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Ilayda, jeune héritière recluse dans le domaine de Clairefontaine, découvre l’horreur derrière les murs dorés de son existence. Victime d’un père monstrueux, elle s’enfuit vers un monde qu’elle ne connaît pas, armée de douleur et de lucidité. De trottoirs en rencontres déroutantes, sa fuite devient une quête de dignité et de vérité. Ce roman, bouleversant et cru, éclaire les zones d’ombre de la société. Un cri d’alerte autant qu’un chant de résilience.
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Seitenzahl: 232
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Mahlya de Saint-Ange
Impossible
Roman
© Lys Bleu Éditions – Mahlya de Saint-Ange
ISBN : 979-10-422-7195-4
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Les cygnes d’encre, France Europe Éditions ;
L’écorce maudite, France Europe Éditions ;
Aux frontières de la voix, France Europe Éditions ;
Doute : Pochybova !, France Europe Éditions ;
Le miroir à deux têtes (biographie), France Europe Éditions ;
L’enfant en fer, France Europe Éditions ;
La girafe zébrée, France Europe Éditions ;
Immeuble 12 L quartier à risques (roman policier), France Europe Éditions ;
Dard et miel, France Europe Éditions ;
Les oiseaux de cire de Yakoutie, France Europe Éditions ;
Je couche avec les hommes car j’aime trop les femmes (biographie homosexuelle), France Europe Éditions.
Le voile de l’ange, Éditions Mélibée ;
Monsieur & Madame Tartetouille, Éditions Mélibée ;
Le poil dans la soupe, Éditions Mélibée ;
Souffrance (biographie Cameroun), Éditions Mélibée ;
Le panseur1 de mots (Algérie), Éditions Mélibée ;
Arisoumonai2 (Japon), Éditions Mélibée ;
Laugardagur en Islande, Éditions Mélibée ;
L’Inde de l’étrange « R », Éditions Mélibée ;
En Chine, le harem blanc, Éditions Mélibée ;
Qui hais-tu (roman psy), Éditions Mélibée ;
Trop tard ? (amour fusionnel), Éditions Mélibée ;
Le présent décomposé, Éditions Mélibée.
Les livres de France Europe Éditions et Thélès sont normalement épuisés ou rarement encore en vente.
Les livres publiés chez les Éditions Mélibée peuvent être commandés en ligne sur Amazon – Fnac – Decitre – Chapitre.com – La Procure, etc.
La dérive du sexe (épuisé), Éditions Thélès.
Mahlya de Saint-Ange est également créatrice d’un jeu divinatoire :
© Le tarot d’Auramour, Grimaud Cartomancie – France Cartes, 49, Rue Alexandre 1er, F-54130 Saint-Max.
Site : http://www.mahlyadesaint-ange.ch
Courriel : [email protected]. Tarot épuisé.
Apparence, Sydney éditions ;
Lesnomadesintérieurs, Sydney éditions ;
Lenezailleurs, Sydney éditions ;
L’irisnoir, Sydney Éditions ;
Lacochenille, Sydney éditions ;
L’ananas, Sydney Éditions ;
L’envol, Sydney Éditions ;
Gingka, Sydney Éditions.
Le palindrome, Éditions Nombre 7 ;
LeSigisbéeabstrus, Éditions Nombre 7 ;
Mirellaet le vide sidéral, Éditions Nombre 7.
Entre le perroquet et la cheminée, Le Lys Bleu Éditions.
À tout être qui, un jour, a privilégié le cœur de l’impossible.
À Soraya, magique, si proche de mon passé, mais si lointaine en kilomètres…
À Michael Ondaatje, Canadien srilankais, auteur de L’homme flambé, film : Le Patient anglais.
À mon fils Karyl. Nous nous sommes croisés, sans jamais parvenir à nous parler en profondeur. J’ai essayé et essuyé un refus. Sans doute avais-je été une mauvaise mère, désirant enfin t’acheminer sur le chemin de la lumière de l’amour. Espérons la réincarnation – si elle existe – pour tout recommencer. Je te souhaite, Karyl, d’être heureux, très heureux. Ne regrette rien, il est bien trop tard.
À ma fille Saphyra, pleine de qualités d’écoute, d’empathie, de tendresse et de romantisme, MERCI.
À mon ex-mari, éperdu et solitaire parmi nos différends, afin que cette trilogie malmenée soit apaisée par cette dédicace. Je l’aurais tellement souhaitée en paix et en amour.
