Ils ont abattu l’orme de la place - Denis Nuñez - E-Book

Ils ont abattu l’orme de la place E-Book

Denis Nuñez

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Beschreibung

Devant l’irrévocable, le narrateur prend conscience de la fragilité des totems qui peuplent son quotidien. Rues, arbres, visages, lieux familiers, la femme à la valise, le cycliste de la rue Dulaure, le merle moqueur ou la glycine du numéro 20, tous s’effacent peu à peu, emportant avec eux les repères sûrs et silencieux de sa mémoire. Pour résister à cet effacement inexorable, il entreprend de capturer son univers en quarante tableaux, fixant l’éphémère et proclamant l’existence de ces fragments de vie avant qu’ils ne sombrent dans l’oubli. Mais cet effort suffira-t-il à préserver les ormes des lieux, les platanes des routes, le cliquetis des bouteilles et tout ce qui fait vibrer un monde ? Sommes-nous condamnés à voir disparaître ces symboles ou avons-nous encore le pouvoir de les sauver ?

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Denis Nuñez est l’auteur de "Le chemin de l’oued" paru en 2008 aux Éditions Persée et de "Les Golondrinas ou les trois sœurs d’Alméria" paru en 2013 aux Éditions L’Harmattan. En 2019, il publie dans cette même maison d’édition "Hors de portée ou le musicien silencieux" et "Le rock aux trousses" en 2024. Le présent ouvrage s’inscrit dans la continuité de sa dynamique littéraire et complète une œuvre riche et variée.

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Seitenzahl: 103

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Denis Nuñez

Ils ont abattu l’orme de la place

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Denis Nuñez

ISBN : 979-10-422-5785-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Préface

Ce matin, il exprime à voix haute ce qu’il ne veut pas croire et encore moins accepter : « Ils ont abattu l’orme de la place ! »

Mis devant le fait accompli, le narrateur mesure la fragilité des totems de son quotidien. Des rues, des places, des boulevards, des boutiques, des bars, des animaux, des personnes, compagnons familiers d’itinéraires choisis, ne sont ni immuables ni éternels.

La femme à la valise, le cycliste de la rue Dulaure, le merle moqueur, la glycine du no 20, les peupliers italiens, les arbres de mai, et plus encore, les chalands, ses amis, ses parents, tout ce et tous ceux dont il sera bientôt le dernier témoin à proclamer l’existence.

Pour parer la menace, il décide de figer en quarante tableaux la photographie de cet univers en voie de disparition.

Ces symboles, ces images, ces personnalités, ces fragments de vie, restés dans l’ombre jusque-là, sont autant de points saillants de ses parcours quotidiens et des repères sûrs et chéris malgré leur oubli programmé.

Des relais tangibles de sa mémoire fragile.

Cet effort suffira-t-il pour empêcher que l’on abatte encore et toujours les ormes des places, les platanes au bord des routes, que l’on réduise au silence le cliquetis des bouteilles ? Peut-être ! Mais la réponse nous appartient-elle ?

Ils ont abattu l’orme de la place

Un oiseau lança son cri ; il pensa : c’est un chardonneret.

Jorge Luis Borges, « L’évangile selon Saint-Marc »

Je suis sorti très tôt dans la ville bousculée par un petit jour clairet. Un merle a sifflé plusieurs fois depuis une cour, me gratifiant de ce rire qu’il imite en reprenant son souffle entre deux trilles aigus.

La chaleur du four s’échappe du soupirail de la boulangerie, rideau baissé. Le pain cuit. Son odeur se mêle à celle des rues fraîchement arrosées.

Ils ont abattu l’orme de la place. Malade ! ont-ils décrété. Poussière de bois rouge éparpillée au sol. Un baliveau le remplace. Je serai déjà loin que les branches feuillues de ce prétendant chahuté par le vent qui le fait tressaillir n’atteindront pas encore mes fenêtres pour me bercer.

C’est un lundi comme les autres, le ciel est dégagé, noyé par un soleil froid, les bruits flottent, perdus dans ce mélange glacé d’air et de lumière.

Des nuages blancs s’effilochent, traversés par des avions lassés de fuir.

La lune et quelques étoiles translucides attendent l’arrivée du soleil pour disparaître à leur tour.

Je reconnais derrière moi la valise à roulettes de la femme pressée, elle se rapproche, précédée du chant chaotique de son bagage malmené sur le bitume irrégulier, et me double enfin.

