Impasses - Gregory Halin - E-Book

Impasses E-Book

Gregory Halin

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  • Herausgeber: Publishroom
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2023
Beschreibung

Mars 2024. Aussi complexée par son physique, qu’efficace dans son activité professionnelle, la commandante Leïla Fischer va tenter de résoudre une enquête difficile. Joshua Mayden, le basketteur américain star des Eiffel Towers de Paris, est retrouvé mort dans l’Europ’Arena, un complexe ultra moderne qui va accueillir la compétition de basket aux Jeux olympiques organisés dans la capitale française.
Meurtre ? Accident ? Règlement de compte ?
Qui pourrait en vouloir à Mayden ?
Castaneda, le kiné, unanimement reconnu pour son savoir-faire ? Reiners, le joueur letton, en concurrence avec l’Américain sur le même poste de jeu ? Larigaudry, qui sait que ses jours en tant que manager général sont comptés ? Arseniev, l’agent de joueur influent au passé trouble ? Szabo, l’assistante vidéo et femme de caractère ? Vujovic, le préparateur physique, dont la petite amie célèbre est un peu trop convoitée ? À moins que ce ne soit Falken, l’ami intime…
Aidée du capitaine Tristan Vascarell, Fischer, pourtant allergique au sport, devra faire fonctionner son sens de l’observation et sa capacité de déduction, dans un Cluedo grandeur nature où les personnages ont plus de choses à cacher qu’il n’y paraît…

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GREGORY HALIN

Impasses

1. Prologue

Mercredi 13 septembre 2017, 18 h 30 heure deParis

Charlène Michel était excitée, mais fébrile à l’idée de vivre un moment historique. Envoyée spéciale pour une grande chaîne d’information en continu, elle était chargée de couvrir la cérémonie de désignation des Jeux olympiques 2024. L’ancienne judoka, multiple médaillée aux Jeux de 2008 et de 2012, attendait ce moment depuis des années. Elle s’était battue bec et ongles pour obtenir l’honneur et le privilège d’être LA voix de la chaîne sur cet événement unique. Tous les coups étaient permis entre confrères ; même avec ceux et celles avec qui elle semblait bien s’entendre. Heureusement, son professionnalisme et son opiniâtreté avaient fini par convaincre sa hiérarchie qu’elle était la personne idoine pour rejoindre Lima, la capitale péruvienne, ville hôte de la cérémonie de désignation.

Dans quelques minutes, le verdict tomberait, avec un soulagement énorme pour tous ceux qui avaient œuvré pour que la Ville lumière obtienne le Graal, cent ans après les derniers Jeux d’été.

A priori, il n’y aurait pas de mauvaise surprise comme en 2012, quand les Français avaient naïvement cru que les Anglais, pourtant outsiders, allaient rester les bras croisés et jouer fair-play. Certains membres du CIO avaient curieusement changé d’avis au moment de voter. Leur index, mu par une force invisible puissante, avait dû malencontreusement riper pour atterrir sur Londres.

Cette fois-ci, c’était la bonne. Los Angeles, qui avait accepté d’attendre 2028, devait très certainement avoir de trè$ bonne$ raison$ de repousser l’échéance.

Charlène vit l’estrade s’agiter. On y était. Le président du CIO, Thomas Bach, monta sur la scène avec les représentants des deux villes qui sortiraient vainqueurs de cette course d’obstacles aux multiples rebondissements. Il scruta l’auditoire, s’approcha du micro, le tapota trois fois tel un Brigadier martelant le sol avant une pièce de théâtre, avant de prononcer le discours le plus attendu de l’année. Bach dissimulait à peine sa satisfaction d’avoir pu obtenir un accord entre les parties.

–À l’unanimité, les membres du CIO ont décidé de choisir Paris comme ville hôte des Jeux olympiques 2024, et Los Angeles pour 2028. Cette décision exceptionnelle est le résultat de deux magnifiques candidatures. Les projets présentés par les deux villes sont d’une qualité remarquable. Au nom du CIO, je félicite les vainqueurs et j’invite toutes les personnes ici présentes à en faire demême.

Applaudissements et cris dans la salle.

–Attention Charlène, direct dans 10 secondes, 9, 8,7…

La jeune femme réajusta son oreillette, positionna son micro, et passa furtivement sa main dans ses cheveux noirs. Ses yeux brillaient. Elle jubilait. Elle aurait embrassé n’importe qui. Même le caméraman bedonnant qui lui collait aux basques toute la journée !

–Top antenne !

2. Rêves et réalités

Jeudi 14 mars 2024, 0 h11

Ivan Castaneda est allongé sur le dos. Sa compagne siffle. Une fois, deux fois, trois fois… Elle n’arrive toujours pas à s’habituer aux ronflements sourds de son « nounours », comme elle l’appelle. A priori, cela ne dérangeait pas son ex-femme.

Mais elle n’est pas son ex-femme. Elle est une ex-patiente tombée amoureuse de sonkiné.

Elle est sidérée de voir que rien ne le perturbe. Quand elle lui demande au petit matin s’il se souvient de ses rêves, il répond toujours qu’il n’en a aucune idée. Elle lui rétorque que tout le monde rêve. Il la regarde avec un grand sourire et lui rappelle qu’il n’est pas « tout le monde », et que c’est pour ça qu’elle est aveclui.

Pasfaux.

Jeudi 14 mars 2024, 0 h38

Corey Falken se couche souvent très tard. Cela ne lui pose aucun problème. Les entraînements ne démarrent pas avant 11 heures ou midi. Le rythme de la saison, avec deux ou trois matches par semaine, est soutenu. Mais ce n’est rien par rapport à l’époque où il évoluait en NBA. De toute façon, son hygiène de vie est irréprochable. Il ne boit pas d’alcool et veille à ce que ses repas soient équilibrés. Il se les fait livrer dans la suite qu’il occupe dans un grand hôtel parisien.

L’Américain organise une fois par semaine une partie de poker avec des amis triés sur le volet. De grosses sommes d’argent sont en jeu. Par question de jouer petitbras.

Il a fait venir pour l’occasion un croupier qu’il paye généreusement.

