Immuable Brésil - André Perriguey - E-Book

Immuable Brésil E-Book

André Perriguey

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Beschreibung

Débarqué à l’aéroport de Salvador la veille, durant ses vacances, Pierre Gruiperey compte bien visiter les sites les plus pittoresques de l’État de Bahia, l’État le plus afro-brésilien. Après avoir avalé son « cafésinho » dans un restaurant au kilo de la place de Sée, il consulte une carte étalée sur la table. Indécis pour débuter son séjour, il hésite entre les îles de la Baie de tous les Saints et la région luxuriante de la Chapada Diamantina.

 — Avez-vous besoin d’aide ? s’adressa à lui une voix féminine dans un français presque parfait.

 Affairé à planifier ces deux itinéraires, Pierre Gruiperey releva la tête et vit en face une jeune femme souriante prête à renouveler sa question. Agréablement surpris, il répondit qu’il tâtonnait entre deux excursions.

 — Aujourd’hui, vous avez de la chance, car je peux vous être utile pour vos deux projets.

 C’est ainsi que Pierre Gruiperey se trouvera mêlé malgré lui à la recherche de la réalité sur la mort tragique d’un spéléologue survenue trois ans auparavant dans un lac souterrain du Morro Paï Inacio. Une vérité dévoilée à la suite d’aventures semées d’embûches et de traquenards où se confondent d’énormes intérêts politico-financiers défendus par des personnages sans scrupules.


À PROPOS DE L'AUTEUR


L’écriture a toujours été, pour André Perriguey, une façon de faire évoluer une idée, qu’elle soit d’origine professionnelle pour réaliser un objet technique ou littéraire pour trouver les mots justes qui racontent une histoire à partager.

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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André Perriguey

Immuable Brésil

Roman

© Lys Bleu Éditions – André Perriguey

ISBN : 979-10-377-5920-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

Ce livre est un roman. « Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait pure coïncidence ».

I

Le Pelourinho, vendredi 17 janvier 2013

Dans le Pelourinho, ces pierres disjointes appelées « têtes de nègres » ont été posées par les esclaves noirs du temps de la colonisation portugaise. Elles recouvrent encore les ruelles de ce quartier historique de Salvador capitale de l’État de Bahia, l’un des plus grands du Brésil. Ces pavés de formes inégales et lisses, sur lesquels trébuche le flot continu des touristes débarqués par cargos entiers, témoignent d’une activité humaine intense et permanente qui s’écoule depuis des siècles. Ces mouvements de foule n’ont pas toujours été aussi pacifiques qu’aujourd’hui. Maintenant, toutes les nationalités se fondent dans cette ambiance si particulière qu’offre la ville haute qui domine la baie de Tous les Saints.

Les stigmates de la colonisation portugaise restent encore très présents dans la mémoire collective des Salvadoriens dont beaucoup sont les descendants de cette population déportée d’Afrique Noire, notamment, d’Angola. Malgré la déportation, leurs aïeux ont sauvegardé tout au long de leur vie d’esclave, et à leurs risques et périls, leurs coutumes et croyances qui se pratiquent encore aujourd’hui. Pendant des décennies, des combats sanglants et très inégaux ont été livrés contre l’oppresseur pour obtenir leur liberté. Grâce à des victoires très chères payées en vies humaines, le colonisateur fut vaincu et chassé hors du pays. La dernière soutenue par les Français déclencha l’abolition de l’esclavage au Brésil.

Rencontre avec Menelaw Sete

Place de Sé, à partir de la mi-journée sous un soleil de plomb, les promeneurs se dirigent vers les étroites ruelles qui débouchent sur la place du Pelourinho.

Les bleus, les jaunes, les rouges et bien d’autres couleurs des façades éclatent de luminosité. Elles alternent d’une maison à l’autre tout au long des trottoirs commerçants.

Pierre Gruiperey emprunta l’une d’elles pour se rendre à la maison de Jorge Amado. Un écrivain contemporain brésilien, natif de l’État de Bahia, rendu célèbre dans le monde entier par ses œuvres littéraires et son engagement politique. Il a vécu une grande partie de sa vie à Salvador. Des voyages et de longs séjours, notamment en France, et à travers le monde l’ont fait connaître.

À une intersection, sur le trottoir d’en face étaient exposées deux grandes toiles de peinture aux couleurs chatoyantes. Posées à même le sol elles encadraient joliment le seuil d’une porte vitrée. Ces toiles attirèrent immédiatement l’attention de Gruiperey. En relevant la tête, il vit au-dessus de la porte une enseigne sur laquelle trois mots étaient peints en jaune sur fond noir, « Menelaw Sete pinturas ». Ces toiles, à mi-chemin du figuratif et du cubisme, exposées sur un trottoir défoncé du Pélourino l’étonnèrent vraiment. Elles offraient au passant qui leur prêtait attention des scènes de la vie afro-brésiliennes tout à fait méconnues du touriste en visite dans le pays. D’emblée, elles aiguisèrent sa curiosité, il traversa pour mieux les regarder. Il franchit le seuil en poussant la porte entrebâillée certainement pour permettre au timide courant d’air d’apporter un semblant de fraîcheur dans l’atelier de l’un des peintres brésiliens les plus en vue de sa génération. : Menelaw Sete. Cet artiste afro-brésilien originaire de « Plataforma », la plus grande favela de Salvador, où il n’est pas du tout recommandé de s’aventurer sans être accompagné d’un personnage connu et respecté.

Ayant pénétré à l’intérieur de l’univers de ce peintre au talent révélé, Pierre découvrit dans cette pièce rectangulaire un nombre impressionnant de toiles de diverses dimensions posées les unes contre les autres. D’autres étaient rangées par-dessus. Toutes éblouissaient. Le visiteur pénétrait dans un espace surréaliste. Les couleurs jaillissaient de leurs toiles pour mieux interpeller l’imaginaire, quels que soient les thèmes choisis. Toutes exprimaient la créativité de l’artiste.

Au regard de toutes ces toiles et des objets qui les entouraient, ce lieu fantastique dégageait une atmosphère à la fois magique et mystérieuse créée par l’esprit sans cesse renouvelé de ce peintre qui exprimait par sa peinture l’essence même de son art. Sur chacune de ses toiles réapparaissait le personnage principal de ses œuvres, « la Femme ». Cette femme, qu’il façonne à coups de pinceau sous toutes ses formes et dans toutes les étapes de son existence, enfant, petite fille, adolescente, amante, putain, femme gestante, mère, sorcière, madone…

Impressionné par ce décor, Pierre se représentait l’artiste tout à son œuvre devant son chevalet en alignant ces mots mentalement : « De son pinceau trempé dans ses acryliques, Menelaw travaille de savants mélanges inclassables dont il a le secret. Puis, adroitement, il recouvre de couleurs cette toile immaculée pour donner un sens au thème qu’il a choisi. ».

Livrées ainsi à la curiosité du visiteur, les œuvres de l’artiste prenaient d’autant plus d’intérêt, que, tendues sur leurs cadres, elles lui étaient accessibles. Il pouvait les toucher, les séparer les unes des autres pour mieux les admirer et choisir celle qui lui paraissait la plus attirante pour éventuellement l’acheter.

