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Lorsque la planète Sagenuy perd contact avec son souverain et l’aïeul de Kiera Fomdydé, cette dernière et ses amis s’improvisent équipe de sauvetage. Mais les recherches tournent au jeu de piste, entre le trafic interstellaire interrompu à cause de migrations aliennes et les pirates de la Houle noire, rôdant partout en semant des tempêtes. Les voyageurs se voient forcés d’emprunter des voies, aussi insolites que dangereuses, aidés d’un bibelot aux étranges effets mentaux.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Kévin Guivarch, attiré par la beauté de la nature, poursuit des études en horticulture tout en nourrissant un vif intérêt pour la science-fiction, la fantasy et le fantastique. En 2019, il se lance dans l’écriture de "Imagine Machine", un projet qui fusionne ses intérêts pour les mondes imaginaires et les réalités naturelles.
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Seitenzahl: 551
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Kévin Guivarch
Imagine machine II
La piste des constellations
Roman
© Lys Bleu Éditions – Kévin Guivarch
ISBN : 979-10-422-7255-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
En approche d’une naine rouge, étoile en fin de vie, miroitaient un petit groupe de parasols miroirs géants dans l’ombre desquels se protégeaient des navires à figures de proue, bavant de leurs boosters des langues de brume phosphorescente. À la radio, sur le canal général, une voix masculine demanda :
— Connaissez-vous l’histoire du cosmonaute qui attendait la nuit pour visiter le soleil ?
Un navire voisin répondit avec précipitation :
— Probablement oui…
Quelqu’un d’autre dit avec innocence :
— Hm… pas moi.
— Ah ! réagit le premier ne cachant pas sa bonne humeur. On dirait qu’il reste des déviaturels capables d’apprécier les bonnes choses !
Déviaturel désignait les gens utilisant une capacité surhumaine nommée Facette.
Un capharnaüm de voix satura d’un coup la communication générale.
— Oh non, mais pourquoi ! râla l’un,pendant qu’un autre éclatait de rire :
— Taisez-vous, malheureux !
Une voix féminine dit à son tour amusée :
— Ça y est, c’est foutu, on pourra plus l’arrêter !
— Larguez-le vite ! pour le bien du nombre ! riait encore un autre.
Et enfin un dernier, hors sujet :
— Il vous reste des chips et des fruits secs ?
Une vieille voix féminine lasse annonça avec lenteur :
— À l’attention de M. Archimède, une minute avant d’arriver à Lost red petal, préparez-vous pour séparation, M. Archimède merci !
Du groupe, s’écarta l’un des plus petits parasols, derrière lequel se protégeait une navette en forme de bouée cardinale.
— Hélas, mes amis ! C’est ici que nos chemins se séparent ! Ce mois fut court, mais enrichissant de bons souvenirs ! Je suis sûr qu’il ne s’agit que d’un au revoir !
La même voix féminine annonça d’une voix déprimante :
— Prochain arrêt : l’hauaziz Souvlunkou.
Celui-ci observa le groupe entamer un virage sur l’orbite de l’étoile. La position des navires changeant, les parasols furent ajustés en conséquence pour ne laisser aucune partie sensible des carlingues exposée aux rayons mortels. Gagnant en vitesse, la caravane s’éloigna ailleurs…
Tel un écolier, le laisser sur place dit pour lui-même.
— Bon, Archimède présent ! Vous pouvez arrêter de jouer à cache-cache.
Une partie de ses cheveux blancs, enroulés en chignon, était piquée d’ombrelles de cocktails, dans sa barbe du même ton brillait un anneau. Son embonpoint gonflait un manteau marron usé, ayant perdu tous ses boutons, serré par une écharpe grise à la taille, lui donnant des airs de robe de chambre. Une deuxième écharpe, portée en bandoulière, contenait son scaphandre déployable en pressant le bouton brillant au milieu. Sur cet équipement, se trouvait accroché un boîtier de la taille d’une boîte d’allumettes, renfermant une mini holovision.
Soudain, un trait parut sectionner l’étoile face à lui, pour enfler en ovale à vue d’œil. L’apparition, aussi vaste qu’une île, finit par éclipser l’astre, plongeant ce qui se trouvait derrière dans une nuit surnaturelle. S’approchant avec son pot de yaourt, Archimède discerna peu à peu les reliefs d’une gigantesque soucoupe dorée, bombée au centre : un écumeur de nébuleuse.
À l’intérieur justement attendaient deux individus : l’un debout, l’autre assis en posture Penseur de Rodin sur de larges marches couleur cuivre bordant un petit canal, lissant de son flux des algues filiformes, scintillant des rayons solaires filtrés par la pseudo « voûte céleste ».
Le premier était ce que l’on appelait un précurseur, vêtu aurait-on dit de loin, d’un dérivé de toge gréco-romaine, mais à proximité, emballé de tissus couleur sable, spiralant autour de son corps, lui donnant l’apparence d’une crème fouettée. Le menton brun de bouc, son regard remontait l’eau à contre-courant, sous l’ombre de son chapeau type pétase1, fiché de plumes aux multiples couleurs et longueurs.
— Toujours aussi ponctuel… dit-il tendu entre ses dents en pensant à celui qu’il devait recevoir.
— Ça vous surprend ? lui répondit le deuxième plus calme et désabusé aussi. N’oubliez pas de qui on parle !
L’individu avait des cheveux châtain partant légèrement en arrière, emmitouflé dans une cape bleu roi, laissant dépasser un bâtonnet métallique dépliable à sa hanche, consultant son holovision de poche.
Atlas dit en repensant à ses jeunes années.
— Il faisait déjà le coup à mon père et mon grand-père à l’époque.
Soudain, le précurseur, pris d’un doute, se retourna en tâtant précipitamment son habit.
— Au fait, Ulick, je suis comment ?
Avec une pointe d’agacement, le nommé sans même le regarder répondit :
— Croyez-moi, même en pyjamas vous seriez toujours mieux vêtu que lui.
Archimède traversait un gigantesque hangar arqué, pour se poster devant un mur qui s’ouvrit sur un ascenseur, montant en oblique. Bien que cette visite ne soit pas sa première, c’était à chaque fois un éblouissement physique et mental. Arrivé sur le pont supérieur, la lumière ambiante lui donna la sensation d’avoir débarqué sur une planète par beau temps. L’air y était frais sans être froid, des oiseaux accompagnaient des cages sphériques volantes, à l’intérieur desquels tournoyaient des ventilateurs.
La population vaquant à ses occupations, sur les chemins cerclant des bassins ou des bosquets, donnait l’impression d’être revenu aux temps antiques. Tout comme leur leader, chacun possédait un petit boîtier rond, fixé sur leur tenue enroulée autour de leur corps. Au milieu du vaste pont principal se dressait en colline un immense rocher, autrefois astéroïde.
Sortant un papier de sa manche, Archimède en suivit les indications, selon son interprétation. Une fois au lieu de rendez-vous, Ulick l’ayant remarqué fit une réflexion condescendante.
— Ça alors, il a frôlé la ponctualité.
Le visé n’en fut pas le moins du monde gêné, trop content d’être enfin, tombé par hasard sur ceux qui l’attendaient.
— Atlas ! C’est bien vous ? Ooh ! À ma dernière visite, vous étiez haut comme trois pommes !
Le précurseur, agitant les bras après loupé une marche sous le coup de l’excitation, hocha la tête.
— Bonjour Archimède ! Désolé de vous avoir fait vous déplacer, étant donné le climat actuel.
Le précurseur fit signe à Ulick qui se releva pour prendre congé, saluant au passage l’invité avec indifférence, comme s’il s’était s’agit d’un simple passage de relais.
— Oh ! vous savez, répondit ce dernier en s’asseyant à son tour sur l’une des marches, à chaque époque ses dangers, même si la Houle noire en a impressionné plus d’un ces derniers temps.
— Oui, prendre Circumpôlis, un véritable exploit !
— Remarquez, l’Histoire nous apprend que ce n’est pas la première fois. Mais le faire durant une transhumance de Rois du vide, c’est malin.
— Et les tentatives de reprise de contrôle, qu’ont-elles donné ?
Archimède, le nez en l’air, répondit :
— Des échecs cuisants et l’exécution d’otages. Avec ça, la Houle noire a fait comprendre qu’elle ne plaisante pas.
