lorsque les Ottomans font face aux troupes turco-mongoles de Tamerlan, ce sont ces dernières qui l’emportent. À nouveau captif, il doit désormais combattre à leurs côtés.

Après différentes péripéties, parviendra-t-il à regagner son pays natal, plus de 30 années après son départ ?


À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Luc Graff partage avec les lecteurs la passionnante histoire de Johannes Schiltberger. Ce récit, écrit à partir des notes de voyage de ce dernier, consignées dans un « Reisebuch », rappelle à tous qu’on n’oublie jamais ses origines…

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Jean-Luc Graff

Il voulut être écuyer

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean-Luc Graff

ISBN : 979-10-377-5567-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

Arrachements, 2021, Edilivre ;

Ennui et vanités, 2021, Edilivre ;

Yrsa la Viking, 2019, Edilivre ;

Réalités obscurcies, 2018, Dom éditions ;

Les appelés, 2017, Dom éditions ;

Brunehaut, reine franque, 2015, Edilivre ;

Gilgamesh, 2013, Edilivre.

Prologue

L’année 1204 allait être une année funeste pour la chrétienté d’Orient. Sa capitale politique, économique et spirituelle, Constantinople, fut, durant cette année-là, assiégée par les croisés venus de l’Occident lointain. Ces derniers avaient cherché à se persuader que les habitants de cette ville, tout chrétiens qu’ils fussent, s’étaient égarés dans de fausses croyances et pratiquaient en conséquence des rites s’écartant de la religion, du moins de la conception qu’ils s’en faisaient. Le sort, durant cette expédition, fut plutôt favorable aux envahisseurs, puisqu’ils allaient connaître le succès dans leur entreprise, laquelle serait connue sous le nom de quatrième croisade. Malheureusement, il en résulta un inutile et insensé saccage de la ville ainsi qu’un morcellement de l’empire dont elle était la capitale, à savoir l’Empire byzantin. Lequel existait depuis l’an 395, année durant laquelle s’était produite la scission de son prédécesseur, l’Empire romain, donnant ainsi naissance à celui qui reçut la dénomination de Byzantin. Mais l’action entreprise par les envahisseurs provoqua la dislocation de cet ensemble resté jusque-là soudé et cela eut pour conséquence sa recomposition en quatre entités distinctes. Ainsi Constantinople allait devenir la capitale de l’Empire latin d’Orient ; les trois autres entités qui émergèrent de ce démantèlement composèrent ensuite le despotat d’Épire, l’Empire de Nicée et celui de Trébizonde.

Cependant, un peu plus tard, en 1261 plus précisément, l’Empire latin d’Orient, sous l’impulsion de son souverain Michel VIII, redevint ce qu’il avait été auparavant, à savoir l’Empire byzantin. Dès lors, les élites de ce pays reconstitué, quoi qu’en de moindres dimensions qu’il ne le fut, cultivèrent d’abord le doux espoir puis entretinrent avec énergie la volonté de reconquête de la grandeur et de la réappropriation du prestige grâce auxquels, en des temps plus anciens, le vieil empire presque millénaire avait pu s’imposer. Car en réalité, en s’abritant derrière des prétextes mystiques, les promoteurs de la quatrième croisade avaient, entre autres desseins, surtout caressé l’espoir d’évincer Constantinople au profit de Venise.

