Isabel, de nulle part... - Alex W. Jaton - E-Book

Isabel, de nulle part... E-Book

Alex W. Jaton

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Beschreibung

Cavalez avec Della Paolera et ses compagnons de voyages, d'Europe à l'Amérique Latine !

Partir très loin ! S’éloigner des « autres » le plus possible, entre eux et lui, mettre de la distance. Fuite en avant, sorte de cavale à l’envers pour un prédateur désorienté ? Signor Della Paolera ! Homme d’habitude personnage respecté, le voici à son tour devenu gibier ; la cible ! En Europe, à Rome, certains le traquent aussi, sous couvert de démarches dites officielles ou non. Sur l’Altiplano péruvien, vaste et poussiéreux, une ombre le suit, discrète, bras armé sans état d’âme aucun. Aux yeux de plusieurs de ses compagnons de voyage, notre sexagénaire ne manque pas de poser question. Ce vieux beau, ce rital, ses tempes grises, Dessibourg s’amuse à l’imaginer là mafieux repenti, parfois acteur de séries noires, plus trash, mari ayant buté sa garce d’ex. Quant à Isabel…

Avec ce roman, découvrez l'histoire d'un rital traqué, chasseur devenu gibier.

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Veröffentlichungsjahr: 2020

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ISBN : 979-10-236-1335-3

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Alex W. JATON

Isabel,

de nulle part…

« Memento audere semper »« Souviens-toi de toujours oser »

Gabriele D’Annunzio

1ère PARTIE

Sur sol inca…

L’International Airport Jorge Chavez Lima Callao. Un de ces méga-aéroports, bien pareil à tant d’autres, sans doute. Toujours ces inévitables, si longs cheminements « savants », à respecter à la lettre, sous peine de s’égarer assez vite, sans repère, déboussolé, au bout du monde, avec comme maigre résultat pas mal de temps perdu.

Un pas, puis enfin un autre, avancée presque invisible… Dire que cette colonne, déjà bien imposante, s’allongeait encore à chaque séquence qui passe de dizaines de bipèdes, certains arrivant isolés ou d’autres carrément par vagues aléatoires voire quasi « tribales ». Noyé parmi ces gens Della Paolera surnageait, emporté par cette houle contre laquelle il était illusoire de vouloir lutter… Un autre pas… Direction sa Quête ? Entreprise pour aller vers quoi au juste ? Jusqu’où ? À l’échafaud ? À cet instant précis du moins vers l’avant, faute de mieux. Vers cette ligne jaune, où l’on allait à coup sûr lui intimer de s’arrêter… Jusque-là, personne n’avait fait mine de l’avoir reconnu. Que ce soit à bord, par la suite au sol dès son arrivée, avant aussi côté du personnel ni par les autres passagers. Aucune question, ni regard suspicieux, entendu ou très soutenu, qui aurait vite pu être dérangeant, voire franchement intrusif, accusateur, le mettre du coup en danger…

Fort de ses soixante balais à peine entamés l’homme n’avait pas eu vraiment peur. Plus prudent peut-être ? Alors allez savoir pourquoi ce foutu, ce bizarre sentiment d’angoisse, qui le gagnait, chose désagréable qui, maintenant, lui enserrait la poitrine, nouait sa gorge rendue sèche, genre carton racorni. Ce type, là-bas, adossé à l’une des nombreuses colonnes ? Son attitude lui parut si étrange, avec son seul maigre bagage à main. Faisant mine d’être absorbé par la lecture d’un formulaire officiel d’immigration ou d’un autre papelard du genre. Mauvaise « pioche » ? Qui aurait pu avoir commandité ce tueur jusqu’ici ?

Au-delà de cette insignifiante barrière, véritable ligne de démarcation, un comptoir à deux étages barrait le passage à chaque nouveau candidat immigrant. Un gros œil électronique, haut perché sur sa hampe fine, fixait l’arrivant. À demi-caché derrière ce meuble l’un des quelques fonctionnaires péruviens de service paraissait, quant à lui, peu concerné, du moins jusqu’au moment où sa main empoignait votre passeport, en même temps que votre destin aux portes de ces vastes terres d’Amérique latine. Dire que, du moins devait-il se l’avouer, toute l’affaire était vraiment partie en vrille depuis ce vulgaire troisième courrier, court, anonyme de surcroît… surtout, point important, accompagné d’une petite… « attention »…

– Euh, scusi, mais je l’ai déjà ouverte, pure précaution… Attention, c’est assez…

Lui précisant cela, Aurelio, secrétaire attentif, avait paru assez mal à l’aise, au contraire de ses habitudes plutôt enjouées. Sorti de cette grosse enveloppe capitonnée un annulaire humain. Entier ! Visiblement tranché encore depuis peu. Avec une nouvelle phrase, toujours du même acabit, ces termes très explicites, forts, alignés sur un bandeau de papier tout maculé de sang… « Della Paolera, ceci aurait pu t’appartenir. Désormais surveille les tiens de près, de très près… »