Après quelques instants de silence, uniquement brisé par les gazouillis d’oiseaux et clapotis de l’eau, Atlas demanda à la fois avec réserve et curiosité.
— Comptez-vous intervenir ? Vous ou les autres athées ?
— Pourquoi ? s’étonna un instant Archimède. C’est notre problème ?
— Eh bien, disons que ça ne met pas seulement l’Éternerre au pied du mur.
— C’est surtout étonnant, que les gouvernements actuels tiennent toujours debout, avec des chevilles aussi enflées ! Quant à mes camarades, disons que… moins l’on se voit, mieux l’on se porte ! Et je doute qu’un seul d’entre eux prenne part à ça. Mais sinon, vous ne vouliez pas me consulter pour discuter de ce que nous savons déjà, n’est-ce pas ?
— En effet, reprit Atlas : les événements récents ont fait passer inaperçu, un incident sur Terre il y a environ six mois.
Tout en l’écoutant, Archimède sortit une flasque ronde richement décorée, qui émit un léger « ponk » lorsqu’il l’ouvrit.
— Pff… la Terre ? Hum ! quasiment désertée, elle continue pourtant d’attirer les problèmes.
— Comme vous le savez, reprit le précurseur, nous faisons visiter votre monde à nos enfants pour leur montrer où tout a commencé.
Archimède fixa ses pieds.
— La Terre n’est pas mon monde, j’y suis né, c’est tout.
Le chef précurseur remarqua que suivant les mouvements de son invité, ses ombrelles se refermaient ou s’ouvraient légèrement, mais préféra enchaîner.
— Une nuit, l’enseignant d’un groupe d’enfants en aurait perdu un, parti en vadrouille de son côté. Il le retrouva vite heureusement, mais les deux auraient surpris une conversation.
— Mais encore ? demanda le vieux.
— Une discussion entre des agents de l’Ithzenkuru et une bande d’inconnus.
Archimède leva un sourcil et sourit.
— Des espions espionnés, hein ?
— C’est là que commence la partie pour laquelle je souhaitais consulter un tempaudit, et vous êtes le seul que je connaisse de toute façon ! Selon nos témoins, les deux groupes écoutaient la voix d’un tempaudit, à travers une sorte de… « faille », avec des noms comme animordial, Oozeye et chimère !
À chaque mot clé, l’intérêt de Archimède grandit :
— Sur Terre, des espions, animordial, Oozeye et chimère, une faille qui parle…
Tout à coup, l’ancien adressa un regard au précurseur :
— Comment savez-vous que la voix de cette faille venait d’un tempaudit ?
— Hm ? Parce qu’il employait le mot « Condamnés » pour désigner les étrangers, et je crois savoir, que vous nommez les mortels ainsi !
— C’est votre preuve ça ? lança Archimède déçu.
Atlas eut l’impression d’avoir loupé une autre marche face à la perplexité de son invité, ajoutant :
— N’importe qui peut être aussi malpoli que nous pour créer la confusion !
Le précurseur devait admettre qu’il ne l’avait pas vu de cette façon, et se sentit confus.
Archimède souriant avec espièglerie dit :
— Ne vous tracassez pas maintenant ! Continuez, vous étiez bien parti.
— Oui alors, reprit le précurseur en balbutiant, nos deux témoins n’entendaient pas clairement, mais la voix de la Faille aurait eu besoin de candidats pour ouvrir hm… quelque chose et répondre à des questions.
Archimède s’apprêtait à sortir une anecdote idiote, lorsque le précurseur rectifia en regardant en l’air.
— L’une des « Grandes questions » pour être exact.
Un silence tomba, que les conversations d’oiseaux ne purent cette fois conjurer. Interloqué par ce manque de continuité, Atlas fut presque choqué, en remarquant le visage décomposé du vieillard.
— A-Archimède ?!
Une marée de souvenirs chaotiques venait d’envahir son esprit. L’écume de découvertes, du sel de haines, des vaguelettes d’amours, des tempêtes de batailles gagnées et perdues, ainsi que les eaux troubles d’une autre vie, entouré de proches désormais poussière et de lieux disparus.
Inquiet de son manque de réaction aux stimulus, le précurseur fut tenté d’appeler un médecin, pensant à une attaque ou quelque chose de semblable. Archimède se reprit finalement, écarquillant les yeux désorientés, comme si son esprit s’était égaré pour revenir dans son corps.
— Pardonnez-moi ! Ces mots… « Grandes questions » me semblent sortir d’outre-tombe.
Le fixant avec attention, Atlas voulut provoquer la conclusion :
— Vous savez donc de quoi il en retourne.
Le vieux déviaturel prit une autre gorgée de sa flasque avant d’expirer lentement.
— Je sais que hasard n’est pas solution, et si je ne m’abuse, vous n’avez toujours pas raconté la fin de cet « incident ».
Cette fois, ce fut le précurseur soupçonneux qui mit un certain temps avant de reprendre.
— Il n’y a pas grand-chose à dire après ça, la conversation aurait tourné à l’affrontement, l’enfant et son gardien ont préféré évacuer pour ne pas risquer d’être pris dedans.
— À première vue, dit Archimède, on pourrait y voir un règlement de compte. Les opportunistes profitent souvent des crises de grande envergure, comme celles de nos jours, pour faire leur coup en douce. Mais, avec les êtres singuliers que vous avez cités, et si vos soupçons sur l’implication d’un tempaudit s’avèrent fondés, alors oui, il y a un problème.
— Oh, je viens de me rappeler ! s’exclama Atlas à s’en taper le front. Apparemment, la Faille et les espions avaient pour cible prioritaire une certaine…
— Atchoum ! éternua Kiera Fomdydé sans prévenir.
— À tes souhaits ! lui répondit Éva, sa cousine, assise dans le même téléphérique en ajoutant : quelqu’un doit parler de toi.
— Quoi ? demanda la jeune femme en se frottant le nez.
Tout en regardant au travers de la vitre de leur cabine, en ascension vers un pic montagneux de la planète Sagenuy, Éva supposa :
— Le beau brun qu’on a croisé en bas tout à l’heure, ou la bombe d’hier soir peut-être ? Ou les deux… fantasma-t-elle.
— Ou un vieux sénile incontinent, ironisa Kiera, plaquant de la vapeur sur la vitre dans un « Haaa ».
Peu avant, la vitre renvoyait encore l’image de son visage, traversé du sourcil jusqu’à la bouche par une marque en forme de croissant lunaire, passant pour un tatouage ou une marque de naissance, au milieu de quelques taches de rousseur.
Dessinant un bonhomme dans la buée, elle l’anima en s’aidant mentalement de ses doigts. Le faisant marcher puis courir, sous les yeux amusés d’Éva, dont on ne comptait plus les nuances colorant ses cheveux au travers de son bonnet, ainsi que et surtout ses piercings à la fois petits et trop nombreux pour être discrets, partant de son sourcil droit jusqu’à sa bouche.
— Tu me rappelles ta mère.
— Hm… si tu le dis, répondit Kiera.
Sa cousine prit un exemple :
— On était encore toutes petites, mais je m’en souviens comme si c’était hier ! Je dormais chez vous ce soir-là, ta mère nous lisait un livre quand… elle s’est mise à vapoter avant d’éteindre nos lampes. Des personnages dans des paysages de lumière sont apparus au plafond, projeté depuis son bras luminescent ! C’était le truc le plus cool que j’avais jamais vu !
Sélia, la mère de Kiera était une déviaturelle de classe Fysik, lâchant de la vapeur avant d’utiliser leur facette.
— Ah oui, maintenant que tu le dis, se rappela vaguement Kiera regardant en l’air.
Éva dit :
— C’est durant l’étude des facettes à l’Instructum que j’ai réalisé à quel point elle est talentueuse !
Kiera ajouta :
— Mouais, le soir c’est sympa, mais au réveil bonjour les persistances rétiniennes ! Et tiens à propos, attention les yeux !
Éva, interloquée, la regarda fixer le ciel en réalisant un mouvement comme pour ouvrir les deux battants d’une porte. L’équivalent d’un flash d’appareil photo aveugla les deux.
— Argh ! s’exclama Éva, les mains en visière.