L’impossible recule toujours quand on marche vers lui.
Antoine de St-Exupéry
Je ne pardonne pas à l’amour qui compromet, qui s’arrange, qui descend sous terre et obéit aux lois de la société. Aucun amour n’est à mettre à distance.
Katherine Pancol
Ce roman touche l’existence d’un EHPAD inventée. Certaines maisons de retraite sont certainement saines et conviviales. L’auteure a pourtant opté pour une documentation sévère et relaté les maltraitances qui existent parfois réellement. Ceci, tiré de confidences journalistiques précises, d’inspections sociales, de récits de familles et de son propre vécu.
C’était le jour de ses quinze printemps. Elle allait recevoir un nombre incalculable de cadeaux et certainement voir, très peu de temps, son Père Emré de Karsignac. Elle vivait dans le Domaine de Clairefontaine depuis sa naissance. Élevée, dès son berceau, par madame Alcidia Bek, sa nurse, son enseignante, Ilayda n’était jamais sortie de cette immense terre entourée de murs rébarbatifs.
La jeune fille avait un ami, un noyer de plus de cent ans. Il avait élu domicile au sommet de la plus haute colline et elle savait grimper sur lui.
Depuis ses branches, on pouvait apercevoir qui visitait Clairefontaine. C’est ainsi que l’on recevait par Deliveroo des mets à la saveur alléchante. Bek prétendait que son nom cachait la marque d’un hôtel très réputé. Quant aux autres visiteurs, Ilayda les observait depuis son abri sur le fameux centenaire. Il y avait, chaque mois, la visite d’un immense véhicule articulé « Atout propre » qui apportait du linge propre, contre tout ce qui avait été sali, y compris les vêtements. Tout était livré dans des sortes d’amphores assez hautes.
La jeune fille n’avait pas le droit de s’approcher de la grille d’entrée, elle devait se contenter de parler au personnel de la Maison.
Une solide éducation lui était donnée, non seulement par Alcidia mais aussi par son précepteur, monsieur Herbert Stein. Tous deux cultivaient sa mémoire depuis toujours. C’étaient des humains froids, sévères et sans empathie. Leur conversation ne débordait jamais des matières enseignées. Aucune question n’était permise si elle ne concernait les cours. Alcidia et Herbert étaient les meilleurs amis du monde, mais la jeune étudiante ne représentait que leur gagne-pain.
Max, un quadragénaire un peu bourru, s’occupait des jardins, des pannes, des réparations électriques ou autres et des livraisons. Il bougonnait dans sa barbe sans que l’on puisse en tirer une seule phrase bien audible.
Restait Betty, la petite Betty, charismatique, une jeune fille légèrement sourde et muette. C’était un monument de tendresse, les rares moments où la fille du maître parvenait à la rejoindre, dans la vastitude du Domaine. Le seul sourire, les seules caresses de cette demeure.
Le père, le Dr Emré, était d’origine turque par sa défunte mère. Une sculpture étonnante d’environ deux mètres, un visage inexpressif aux cheveux de nuit sombre, un verbe français élogieux. On ne discutait jamais ses ordres. Il parlait si peu que tout ce qu’il disait paraissait sortir d’un livre rare.
Ilayda était intelligente, maligne mais elle ne connaissait de la terre que les mappemondes, et de l’ailleurs réel que ce qu’elle pouvait en imaginer.
Clairefontaine logeait chaque employé dans une maison à part. L’héritière du Maître demeurait dans une chambre somptueuse qui touchait celle d’Alcidia. Dans le même château, le Dr Emré travaillait dans une suite digne du Ritz. Il avait même un cabinet de consultation bien équipé, mais il ne recevait jamais personne. Par contre sa Mercedes noire s’envolait souvent vers des destinations toujours secrètes.
La jeune fille vivait comme un magnifique papillon épinglé sur un tableau décoré de papier d’or. Les interdits étaient multiples. À part la classe, dont elle était l’unique élève, la salle de sport où Alcidia la transformait en gazelle ou en voltigeuse, la salle à manger où servait Betty et le bureau ou le cabinet de consultation d’Emré, Clairefontaine lui était entièrement inconnu. Depuis ses premiers pas, seul l’extérieur verdoyant semblait la recevoir avec plaisir. Avant sa prime adolescence, madame Bek la suivait partout, depuis, la jeune étudiante avait enfin acquis à l’extérieur une totale liberté.
