Intoxiquée - Clémentine Chaumereuil - E-Book

Intoxiquée E-Book

Clémentine Chaumereuil

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Beschreibung

Clermont-Ferrand, vendredi matin. Un silence macabre envahit la scène du crime où gît le corps sans vie d’une femme, méconnaissable et cruellement massacrée. Les traces d’une violence extrême suggèrent un assassin peu scrupuleux. Comment cette tragédie s’est-elle déroulée ? Lors d’une soirée alcoolisée dégénérant en cauchemar ? Au cours d’un cambriolage opportuniste ? Ou bien serait-ce l’œuvre d’un mari jaloux, dévoré par la possessivité ? L’équipe Vidal, composée d’inspecteurs aguerris, se lance dans la traque. Leur détermination inébranlable les guidera-t-elle vers la tanière du meurtrier ? Le compte à rebours est enclenché.


À PROPOS DE L'AUTRICE 


Clémentine Chaumereuil, diplômée en psychologie, explore un aspect sombre dans ses romans pour mieux comprendre les motivations humaines à commettre des actes irréparables. Son roman Intoxiquée traite de la dépendance affective et met en scène deux couples toxiques.

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Seitenzahl: 389

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Clémentine Chaumereuil

Intoxiquée

Roman

© Lys Bleu Éditions – Clémentine Chaumereuil

ISBN : 979-10-377-9847-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À toutes celles qui se battent et périssent au nom de la liberté.

Prologue

Le soleil filtrait par la fenêtre de la chambre d’Hippolyte. Cette matinée de septembre était bien calme et lorsque la jeune femme ouvrit les yeux, ce fut le silence qui l’accueillit à bras ouverts. Pour la première fois depuis plusieurs mois, elle venait de dormir seule. Dans son lit, entre ses draps froids. Il n’y avait pas les bras d’Anaëlle pour l’enlacer et la réchauffer. Il n’y avait pas non plus ses tendres baisers pour remplir son être qui paraissait si vide, pour faire frissonner sa peau et lui donner le sourire. Aujourd’hui, il n’y avait rien de tout ça. Et à l’avenir, il n’y aurait plus rien de tout ça. Il n’y aurait plus qu’un soleil glacial pour illuminer les tristes jours de sa vie.

Hippolyte se tourna sur le côté, remontant son bras et posa sa main sur le côté de l’oreiller, ses yeux fixèrent la commode qui lui faisait face. Anaëlle avait pris ses dernières affaires hier. Elle avait vidé les derniers tiroirs que la jeune femme lui avait laissés. Ce fut le cœur de l’appartement qu’elle avait pris en quittant les lieux. Elle avait même claqué la porte, comme si quitter Hippolyte n’avait pas été suffisamment douloureux. Il fallait toujours qu’elle en rajoute de toute façon. La jeune policière soupira.

Chaque matin, depuis le début du conflit jusqu’à aujourd’hui, Hippolyte devait puiser dans ses réserves pour se motiver à sortir du lit. Elle devait assurer ses heures de travail, comme tout le monde. Elle sortit son corps lourd du lit et prit la direction de la salle de bain, à cet endroit où a lieu le même rituel chaque jour : douche, savon, habillage. Toujours la même route à prendre pour aller jusqu’au commissariat, et toujours les mêmes têtes à voir.

— T’as une tête à faire peur, Versini !

C’était parfaitement vrai : la nuit avait été très courte, et les nuits précédentes n’avaient rien à lui envier. Les cernes décoraient ses yeux, sa peau avait perdu en couleur et la lumière dans ses pupilles s’était éteinte. Le lieutenant Perret la prit sous son bras et l’amena dans la salle de pause.

— Ta nuit a été aussi mauvaise que ça ? lui demanda-t-elle en lui préparant un café.
— Elle est partie hier soir, je te laisse imaginer, lui répondit froidement Hippolyte.
— Je suis ton alliée, Hippo, tu peux me parler gentiment d’accord ?
— Ouais, désolée Emma, je suis de mauvaise humeur… soupira-t-elle.
— C’est dingue, j’aurais jamais deviné, la taquina-t-elle, lui servant un café.

Hippolyte leva les yeux au ciel et en but une gorgée, tandis qu’Emma Perret se prépara à son tour un café. Elles n’étaient que toutes les deux dans la salle de pause, cela leur laissait un instant pour échanger encore un peu.

— Si tu veux, ce soir on se boit une bière ? proposa Emma.
— Chez toi ou chez moi ?
— Je pensais plutôt dans un bar, mais bon…
— Tu m’excuseras, mais… J’ai pas du tout envie de voir du monde, rétorqua Hippolyte.
— Faudra bien que tu rencontres quelqu’un d’autre un jour ou l’autre, tu sais.
— Bon on n’a pas une affaire sur les bras par hasard ?

Le lieutenant Perret écarquilla les yeux et faillit recracher son café. Mais elle comprit qu’il était inutile de la relancer sur le sujet, Hippolyte exécuterait une autre pirouette pour s’en sortir.

Malheureusement pour elles deux, et heureusement pour les civils, aucune affaire n’était en cours, il n’y avait que de la paperasse à faire concernant un crime précédent. Rien de trépidant. La conversation s’arrêta là, Hippolyte sortit de la salle de pause pour rejoindre son bureau et s’occuper de sa propre paperasse. Laissant derrière elle un froid glacial. Elle avait beau lire les mots qui parsemaient les feuilles, la jeune femme avait du mal à se concentrer. Elle n’arrivait pas à penser à autre chose qu’Anaëlle. À son regard. À ses mots. À sa silhouette qui s’éloigne et son être entier lorsqu’elle avait claqué la porte de l’appartement. Et elle avait beau lutter, il lui était impossible de chasser les images de sa tête. Tout comme il lui était impossible d’ignorer son cœur qui se serrait dans sa poitrine.

Soudainement, la faisant sursauter, le commandant passa sa tête dans l’open-space où se trouvait Hippolyte et l’appela.

— Versini, venez me voir.

Si elle tenta de masquer son sursaut, ce fut en vain. Elle se leva et suivit le commandant jusque dans le couloir. Il n’avait pas un bureau entre quatre murs comme le commissaire, et l’intuition d’Hippolyte lui souffla que le commandant vînt tout juste d’en sortir.