Plissant les yeux, la femme aux cheveux arc-en-ciel resta sidérée, en voyant un trou dans la couverture nuageuse au-dessus de l’un des pics enneigés. Laissant passer les rayons du soleil de fin d’après-midi.
— Est-ce que je rêve ?
Kiera plissant également aussi les yeux dit :
— Non, et c’est moi qui ai fait ça !
— Quoi, ça là ? dit-elle en pointant le trou dans le ciel. Tu peux contrôler la météo ! ?
— Pas exactement, je peux, disons, presser les nuages comme des citrons, pas mal hein ?
Kiera était spéciale à plus d’un titre, physiquement avec la marque lunaire sur son visage, mais aussi depuis peu, en ayant découvert être une animordiale.
Sorties de la cabine, les filles suivirent une route bifurquant sur un sentier épousant une pente raide. En chemin, Kiera préleva d’un ruisseau un globe d’eau plus gros qu’un ballon de basket, pour le balader un peu partout dans son champ de vision, comme un animal de compagnie. Parti d’un entraînement de maîtrise, cela lui était devenu une habitude, leur donnant parfois des noms comme Bob, Glouglou, Boitout.
La neige compactée en glace, contrastait avec la moquette de verdure, passant par toutes les teintes de vert au marron carton. Leurs ondulations trahissaient les tourbillons d’air nés de la rencontre entre l’inspiration des gorges et l’expiration des pics, comme autant de géants ronflants.
Moins d’un quart d’heure plus tard, alors que le duo longeait une descente presque dépourvue de rocaille visible, Éva, quelques pas devant, remarqua du mouvement sur leur droite en contrebas.
— Ah, Kiera ne bouge plus ! Arrivage d’alpidoux !
Un rapace survolant le secteur les avait également repérés, sans parvenir à faire son choix parmi une centaine de formes blanches en approche. Arrivés au niveau du sentier, les cousines virent bondir au-dessus de leur tête des animaux petits comme des lapins, blancs comme neige au sortir de l’hiver, les oreilles aussi petites que celles de marmottes, le corps en accordéon et une longue queue touffue. Les bestioles devaient sauter le plus loin possible, de terrier en terrier pour impressionner les femelles. Après le passage de la vague, Kiera éclata de rire en montrant à sa cousine, les derrières de deux alpidoux coincés à l’entrée d’un même terrier. L’un comme l’autre avait toutefois intérêt à se décider rapidement, car la présence des humaines ne suffisait pas à effrayer le rapace à l’affût. L’amusement laissa toutefois place à un manque pour Kiera, les alpidoux lui rappelant vaguement son pote Delta.
Habituée à l’air marin, Kiera essoufflée demanda à sa cousine quelques pas devant :
— Au fait… pourquoi venir habiter ici ? Non pas… que je critique ! Tout est joli, mais…
— C’est évident, voyons ! répondit Éva. Les avalanches, les blizzards, les glissements de terrain, le manque d’air, les mauvaises chutes…
Kiera rit jaune.
— Et ils ne t’ont pas gardé à l’office de tourisme, étrange !
Une demi-heure plus tard, de la fumée se diluant dans le ciel azur, derrière une crête leur indiqua qu’elles n’étaient plus très loin. Dans un renfoncement se trouvaient tendues des tentes aux allures d’igloo couleur crème. La principale, aussi haute qu’un chapiteau de cirque, réparé et décoré de rustines colorées. Le filet de fumée sortait d’une cheminée tordue à chapeau, juste à côté d’un entonnoir de bronze imposant, percée comme une passoire.
L’intérieur de la tente avait des allures de montgolfière, avec la bonhomie d’un chalet. Au milieu, la fumée de braises mourantes montait directement dans un conduit de cheminée suspendue. Une mini holovision, sorte de projecteur en forme de lampadaire, projetait l’image immatérielle d’une enveloppe ouverte, tournant lentement sur elle-même, indiquant l’entrée au tuyau du courrier, relié à l’entonnoir du toit.
Sur la gauche défilaient des pubs en sourdine sur une autre holovision plus grande. L’une d’elles montrait une femme aux cheveux rose, présentant une marque de vêtements. Éva rentrée à son tour, déposant son manteau, pointa la diffusion du menton.
— Dis-moi si je délire, mais elle était pas dans ta classe ?
Tout en retirant son bonnet, déversant, tel un seau, ses cheveux châtain, Kiera écarta les mèches devant ses yeux.
— Je confirme, dit-elle, reconnaissant Angelica, une fille n’ayant jamais été polie avec elle, ayant reprit l’affaire de son père, une boutique de vêtements de luxe.
— Elle a l’air… dans son élément, ajouta-t-elle avec cynisme en la voyant faire risette à la fin de la pub.
L’ayant croisée une semaine plus tôt justement, Kiera se serait bien contentée de :
« Salut, comment ça va ? Bien et toi ? Oui, merci ! Je peux pas traîner, désolé, à plus ! » ou encore mieux adieu !
Au lieu de ça, Angelica l’avait abordé pour aussitôt lui déballer son quotidien tellement génial, terminant ses quelques jours de vacances pour recharger ses batteries, avec son énième petit copain, pour bientôt repartir dans un rythme effréné, causé par ses salariés incompétents.
« N’hésite pas à passer d’ailleurs, je te ferai un prix ! »
La proposition aurait paru amicale, sans le sourire narquois à peine dissimulé, ni le ton employé que Kiera avait interprété comme :
« Tu n’aurais jamais les moyens de toute façon ! »
Ou était-ce de la rancœur refoulé ? Pas vraiment, lorsque son ancienne camarade ajouta :
« Comme quoi avoir une puissante facette et être en relation avec le roi lui-même ne suffit pas pour réussir on dirait ! »
À ces dires, Kiera s’était mise en relation mentale, avec la flaque boueuse derrière la frimeuse, pour en projeter sur son manteau hors de prix à son insu. Lui laissant une marque lavable sur le derrière, mais indélébile en souvenir.
Protégées de tabliers et armées d’économes, les cousines préparèrent de quoi faire une raclette, en commençant par éplucher des pommes de terre, dont certaines leur glissaient des mains. Les manches retroussées découvraient les deux bracelets de Kiera. L’un était une petite holovision pliée, contenant des informations en tout genre, son état de santé, l’heure bien sûr et d’autres fonctions. L’autre en cuir, à la fois plus simple, mais plus précieux à ses yeux, renfermait des photos de famille et amis, lui manquant terriblement. Plus encore suite au dernier courrier de Lindsey, l’avertissant qu’ils perdraient temporairement le contact, pour une durée indéterminée.
La plupart des Tyroliennes rouges, étant selon ses mots « en cours de replacement ». Il s’agissait de stations spatiales relais installées dans des astéroïdes, baignant dans une poussière pourpre laissée par des créatures du vide. La poussière, une fois chauffée par lumière concentrée, permettait aux vaisseaux, petits et grands, de se déplacer à l’instant T, d’un point relais à un autre, et ainsi, traverser de grandes distances.
Kiera aurait voulu quelques précisions sur cette histoire de replacement, toutefois Lindsey ne lui avait pas menti, sur la perte de contact. Restait l’option numéro deux : les Ponts de lumière, lunes trouées de part en part permettant de traverser des centaines d’années-lumière en un clin d’œil. Mais, comme tout dans l’espace, eux aussi faisaient leur propre Révolution2, le plus proche de leur planète Sagenuy avait terminé sa saison et débouchait actuellement au milieu de nulle part pour un bon moment.
Souvent, Kiera imaginait avant de se coucher avec le ciel étoilé pour oreiller ce que pouvaient bien faire ses amis. Sur quels genres de mondes se promenaient-ils ? Quelles aventures vivaient-ils ? Certes, ses parents lui avaient conseillé, pour commencer, de reprendre le cours de sa propre vie, car c’était sans doute, ce que ses compagnons faisaient chacun de leurs côtés. Mais elle avait vécu, et surtout survécu, à tant de situations dramatiques, insolites et risquées avec eux que se mélangeaient en elle inquiétude, curiosité et envie.
Soudain, l’holovision de poche d’Éva émit un ronronnement.
— Pff… soupira-t-elle après lecture d’un message : Hervé a encore fait fort avec l’antiquité qui lui sert de léviatmo !