Ça va saigner !

Jeudi 14 mars 2024, 0 h44

Mikelis Reiners regarde sur sa tablette Master Of Puppets, la nouvelle série culte. C’est l’histoire d’un étudiant brillant en chimie qui a réussi à synthétiser une drogue de nouvelle génération. En la faisant ingérer à quelqu’un à son insu, elle permet de prendre le contrôle de son esprit et de lui faire faire des choses impensables, comme un hypnotiseur et son sujet. Sauf que là, la victime est parfaitement consciente et qu’elle n’a aucune idée des raisons qui la poussent à agir de la sorte.

D’habitude, il est absorbé par l’histoire et ne voit pas passer le temps. Là, il ne regarde qu’à moitié. Il consulte frénétiquement son smartphone : sa petite amie fait la fête à l’autre bout de l’Europe et lui poste des photos. Voir ses amis — les vrais —, décompresser, picoler, ça lui manque terriblement. Un joueur de haut niveau doit malheureusement faire des sacrifices pour réussir.

Finalement, il éteint son portable et se replonge dans sa série.

Jeudi 14 mars 2024, 1 h03

Svetlana Abramova est dans son lit. Elle se frotte les yeux et fixe la couverture du polar qu’elle vient de terminer. Une fois de plus, elle est déçue par la fin, prévisible et sans imagination. La réalité dépasse souvent la fiction. Les courses poursuites de plusieurs pages dans un bouquin, c’est comme regarder les 24 heures du Mans avec son mec : c’est chiant.

Elle se tourne vers Zarko Vujovic. C’est le préparateur physique vedette des Towers de Paris, l’équipe de basket de la capitale. Elle le scrute comme si elle le voyait pour la première fois. Il s’endort toujours en quelques secondes et ça l’énerve.

Finalement, elle jette un œil à son portable s’assure que son compagnon est endormi, éteint la lumière et s’enroule dans la couette. Le dos tourné.

Jeudi 14 mars 2024, 2 h 21

Leïla Fischer descend un escalier en colimaçon. Ses pas résonnent sur le métal froid. Elle se retrouve dans une cave en pierre faiblement éclairée par des chandelles. Un grand lit avec un drap bleu se trouve au centre de la pièce. Quatre hommes sont positionnés à chaque coin. Elle n’arrive pas à distinguer leurs visages ni leurs corps. Ils l’observent en silence. Elle est nue. Elle masque son sexe d’une main tandis qu’elle tente de cacher ses petits seins de l’autre.

Elle a peur. Mais une pulsion irrésistible l’incite à se diriger vers lelit.

Elle s’allonge et ferme lesyeux.

Bientôt, elle sent les mains qui la caressent, qui parcourent son corps. L’odeur de la cire chaude et le contact de la peau lui procurent une sensation agréable, quasi érotique. Elle aimerait que cela ne s’arrête jamais…

Elle ouvre les yeux et regarde le plafond.

Elle est en sueur.

Elle est seule dans sa chambre.

Jeudi 14 mars 2024, 3 h33

Tristan Vascarell porte sa chope de bière à ses lèvres et ferme les yeux quelques instants : il apprécie la fraîcheur de son breuvage préféré. Le salon VIP niché tout en haut du stade, avec son buffet digne d’un restaurant étoilé, surplombe le magnifique terrain de rugby. C’est l’endroit rêvé pour profiter du spectacle : tous les spectateurs habillés en rouge et noir chantent à tue-tête l’hymne duclub.

Un jeune joueur qu’il connaît très bien s’élance avec le ballon sous le bras ; il se dirige vers l’en-but. Mais il y a quelque chose qui cloche : la zone d’essai s’est transformée en ravin. Une crevasse gigantesque et profonde. Le porteur de balle, inconscient du danger qui le guette, continue sa chevauchée fantastique. Tristan essaie de le prévenir : il hurle, tape sur la vitre. Aucun son ne s’échappe de sa bouche.

Il ne parviendra pas à empêcher le drame.

Il a la sensation de ne plus pouvoir respirer.

Il se redresse brutalement et pousse un cri. Son cœur bat la chamade.

Ces cauchemars l’épuisent.

Jeudi 14 mars 2024, 3 h41

Nikita Arseniev dort peu. Cet agent de joueur réputé dans le milieu du basket dépasse rarement les quatre heures de sommeil. Il travaille surtout en Europe, mais il a quelques clients aux États-Unis et au Japon. Depuis quelque temps, il a diversifié son portefeuille avec des rugbymen et des hockeyeurs.

C’est assez rare qu’il se réveille ainsi pendant son sommeil. Mais il n’en a cure. Son précédent métier lui avait appris une technique très utile : s’endormir sur commande.

Comme les marins. Ou les militaires.

Il s’allonge sur le dos, et démarre le protocole qu’il maîtrise parfaitement.

Il commence par relâcher les muscles de son visage, de sa langue, de ses joues et de ses yeux. Il détend son cou, ses épaules, relâche ses bras positionnés le long de son corps, l’un après l’autre. Il fait de même avec ses membres inférieurs. Ensuite, il respire calmement en pensant à une image paisible ; pour lui, c’est le bruit de la pluie qui résonne sur une véranda tandis qu’il est tranquillement allongé dans un fauteuil, avec une vue imprenable sur une immense forêt.

Ses yeux se ferment doucement.

Jeudi 14 mars 2024, 4 h02

Antoine Larigaudry se trouve à quelques dizaines de mètres de l’Aréna, construite comme un cube en verre. Il aperçoit à l’intérieur les deux équipes qui se rendent coup pour coup dans un match à haute tension. La salle est pleine à craquer. Son équipe va remporter le titre. Il en est certain.

Il se fraye un chemin parmi les fans qui tentent de pénétrer dans l’enceinte. Un Chinois vêtu d’un costume noir, comme monsieur Smith dans Matrix, lui barre la route. Les autres ont le droit d’entrer, pas lui. Il explique qu’il est le manager général des Towers. Le Chinois ne veut rien entendre. Il contourne le gigantesque cube en verre et se présente devant une autre entrée. Un autre Chinois le toise méchamment et lui fait signe de faire demi-tour.