— N’en voulez pas à votre collègue, mais elle m’a confié que vous étiez souffrante. Pourquoi ne pas l’avoir signalé ?

— Je ne vais pas rentrer chez moi pour un rhume, Commandant.
— Elle a suggéré que c’était plus que ça.
— Vous allez me congédier pour si peu ?

— Vous n’avez aucune enquête, vous pourriez en profiter pour vous reposer et revenir demain. Ça n’arrive pas tous les jours.

— Vous me faites une fleur et je dois la saisir ? continua l’insolente Hippolyte.

— Vous comprenez vite, lieutenant Versini. Vous pourrez confier vos rapports à qui vous voulez. Pour cette fois uniquement, précisa-t-il avec un sourire.

Elle soupira et la conversation se termina. En allant regrouper sa paperasse, Hippolyte la laissa tomber lourdement sur le bureau de sa collègue.

— Il paraît qu’il ne faut pas que je t’en veuille. Et je crois que tu as gagné le gros lot, lieutenant Perret.

Hippolyte lui lança un regard assassin avant de se détourner d’elle et de sortir. Sa coéquipière n’eut pas même le temps d’articuler ne serait-ce qu’un mot d’explication.

La jeune femme fulminait dans les rues. Elle avait envie de hurler à la trahison et même d’envoyer un sms enflammé à sa « coéquipière ». Mais elle se retint, parce qu’au fond d’elle-même, elle savait pertinemment qu’elle n’était responsable en rien de tout ce qui se produisait dans sa vie. Hippolyte ne devait en vouloir qu’à elle-même. Elle n’avait pas été à la hauteur, elle n’avait pas été en mesure de garder Anaëlle auprès d’elle ; elle n’avait pas su la rendre heureuse ; pas su combler ses envies et ses désirs ; pas su donner suffisamment. Toute cette déception et toute cette frustration remontaient en elle, comme si depuis tout ce temps, elles s’étaient cachées et avaient guetté le meilleur moment pour sortir. Et l’engloutir tout entière.

La jeune policière prit le tramway pour rentrer chez elle ; tentant de ne pas se laisser envahir par les larmes qui menaçaient de couler à flots. D’envahir ses yeux et de conquérir ses joues. Elle parvint à attendre d’être arrivée chez elle pour se lâcher entièrement. Elle tomba à genoux, de manière brutale. Épuisée, elle s’écroula dans son entrée. Ce fut comme si elle perdit connaissance ; son être n’étant plus en mesure de supporter la douleur psychologique.

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle fixa le plafond, tentant de se reconnecter au monde extérieur. Cela lui fit l’effet d’une bouffée d’air ; l’une de celles que l’on a quand on reprend son souffle après être resté trop longtemps sous la surface. Sans se soucier de l’heure, la jeune femme se leva et se dirigea dans sa chambre. Elle s’affala sur son lit, retira ses vêtements et se glissa maladroitement sous les draps. Toujours froids. Et toujours seule.

1

Dans le crépitement des flashs, les deux lieutenants de police se faisaient face, la mine grave. Elles avaient déjà fait un tour de l’appartement et avaient procédé aux premières constatations. À leurs pieds gisait le cadavre d’une femme. Ensanglanté, son corps ayant pris une posture rigide. Des ecchymoses étaient visibles sur plusieurs parties de son corps : chacune des parties découvertes virait au bleu, au jaune, au vert. Son visage était tuméfié ; elle était méconnaissable.

Dans un coin de l’appartement, enroulée dans une couverture de survie, avec un café en main, tremblante, se trouvait Mathilde Dupuis. Ce fut elle qui fit la découverte du cadavre de son amie. Ce fut elle, également, qui appela la police. Après quoi, très rapidement, les lieutenants Versini et Perret prirent la route pour arriver à l’appartement du couple dans le quart d’heure qui suivit. Le légiste et l’équipe de la PTS1 étaient déjà sur les lieux lorsqu’elles étaient arrivées.

Jérémy Vallet, le légiste en charge sur l’enquête, leur annonça ses premières constatations.

— À première vue, je dirais qu’elle a été battue à mort. On voit bien les ecchymoses sur son corps, sans parler de son visage qui a été massacré. Elle serait morte, selon la rigidité cadavérique et la couleur des bleus, il y a onze voire douze heures.

— Elle est morte hier soir, t’es en train de nous dire ? intervint sans prévenir Hippolyte.

— C’est ça, c’est ce que je suis en train de dire. Et je peux t’assurer qu’elle a passé un sale quart d’heure. J’en saurai davantage lors de l’autopsie, mais je peux t’assurer qu’elle n’a pas que le nez qui est fracturé. Reste à savoir lequel de ces coups a eu raison d’elle.

— Quel carnage… intervint cette fois-ci le lieutenant Perret.
— Elle a été violée, Jérémy ? demanda le lieutenant Versini.

— Je vous le dirai quand j’approfondirai l’examen. Mais ça ne m’étonnerait pas, ça t’aide ?

— Ça peut, ouais, fit-elle avec la moue.

Toutes deux se détournèrent du cadavre et du légiste pour discuter entre elles et évoquer des affaires similaires, des théories criminelles et des suspects hypothétiques. Ce fut un officier de police qui les interrompit, concerné par l’impatience du témoin. Alors elles se dirigèrent vers elle, cette dernière était encore sidérée par la découverte du corps de son amie. Le choc avait été violent. Ses yeux fixaient le vide la plupart du temps, et ils étaient plus écarquillés que la normale. Elle avait perdu des couleurs, et la fatigue se lisait sur son visage. Elle avait des cernes. Quelque chose la contrariait et ça ne datait pas d’aujourd’hui.

— Lieutenant Versini et lieutenant Perret, madame… chercha Hippolyte.
— Dupuis, je suis Mathilde Dupuis, répondit-elle dans un souffle, comme épuisée.

— Depuis combien de temps vous connaissiez la victime ? demanda le lieutenant Perret.

— Je l’ai connue à mon travail, on travaille dans la même banque… Enfin, elle travaillait. Et elle était douée dans son domaine. Donc je ne sais pas… Depuis une dizaine d’années, mine de rien. On était plus que des collègues de travail, c’était vraiment mon amie.