Au fond de la pièce, par une ouverture sans porte se dégageait un fumet caractéristique. Celui d’un plat cuisiné à l’huile de « dendê», l’huile de palme utilisée par les bahianais, mais difficilement assimilable par le système digestif des touristes en villégiature dans le pays. Cette odeur de cuisine révélait une présence dans le lieu.

Toujours seul dans l’atelier, sans que personne ne vienne troubler son plaisir, Pierre découvrait et admirait ces tableaux tous aussi énigmatiques les uns que les autres en attendant qu’une présence se manifeste enfin. Les minutes passèrent, toujours personne en vue… Décidé à se faire entendre, il toussota pour signaler sa présence.

S’ensuivit un bruit de marmite qu’on remue, puis, quelques instants plus tard, un petit homme apparut dans l’encadrement, un sourire aux lèvres. Il tenait à la main une casserole toute cabossée et fumante dans laquelle il cuisinait un « vermelho », ce poisson à la chair savoureuse que l’on pêche dans les hauts fonds de la baie de Tous les Saints.

— Bom dia ! Je m’appelle Marco, et vous ? Si vous cherchez Menelaw, il arrive dans cinq minutes, dit-il en s’avançant vers lui.

— Bom dia ! Moi, c’est Pierre. Je suis très impressionné par le talent de l’artiste auteur de toutes ces toiles. Est-il possible de le rencontrer ? Si oui, je reviendrai dans un moment, le temps de visiter le Pelourinho.

— Bien, je lui en parlerai lorsqu’il reviendra.

L’échange entre eux s’effectua dans un mélange de portugais, français et d’anglais. Chacun en comprit l’essentiel.

Pierre ressortit de l’atelier enchanté d’avoir découvert au détour d’une ruelle de ce quartier du Pelourinho un lieu aussi atypique que celui de l’atelier où crée Menelaw Sete, ce peintre bahianais à l’art si différent de celui des autres artistes locaux. Toiles que l’on retrouve dans tous les coins de rue du Pelourinho vendues à la sauvette. La plupart représentent des scènes quotidiennes des quartiers de la ville dans un style très proche du naïf. Ce style exercé un peu partout dans le monde.

D’un pas décontracté, il suivit la ruelle en pente qui mène à la place du Pelourinho. Cette place à grande déclivité, où jadis, les condamnés, la plupart des esclaves noirs, accusés de forfait du plus anodin au plus grave, étaient garrottés en public.

Juste devant la maison/musée de l’écrivain brésilien Jorge Amado située en haut de la place, un groupe de musiciens commençait à jouer sur une estrade monumentale dressée pour leur prestation. Des percussions et des baladjaos sortait une musique entraînante qui chauffait les passants massés tout autour. À tel point, que les contorsions des uns augmentaient au fur et à mesure que le rythme s’emballait. Un rythme semblable à ceux qui se déchaînent dans l’ambiance des défilés de carnavals. D’autres badauds attirés par la musique et l’attroupement tout autour du podium élargirent peu à peu le cercle. Les musiciens entamèrent une samba soutenue par la claque rythmée de la foule. Des anonymes piétinaient déjà sur place. Encouragés de la voix par les danseurs ils prenaient place sur le cercle.

D’autres touristes passaient devant, s’arrêtaient quelques instants, puis continuaient leur chemin pour faire leurs achats dans les nombreuses boutiques aux devantures attrayantes. À l’intérieur, chacun y trouvait son bonheur. Les étals croulaient sous les marchandises. On y trouvait pêle-mêle, des vêtements, des masques, des statues, des tam-tams, des gris-gris, des meubles sculptés, des articles de maroquinerie, et bien d’autres…

Pour sa part, Pierre très intéressé par la maison/musée créée à la mémoire de Jorge Amado pénétra dans la salle de vente pour acheter un livre de l’auteur le plus célèbre du Brésil. Il choisit celui qui correspondait le mieux à l’histoire de l’État de Bahia, « Bahia de Todos os Santos » qui raconte l’histoire d’Antonio Balbino, un jeune noir, qui, à l’issue d’une grève, décide de rentrer en lutte pour la liberté de son peuple.

Ensuite, Pierre refit le chemin inverse pour rejoindre l’atelier du peintre.

À nouveau dans l’antre de l’artiste, il l’aperçut de dos. Menelaw peignait sur une immense toile. Sa chemise ras le cou et son pantalon léger imprégnés des couleurs de ses toiles s’intégraient parfaitement dans le décor de son atelier. Ses cheveux crépus noués en chignon sur la nuque finissaient sans ambiguïté de cadrer le personnage.

Assis, face à son chevalet, Menelaw Sete couchait ses acryliques en esquisses préalablement tracées sur une toile tendue. Au rythme de ses mouvements, le pinceau donnait un sens aux couleurs déposées sur la toile. Les profils se transformaient peu à peu en personnages ou en objets. Au fur et à mesure qu’il peignait, ses thèmes prenaient forme, des mouvements s’en dégageaient. En un mot, la toile prenait vie.

Ressentant une présence derrière lui, Menelaw se retourna, il l’attendait, et d’un sourire franc salua Pierre par un :

— Boa tarde amigo !

Il se leva, sa chemisette largement échancrée découvrait un torse ambré recouvert d’une toison éparse toute frisée. D’un geste large, il désigna ses toiles pour inviter le visiteur à les découvrir, et éventuellement en acheter s’il les trouvait à son goût.

D’emblée, le courant passa entre les deux hommes. Sans parler la langue de l’autre, ils arrivèrent à se comprendre.

Voyant Pierre intéressé et envieux de connaître son parcours de peintre, Menelaw extirpa un livre d’art pictural d’un meuble caché derrière une dizaine de toiles. En le feuilletant, il montra des gravures et lui expliqua l’origine de sa passion pour la peinture. Son envie de peindre lui est venue lorsque très jeune il a découvert Michel Ange, Van Gogh, Picasso, bien d’autres aussi. Depuis qu’un artiste-peintre local le conseilla et l’encouragea à développer son goût pour la peinture, cette flamme créatrice ne cessa jamais de croître.

Pierre lui demanda s’il s’était produit ailleurs que dans l’État de Bahia.

Il exposa plusieurs fois à Rio de Janeiro. Au Portugal aussi. Il expliqua qu’en souvenir de la déportation des esclaves noirs angolais, enlevés et enchaînés dans les soutes des goélettes à destination du Brésil, il déposa au fond de la mer des pièces sculptées et des vasques de sa composition, à la mémoire de ces hommes et femmes vendus et expatriés de force sur un autre continent pour y travailler et y mourir sous le joug des colons. Beaucoup d’entre eux ne supportèrent pas l’extrême rudesse de la vie à bord. Sans aucune sépulture, leurs cadavres étaient jetés sans vergogne par-dessus bord.

Une salle du musée de la ville de Sciacca en Sicile porte son nom, où certaines de ses œuvres sont exposées. Il exposa aussi à Frankfurt et à Paris.

Heureux d’apprendre en si peu de temps le parcours de ce peintre si talentueux à ses yeux, Pierre Gruiperey lui demanda s’il pouvait reconsulter toutes les toiles posées contre les murs pour les admirer à nouveau et se faire une opinion sur l’évolution de sa peinture. D’un revers de main, Menelaw les lui désigna, puis il retourna à son chevalet. Sans attendre, le visiteur « feuilleta » les toiles avec un plaisir non dissimulé.