Della Paolera regarda vers la colonne. Cette fois l’homme au bagage à main le fixait, à coup sûr, lui seul, et personne d’autre. Aucun doute là-dessus. Son vol IB6358, en provenance de Madrid, s’était pile posé trente minutes plus tôt. En fin d’après-midi. Par devant lui toujours cette file, sans intervalle ni vraie solution de rechange, vraiment figée… qui n’avançait presque pas du tout, ou alors millimètre par millimètre… Un bon siècle n’y suffirait jamais… Stoïque d’apparence José Della Paolera rongeait son frein. Sa montre marquait maintenant presque dix-huit heures, heure locale…

Sur son dos toujours ce poids, ce regard. À bout José se retourna. L’inconnu s’était évaporé… Réacteurs à peine éteints, sur sa montre José avait sans autre procédé au changement du fuseau horaire, le couplant sur celui du cadran de son iPhone flambant neuf. Ceux de la meute n’en sauraient rien. Du moins, inconnu de tous à présent, ce numéro leur compliquerait sérieusement la tache à ces hyènes et autres vautours… là-bas…

Procédure prévue entre Simonetta, sa fidèle gouvernante et lui-même ?

– Per favore Simonetta, vous, moi, on oublie nos petites fantaisies, capito ?Si ?

Entre ses dents jointes José Della Paolera interpella le vide, se sentant du coup assez benêt.

– Ah, mmmm, terrible sauvageonne, si tu savais… si, Isabel, si tu avais pu…

– Avancez s’il vous plait, merde on va pas y passer la semaine ! Vous hibernez ou quoi ? lança de derrière une voix d’homme, ton excédé, usant d’un anglais approximatif.

L’injonction le fit sursauter. C’était… à lui depuis une jolie poignée de secondes déjà… Enfin oui, son tour arrivait ! Cadence s’accélérant, trop précipitée maintenant à son goût… Semblable à un bœuf d’abattoir le sexagénaire franchit cette ligne jaune. D’un air las le fonctionnaire compulsa le passeport tendu par José. Lui fit comprendre de mieux se positionner face à la rétine brillante du gros œil électronique. Valse hésitation, retour en arrière sur quelques pages du document délivré par les autorités de la République d’Italie. Deux ou trois raclements de gorge, profonde inspiration « réglementaire »… puis minimaliste…

– For holidays ?

– Yes !

Comme si l’autre n’en croyait rien, ou avait omis ou la flemme de lire ce qu’il y avait d’écrit sur le formulaire du service d’immigration…

Au milieu de tout ça, quelque part certains voulaient sa peau… partout de « braves gens » le recherchaient, où qu’il aille ou se terre… D’ailleurs dans sa boîte à lettres plusieurs de ces courriers, fort explicites, le lui avait confirmé. Beaucoup de messages vocaux s’y ajoutaient, plus orduriers les uns que les autres.

– Tu vas crever bâtard, prépare-toi… tes proches seront étripés vivants, un par un, gueulant comme des porcs de boucherie. Rassure-toi tu auras la primeur de l’enregistrement…

Simonetta s’en rendait malade, ne dormait plus. Se signait à chaque fois que le facteur se pointait au bout de leur rue. D’autre part, comment l’expliquer alors, aux gens de « l’Organisation » ?

L’autre, fonctionnaire zélé, de derrière son comptoir, le fixait maintenant. Regard suspicieux de fouine, sans vraie aménité, sans signe complaisant non plus. Ayant peut-être avoir cru déceler chez cet Européen un cas dit « spécial » ? Un individu à signaler de suite, procédure d’extrême urgence oblige… Dernier mouvement de paupière du représentant du service d’immigration del Perù. Ce tampon qui s’abat, à répétition, tel un marteau de magistrat. Restitution du précieux sésame. Gros, énorme soupir de soulagement de son propriétaire, un brin excédé de ce zèle propre à rendre fou les plus placides.

Le dénommé José se risqua à un discret sourire. Ne jamais trop en rajouter toutefois, en vieux briscard l’homme le savait. Juste cette marque minimaliste de politesse, jamais un pet de plus…

– Gracias…

Au creux de son dos sa chemise était trempée, à tordre. Rien à voir avec la fraîche température du hall d’arrivée. L’air climatisé fonctionnait à mort, détraqué peut-être… Ne restait plus qu’à récupérer ses valises. Avant de faire, à choisir le plus tôt si possible, connaissance de son guide… puis des six autres…

***

L’homme qui dérange…

Ces quatre hommes péruviens semblaient respecter, là, un silence plutôt propre d’habitude à quelque cérémonie funéraire. Trois drapés dans leur uniforme de la police se tenaient en retrait, insigne aux fils d’or brodé à l’épaule. Poitrine barrée d’une cordelette blanche. Col ouvert. Casquettes visière au ras des yeux. Le quatrième, en élégant costume de ville, bonne coupe, mais au tissu lustré aveu d’une fatigue pesante.

– Sargento, venga aqui !

L’homme au costume « fatigué », le sous-officier, se retrouvèrent côte à côte, face à une paroi de verre. De fait un miroir sans tain, classique, discret, idéale installation pour qui veut observer sans être vu ni même « senti »… À proximité de son supérieur, le sergent en profita.