Hippolyte prenait des notes dans un petit carnet pendant que sa coéquipière posait les questions.

— Vous saviez si Isabelle Durand avait quelqu’un dans sa vie, des enfants ? Ses parents, ils sont toujours en vie ?

— Elle est mariée, oui, à Jérôme. Jérôme Durand, articula-t-elle avec difficulté. Je pense que vous devriez lui parler… Ils ont deux enfants… Les pauvres…

Mathilde Dupuis étouffa un sanglot.

Un officier de police fit signe d’approcher au lieutenant Versini qui laissa sa coéquipière gérer l’interrogatoire. Mathilde Dupuis était suffisamment sous le choc comme ça, inutile de l’étouffer. Il lui tendit un sachet de preuve à conviction. Ce dernier contenait un téléphone portable qui était actuellement en train de clignoter et de vibrer.

— Un certain Jérôme n’arrête pas de la harceler de SMS et d’appels. Qu’est-ce qu’on fait, lieutenant ?

— On le rappelle, c’est son mari, Jérôme Durand. Donnez-moi le téléphone.

Hippolyte était rarement du genre à paniquer, mais s’il y avait bien une chose qu’elle détestait par-dessus tout dans son métier, c’était annoncer le décès à un proche. Le lieutenant Perret avait bien plus d’expérience dans ce domaine. Surtout parce qu’elle ne prenait pas les choses trop à cœur.

Après quelques sonneries, on décrocha enfin.

— Isa enfin ! Je me suis fait un sang d’encre, tu peux pas savoir comment. J’ai cru que tu m’en voulais d’avoir bu un coup avec les copains et de ne pas être rentré de la nuit…

— Vous êtes Jérôme Durand ?

— Oui, oui, c’est moi ! Qui êtes-vous et où est ma femme ? demanda-t-il, durcissant le ton.

— Je suis désolée de vous l’apprendre, monsieur, nous avons retrouvé le corps sans vie de votre femme. Je vous présente mes sincères condoléances, récita solennellement Hippolyte comme une élève modèle.

Tout ce qu’elle entendit par la suite fut les bips lui faisant comprendre que son interlocuteur venait de raccrocher. Après tout, elle aurait peut-être dû décliner son identité avant d’en venir aux faits.

— Eh merde. Fais chier ! ragea Hippolyte.

Elle regarda dans la direction du lieutenant Perret ; elle était toujours avec le témoin. Il aurait mieux valu ne pas l’interrompre, mais c’était un cas d’urgence, probablement. Que pouvait faire le mari de la femme décédée en déduisant la mauvaise nouvelle ? Elle demanda alors à l’officier de police judiciaire de lui ramener sa partenaire pendant qu’elle remettait le téléphone dans le sachet, la texture métallique du téléphone glissa entre ses gants chirurgicaux. Ce dernier tomba au fond du sac lorsque le lieutenant Perret arriva à sa hauteur.

— Qu’est-ce que t’as foutu, Hippo ?

— J’ai pas eu le temps d’en placer une. Et il m’a raccroché au nez quand je lui ai demandé de décliner son identité, expliqua-t-elle

— Ouais, et il sait pas qui t’es j’imagine. Merde, Hippo, c’est quand même pas compliqué de s’identifier avant l’autre. Ça fait cent fois que je te le dis !

Soudainement, quelqu’un dont la voix portait se fit entendre à la fois dans le couloir de l’immeuble ainsi que dans l’appartement.

— Isa ? T’es là ?

Visiblement, quelqu’un cherchait la morte et malheureusement il allait bientôt la trouver. Les deux officiers qui gardaient la porte ne devaient pas être là puisqu’il entra comme si de rien n’était et lorsque ses yeux fixèrent le cadavre de sa femme ; il s’évanouit.

— Alors, celle-là, tu me l’avais encore jamais faite… commenta gratuitement le lieutenant Emma Perret.

— Ferme-la Emma, c’est pas toi qui es dans la merde.
— Je vois pas en quoi ça change de d’habitude.

Elle haussa les épaules. Hippolyte souffla et alla s’occuper du mari de la victime, le relevant et l’amenant à s’asseoir sur une chaise tandis qu’il reprenait connaissance. Les deux femmes se mirent à son niveau, avec une bouteille d’eau en main et surtout en masquant son périmètre de vision.

— C’est moi que vous avez eu, je vous ai appelé pour vous apprendre que votre femme est morte assassinée.

— Q-quoi ? Mais… Par qui ?

— C’est pour ça qu’on est là, reprit Emma Perret, on a pris l’enquête. Qu’est-ce qui vous a pris de venir chez vous ? Pourquoi ça a été votre premier réflexe ?

— Ma femme ne travaille plus, depuis les enfants… Je sais qu’elle ne sort pas le matin.
— Et vous étiez où hier entre dix-neuf heures et vingt heures ?

— Je buvais un coup avec des copains, je l’ai dit à votre collègue en pensant que c’était ma femme qui me rappelait. Elle aime pas quand je rentre pas de la nuit quand je passe une soirée arrosée.

— D’accord, très bien. Vous pouvez vous lever ?
— Euh… Oui, je crois.

Il se leva, s’appuyant sur le mur, et tint bon sur ses jambes. Jérôme Durand était encore un peu chancelant, mais allait s’en remettre. Et c’était mieux ainsi pour les deux lieutenants qui allaient étouffer l’incident.

— Bien, nous vous recontacterons pour que vous veniez faire une déposition au commissariat. Et appelez-nous si vous vous rappelez quelque chose. Même si c’est un détail ; ça peut nous aider, expliqua le lieutenant Perret en lui tendant sa carte.

— Je vous remercie, mais… Euh… Quand est-ce que vous aurez fini ?

— Un officier de police va vous expliquer la procédure, je vous conseille de repasser plus tard pour prendre des affaires. Vous allez devoir dormir chez un ami le temps de l’enquête.

— Hein, mais comment ça ?

— Monsieur, s’il vous plaît, par ici, lui indiqua un officier de police qui l’escorta hors de l’appartement.

Les deux jeunes femmes soupirèrent. Elles regardèrent autour d’elles, et tout le monde était affairé à ses petites affaires : cela ne s’ébruiterait pas au-delà de ces 4 murs.

