Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Une faction parvint à enrôler de jeunes compatriotes, les persuadant que seul un renversement du pouvoir pourrait infléchir le destin national. Réfugiés dans un lieu tenu secret au-delà des frontières, ils furent initiés au maniement des armes et préparés à une offensive implacable. De retour sur leur sol natal, ils se lancèrent à l’assaut sous la conduite d’un officier de gendarmerie, déterminés à imposer leur vision par la force. Mais face à cette menace, un commissaire de police aux méthodes singulières, secondé par de jeunes officiers aguerris, organisa la contre-offensive. Le camp de gendarmerie d’Agban devint alors l’épicentre d’un affrontement féroce entre les forces loyalistes et ceux que l’on nommait rebelles. Dans un déchaînement de feu et de plomb, la bataille fit rage, scellant le sort des insurgés. Acculés, ces derniers furent contraints à une retraite précipitée vers le nord, voyant s’effondrer leurs ambitions sous le poids d’une riposte implacable. Mais cette défaite en était-elle réellement une ? Ou n’était-ce que le prélude d’une menace plus grande, tapie dans l’ombre, prête à frapper de nouveau ?
À PROPOS DE L’AUTEUR
Aventurier au parcours atypique,
Eugène Ossépé Dioulo a servi au sein des Forces Spéciales avant d’évoluer dans les domaines de la sécurité, de l’événementiel et de la charpenterie. Fort de ces expériences variées, il forge une vision unique du monde et puise son inspiration dans les événements qui ont façonné la société.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 280
Veröffentlichungsjahr: 2025
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Eugène Ossépé Dioulo
Intersigne
Le verrou d’Agban n’a pas sauté
Roman
© Lys Bleu Éditions – Eugène Ossépé Dioulo
ISBN : 979-10-422-6441-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Préambule
Le récit que vous allez découvrir au cours de votre lecture va vous plonger dans l’histoire récente de la Côte d’Ivoire des années 2000…
Réunis en un lieu tenu secret d’un pays voisin, au nord de la Côte d’Ivoire, formés au maniement des armes et entraînés au combat, de jeunes ivoiriens, aidés de rebelles étrangers, projettent une tentative de coup d’État, dans un contexte de fortes tensions – ethniques et politiques.
Le 19 septembre 2002, ces militaires ivoiriens et leurs alliés attaquent leur propre pays avec, à leur tête, un officier de gendarmerie…
Le camp de gendarmerie d’Agban, dans la banlieue d’Abidjan, servit de lieu de confrontation entre ceux qui étaient désignés comme « rebelles » et les loyalistes…
C’est l’histoire romancée de cette attaque qui vous est ici contée.
Elle se soldera par un échec. Mais le conflit engagé ce 19 septembre 2002 va perdurer et traumatiser la Côte d’Ivoire pendant plusieurs années…
I
La panique avait annihilé toute la petite science de l’écriture qu’il avait laborieusement emmagasinée sous les coups de chicotte des prêtres blancs, dans l’école de son village. Le destinataire fit appel à son savoir en matière d’écriture pour « décrypter » la note. Il jeta un coup d’œil aux autres personnes qui étaient dans la vaste salle qui leur servait de bureau ; personne ne lui prêtait attention. Il se dirigea vers celui qui réceptionnait tous les messages.
Troublé par le contenu de la note, il lui fallait plus de précisions.
Ayé Ayé était son homme à tout faire. Ainsi, l’avait-il chargé d’une importante transaction. La note qu’il avait laissée était non seulement vague, mais trop sibylline. À y penser, il était dans tous ses états. Ayé Ayé ne devait revenir que dans deux semaines. Pour avoir plus de précisions, il décida de se rendre au domicile de son homme de confiance. Mais Ayé Ayé habitait l’un des quartiers les plus sordides de la ville : BORIBANA. D’un accès difficile, même en pleine journée.
Ainsi, Sika se dit qu’il était plus sage d’attendre Moussa. Ce dernier ne mit pas longtemps à revenir.
L’affaire prenait une tournure qu’il n’aimait pas. Un rendez-vous à Kankan Koura. Pourquoi pas à Kismaayo ou à Huambo ? C’était le quartier où la criminalité battait tous les records.