— Ah… réagit Kiera que la surprise n’étouffait pas. Il est tombé où cette fois ? Dans un arbre, en mer, sur le toit d’une mairie ? demanda-t-elle, habituée à ces anecdotes de la part de son tonton foufou.
— Dans un zoo tss ! siffla Éva.
Kiera mit quelques secondes à intégrer l’info.
— C’est une première ça.
— En plus, il a trouvé le moyen de tomber dans la zone des carnivores, les animaux n’avaient pas encore été nourris. Les employés lui auraient conseillé de rester dans son véhicule.
Exaspérée, Éva rangea son holovision en déclarant :
— En espérant que cette trente-neuvième chute, lui fera réaliser que sa relation avec son bébé de collection est toxique !
Se souvenant d’un événement des années plus tôt, Kiera estima :
— De mon avis, ça ne détrône toujours pas la fois où il est tombé dans le jardin de tante Mérou.
La tante en question ne s’appelait pas vraiment comme ça, mais son air de reproche et sa bouche « jamais content » y faisait penser.
— Ses rosiers s’en souviennent ! ajouta-t-elle, un sourire en coin.
— Ah ouais ! sourit Éva. Ce jour-là, il a eu tellement peur de ce qui l’attendait en sortant qu’il est resté dans la léviatmo jusqu’à la nuit tombée.
Éva changea tout à coup de sujet :
— Et sinon tes expériences facétiques ? T’as découvert d’autres trucs ?
— J’en ai surtout rayé de ma liste, répondit Kiera. Par exemple hm… boire la tasse à trois reprises m’a fait comprendre, que je ne suis définitivement pas un poisson ! En y repensant d’ailleurs je me sens conne, si je pouvais respirer dans la flotte, on s’en serait rendu compte depuis un moment.
Prenant une profonde inspiration, Kiera ajouta :
— Sinon j’ai, autant de chance de marcher sur l’eau qu’un caillou.
En rinçant les patates, Éva dit :
— Hm… tu sais, les plats en les lançant fort ils ricochent.
Se rappelant d’autre chose, le visage de Kiera s’éclaira.
— Au fait ! Tu veux voir un truc cool ?
Éva lui jeta un œil dubitatif.
— Ça dépend, il y aura la place chez moi ? Va pas tout me foutre en l’air, j’ai fait le ménage hier.
— Jette un peu !
Tendant les mains vers des pommes de terre, une dizaine d’entre-elles se mit à rouler toutes seules pour s’équilibrer les unes sur les autres et former un monsieur patate, puis retourner dans le saladier.
— Marrant non ? rit Kiera.
Sur le moment, sa cousine ouvrit des yeux ronds, mais parut déçue après coup.
— Wouah… c’était euh… c’est tout ?
— Ohé ! T’es dure ! Je peux le faire avec des fruits aussi !
Se dégageant une mèche de ses cheveux, Éva regarda en l’air :
— Je suis pas bon public, après, ça faisait un bon début de film d’horreur.
— Genre : Le soulèvement des légumes maléfiques, tuant à coup de patates ! « Vous ne les mangerez plus jamais de la même façon ! »
Ne l’écoutant qu’à moitié, Éva regarda quelques flocons passer devant la fenêtre ronde :
— Et la glace ?
— Ça ne marche pas, j’ai testé sur des glaçons du congélateur, il ne s’est rien produit.
Pour la seconde fois depuis monsieur patate, sa cousine ouvrit des yeux ronds.
— Étonnant, je t’ai vue soulever la moitié d’un lac sans transpirer, juste pour récupérer l’un de tes bracelets, et un glaçon refuse de bouger ?
Kiera haussa des épaules.
— Ce n’est pas ce qui me choque le plus honnêtement, c’est surtout que je sois incapable d’annuler ce que j’anime, à moins de pioncer !
Un léger bruit de sèche-cheveux avertit les filles qu’une léviatmo venait de se poser. Christophe, franchit le seuil de la tente. Roux, d’un bon embonpoint, il portait un gilet sans manche et une chemise à carreau, ainsi qu’une casquette plate. Posant un sac rempli de différents fromages, il embrassa son Éva et salua l’invitée d’un bref signe de la main. Il ne parlait pas beaucoup, et Kiera ne l’avait jamais vu s’énerver non plus, mais l’éloquence et le caractère de sa compagne compensaient.
L’écho du vent dans les montagnes pouvait être sinistre la nuit, mais au son de minuit, la vitesse de l’air faiblit pour s’arrêter, ainsi que la chute de flocon, comme si la météo avait choisi de prendre une pause.
Le bide plein à craquer, les montagnards jouaient à un jeu de table, lorsque le « ding » d’une clochette attira l’attention de tous vers le conduit du courrier. L’image de l’enveloppe ouverte s’était changée en lettre fermée.
Éva jeta un œil aux deux autres, avec étonnement.
« Du courrier à une pareille ?! »
Tirant sur un levier, quelque chose glissa dans le tuyau, et un clapet laissa se déverser une lettre tamponnée d’une lune cachée par des plumes, l’emblème de Sagenuy adressée à :
— Ah ! Kiera c’est pour toi apparemment.
La nommée sut tout de suite qu’il s’agissait du roi. Depuis le retour de ses parents et d’elle-même, disparus durant un an, leur souverain fasciné par leurs aventures bien au-delà du système solaire de Sagenuy prenait toujours un moment pour correspondre une fois par mois avec eux, au cas où leur reviendraient des détails. Ce qui l’a surpris en fin de compte était qu’il le fasse une semaine en avance.
Palais royal, sol d’arrivée des premiers colons.
Roi Oyat Diwall, chef des armées et ambassadeur du royaume planétaire de Sagenuy.
Chère Mademoiselle Kiera Fomdydé,
Je vous contacte plus tôt que d’ordinaire, car la situation l’exige. Il y a quelques semaines, le centre d’observation spatiale a fait une découverte dans la ceinture de roche du système. Votre expertise serait bienvenue, c’est pourquoi une léviatmo passera vous prendre demain en fin d’après-midi.
Mes royales salutations.
Quoi que pût être cette découverte, elle mettait le palais à cran. Kiera trouva drôle l’emploi des mots : « votre expertise ». Le roi disposant pourtant de spécialistes aux diplômes longs comme ses bras.
— Mon séjour chez vous vient d’être écourté, annonça-t-elle en passant la lettre aux deux autres. Éva, après quelques secondes de lecture silencieuse, haussa des épaules.
— Te convoquer comme ça, non, mais franchement, pour qui se prend-il ? dit-elle avec ironie.
Le lendemain, Kiera se rendit dans le village en contrebas de la montagne, où l’attendait effectivement une léviatmo avec chauffeur. La jeune femme lui demanda s’il connaissait la raison de sa convocation, mais le pilote n’en savait pas plus qu’elle, se contentant d’accomplir sa mission. En vol défilèrent des centaines de kilomètres. Des cours d’eau, lacets argentés scintillant entre les montagnes, aux multiples palettes de verts, plongeaient dans quelques lacs bleus. Flaques verdâtres en aquarelle vue des airs, reflétant aveuglément la lumière du firmament. Sur leurs rives s’élevaient des filins de fumées, trahissant la présence d’habitations isolées, ainsi que de petits points blancs en mouvement, sûrement des oiseaux. Bientôt les montagnes s’étrécirent, et les cours d’eau à découvert, fusionnant comme autant de veines en fluviales artères, terminaient leur voyage en delta dans la mer. Faisant sourire à demi Kiera, pensant à son ami du même nom, détestant être mouillé ! Il ne resta bientôt que les flots aux nuances de vert et bleu marine, et des nuages lointains, mais menaçants à l’horizon sur leur gauche. La voyant bâiller, le chauffeur lui proposa de piquer un roupillon durant la dizaine de milliers de kilomètres restant, pour la réveiller plus tard. Le remerciant, Kiera se laissa aller de bon gré, ayant toujours eu soit le sommeil léger ou difficile à trouver. Plus encore depuis son escale sur Terre, où elles et ses amis avaient été accueillis par un individu se nommant lui-même le Nocher, désormais récurrent dans ses sombres songes. Ce qu’elle trouvait ridicule, puisque certes il ne lui avait pas laissé un bon souvenir, mais un tas d’autres phénomènes s’étaient montrés ouvertement plus menaçants durant son odyssée.