— Tu me dois une bière, Hippo. Chez toi.
— Tu l’as dit, je t’en dois une.

Elles sortirent de l’appartement, n’y ayant plus rien à faire. Le témoin était parti. Le mari également, et le légiste était retourné s’enfermer dans le royaume de la morgue. Tout le monde remballait et s’apprêtait, à la suite, à poser les scellés. Les deux jeunes femmes montèrent en voiture, et Hippolyte prit le carnet de sa coéquipière.

— Je t’en prie, sers-toi, hein…
— Je regarde tes notes, j’ai rien suivi de l’interrogatoire.
— Sinon je peux t’en parler, c’est pas mal aussi, lieutenant Versini…
— C’est mieux, t’as raison. Je fatigue mes yeux à essayer de te décrypter.

Le lieutenant Emma Perret secoua la tête en levant les yeux au ciel. Elle démarra la voiture et prit une direction qui semblait définie d’avance.

— Bon, Mathilde Dupuis, 38 ans, divorcée, deux enfants. Son ex-mari n’entre même pas dans le tableau, il est à l’étranger pour un « voyage d’affaires » et je la cite. Elle est dans la même banque que la victime, et elle a demandé à pouvoir aménager ses horaires tant qu’elle les fait dans la semaine et qu’elle suit le mouvement, quoi. C’est pour ça que certains matins, avant d’aller bosser, elle va voir Isabelle Dupuis. Je veux bien une amie comme elle. Enfin bon. Faut qu’on se méfie du mari, parce qu’apparemment c’est à cause de lui qu’Isabelle ne voit plus personne. Elle suspecte qu’il la frappe ; mais notre victime ne lui a jamais dit explicitement. Mathilde Dupuis m’a conseillé de creuser cette piste, mais bon… Il a un alibi non ?

— Ouais, si on peut appeler ça un alibi hein… Il a passé la soirée à boire avec ses potes et il semblerait qu’il ne soit pas rentré de la nuit.

— Intéressant… Toujours est-il que notre « témoin », si je puis dire, mentionne des faits troublants. Des yeux au beurre noir, des fractures, et j’en passe. Elle est quand même sacrément maladroite notre victime.

— Je veux pas dire hein, Emma. Ça peut coller, bien entendu. Mais on fait quoi des preuves évidentes de cambriolage ? Fracturation de la porte, vols des bijoux, agression et meurtre. C’est déjà arrivé, tu…

— Je sais bien. Mais je ne veux pas qu’on écarte encore la moindre piste. Je veux des preuves et elles nous diront ce qui s’est réellement passé hier soir.

— Et on va où là, exactement ?

— Chez les parents de notre victime. Il va falloir qu’on leur annonce la nouvelle. Et laisse-moi le faire.

— J’allais certainement pas te proposer de le faire, après ma bourde…
— Prends-en de la graine.
— 3 ans de plus et ça se sent plus pisser, bravo Em’ !

Emma esquissa un large sourire. Il lui semblait avoir retrouvé sa coéquipière. Mais pour combien de temps ? Combien de temps avant que Hippolyte ne disparaisse à nouveau ?

La concernée se le demandait bien aussi. Aujourd’hui, c’était une journée qui se déroulait plutôt bien contrairement à d’habitude. La tête d’Hippolyte était à la surface de sa mer d’angoisse et de mal-être. Travailler l’aidait et le lieutenant Perret savait pertinemment qu’il ne fallait pas qu’on lui tourne le dos maintenant. Hippolyte était loin d’avoir envie de passer par l’interrogatoire de sa collègue et amie ; mais elle avait encore moins envie de couler.

— Ce soir, dit simplement Hippolyte.
— Hein ?
— Viens boire une bière ce soir chez moi.
— Mais…
— Je t’invite, j’achèterai à manger. Ça te va ?
— Alors là, il faudrait être fou pour refuser ! s’exclama le lieutenant Perret.

Quelques minutes plus tard, elles garèrent la voiture à proximité de la maison des Mercier. Elles échangèrent un regard avant de frapper à la porte. Ce fut Arthur Mercier qui leur ouvrit la porte. Il avait l’air tout à fait normal, il souriait même et il était radieux. Comment pouvait-on réagir à la perte de sa propre fille ? Ce sourire allait être dévasté, Hippolyte en était certaine. Elle ne voulait pas être celle qui vole les sourires ; elle voulait les rendre en résolvant des enquêtes et en réparant des cœurs brisés.

— Nous sommes les lieutenant Perret et Versini, est-ce qu’on peut entrer ?
— C’est à quel sujet ?

— Au sujet de votre fille, je suis désolée d’insister, monsieur Mercier, mais je crois que c’est mieux si on en parle à l’intérieur.

À ces mots, il ouvrit en grand la porte et les laissa entrer. Hippolyte le salua d’un signe de tête. Elles furent guidées jusque dans le salon, où se trouvait déjà Annick ; la mère d’Isabelle. Elle lisait un livre qu’elle posa immédiatement dès qu’elle vit les inspectrices. Elle les salua et les invita à s’asseoir.

— Vous disiez que vous vouliez nous parler. De quoi est-il question ?

— C’est au sujet de votre fille. Je ne vais pas passer par quatre chemins, nous l’avons retrouvée assassinée ce matin… Je vous présente mes plus sincères condoléances.

Le choc ne fut pas des moindres, ce fut d’autant plus le cas lorsque le lieutenant Perret continua sur sa lancée : pour le moment, la police n’avait aucun suspect, ils pourraient voir le corps de leur fille, mais elle était défigurée… Arthur Mercier prit sa femme en larmes dans ses bras pour la consoler. Les questions furent multiples ; qui, pourquoi, comment, quand ? La dernière question concernait la souffrance de la mort de leur fille. Il ne fallait pas mentir, mais dire la vérité serait difficile à entendre et ils avaient déjà souffert des réponses à leurs précédentes questions. Le lieutenant Perret choisit d’ignorer cette curiosité et elle passa à la deuxième étape de l’entretien avec eux.

— Est-ce que vous lui connaissez des gens qui lui auraient voulu du mal ? Ou avec qui elle avait des conflits ?