Pour un battement de cils, tu pouvais recevoir une balle ou avoir la gorge tranchée. Si Ayé Ayé lui avait fixé rendez-vous dans un tel bled, c’est qu’il y avait urgence.
Le cosmos ? Une baraque qui servait autant de dortoir, de bar, de restaurant que de lieu de consommation de bien d’autres choses indéterminées. Le chemin entre les baraques qui y menait servait de dépotoir et l’odeur pestilentielle qui émanait de cet endroit collait à la peau.
Il traversa les lieux, se disant qu’à tout moment il pouvait mourir.
Il prit son courage à deux mains et s’avança vers une grosse dame qui était adossée au comptoir.
Avec tout le tintamarre fait autour du SIDA, il faut être maso pour monter avec une fille de bar. Ainsi, paya-t-il la consommation et s’éclipsa, la tête en feu. Il se demandait où pouvait bien se terrer Ayé Ayé.
Épuisé, les bas du pantalon dégoulinant de choses innommables, ramassées dans les sentes boueuses d’Aliodan et d’Anoumanbo, il arriva à leur lieu habituel de rendez-vous, chez Azouma. Il jeta un coup d’œil vers leur table préférée. Personne. Il commença à s’inquiéter. Ce n’était pas dans les habitudes de son homme de confiance. Pour se détendre, il commanda un double K.T.K, le casse foie par excellence. Une Ghanéenne qui voulait se faire payer un pot recula sous l’effet de l’odeur que dégageaient les vêtements de Sika. Il vida son godet et faillit s’étrangler. C’était du « first », très peu coupé d’eau. Ainsi était le K.T.K chez Azouma. Il le savait, mais la tête ailleurs, essayant de localiser Ayé Ayé, il s’était laissé avoir.
Les recherches n’avaient pas été une sinécure. À plusieurs reprises, il avait failli y laisser des plumes. Heureusement qu’il n’était pas un novice dans la circulation de la jungle nocturne abidjanaise. À plusieurs reprises, il avait dû user d’arguments physiques pour se tirer des pattes de travestis qui étaient devenus incontournables dans « l’Abidjan by night ». Ils faisaient une concurrence hargneuse aux belles qui, moins touchées par le SIDA, permettaient encore à Abidjan de vivre des nuits joyeuses. Il se demandait où pouvait se trouver Ayé Ayé.
La transaction qu’ils menaient cette fois-ci devait leur permettre de vivre le reste de leur vie sans soucis financiers. Un coup bien ficelé, dont les différents contacts, nécessaires pour la réussite, avaient été noués par Ayé Ayé lui-même.
Une indiscrétion d’un ami douanier lui avait permis de se faire une idée du profit qu’il pouvait tirer d’une affaire qui se montait aux frontières nord du pays. Une transaction qui portait sur l’or. Il suffisait de connaître la filière, les dates et heures de rendez-vous pour se sucrer sur le dos de l’État. Mais les contacts étaient tellement discrets que les situer vous mettait en danger de mort. Il avait tout de même, en utilisant au maximum ses relations, réussi à s’infiltrer et à remonter la filière. Il s’était fait une idée de la chose et c’était fabuleux. D’une facilité à vous couper le souffle, mais… quel profit ! Il s’était positionné en gagnant la confiance des différents paliers du réseau. Mais cela n’avait pas été facile. À plusieurs reprises, il avait frôlé la mort et les mises en garde étaient devenues plus pressantes à mesure qu’il montait. Sa progression avait été, à plusieurs reprises, freinée par des embûches qu’un sixième sens affiné par le contact quotidien du danger lui avait permis de déjouer. Sa mise à l’épreuve avait été courante et, quelquefois, avait pris des tournures souvent sidérantes. Tel ce coup de fil venant de sa sœur, à quelques heures d’un rendez-vous important, le suppliant de rentrer au village au chevet de sa mère victime d’une crise brusque d’hypertension artérielle. Face à ce dilemme, il ne fut sauvé de la catastrophe que par l’arrivée impromptue de son père. Manquer ce rendez-vous lui aurait été fatal.