Quelques heures plus tard, alors que les ténèbres nocturnes tombaient, autant que le contenu des nuages sous lesquels ils volaient, la jeune femme entendit une courte mélodie faisant office d’alarme, informant qu’ils approchaient de l’équateur. Désormais, ils n’étaient plus aussi seuls dans les airs, des paires de phares de léviatmos, comme autant de poisson abyssaux, allaient et repartaient au loin sur différentes strates, indiquant que le terminus n’était pas loin.
La visibilité étant nulle, les indications projetées sur le pare-brise, l’altimètre et autres instruments de navigation furent nécessaires pour le reste du trajet. Une nouvelle mélodie, comme celle jouée pour personnage de jeux vidéo découvrant un nouveau territoire, leur apprit qu’ils avaient atteint la côte. La circulation aérienne, de plus en plus dense, força le pilote à ralentir et entama leur descente. Le faisceau rotatif d’un phare mit en évidence la pluie perlant sur les vitres. Bien qu’il fonctionnât comme tel, le phare était bien plus que cela, s’agissant tout simplement du palais, dont les contours se dessinaient peu à peu. Kiera s’y était rendue trois fois en une année, plus que durant toute sa vie. Tout à coup, le ciel jusqu’à présent brumeux et pleurant stoppa, comme si quelqu’un avait littéralement coupé un robinet !
— Déjà minuit ? s’étonna le pilote. J’ai dû ralentir un peu tôt. Remarquez, ce n’est peut-être pas plus mal, on aura pas à sortir les parapluies !
L’une des particularités de Sagenuy était sa météo, qu’elle soit à l’orage, tempétueuse ou neigeuse, peu importe la saison, les éléments marquaient une pause à minuit pour reprendre leurs cours quelques minutes, voire quelques heures plus tard. Le palais se trouvait comme planté au milieu de nulle part, sans rempart, ni habitation ou autre bâtiment d’administration aux alentours. La nature démarrait directement au pied de larges marches, grimpants jusqu’à une place circulaire en dalles de granite blanc, sur laquelle se posa la léviatmo.
Il était difficile d’estimer la hauteur de l’édifice cylindrique, le sommet se détachant à peine de l’obscurité céleste. Sûrement des centaines de mètres, protégées de larges renforts métalliques à l’apparence de racines angulaire. Sa visite n’était pas inédite, mais jamais encore elle n’avait contemplé ces fenêtres flamboyer en myriades de bougies. Elle se plut même quelques instants à essayer de surprendre l’ombre de gens passant devant, ce qui restait improbable vu de la distance, mais donnait ce côté mystérieux à la nuit. Les plus impressionnantes étaient quatre immenses vitraux, éclairés de l’intérieur, partant du pied, pour traverser verticalement tous les étages, s’élevant jusqu’aux plates-formes dépassant en épaisseur la tour. Donnant vaguement au tout, la forme d’un champignon. Pressant le pas à la demande du chauffeur, Kiera entendit une flaque clapoter sous ses pieds, et décida d’écarter l’eau sur le reste de son chemin. Arrivée à la porte, l’une de ses chaussettes, mouillée, lui fit comprendre que malgré ses précautions, elle n’était pas passée entre les gouttes.
Présentant leurs laissez-passer aux gardes, une première grande porte coulissa vers le haut. À l’intérieur, le duo suivit le tapis rouge d’un sas à haut plafond, dont la luminosité semblait venir des murs eux-mêmes. La seconde porte au bois sculptée de formes géométriques labyrinthiques s’ouvrit sur un vestibule aux murs couverts de tableaux. Certains reproduisant des paysages de Sagenuy sous différentes latitudes, ainsi que des espèces emblématiques.
Le plus grand représentait une bataille mélangeant des déviaturels aux corps fumant comme des locomotives ; des Fysiks, d’autres aux squelettes brillant comme des personnages de BD mis au courant ; des Paraskelets, et en moindre nombre, mais tout aussi remarquables, des Oozeyes aux plumes et serres animales.
Il y avait également des robots crachant des éclairs rouges, et en arrière-plan des êtres informes dans des ténèbres nuageuses.
Au fond à gauche, se trouvait un comptoir d’accueil, derrière lequel deux femmes discutaient avec une poignée d’autres déviaturels en uniformes et costard.
Des deux côtés se trouvaient quatre ascenseurs, amenant directement à différentes strates du palais. Au fond, un tapis vert couvrait un escalier double en Y, au creux duquel se trouvait un autre ascenseur.
— Mademoiselle Fomdydé ? la reconnut l’une des dames.
Kiera confirmant d’un hochement de tête, l’employée l’informa :
— Le roi vous attend, et vos parents arrivent dans un petit quart d’heure ! lui dit-elle en désignant l’élévateur en creux des escaliers.
Le chauffeur, toujours à ses côtés, l’y accompagna et appuya sur le dernier bouton. La vitesse ascensionnelle, devenant juste ahurissante, augmenta en quelques secondes, ce qui n’était pas si étonnant, puisque son rendez-vous se trouvait au sommet au sens propre comme figuré. Kiera se faisait à chaque fois la réflexion en l’empruntant que s’ils ne freinaient pas, leur vélocité pourrait aussi bien les envoyer en orbite.
Évidemment, il n’en fut rien, leur cabine mobile ralentit drastiquement, lui provoquant une sensation d’ébriété. Les portes s’ouvrirent sur un haut corridor tapissé de vert, tournant sur la droite. Sur les murs étaient accrochés des tableaux, représentant les rois et reines précédents ainsi que de grands noms de l’Histoire de Sagenuy, éclairé de flambeaux. Au fond se trouvait une unique porte coulissante, menant à d’autres quartiers, mais c’est en tournant à gauche que Kiera arriva à l’immense salle du trône. Illuminée par trois lustres ressemblant à des porte-manteaux à l’envers, retenant de leurs bras en spirale des boules de verre en forme de gouttes ou autres figures géométriques.
Une immense verrière constituait la majeure partie des murs et du plafond, donnant sur un ciel se découvrant progressivement de ses nuages, laissant timidement les étoiles et une partie de la géante gazeuse se profiler.
L’un des gardes au sortir du couloir annonça la présence de :
— Mademoiselle Kiera Fomdydé !
Pour la discrétion fallait repasser, Kiera vit des gens, probablement de la haute société, réunis non loin du trône se retourner pour la fixer. Alors que la convoquée se remettait en marche, des bribes de marmonnements lui parvinrent de plus en plus étouffés :
— … sûr de vous ?
— … on parle des Fomdydé.
— … à problème !
— … leur faire confiance ?
Ces rumeurs ne l’étonnaient pas, étant donné le passif de sa famille, mais une voix les fit se taire d’un coup, pour leur ordonner de les laisser.
S’inclinant un à un, tous prirent congé, certains, passant devant elle en la dévisageant avec différentes expressions ; hautain, méfiant ou simplement fasciné. Ne resta bientôt que trois individus, une blouse blanche dans laquelle un vieillard filiforme en chemise vert kaki, croisait les bras de mécontentement, son nez soutenant d’énormes lunettes. Se tenait droit comme un piquet, le vice-roi Louis Mascaret au crâne chauve, habillé d’une robe rouge, le regard suspicieux en voyant Kiera.
Et enfin Diwall Oyat, roi de Sagenuy, devant lequel Kiera fit révérence. De ses cheveux ébène dépassaient quatre pointes de sa couronne finement orfévrées. D’une prestance impeccable, il portait un long manteau noir, stylisé d’une lune en partie cachée par des plumes d’or et d’argent.
— Ah ! Mademoiselle Fomdydé, bonsoir ! ou… plutôt bonjour, vu l’heure.
— Mon seigneur ! lui rendit-elle d’un sourire amical.
— Pardonnez cette soudaine convocation. Avez-vous fait bon voyage au moins ?
Pour toute réponse, elle se contenta de hausser des épaules, ce qui eut pour don d’irriter le vice-roi.
— À moins d’être sourde ou muette, on ne répond pas au roi par des signes, vous avez une langue, utilisez-la ! Question de respect.
— Pardon ! dit-elle confuse, néanmoins, le roi fut bien le seul que cela n’avait pas l’air de gêner, roulant même des yeux de lassitude envers son possible successeur.
— Quoiqu’il en soit, reprit Oyat : ne perdons pas de temps…
À côté, le vieux savant s’adressa au roi.