– Vraiment sûr qu’il s’agit de lui ? Vous êtes catégorique sur ce point Comisario, c’est vraiment notre homme, là en plein devant le passage cinq ?

– Ouais ! Matez le bien hombre, car la merde risque de s’installer vite fait, ce genre de présence sur notre sol n’annonce rien de bon. Devant vous avez ni plus ni moins qu’une bombe à retardement…

– Dîtes, paraît plus grand que sur ces photos reçues via notre… contact ? Oublié des premiers, se sentant mis ainsi à l’écart, l’un des deux policiers du second rang venait au renseignement.

– Jefe ? On attend quoi de nous, Señor Comisario, concrètement ?

– La totale ou presque ! Vous deux derrière, écoutez-moi… vous allez lui sauter dessus, juste après le contrôle des bagages. Vite vous me le passerez à tabac, vous lui casserez son gros nez de macaque, aussi le reste, sa sale gueule, on brise ses os jusqu’au dernier. Ce qui… euh… mais… comment… ?… ce qui devrait, je dis bien devrait, lui passer l’envie de venir nous casser les… Entendido ? Crac, notre vilain petit canard ! Aux oubliettes ! Au fond d’un joli cachot, bien pourri, le plus dégueulasse de Lima… Pain sec, pas d’eau, pas de papier de chiottes son billet d’avion lui suffira…

– Euh, excusez-moi d’insister… entre nous… vous… vous plaisantez sans doute un peu Senõr Comisario ?

– Ouais, j’avoue senõres à fond je plaisante. Moi j’en ai vraiment une de ces envies… folle, vraiment folle, débile… Avec notre cher Commandante Quispe qu’a pas trouvé mieux que de se tirer, vive les vacances, ahahah… sa dulce mujer en guise de valise…

– … mais c’est…

– … des vacances méritées, si je vous l’accorde…

Enhardi du coup un second policier vint prêter main forte à son collègue.

– Sauf votre respect Senõr Comisario, vraiment quels sont vos ordres immédiats ? Ce type, sérieux on doit vous le « coincer » nous autres ? D’ailleurs nous on connaît rien de lui. Ce bonhomme serait un danger public ? L’un de ces sacrés foutus terroristes fichés ? Ou alors un escroc d’envergure internationale ?

– Ah ah ah ! Alto ahi !Secret défense ! Lâchez le morceau, tirez le frein à main je déconnais ! Vous mes lascars, soyez très heureux de rien savoir de plus. Simple, appuyez fort sur le mode off ! Entendido ?

– Si… si… comprendido…

– Parfait ! Alors vous restez là muchachos, au chaud, pareil à de beaux plants de maïs, bien calés sur vos jolis petits culs d’Indios !Comprendido ?

– Euh… presque… comprendido, mais nous… peut-on savoir ce que vient branler par ici ce… cette « personnalité »… objet de votre… de tant… euh… d’attention ?

– Très simple, Sa Majesté veut se faire descendre… bêtement amigos se faire flinguer ou égorger à la sauvette… ailleurs que chez lui… Conclusion Senõres ? Ce genre de type doit vraiment détester les braves flics de notre Policia Nacional del Perù…

***

Contact…

Sac à dos jeté négligemment sur l’épaule, poussant sans forcer son chariot à bagages, José franchit à grandes enjambées ce secteur miné, à haut risque. Cette zone vaste, bien haute de plafond, donc hyper aérée, par contre toujours délicate à négocier. No man’s land consistant surtout aux derniers contrôles de vos sacs, valises, objets personnels, autres incontournables notebooks, accessoires, ou dernières « bricoles » technologiques dont rien ni personne n’aurait l’outrecuidance de se priver au risque de passer pour un rescapé du néolithique…

Rien, aucun écueil ni le moindre douanier suspicieux ne le retint. Le rêve… façon Pérou moderne. Pour se retrouver, d’un seul coup, face à une horde colorée, plus que bruyante d’excitation, catégories composées de porteurs locaux, d’amis, de parents impatients ou à l’inquiétude à fleur de peau. Ajoutez à cela surtout des guides, délégués de tous poils, tour à tour brandissant sur leur poitrine une de ces petites pancartes si sagement calligraphiées, copié-collé de la majorité des aéroports du monde.

Vraiment cette fois, chose nouvelle, José Della Paolera voyageait seul. Libre de ses mouvements. Sans ses chiens de garde…

Côté Europe peut-être le recherchait-on déjà ? Quittée quelques vingt heures avant, la ville de Genève, ses seules traces peu à peu s’évaporaient après un bref passage à la gare Cornavin. Payé avec carte de crédit son billet de chemin de fer, aller-retour, prévoyait un terminus à Brig, localité presque cul-de-sac de la plaine du Rhône.