Un camion de pompiers, sans sirène ni feux clignotants, passe au ralenti dans la rue.

Chassées par des travaux, plusieurs compagnies de pigeons se sont réfugiées dans une ruelle entre deux bâtiments et livrent aux passants une symphonie improvisée d’envolées de plumes et de battements d’ailes anarchiques, le temps d’une spirale dans les airs.

Un bouquet de muguet fleuri a été déposé dans l’anneau de fer scellé sur le mur, sous la plaque commémorative du groupe Manoukian, au no 1 de la rue du même nom.

Au métro Pelleport, une jeune princesse nubienne me demande mon portable. Elle appelle pour annoncer un probable retard. En me rendant le téléphone, elle dit : « Tu ne dois pas être complètement blanc, toi ! »

Les deux tours de verre reflètent le ciel et les nuages, elles disparaissent dans un infini bleu et gris.

L’ascenseur est plein. Il s’arrête à chacun des dix-huit étages de mon parcours. J’aime ces matinées où j’entends dix-sept fois « bonne journée ! » et me retrouve seul sans personne à qui souhaiter la même chose.

Au briefing du matin, l’orateur sûr de son propos triture des documents qu’il ne consulte pas et s’interrompt en nous regardant, sollicitant une réaction qui ne vient pas.

Une incursion de quelques minutes dans la communauté des fumeurs, au pied des tours perdues au milieu de trois bretelles d’autoroute, le ronronnement incessant des voitures et les échanges amicaux de petits groupes dominés par les rires. Le scintillement des flammes de briquet couronne le tabac de braises rouges entretenues jusqu’à la fin par des souffles épuisés.

Le soleil dispense son dernier éclat avant de plier bagage. Bientôt, les réverbères prendront le relais. Il sera alors temps de rentrer.

En passant devant le studio d’enregistrement au no 56 de la rue, j’imagine les musiciens concentrés sur l’exécution de leur partition et les techniciens attentifs aux courbes vertes et rouges des scanners numériques.

Un tissage méticuleux de ciel et de nuages donne à la fin de journée une atmosphère oxydée que l’on ne peut décrire tant elle varie à mesure que le tisserand empile sur les lisses des fils dont les couleurs grises et roses changent à la lumière tombante du soleil.

Un soleil blanc comme une lune

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.

Victor Hugo, « Les contemplations »

Ce matin, le ciel nous rappelle que le bleu est une couleur froide. Un soleil blanc comme une lune souligne cette réalité frissonnante. Une troupe de moineaux poussée par le vent est pourchassée par deux gros pigeons. Ils gagnent le branchage piquant d’un mélèze. Les prédateurs les suivent. Une envolée de plumes et de chatons se détache des bouquets de l’arbre et dessine en tombant une arabesque subtile portée par le vent.

Il respire la chaleur familière de l’écharpe en laine pour se protéger du froid.

Une pierre de camphre dans un sac d’étamine épinglé à son maillot de corps emplit ses narines d’une odeur puissante.

Un promeneur perdu dans le labyrinthe du boulevard se fraye un chemin parmi les voitures roulant au pas. Il croit en être sorti grâce à la sollicitude de conducteurs complaisants, mais le tram fond sur lui porté par le glissement sourd de ses roues sur les rails. Une cloche retentit à un rythme effréné, le menace. Il parvient à se dégager, abasourdi par ce tocsin qu’il continue d’entendre tout au long de l’avenue.

Dans le parc, les branches du saule sans leurs feuilles pleurent plus qu’en été.

Au métro Gambetta, devant la mairie du XXe, quelques mères de famille, sous le regard indifférent des passants, agitent des pancartes réclamant plus de places en crèche.

Deux employés municipaux toilettent le parc comme pour un enterrement.

Au cimetière, les familles déposent sur les tombes des chrysanthèmes de toutes les couleurs.

Le bruit de la circulation recouvre le sifflement du vent. N’étaient les têtes des arbres qui oscillent sans cesse, les piétons aux vêtements gonflés et aux cheveux désorientés, pourrait-on croire à l’existence de ce souffle céleste inaudible ?

Tous les mardis soir s’échappe de la porte palière de l’appartement du troisième étage l’odeur caractéristique d’oignons blancs que l’on fait blondir à l’huile d’olive.

Le ciel est bousculé. Beaucoup de vent. Du bleu partout avec de fines touches de blanc. Les nuages se précipitent vers le soleil et tournent autour de lui. Avant la nuit, nous aurons une fois de plus un festival de couleurs grises et roses.