Lorsqu’en 1274, Michel VIII apprit que devait se tenir le concile de Lyon, il estima qu’il lui fallait profiter de cet événement pour renforcer sa position. Le souverain y envoya plusieurs émissaires qui eurent principalement pour mission de rechercher par quels moyens une forte et puissante entente pourrait naître, se développer et se consolider entre l’Église d’Orient et celle de Rome, entente qui, espérait-il, marginaliserait les Vénitiens. Toutefois, ces ambassadeurs, lorsqu’ils purent exercer leurs talents oratoires dans l’ancienne « capitale des Gaules », eurent à faire face à la réticence et la froideur de leurs interlocuteurs. Mais il en fallait davantage pour faire perdre aux envoyés byzantins leur calme et leur détermination. Ceux-ci étaient d’autant plus confiants dans la réussite finale de leur mission qu’ils savaient que le théologien le plus éminent de cette époque, Saint-Thomas d’Aquin, participerait à ce concile et apporterait aux débats son inestimable contribution. Nul doute qu’elle eut été édifiante et brillante car cet érudit était de ceux qui se méfiaient suprêmement des bavards qui, dès qu’on les laissait s’épancher, avaient un avis sur tout mais ne menaient de réflexion approfondie sur rien. Ce qui, il est vrai et quelle que soit l’époque, est malheureusement le cas du plus grand nombre. Cependant, le concours de la providence divine n’est jamais assuré et le saint homme, alors qu’il était en route pour se rendre dans la ville où se tenait le concile en question, fut rappelé à son céleste créateur. Aurait-il pu faire face à la pesanteur des choses, à l’inertie propre aux érudits pontifiants, à la suffisance caractérisant les pédants persuadés de détenir la vérité et à tous ceux pour qui une simple affirmation valait démonstration ? Les diplomates byzantins ne purent le savoir car il leur fallut se passer du concours du penseur éminent en lequel ils avaient placé leurs espoirs. Au sein de la chrétienté, les choses restèrent donc finalement en l’état. Beaucoup s’en affligèrent, d’autres s’en accommodèrent et certains en furent même ravis, ainsi notamment le patriarche orthodoxe Joseph. Il n’avait pas daigné se déplacer pour ce concile, ni même y envoyer un émissaire qui aurait secondé ceux qui furent nommés par l’empereur. Il est vrai que dès qu’il avait été informé de l’initiative de Michel VIII, il s’y était vivement opposé, l’estimant totalement insensée. Car, pour lui, cela revenait à trahir Constantinople pour séduire Rome, ce qui aurait eu pour effet de ruiner la première pour assurer la prééminence de la seconde. Or celle-ci ne méritait en rien une telle faveur car elle soutiendrait bien davantage les positions de Venise que celles de Constantinople. Le patriarche Joseph resta donc ferme dans sa condamnation de ce qui n’était à ses yeux qu’élucubrations. De sorte qu’à Rome, le souverain pontife, lorsqu’il eut l’écho de cette position, s’en s’irrita et il assura que, définitivement, l’unité entre chrétiens ne verrait jamais le jour. Le concile de Lyon n’avait de toute façon débouché sur aucune volonté de conciliation entre les protagonistes.

Michel VIII, cependant, était un homme opiniâtre tout autant que patient. Il voulut considérer les obstacles et les contrariétés qui lui barraient la route comme n’étant rien de plus qu’une suite de vicissitudes momentanées qu’il fallait savoir surmonter. Ainsi, seul contre tous, il persévéra dans son effort de recherche d’un accord entre les adeptes des théories chrétiennes. Sans se lasser, il continua laborieusement à élaborer des arguments et à ciseler des raisonnements dont l’effet final serait de créer, il en était persuadé, une entente qui serait bénéfique à tous. Alliant patience et détermination, il y consacra, mois après mois, toute son attention et toute son énergie. Malgré cela, sa réflexion ne rencontra aucune résonance, personne, tant à Constantinople qu’à Rome, ne voulant accorder la moindre attention à ce sujet.

En réalité, ce qui, à Constantinople, commençait à inquiéter l’opinion était l’hostilité croissante que cultivait envers l’Empire byzantin une organisation impériale concurrente laquelle cherchait, elle aussi, à réduire l’influence byzantine. En l’occurrence, il s’agissait de l’Empire ottoman, lequel se développait et se renforçait dans l’Anatolie voisine. Cet empire, peuplé principalement de Turcs, avait pris l’appellation « d’Ottoman » du fait que l’un de ses clans, celui des Osman, avait, vers la fin du XIIe siècle, réussi à prendre l’ascendant sur les autres clans. Il voulut alors adopter la dénomination d’Ottomans pour les désigner tous. Son but étant naturellement de les unifier pour les intégrer dans une seule et même entité laquelle pourrait ensuite s’imposer sur tout le périmètre de l’Anatolie. Ce qui permettrait à l’empire en gestation d’augmenter son pouvoir d’influence et d’établir par la suite sa prédominance sur toute la région.