Qui savait ? Simonetta était son unique confidente. Aurelio laissé sur la touche. Les polices ? Pfft… Quant à ces nombreux « autres », ces hyènes inquiétantes ? En délicatesse, depuis plus de quatre bonnes décennies bien tassées, son épaule eut la cruelle idée de se rappeler à son bon souvenir. Volontiers qu’il l’aurait oubliée celle-là. L’homme aux cheveux d’argent grimaça. Vive le sport, le viril rugby, du moins ses séquelles peu sympas, récurrentes avec l’âge… ! À Lima, au cœur du grand hall d’arrivée de cet Aéroport Jorge Chavez Lima Callao, vêtu sobrement, rien ne le distinguait d’ailleurs de beaucoup du flot d’immigrants. C’était heureux, pris dans cette multitude environnante. Jeans, en toile beige, plutôt standard. Son torse, qu’on devinait assez puissant, était couvert d’une chemise bleu nuit, manches retroussées à demi. Une paire de bonnes baskets de marche complétait cette silhouette baroudeur occasionnel, équipé de neuf, ainsi apte à se frotter au monde inca d’aujourd’hui. Tête cachée en partie par la visière de sa casquette, n’émergeait qu’un visage qu’on eût pu qualifier de dur, si ce n’était cette lueur un brin amusée, laquelle brillait en permanence au fond de ses yeux. Puis, Della Paolera, c’était aussi cette face taillée à la hache, toute en angles. Marquée d’une cicatrice en V, au creux du menton. Beaucoup de self control apparent ce bougre. L’expérience de l’homme de terrain ? Presque trop peut-être ? Immobile, main sur la barre coudée du chariot, Della Paolera balaya du regard l’immense hall d’arrivée du Jorge Chavez Lima Callao…

***

Rome…

– Où peut-il bien se trouver ? Que fabrique notre José ? Mio Caro devrait être arrivé maintenant, non ? Trop fidèle à ses habitudes, aucune nouvelle. Incorrigibile bambino ! Toi la vieille folle, tu peux bien crever d’inquiétude… D’accordo Simonetta, d’accordo, faut prendre en compte ce maudit décalage horaire… Ah ces hommes… ces hommes…

Entre ses mâchoires serrées Simonetta grommelait. Surtout par simple forme, à son habitude. Pur réflexe de louve frustrée. Ah ne pas savoir ce qui se passait à cette seconde, là-bas. D’ailleurs où exactement ? Trop loin de leur Europe ! Sur quelle face de la planète bleue se situait ce Pérou de malheur ? Vaste pays, ses territoires tout en longueur, sur la côte ouest de l’imposant continent sud-américain à main gauche baigné par un Pacifique omniprésent.

Afin de la rassurer Della Paolera le lui avait montré du doigt, sur le beau globe terrestre trônant au salon. Allant jusqu’à marquer certaines étapes importantes, à l’aide d’un stylo-feutre, puis les effaçant temps d’après avec ces airs de conspirateurs que l’homme affectionnait parfois. Au-dedans, par ses tripes, Simonetta le sentait ! Où qu’il se trouve désormais, « Son » José serait gibier, en danger de mort, à la merci de n’importe quelle « force » téléguidée, celle de ces « mauvais », des âmes sombres dont le nombre lui semblait augmenter à chaque rotation de la Terre… Cette absence du moindre signe… ce silence radio. Simonetta broyait du noir. L’instant d’après se rassurait, pour replonger vite fait en pensées au plus profond d’autres horribles scénarios. Simple constat, son « employeur » était parti depuis à peine vingt-quatre heures. À l’autre bout du monde soit. Après les avoir quittées, elles… Abandonnant du coup cet appartement cossu, meublé avec goût, à « l’ancienne » soit, toutefois mêlant biens de famille, objets collectés lors de ses voyages successifs. Cadeaux après certains menus services ayant été rendus çà et là. Logement d’allure patricienne, doté de vastes pièces désormais rendues tristes, presque vides de sens. Tellement silencieux depuis lors. Surtout depuis que la porte d’entrée s’était refermée, claquement léger escamotant pour trois longues semaines cette silhouette massive…

– Bene mia figlia, il vient à pied du Brésil ton café ? Tu ne sais plus faire un ristretto maintenant ? Triste hein ? Par la Madone qu’apprennent nos jeunes d’aujourd’hui mama mia… ? Sortir surtout… jour, nuit, au maximum ! Aller se perdre en… discothèque ça oui…

– Boîte ! Discothèque c’est d’un ringard. S’éclater en boîte faut dire…

– Non lo so ! Magnifique terme, moderne, hein, traîner en boîte ? Surtout montrer son nombril, si ma fille, sans parler du reste…

– Ta dose de caféine arrive Nonna Simonetta. Si après seulement un jour tu stresses pareil, ça promet… cool… respire…

– Cool, cool, c’est facile pour une écervelée comme toi… Responsabilité, piété, dignité, toi tu connais nombre de ces termes barbares ? Avoir de grands yeux bleus ne suffit pas dans la vie…

Tout en se dandinant, en équilibre sur ses hauts talons, la jeune fille apporta la tasse promise.