— Quelqu’un susceptible de lui faire vivre l’horreur que vous avez décrite ? Bien sûr que non, Isabelle était une bonne personne, elle était appréciée de ses collègues, commença Annick Mercier, sa mère.

— Et puis vous savez, elle était excellente dans son travail. Aucun client ne s’est jamais plaint d’elle. Vous pourrez vérifier, compléta son père.

— Après vous savez, depuis qu’elle est avec son mari, nous ne la voyons plus beaucoup. Elle nous écrit quand elle n’a pas le temps de passer et… Chéri, tu pourrais…

— Je vais vous chercher les lettres et vous verrez par vous-même, ce sera plus simple.

Il se leva de son fauteuil et sortit du salon ; disparaissant derrière un pan de mur. Désormais elles n’étaient plus qu’avec Annick Mercier qui, à première vue, semblait vouloir être silencieuse en l’absence de son mari. Finalement, elle fit une déclaration. Elle avait attendu le départ de son époux.

— Vous devriez vous méfier de son mari, Jérôme. Il est bien trop gentil, si vous voulez mon avis. Mais ne dites rien à mon époux, il l’adore… Le voilà qui revient, prévint-elle.

On entendit un bruit de grincement, puis quelques secondes plus tard, Arthur Mercier était de retour dans le salon avec des boîtes à chaussures remplies.

— Il n’y a que 3 boîtes, mais je crois que vous y trouverez des réponses.

Hippolyte saisit les boîtes tandis que le lieutenant Emma Perret donnait sa dernière instruction.

— Voici ma carte, si vous avez le moindre élément qui vous revient en mémoire, n’hésitez pas à nous téléphoner ; ma collègue ou moi. Nous avons la même ligne.

Elles se levèrent en même temps et se partagèrent les boîtes contenant les lettres d’Isabelle Durand. Elles saluèrent les Mercier, sortirent de leur maison et rejoignirent leur voiture. Elles disposèrent les boîtes dans le coffre. Hippolyte lâcha un long soupir, comme si elle avait été en apnée durant tout l’entretien.

Une fois de retour sur la route et après quelques minutes de silence, Emma se décida à parler.

— C’est flippant que tu ne dises rien, Hippo.

— Ils ont affiché le plus beau de leur masque. Et là maintenant, ils doivent être tellement dévastés Em…

— On n’y peut rien. En revanche, on peut leur apporter des réponses et la justice qu’ils méritent en trouvant qui a fait ça et pour quelles raisons.
— T’as raison, faut que je me concentre là-dessus.

Le trajet retour ne parut pas aussi long qu’à l’aller. Hippolyte admirait la force et le courage de sa collègue. C’était une des raisons pour lesquelles elles formaient un si bon duo : elles se complétaient, comblaient les lacunes de l’autre. Leur harmonie se faisait de façon de subtile.

Le lieutenant Emma Perret déposa sa coéquipière au poste de police afin qu’elle rejoigne son bureau et anticipe la prochaine étape de l’enquête tandis qu’elle allait à un rendez-vous personnel. C’était toujours un peu comme ça ; elles faisaient une bonne équipe, même si elles n’étaient pas encore totalement sur la même longueur d’onde. Emma veillait sur Hippolyte parce qu’elle avait la sensation de faire face à une petite sœur ; et il lui était parfaitement impossible de ne rien faire pour l’aider. À l’inverse pour le lieutenant Versini, sa coéquipière était comme sa grande sœur et son mentor. Une femme qu’elle admirait pour sa personnalité, mais aussi et surtout pour ses compétences. Elle admettait bien volontiers qu’elle avait encore beaucoup à apprendre.

Hippolyte, seule dans l’open-space du commissariat ou presque, murmurait pour elle-même. Elle triait les courriers par ordre chronologique.

— En attendant, qui, en 2023, écrit des lettres manuscrites à ses parents ?

2

Hippolyte était rentrée du commissariat depuis quelques minutes. Elle avait acheté des bières fraîches sur le chemin du retour. Une fois qu’Emma serait là, elle commanderait des pizzas et tout serait absolument parfait. Elle espérait tout de même qu’elles ne parleraient pas d’Anaëlle toute la soirée. Même si le but était de se soutenir entre collègues et amies, Hippolyte avait d’autres projets pour cette soirée : la détente. Elle prépara un plateau, posa des verres à bière dessus, deux bières à côtés ; pour commencer. La jeune femme mit en route sa chaîne hi-fi et inséra un CD de diversités pop-rock, composés de chansons acoustiques. Le volume était réglé afin que la musique ne soit qu’un fond sonore. Pour le moment, Hippolyte contrôlait la situation. Finalement, se doutant qu’Emma ne tarderait pas à arriver, elle commanda deux pizzas qu’elles se partageraient. La commande devrait arriver quelques longues minutes après l’arrivée du deuxième lieutenant. Cela leur laisserait le temps de discuter et de boire quelques bières.

Quelques instants plus tard, Emma Perret sonnait à la porte.

— Tu m’avais dit de ne rien apporter, mais tu me connais, j’ai pas pu m’en empêcher, dit-elle en entrant, un pack de bière à la main.

L’hôte alla placer les bières dans le frigo tandis que l’autre jeune femme posa son manteau sur le porte-manteau dans le hall de l’entrée.

— Fais comme chez toi, hein, installe-toi dans le salon, j’arrive.

Emma choisit de se placer sur le canapé, tandis qu’Hippolyte se positionna sur le fauteuil à côté, sur la droite, donnant sur l’entrée de son appartement. La jeune femme décapsula une bière et la tendit à son invitée. Elle fit rapidement de même pour la sienne. Elles entrechoquèrent leur bière pour trinquer et burent une gorgée simultanément. Hippolyte fixait le plateau, pensive ; Emma la regardait en avalant une deuxième gorgée de bière.

— Hippo, tu sais qu’il faut passer par là, ne me durcit pas la tâche s’il te plaît.
— Y a rien à dire, Em. Elle est partie et c’est tout. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?

— Comment tu te sens en ce moment ? Tu arrives à dormir la nuit ? Et les cauchemars, hein ?

La jeune femme soupira, très peu désireuse de réponses à ces questions. Elle but une nouvelle gorgée de bière, comme pour se donner du courage.