Les années passant, la tension entre les deux empires s’amplifia. Les Byzantins durent se rendre à l’évidence : sans alliés, leur situation non seulement deviendrait de plus en plus difficile, mais à terme, ils risquaient d’être condamnés à disparaître. Le problème devenait aigu : personne ne voulait être leur allié, la persévérance de Michel VIII, qui mourut en 1282, n’ayant pu aboutir à une quelconque évolution en faveur d’un tel résultat. Toutefois, malgré les rapports tumultueux que les dirigeants de Constantinople avaient eus jusqu’alors avec l’Europe et bien que les Républiques maritimes, moins Venise à présent que Gênes, cherchaient à établir de manière constante des colonies au sein même de leur empire, les Byzantins tournèrent avec une insistance renouvelée leur regard vers la chrétienté romaine. Ils n’avaient de toute façon aucun autre choix. Et si l’unité spirituelle n’était pas possible, rien n’empêchait qu’elle le fût au moins sur le plan militaire, ce qui, en fin de compte, était le plus important. Car, évidemment, le salut des âmes, ne dépendant pas de décisions humaines, celles-ci étaient néanmoins déterminantes pour ce qui avait trait au déroulement des opérations sur les champs de bataille.

Toutefois, à Constantinople, les gouvernants et les principaux responsables cessèrent progressivement de se focaliser sur le seul Vatican. Ils avaient fini par acquérir la conviction que celui-ci resterait sourd à leurs demandes d’aide. Ils envoyèrent donc d’innombrables messagers à travers toute l’Europe, lesquels seraient chargés de solliciter l’appui de quiconque aurait le souci du maintien, voire du développement de la présence chrétienne, plus que millénaire, en Méditerranée orientale. À force d’insistance, les émissaires byzantins finirent par rencontrer le succès. En effet, en 1303, ils obtinrent l’engagement d’une compagnie catalane qu’elle interviendrait en leur faveur. Celle-ci, connue sous le nom d’Almograves, était composée de mercenaires qui étaient au service de la Couronne d’Aragon. Ils honorèrent la promesse faite aux envoyés byzantins et se déplacèrent avec tout leur armement jusqu’à la capitale du christianisme orthodoxe. Mais à peine furent-ils sur place, qu’ils massacrèrent tous les Génois qui s’y étaient établis, tant dans la ville même que dans les régions avoisinantes. Vraisemblablement avait-il dû y avoir, par le passé, de vives querelles entre les Catalans et les commerçants de Gênes, de sorte que les nouveaux venus n’hésitèrent pas à profiter de la situation que leur offrait leur honorable statut de défenseurs de la foi en Orient pour régler leurs comptes. Ce massacre entre chrétiens déplut souverainement aux élites byzantines mais elles s’abstinrent de s’en mêler, voire de le commenter, ne voulant aucunement se brouiller avec ces bouillants Catalans dont ils attendaient une aide précieuse. Ils préférèrent donc oublier leur comportement qu’ils jugèrent simplement inconvenant, mais en rien criminel.

Toutefois, de ces sordides querelles entre des soldats du Christ se prétendant tous valeureux et animés d’une même foi, les dirigeants ottomans n’eurent pas la possibilité d’en tirer profit. Nul doute qu’ils durent en ressentir fortement l’envie mais ils eurent à faire face à des assauts particulièrement violents et meurtriers menés par de sauvages tribus dont ils n’avaient jusqu’alors jamais entendu parler et qui allaient être connues sous le nom de Mongols. La lutte fut âpre, les combats sanglants, cependant les Ottomans réussirent à les chasser. Ils étaient d’excellents guerriers, mais pour vaincre, il leur avait fallu mobiliser la totalité de leurs forces. Ils apprendraient par la suite que les sauvages accapareurs qui avaient ainsi déboulé sur l’Anatolie, venus nul ne savait exactement d’où, étaient dirigés par les successeurs d’un empereur nommé Gengis Khan. Celui-ci avait laissé le souvenir d’un chef de guerre violent mais efficace et qui avait, en son temps, réussi à créer par la force des armes le plus vaste empire qu’il n’y ait jamais eu dans l’Histoire. Mais les rudes Ottomans n’abandonnaient pas facilement et mis au défi, ils surent triompher de leurs ennemis et sauver leur indépendance.