Une première transaction lui avait rapporté assez d’argent pour le fixer définitivement. Mais n’étant pas maître de son emploi du temps, il avait, après maintes difficultés, réussi à faire admettre son homme de confiance, Ayé Ayé. Celui-ci était parvenu à mener à bien une opération qui avait situé Sika. Ce troisième contact avait entièrement été préparé par Ayé Ayé. Ainsi, Sika n’arrivait pas à repérer à quel niveau son homme de confiance avait failli.
Il paya sa consommation et sortit. Le bas de son pantalon avait séché, mais l’odeur lui collait à la peau. Il s’arrêta à l’angle de la rue 12 et de l’avenue 12 pour réfléchir. Les quelques prostituées qui y stationnaient masquaient mal la décadence de cette rue qui avait été célèbre partout dans le monde. Il n’existait pratiquement plus de boîtes de nuit dans la rue 12. Et les quelques chawarmas ne drainaient plus assez de monde pour y créer de l’animation. L’exaltation nocturne d’Abidjan se proclamait maintenant dans ses banlieues et Yopougon y tenait le haut du pavé.
Sika se dit qu’Ayé Ayé pouvait très bien avoir trouvé refuge à Yopougon, chez l’une de ses nombreuses maîtresses. Il s’apprêtait à héler un taxi, quand il vit un homme débouler de l’avenue 16. En une fraction de seconde, il reconnut Ayé Ayé. Son afro démodé et le col roulé qu’il portait sous une veste défraîchie, depuis son bref séjour à Paname, comme il aimait bien appeler Paris, le distinguait assez pour qu’on le reconnaisse au premier coup d’œil. Ayé Ayé courait comme un dératé. Deux malabars à ses trousses lui faisaient mettre plus d’ardeur dans ses foulées. Sika, dans un premier réflexe, s’était porté au milieu de la rue pour attirer l’attention de son ami. Mais la vue des deux costauds le rendit moins exhibitionniste. Il se rencogna et suivit avec résignation le sort que le destin réservait à son homme de confiance.
Ayé Ayé aborda l’angle de la rue où se terrait Sika, le plus rapide des malabars aux trousses. Visiblement, l’intention de ses poursuivants était de le prendre vivant. Sinon il suffisait d’ameuter le quartier pour que son sort soit scellé.
Son poursuivant immédiat voulut profiter du ralentissement de son allure pour aborder l’angle et le plaquer au sol. Devinant son intention, Ayé Ayé le déséquilibra d’une feinte digne d’un rugbyman. Le mastodonte, tel un pachyderme abattu, prit violemment contact avec le bitume sous les huées des prostituées. Ayé Ayé profita de ce répit pour filer chez Azouma où il savait pouvoir trouver refuge.
Le deuxième malabar arriva au niveau de son compagnon qu’il aida à se relever. Ayant vu Ayé Ayé prendre le couloir menant chez Azouma, ils s’y ruèrent aussi. Mal leur en prit. Prévenu par Ayé Ayé, Makoum, le géant androgyne camerounais qui filtrait les entrées, leur barra le passage. Arrivant à toute allure sur leurs talons, Sika, voyant la situation, fut pris d’une soudaine inspiration. Il recula dans la rue et, pointant son bras dans le couloir, hurlant à se péter les poumons, gesticulant à en devenir épileptique, cria « Au voleur ! Au voleur ! ». Les deux malabars n’eurent pas le temps de comprendre que la foule était sur eux. Leurs explications furent noyées dans les vociférations et en deux temps, trois mouvements, leur sort fut scellé. Pour ne pas créer de problèmes aux habitants du quartier, ils furent escortés jusqu’au rond-point de l’avenue 8, où ils rendirent l’âme. Sika et Ayé Ayé, qui n’avaient pas attendu la fin de la curée, s’étaient éclipsés par une porte dérobée connue de quelques habitués.
Ils débouchèrent sur l’avenue 8 et sautèrent dans un taxi en maraude. Mais à l’indication de leur destination, le chauffeur les somma de descendre sinon il les déposerait dans le commissariat le plus proche. Au troisième taxi, un « Choteau », du nom de ces taxis compteurs qui ne refusaient jamais une course quelle que soit la distance et la destination, le conducteur consentit à les déposer au carrefour d’Attécoubé, sur la voie express. Boribana, leur destination finale, était un nom repoussoir pour tous les hommes censés d’Abidjan. Le chauffeur exigea d’être payé avant de les laisser descendre. Les deux jeunes gens n’y trouvèrent rien à redire, pressés de faire le point.