Il choisit trois « bleus ». Chacun représentait une interpénétration de visages de face et de profil. Leurs contours translucides chevauchaient de larges bandes rouges et jaunes placées en diagonales. Selon l’angle du regard, les expressions changeaient.

Conquis par ces étonnants contrastes de couleurs et par la simplicité des traits, il les acheta à un prix tout à fait abordable.

Après une chaleureuse poignée de main, Gruiperey promit de revenir, ne serait-ce que pour renforcer cette toute nouvelle relation.

Flânerie dans le Pelourinho au gré des rencontres

Le vol UX 52 d’Air Europa au départ d’Orly pour Salvador de Bahia déposa Pierre Gruiperey mercredi 16 janvier 2013 à 20 h 50 à l’aéroport Luis Eduardo Magalhães. Un taxi l’emmena à Pelourinho au pied d’un immeuble de dix étages, place de Sé. Il avait retenu une chambre par internet dans l’hôtel Artémis, un hôtel déniché dans le guide du Routard du Brésil quelques jours avant de partir.

L’Artémis, tenu de longue date par Jean-Paul, un ancien navigateur français qui avait posé son baluchon sur le quai du port de Salvador. Installé dans la ville haute, il gérait son établissement dans le quartier du Pelourinho avec sa compagne brésilienne. Un cuisinier et une femme de chambre composaient le personnel. Mais la propreté des chambres ne laissait pas le locataire indifférent !

Pourtant, peu exigeant côté confort et salubrité, Pierre passa la première nuit en compagnie de blattes aux proportions peu communes… Après avoir protesté auprès du loueur, il passa de la chambre numéro 6 à celle du numéro 10. Mais cette fois-ci, les toilettes étaient bouchées…

L’exotisme reprit très vite le dessus lorsqu’il changea à nouveau pour la chambre numéro 8 qui parut plus convenable !

Le premier matin, accoudé sur le rebord du balcon-bar/restaurant en attendant le petit déjeuner, Pierre contemplait le panorama qu’offrait la place de Sé, et bien au-delà. Son regard errait sur les maisons tout au long de ces quartiers construits à la queue leu leu sur les hauteurs de cette grande baie de Tous les Saints. Les toits aux couleurs bigarrées s’alignaient à l’infini. Ils se confondaient en une seule couleur, rouge sombre. Contraste saisissant avec le bleu de la baie et le gris blanc des cumulo-nimbus menaçants. Ce tableau naturel lui rappelait les peintures de Pierre Malrieux, peintre français reconnu, qui s’inspire souvent des couleurs changeantes des décors de bord de mer et des villages sud-américains qu’il ne manque pas de croquer lors de séjours dans ces pays lointains.

Plus près, juste en dessous, dans le port, ces immenses paquebots restés à quai attendent le retour de leurs passagers lâchés pour quelques heures dans le Pelourinho, ce quartier historique si particulier recommandé par toutes les agences de voyages.

Plus au large, un nombre impressionnant de tankers et de porte-containers mouillent en attendant d’accoster pour décharger leurs frets et cet or noir indispensables au développement de la vie économique de cette grande métropole.

Sur le chemin du retour qui le ramenait à l’hôtel après une promenade matinale qui lui ouvrit l’appétit, il convint qu’il devait peaufiner le programme de son séjour, et pourquoi pas, devant un bon repas dans un de ces restaurants au kilo dont les prix sont tout à fait abordables.

Après avoir garni son assiette de petites saucisses grillées, d’un blanc de poulet, d’une tranche de picanha, cette viande de bœuf qui fond dans la bouche lorsqu’elle est servie saignante, le tout entouré d’une bonne louche defeijoada, Pierre s’installa à une table suffisamment large pour y déployer ses cartes de la région afin d’étudier un itinéraire. Et, pour arroser ce beau plateau, il demanda au garçon de salle une Skolbien glacée, cette bière légère très appréciée des Brésiliens.

De bonne humeur, il attaqua vaillamment son repas, et engloutit le contenu du plateau en un rien de temps.

Le cafezinho sucré offert par la maisonle revigora. Il était prêt à organiser son planning.

Indécis sur l’ordre des visites, il hésitait, entre les principales îles de la baie de Tous les Saints et la région de Chapada Diamantina distante de 500 km au nord-ouest de Salvador. Opter pour la seconde l’obligeait à louer une voiture, le moyen indispensable et pratique pour visiter cette région montagneuse à la végétation luxuriante. Il avait découvert cette belle région en parcourant les documentations offertes dans les agences de voyages.

Les montagnes appelées « morros » ont la particularité de développer chacune un vaste plateau en guise de sommet. La preuve irréfutable qu’une mer baignait toute la région il y a des dizaines de milliers d’années. Après le retrait des eaux, au fil des siècles, les fosses sous-marines se transformèrent en vallées et montagnes aux plateaux recouverts de plantes et d’arbustes parents éloignés d’une végétation aquatique. Ces zones ressemblent encore étrangement à des hauts fonds découverts à marée basse.

Les photos des dépliants confirment cette configuration géographique.

Jusqu’aux années 70, grâce à son sous-sol riche en minerais et en pierres précieuses, notamment le diamant, la région attira bon nombre de chercheurs en quête de fortune. Prospère en son temps, elle hérita de cette appellation encore actuelle, la « Chapada Diamantina. »

Pour se faire une idée sur la première option, Pierre étala sur la table la carte de l’État de Bahia soigneusement rangée dans son petit sac à dos ainsi que la documentation fournie par les agences de voyages de la place de Sé. Du doigt, il repéra les îles éparpillées dans la baie de Tous les Saints.

Pour accéder à l’île de Itaparica , la plus proche de Salvador, il devra prendre une « lancha », le nom donné aux bateaux qui effectuent les navettes entre le continent et l’île. Ces « lanchas » sont à quai d’un embarcadère tout proche du port où accostent les paquebots de tourisme.

C’est le moyen de transport quotidien le plus utilisé par les usagers qui se rendent au travail et par les touristes en quête d’aventure. Pour s’y rendre, en sortant des élévators qui déposent des centaines de personnes à l’heure venant de la ville haute, on ne peut manquer de traverser le « Mercado Modelo », ce grand marché couvert qui se trouve sur le chemin qui mène au débarcadère des lanchas. Le Mercado Modelo, haut lieu des rendez-vous incontournables des touristes en quête de souvenirs. Celui qui le traverse en ressort obligatoirement les bras chargés d’achats de toutes sortes !

Les lanchas, ces bateaux en bois à fond plat sont empruntés par des milliers de passagers chaque jour. Ceux qui partent du port de Salvador en direction de la ville la plus proche de l’île de Itaparica accostent à Mar Grande, l’une des deux préfectures de l’île.

Une autre, l’île de Tinharé, un vrai St Trop bahianais, paraît-il ! Celle dont la publicité s’affiche un peu partout dans Salvador. Elle doit sa réputation àMorro de São Paulo, petite villeperchée sur un piton rocheux qui surplombe l’océan d’un côté. De l’autre, la ville s’étend sur une forte déclivité, et tout en bas, s’offre aux visiteurs de belles plages sablonneuses bordant successivement quatre baies splendides aux eaux cristallines, chaudes et paradisiaques pour les vacanciers.