Redevenus maîtres chez eux, ils eurent tout loisir de s’intéresser à nouveau à leurs voisins chrétiens. Car malgré ces événements dont ils se seraient bien passés, ils avaient pu rester informés des dissensions qui minaient la solidité de la chrétienté et fragilisaient l’assise de l’Empire byzantin. Ils comptaient bien profiter au plus vite d’une situation dont ils estimaient qu’elle les favorisait et allait leur permettre de neutraliser ceux qu’ils voyaient comme un obstacle à leur expansion. Ils sauraient se montrer patients le temps qu’il faudrait mais dès que l’occasion se présenterait, ils mèneraient une vigoureuse offensive qui, vu la division régnant et s’accentuant chez leurs adversaires, se solderait par une franche victoire pour leurs troupes. Telle était du moins leur certitude.

Cependant, du fait de l’arrivée des Catalans, la donne avait tout de même changé ; ces derniers, sitôt qu’ils se furent débarrassés des Génois qu’ils abhorraient, décidèrent de s’en prendre aux Ottomans, puisque telle était la raison d’être de leur venue à Constantinople. Ils eurent néanmoins à batailler durant deux longues années, avant de réussir à les faire refluer suffisamment loin de la capitale byzantine pour, pensaient-ils, leur ôter l’envie de s’en approcher à nouveau. Lorsqu’enfin ils estimèrent que tout danger était définitivement écarté, ils revinrent dans cette ville et ne se gênèrent aucunement pour y prendre leurs aises. Ils savourèrent leur victoire, pouvant s’honorer du titre glorieux de sauveur de la capitale de l’orthodoxie et de son empire face à des Turcs qui s’étaient estimés un peu trop facilement invincibles. Cette victoire n’apporta cependant aucune quiétude aux habitants de Constantinople qui ne furent que brièvement soulagés car les Catalans finirent par se comporter comme de vulgaires soudards à qui tout devait être permis. Ils estimaient avoir d’autant plus tous les droits qu’ils jugèrent dérisoire la rétribution offerte par l’empereur byzantin en remerciement de leurs services et de leurs sacrifices. Évidemment, celui-ci se lamenta de cette situation, mais ses coffres, presque vides, limitaient grandement une générosité, qu’en parole du moins, il aurait aimé rendre plus manifeste. Le comportement des Catalans restant fortement déplaisant, il finit tout de même par se mettre en colère. Avoir de tels alliés était en définitive aussi calamiteux que d’être confronté à un irréductible ennemi. La vindicte et les heurts entre les Catalans et les Byzantins s’amplifièrent tant et si bien que ces libérateurs, définitivement dépités par ce qu’ils qualifiaient de pingrerie de la part du souverain de Constantinople, conclurent une alliance avec le roi de Bulgarie. De sorte qu’au grand soulagement des habitants de Constantinople, ils prirent la décision de quitter définitivement l’empire en 1308, près de cinq années après leur arrivée.

Quant au pouvoir ottoman, trop heureux de voir que la zizanie apparue dans le camp des chrétiens non seulement ne s’était pas modérée, mais s’aggravait au point que cela avait failli dégénérer en un conflit les opposant les uns aux autres, il acquit la certitude que le temps approchait où il pourrait enfin faire tomber Constantinople. Les Turcs d’ailleurs, après leur victoire sur les Mongols, avaient rapidement pu reconstituer leurs forces de sorte que les attaques contre la chrétienté purent reprendre dès le départ des Catalans. Toutefois, pour les Byzantins, l’heure de la déconfiture finale n’était pas encore arrivée, bien que la ville de Nicée, capitale de l’empire du même nom, sombra définitivement face aux Ottomans en 1331, ainsi d’ailleurs que la ville de Nicomédie qui connut, un peu plus tard, le même sort tragique et dut changer de nom pour celui d’Izmit. L’Empire byzantin perdit, suite à cette défaite, son dernier territoire asiatique situé hors de la capitale.