Le Domaine possédait une vieille horloge qui hurlait ses heures et était réglée sur tous les moments importants à respecter : les repas, les études, la gym. De son cœur sortait un oiseau noir effroyable dont le chant devait s’entendre loin à la ronde. Si on arrivait en retard, chacun était envoyé en cellule de punition : une nuit dans l’obscurité, ou plus, suivant le délit. La jeune ado était précise et fiable donc…
Ce jour-là, il faisait une chaleur effroyable et c’était le week-end. Ilayda avait la permission de refuser un repas et d’être libre ; assise au milieu d’un champ de hautes fleurs jaunes, madame Alcidia découvrit pourtant son élève, un livre à la main.
— Le docteur Emré désire vous recevoir immédiatement.
— Aujourd’hui ? Mais…
— Exécution, Ilayda ! dépêchez-vous, car monsieur Karsignac va devoir s’absenter longtemps pour son travail.
Ilayda alla prestement se laver les mains, se coiffer et enfiler un chemisier en soie et une jupe.
Emré la reçut directement dans son cabinet médical.
— Bonjour ma Princesse. Il débita cela, comme s’il lisait le titre d’un livre, sans émotion. Par contre ses yeux noirs immenses la fixèrent longtemps.
— Vous êtes devenue fort belle ! Déshabillez-vous afin que je puisse constater si votre santé est toujours florissante.
— Entièrement, Père ?
— Je suis médecin, je sais ce que je fais. En voilà une question.
Nue comme un ver, il souleva l’adolescente et la disposa sur le ventre sur un lit parfaitement propre.
— À quinze ans, toute enfant doit devenir une adulte et subir deux rituels. Le premier consiste à entrer dans votre siège arrière où réside Satan et savoir l’embrocher afin que vous soyez pure et débarrassée de ce morceau de l’enfer. Fermez les yeux, ne criez pas, ne bougez pas. C’est un mauvais moment à passer mais après vous serez libre de devenir une femme propre.
L’enfant serra les dents et en effet elle reçut entre ses fesses bien écartées comme un coup d’épée. La douleur fut très vive d’autant plus que l’objet qui la pénétrait s’enfonça en elle et se retira plusieurs fois.
— Non, non, dit-elle, arrêtez, c’est assez, j’ai si mal.
Cette demande devint une supplication qui dura encore une éternité, puis le père lui distribua une gifle magistrale.
Emré semblait à bout de souffle, quand il retourna le petit corps sur le dos.
— J’ai horreur des cris alors que je m’ingénie à ne vous faire que du bien pour votre santé future.
Le père se fit plus doux, il lui caressa les épaules, les seins qu’il inspecta longtemps. Puis ses longs doigts parvinrent aux poils du pubis qu’il effleura. Il finit par mettre un masque opaque sur les yeux de l’ado et indiquer son second rituel.
— Dans votre intimité se trouve l’œil du plaisir mais il est encore aveugle. Je me dois de lui donner la lumière céleste, car sinon vous ne pourriez jamais ni devenir femme ni avoir des enfants. Soyez courageuse et digne de la lignée des Karsignac, ma chérie. Surtout, ne bougez pas, endurez pour que votre futur soit digne de la princesse que vous êtes.
Il avait tellement serré le masque que l’épingle de la queue de cheval d’Ilayda rentrait dans la peau de son crâne. Elle attendit.
Ce rituel lui sembla encore plus musclé que le premier. Elle eut l’impression qu’Emré la poignardait avec une lame très large. L’opération là aussi se répéta longtemps par des allées et venues qui semblaient la déchirer. Elle sentit une coulée poisseuse longer ses deux cuisses. La douleur était infernale. Elle finit par essayer de fuir, de se lever mais les larges mains de son Père la bloquèrent bien à plat et le cirque recommença. Elle hurla « stop, stop, je vous en prie », de plus en plus fort. Le mal semblait l’avoir ouverte totalement et, n’en pouvant plus, elle s’évanouit.
Quand elle reprit conscience, elle était sur son lit, un bandage épais dans son slip. Un flou tenace valsait dans sa tête, ses tempes tapaient et une sorte de supplice lancinant la meurtrissait encore, dans son intimité.
Elle ouvrit les yeux et vit Alcidia qui l’observait fixement.