Il essaie de passer par le parking. Encore un Chinois.

L’entrée des VIP ? Toujours un Chinois.

Il s’énerve et hurle à l’injustice ! Il doit entrer ! C’est son équipe !

Personne ne l’entend.

Il se réveille, énervé, et tente de se rendormir.

Jeudi 14 mars 2024, 6 h15

Ses collègues la comparent parfois à un vampire. Non pas parce qu’elle sirote des cocktails à base de sang ou parce qu’elle s’habille en noir, mais parce qu’elle passe beaucoup de temps dans sa « caverne », la salle audiovisuelle suréquipée de l’Europ’Arena. Responsable vidéo des Towers, Monika Szabo dort peu et ne compte pas ses heures. Cela ne l’empêche pas de pratiquer chez elle, tous les matins à six heures quinze précises, des postures de yoga qui l’aident à se détendre et à garder son corps tonique. Elle commence par la posture du chat, pour s’étirer le dos, enchaîne sur la salutation au soleil, un exercice complet qui sollicite toutes les parties de son corps, puis adopte la position du triangle, qui rappelle les mouvements d’une danseuse en pleine extension. Pour terminer, elle tient en équilibre sur un pied, positionne l’autre à l’intérieur de son genou et forme une pointe de triangle au-dessus de sa tête avec les bras. C’est la position de l’arbre.

Après quelques minutes de méditation, elle est apte à attaquer ses longues journées devant ses écrans d’ordinateur.

3. Service à suivre

Jeudi 14 mars 2024, 6 h25

Simon est étudiant en psychologie à l’université de Paris VI. Il a mal au crâne. Il a fait la fête toute la nuit. Il attache son vélo et se présente devant une porte vitrée épaisse située à l’arrière de l’Europ’Arena, la nouvelle salle de sport ultra moderne de l’équipe de basketball Eiffel Towers de Paris. Depuis 2021, l’Europe possède sa propre ligue professionnelle avec l’EBA, l’European Basketball Association, sur le modèle de sa puissante consœur américaine, la NBA. Les Towers sont l’une des douze franchises engagées dans cette compétition.

Fan de basket, Simon avait pratiqué lorsqu’il était adolescent, jusqu’à ce qu’il se rende (vite) compte que son avenir était ailleurs. Il avait néanmoins poursuivi son rêve par procuration à travers la NBA, puis maintenant l’EBA. Certains de ses amis étaient fans de foot. Lui, c’était les Towers ! Il n’aurait manqué les matches pour rien au monde même si son abonnement lui coutait cher et qu’il dépensait beaucoup (trop) d’argent dans les maillots et les produits dérivés. Dès la parution de l’annonce, il avait lourdement insisté auprès de son agence d’intérim pour obtenir le poste d’agent de nettoyage à l’Europ’Arena. Sans succès.

Heureusement, la personne initialement recrutée n’avait pas fait l’affaire. Devant son extrême motivation, son conseiller lui avait finalement proposé la place. Le deal était simple : nettoyer tout le rez-de-chaussée de l’Aréna, le lundi matin et le jeudi matin de 6 h 30 à 9 h 30, ainsi que les tribunes du dernier étage de la salle de basket — un anneau de 3000 places — le mardi soir et le vendredi soir. L’avantage était double : accéder aux vestiaires des stars et avoir le privilège de les apercevoir à l’entraînement. Le pied !!! Le salaire en lui-même n’était pas mirobolant, mais pour un étudiant en quête d’argent de poche, c’était suffisant et l’essentiel était ailleurs : il avait accès au Saint des Saints. Il faisait partie du système !

Simon tourna son visage vers la scancam, une caméra faisant également office de scanner rétinien et de reconnaissance faciale. Il entra dans un sas et franchit les deux portes coulissantes en verre opaque. C’était l’entrée des artistes. Seuls les joueurs ou les personnes autorisées pouvaient passer par là. L’immense parking souterrain était l’autre endroit digne d’être visité. La seule et unique fois où il avait réussi à pénétrer ce sanctuaire, c’était un jour d’entraînement, grâce à l’un des agents de permanence avec qui il entretenait d’excellentes relations, son fils étant lui aussi fan de basket. Et là, c’était champagne, petits fours et foie gras : Porsche, Ferrari, Maserati, 4x4 dernier cri, un vrai catalogue de luxe. Avec son vélo Décathlon, on ne pouvait pas dire qu’il jouait dans la mêmecour…

L’étudiant longea le couloir tapissé de portraits et de photos des anciens joueurs passés par l’équipe parisienne. Il s’attarda quelques instants et regarda ces visages qui n’avaient aucun secret pour lui : il les avait tous vus jouer à de multiples reprises. Simon continua son chemin et passa les deux portes battantes à sens unique, puis s’engouffra dans un petit corridor qui débouchait sur un hall d’accueil. Il leva la tête, sourit à la caméra fixée au plafond et entra dans le grand bureau vitré de l’agent de permanence.

–Salut Paul ! Le bocal se porte bien ?

C’était le surnom donné au PC sécurité.

–Comme d’hab… Ça va ? T’es un peu pâle ce matin. Toi, t’as fait lafête…

L’étudiant haussa les épaules et posa son index sur la bouche.

–Chut !

Malgré la douche et les vêtements propres, ses yeux rougis et son haleine le trahissaient.

L’agent serra la main de l’étudiant avec sa poigne habituelle.

–T’inquiète. Je sais ce que c’est d’être jeune, glissa ce dernier, à voix basse, clin d’œil à l’appui. Allez, au boulot, soldat !

Simon tourna les talons et s’enfonça dans les coursives de l’Europ’Arena en fulminant.

Merde, j’ai oublié mes Doliprane.