— Je vous assure, Votre Altesse, que nos meilleurs éléments travaillent dessus jour et nuit. Il est inutile de faire appel à une simple…
— M. Jedeleg, je suis convaincu que vos équipes font ce qu’elles peuvent, mais ! accentua-t-il. Mademoiselle Fomdydé, ici présente, a voyagé plus loin que n’importe lequel d’entre nous. Si elle sait quelque chose, il est « inutile » de faire durer le suspense, ne pensez-vous pas ?
Le scientifique se força à sourire et à reprendre contenance en s’adressant à la jeune femme.
— Avant votre départ à bord du Cachmoon, l’équipe de mon département au centre d’observation de l’espace, a détecté des signaux provenant de l’une de nos ceintures d’astéroïde.
Cachmoon était le nom du navire, à bord duquel Kiera avait réalisé son premier voyage dans l’espace. Elle y avait rencontré Hulot Fyloustic, ancien membre d’un équipage devenu légendaire, après avoir découvert la Machine à imagination.
— Les astéroïdes lançant des interférences, nous ne parvenions pas à situer précisément leur origine, jusqu’à récemment.
La blouse blanche sortit de sa veste ce qui ressemblait à une lampe de chevet, qu’il déplia d’un geste sec en une sorte de lampadaire, qu’il posa au sol. Une holovision plus haute qu’une bibliothèque projeta l’image en trois dimensions d’un disque épais, entièrement fermé par un diaphragme3 aux bords de bronze.
À peine eut-elle le temps d’apprécier l’image, que le scientifique la pressa :
— Alors vous en avez déjà vu ou non ? Nous avons d’autres choses à faire !
Kiera eut beau réfléchir, comparant avec ce qu’elle et ses amis avaient croisé, sa science à ce sujet se résuma en un mot :
— Non…
Le scientifique sourit avec suffisance, lâchant un « hmph » de mépris.
— Voilà qui nous avance !
Kiera dit :
— Mes amis sauraient probablement quelque chose à ce sujet, mais ils sont injoignables pour quelque temps.
Le roi soupira.
— Très bien, je n’en espérais pas trop de toute façon.
Le savant regarda la jeune femme de haut, comme si elle était tout ou partie responsable de leurs problèmes.
— Monsieur Jedeleg ! reprit le souverain, vers lequel se tourna aussitôt le chercheur. Kiera compara la réaction de ce dernier, à celle d’un toutou attendant d’être sorti.
— Transmettez-lui une copie de tout ça, sait-on jamais !
Le visage de l’autre fondit :
— Vous n’êtes pas sérieux ! ma découverte est…
— Oh… le coupa Oyat, « votre » découverte ? Je vous ai pourtant clairement entendu dire « votre équipe ».
Le carriériste voulut répliquer, mais faillit s’étouffer avec sa salive, en voyant la main du roi se lever, pour lui sommer de ne pas s’enfoncer plus encore.
Revenant au sujet, Kiera dit :
— Vous savez, j’aime bien le palais, j’adore la vue et tout ça, tout ça ! dit-elle en écartant les bras comme pour englober tout ce qui l’entourait. Mais si dès le début votre idée était de partager avec moi cette découverte, pourquoi ne pas l’avoir fait directement par courrier ? Je vous aurais répondu rapidement !
Vu la tête que tirait Mascaret, on aurait dit qu’elle venait de sortir une énormité.
— Vous devriez être la première à le comprendre ! Vous qui avez affronté Péisinaé, et les autres agents de cette puissance que vous nommez ; l’Ithzenkuru ! Si depuis nous avons passé au crible les antécédents de tous ici, rien ne dit que d’autres infiltrés ne sont pas restés sur notre sol, tapis dans l’ombre, attendant de…
— Vos inquiétudes sont fondées, l’interrompit Oyat. Chacun a bien conscience du danger ; Kiera, la première, n’est-ce pas ?
Soudain l’un des gardes derrière annonça :
— Monsieur Gilles et Madame Sélia Fomdydé !
Se retournant, Kiera vit ses parents sortir du couloir pour la rejoindre, sa mère lui caressa la tête avant de s’incliner devant Diwall, pour ensuite contempler l’image en relief. Le roi n’y alla pas par quatre chemins, leur demandant si cela leur était familier, les Fomdydé ayant eux aussi voyagé bien au-delà du système solaire, même si en tant qu’otage de l’Ithzenkuru. Cependant, la découverte ne les inspira pas plus que leur fille.
À nouveau, l’esquisse d’un sourire découpa le visage de Jedeleg.
— Voilà qui est dommage ! ne pensa-t-il pas une seule seconde, avant de s’adresser au roi d’un air hautain et faussement lassé.
— Maintenant que la question est réglée, puis-je reprendre l’étude de l’ovni ?
— Le plus sage, d’après Louis, dit le roi, en jetant un regard au poteau humain lui servant de vice-roi : Serait de ne plus toucher à cette chose, qui représente peut-être un danger insoupçonné pour notre monde, et il n’a peut-être pas tort !
Cette fois, la blouse blanche paniqua, percer les secrets de cette découverte nécessiterait forcément d’y toucher. Quand tout à coup Diwall, remarquant Sélia et Gilles Fomdydé s’échanger une grimace d’incertitude, dit :
— Si un détail ou une simple idée vous venait à l’esprit, n’hésitez pas à nous en faire part.
Mme Fomdydé s’exprima avec hésitation :
— Pour tout dire, Kiera, Gilles et moi-même ne sommes pas les seuls Fomdydé, à être déjà sortis du système de Sagenuy.
— Tu penses à papy ? dit Kiera, à laquelle Sélia adressa un hochement.
— Mais je préfère vous prévenir tout de suite, mon seigneur, les souvenirs de mon père risquent d’être confus. Son équipe et lui auraient eu des problèmes d’air toxique alors…
Surpris, le roi hocha :
— Peu importe ! Nous allons tout de suite lui envoyer une invitation.
Mme Fomdydé attira néanmoins timidement l’attention du roi, qui en resta interloqué.
— Vu son fuseau horaire, il… fait sûrement sa sieste ! Et il a le sommeil lourd, donc n’attendez pas une réponse trop rapidement.
— Voiraïeur ? répéta deux jours plus tard le roi, face à Albert Fomdydé, plus connu dans la famille comme le papy dur de la feuille.
La révélation fit cracher entre ses dents Jedeleg la blouse blanche, qui ne pouvait plus espérer s’approprier le mérite de la découverte.
Le temps était au beau fixe, inondant la salle du trône, d’un soleil éclatant non loin du zénith, faisant ressortir les couleurs sous un nouveau spectre.
— Je pensais pas revoir ce machin de mon vivant, dit l’ancien : Aah ! Ça me ramène loin en arrière !
Le roi demanda d’emblée :
— Est-ce dangereux ?
Un silence de quelques secondes s’ensuivit, et le papy reprit en riant les larmes aux yeux :
— Si seulement les copains étaient là !
Le vice-roi jeta un regard perplexe à Diwall. Le chercheur, lui, fronçant les sourcils, dit avec agressivité :
— Vous nous en voyez ravis, mais le roi vous a posé une question !
Le vieillard, empli de fierté, ne semblait pas du tout faire attention à ce qu’on lui disait. Comprenant pourquoi, Kiera lui tapota doucement l’épaule. Se retournant lentement vers elle, le vieux lui sourit.
— Alors, ma puce, t’en dis quoi ? Pas mal, hein !
Confuse, sa petite-fille pointa sa propre oreille avec son index. Le papy Fomdydé réalisa alors, et toucha la sienne. Un sifflement indiqua qu’il recalibrait son appareil auditif.
Le roi murmura :
— Ça risque d’être plus long qu’on ne le croyait…
Lui répétant la question sur un potentiel danger, la réponse resta pour le moins floue :
— Je sais pas.
Roulant des yeux, la blouse blanche lança un pic.
— Nous voilà bien avancés !
Kiera éprouvait désormais une vive animosité envers le savant, et fut tentée de répliquer, lorsque son papy reprit :
— Bon, par où je pourrais commencer ?
Le vice-roi dit avec évidence :
— Par le début peut-être.