— J’ai terriblement mal. Pourquoi mon Père a-t-il fait cela ?
— Toutes les filles doivent subir ces rituels et c’est par amour que le docteur s’est occupé personnellement de vous ! Que savez-vous de la vie Ilayda ? Je vais vous soigner et vous oublierez ce mauvais passage.
— Vous avez, vous aussi, dû subir ces coups ?
— Bien sûr mais pas par un père. Vous avez de la chance d’avoir monsieur de Karsignac comme instructeur intime.
— Je voudrais rester seule. Laissez-moi s’il vous plaît.
— OK, ma petite, mais soyez à la hauteur des soins de votre Père et arrêtez de geindre comme une midinette du peuple. Ici, vous avez tout : l’argent, les cadeaux, l’éducation. En ville, personne n’est dorloté comme vous. Le docteur vous a fait livrer des robes somptueuses et une poupée articulée plus grande que vous, que voulez-vous de plus !
— Rester seule.
Alcidia se retira en déclarant :
— Quand vous étiez évanouie je vous ai déjà soignée, donc à demain. Votre père est parti pour affaires. Restez tranquille surtout. Si vous avez besoin de quelque chose, car moi je vais voir ma famille, avec Herbert. J’ai dit à Betty de venir vous voir chaque heure. Dormez, c’est la meilleure chose à faire pour tout oublier.
L’instructrice se retira sans un mot de plus.
La jeune fille s’appliqua à trouver le sommeil sans rien comprendre de ce que lui avait fait Emré et… le brouillard de la solitude se fit.
Dans son rêve, elle sentit une main douce se promener sur sa chevelure, suivre l’arrondi de ses joues, toucher son front. C’était Betty, les yeux remplis de larmes.
Elle montra ses oreilles et essaya d’émettre des sons rauques.
— Vous avez réussi à m’entendre crier, c’était affreux. Emré m’a infiltré partout avec je ne sais quoi, c’était terrifiant ; cela a dû me faire hurler et vous avez non vu, mais perçu la situation. Je pense que je suis déchirée, j’ai encore très très mal. Pourquoi a-t-il fait cela ? il m’a parlé de me libérer de Satan et d’ouvrir mon œil du plaisir.
Betty nota sur un papier : il vous a violée en vous racontant des contes à dormir debout ! Pauvre petite.
— Violée ? Cela veut dire quoi ? Tous les pères font cela ?
— Non. Emré a profité de votre innocence. Violée, c’est l’homme qui se fait plaisir en abusant d’une enfant pure. Il n’y a pas de Satan et pas d’œil du plaisir… Normalement quand on devient adulte, on aime un garçon de notre âge et c’est lui qui doucement vous apprend l’amour, mais jamais un père ni un adulte, c’est défendu par la loi.
— Vous ne mentez pas, Betty ?
La jeune handicapée mit ses doigts sur son cœur. Il f… faut… Un son rauque sortit de ses lèvres et Betty fit avec ses deux mains le geste de fuir.
— Fuir ? Mais on ne peut quitter ces terres !
La servante écrivit : sinon il recommencera, il vous forcera.
— Quelle horreur ! non, je refuserai d’aller chez lui.
— Alcidia vous endormira et vous livrera à lui. Vous ne pourrez rien faire.
— Mais je ne connais personne en ville et je ne sais rien de l’ailleurs.
— On va prévoir votre fuite, rendez-vous sur le noyer quand on pourra.
— Vous êtes bien la seule personne qui a pleuré pour moi, fit, touchée, Ilayda, prenant la main de Betty et l’embrassant.
— Mademoiselle, je ne suis rien, vous ne pouvez pas faire cela !
— Je peux tout faire, tout apprendre. Je suis pleine de culture mais fragile en dehors. Je n’aimais pas Emré, mais après cet événement, je ne pourrai plus le regarder en face. Avec quel instrument cet homme m’a ouverte ?
— Les hommes possèdent, en chair, sur eux, une proéminence qui se gonfle suivant leur désir pour la femme. Emré doit aimer les jeunes filles très jeunes.
— Il a fait cela avec… avec lui-même ?
— Oui, mais beaucoup trop violemment, et trop souvent pour la première fois ! Et surtout sans amour pour vous !
***
Il faisait très beau. Ilayda et Betty s’étaient retrouvées sur leur noyer centenaire.