Au fond de la baie, l’île de Frades en face de celle de Madre de Deus. Pour l’atteindre, une journée de croisière est nécessaire.

À 150 km, bien plus au sud de Salvador, la presqu’île de Barra Grande. Le voyageur aura le choix, entre la route et le bateau à prendre dans le port le plus proche pour s’y rendre.

— Vous avez besoin d’un renseignement, monsieur ?

Dans un français presque parfait, une voix féminine l’interpella. Un léger accent trahissait son origine brésilienne.

Tout à sa réflexion, Pierre n’entendit pas la question. À la seconde tentative, surpris, il releva la tête. Devant lui, ou plutôt, devant la carte qui débordait amplement de la table pour deux personnes, debout, une jeune femme assez belle, pas très grande, cheveux châtains, la quarantaine, le dévisageait un sourire aux lèvres. Son attitude laissait penser qu’elle était satisfaite de l’effet produit sur le français. Elle s’apprêtait à renouveler sa question lorsqu’après un moment d’hésitation, il sourit à son tour et répondit :

— Mais, volontiers, je ne connais pas le Brésil, et pas mieux l’État de Bahia. J’hésite entre deux programmes. Actuellement, je suis à l’hôtel place de Sé, et j’aimerais, soit, découvrir les îles de la baie de Tous les Saints, soit voyager à l’intérieur du pays. La région de Chapada Diamantina m’attire vraiment, car la publicité faite par les agences touristiques est tentante et risque de me décider. Mais, quel que soit mon choix, comme je ne suis pas un fan des agences à touristes je préfère visiter les lieux seul ou en petit groupe avec un guide. Sur place, je trouverai bien mon bonheur pour découvrir les endroits les plus insolites.

La jeune femme réfléchit quelques instants avant de répondre, puis elle dit :

— Pour la baie de Tous les Saints, vous devriez vous joindre aux groupes de touristes emmenés par les tours opérateurs, comme le Club Med ou Marsan Tour. Ils ont l’habitude de louer une ou plusieurs goélettes pour la journée. Vous pourriez bénéficier d’un tarif de groupe qui comprend le voyage, le repas, les boissons, et les visites des îles. Cela vous reviendra moins cher que si vous voyagez seul. Et puis, si vous le désirez, rien ne vous empêcherait de retourner dans l’une d’elles.

— C’est une option intéressante, reprit Pierre, encore surpris par cette aide inespérée.

— Voilà, pour un de vos projets. Quant au deuxième, vous avez de la chance, car je peux mieux vous aider. Depuis plusieurs années, je travaille comme co-directrice à la Maison des Guides àLençóis, la capitale de la région de Chapada Diamantina, cette région que vous désirez visiter. Actuellement, je reste à Salvador quelques jours, le temps de récupérer l’agrément qui vient de nous être accordé par le Ministère de la Fazenda. Si vous souhaitez visiter la région, vous pouvez me joindre à ce numéro, je pourrai vous aider dans votre projet ! dit-elle. Je m’appelle Rosaria, voici ma carte professionnelle, qu’elle déposa devant lui, toujours le sourire aux lèvres.

— Enchanté, je me présente à mon tour : Pierre Gruiperey, je suis en congé, et j’ai décidé de visiter le Brésil, en l’occurrence, l’État de Bahia. J’ai vraiment de la chance de vous rencontrer. Je vous appellerai avec plaisir lorsque j’aurai une date précise pour visiter votre belle région. Mais, puisque nous avons déjà déjeuné, accepteriez-vous, ne serait-ce qu’un café ?

Tout sourire elle s’assit en face de lui et demanda au garçon de leur amener deux cafés sans sucre.

Attablés, ils firent plus ample connaissance. Elle expliqua son parcours atypique d’étudiante en botanique à la Fac des Sciences Naturelles de Salvador. Son doctorat en poche, elle décida de voyager en France pour retrouver un ami français venu faire un stage de trois mois à la fac de Salvador. Il habitait la région parisienne. Après avoir fait les démarches nécessaires, elle obtint un visa d’étudiante pour deux années afin de perfectionner son français. Pour vivre décemment à Paris, elle cumula des petits boulots. Celui de serveuse dans un restaurant italien, puis femme de ménage chez des particuliers, de sorte qu’elle parvint à un niveau de français satisfaisant au terme de son séjour. Malgré la vie attrayante de la capitale française, et les amitiés faites au gré des rencontres, elle se sentait encore étrangère, le mal du pays la gagnait. À son terme, elle rentra au Brésil bien décidée à s’installer loin du brouhaha des grandes agglomérations pour retrouver le plaisir de vivre et pouvoir gagner correctement sa vie.

Grâce à ses aptitudes linguistiques, elle décrocha un poste d’interprète et de guide dans la ville de Lençóis.

Quelques secondes de silence suivirent les propos de Rosaria qui tout à coup sembla absente. Pierre s’en aperçut et lui demanda :

— Quelque chose vous contrarie ?

— Non, je réfléchis. J’ai un ami qui travaille comme GO au Club Med sur l’île d’Itaparica. Je dois avoir son numéro de téléphone dans le répertoire de mon portable. Si vous le voulez, je peux l’appeler pour connaître les programmes d’excursions dans la Baie que prévoit le club ces jours-ci.

— Bien volontiers ! Votre aide m’est providentielle. Je ne sais comment vous remercier !

Sans répondre, elle pianota à la hâte le numéro qu’elle venait de retrouver. Le temps d’obtenir son correspondant, elle lui décocha un sourire malicieux qu’il rendit immédiatement avec un hochement de tête interrogateur. Du plat de la main, elle le rassura dès que l’autre décrocha. Après les formules de politesse habituelles, elle expliqua rapidement la situation touristique de Pierre Gruiperey. Son sourire s’élargit au fur et à mesure que le correspondant parlait. La réponse semblait convenir, puisque cette fois-ci, toujours souriante, elle leva le pouce en signe d’approbation. Satisfaite, elle raccrocha.

— C’est OK ! Aujourd’hui, c’est votre jour de chance, le Club Med organise après-demain une sortie pour la journée dans la Baie. Le rendez-vous est prévu à 10 h sur l’embarcadère de la marina de Salvador. Vous demanderez Raymundo, c’est le nom de mon ami qui accompagnera un groupe. En partant tout à l’heure, je vous montrerai l’emplacement de la marina où sont mouillées les goélettes. Elle est située tout près de l’Elevador, on la voit bien de la vue panoramique qui surplombe la ville basse. On découvre également une grande partie de la baie, notamment les îles, Itaparica la plus proche, Morro de São Paulo par temps clair, et Madre de Deus la plus éloignée.

— Bravo ! Mais j’aimerais fêter l’événement. Accepteriez-vous de passer la soirée avec moi dans le restaurant de votre choix…

Un ange passa ! Pierre poursuivit :

— Ce n’est pas cher payé le service que vous me rendez. Ne vous dérobez pas. Acceptez !