Quelques lampions essayaient de donner une clarté à ces ténèbres qui, chaque soir, enserraient ce repaire de laissés-pour-compte de la société. Boribana ! Un véritable coupe-gorge. Impossible de distinguer à plus d’un mètre. Même le blanc devenait noir à la nuit tombée. Et quelle puanteur ! Elle vous collait à la peau. C’était vraiment la boîte à merde d’Abidjan. Pourtant, Ayé Ayé s’y retrouvait. Il habitait la seule vraie maison en dur de la zone. Un héritage de son père. De toute la maison, il n’habitait qu’une pièce. Le reste avait été aménagé en cagibi, loué à prix d’or et qui servait de bordel. Mais depuis l’apparition du SIDA, les belles-de-nuit qui l’habitaient avaient fermé boutique. Ainsi s’expliquait le silence qui les avait accueillis. Sika qui s’attendait à un endroit plus bruyant fut surpris, mais ne laissa rien transparaître. Ils s’installèrent sur le canapé qui faisait face au lit, les deux seuls meubles de la pièce. Le téléviseur était à même le sol ainsi que le combiné radio lecteur de cassettes. Le magnétoscope était posé sur le lit. Les cassettes audio et vidéo s’empilaient un peu partout ainsi que des journaux. Un vrai capharnaüm.
Ayé Ayé repoussa une pile de cassettes qui obstruait une ouverture dans le mur, en sortit deux verres et une bouteille de K.T.K. Il se servit et en versa une bonne rasade à Sika. Ils choquèrent leurs verres et burent à leurs retrouvailles.
Ils dormirent assommés par le K.T.K.
De grands coups frappés à la porte les réveillèrent en sursaut. Ayé Ayé qui n’avait pour toute arme qu’un marteau sauta dessus, prêt à se défendre. Sika, plus professionnel, portait toujours à la jambe une baïonnette qu’il avait dérobée, au temps de son service militaire dans le corps des parachutistes. Il se coula le long du mur et vint se mettre en embuscade près de la porte.
Les persiennes filtraient les rayons du soleil. Il faisait déjà très chaud dans la pièce. D’autres coups furent frappés et une voix féminine s’interrogea sur l’absence de réponse. Ayé Ayé reconnut la voix de Kissa. Mais ne lui ayant pas demandé de venir, il ne répondit pas. Il questionna Sika du regard, mais celui-ci d’un vigoureux coup de tête lui intima l’ordre de ne pas ouvrir. Elle frappa encore une fois, puis fit une note qu’elle glissa sous la porte. Ils la laissèrent partir. Quand ils furent certains qu’elle s’était éloignée, ils prirent la note : je suis passée te remettre ton porte-documents parce que je dois voyager… la suite de la note se perdit dans le « rattrape-la » de Sika. Ayé Ayé ne se le fit pas dire deux fois, et rapidement, il ramena Kissa. Cette dernière ne comprit rien à cette bourrasque qui l’avait ramenée en arrière. Ils refermèrent la porte à double tour.
Après quelques recommandations, ils laissèrent partir Kissa et s’affairèrent à une toilette sommaire.
Le soleil était déjà haut et étourdissait par son ardeur, quand ils avaient débarqué du gbaka sur le pont du premier échangeur qui enjambait la voie express qui menait vers l’intérieur du pays. Minibus de marque japonaise pour la plupart, les gbakas, comme on les nomme de par leur aspect délabré, permettent de faire la jonction entre Adjamé et les quartiers périphériques tels que Bingerville, Yopougon et Abobo-Anyama. Mais plus encore, les gbakas permettaient de pallier l’inefficace désordre qu’est la Sotra.
Sika paya la course et ils pénétrèrent dans Andokoi. Un village, intégré dans Yopougon, qui borde la forêt classée du Banco, la zone industrielle ainsi que la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan, la fameuse MACA. Andokoi est un quartier à risques… « les descendants » du vieux Andoh n’avaient pas bonne réputation.