À plat sur un coin de table quelque chose vibra. Discret d’intensité l’engin émit un son court… confidentiel…

– T’as changé d’appareil Nonna ? Alors l’autre, ton vieux Samsung ? Merde, j’hallucine deux portables… la classe ! Bon réponds, ton amoureux piétine ce pauvre chou ! Si tu me cherches je suis vautrée devant la télé… l’heure de ma série… Vu l’absence de « Notre » José, faut bien que je m’occupe hein…

***

C’était un texto concis. De Della Paolera. De José… Très explicite… Simonetta enregistra. Bonne nouvelle enfin…

– Bene arrivato a Ginevra ! Plein succès départ plan B. Cordialement… J.D…

***

Miguel, l’Indio…

Noirs brillaient ses cheveux épais, quelques fils blancs, coupe raide, courte, récente. Un homme manifestement natif d’ici, descendant des lointains Incas, teint basané, pommettes saillantes sous une paire d’yeux marrons bienveillants. D’une main l’Indio tenait une modeste affichette, figée par-devant sa poitrine, bien en évidence. L’Européen le dépassait facile d’une bonne tête.

– Vous êtes Mister José ? Pardon c’est bien vous, Mister José Della Paolera ?

– Bonjour, oui affirmatif, Della Paolera, du moins ce qu’il en reste. Fourbu, cuit…

– Miguel ! Buenas tardes. L’un des guides de notre agence, ici, à Lima. Donc… si je suis concret… votre dévoué accompagnant au Pérou, dès maintenant jusqu’au tout dernier jour de votre circuit.

– Enchanté Miguel…

– Bienvenido a Perù, pais de los Incas ! Dites, on vous croyait perdu… Les formalités ? Aucun souci, vos cinq compagnons de voyage nous attendent, sagement, vers notre minibus…

– Cinq ? Mon Tour Operator m’avait parlé d’un groupe de sept touristes, moi compris ? s’étonna pour la forme l’Européen.

– Exact, manque encore une femme, la Senõra Garcia. Une Espagnole ! Cette dame s’est déjà installée à notre hôtel. Pilar… Pilar Garcia. Voyez cette… personne tenait à arriver plus tôt, car désirant visiter, seule, hors programme, chacune des salles du musée d’arts naturels de la capitale. L’un des meilleurs du monde, vous comprenez ?

– Bravo, vraiment remarquable d’être passionnée de la sorte, pensez à notre époque…

– Euh, cette… dame se déclare, entre autres, grande… euh, très très grande connaisseuse… du monde des oiseaux. Sauf erreur… une orni… quelque chose…

– Une scientifique alors ? Pas trop pédante ? Surtout pour vous je l’espère…

– À voir à l’usage… Venez à ma suite Mister, euh Senõr José, notre véhicule se trouve à cinquante mètres à peine !

Un porteur à badge avait déjà empoigné le chariot supportant ses valises. De travers, non assuré son sac lui battait le flanc droit. L’Européen aux cheveux gris suivit ce duo local. Au pas de charge, par crainte de perdre de vue l’un ou l’autre, ses bagages…

***

– Hello la compagnie ! Mesdames bonjour… Monsieur bonjour à vous aussi… lança José à la cantonade, à demi courbé lorsque pénétrant dans un minibus Mercedes. D’office le sexagénaire poursuivit son petit laïus de circonstance.

– José Della Paolera, vraiment content d’être des vôtres…

Deux des femmes se tenaient assises, épaule contre épaule. À mi-chemin, vers le milieu du confortable véhicule équipé de quatre rangées de sièges. Côté couloir la mère était une jolie brunette, la quarantaine svelte, plutôt vive d’expression. Regard un peu trop triste peut-être, nota quand même José, en son for intérieur. Pommettes marquées, trahissant qui sait des origines de pays de l’Est jugea-t-il encore.

Peau encore blafarde que les vents andins s’emploieraient bien vite à corriger.

Du genre à prendre soin de sa personne, en y mettant le prix quand même…

Celle qui devait être logiquement sa fille, ado scotchée contre la vitre, jeans de marque déchirés savamment, se la jouait boudeuse combinée artiste incomprise. Avec sa coupe rasée sur une tempe, longues mèches orange dégradées sur l’autre. Son iPhone muni d’écouteurs lui servait de bulle l’isolant de l’ingratitude de son environnement direct.

– Vous étiez aussi dans l’avion de Madrid, pareil à nous ? releva la mère d’une voix agréable, où perçait beaucoup de fatigue. Celle du jetlag ? Le tout couronné d’une grosse dose d’impatience.

– Oui, vous parlez d’un périple ! Genève, après se farcir Madrid, sa zone transit. À bout de souffle arriver à Lima… Moi, à un certain moment, j’y croyais plus du tout. Idem pour vous aussi je suppose ?

D’un mouvement de boucle la brunette acquiesça. Sa jeune voisine émit un gloussement poli. À mettre, sans doute, plus en rapport avec ce que son précieux iPhone lui ingurgitait au profond de ses oreilles qu’une pure envie de se mêler à leur trop fade discussion d’adultes.

Deux jeunes copines italiennes, coupe « sport » griffée, observaient bouche en cœur ce petit monde naissant. Ce duo, de charme, à l’évidence allait au mieux compléter cet amalgame de team en devenir. Transalpines parlant étonnement peu, ce peu seulement en circuit fermé, minimum, à voix basse. Seule la grande mobilité de leurs yeux trahissait quelques-unes des épisodiques tentatives de capter ce qui se disait, d’échanges tantôt en espagnol, l’anglais parfois trait d’union, ou se passait entre les sièges du Mercedes.