— Regardez, « Atout propre » récupère notre linge, écrivit la jeune muette. Ils ont un chien maintenant, un jeune chien loup ! On pourrait descendre plus bas et écouter ce qu’ils se disent. Il y a un immense buisson à gauche de l’entrée.
Comme des chats prêts à attaquer une proie, les deux jeunes filles se faufilèrent lentement et sans bruit, près des livreurs.
— Vous avez du retard, cria presque Max, en ce qui concerne la réexpédition du linge, le Maître n’est pas content !
— Oui mais ce sont nos périodes de vacances, alors le personnel ne travaille pas à 100 %.
— Emré veut absolument récupérer tout son raccommodage personnel avant son retour ! Surtout la grande nappe fleurie du salon qui fut déchirée, son col à guipure et ses draps en soie de Chine. Il y tient autant qu’à ses lingots d’or !
— Je sais, Max, j’ai mis un point de repère sur la jarre qui contient la nappe outragée, le col et les draps à réparer. Elle ira à Paris chez ma mère, donc le Maître ne sera pas déçu. Ma mère est une championne dans l’art de la broderie. Elle sait tout reconstruire. Elle pourrait faire disparaître un accroc dans une toile d’araignée, c’est une championne de l’aiguille, une magicienne ! Nous respecterons les délais.
— Regardez, griffonna nerveusement Betty, le chien, il est parti visiter le Domaine, imaginez s’il rencontre Bek, le drame !
— Tu as vu Tim ? s’inquiéta soudain un des livreurs.
— Ton chien ? Mince, il s’est faufilé dans les terres. Faut le récupérer.
Apeurés, tous les hommes filèrent dans les champs, hurlant « Tim », « Tim » à pleins poumons.
Sous le choc, la grille était restée béante.
— C’est votre jour de fuite, Ilayda, filez au sein de l’amphore des réparations d’Emré, et n’en bougez plus. Ils n’y verront que du feu et à Paris vous en sortirez.
— Tu es folle ! je ne connais rien à la capitale, rien…
— Filez, nota-t-elle encore, il n’y aura sans doute pas de meilleure solution pour vous !
Betty poussa avec force Ilayda qui se retrouva vite devant le véhicule. Elle se précipita à l’intérieur et trouva la fameuse jarre au point rouge.
Pendant ce temps, les livreurs et Max recherchaient toujours le chien et ce n’est qu’une demi-heure plus tard que tout rentra dans l’ordre sous les hurlements de Beck, rouge comme un champ de piments.
Ilayda se blottit tout au fond du récipient au point rouge. Très vite, le gros camion parvint devant l’Usine des nettoyeurs. La jeune fille sentit qu’on la portait dans un camion beaucoup plus petit.
— Ce véhicule partira pour Paris ; il est plus facile à conduire, fit un chauffeur.
Le lendemain, le voyage vers Paris commença.
La jeune fille se demandait si elle avait eu raison de suivre les directives de Betty, mais se faire violer encore une fois lui donnait des nausées d’avance. Elle s’endormit exténuée, recroquevillée, petit rien dont personne ne voudrait plus désormais.
Le bruit d’une voix aiguë la tira de son sommeil.
— Mon fils… c’est toi, viens de suite m’embrasser, tu expliqueras après ce qui motive ton arrivée.
Le fils laissa son camion ouvert et la prisonnière put ainsi sortir de sa geôle et courir dans un bois proche. Les jointures de ses bras hurlaient tellement, car elles avaient été coincées, une peur terrifiante la tenaillait. Heureusement, c’était le soir, il faisait doux et calme.
Elle marcha, marcha et atteignit une grille aux volutes rouillées. À l’intérieur, de vieilles pierres, des croix. Un entrepôt de bric-à-brac abandonné, assez sordide.
— Une décharge à ciel ouvert, se murmura la voyageuse. Au moins sur une vieille dalle, je pourrai m’étendre. La nuit, personne ne viendra troubler mes rêves. Elle poursuivit sa recherche et tomba, mais se releva. Elle avançait sans lampe de poche, de sorte que chaque pas était une aventure. Au milieu de toutes ces vieilles dalles, elle découvrit une cabane en verre et s’y faufila. À l’intérieur, un matelas et une couverture jonchaient le sol. Un SDF devait y avoir résidé pour se prémunir de la pluie et de l’hiver. Un escalier se profilait vers le sous-sol.