4. Un remède radical

Jeudi 14 mars 2024, 6 h38

Simon fixa la petite scancam et accéda au local technique, une pièce austère aux murs en béton, située dans un espace immense où les employés de l’Europ’Arena rangeaient le matériel et tout l’outillage nécessaire au bon fonctionnement du complexe. Surnommé Monsieur Propre, il faisait régulièrement l’objet de sarcasmes de la part de son colocataire qui arrondissait ses fins de mois chez Burger King. Sa réponse était immuable : déjà, il ne sentait pas la graille, et lui au moins pouvait côtoyer, sentir, humer l’air d’un lieu dédié au sport de haut niveau et apercevoir des athlètes d’exception. Ce qui n’était pas donné à tout le monde. Il aurait rêvé d’appartenir à ce monde de stars. Malheureusement, il avait autant de chances d’y parvenir qu’un plombier nain népalais de revendiquer le titre de champion olympique du 100 mètres nage libre…

Le jeune homme enfila sa combinaison et ses gants en latex, puis démarra la grosse machine à laver les sols, une autolaveuse Faimax CT45 BT50 autotractée avec réservoir de 45 litres. C’était moins fun que de piloter la Porsche 911 Carrera 4S Cabriolet de 450 chevaux de Josh Mayden, un joueur des Towers, maisbon…

Il procédait toujours de la même manière : d’abord le gigantesque couloir ovale qui faisait le tour de l’Europ’Arena, puis les vestiaires, les toilettes et les tribunes. D’habitude, les couloirs déserts lui procuraient un sentiment de quiétude absolue ; mais là, le bruit de la machine lui vrillait les tympans.

Plus jamais ça. Plus jamais il n’arriverait au travail dans cet état lamentable. En cours, c’était gérable ; il pouvait somnoler, faire semblant de suivre les exposés soporifiques des professeurs, et rêvasser (il possédait une grande expérience dans ce domaine). Ici, il ne pouvait pas se cacher et devait éviter de se faire trop remarquer s’il voulait continuer à arpenter les coulisses de l’exploit. Pour une fois, la fonction autotractée de l’engin lui rendait bien service.

Après avoir nettoyé les couloirs, Simon poussa la porte des toilettes. Son estomac ne fit qu’un tour. Il s’arrêta net, fixa le sol, les yeux exorbités.

–Putain, c’est quoi ce bordel ! lâcha l’étudiant, incrédule.

Un corps gisait là, sur le ventre, dans une mare de sang séché.

Simon reconnut immédiatement l’homme étendu par terre. C’était le propriétaire de la Porsche 911 Carrera, l’américain Joshua Mayden. Le meilleur joueur des Towers. Le jeune homme cligna des yeux nerveusement, passa frénétiquement sa main dans ses cheveux. Il s’approcha de quelques mètres et se figea à nouveau, comme hypnotisé par la mise en scène macabre. Mayden n’avait pas l’air en forme. Sa posture était curieuse : allongé sur le côté, comme un pantin désarticulé. La partie arrière de son crâne était enfoncée. Son visage, tâché de sang, avait le teint cireux.

L’esprit de Simon, jusque-là en mode éco, fonctionnait maintenant à toute vitesse. Un shoot d’adrénalineXXL.

Que s’était-il donc passé ici ? Allait-on l’accuser ? Pourquoi cela tombait-il sur lui ? Sa vie allait-elle basculer ?

Je n’ai rien à me reprocher. Ne touche à rien. Barre-toi !

Il fit demi-tour, contourna la machine qui ronronnait encore et sprinta dans le couloir.

Merde de merde. C’est ma journée. J’aurais mieux fait de bosser chezMcDo…

–Paul ! Putain, Paul, viens voir ! Appelle la police ! hurla Simon, en entrant en trombe dans le PC sécurité, à bout de souffle, sous le regard inquiet de l’agent de permanence.

–Eh, calme-toi ! Qu’est-ce qui t’arrive ? tempéra ce dernier.

–Viens je te dis, c’est Mayden ! Il, il, il est… Ilest…

–Il est quoi, bon sang ?

–Il est mort ! Viens voir !

Le jeune homme tourna les talons et fit le trajet inverse, paniqué, suivi péniblement par l’agent. Il s’arrêta une fraction de seconde devant la porte des toilettes, comme pour prendre la mesure de ce qui l’attendait, puis ouvrit celle-ci.

–Regarde, Paul ! C’est Mayden, il est mort !

L’agent de sécurité s’aventura de quelques mètres à l’intérieur de la pièce. Il s’approcha du corps inanimé, tâta le pouls en évitant de marcher dans la flaque de sang séché, et se tourna vers l’étudiant. Son sang-froid surprit Simon.

–On ne touche à rien et on appelle la police immédiatement. Viens.

Les deux hommes retournèrent dans le PC sécurité. L’agent composa les numéros d’urgence.

–Tu crois qu’il s’est fait assassiner ?

–On ne sort plus de cette pièce, insista Paul, faisant mine de ne pas avoir entendu. La police et les secours arrivent. On attend.

–J’y suis pour rien. J’te jure, Paul !

–Je sais, je sais, Simon, ne t’inquiètepas.

L’agent prit le jeune homme par les épaules et l’incita à s’asseoir.

–Pose tes fesses ici. Tu n’as touché à rien, t’essûr ?

–Évidemment !

–Parfait. Je pense que ta jauge d’alcool a dû nettement diminuer depuis quelques minutes…

–Comment tu peux plaisanter alors qu’il y a un mec mort à cinquante mètres d’ici !

–Cela ne le ramènera sûrement pas parmi nous. Il semble bienmort.

–T’es médecin ?

–J’ai quelques notions de secourisme et il n’a plus de pouls... Tu sais, j’ai eu une vie avant de croupir dans ce bocal. Je te raconterai peut-être unjour…

Quinze minutes s’écoulèrent avant l’arrivée des secours. Elles furent les plus longues de la vie de Simon.

5. Un jeudinoir

Jeudi 14 mars 2024, 8 h32

–T’en as pas marre de boire des infusions toute la journée ?

–Une infusion est une technique parmi d’autres pour préparer une tisane, qui est le terme générique à utiliser pour définir ce que tu suggères.

–Putaing, madame en connaît un rayon !

Leïla Fischer s’était toujours demandé si son collègue accepterait un jour de faire un effort pour adoucir son accent toulousain à couper au couteau.

–On dit « putain », pas « putaing ». Et arrête de dire tout le temps « putain ». C’est vulgaire ! Sache aussi que je préfère boire des tisanes plutôt que grignoter des tic tac toute la journée.