– Della Paolera José…

S’aidant d’une légère inclinaison de tête l’arrivant se répéta. Aussi sobrement que possible, toujours évitant d’en faire des tonnes de trop. De l’arrière du minibus, rauque une voix émergea. Celle d’un grand fumeur ? Tonitruante surtout. Venue du fin fond de l’habitacle, d’entre les dernières rangées de sièges.

– Content, moi aussi ! Très honoré même davantage, de se taper l’Altiplano en long, pourquoi pas en large tant qu’on y va, avec vous José ! Avec vous aussi les filles, ça vous vous en doutiez déjà assez, ahahah !

Une tête surgit de la profondeur des hauts dossiers. Faciès hilare, rictus en coin d’autosatisfaction. Puis cette même voix, résultat d’années de tabagie…

– Excusez, mais j’en profitais, héhé… une courte sieste réparatrice. À voir vous connaissez en majeure partie notre magnifique clan Dessibourg. Béatrice, ma souriante, ma tendre épouse ! Ma fille Mylène, son iPhone, sa musique de dingues ! Enfin moi, Charles, mari modèle, esclave moderne à peau blanche, because mon job, dévoué corps et âme à son Boss. Charles… Charles, votre humble serviteur ! Vous vous rappellerez ?

Réaction plutôt diplomatique de l’homme aux cheveux gris.

– Aucun risque, pareil oubli serait impardonnable…

– Nous autres, les Dessibourg, ça voyage en famille vous voyez. Nous sommes in-sé-pa-ra-bles… tout pareil à ces couillons d’oiseaux., ahahah… De la bonne famille helvétique, bien propre sur elle. De Genève soyons précis…

– Ah voilà qui tombe à pic Charles… Charles hein ? Plutôt bien que je connais votre cité… Calvin… l’ONU… J’y passe beaucoup de mon temps. Affaires, amis, loisirs quelquefois, je suis d’abord Italien, cependant j’avoue volontiers que la francophonie me convient… tout particulièrement…

– Notre jet d’eau, la rue du Rhône, nos banques accueillantes, vous pratiquez…

– Oui, ça aussi je suis preneur… Blablabla…

***

Assis à la droite du chauffeur Miguel se retourna de trois quarts.

– Gracias de me confier, maintenant, chacun de vos passeports. J’en aurai besoin, déjà, à la réception de notre premier hôtel, à Lima… Presque tous les jours suivants aussi. Plus simple donc, serait que je les conserve, sur moi, bien au chaud…

– Au chaud, mon cul…

Dessibourg renâcla, cependant remit trois passeports à croix blanche. Le sexagénaire ne fut pas en reste. Sa main tira le sien de l’une ses poches pectorales.

– À l’hôtel vous recevrez par moi de plus amples informations liées à notre programme. Sur le Pérou, sur ses habitants, quelques bribes d’histoire des bases de notre nation, plus deux ou trois petits trucs utiles sur ce qui nous attend ces prochaines semaines. Après quoi Charles ? Cadeau bien liquide, trouble, rafraîchissant ! De quel genre por favor ?

– Oui, quoi, précisez par pitié ? Volontiers complice à ce jeu Dessibourg mima une lente agonie…

– Chose très agréable à vos gosiers ? V-o-t-r-e apéritif « local » de bienvenue !

– OK Miguel, fuego, je vois pisco bien tassé pour ma pomme. Charles Dessibourg hurla encore. Putain je le vise d’ici, bien frais, verre accompagné de ma première Marlboro sur sol péruvien. Speed autrement moi je pète sérieux les plombs…

De son siège la femme Dessibourg tourna les yeux au ciel. Pur réflexe ses mains partirent, en recherche, vers l’une des poches de son sac. En sortit un tube. L’ouvrit, en tira deux ou trois comprimés…

– Mon prénom, chacun de vous l’a mémorisé, c’est vital pour vous ? Miguel ! À votre service Senõres. Du spécial ? Super photo ? Arrêt pipi ? Help Miguel !!!

– Super, « mécolle » on me prénomme Charles, ceci depuis le matin béni de ma naissance. Quand je songe à toutes ces jeunettes péruviennes, aucune ne connaît encore sa chance rapport à mon arrivée. Personne les a prévenues ces polissonnes ? Help, help Miguel… faut me réparer cet impair, agissez de grâce.

Loin d’être désarçonné, placide, leur guide continua son laïus, sur sa lancée, non sans y glisser un peu d’humour.