— J’ai l’impression qu’on a arraché une partie de moi. C’est complètement con, je sais bien. Mais voilà comment je me sens. Je ne dors pas vraiment, sauf si je pleure toute la soirée. Et les cauchemars, y a rien qui les arrête ; c’est une torture, point. J’ai jamais vécu ça auparavant. Je pensais que seuls les autres disaient ce genre de conneries. Et pour être honnête, je pensais qu’elle et moi ça marcherait, Em. Je te jure, j’y ai cru. Jusqu’au bout. J’ai tout donné. Tout. Ça n’a pas suffi, alors qu’est-ce que j’aurais dû faire de plus ?

Emma Perret but une nouvelle gorgée, peut-être même deux. Les voilà lancées dans le vif du sujet. La partie promettait d’être rude, mais si elle jouait bien ses cartes, son amie pourrait se sentir un peu mieux. Cela pourrait la lancer sur le chemin de la résilience.

— C’est normal, c’est totalement légitime ce que tu ressens et ce que tu vis. N’en aie pas peur, on passe tous par là. Tu me promets de ne pas te vexer par ce que je vais te dire ?

— Vas-y, promis je me vexe pas… Lança de façon peu convaincante Hippolyte, buvant une nouvelle gorgée de bière.

— Tu devrais consulter quelqu’un et…
— Ah non, hors de question !

— Hippo, s’il te plaît, écoute-moi ! Tu as besoin d’écoute, et je peux faire tout ce que je veux, ça ne suffira pas, reconnais-le au moins. Tu accumules les bourdes au travail et clairement, ce n’est pas toi. Tu peux pas dire le contraire.

La concernée se leva et alla dans la cuisine. Elle ouvrit son frigo et y prit deux bières qu’elle ramena et décapsula. Elle but une nouvelle gorgée. On sonna à la porte, et cela lui donna davantage de répit. Enfin, ce n’était qu’un sursis, Hippolyte en était bien consciente. Elle se chargea de récupérer les pizzas, donna un pourboire au livreur et les déposa sur la table du salon.

— J’ai pris comme d’habitude, je pense que ça t’ira.
— Hippo…
— Je sais… Tu veux que je voie un psy.

— Non, je te conseille d’en voir un. Tu n’iras pas mieux vu comme tu es lancée, et je ne peux pas faire grand-chose de plus que t’écouter et te conseiller.

— Je sais, et je te demanderais jamais davantage, Em. Juste que…

— Je connais quelqu’un de bien, qui pourrait te convenir, dit-elle sérieusement en prenant une part de pizza.

— Je t’écoute.

Hippolyte se servit à son tour, engouffrant une bonne partie de sa part dans sa bouche.

— Bon c’est Elisabeth Rousseau. Elle est vraiment super.
— Sûrement oui.

— Hippo… Quand j’ai fait ma fausse couche, elle a été la seule à me remettre sur pied, et tu sais toi-même jusqu’où je suis tombée, lui rappela-t-elle avec douceur.

La jeune femme tendit une main vers son amie ; cette dernière la saisit. Les yeux bleus d’Emma se figèrent dans ceux de son alliée. Leurs reflets émeraude scintillaient de culpabilité et de gêne.

— Je suis désolée, c’était maladroit de ma part. Écoute, j’appellerai. Je te le promets.
— Demain, je t’ai à l’œil, menaça Emma.
— J’appellerai sous tes yeux. Ça te va ? proposa-t-elle en esquissant un sourire insolent.
— Et tu me paieras une bière.
— T’es déjà en train d’en boire une, t’abuses !

Emma imita le comportement d’une personne choquée de façon théâtrale et but une plus grande gorgée que les précédentes en faisant un clin d’œil à son amie. Les yeux verts d’Hippolyte brillèrent d’un éclat malin.

— Anaëlle n’est jamais revenue te parler alors ?

— Non, j’ai beau lui envoyer des SMS et tout, elle ne répond jamais. J’ai des questions à lui poser, j’ai des explications à recevoir et elle refuse de me les donner. Je te jure que c’est super dur d’être dans le flou. Comment tu veux que j’avance ?

— C’est trop frais, là. Comment tu veux avancer alors que t’as encore toutes les émotions dues à la séparation ? Tu n’as pas encore passé le premier tour. Tu devrais peut-être attendre un peu avant de penser à l’étape d’après…

— Je sais pas. Mais j’ai besoin de savoir des trucs. Elle me doit des explications. Je n’ai pas compris pourquoi elle s’est comportée ainsi et si je ne comprends pas, si je ne sais pas, comment je vais faire pour avancer, Emma ?

— Inutile d’insister là-dessus pour le moment… Tu vas devoir te contenter de ça, ou bien tu trouveras toi-même des explications. Et à ce moment-là, tu avanceras. Mais ça ne va pas durer ainsi éternellement, Hippo, je te l’assure. Tu as juste besoin de temps et tu devrais le prendre. C’est plus qu’un conseil d’amie…

— Le temps je l’emmerde, Emma.

Hippolyte termina sa bière d’une traite et reprit une part de pizza sans ménagement. Elle n’avait pas de temps à perdre, elle n’allait pas ne rien faire ; il en était hors de question. Rien faire revenait à couler et Hippolyte n’avait pas envie de devenir un zombie, à être gavée de médicaments pour avoir la force d’ouvrir un œil et de passer une journée correcte. Au fond d’elle, la jeune femme était persuadée qu’avoir les réponses dont elle avait tant besoin suffirait à son bien-être.

— Hippo…

— Mais quoi à la fin ?! Il y a quelque chose que tu sais que je ne sais pas ? Vas-y, dis-le-moi, je t’écoute !

— Je ne sais rien de plus, putain, tu fais chier. Chacun sa façon de vivre une rupture, mais tu devrais avancer, penser à toi, et te la sortir de la tête. Elle est partie merde ! Qu’est-ce qui t’empêche de l’accepter, ça fait plusieurs semaines maintenant…

— Mais parce que je l’aime bordel, j’ai l’impression qu’on m’a arraché le cœur et tu voudrais que je fasse comme si de rien n’était ?! J’arrive à me voiler la face au travail, parce que j’ai pas le choix, Emma. Je peux pas arrêter de travailler, le boulot c’est ma bouée de sauvetage, tu le sais très bien. Mais dès que j’arrive ici… C’est… Je me fais absorber par tout ce que je refoule toute la journée ! C’est un enfer, Emma. Un putain d’enfer.