Le porte-documents collé sous le bras, Sika, suivi de Ayé Ayé, avançait sans hésiter, s’enfonçant entre les maisons par des chemins qu’un étranger aurait eu du mal à soupçonner. Ils accédèrent à une concession par une porte, qui, de prime abord, aurait été prise pour l’entrée abandonnée d’une porcherie. Sika franchit le portail sans ralentir son allure. Ayé Ayé qui n’était jamais venu à cet endroit, s’accrocha aux pas de son ami et sauta à pieds joints pour franchir le tas d’immondices constitué de détritus divers. Mais ayant mal évalué la distance, il atterrit dans une flaque nauséeuse dans laquelle il s’enfonça jusqu’aux genoux. L’odeur qui s’échappa le fit vomir sans retenue. Dans sa gesticulation pour se sortir du glauque, Ayé Ayé glissa sur un objet indéterminé et s’affala dans la fange. Le cri qu’il poussa fit sortir toute la concession. La stupéfaction le disputa à l’hilarité et on l’aida à sortir de son inconfortable position. L’indescriptible col roulé, la veste croisée et le pantalon patte d’éléphant, en un mot, Ayé Ayé, dégoulinant de choses innommables, entra penaud dans la cour, précédé de Sika et suivi de tout le quartier. On dut utiliser des méthodes énergiques pour faire sortir les gens. Une dizaine de seaux d’eau ne suffirent pas pour le débarrasser de l’odeur pestilentielle. Et après bien des efforts, il dégageait encore une odeur de Nuoc Mâm.
II
Le sourire servile collé aux lèvres, Bassam Abdel Zim se leva et, à reculons, se dirigea vers la sortie.
Il sortit, toujours à reculons, et referma la lourde porte, sans la faire claquer.
El Chafik et Bassam Abdel Zim entretenaient des relations très ambiguës. Tous deux syro-libanais, l’un richissime, autoritaire, pervers et vicieux, en un mot le summum des tares de l’oriental riche. L’autre, pauvre comme savent l’être les orientaux, mais tordu d’esprit et de corps, Bassam représentait le nec plus ultra dans l’abject. Il passait tout son temps à échafauder des coups tordus.
III
Sika s’introduisit dans une pièce minuscule. Une pièce qui n’avait, pour tout mobilier, que deux tabourets. Un, dit « de bar », assez haut et l’autre à l’africaine, très bas. Il choisit celui à l’africaine pour pouvoir éparpiller les dossiers sans avoir à se pencher. Ce cagibi était un de ses nombreux points de repli et il en avait dans presque tous les quartiers d’Abidjan.
Ayé Ayé le rejoignit et la pièce s’emplit de la pestilentielle odeur semblable à celle du marché aux poissons du port d’Abidjan, lorsque les éboueurs oubliaient d’y passer pendant deux jours. Sika ne s’en formalisa pas, perdu dans l’étude de la combinaison qui empêchait d’ouvrir le porte-documents. Une combinaison assez bizarre dans une écriture qui, pour Sika, relevait du chinois. Allait-il être bloqué là par cet obstacle ? Il se tourna vers Ayé Ayé.
La combinaison paraissait pourtant simple. Les manettes étaient toutes plates. Ayé Ayé appuya dans tous les sens, mais rien n’y fit. Exaspéré par cet obstacle imprévu, lui non plus ne sut que faire.
IV
Abdel Zim ne s’y trompa pas. Il avait prévu cela. La réaction de celui qu’il détestait le plus sur cette terre des hommes : El Chafik.
Abdel Zim détestait autant El Chafik que tous ceux qui avaient réussi dans la vie. Cela démontrait son incapacité à concevoir ce qui pouvait aller dans le sens de la logique, et cela lui pesait de se savoir toujours perdant alors que d’autres, pour un moindre effort, réussissaient dans tout. Abdel Zim était de ceux qui, toujours prompt en affaires, mettaient la charrue avant les bœufs. Cupides qu’ils étaient, ils suçaient la moelle à travers l’os au lieu de la sucer par le bout. Pour El Chafik, Abdel Zim n’était qu’un pion. Mais pour Abdel Zim, réussir à démontrer à El Chafik qu’il pouvait réussir un coup était le but final de toutes ses tentatives.
Il se démena comme un beau diable pour réactiver ses réseaux afin de retrouver les traces de Sika et Ayé Ayé. Mais Abdel Zim ne connaissait pas ses limites. Tout pour lui se résumait à des promesses qu’il ne tenait presque jamais. Ainsi, aucun de ceux qu’il sollicita ne consentit à lui fournir le moindre renseignement.