– Mon véritable métier, en fait, à l’origine guide de montagne. Moi je suis natif du Huaras, soit d’une région de vraie altitude. Sans comparaison avec Lima. N’ayez aucune crainte nous n’allons pas escalader tout de suite nos plus hauts sommets ni d’anciens volcans. Surtout avant de vous avoir fait connaître… à tous, les étonnants bienfaits de la feuille de coca… puisque…

– Chérie, ahahah… peut-être que ce machin s’avérera aussi efficace pour booster ta libido…

Ce Charles Dessibourg fallait devoir se le farcir. À des années-lumière d’eux la tête de sa fille dodelinait, sous l’emprise de flots de décibels qui devraient peu à peu parvenir à lui trouer ses tympans d’ado. Déjà Miguel déroulait la suite…

– … pour nos déplacements, nous disposons, vous disposez, d’un minibus récent. Bel engin à l’état de neuf, tout confort, équipé d’une clim efficace. Agréable, plutôt pas mal non ? Notez-le surtout, avec un superbe chauffeur, Raul !

Logique oblige, fallait s’y attendre, les applaudissements fusèrent de partout… Raul se retourna. De toutes ses dents souriant à la cantonade. Visage cuivré autant que celui de Miguel. Chevelure aussi noire. Une fine moustache sombre amplifiait sa lèvre supérieure. Fait curieux Dessibourg s’abstint de renchérir, du moins pendant les quelques maigres secondes qui suivirent. Très relatif répit à vrai dire, puisque temps d’après notre homme sonnait la charge…

– Vamos ! Vamos Raul ! Putain de clim ! Nom d’un chien,caramba, j’ai une de ces soifs…

Hilare, bon enfant, Raul tourna la clé du minibus Mercedes…

***

À l’hôtel chambres distribuées, eut lieu leur premier briefing. S’entend inclus, une promesse est une promesse, ce verre de bienvenue. Debout face à eux, calme ambiant relatif, Miguel leur fit le topo annoncé, non sans avoir présenté cette « septième », la Senõra Garcia, cette folle d’oiseaux, celle qui allait compléter leur petit groupe. Mylène susurra à l’oreille de sa mère.

– Oh la meuf, sacré jackpot… j’y crois pas… Là on a touché le méga gros lot…

Chacun avait intérêt à se surveiller, à tenter d’y mettre du sien face à tel phénomène. L’ado à la mèche devait avoir « percuté » juste, dixit sa prose « perso ». Pilar Garcia ! Espèce de vieille fille, pas encore trop fanée, férue d’ornithologie. Comment oser en douter ? Même cette grande gueule de Dessibourg, prudent sur ce coup, n’osa s’y risquer de front. Jeune ? Sans doute, Pilar Garcia. Quoique difficile à cadrer plus avant ses années au compteur, actellement peu avantagée sous ce farfelu, son invraisemblable accoutrement habituel, oscillant entre treillis de légionnaire en campagne et berger andin. Grand amateur du beau sexe, l’esprit bien pratique, Dessibourg se la classa d’emblée, rubrique réserve : « pourrait servir… un jour de disette… », l’intercalant assez loin entre deux pages de son herbier intime. Chullo de laine rouge sur son crâne. En permanence, sauf à table ou une pause bienvenue s’imposait, libérant des cheveux qu’on découvrait soignés, aux reflets auburn. Passionnée de n’importe quelle bestiole à plumes, hier encore collaboratrice dans une étude notariale madrilène, car sa louable passion ne nourrissait guère son monde… blablabla…

– L’inévitable chiante du voyage… décréta fort Mylène, écouteurs en place, donc incapable de savoir cette fois-ci si quelqu’une ou quelqu’un l’entendait.

Démissionnaire sa chère mère s’obligeait à compter d’invisibles mouches.

– Autrement, à part mon club d’ornithologie, mes recherches, la paroisse de mon quartier à Madrid m’occupe plutôt beaucoup.

Entre ses dents ladite Mylène, sous couvert de sa mèche orangée, ne pouvait que compléter d’ailleurs son pronostic éclairé…

– Magnifique, rare, spécimen de grenouille de bénitier… à la ramasse Bécassine…

De la tête, sourires entendus, les prénommées Annagrazia et Flavia, de concert acquiescèrent joliment, plutôt solidaires de cette banderille assassine à en juger. Cette paire-là, aux yeux des deux tiers du clan Dessibourg, c’était déjà, ce serait, jusqu’au dernier jour du circuit andin, les copines, les Ritales… point à la ligne. La Garcia resterait « la » Pilar, puritaine, cette « Rosière » convaincue…

À part les Dessibourg aucun parmi eux ne se connaissait d’avant. Des trois autres femmes, formule « single » Pilar Garcia était donc la première à avoir débarqué à Lima. Depuis quelques jours bien remplis, musées, expos… etc. Blablabla… D’une pique « la » Pilar ne manqua nullement de le rappeler aux divers « ploucs » décérébrés constitutifs de leur groupe…

– Quelques chouettes visites des musées. Celui de l’Archéologie entre autres ! À tomber… vraiment à ne rater sous aucun prétexte. Sinon crime impardonnable… l’Humanité vous jugera moment venu ! Bien entendu, réservé à qui maîtrise, vraiment, de façon pointue, cette culture riche, si complexe que tant d’opacités paraissent en subsister… ah ce très vénérable Empire inca…

Mea culpa partiel d’un Charles ayant « sifflé » cul sec le pisco de sa femme.