— Hippolyte… Je t’assure, il faut vraiment que t’appelles cette psychologue. J’ai peur pour toi, je ne peux pas faire davantage… Il n’y a que toi qui peux te sortir de là.

La jeune femme en question inspira profondément et expira bruyamment, comme un soupir exagéré. Elle se mordit violemment les lèvres et les serra si fort qu’elles disparurent et blanchirent sous la pression. Elle frappa brutalement la table sur laquelle était tout posé, et renversa à la fois les bières, mais également toutes les parts de pizza restantes. Emma sursauta et s’éloigna instinctivement de son amie qui était devenue littéralement rouge de colère. Le reste de la scène se déroula au ralenti ; d’autant plus lorsque le regard d’Hippolyte croisa le sien.

— Tu me fais chier Emma. Dégage de là, vociféra-t-elle.
— Quoi ?
— Dégage de là, putain ! Rentre chez toi !
— Mais hippo, qu’est-ce que tu…
— Je t’ai dit partir Emma ! Me force pas à te foutre à la porte !

Excédée, Hippolyte prit son amie par le bras, la força à se lever du canapé où elle se trouvait, à prendre ses affaires et à sortir. Elle claqua si violemment la porte que les murs en tremblèrent. C’était la première fois qu’elle agissait de la sorte. Mais une rage sans pareille grandissait en elle, Hippolyte n’avait pas pu la contenir. Elle avait viré son amie, sa collègue à laquelle elle devra faire face demain. Mais demain n’était justement que demain. Ce soir, il fallait qu’elle se gère. Il fallait qu’elle gère ce trop-plein de colère. Impossible de savoir si c’était une simple coïncidence, mais dans son appartement, une voix chantait des mots et des maux qui lui allaient si bien.

Malheureusement, Hippolyte lança ce qui lui tomba sous la main en visant la chaîne Hi-fi. Impossible de savoir comment cette chanson finirait, ainsi. Tout ce que la jeune femme désirait au plus profond d’elle-même c’était de tout détruire. Alors elle envoya valser les bières vides contre ses murs, elle tapa dans ses murs jusqu’à en avoir les phalanges ensanglantées. Elle hurla à pleins poumons toute cette colère qu’elle avait emmagasinée en elle depuis tout ce temps. Tout ce qu’elle n’avait pas pu, tout ce qu’elle n’avait pas su dire au moment opportun. Mais c’était quoi le bon moment au juste hein ? Comment savoir quel était le bon timing pour partager ce que l’on ressentait à l’autre ?

— Anaëlle n’a pensé qu’à elle, putain ! Et moi alors ? Je suis quoi ?! Une putain d’étrangère c’est ça ?

Des coups sourds résonnèrent dans son appartement. Des coups qui venaient de ses voisins. Des avertissements. La prochaine fois que les coups résonneraient, ce serait à sa porte. Elle avait beau avoir des voisins compréhensifs, elle avait beau être silencieuse d’habitude… Elle était persuadée que ces « beaux voisins » changeraient de discours tôt ou tard si elle continuait ainsi. Hippolyte changea donc de tactique. Son amie avait amené de la bière ? Très bien, elle boirait jusqu’à s’anesthésier.

Ce fut bien ce que la jeune femme fit. Ses courts cheveux blonds aux reflets roux s’étalèrent sur son oreiller en même temps que ses joues pâles. Ses yeux verts se fermèrent tandis que Morphée la prit dans ses bras pour une nouvelle nuit mouvementée.

3

Le lendemain matin, rien ne réveilla Hippolyte. Ni son réveil ni les multiples appels de ses collègues. Encore moins les appels de son amie. Non, ce qui réveilla en sursaut la jeune femme, ce fut les lourds coups que l’on donna à sa porte. Ce fut sa sonnette qui était martelée. Ce fut ce son strident et ce son sourd à la fois. À demi réveillée, Hippolyte releva la tête. Ses yeux mi-clos, elle prit conscience de son état et des martèlements douloureux dans son crâne. Qu’est-ce qu’il avait pu se produire hier ? Elle n’en avait aucun souvenir.

— Putain Hippo ouvre ! Je te jure que sinon je défonce ta porte ! cria soudainement Emma.

Les martèlements se firent plus douloureux encore. Les vertiges apparurent lorsqu’elle se leva du lit. Hippolyte se retint au chambranle de sa porte. Ses intestins firent remonter tout ce qui avait été ingurgité la veille, main sur la bouche, la jeune policière eût un haut-le-cœur et s’empêcha de vomir de justesse.

Après de longues secondes, ou plutôt de longues minutes et quelques tentatives d’ouverture de porte venant de l’extérieur de l’appartement, Hippolyte ouvrit à sa collègue. Ses cheveux en bataille, ses yeux vitreux et la pâleur de sa peau firent soupirer son amie. Elle avait une sacrée gueule de bois, et c’était écrit sur son visage. Elle entra sans se faire inviter et ferma la porte. Emma était prête à lui faire la morale lorsqu’elle s’aperçut que l’appartement du lieutenant avec qui elle faisait équipe était dans un état… Indescriptible. Des éclats de verre jonchaient sur le sol, de la bière collait à ce dernier, il y avait des taches de sang sur quelques parties du mur. Instinctivement, le lieutenant Perret inspecta son amie. Ses mains étaient ensanglantées et ses phalanges avaient pris une couleur bleutée et avaient quelque peu gonflé.

— Bordel, Hippo, tu peux m’expliquer ? Enfin, va prendre une douche avant, t’empestes, déclara Emma Perret en la poussant dans la salle de bain et en fermant la porte. Et fais pas semblant, je le saurais. Lave-toi, je t’apporte des vêtements propres.

Ladite coéquipière d’Hippolyte alla, sans gêne, fouiller dans ses meubles : commode et placard afin de dégoter quelques affaires. Il ne lui fallut que cinq minutes avant de trouver une tenue convenable. Cette dernière fut jetée dans la salle de bain par l’entrebâillement de la porte.