Le capitaine Tristan Vascarell fixa sa collègue, sortit de sa poche une boîte pleine, saisit délicatement un bonbon avant de le déposer dans sa bouche, en émettant un grognement de satisfaction qui fit sourire la policière. Il posa les coudes sur son bureau, joignit les mains et regarda le plafond comme s’il préparait son discours depuis des années.

–Leïla, tu ne t’es jamais posé la question ? Et si mon accent devenait la norme dans un avenir proche ? Peut-être que tout le monde parlera comme moi dans vingt ans ! Tous les Parisiens !

Vascarell laissa apparaître ses dents blanches et un sourire à faire pâlir un dentiste. Ce Toulousain pure souche prenait toujours un malin plaisir à mettre en valeur son phrasé chantant.

–Arrête de raconter n’importe quoi, répondit la cheffe de groupe, en humant du bout des lèvres sa tisane bouillante. Dis-moi plutôt où on en est sur l’affaire Sarzinski.

Le policier ouvrit le capot de son Tiptop S 13’’, le nouvel ordinateur portable en vogue, qui avait supplanté les MacBook, devenus quasi obsolètes. Orph@n, une start-up française, avait réussi ce qui paraissait encore impensable trois ans auparavant : détrôner la mythique marque à la pomme. Son concept, produire des portables élaborés à partir de matériaux recyclables, dénués à 95% de métaux polluants, avait fait fureur dans le monde entier. Associant une ergonomie et une puissance dignes des meilleurs ordinateurs sur le marché, la start-up avait misé sur un look avant-gardiste que n’aurait pas renié feu Steve Jobs. Toute la police était équipée du modèle standard « S », déjà largement suffisant pour la majorité des besoins.

–Je t’envoie le rapport des dernières écoutes,et…

Vascarell fut interrompu par la sonnerie polyphonique du téléphone de bureau. Leïla fit signe à son collègue de se taire, en voyant le numéro qui s’affichait.

–C’est « la Daronne », chuchota-t-elle, en couvrant le combiné de samain.

C’était le surnom donné à la commissaire divisionnaire de la brigade criminelle. Depuis 2017, la Direction régionale de la Police judiciaire, l’ex 36 quai des Orfèvres, avait été transférée rue du Bastion. Habituellement, les policiers parlaient plutôt du taulier pour parler de leur chef. Mais Fatou Dia imposait suffisamment le respect pour que tout le monde la surnomme la Daronne. Une femme noire arrivée à ce niveau de responsabilités ne pouvait traduire qu’un mental et une efficacité à toute épreuve. Son côté franc et direct pouvait parfois décontenancer, voire blesser, mais au moins, on savait à quoi s’en tenir. Le sobriquet avait été donné par un jeune voyou interpellé lors d’une opération à laquelle la commissaire avait participé. Les policiers de la Crim’ l’avaient repris à leur compte. Dia savait qu’on la surnommait ainsi, mais elle n’en avaitcure.

Leïla écouta placidement sa patronne avant de raccrocher en soupirant.

–Ça a l’air sérieux, dit Vascarell.

Sa partenaire opina.

Les policiers se levèrent, quittèrent le bureau au style moderne et sans âme. Le côté fonctionnel du nouveau QG de la police parisienne ne soulevait pas beaucoup d’enthousiasme ; excentré au nord de la capitale à quelques encablures du périphérique nord, le site ne faisait pas rêver. Leïla ne comprenait pas pourquoi les architectes et les designers s’évertuaient à mettre du verre partout ; bureau, table basse, grandes baies vitrées… Comme si la transparence était une valeur qui rassurait les gens, et qu’elle devait s’incarner jusque dans les moindres détails. Heureusement, les meubles marron donnaient une touche de chaleur bienvenue dans ce décorum futuriste.

La porte du bureau était ouverte. Les deux flics entrèrent dans la grande pièce lumineuse jonchée de plantes. Le mobilier était sobre et les murs vides, comme si son occupant n’était que de passage. Quelques cadres photo apparaissaient çà et là : Fatou Dia avec le ministre, Fatou Dia récompensée, Fatou Dia avec le chef de la police, le tout disposé de manière géométrique. L’espace entre les différents éléments semblait avoir été calculé au millimètre près. Certains visiteurs y voyaient un côté méthodique, ordonné, tandis que d’autres penchaient plutôt pour une aversion pathologique au désordre. Dotée d’un égo à rendre jalouse une star du foot, mariée à un général de l’armée de l’Air, la Daronne incarnait la rigueur et la discipline, même si elle savait également faire preuve de souplesse lorsque cela s’avérait nécessaire. Ses états de service brillants ne manquaient pas d’agacer beaucoup d’hommes.

Assise derrière son grand bureau, la commissaire Dia leur fit signe d’entrer. Elle portait un tailleur noir impeccable, d’énormes boucles d’oreilles rondes et de grosses lunettes fumées. Ses cheveux rasés et son physique corpulent contribuaient à sa réputation de dame defer.

Le regard perçant de la commissaire s’arrêta quelques instants sur ses collaborateurs.

–Asseyez-vous, dit-elle avec sa voix rauque, chargée de tabac.

C’était son seul vice connu.

–J’ai eu un coup de fil du procureur. Nous avons une nouvelle affaire sur les bras. Un joueur de l’équipe de basket des Paris Eiffel Towers a été retrouvé mort ce matin dans les toilettes de l’Europ’Arena. Il veut que nous reprenions le dossier. C’est déjà remonté à l’Élysée. Quand on connaît la passion de notre présidente pour ce sport, et la proximité qu’elle entretient avec les dirigeants des Towers, ce n’est pas surprenant que cette affaire soit déjà sur le dessus de lapile.

–La séparation des pouvoirs est un concept à géométrie variable, nota Leïla, avec sa franchise habituelle.

–Je vous ne le fais pas dire, Fischer. En d’autres termes, nous avons la pression. Donc vous aussi. Allez là-bas. L’Identité judiciaire est déjà sur place. Surtout, je ne veux aucune fuite dans la presse ou les réseaux sociaux tant que le communiqué officiel de la franchise n’est pas publié. Informez le capitaine Lourron, de la com’, qui ne manquera pas d’être bientôt harcelé par les journalistes. Capito ?