Les rayons du soleil, comme d’improbables aiguilles, vont et viennent pour filer la laine fuyante d’un écheveau de nuages emmêlés et tisser le voile noir de la nuit avant de disparaître.

Un gris léger comme la pluie

Adèle était un de ces passereaux qui, après avoir été trempés comme une soupe par un orage en restant à découvert sur une branche, se secouent en battant des ailes et redeviennent plus secs qu’avant.

Andrea Camilleri, « Le tailleur gris »

L’espoir du jour est ce trait lumineux immobile derrière la masse sombre des nuages.

Le ciel est menaçant. Les nuages descendent jusqu’à la ligne d’horizon, un mur gris infranchissable. La terre a disparu.

Derrière cette masse hostile, le disque blanc du soleil diffuse une lumière sans âme. Le vent se lève et vient s’échouer contre la barrière cotonneuse, impuissant à la faire bouger.

« Qu’est-ce qui va nous tomber dessus ! Vous avez un parapluie ? »

Sans un mot, elle sort de son sac un grand poncho de caoutchouc bleu. Elle l’enfile.

La pluie redouble d’intensité.

« Vous n’allez pas sortir là-dessous ? »

Pour toute réponse, elle tire sur les lacets de sa capuche, l’ajuste à son visage et part affronter la pluie.

La corolle bleue du poncho ondule au rythme de son pas et empêche les gouttes d’atteindre ses jambes nerveuses.

Il allume une cigarette et la regarde s’éloigner.

C. le désespère.

Huit heures trente ! Et il n’est toujours pas là. Il a l’air fin, son cartable à ses pieds, coincé sous ce porche à se protéger de la pluie.

On dirait ce matin qu’il ne passe que des Twingo bleues, mais jamais la sienne.

Le double vitrage empêche la pluie de chanter sur les carreaux.

Le ronronnement incessant des voitures, rythmé par l’alternance des feux tricolores, vient se briser par vagues sur une grève de bitume gris.

Quelques vélos se croisent le long des pistes cyclables, silencieux comme des fantômes.

Des motards trempés se faufilent entre les voitures tirant sur leurs poignées de gaz pour échapper aux pièges des files qui se resserrent pour les empêcher de passer et ponctuent leurs accélérations des cris de victoire aigus arrachés à leurs moteurs.

Le ciel est d’un gris léger comme la pluie. Des nuages sans relief, indifférents à cette eau venant de nulle part, cachent la lumière du soir naissant.

Il râpe du parmesan en écoutant la radio. Les copeaux de fromage s’amoncellent dans une petite assiette, il les verse sur les spaghettis fumants ; en fondant, ils dégagent un parfum subtil et chaleureux qui fait passer au deuxième plan la voix convenue du speaker.

Il se souvient des poèmes appris autrefois, « il fera longtemps clair ce soir les jours allongent […] »

Les étés sur le seuil de la maison…

Le jour s’installe dans la nuit comme l’amour s’installe dans la vie.

Le ciel garde une certaine clarté sous la lune de solstice.

À la surface de l’étang, des libellules folâtrent pour l’éternité.

La nuit, les grenouilles bercent la nuit !

Le silence me dit de rester

Il mangea, but et sortit. Il ne reconnaissait plus la rue ; les pavés mouillés séchaient rapidement. Dans le ciel, il y avait un arc-en-ciel. Les tramways roulaient lourdement, chargés de beaucoup d’hommes, dans les bras de la nature.

Joseph Roth, « La fuite sans fin »

Quel que soit l’endroit où porte le regard, la couleur du ciel ce matin est d’un bleu pur et intense. Pas le moindre trublion nuageux. Le soleil souffre de cette atonie céleste et s’ennuie. Une demi-lune maladive attend patiemment le retour du soir. Un avion passe sans laisser de traînées blanches et paye sa contribution à l’ambiance du jour.

Rien à faire, rien à dire, rien de rien.

Pas un bruit dans les rues. Le silence me pousse à rester, de profiter de ce temps mort.

Je me lève, prends les tasses dans le buffet pour les poser avec précaution sur le plateau, bois mon café et sors.

La ville, inquiète de ses rues désertes, porte encore les stigmates du passage des voitures et des foules.

Sur le boulevard, le bus 61 à destination de la gare d’Austerlitz passe à vide, surpris de n’avoir personne à véhiculer.

Un car de police s’est immobilisé devant le no