— Dépêche-toi.

Quelques minutes et quelques vomissements plus tard, Hippolyte, pâle comme un linge, sortit de la salle de bain. Sans dire un mot, Emma Perret lui tendit un verre d’eau et de l’aspirine. Puis elle lui prit le bras et l’emmena à l’extérieur de l’appartement. Elle la conduisit jusque dans sa voiture dans laquelle elle composa un numéro.

— Bonjour, c’est Emma Perret, je voudrais prendre rendez-vous pour une amie.
— Bonjour. Avec quel docteur souhaitez-vous prendre rendez-vous ?
— Elisabeth Rousseau.

— Ah… Vous faites bien d’appeler, il y a un créneau libre aujourd’hui. Ce soir 18 h, ça irait à votre amie ?

— C’est parfait. Je vous remercie.

Elle échangea avec la secrétaire au sujet de modalités d’usage avant de raccrocher. Puis elle fixa son amie d’un regard noir.

— Je sais ce que tu vas dire, Emma. Inutile de perdre du temps… murmura Hippolyte.
— Si tu le sais, pourquoi tu continues ?

Le lieutenant Perret passa la première et démarra.

— Et on va où là ? demanda presque timidement Hippolyte.
— Si t’avais été là au briefing ce matin, tu saurais, rétorqua sèchement son amie.

Hippolyte fit la moue et tourna la tête pour regarder le paysage défiler sous ses yeux, boudant. Elle n’avait eu que quelques minutes pour se préparer, ça l’avait complètement bousculée. Sa tête ne lui faisait presque plus mal et l’impression d’irréalité se dissipait aussi rapidement que l’impression de tanguer. Elle devait remercier le comprimé d’aspirine.

— Emma, je…
— Je sais, Hippo. Je ne fais que tenir les promesses qu’on s’est faites.
— … Merci.

La jeune femme se mordit la lèvre pour retenir ses larmes, la tête toujours détournée de son amie. Elles firent route silencieusement jusqu’à destination. Qu’y avait-il de plus à dire ? Elles veillaient l’une sur l’autre, elles se couvraient, et prenaient parfois les coups à la place de l’autre. Elles étaient coéquipières. Au fil des mois qui s’étaient écoulés, leur lien s’était renforcé.

Elles se garèrent devant une maison, et sonnèrent. Hippolyte lut le nom sur la boîte aux lettres, située au niveau du portillon. Elle soupira. Mathilde Dupuis avait dû les rappeler ou bien elles avaient de nouvelles questions à lui poser. Ou les deux. Ayant raté la réunion de ce matin, la jeune femme n’avait aucune idée de ce qui se tramait. Elle entendit la voix de Mathilde Dupuis, celle de sa coéquipière ainsi que l’ouverture du portillon. Elle suivait docilement et silencieusement, le sol s’était remis à tanguer. Hippolyte vacillait discrètement derrière son amie. Le lieutenant Perret présenta sa carte de police à la porte de la maison de leur témoin. Elles entrèrent.

Mathilde Dupuis, amie et ancienne collègue de la victime, vivait dans un pavillon situé rue de l’Oradou. Il était modeste, mais bien entretenu, décoré intérieurement avec beaucoup de goût. Cela changeait de l’appartement d’Hippolyte. Et cette dernière fut d’ailleurs soulagée lorsque leur hôte les invita à se poser dans le salon pendant qu’elle allait préparer un peu de café. C’était tout ce dont avait besoin le lieutenant Versini pour faire passer les derniers vertiges qui résistait à l’effet de l’aspirine. Quelques instants plus tard, le lieutenant Perret questionnait Mathilde, autour de trois tasses de café.

— Nous sommes allées rendre visite aux parents d’Isabelle Durand, et ils nous ont confié que depuis qu’elle s’était mariée, elle était devenue distante. Apparemment, elle ne leur rendait plus visite aussi souvent qu’avant et leur écrivait plutôt des lettres, énonça-t-elle en reprenant ses notes. Vous savez pourquoi ?

— Lieutenant, je ne vais pas vous mentir, commença Mathilde Dupuis, mais depuis que Jérôme est entré dans sa vie, beaucoup de choses ont changé.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ?

Hippolyte assistait à la discussion, comme en retrait. Elle but une gorgée de café puis prit des notes.

— Oh, vous savez. Dans les débuts d’histoires d’amour, on voit moins ses amis, et on profite davantage de son partenaire. Mais là, c’était différent. Enfin, ce n’est que mon avis. J’avais la nette impression que son mari ne la gardait que pour lui… Ou plutôt qu’il l’empêchait de sortir. Elle a raté beaucoup de sorties entre collègues ; boire un verre, manger au restaurant, ce genre de choses qu’elle ne manquait pour rien au monde. Isabelle se justifiait toujours en disant que son mari l’attendait, ou bien qu’ils avaient prévu quelque chose entre eux deux. Mais je voyais bien son visage quand elle recevait ses messages, ses réponses. Ceux de son mari, bien entendu.

— Qu’est-ce que vous sous-entendez, exactement, madame Dupuis ?

— Qu’il lui mettait la pression pour qu’elle rentre bien sagement chez eux. Petit à petit, on ne la voyait plus en dehors du travail.

Ce fut un détail que le lieutenant Versini ne manqua pas de prendre en note. Cela pourrait être une piste à exploiter ; le mari jaloux, le possessif. Sauf qu’il paraissait réellement abattu quand il a appris la mort de sa femme. Mentalement, Hippolyte secoua la tête et but une nouvelle gorgée de café.

— Cela durait depuis combien de temps ? demanda le lieutenant Perret.

— Vous avez mal compris. Ça a toujours été comme ça, depuis le tout début, depuis qu’ils se sont rencontrés. Ça fait sept ans que c’est comme ça.

Les deux lieutenants échangèrent un regard. Inutile de parler, elles s’étaient comprises. Elles iraient interroger le mari comme prévu, mais ne manqueraient pas de mentionner ce détail qui avait toute son importance.

— Comment Isabelle Durand le justifiait-elle ?

— Elle disait que c’était comme ça la vie de couple. Mais ils ont emménagé très vite ensemble et se sont mariés très vite, trop