À Constantinople même, les années passaient sans que la perception du danger n’entraînât de changement dans le comportement de ses élites. Le risque de conflit avec les Ottomans était permanent mais il n’enseignait aucune sagesse ni aucune retenue aux dirigeants qui se jalousaient, voire se haïssaient entre eux. La situation se dégrada encore à partir de 1341, lorsque la disparition du souverain Andronic III provoqua une féroce guerre de succession, laquelle allait s’étaler sur six longues années. Cette terrible épreuve eut naturellement comme dramatique conséquence d’affaiblir encore un peu plus cet empire déjà bien mal en point. La querelle, qui s’était rapidement envenimée au point de rendre, entre les protagonistes, toute tentative de conciliation impossible, opposait principalement deux prétendants : l’héritier légitime, Jean V Paléologue, ou du moins son clan car il n’avait alors que neuf ans, et le régent, Cantacuzène. Celui-ci l’emporta finalement, ayant habilement et sournoisement su manœuvrer pour bénéficier de l’appui des Turcs. Et ceux-ci, fort satisfaits d’être en position d’arbitre pour régler un conflit au sein même du pouvoir byzantin, étaient allés jusqu’à déplacer des troupes pour les amener, sans rencontrer de résistance, devant les portes même de Constantinople. Naturellement, les finauds Ottomans, qui s’étaient montrés sous le visage d’actifs soutiens de Cantacuzène, n’avaient pas agi de manière désintéressée. Car lorsque le pouvoir et l’influence qu’il permet sont en jeu, rien ne se fait par bonté ou par altruisme ; ces sympathiques mais émollientes manifestations sentimentales n’étant, d’une part, une source d’inspiration que pour ceux qui trouvent un contentement dans la rêverie et d’autre part, rien de plus qu’une tentative de manipulation dont se servent ceux qui savent revêtir l’âme humaine, la leur surtout, de beaux atours afin de dissimuler leur avidité et leur répugnance à se satisfaire de ce qu’ils ont. Les troupes ottomanes profitèrent ainsi de l’opportunité qui leur fut offerte pour s’emparer de la ville de Gallipoli, une ville donnant sur le détroit des Dardanelles et qui occupait, de ce fait, une position stratégique dont elles sauraient se servir par la suite pour leurs opérations.

Cependant, dans la capitale de l’Empire byzantin, le dramatique processus de décomposition de l’État et de désintégration de la société se poursuivait. Cantacuzène ne parvenait pas à faire reconnaître son autorité car il était définitivement perçu comme l’homme des Turcs, ce que, plus par opportunisme que par traîtrise, il était bien évidemment, de sorte qu’en 1354, le clan de Jean V, qui n’avait renoncé à rien malgré des déconvenues répétées, réussit presque miraculeusement à récupérer le trône. Naturellement, cela déplut aux Ottomans qui avaient spéculé sur une lente mais inexorable désagrégation de l’empire. Ils craignirent que Jean V, dont ils savaient qu’il était un souverain ambitieux et volontaire, n’entreprît de le rebâtir pour le rendre aussi puissant et influent qu’il le fut naguère. La pression qu’ils recommencèrent à exercer contre les troupes byzantines se fit en conséquence plus forte. Ils se livrèrent à une guerre d’usure et réussirent, après des séries de batailles qui s’échelonnèrent sur plus d’une quinzaine d’années, à mettre la main, non sur Constantinople, mais sur la ville d’Andrinople. La persévérance et la ténacité, comme c’est souvent le cas lorsqu’on ne confond pas cela avec l’obstination, avaient fini, pour eux, par payer !