Le ton était enjoué, mais suffisamment convaincant pour que Rosaria cède. Il accentua sa demande en posant ses mains sur les siennes. Elle ne les retira pas, mais le visage grave, elle planta son regard dans le sien. D’un signe de tête, elle acquiesça. Puis, se reprenant elle répondit :

— J’en connais un situé sur la Orla, en bordure de plage, à côté de la Maison des Pêcheurs, il s’appelle « Vasco da Gama ».

— Entendu ! Où se retrouve-t-on, et à quelle heure ?

— En bas, devant l’Elevador à 18 h 30. Cela vous convient-il ?

— Tout à fait.

— Avant de se quitter, allons vers l’Elevador que je vous montre la marina, votre lieu de rendez-vous d’après-demain, dit-elle enjouée.

De retour à l’hôtel Artémis, trempé de sueur, il prit une douche froide, car même à l’ombre, en pleine après-midi, le thermomètre affiche les 40° C.

Le changement de chambre de la veille n’a pas évacué totalement le problème des cafards. Avant d’entrer dans le bac à douche, deux d’entre eux se prélassaient sur la grille d’évacuation. Il les explosa à coups de tongs, puis les jeta délicatement dans la poubelle toute proche.

Soirée essentielle

À deux cents mètres de l’hôtel Barra, face à l’océan, de l’autre côté de la Orla, mitoyen à d’autres restaus, le Vasco da Gama offrait une entrée qui ne payait pas de mine. Sa devanture étroite et peu éclairée n’engageait pas d’éventuels clients à franchir le seuil. Au-dessus, une enseigne peu visible clignotait tristement. Les trois marches à descendre permettaient d’accéder à l’unique salle toute en longueur. Déjà, beaucoup de tables étaient occupées, la plupart par des Brésiliens apparemment habitués aux lieux et à sa bonne cuisine. Les discussions en bahianais, toujours volubiles et animées par de larges gestes, promettaient une ambiance chaleureuse. Seule une table de deux couverts restait libre, certainement celle qu’avait réservée Rosaria.

Les murs, essentiellement décorés d’affiches et de photos dédicacées par des artistes plus ou moins connus témoignaient de leurs passages au Vasco da Gama. Une publicité qui augmentait la renommée du restaurant. À l’entrée, un livre d’or posé sur un pupitre à l’intention des clients désireux d’écrire un mot sur l’accueil et la qualité de la table.

Une fois attablés, Rosaria et Pierre commandèrent deux caïpirinhas, ce traditionnel cocktail brésilien planté de deux pailles qui font mieux apprécier le subtil mélange de cachaça, de sucre de canne, et surtout ces morceaux de citron vert pressés à l’intérieur du verre. L’ensemble mélangé à une grande quantité de glace pilée agrémente les débuts de soirée, quel qu’en soit le thème.

Mais, gare aux imprudents qui se laisseraient tromper par la douceur du breuvage facile à boire s’ils pensaient avoir la prétention de tenir le coup après la seconde !

Sans en commander une autre, car entre eux le courant passait déjà très bien, tenté par l’aventure au pays des pierres précieuses Pierre posa un premier jalon :

— Si je me décide à venir visiter Lençóis et ses environs, où puis-je vous joindre, et quel moyen de transport le plus pratique me conseillez-vous ? D’après la carte, la ville se trouve distante d’environ 500 km de Salvador.

— Je connais une agence de location de voitures pas très loin de l’aéroport. Elle est située sur le trajet qui mène à la Chapada. C’est pratique, car en sortant de l’agence, habituellement je prends la N° 526, puis, la N° 324 en direction de Feira de Santana, ensuite la BR 116, et la BR 242 qui arrive dans le Parc National. Puis, 20 km sur une petite route pour arriver à Lençóis. Vous voyez, ce n’est pas compliqué du tout pour venir me voir ! Les tarifs de cette agence sont abordables, et généralement leurs voitures sont en bon état. J’ai toujours été satisfaite du service. Et pour me retrouver, c’est très simple, je crois bien vous avoir remis ma carte cet après-midi, non ! dit-elle avec un sourire moqueur. Puis, plus sérieusement, elle reprit : je réponds à tous les appels, mais en priorité aux numéros de mon répertoire.

— C’est vrai ! Maintenant, je pense être en mesure de vous retrouver… Mais, n’oubliez pas de me donner les coordonnées de cette agence de location, reprit-il en essayant de rattraper son oubli.

— Sans faute ! Si vous vous décidez, prévoyez un séjour d’une bonne semaine. Les visites et les excursions ne manquent pas. Je vous proposerai plusieurs formules.

Pour celle de la journée, on se rend en voiture sur les sites à visiter, tous sont situés au maximum à 50 km de Lençóis. Dans ce cas, le tarif du guide ne varie pas. Pour faire un trek de plusieurs jours, comme traverser partiellement ou complètement le parc à pied, pour mieux découvrir la nature, on loge chez l’habitant car en fin d’étape il n’y a pas nécessairement un gîte ou un hôtel à proximité. Si ce genre d’expérience vous tente, je me propose de vous guider. Avec cette seconde formule, j’organise la randonnée pour cinq à six personnes. Les tarifs varient selon la durée de l’excursion et le nombre de participants. En période touristique, comme actuellement, la maison des guides organise deux treks par semaine, vous pourrez sans difficulté vous joindre à un groupe. Prévenue suffisamment tôt, je vous intégrerai dans le mien.

Elle acheva ses explications en le fixant sans ciller, comme pour l’inciter à accepter. En entendant cette proposition, Pierre se demanda s’il n’avait pas une petite cote auprès d’elle. Elle commençait bien à lui plaire cette petite Rosaria avec ses propositions engageantes. Mais il était trop tôt pour s’en convaincre.

— Vous me tentez, Rosaria. Et avec ce regard-là, je ne peux qu’accepter, dit-il en lui effleurant du bout des doigts les mains qu’elle tenait jointes.

Elle frémit à ce contact, et toujours les yeux dans les yeux, sans répondre, elle lui adressa un sourire consentant.

À la fin du repas, le taxi la déposa devant le domicile de ses amis qui la logeaient lorsqu’elle venait à Salvador. Il était 1 h 30 du matin.

Avant de sortir, instinctivement elle se pencha vers lui, au même moment il en fit autant. Leurs visages se rapprochèrent, leurs bouches s’effleurèrent sans se dérober, leurs lèvres se joignirent en un baiser suffisamment fort pour que chacun ressente qu’il ne restera pas sans lendemain. En ouvrant la portière, elle lui souffla à l’oreille :

— Ne tarde pas à me téléphoner.

Puis, elle sortit et lui fit un signe de la main avant de pousser le portillon du jardinet de la maison de ses amis.

II

La baie de Tous les Saints, 19 janvier

Sur le ponton, Pierre n’eut aucun mal à trouver la goélette aux trois mâts factices qui se dressaient fièrement au-dessus de tous les autres bateaux amarrés aux quais de la marina de Salvador. En réalité, ces bateaux étaient propulsés par des moteurs diésel, car aucune voile enroulée dans son enveloppe n’apparaissait sur la bôme fixée au bas des mâts. Déjà sur le pont, les GO discutaient avec les membres de l’équipage. Des musiciens installaient leurs instruments sur le pont supérieur, certainement pour agrémenter par des rythmes endiablés cette journée de croisière dans les îles de cette magnifique baie de Tous les Saints.