— Comme toutes les bonnes histoires n’est-ce pas ? rit le vieux d’un air malicieux. Ça remonte à… quand j’étais volontaire dans l’armée, avec les copains on nous avait chargés d’une mission ; patrouiller quelques jours aux alentours du Cachmoon, qui était toujours à l’état de musée à cette époque-là. Bon pour nous c’était plus un entraînement qu’une véritable mission, mais on était content, voir le Cachmoon d’aussi près c’était quelque chose !
Un souvenir lui revint, qui le fit éclater soudainement de rire :
— L’apesanteur nous donnait tellement la nausée, qu’avec Fred on se demandait s’il y aurait assez de sacs !
Kiera se rappela aussi cet effet secondaire, durant son premier voyage.
— On devait aussi empêcher Bastien de sortir la tête par la fenêtre, un vrai clébard celui-là ! Et hm… où j’en étais déjà ?
Le roi répondit :
— Vous alliez patrouiller aux abords du Cachmoon.
— Ah oui ! Une fois sur place, nous avons démarré nos rondes, une première journée est passée, puis une deuxième et ainsi de suite. À la dernière, alors qu’on se préparait à remballer…
L’expression du grand-père se fit à la fois grave et fascinée.
Kiera connaissait bien cette partie de l’histoire, pour l’entendre depuis toute petite.
— Le matos a capté un pic d’énergie, dans les ceintures d’astéroïde non loin ! Le protocole voulait que l’on signale tout phénomène suspect à Sagenuy, et qu’on attende jusqu’à l’arrivée d’une équipe pour vérifier ça, ce que nous avons fait. Pendant des heures, nous avons observé une série d’activité sur nos écrans, et avons constaté qu’ils faiblissaient.
— … Là, j’avoue, j’ai laissé la curiosité prendre le dessus, en proposant aux copains d’aller voir par nous-même, avant de louper le spectacle, quel qu’il fût. Je pensais que l’équipe appelée arriverait trop tard. On a mesuré le pour et le contre, mais honnêtement, on était tous partant dès le début. Nous avons déserté notre secteur, la source du signal n’étant pas loin, on pensait juste jeter un œil et revenir, ni vu ni connu.
— … Atteignant la première ceinture, on a vite remarqué qu’il n’y avait pas que de la caillasse là-dedans. Des débris artificiels et surtout des radiations saturaient le radar et tout le bazar, c’est là que nous l’avons vue, trop tard !
Albert baissa les yeux sur sa droite.
— … Je m’en souviens comme si c’était hier, apparaissant en bas à droite dans le champ de vision du cockpit ; le voiraïeur, brillant comme un sou neuf.
Une, deux, et d’autres secondes de silence suivirent, jusqu’à ce que le public, jusqu’ici plongé dans l’histoire, ne se jette des regards troublés. Kiera en vit plus d’un s’apprêter à parler, lorsque le vieux Fomdydé reprit :
— … L’instant d’avant on pensait l’avoir évité, jusqu’à ce qu’un grand anneau en sorte. Je n’ai plus compris grand-chose à ce moment-là, du coup je n’ai pas vraiment d’explication, mais un instant, j’ai eu l’impression de voir une infinité de… moi ! comme deux miroirs qu’on aurait mis face à face, et l’instant d’après…
La concentration de tous était à son comble dans la salle du trône, le roi de Sagenuy lui-même, était comme un enfant écoutant un conte fantastique.
— … il y avait plus de carcasses de navires que nous n’en avions remarquées jusque-là ! Leurs lumières vacillaient encore, comme si une bataille avait eu lieu il y a peu. On était plus sereins du tout, Fred a proposé, que nous sortions de la déchetterie, pour retrouver un semblant de signal.
— … ce n’est qu’une fois en dehors qu’on s’est aperçu de deux choses. Il n’y avait plus aucun astéroïde dans le coin, et les étoiles ne correspondaient pas à celles visibles par chez nous ! On s’est pincés et mis des claques mutuels, en pensant que l’on était juste en train de pioncer, avant de vraiment réaliser ce qu’il nous arrivait. Nous avions subi une téléportation, loin de la maison ! Pour éviter la panique, on s’est penchés sur ce qui flottait à proximité.
Pour la première fois depuis le début du récit, le roi fit part d’un détail l’intriguant :
— Excusez-moi de vous couper, depuis le début vous appelez cela « voiraïeur », comme s’il s’agissait d’une évidence ! Comment savez-vous que ça s’appelle comme ça ? Ou est-ce vous qui lui avez donné ce nom ?
— J’y viens, répondit Albert en levant la main, comme pour faire se rasseoir des enfants.
— Oh pardon ! répondit précipitamment Oyat.
Le naturel avec lequel le vieux Fomdydé s’était exprimé, et du roi de s’excuser, en interloqua plus d’un dans la salle. On aurait dit que la barrière des classes avait disparu entre les deux.
Le vieux Fomdydé reprit :
— Pour éviter des manœuvres aussi dangereuses qu’inutiles, avec notre coucou, Bastien a proposé de faire des sorties extravéhiculaires à tour de rôle. De ce qu’on a pu ramener d’intact, il y avait une holovision ou un équivalent ancien, qui nous a amenés à penser que les épaves nous entourant n’étaient pas là depuis hier. Peut-être même étaient-elles là, avant l’arrivée de notre peuple sur Sagenuy. Mais nous n’étions pas archéologues, et ça ne changeait rien à notre problème, à savoir comment, ou s’il était possible de rentrer.
— … Le bidule était abîmé et pratiquement à court de jus, mais on a pu le ranimer suffisamment longtemps, pour afficher un plan schématique de l’ovni qui nous avait envoyés là. Un message en dessous le nommait voiraïeur, et parlait de l’emporter on ne savait où, et de veiller à enfermer sa console, pour éviter qu’elle ne s’échappe « comme la dernière fois ».
— … après avoir suivi les indications du message, en revenants avec ladite console, on a dû toucher ou déclencher quelque chose qu’il fallait pas. Apparemment, les épaves qui nous entouraient étaient militaires ! Et leurs armes encore opérationnelles ont commencé à tirer sur n’importe quoi ! Et bien sûr, des attaques ont atteint le voiraïeur qui a fini en miettes !
— … c’était fini, nous étions des hommes morts. On avait aucune idée d’où l’on se trouvait, mais sûrement loin de tout ! Le système de survie nous ferait tenir encore un mois, voire plus en rationnant et en entrant dans un état méditatif. Nous avons hurlé, pleuré, on s’est engueulés puis marrés. Au final on était juste ridicules, mais vivants, toujours vivants ! Une idée allait bien finir par venir.
— … bon en fin de compte, ce n’est pas une idée, mais l’éclat de fusées éclairantes dehors, qui nous ont sauvés, en révélant quelque chose que je n’oublierai jamais. Étant à court d’options, et foutus pour foutus, on s’est approchés avec le vaisseau plein phare. Je me souviens encore de la lumière, matérialisant ce nuage plus rouge qu’une aurore ou un coucher de soleil, dans lequel nageaient d’énormes créatures indescriptibles !
— … Des alertes ont commencé à sonner partout, et alors que mes compagnons d’infortune s’en occupaient, j’ai constaté que la nuée écarlate s’enfonçait sur elle-même, ouvrant une sorte de fenêtre sur d’autres fonds étoilés ! À ce moment-là, je ne sais pas ce que j’ai eu le plus, du nez ou de la chance, en bloquant cette fenêtre sur le Cachmoon ! Mes compagnons m’ont alors crié « fonce » !
— … la suite est floue, j’ai dû perdre connaissance, parce que je me souviens m’être réveillé dans un hôpital sur Sagenuy.
— Et après ? demanda le roi, penché yeux écarquillés.
— Hm… euh, on a subi une purification des radiations sur plusieurs jours, ce qui n’était pas vraiment agréable d’ailleurs. La hiérarchie nous a menacées, croyant que l’on avait cherché à détourner un vaisseau. Les radiations ayant flingué le matos, nous n’avions que notre parole, et un récit qui, sans surprise, ne les as pas vraiment convaincus, mais suffisamment pour écarter le détournement d’astronef.