— Dormir… se cacher là, disparaître. Ne pas se poser de question pour la suite. Demain sera un autre jour. Peu importe le lieu sordide.
Ilayda tomba dans une absence vide. Le voyage, la fuite l’avaient fortement courbée. Elle avait atteint ses limites de faiblesse et d’angoisse.
Sur le verre fumé, le soleil pointait ses premiers rayons, cheminant sans complexe sur son front et se faufilant dans ses cheveux défaits en broussailles rousses. La jeune fille sentit le toucher solaire mais aussi eut-elle le sentiment qu’un doigt s’aventurait sur ses joues. Lentement, elle ouvrit les paupières. Un garçon de son âge explorait son visage, la fixant avec stupéfaction.
— Oh ! fit-elle en se redressant. Vous habitez là ? Je vous ai pris votre place !
— Oui, fit le second habitant. Je viens souvent ici nourrir les chats. Ces animaux errants adorent ce cimetière !
— C’est… c’est un cimetière ? fit-elle d’une voix peureuse.
— Oui, mais vous savez, aucun mort ne mord ! Vous ne risquez rien. Je me présente, dit-il, Rémy et vous ?
Elle hésita et trouva qu’il serait utile de ne pas avouer sa véritable identité : Sonia.
— Vous êtes en fuite ?
— Oui, mon père… un différend important. Son comportement m’a tellement éprouvée que je… je… Il m’a taquinée gravement, mais si j’étais restée il aurait sans doute recommencé.
— C’est cela… en résumé et pour être clair. Votre père est un « pédo » et il vous a copieusement niquée !
— Je ne comprends pas ce verbiage !
— Vous êtes partie, car vous ne désiriez plus vous faire violer. En attendant que l’on prenne des directives pour vous protéger, je vous ai apporté ce morceau de pain et voici un restant de café. Vous en avez plus besoin que moi !
— Pourquoi n’avez-vous pas ramené des croissants chauds ?
— La boulangère ne me donne que les invendus d’hier et jamais des croissants !
— Mais… le café est froid et c’est de l’eau de vaisselle !
— Mademoiselle n’est plus dans son conte de fées. Il faut savoir s’adapter Sonia !
L’aventurière inexpérimentée rongea sa croûte de pain et avala le jus sordide que Rémy lui avait tendu, avec un sourire forcé.
— Alors là, il y a des morts en dessous des dalles et si on descend dans cette petite maison en verre, plus bas, il y a sans doute un cercueil ? Et j’ai dormi là… C’est comment un mort ?
— C’est comme une poupée en chiffon inerte, mais on doit la mettre dans la terre, car sinon en se décomposant, elle va sentir mauvais. La petite maison en verre se nomme une crypte ! Vous n’avez jamais visité un cimetière ?
— Je vivais dans une grande demeure avec des méchants vivants mais chacun était encore jeune. J’avais des serviteurs, une très belle chambre, des jouets jusqu’au jour où… mon géniteur a épinglé mon intimité.
— Vous avez vu vos doigts ? Il n’y en a pas un seul qui ne porte pas une bague ; si vous vous baladez ainsi en ville, vous serez volée et tuée en moins de cinq minutes. Je connais quelqu’un qui peut acheter vos bijoux, vos bracelets aussi, vos colliers. Cet ami sait dépareiller votre quincaillerie et en faire d’autres créations. On aurait au moins un peu d’argent pour vivre.
— Et quand vous aurez touché mon argent, qui me dit que vous aussi vous n’allez pas m’épingler et me laisser seule ?
— Impossible, j’aime les garçons !
— Vous couchez avec le même sexe que vous ?
— Il y a de tout dans ce monde Sonia. Tous les goûts sont dans la nature. On va sortir de là et je vous emmènerai dans une friperie. Il faut changer votre aspect, car votre famille va vous rechercher. Il serait utile de vous faire porter une perruque noire et des fringues de SDF. Ainsi, si la police ne vous repère point, vous n’aurez plus rien à faire avec votre ancien look !
Ils longèrent les murs du cimetière en se tenant par la main.
— On va se dire « tu », cela fera plus sérieux.
Paris s’éveillait au bruit des camions poubelles. Les vide-ordures étaient renversés puis abandonnés sans soin. Un marché laissait découvrir ses stands, tandis qu’au bord de la Seine, des échoppes de livres, de gravures imposaient leur stock petit à petit.