Un gringo sur le ponton ça se remarque. Un des hommes à bord lui fit un signe de la main pour qu’il s’approche, et lui cria :

— Vous êtes Pierre, l’ami de Rosaria ?

Pierre acquiesça de la tête en levant le pouce à la coutume bahianaise.

— Alors, montez à bord, et soyez le bienvenu avant qu’arrivent les cars de touristes par le ferry. Je fais le point avec l’équipage et les musiciens. Ceux-là ont l’obligation de mettre « le feu » à bord comme chaque fois qu’on navigue dans la baie. L’ambiance est assurée dès les premières notes.

Les présentations faites, Pierre prit Raymundo à part pour le remercier de l’accepter dans son groupe et de lui proposer sa participation financière pour la journée.

— Puisque vous êtes un ami de mon amie, je vous l’offre, car un de plus dans un groupe de quatre-vingts ne se verra pas. Vous en serez quitte pour offrir une tournée de caïpirinha ce midi. N’est-ce pas les amis ? dit-il en se tournant vers ses collègues qui prêtaient une oreille distraite à la conversation, dont un, celui qui comprenait le français, s’empressa de la traduire aux autres.

Un murmure de consentement fit écho à la proposition. Pierre acquiesça d’un signe de tête, satisfait de s’en tirer à si bon compte, et heureux d’être accepté comme l’un des leurs à bord. Il remarqua que Raymundo avait de l’autorité sur tout le personnel. Sans doute l’avait-il acquise durant ces années passées comme GO au Club Med à emmener régulièrement ses vacanciers visiter les îles de la baie de Salvador.

L’ancre levée, la goélette fila au large. Dès qu’elle dépassa ce fortin, qui jadis défendait l’entrée du port à l’époque coloniale, les premiers battements de tambour se firent entendre au moment même où Raymundo et ses collègues invitaient les touristes à prendre un rafraîchissement sur le pont. Tous se rapprochèrent du buffet dressé à leur attention.

Le rythme de la samba s’accéléra au fil des minutes. Un verre à la main, des couples esquissèrent timidement quelques pas de danse. Le décor ainsi planté, la musique brisa définitivement la glace entre les passagers. D’autres venus seuls se mêlèrent à eux. L’ambiance s’annonçait prometteuse.

De l’île dos Frades en vue, on distinguait nettement une anse sablonneuse surmontée d’une colline verdoyante, certainement boisée en partie. Sur la plage, s’alignaient à perte de vue des paillotes devant lesquelles des tables encore inoccupées surmontées de parasols attendaient l’arrivée quotidienne des touristes qui débarquaient par goélettes entières.

Ne pouvant accoster, car l’île n’avait pas de port en eau profonde, les goélettes jetèrent l’ancre à une centaine de mètres du rivage, juste devant la plage By Mario Mattos.

Les passagers avaient le choix d’embarquer sur les pirogues venues du bord pour les emmener sur la plage, ou de sauter dans l’onde cristalline peu profonde. Ayant pied à cet endroit, leurs effets personnels au-dessus de la tête, ils pouvaient regagner le rivage sans difficulté. Bon nombre optèrent pour la seconde proposition.

Pour avoir l’œil sur tout son monde, Raymundo avait réservé une centaine de couverts dans deux pousadas mitoyennes.

Invité à sa table, Pierre s’empressa de commander la tournée de caïpirinha promise pour le personnel navigant et les quatre GO. Afin de ne pas être en reste, les organisateurs en firent suivre deux autres qui eurent pour effet d’augmenter d’un cran les conversations.

Après les langoustes et les huîtres sauvages arrosées d’un Miolo Blanco très apprécié, les vacanciers bénéficièrent d’un temps libre suffisant pour se reposer avant de réembarquer et poursuivre leur petite croisière.

Le temps d’une promenade digestive, Raymundo proposa à Pierre de visiter les vestiges d’un monastère occupé par des Frères Franciscains qui vivaient sur l’île à l’époque de la colonisation. D’où le nom de l’île « Ilha dos Frades », l’île des frères. Ces ruines sont situées sur la colline au-dessus de la plage. Le panorama est, paraît-il, magnifique !

— Avec plaisir, mais, aurons-nous le temps de piquer une tête avant de repartir ?

— Oui, une demi-heure suffira, le temps d’éliminer les caipis !

À leur retour aux pousadas c’était le farniente. Certains faisaient trempette, d’autres se prélassaient dans les transats sous les parasols. Les plus altérés sirotaient des « sucos de maracujá », nom du fruit de la passion, orange et d’autres fruits exotiques.

Les deux nouveaux amis s’installèrent à leur tour pour déguster une guaraná bien frappée avant de se jeter dans une eau divinement rafraîchissante qui pourtant affichait plus de 30 °C au mercure.

À l’heure du départ, tous choisirent de rejoindre la goélette en barbotant dans cette eau accueillante, et de se hisser à bord à l’aide des échelles de corde suspendues le long de la coque déroulées par le personnel navigant déjà sur le pont. Ensuite, la croisière reprit son cap sur un rythme de samba !

Le bateau passa tout près des îles de Maré, de Bom Jesus, de Medo, et de Madre de Deus.

À l’escale suivante, la goélette mouilla près de la plage de Ponta de Areia sur l’île d’Itaparica. La plus grande île de la baie, suffisamment pour être fédérée par deux préfectures, Itaparica, et Vera Cruz. Itaparica possède un port de plaisance. Vera Cruz, deux, un en eaux profondes pour les ferrys, l’autre pour les lanchas, ces bateaux en bois à fond plat qui ne transportent que les passagers et leurs bagages.

Cette fois-ci pas de navette bateau/plage, tous se jetèrent à l’eau pour rejoindre la rive, trop heureux de rafraîchir les épidermes encore peu habitués au soleil brésilien.

Mais aussi, répéter le délice de se baigner dans cette eau accueillante le temps d’atteindre la plage pour siroter des boissons fraîches à l’ombre des paillotes, et mordre à pleines dents les grillades de viande et les brochettes de langoustes qui rôtissent en permanence sur les barbecues alimentés au charbon de bois.

Des marchands ambulants poussent leurs chariots remplis de sorbets aux parfums divers réfrigérés par des blocs de glace. Ils interpellent les vacanciers et donnent de la voix en criant : « Picolé, picolé », le nom de leur marchandise en bahianais.

D’autres, plus jeunes, balancent à bout de bras une gamelle en aluminium au fond troué contenant un foyer incandescent de charbon de bois sur lequel grillent des brochettes de fromage coupé en cubes, une sorte de mozzarella. Attirés par le fumet dégagé, bon nombre de clients tentés de goûter cette particularité bahianaise n’hésitent pas à sortir le porte-monnaie.

Attablés à l’écart, Pierre expliqua à Raymundo son désir de connaître les us et coutumes locaux. Pour cela, il aimerait visiter les villages sans passer par les circuits touristiques. Son ami réfléchit quelques instants puis lui proposa :

— Écoute, demain c’est mon jour de congé, je peux t’emmener assister à un candomblé qui se déroulera à Baiacu. C’est un village de pêcheurs situé de l’autre côté de l’île.

— D’accord, mais c’est quoi le candomblé ?