N’étant pas naïf, Jean V s’était rapidement aperçu que, malgré son appétence pour le pouvoir, son trône ne serait jamais assuré par rien de stable. Mais, face aux intrigants de sa cour qui étaient aussi retors que ses courtisans étaient perfides, quelle stratégie aurait-il pu élaborer pour modifier cet état de choses bien peu rassurant ? Il n’avait jamais tenu la papauté romaine en grande estime et il savait que le Vatican le considérait au mieux comme un gêneur, au pire comme un rival. Faisant fi de ses appréhensions, il décida néanmoins de se rendre à Rome, avec la ferme intention d’obtenir une audience auprès du chef des catholiques. Il entreprit à cette fin un éprouvant voyage au terme duquel il parvint jusqu’au Siège apostolique ; il y fut reçu par l’éminent dignitaire religieux, mais au cours de l’entretien qu’il eut avec lui, Jean V s’aperçut vite qu’il ne pourrait rien deviner des intentions de son interlocuteur, si tant était d’ailleurs qu’il en avait. Le Byzantin plaida néanmoins, comme son lointain prédécesseur Michel VIII, pour l’union de la chrétienté. Ce qui naturellement, dans son esprit, devait se traduire de manière très concrète par la création d’une alliance militaire entre les deux branches du christianisme mais sa démarche ne put faire fléchir l’impassibilité papale. Celui-ci lui assura néanmoins qu’il le soutiendrait par ses prières et l’empereur comprit qu’aux yeux du pape, il ne représentait rien.

Pendant ce temps-là, la puissance militaire turque se renforçant, les offensives armées qu’elle menait de façon régulière sur son flanc ouest ne se concentrèrent plus uniquement sur l’Empire byzantin. Ainsi des guerres mémorables eurent lieu notamment dans les Balkans. Celle qui allait rester dans les mémoires fut, en 1389, la bataille de Kosovo Polje, dite la bataille du Champ des Merles, suite à laquelle les Serbes, vaincus, furent vassalisés par les Ottomans. Mais avant même la fin des combats, ces derniers perdirent leur sultan, Mourad 1er. Son fils, Bayezid, n’eut aucun scrupule à faire assassiner son frère, afin de ne pas voir la succession à laquelle il pensait avoir droit, lui échapper. Il devint donc le chef des armées, à la fois de l’armée ottomane victorieuse et de ce qui allait rester de l’armée serbe. Celle-ci, suite à sa cinglante défaite, fut en effet promptement intégrée dans l’armée turque où, dans un premier temps, il lui fut signifié qu’elle servirait de force d’appoint. Le prince serbe qui l’avait dirigée avant son effondrement, Stefan Lazarovic, accepta de devenir le beau-frère de Bayezid en épousant la sœur de ce dernier, de sorte que le vaincu put sauver son titre, purement honorifique dorénavant, mais cela lui permettait de garder une apparence de pouvoir. Les vaniteux savent se contenter de postures d’apparat et c’est ce qui fait le charme d’une telle disposition d’esprit.

Dans la cité de Constantinople, durant cette période agitée, rien ne changeait, l’impitoyable lutte pour le pouvoir ne connaissant pas la moindre trêve. L’accession à la dignité d’empereur, en 1391, de Manuel II ne modifia en rien la situation interne. Quant au clan des Cantacuzène, à la recherche de tous les compromis possibles et ne rechignant devant aucune compromission, il revendiqua ouvertement son alliance de plus en plus ferme avec les Turcs. Mais cela ne lui permit pas de revenir aux affaires. Quant à ses soutiens ottomans, ceux-ci avaient compris depuis bien longtemps qu’à force de patience et de ruse, ils finiraient par mettre la main sur ce qui était l’objet de leur convoitise : la flamboyante cité de Constantinople, perle à la fois de la mer Noire et de la Méditerranée orientale.