Dans une rue, un petit magasin laissa sonner son carillon à leur passage. Sonia ouvrit grand les yeux. L’espace valait la caverne d’Ali Baba. Il y avait des vêtements, des souliers entassés, coincés, jusqu’au plafond. Ce coin surchargé sentait le vieux tissu et le camphre. Un petit bonhomme, un nain, grimpait sur une échelle qui faisait le tour du dépôt.
— Salut ! Je voudrais échanger les fringues de mademoiselle contre des nippes pas trop reluisantes !
Un rideau fut provisoirement tendu entre le nain et Rémy ce qui permit à Sonia d’essayer une blouse, deux blouses, une jupe et trois pantalons très défraîchis.
— Ce ne sont pas de très beaux tissus, j’étais habituée à de la soie lisse, douce, c’est râpeux !
On remit encore à la jeune fille une vieille paire de souliers, des chaussettes et une perruque aussi sombre que les plumes d’un corbeau.
— Bien, fort bien… vous êtes encore très belle en Cosette, ricana Rémy.
Ils sortirent avec un baluchon bien rempli que la nouvelle SDF s’appliqua à porter sur son dos.
— J’espère que l’on n’arrivera pas trop tard pour encore avoir un petit déjeuner, souhaita Rémy. Marche un peu plus vite, ce n’est pas un défilé de mode !
En tournant tout autour du quartier, ils finirent par ouvrir une porte en bois. Derrière, une salle ne sentait pas le bon café. Ils eurent droit à quatre tartines sèches et un bol de chocolat chaud.
— Je voulais un café.
— Il n’y en a plus.
— J’aime pas le lait chaud, fit Sonia, d’un air dégoûté.
— Pince-toi le nez et avale, on n’aura plus rien jusqu’à ce soir. Il y a des chiottes, vas-y, car là aussi, c’est une opportunité. Et lave ton visage, tes mains.
— Chiottes ? répéta Sonia, d’un air interrogatif. Tu me dis « tu », j’ai pas vraiment accepté !
— WC ! Oui « tu ». je n’arrive pas à dire « vous » longtemps.
Après cette petite restauration, Rémy se mit à arpenter les rues d’un pas décidé.
— Mais où va-t-on ? On ne pourrait pas s’arrêter dans un parc et parler ?
— Je cherche mon bout de trottoir, car chaque SDF protège son lieu. Il ne faut pas délaisser longtemps cet endroit, sinon tu as des bagarres. C’est comme les prostituées, chacun a son asphalte. Je vais te déposer là et tu vas mendier, personne ne te reconnaîtra avec ton nouveau look. Il nous faut de l’argent frais, un mec que je connais bien va regarder deux ou trois de tes bijoux, mais il ne me paiera que dans quelques jours ou semaines. Jusque-là, faudra bouffer.
— Mendier, on fait comment ?
— Je te montrerai.
Après quelques rues, Rémy se laissa choir devant un tas de cartons.
— C’est là. Tu prends la boîte à sous, tu fais une mine de cadavre triste, tu tends la main vers chaque passant et tu remercies si une main te laisse de la monnaie. On fait cela toute la journée, parfois c’est rentable, parfois c’est le désert des dons. Mais ne suis personne, ne parle à personne, fais comme si tu étais une idiote qui ne jacte pas français.
— Tu reviendras pour midi avec des sandwiches ?
— Non… je reviendrai avec rien et on se partagera le fric de la mendicité, pour avoir moins faim ! Je te laisse une bouteille d’eau, si tu as soif, sers-toi. Ne bouge pas de là et attends-moi sagement !
— Combien de temps ?
— Toute la journée si je ne peux faire plus court !
Sonia s’assit ; le sol était dur et chaud.
— Mais on est en plein soleil, tu ne pouvais pas choisir un endroit sous un arbre, à l’ombre, ici je ne tiendrai pas longtemps.
— Je ne sais pas si tu as vu, il y a un hôpital proche et une banque. C’est bon pour l’empathie des gens qui en sortent. T’auras des clients. De toute façon, le soleil va tourner. Et si tu es trop fatiguée, tu bouscules ma réserve de cartons, tu t’enfouis dessous et tu dors ! Tu seras donc invisible !
— Dormir en pleine journée sur un trottoir, cachée sous des cartons. C’est un truc à attraper des maladies.
— Alors, tiens le coup et ne joue pas à la princesse. Tais-toi et mendie !