— Bon, je vais te faire un peu d’histoire. Le candomblé c’est un rituel afro-brésilien qui provient d’Afrique Noire. Au temps de l’esclavage sous l’autorité portugaise, les noirs étaient débarqués à Salvador et à Cachoeira par bateaux entiers. Malgré le dépaysement et leurs conditions de vie inhumaines, ils ont conservé et transmis leurs traditions religieuses qui se pratiquent toujours maintenant. À l’époque, c’était une sorte d’antidote pour rester en vie le plus longtemps possible. Les prêtres et les initiés vénéraient des divinités appelées Orixás. Chacune d’elles est toujours perçue par les croyants comme une protection bénéfique pour tous les jours de la semaine. S’ils ont besoin d’aide, ils font appel à celle qui correspond le plus à leur peine. Ici, sur l’île, la plus vénérée se nomme Iemanjá, la déesse de la mer. Les croyants la célèbrent chaque année le 2 février. Dans tout l’État de Bahia, les habitants des villages et des villes du bord de mer lui offrent de nombreux présents. Après l’office religieux dans l’église, en procession, les fidèles gagnent la plage et embarquent sur des bateaux qui se dirigent jusqu’au lieu où repose la déesse Iemanjá. L’endroit est désigné par les prêtres et les initiés. Arrivés sur le site, après les dernières prières, les présents sont déposés en mer, principalement des fleurs. S’il est prévu un mariage dans l’année, des petits personnages en plâtre représentant les futurs mariés seront également offerts à la divinité pour qu’elle exauce les vœux de bonheur prononcés par les familles et les proches des futurs époux. Voilà pour la religion !

Quant au Candomblé lui-même, le jour de la célébration, prêtres et initiés, souvent des femmes appelées madones, lavent et repassent leurs costumes. Ils décorent de guirlandes, de fleurs et de petits drapeaux le lieu privé où va se dérouler la cérémonie, généralement dans une cour, le soir, et s’achève tard dans la nuit. Ensuite, les offrandes à l’Orixá sont préparées par les madones et les initiés. À cette occasion, des animaux domestiques, chèvre, poulet, ou autres sont sacrifiés pour garnir le banquet offert aux convives. Les entrailles et les têtes sont offertes à Iemanjá. Lors de la cérémonie, devant le public, aux sons des percussions la madone ou l’initié rentrent en transe pour être possédés par la divinité évoquée. Maintenus dans cet état second et devenus les interprètes de Iemanjá, certains prédisent l’avenir et guérissent. Les percussions aussi bien par leurs rythmes que par les sonorités jouent un rôle important dans le déroulement de la cérémonie. Ces percussions appelées « batuque » signifient dans la langue brésilienne, « musique à percussion rythmique ». Dans ces moments d’extrême tension, elles invitent les initiés à rentrer en transe pour qu’ils s’identifient à la divinité.

— Cela ressemble à la religion Vaudou, non ?

— Un peu.

— Pour assister à la cérémonie faut-il porter des vêtements particuliers ?

— Du blanc ou du clair.

— Je devrais avoir ce qu’il faut. J’adhère à 100 %. C’est OK. Avant de se quitter tout à l’heure tu me donneras les renseignements pour notre rendez-vous de demain.

— Bien sûr ! Allez, il me faut battre le rappel, on repart !

III

Le candomblé, dimanche 20 janvier

En début d’après-midi, Raymundo attendait Pierre à la sortie du débarcadère de Mar Grande pour l’emmener à Baiacu, ce village de pêcheurs aux ressources sans cesse renouvelées offertes par le bras de mer qui sépare l’île du continent.

Au carrefour de Coroa, la vieille Coccinelle quitta la route principale pour emprunter à droite une route parsemée de nids de poule, d’innombrables ralentisseurs en béton ou en bois qui fusillent les amortisseurs et la direction si l’on n’y prend pas garde.

En haut d’une colline à la sortie d’un virage, Raymundo prit un chemin de terre sur la gauche, puis roula quelques dizaines de mètres pour stopper sa voiture en face d’un édifice surprenant. Figé au milieu d’un espace découvert, apparemment sans toit, enchevêtré dans une végétation intense, un amalgame d’arbres aux feuillages impressionnants le recouvrait entièrement. Pour le visiteur, l’endroit paraissait sinistre…

— Qu’est-ce que c’est ? demande Pierre :

— Voici un site peu connu des touristes. C’est une église abandonnée depuis des dizaines d’années. Elle est trop éloignée de Baiacu, seuls les habitants des petites propriétés des alentours y accèdent. Maintenant, avec la motorisation, les gens préfèrent aller à Baiacu. Le cimetière est encore entretenu. Et puis, la légende dit qu’elle a le mauvais œil. Viens la voir de plus près, on peut encore la visiter.

Raymundo coupa le contact et invita Pierre à le suivre. Ils se dirigèrent vers cette ruine envahie par la végétation.

Absorbé par ce spectacle insolite, voire dérangeant, Pierre buta sur une poterie émaillée de « Maragogipinho », un petit village sur le bord d’un rio qui fabrique diverses poteries artisanalement. Cette large coupe contenait les restes d’un animal dépecé. Certainement une chèvre. Des viscères en décomposition stagnaient dans une coque de noix de coco ouverte, entourée de quelques bouts de bois non consumés d’un feu allumé le soir pour une cérémonie au cours de laquelle avaient été faites ces offrandes. Accrochés au rebord, un haut de crâne planté de petites cornes, et une articulation complète de patte arrière ornaient cette coupe en terre. Les restes de cet animal sacrifié posés à même le sol offraient un festin de choix aux nuées d’insectes qui les recouvraient. Un peu plus loin, une bouteille à moitié vide d’un liquide transparent qui semblait être de la cachaça. Une parmi d’autres qui durent servir à chauffer les corps et exciter les esprits…

Le récipient heurté dégageait une odeur nauséabonde. Pierre recula vivement en grimaçant, ce qui provoqua l’hilarité de son compagnon.

— Bien heureux que tu n’aies pas mis le pied dedans… Il ne faut pas toucher aux offrandes faites aux divinités, surtout quand on ne sait pas à quelle Orixá elles étaient destinées.

— Tu y crois, toi, à ces histoires ?

— À moitié. Mais lorsqu’on assiste à un candomblé, il faut faire semblant d’y croire. Les organisateurs ne sont pas dupes, ils savent que la plupart des touristes qui assistent à la cérémonie ne viennent que pour le folklore.

Ils arrivèrent devant la façade principale des restes de cette église recouverte entièrement par le feuillage des arbres. Ils s’engagèrent dans un carré noir qui semblait être l’entrée. À l’intérieur, d’énormes racines grisâtres, semblables aux tentacules d’un monstre sorti de terre, envahissaient les pans de murs en briques décolorées par le temps. Elles emprisonnaient l’édifice dans cette végétation, qui, au fil du temps, réduisait en poussière cette ancienne maison de prières.

Cet intérieur impressionnant composé de trois nefs était enseveli dans ces entrailles végétales. Des statuettes placées dans de petites loges du mur principal incarnaient les divinités vénérées de la dernière cérémonie de candomblé.

L’endroit désolé dégageait une atmosphère malsaine.