Douloureuse défaite

À Freising, petite et riante bourgade située au cœur de la Bavière, le jeune Johannes Schiltberger qui, en cette année 1394, était âgé d’une quinzaine d’années, ignorait naturellement tout, autant des intrigues que des machinations, des conflits et des guerres, de ce qui se tramait et ensanglantait à intervalle régulier les contrées situées en bordure de la Méditerranée orientale. Il savourait avec un bonheur juvénile le fait que Leinhart Richartinger, comte de son état, l’ait embauché comme écuyer. Cela ne signifiait pas qu’il serait accepté à la cour même de cet auguste personnage, mais il avait l’assurance de pouvoir l’accompagner lorsque celui-ci irait guerroyer. Et même, lorsque la demande lui en serait faite, il aurait la satisfaction de pouvoir chevaucher à côté du comte puisque tel, en effet, était le privilège d’un écuyer. Schiltberger fut naturellement saisi d’admiration par ce personnage, l’ayant vite considéré comme son bienfaiteur généreux. Dès le premier contact, il avait été rassuré par le fait que le grand homme ait affirmé être profondément pénétré des vérités du christianisme ; même s’il avait avoué ne pas avoir compris toute la symbolique liée aux mystères sublimes de cette religion, du moins les avait-il qualifiés ainsi. Mais cela ne l’empêchait pas d’afficher sa fidélité et son attachement aux exigeants et impérieux devoirs qu’elle s’autorisait à demander à ses fidèles. Et ainsi, le comte manifesta de suite son enthousiasme lorsqu’il apprit que le roi de Hongrie, Sigismond, avait fait part à toutes les têtes couronnées d’Europe de sa ferme volonté de chasser de la lointaine Constantinople les infidèles qui menaçaient de troubler la paisible et certainement pieuse existence de son souverain et de ses sujets. Schiltberger partagea l’engouement de son maître bien qu’il n’avait pas la moindre idée de l’endroit où pouvait se situer cette ville qui, assurait-on, était bien plus grande que Munich.

Il apprit du comte que celui qui avait lancé cet appel, Sigismond, avait eu un destin singulier. Du reste, il était de l’avis que ce personnage n’aurait jamais dû être roi, tant les péripéties précédant son couronnement, qui eut lieu en 1387, avaient été rocambolesques. Mais, il arrive parfois que la fonction fasse l’homme et de fait, ce qu’il venait de décider concernant la défense de Constantinople semblait pertinent et sensé.

Ce roi singulier était né en 1368 et quatre années plus tard, il fut fiancé à la fille de celui qui était alors le roi Louis 1er de Hongrie. Celle-ci se prénommait Marie et n’était alors âgée que d’un an. Son père mourut en septembre 1382, et de fait, suivant l’ordre protocolaire, elle serait reine si toutefois son fiancé consentait à l’épouser. Dans l’attente de la décision de Sigismond, la régence serait assurée par la mère de Marie, la reine Élisabeth de Bosnie. Celui qui n’était encore que le céladon de cette enfant prit, malgré son jeune âge, conscience de ses devoirs envers la Couronne, et quelques semaines après le décès du roi Louis 1er, il accepta de s’unir par les liens du mariage à celle qui, à ses côtés, allait monter sur le trône. Mais peu de temps après la cérémonie, il abandonna son épouse et partit en Bohême. Du fait de ce comportement désinvolte, Marie fut contrainte, au grand dam de sa mère, de renoncer au trône. À vrai dire, celle qui aurait dû bénéficier de cette dignité s’en moquait bien vu qu’elle n’était encore qu’une enfant. Cependant, sa mère se désolait que l’on pût, concernant les devoirs envers la Couronne, être aussi négligent et elle ressentit comme une cinglante humiliation l’affront que lui faisait subir ce versatile beau-fils. La cour, finalement, se débrouilla pour dégoter un autre héritier, lequel fut couronné roi à la place de Sigismond. Mais les partisans d’Élisabeth réussirent rapidement à éliminer celui qui n’était à leurs yeux qu’un usurpateur malfaisant. On décida alors que Marie serait rétablie dans ses droits, la cour considérant subitement qu’une reine pouvait l’être même sans disposer d’un royal époux à ses côtés.