–Et le dossier Sarzinski ?

Le meurtre d’un homme d’affaires russe aux activités douteuses leur avait demandé beaucoup de travail.

–C’est également prioritaire, mais vous allez vous débrouiller avec le groupe du commandant Godard, n’est-cepas ?

Dia posa les coudes sur son bureau et esquissa un sourire. La rivalité entre les deux groupes était de notoriété publique dans le service.

Leïla fixa sa supérieure quelques secondes, hocha la tête lentement et finit par lâcher :

–Jevois.

–Sachez que vos petites guéguerres internes n’intéressent personne, lança la Daronne, sans filtre. Néanmoins, je sais que je peux compter sur vous. Il faut des résultats. Et vite. Je suis consciente que cela fait beaucoup de travail à assumer depuis que Darsival a été mutée. Alors, appuyez-vous sur le groupe Godard qui fera très bien le boulot. À vous de leur faciliter la tâche.

D’un geste, la patronne signifia la fin de l’entrevue.

Les deux flics quittèrent son bureau, aussi excités par cette nouvelle affaire, que réticents à l’idée de partager des informations avec le groupe Godard, compte tenu du travail colossal déjà effectué et des relations tendues entre les deux groupes.

Vascarell entra le dernier dans le bureau et claqua la porte.

–Putain, on ne va pas leur offrir sur un plateau l’affaire Sarzinski, quand même !

–Écoute Tristan, le côté positif, c’est qu’elle nous fait confiance. Elle doit avoir la pression et elle nous a choisis pour cette enquête. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Pour le dossier Sarzinski, on leur filera dans un premier temps les procédures.

Vascarell secoua la tête, posa les pieds sur son bureau et croisa les bras en regardant par la fenêtre.

Leur personnalité complémentaire était la clé de leur efficacité professionnelle. Leïla était calme et réfléchie. Elle analysait les situations avec une froide efficacité. Comme la Daronne, elle avait grimpé les échelons un à un avec ténacité, jusqu’à obtenir le commandement d’un groupe de la Crim’. Son histoire personnelle n’avait pourtant pas été simple. Fille d’un médecin alsacien et d’une mère algérienne institutrice, on la traitait tantôt comme une fille de riche, tantôt comme une fille d’immigrée. De plus, elle avait hérité de son père, un géant de deux mètres, une taille disproportionnée par rapport au commun des mortels. Dépassant d’une tête ses camarades de classe, elle était constamment l’objet de quolibets durant son enfance. Plus tard, son adolescence mouvementée l’avait incitée à rester quasiment un an chez elle, refusant de se rendre au collège. Cette agoraphobie n’avait heureusement pas perduré, grâce à la bienveillance de sa famille et au suivi psychologique dont elle avait pu bénéficier. Le côté positif, c’est qu’elle avait développé une capacité de travail phénoménale pour rattraper son retard scolaire.

Avec son visage fin, ses yeux noirs chaussés de grandes lunettes, ses cheveux bruns frisés, elle n’était ni jolie ni laide. Ni charmante ni repoussante. Ni sexy, ni tue-l’amour. Ni frigide ni nymphomane. Banal était le seul qualificatif qui venait à l’esprit quand on devait la définir. Cotée cinq sur dix sur l’échelle de la trivialité. Pourtant, avec son mètre quatre-vingt-treize, on la prenait pour une sportive accomplie. Erreur ! Elle détestait le sport. Complexée par sa maigreur et son absence de formes, Leïla préférait investir toute son énergie à résoudre des énigmes sur son petit carnet ou torturer le clavier de son ordinateur. Porter une quelconque attention à sa garde-robe et s’intéresser au genre masculin ne figuraient pas parmi ses priorités. Ses aventures sans lendemain ne lui ayant rapporté aucune perspective intéressante, elle n’éprouvait nullement le besoin de gaspiller son temps à chercher un éventuel prétendant.

Leïla devait bien reconnaître qu’elle appréciait son partenaire, le capitaine Tristan Vascarell, issu d’une famille de rugbymen connue de la région toulousaine. Plus jeune de quelques années, il avait un tempérament bien trempé, l’accent acéré et le coup de poing facile, ce qui lui avait valu de sérieux problèmes dans son ancienne affectation. Il avait dû quitter sa région natale, contraint et forcé, suite à une vive altercation avec un ancien collègue. Heureusement, ses compétences de flic lui avaient permis d’atterrir à la PJ parisienne, avec quelques appuis bien placés. Il impressionnait toujours les personnes qui le croisaient la première fois, avec ses cheveux noirs ébouriffés, sa barbe mal rasée et son physique de première ligne. Ses jeans, ses tee-shirts moulants mettaient en valeur sa musculature, tandis que ses sweat-shirts à capuche représentaient son unique arsenal vestimentaire. Son goût pour la bonne bière et la gent féminine faisaient également partie du personnage, ce qui agaçait Leïla. L’extraversion de l’ex-première ligne lui procurait néanmoins une bouffée de fraîcheur dans un métier où il était facile de sombrer dans une humeur morose. Il acceptait également sans problème d’être commandé par une femme, ce dont elle doutait au début de leur association professionnelle.

–Ça nous changera de parler de basket, plutôt que de ces pleureuses de footeux, fit Vascarell, sans cacher son mépris pour ce sport. T’aurais peut-être été une bonne joueuse avec ta taille et ton envergure…

Leïla resta stoïque, habituée aux sempiternels clichés du style : « il fait beau là-haut ? », « vous avez dû manger beaucoup de soupe étant petite ! », « vous jouez au basket ? ». Le sport n’était pas son truc. Point.

La policière récupéra les clés de la 310 électrique, puis remisa dans la poche intérieure de son manteau son portable et son carnet qui ne la quittait jamais.

–Je ne connais pas grand-chose au basket, mais au moins, on ne se caille pas l’hiver.

–Petit nature…

Leïla haussa les épaules.

–Allez, on y va. Pour le dossier Sarzinski, on verra ça plustard.