V
Ayé Ayé s’escrimait depuis un certain temps à vouloir découper le cuir qui recouvrait le porte-documents, mais ce cuir semblait résister à toutes les lames.
Toujours aussi peu sûr de lui, dès qu’il s’agissait d’affronter un danger ! Et pour lui, retourner à Treichville équivalait à aller à Diên Biên Phu, le jour de l’assaut final…
Sika n’accorda aucune attention à ces jérémiades. Il prit le porte-documents des mains de Ayé Ayé et sortit dans la cour. C’est là qu’il s’aperçut qu’ils avaient passé toute la journée dans le réduit sans même s’en rendre compte. Ils n’avaient pas vu passer midi et n’éprouvaient aucune envie de manger. Pour être dans le vrai, il serait plus juste de dire que l’épreuve de la serrure du porte-documents leur avait coupé l’appétit. La position du soleil indiquait, vraisemblablement, quatre heures de l’après-midi. Et le vieux chrono de Ayé Ayé confirma cela.
Ils sortirent de la concession après s’être restaurés d’un bon garba acheté au coin de la rue, chez un Haoussa devenu vendeur d’attiéké. Un produit dont il ignorait l’existence en quittant son Niger natal. « Garba », un mets devenu incontournable pour certains. Du nom du premier Nigérien qui aurait permis la consommation de l’attiéké et du poisson-thon. Cette manière d’assaisonner le thon et l’attiéké défiait tout ce qui avait permis à l’art culinaire de se développer et de se faire une place au pinacle des choses enviées. Ayé Ayé et Sika se faufilèrent entre les baraques branlantes, juchées sur des espèces de plots qui les faisaient ressembler à des maisons d’un architecte fou. Elles étaient alignées sur des pilotis. Ils s’enfoncèrent dans la forêt du Banco en contournant une scierie qu’on aurait crue à l’abandon, mais qui, en réalité, continuait de remplir son rôle de débiteur de bois volé. Cela, avec la complicité de certains agents véreux des eaux et forêts, dans la réserve forestière du Banco. Ils se retrouvèrent dans un village Akyé qui permettait de se faire une idée du vécu en pleine forêt dans une ville cosmopolite comme Abidjan. Malheureusement, la quasi-totalité des Abidjanais ignorait l’existence de ce village.
La forêt du Banco qui devait être un des poumons d’oxygénation, à l’instar d’autres réserves dans les grandes métropoles à travers le monde, se rétrécissait comme peau de chagrin du fait de la cupidité des uns et des autres. Mais encore plus des prédateurs se disant promoteurs immobiliers qui mettent tout en œuvre pour gruger les gens en leur vendant plus des clapiers que des maisons à proprement parler. L’avidité et la cupidité sont en train de transformer Abidjan en un monticule bizarre, entre un bidonville de torchis verdâtres que constitue la majorité de la ville et quelques buildings harnachés de vitres.
Ayé Ayé et Sika traversèrent le village en saluant tous ceux qu’ils rencontraient. Le village ne comptait que quelques hameaux. Cela se réduisait à peu de monde. Ils atteignirent la lisière de la forêt après avoir franchi la rivière « Gbangbo » que les blancs transformèrent en Banco. Cette rivière était la rivière tutélaire de ceux de Niangon qui, à l’origine, peuplaient cette contrée. Ainsi que les Tchamans d’Assoukrouté, qu’on appelle aussi Tchamans de Songon Té qui y firent escale dans leur recherche de point de refuge, lorsque les Nindins, dit Akoupé, occupèrent leur espace vital.
Sika retint Ayé Ayé par le bras ; celui-ci semblait pressé de sortir de cette forêt qui ne lui disait rien de bon vu sa réputation, et s’apprêtait à enjamber le parapet en aluminium censé freiner l’élan de ceux qui, par défaut de maîtrise de leurs engins, voulaient saluer le décor. Ce parapet, en fait, ne jouait aucun rôle sauf peut-être celui d’alimenter les fonderies de fabricants de marmites et autres ustensiles en aluminium.