Toutefois, les soutiens de l’individu qui fut assassiné peu de temps après avoir été couronné n’acceptèrent pas d’avoir été mis à l’écart. Ils complotèrent et réussirent à s’emparer de l’infortunée Marie ainsi que de sa mère, Élisabeth, laquelle fut étranglée par ces malotrus en 1387. Sigismond, dès qu’il apprit cette tragique nouvelle, décida de revenir dans son royaume, d’y faire valoir ses droits et dans la foulée, de permettre à son épouse de retrouver la liberté. Du fait de la mise en œuvre de ces bonnes résolutions et de la promesse d’honorer définitivement ce qu’il aurait toujours dû considérer comme un ferme engagement envers la Couronne et un loyal dévouement à son pays, l’époux maintenant assagi put être couronné roi de Hongrie. Et Marie, à ses côtés, eut enfin la joie de pouvoir s’illustrer dans son rôle éminent de reine.

Mais pour le nouveau monarque, une telle charge allait vite s’avérer n’être qu’un lourd fardeau. D’autant que son royaume était menacé par le sultanat des Ottomans, celui-là même qui guignait Constantinople et qui voulait déplacer sa frontière occidentale le plus loin possible vers l’ouest, afin notamment d’avoir une possibilité de retrait en cas de nouvelle attaque mongole. La mer occupant le nord et le sud de l’Anatolie, l’Europe restait, pour les Turcs, ce qui était, en cas de nécessité, le plus facile d’accès. Mais naturellement, cette attitude de la part des Ottomans était ressentie comme inamicale par leurs voisins occidentaux et cela fut la cause de tensions permanentes. La Hongrie était d’autant plus sur ses gardes que l’inattendue et de ce fait douloureuse défaite serbe, lors de la bataille de Kosovo Polje, avait rendu manifeste la redoutable puissance turque.

Aussi, en cette année 1394, Sigismond, excédé par le voisinage de ce turbulent Empire ottoman potentiellement menaçant pour son pays, mais estimant être dans l’incapacité de pouvoir affronter seul le danger qu’il représentait, lança un appel à toute l’Europe chrétienne. Il se doutait bien que la seule défense de son royaume n’intéresserait personne mais que le thème de la sauvegarde du catholicisme, qui était la religion de tous les rois et roitelets européens, serait certainement bien plus mobilisateur. Les messagers qu’il envoya à toutes les têtes couronnées d’Europe surent faire valoir un argumentaire qui pouvait s’énoncer sur un ton susceptible à la fois d’entraîner l’adhésion enthousiaste au projet et d’être considéré comme une injonction à laquelle aucun homme de foi soucieux du salut de son âme ne pouvait rester indifférent. On apprit par la suite qu’à la grande satisfaction du roi de Hongrie, le pape Boniface IX de Rome, tout comme le pape Benoît XIV d’Avignon qui lui faisait alors concurrence, ainsi que le roi de France, Charles VI, dit « le fou » depuis qu’il avait tué sans raison apparente quatre de ses gardes avant d’être maîtrisé, avaient tous répondu positivement à ses sollicitations. Le soutien apporté par ces personnages illustres à l’ambitieux projet du roi Sigismond entraîna d’innombrables ralliements individuels d’aristocrates et de hobereaux en mal d’aventures, lesquels manifestaient d’autant plus de ferveur pour aller combattre les Ottomans qu’ils disposaient pour certains de forces armées assez conséquentes. De sorte qu’ils voyaient comme un heureux divertissement la possibilité d’aller s’illustrer sur de lointains champs de bataille. Accompagnant des troupes puissantes désireuses de servir Dieu, ces forces disparates mais bientôt réunies sous un même étendard vaincraient assurément les troupes impies sans que cela ne leur coûtât trop en hommes et en armes. Ces aristocrates étaient d’ailleurs unanimes à louer l’effort particulier fait par le roi de France, car ses relations houleuses avec la Couronne d’Angleterre, qui auraient pu monopoliser toute son attention et toutes ses forces, n’étaient un secret pour personne.