— … On est quand même passés par la case prison, pour avoir joué les explorateurs en herbe. L’inspection de notre navette a révélé que l’air dans l’habitacle était devenu toxique, malgré un système d’oxygénation sans défaut et opérationnel. Les enquêteurs en ont donc conclu que nous avions halluciné au moins la moitié de ce qu’on avait vécu là-bas ! Les années m’en avaient convaincu aussi. Jusqu’à récemment en tout cas… dit-il en se tournant vers Kiera, Sélia et Gilles avec fierté :
— … Mais ça, c’était rien, en comparaison d’autres détails beaucoup plus absurdes. Pour ainsi dire, les fabricants auraient été contactés, pour leur demander s’ils avaient bu ou s’étaient drogués durant l’assemblage ! Parce qu’apparemment, des parties du zinc étaient constituées de matières et d’alliages qui n’auraient pas dû y être ! Et les fournisseurs, chargés de faire le plein du bolide, s’étaient également fait taper sur les doigts, pour avoir mis du mercure dans un circuit censé être rempli d’eau.
— … En bref, tout le monde voulait rejeter la faute sur tout le monde, chacun était convaincu d’avoir bien fait son boulot ! Finalement, l’affaire a été classée sans suite, n’ayant aucune réponse plausible.
Le seigneur, se redressant, se mit à marcher les bras croisés dans le dos, pour enfin réagir :
— Je n’ai jamais entendu parler de tout ça !
— Oh, la presse en a un peu parlé… il y a 70 ans.
Ébahie, Kiera connaissait l’histoire dans les grandes lignes, une histoire que son grand-père lui avait vendue comme un conte de fées. Jamais avec autant de détail, jusqu’à aujourd’hui.
Il y eut un nouveau silence, pendant lequel le monarque cogita.
— Décidément, on ne s’ennuie pas avec votre famille, dit-il avec lassitude. Entre vous qui disparaissez pour revenir avec une technologie de transport, Kiera qui déjoue un complot d’infiltrés !
La nommée trouva qu’il exagérait en ce qui la concernait, ce n’était pas comme si elle avait lutté seul contre les espions !
— D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que j’entends parler de vous ! dit-il en désignant les Fomdydé devant lui. L’histoire de l’enlèvement d’une nuit, il y a plus de vingt ans, c’était vous non ?
En effet, être Animordiale rendait déjà Kiera particulière, néanmoins sa « légende » avait démarré au berceau. Enlevée par un phénomène resté inexpliqué et retrouvée la même nuit, le visage marqué d’un croissant lunaire.
Le chercheur en revint à l’affaire :
— Vous avez parlé d’un objet à boutons, c’est bien cela ? Qu’est-ce que vous en avez fait ?
Le papy répondit :
— Confisqué, j’imagine ! Si ça n’a pas été détruit, ça doit être quelque part.
Le chercheur bougonna.
— Quelque part… voilà qui nous aide !
Contre toute attente, le roi avait son idée sur la question.
— Et je crois savoir où…
Sur un air de musique classique, dans un ascenseur, la troupe avec à sa tête le roi se rendit très exactement à l’opposé de la salle du trône, dans les sous-sols du palais. Durant la descente, un grondement interloqua, chacun pensa un instant que l’ascenseur avait un problème, avant de s’apercevoir que le papy Fomdydé s’était endormi et ronflait debout.
Les portes s’ouvrirent face à un guichet, dont la vitre était presque entièrement recouverte de post-it et d’autocollants, la plupart marqués de mots comme : « Ultra confidentiel », « Top secret », « Oubliez ce que vous avez vu ici » ou plus encore « Ne pas répéter, sauf si vous en avez envie »
Sur la gauche démarrait un couloir tournant sur la droite avec des portes de coffres aux formes diverses, bardé de capteur et de lasers en mouvements. À droite s’étirait un long corridor, dont une portion plongée dans la demi-ombre et quelques lumières prêtes à rendre l’âme suggéraient que ce côté n’avait pas le même budget car moins fréquenté.
La réserve des objets trouvés contenait, disait-on, des objets potentiellement dangereux, oubliés, et datant pour la plupart de l’arrivée des premiers colons ayant fondé Sagenuy.
« Réserve du palais, c’est pourquoi ? » demanda une voix étouffée derrière le guichet.
— Salutations, nous sommes ici pour un retrait ! répondit le roi.
« Tiens, ce n’est pas banal. D’habitude, c’est plutôt l’inverse ! Au nom de qui ? »
— Oyat Diwall, répondit simplement ce dernier.
« Ça aussi c’est drôle, vous avez exactement le même nom que mon patron ! En plus vous l’imitez bien ! hm… »
Tout le monde jeta un œil au monarque qui murmura en se frottant le front.
— Ça va être long…
Après vérifications, le gardien trouva effectivement l’objet convoité sur une vieille liste. Une porte s’ouvrit à côté du guichet, d’où sortit un homme en uniforme à pin’s doré, les cheveux longs raides, qui dut baisser la tête. Toisant chacun et chacune de ses deux têtes de plus, son regard s’arrêta sur son seigneur. Si le mot incertitude avait été inventé, c’était clairement pour le désigner, lorsque ce dernier dit avec naïveté :
— Vous lui ressemblez aussi vachement !
Jedeleg, exaspéré, se frappa le front du plat de la main. Le gardien, tenant un registre, les guida dans le couloir de droite, jusqu’à un apparent cul-de-sac, sur lequel il apposa sa main.
Au centre du mur s’élargit une ouverture que trois personnes auraient pu emprunter en même temps. Derrière, la vaste réserve s’illumina automatiquement, présentant nombre d’objets de toutes tailles, disposés sur de longues étagères. Étonnement, cela rappela au roi son sens du devoir, regardant son mauvais poignet où n’était pas attachée sa montre.
— C’est bien dommage ! je viens de me rappeler que j’ai une… entrevue avec ma ministre de la Culture. Mais ne vous inquiétez pas, je vous envoie du renfort, dit-il en repartant vers l’ascenseur.
Jedeleg voulut faire la même.
— En parlant de réunion, il faut que je…
— Où allez-vous comme ça ? demanda le roi en l’arrêtant d’un geste.
La blouse blanche bafouilla :
— C’est-à-dire que quelques détails peuvent nous avoir échappé, concernant le voiraïeur, et mon équipe…
— Peut sans aucun doute se débrouiller, n’est-ce pas ? l’interrompit le seigneur.
— Ces lieux sont exigus, je n’osais pas le dire, mais… je suis claustrophobe !
— Vraiment ? Vous avez donc fait preuve d’un sang-froid exemplaire dans l’ascenseur, je n’y ai vu que du feu ! Heureusement, cette pièce est plus spacieuse, et puis vous êtes un chercheur non ? Alors, cherchez !
Ding fit l’ascenseur.
Revenant en traînant des pieds, le savant retrouva les autres déjà à pied d’œuvre. Albert appuyait sur l’un des boutons d’un casque, et non loin, une holovision se déplia. Il n’y avait rien de spécial à y voir, jusqu’à ce qu’il enfonce sa tête dedans. Des images anarchiques de ses pensées apparurent alors sur la projection. Le proposant à sa petite fille, elle le plaça sur sa caboche, mais rien n’apparut, à croire qu’elle ne pensait à rien. De toute façon, ce n’était clairement pas ce qu’il cherchait.
De son côté, le garde resté avec eux, touchant la détente de ce qu’il prit pour une arme de poing, se retrouva la tête coincée dans une énorme bulle qui gonfla encore et encore pour l’emporter jusqu’au plafond.
Autour d’eux, des coffres blindés réagissaient à leur présence ou plutôt, ce qu’ils contenaient gigotait pour essayer d’en sortir. Jedeleg regardant un objet en forme d’œuf gravé d’une fresque, recula par erreur sur une carpette qui agit comme un trampoline, le faisant virevolter sur lui-même comme un danseur sur glace !
Le gardien les invita à le suivre dans la zone, où étaient concentrés l’ensemble des artefacts à boutons.
— Je crois que… oui c’est ça !
La face de l’objet en forme d’assiette, était en majeure partie recouverte d’un diaphragme similaire à celui projeté dans la salle du trône, où était accroché une étiquette avec inscrit dessus « voiraïeur »
— Aucun doute ! fit le papy dur de la feuille.
Le garde ordonna :
— Très bien on remonte !
Une fois dans l’ascenseur, arrivé à mi-parcours, un « tiou » d’allumage, attira l’attention de tout le monde sur la pièce de musée.
Le chercheur paniqua :
— Eh oh ! On avait dit dehors !