Dans l’ascenseur, Leïla fixa le tee-shirt de son collègue sur lequel était écrit « Génie incompris ». Elle afficha une moue amusée. Vascarell, fier de son effet, referma son sweat-shirt à capuchenoir.

6. L’Europ’Arena

Jeudi 14 mars 2024, 9 h57

Le trajet jusqu’à l’Europ’Arena Paris ne prit qu’une dizaine de minutes. Pourtant, Vascarell n’était pas vraiment à l’aise quand sa partenaire conduisait. Elle allait un peu trop vite à son goût et insultait les gens pour un oui ou pour un non. Pour lui faire lever le pied, le flic testa sur elle ses connaissances concernant l’équipe de basket de la capitale. Malheureusement, Leïla n’avait aucune idée de ce dont il parlait. Lui-même ne jurait que par le Top 14, le championnat de rugby professionnel.

–Tiens, gare-toi là-bas, indiqua Vascarell, soulagé qu’aucun incident n’ait été à déplorer.

La 310 électrique bleu marine dut passer plusieurs barrages avant de stationner sur le parking extérieur du grand complexe. Celui-ci avait été érigé en vue des Jeux olympiques de Paris dans le secteur de la porte de la Chapelle. Ce choix final s’expliquait à l’époque par les tergiversations autour du projet initial prévu à Bercy, par la position géographique du site proche du Stade de France et du village des athlètes, mais également par une volonté de réduire les coûts globaux d’aménagement. Paris avait été l’heureuse élue, avec la République tchèque et la Belgique pour accueillir les trois premières Europ’Arena, financées en grande partie par l’Union européenne.

L’architecture du bâtiment n’était pas sans rappeler le Staples Center, la salle mythique des Los Angeles Lakers, avec sa façade en verre. La grande différence résidait dans la conception de l’enceinte, guidée par des impératifs écologiques. Les grands bandeaux lumineux circulaires étaient alimentés par des panneaux solaires issus des toutes dernières technologies. La nuit, l’Europ’Arena passait en mode éco. Visible à plusieurs kilomètres à la ronde avec sa lumière douce bleutée. Elle ressemblait à une soucoupe volante endormie..

–Commandant Fischer. Voici le capitaine Vascarell, annonça solennellement la policière, en montrant sa carte à l’officier chargé de filtrer l’accès au bâtiment.

Ce dernier leur indiqua l’entrée située à quelques mètres.

Ils s’engouffrèrent dans un sas sécurisé, puis empruntèrent un grand couloir jonché de photos illustrant l’histoire récente de la franchise. Vascarell prit le temps d’observer les clichés. Il semblait impressionné.

–Je croyais que le basket ne t’intéressait pas, lança Leïla.

–Je ne veux pas mourir idiot. Putain, c’est bien foutu leurtruc…

Ils franchirent une seconde porte puis un autre couloir qui débouchait sur un hall. Leïla aperçut à une dizaine de mètres devant elle une caméra suspendue au plafond. Un officier de l’Identité judiciaire, tout habillé de blanc et masqué, passa devant eux sans un regard. Elle s’approcha d’un petit homme trapu, vêtu d’une veste bleue fripée.

–Fischer, je suppose, fit le type avec un langage un peu châtié. Lieutenant Filzin, commissariat du 18e.

–Effectivement. Voici le capitaine Vascarell.

Ce dernier serra la main flasque du policier qui dévisageait Leïla de la tête aux pieds.

–Vous êtes dans votre élément ici ! Une géante parmi les géants !

La jeune femme se contenta de poser un regard indifférent sur son interlocuteur.

Voyant que sa boutade tombait complètement à l’eau, Filzin enchaîna :

–Bon, vous prenez le relais ? J’imagine que l’affaire est sensible…

Leïla opina duchef.

–Vous nous faites un topo, lieutenant ?

–Ce matin, vers 6 h 30, l’agent d’entretien, un certain Simon Melki, a découvert un corps sans vie dans les toilettes. A priori, il s’agit d’un joueur des Eiffel Towers, un Américain du nom de Joshua Mayden. Selon ses premières déclarations, Melki a immédiatement prévenu l’agent de permanence qui était dans le PC sécurité derrièrevous.

Le policier pointa le menton vers le local vitré dans lequel se trouvait un homme d’une quarantaine d’années, assis sur une chaise, vêtu d’un pull et d’un pantalon noir. Il paraissait calme et observait le manège des hommes en blanc qui passaient et repassaient devant la vitre. Il jeta un regard sans expression aux trois policiers, puis échangea quelques mots avec la gardienne de la paix postée à ses côtés.

Filzin poursuivit :

–Cet homme, Paul Ramirez, a appelé le 17 à 6 h 53. Nous sommes arrivés à 7 h 12. L’Identité judiciaire a été contactée dans la foulée. Selon les premières constatations du médecin légiste, la mort de Mayden se situerait entre 21 h 30 et 22 h 30, hiersoir.

Leïla nettoya ses lunettes, sortit son petit carnet bleu et griffonna quelques notes.

–Où est ce Simon Melki ? demanda-t-elle sans lever lenez.

–Il est dans une autre pièce.

–J’imagine que vous avez sécurisé les lieux, ajouta Vascarell.

Filzin opina. Il était sur le point de commenter l’accent prononcé du Toulousain, quand il se ravisa. Il ne voulait pas finir le nez ensang…

–Suivez-moi.

Le petit policier pivota et marcha à un rythme soutenu que ses collègues avaient du mal à suivre. Après avoir parcouru une quarantaine de mètres, il s’arrêta devant les toilettes pour hommes, afficha un sourire triste, et fit signe aux policiers d’entrer.

–Je vous préviens, ce n’est pas très beau àvoir.

Fischer et Vascarell enfilèrent des couvre-chaussures ainsi que des gants en latex fournis par un technicien de l’Identité judiciaire.

Ce fut Leïla qui entra la première. Scrutant longuement la pièce, à la manière d’un périscope émergé à la surface de l’océan, elle fit quelques pas en avant. Vascarell, positionné à ses côtés, émit un rictus de dégoût. Il n’arrivait toujours pas à s’habituer à l’odeur de lamort.