Pendant quelques interminables minutes, ils scrutèrent la voie express qui descendait, en passant sous l’échangeur de la gare d’Agban village, vers Yopougon. Chaque voiture, chaque passant, furent l’objet d’une attention particulière. Cette scrutation ne révélant rien de menaçant, ils osèrent sortir, glissant dans les sentes creusées par les impénitents violeurs de forêt qu’était toute cette horde qui avait pris en otage les alentours de la réserve forestière du Banco. Réserve forestière, certes, mais haut lieu de départ de toute l’eau qui approvisionnait Abidjan et toute sa banlieue. Richesse inestimable dont la préservation est vitale pour la capitale économique d’un pays qui, il y a peu, passait pour un pays de forêts. Mais qui, d’ici peu, passera pour un pays de savanes arborées.
Sika héla un taxi, mais se ravisant, le laissa partir.
Ayé Ayé ne trouva rien à redire. Mais son accoutrement de « métro démodé » et l’odeur que cela dégageait attiraient trop les regards. Aussi, proposa-t-il à son compagnon de se rendre au « Black » pour quelques effets moins voyants.
La gare « Renault » où ils descendirent n’avait plus de Renault que l’appellation. Les grands hangars, vestiges de l’ancienne aire d’exposition des véhicules et engins de marque Renault, abritaient diverses activités, dont une gare de transport qui desservait les pays limitrophes. La gare routière qui lui était accolée, et qui servait de gare centrale de la métropole abidjanaise, n’avait de gare que le fait d’y voir stationner des véhicules. L’espace était d’une dégradation invraisemblable. L’inqualifiable dans le dégoûtant, côtoyait l’abject dans la dépravation. Nul espace, malgré quelques efforts des compagnies de transport, ne permettait de se sentir à l’aise dans un endroit censé vous accueillir pour un voyage dont on ne revenait souvent pas. La Côte d’Ivoire détenait tous les records d’accidents de la circulation. L’État, dont on vantait tant la richesse, n’avait pas une gare digne de ce nom. Et pourtant, dans ce bourbier, même en saison sèche, on pouvait voir passer des cars dignes de pays développés.
Sika sauta du gbaka avant même son immobilisation. Ayé Ayé ne sut l’imiter. Il dut, donc, courir pour le rattraper au niveau du carrefour de la bretelle qui menait vers la gare d’Anyama, l’ancien quartier Marché.
Ils empruntèrent la bretelle qui menait au « Black ». Véritable crevasse, digne d’un cratère, cette bretelle était censée relier la gare routière à la voie express qui descendait de l’échangeur d’Agban-village. Elle devait également permettre la jonction des 220 logements et des quartiers de Cocody par les différents échangeurs d’Agban-Gendarmerie. On peut ergoter autant qu’on le souhaite, mais l’honnêteté recommande de rendre hommage à ce qui permet d’avancer et, Félix Houphouët Boigny, dans certains domaines, avait permis à la Côte d’Ivoire d’être leader dans la sous-région. Et même en Afrique pourrait-on dire sans hésiter.
L’ancien cimetière, devenu gare routière, ne payait pas de mine. Souventes fois détruites, selon les humeurs des agents des Services techniques de la ville d’Abidjan à qui la gestion incombait. Les baraques abritaient des commerces de tous ordres aussi bien avouables que non. À certains endroits de cette gare, des rumeurs avaient couru qu’on s’y adonnait à des trafics d’organes humains. Quelquefois, on y retrouvait des ossements humains. Preuve que le cimetière n’avait pas été assaini comme il se devait. Du sol, montait après chaque pluie, une odeur de pourri qui n’avait rien à envier à une décharge publique. Pire, l’odeur pénétrait par chaque pore, risquant de vous asphyxier.
Ils ne firent qu’un bref passage au « Black ». Ayé Ayé se changea dans l’un des nombreux recoins de ce lieu de trafic de toute nature. Mais, ce que beaucoup de personnes ignoraient, c’était également un lieu de prostitution des deux sexes. L’homosexualité s’y était ancrée par le biais des commerçants ouest-africains qui avaient fait croire que la pédérastie pouvait rendre riche. La prostitution féminine ne dépareillait pas et le coup le plus prisé était le « debout cueilli » qui consistait à s’accoupler à peine dévêtu, face à face où l’un des sujets, était légèrement penché en avant, même en pleine journée.