Les couleurs dégradées du mur au fond de la nef centrale mariaient le rose délavé au brun sale, et de surcroît, noircies par la suie et moisies par le temps. Maculées par des feux de bois successifs sans doute allumés à l’occasion de circonstances diverses, elles l’intriguaient par ce qu’elles représentaient pour lui. Il demanda à son ami :

— Raymundo, vois-tu ce que je vois ? Là, au milieu du mur, ces couleurs brunes et noires ! Je distingue nettement des visages grimaçants semblables à des gisants… C’est étonnant, non ?

— De ce que tu me montres, je ne vois que des taches de couleurs différentes, rien de plus. Mon ami, ton imagination travaille trop en ce moment. Tu es encore sous le coup de l’émotion… puis il éclata de rire et continua :

— Ou peut-être, es-tu sous l’emprise d’une divinité que les madones ont célébrée lors du dernier Candomblé ici même ! Allez, viens on lève le camp.

Ils reprirent cette route pleine de trous, abandonnée par les ponts et chaussées depuis des lustres. Son tracé pratiquement rectiligne coupait au plus court les collines à franchir. Droit comme un I, peu importait le pourcentage de cette pente qui mettait à mal la plupart des moteurs. Pour aller à Baiacu, les travaux publics locaux ne se sont pas embarrassés à faire des virages !

Au dernier col avant de descendre sur le village, s’offrait au regard un spectacle grandiose.

Majestueux, le bras de mer bleu turquoise paressait entre l’île et le continent. Au-delà, on distinguait un relief verdoyant parsemé de petits villages. Le rivage de l’île était recouvert d’une mangrove enracinée sur les rives d’un petit rio qui traversait la plage de Baiacu.

Échouées, à marée basse sur un sol sablonneux et vaseux, de nombreuses pirogues, chacune taillée d’une seule pièce dans un tronc d’arbre, attendaient la marée montante pour emmener les pêcheurs au large, d’où, ils lanceront à coup sûr leurs éperviers dans une eau poissonneuse. Plus tard, à leur retour, lorsque la mer se sera retirée, du fond de ces grandes retenues d’eau appelées « apicon », ils relèveront leurs filets remplis de ces fameuses crevettes grises qui font la réputation du village depuis qu’il existe, les « camarões », vendues dans toute la région.

La descente aussi raide que la montée les amena sur l’avenue principale du village, pavée comme toutes les rues des villages brésiliens, vestige de l’occupation portugaise.

Sur les trottoirs, devant la plupart des cases construites en terre, renforcées par une armature de bois apparente, des hommes de tous âges, jeunes et enfants, semblaient désœuvrés. Les plus âgés bavardaient assis sur un banc ou sur un tabouret, un verre à la main. Les plus jeunes piaillaient et se bagarraient jusqu’à se rouler par terre. Des adolescents faisaient hurler les moteurs de leurs mobylettes relevées sur béquille. En roulant doucement tout au long du parcours, furtivement, ils apercevaient, par les portes et les fenêtres ouvertes, les femmes affairées aux tâches ménagères. Plus loin, d’autres accrochaient une lessive sur les clôtures de barbelés qui servaient d’étendage et délimitaient aussi chaque lot de terrain. Ce linge étendu ressemblait à une frise multicolore aux formes inégales. Se mélangeaient serviettes, draps, tee-shirts, petites culottes, soutiens-gorge de toutes tailles, pantalons et shorts, vêtements de travail. Ce spectacle donnait une note de gaieté à l’aspect de pauvreté et d’abandon qui se dégageait de ces petites maisons pourtant toutes habitées.

Par endroit, posés à même le sol, des sacs d’ordures ménagères, la plupart éventrés par les chiens errants, laissaient échapper leurs contenus qui jonchaient les trottoirs. Ce spectacle désolant donnait aux rues un aspect d’insalubrité notoire que l’on retrouve souvent dans les villages trop éloignés d’une agglomération pour bénéficier d’un ramassage régulier de déchets de toutes sortes.

D’emblée, on préjugeait d’un niveau de vie très précaire de la plupart des habitants du village.

Suivirent un nombre impressionnant de ralentisseurs si étroits que Raymundo devait les prendre à très bas régime pour ne pas exploser les amortisseurs de la Coccinelle sur cette rue pavée mal entretenue. Défoncée par des passages de tous gabarits, et détériorée par les pluies abondantes en toute saison, elle n’offrait aux usagers qu’une surface inégale jalonnée d’embûches.

La voiture stoppa en bordure de plage devant la dernière case du village. Un spectacle affligeant déconcerta Pierre lorsqu’il sortit du véhicule. Cette fois-ci, ce n’étaient pas les chiens qui éventraient les sacs en plastique contenant les ordures pour y trouver quelque nourriture, mais trois chevaux… Errants ? Peut-être pas.

Raymundo constata l’effet de surprise sur le visage de son invité, il lui dit :

— Ce spectacle est courant dans les villages. Les propriétaires de ces chevaux n’ont pas les moyens de les nourrir. Alors ils les abandonnent. Les mâles ne sont pas castrés, donc, leur nombre croît d’année en année ! D’ailleurs, dès que l’on s’éloigne des centres urbains il est fréquent d’en croiser sur les routes, et surtout sur les pistes. Avec le temps, ils deviennent pratiquement sauvages, et lorsqu’on roule de nuit la prudence est de rigueur.

Ils se dégourdirent les jambes en marchant sur la plage en direction des maisons de pêcheurs, ou plutôt des cabanes en treillis de bois.

— Puisqu’on a encore du temps avant la séance du Candomblé, approchons-nous du bord de la rive pour voir les pirogues typiques de la région. Fais attention où tu marches, le sol est vaseux. Tiens, on arrive juste pour le partage de la pêche. Les femmes portent sur la tête des cuvettes émaillées qu’elles ramèneront pleines de poissons. Je pense que les pêcheurs ont ramené de la sardine cet après-midi. Ici, deux sortes de pêche font vivre le village, la crevette et la sardine. En repartant, on passera entre les cabanes qui sont derrière nous pour voir les séchoirs recouverts de sardines.

En effet, des centaines de sardines embrochées sur des tiges de bois par paquet de dix s’étalaient sur plusieurs séchoirs à étages.

— Une fois prêtes à la consommation, elles sont vendues sur tous les marchés des alentours. Fraîches, les plus petites sont préparées par les femmes qui les conditionnent par paquets de douze puis elles les congèlent comme les crevettes. Ensuite, à dos d’homme, elles sont transportées dans des glacières et vendues chez les particuliers ou dans la rue à la sauvette.

Pierre, qui s’épongeait le front une fois de plus, proposa de faire une pause pour boire un coup dans une « lanchonete ».

Ils traversèrent une ruelle encombrée de détritus, un passage obligé pour rejoindre la grande rue commerçante, la plus animée du village. Ils arrivèrent devant une boutique où un gros bahianais se tenait sur le pas de porte. En les voyant hésiter, il s’empressa de leur proposer de les installer près d’un ventilateur qui diffusait un courant d’air bienfaiteur. Pour l’aubergiste, une aubaine, servir deux étrangers de passage dans le village, dont un « gringo ». Un peu d’affabilité ne nuit pas pour engranger quelques dizaines de