L’endroit n’avait rien d’original. Sur la gauche, on trouvait une série de huit cabines dont la couleur grise tranchait avec le blanc immaculé du reste de la pièce. Sur la droite, il y avait quatre lavabos au design moderne surmontés de grandes vitres dotées d’un éclairage puissant. Sur le coin de l’un d’entre eux, on pouvait apercevoir une tache brune.

–Ce n’est effectivement pas beau à voir, soupira Vascarell, les yeux rivés sur le corps du basketteur noyé dans une mare de sang séché. Il n’avait pas eu l’occasion de croiser beaucoup de victimes dans sa carrière.

–Un cadavre est rarement un premier prix de beauté. Celui-ci n’est pas si vilain, ironisa Leïla en dévisageant le macchabée.

Elle s’adressa à son smartphone :

–Dictaphone.

Une voix féminine douce et feutrée s’échappa du téléphone :

–Dictaphoneprêt.

–La victime est un homme noir âgé d’une trentaine d’années. Il est grand, aux alentours d’un mètre quatre-vingt-dix. Il est positionné sur le côté, avec un bras coincé sous son torse, l’autre étant placé juste derrière son dos. La partie arrière droite de son crâne est enfoncée. Le sang semble s’être échappé de cet endroit. On peut également voir des traces de sang sur le coin du troisième lavabo en partant de la gauche, qui pourrait expliquer l’impact sur son crâne. L’homme est vêtu d’un tee-shirt noir, d’un short orange et noir, d’une paire de chaussettes, et de chaussures blanchesNike.

Vascarell avait suivi le cérémonial en silence.

La policière se releva, étudia à nouveau la disposition des lieux, et rangea son téléphone. Elle s’adressa à Filzin, qui attendait dehors en consultant distraitement son smartphone.

–Toutes les photos ont été prises ? Les empreintes aussi ?

–Oui. Par contre, aucune trace de son téléphone.

–Vous avez fouillé partout ? Même dans la salle de musculation ?

–Absolument. Il est introuvable.

Leïla se tourna vers son partenaire.

–Apparemment, notre suspect se méfie de ce que l’on pourrait y trouver. Sinon, qui est entré ici depuis la découverte du corps ?

–Melki et Ramirez, l’agent de permanence ce matin. Les techniciens de l’Identité judiciaire, et moi-même. La scène n’a pas été polluée, si c’est cela qui vous inquiète.

–On interroge les deux types ? demanda Vascarell.

–OK. Je m’occupe de l’agent de permanence, toi de Melki.

La Chevauchée des Walkyries de Wagner résonna dans le couloir. Filzin sortit maladroitement son smartphone de sa poche intérieure et manqua de le faire tomber.

–Qui ? Oui, laissez-le passer et accompagnez-le à l’intérieur.

–Du nouveau ? demanda Leïla.

–Oui. C’est un certain Larigaudry, le manager général des Towers, répondit Filzin, en se dirigeant vers le PC sécurité.

–Tu crois que c’est un accident ? souffla Vascarell à sa partenaire.

–Difficile à dire pour l’instant. Il faudra attendre l’autopsie et les analyses toxicologiques, répondit sobrement Leïla.

Ils rejoignirent Filzin qui échangeait quelques mots avec un individu grand, les cheveux courts coiffés à l’ancienne, avec une raie qui lui donnait un air rétro. Il portait un costume gris anthracite bien coupé et des chaussures noires pointues. Sa démarche dynamique laissait penser qu’il s’adonnait à une pratique sportive régulière.

Accompagné par le policier, il se dirigea vers Leïla. La jeune femme était peu habituée à rencontrer quelqu’un de sa stature. Elle réajusta ses lunettes et tendit lamain.

–Commandant Leïla Fischer.

–Antoine Larigaudry. Je suis le manager général de la franchise. On peut m’expliquer ce qui se passe ici ? dit l’homme, avec un air inquiet.

–Un joueur de votre équipe a été retrouvé mort ce matin dans l’Europ’Arena. Il s’agit d’un certain Joshua Mayden. Je ne peux pas vous en direplus.

Larigaudry, incrédule, regarda tour à tour les trois flics.

–Mayden ? Comment c’est arrivé ? Il est mort de quoi ?

–L’enquête le déterminera. Vous étiez là hier soir ?

–Bien sûr ! Je passe plus de temps ici qu’avec ma femme.

–Le lieutenant Filzin va vous accompagner dans votre bureau. Vous avez un bureau ici, n’est-cepas ?

–Oui, au premier étage.

Larigaudry observa encore les flics, réalisant petit à petit la portée de ce qu’il venait d’entendre. Il secoua la tête plusieurs fois, et demanda :

–Je peux informer le propriétaire ?

–Oui. Et réfléchissez vite à un communiqué avant que tout ne soit déballé dans la presse. Contactez également toutes les personnes susceptibles de venir travailler ici aujourd’hui : personnel, joueurs, staff… Dites-leur de rester chez eux jusqu’à nouvel ordre.

–J’ai déjà des dizaines de messages !

–Bottez en touche ou bien soyez vague.

–Vague ? Un joueur mort dans une salle de basket, c’est tout sauf vague !!!

–Dites-en le moins possible, répéta Leïla. Vous donnerez plus de détails en temps voulu.

Elle fit une pause pour permettre au manager général de digérer l’information et reprit :

–Il me faudrait très rapidement une liste exhaustive des personnes présentes hier soir, ainsi que leurs coordonnées. Vous pouvez faireça ?

–Euh, oui, une liste, balbutia Larigaudry.

–Attendez-nous dans votre bureau.

Leïla pria Larigaudry de suivre Filzin, puis se retourna vers Vascarell.

–C’est parti pour les auditions ?

7.Melki

Jeudi 14 mars 2024, 10 h31

La salle de repos du staff des Towers était aménagée comme un studio : canapés en cuir, table basse en bois, réfrigérateur XXL, distributeur de glaçons, télévision grand format, espace cuisine, bar avec tout le nécessaire pour approvisionner un régiment. Le parquet en merisier et les murs ocres donnaient une touche provençale assez incongrue dans un tel endroit.