– Oh vraiment ? Alors je suis mal parti, moi à part mon business, le golf… mon Boss…

– … leur musée de l’Or ? Pure merveille ! Puis, tuyau utile, l’incontournable Museo del Banco central de Reserva del Perù. Vraiment je vous le conseille vivement puisque certains me semblent… euh… voyager pour… la première fois…

– Genre visites des antiquaires quoi chère Madame ? Super, wouah, sérieux y’en a qu’apprécient ces vieilleries poussiéreuses ? glissa en passant une Mylène, infidèle quelques secondes à son iPhone, coque Star Wars brillant de mille feux.

– Euh, Mylène, ma jolie faut sortir de ta bulle d’ado, essaie d’ouvrir tes yeux de chaton restés si tardivement captifs… Absorber plus du savoir des choses ! Quoi de meilleur, de plus enrichissant, bien que nous soyons de modestes mortels ? D’impénitents pécheurs aussi… Notre Seigneur Jésus nous a ouvert une voie que nous nous devons d’explorer à fond. D’accord ma jolie, toi tu « percutes » quand même un minimum ?

L’opportuniste Dessibourg s’en saisit à pleines mains, de cette perche bien naïvement tendue. Son naturel revenait au galop…

– Bravissimo chère… demoiselle ! Alors quoi, nous les hommes dans tout ça, nom de Dieu ? Jamais le moindre fantasme sur eux ? Sur nous ? Jamais un petit extra coquin ? Juste côté hygiène vous savez, ou plus si affinité, à voir si vous y preniez goût…

La « demoiselle » en resta muette. Se signa, ce qui parut n’étonner personne parmi les présents. Simplissime, fugace rictus d’ado, mèche de feu oscillante, Mylène s’en était déjà retournée à ses « stars »… à leurs flots de décibels…

***

Moue circonspecte de José pupille rivée sur l’écran de son iPad. Actif Miguel leur guide indio s’occupait des chambres, paperasses diverses, formalités d’enregistrement. À titre préventif prenait copie des passeports de chacun. Son visage de cuivre, quoique sérieux, respirait le calme. Les membres du groupe s’ignoraient les uns les autres, pensifs, claqués surtout. Sur l’un des canapés de la réception Dessibourg dormait, se payant une légère avance sur sa nuit, bouche ouverte. Son épouse Béatrice semblait prier, à l’écart se dressait, statufiée, paupières pudiquement baissées.

Par saccades quelques mèches orange s’agitaient sur le fauteuil d’à côté, confirmant que l’ado Dessibourg demeurait, quant à elle, bien éveillée… En dépit des fatigues du voyage le sexagénaire, lui, ne put s’abandonner vraiment. Ses yeux se fermaient, se rouvrant presque aussitôt. Trop exténué, trop vaseux pour sombrer dans le sillage de Dessibourg. Nerfs trop à vif depuis son départ ? Encore une fois son regard glissa vers ce « duopack » à force rafraîchissant, constitué de ces charmantes Transalpines, l’une sauf erreur Flavia Valli, la seconde… Anna… grazia Taddei. Titulaires toutes deux de passeports de l’État italien… tiens comme lui d’ailleurs…

Sans en être certain Della Paolera crut qu’elles parlaient de sa personne. Pas de quoi se formaliser. Quelqu’un le poussa, geste plus maladroit que volontaire. Échoué sur son canapé Dessibourg émergeait, s’ébrouait paupières mi-closes… À propos de ces Italiennes, au premier regard, presto Charles Dessibourg les avait « cataloguées » à leur tour… logique Charle… L’herbier s’étoffait…

– À culbuter ces Miss…

La première, la plus grande des deux, corps assez musclé. Surtout pour une fille… Dotée de cheveux mi-longs, de jais, qu’un simple élastique maintenait enserrés. À l’aile droite de son nez un point brillait par intermittence, sous l’effet du moindre rayon de soleil. En fait un simple, très discret piercing révélé par un diamant minuscule.

– Annagrazia, modeste prof… enfin en congé ! Si j’en crois Miguel, Italien, pareil à nous à ce que nous avons cru comprendre ?

De jolis yeux copiés sur ceux d’une antilope fixèrent José. Bruns, vifs, amandes en mouvements perpétuels, balayant tous azimuts alors qu’elle se montrait presque distante jusque-là. Intriguée… peut-être… par le V, sillon bien net, cette cicatrice visible au menton de son interlocuteur ? À l’aide d’un peu de patience réciproque cette douce, cette bien relative « banquise » ne saurait tarder à fondre, entre compatriotes trop heureux d’y retrouver en parlote un peu du pays.

– Bene, vrai, notre planète bleue paraît assez exiguë. Partout ça grouille de tous ces sacrés… Ritals non ?… Vous voyagez toujours entre amies ? Euh, je veux dire vous voyagez… ensemble ?

– Vu sous l’angle de notre complicité, si, si… on peut dire souvent…

– Donc, récapitulons bien… ma mémoire… l’âge vous savez, vous vous êtes Annagrazia… et vous ?

– Moi ? Je suis Flavia Valli… Valli come… Valli…

– Flavia joli prénom ma foi… joli patronyme aussi…

Niveau morphologie ? Presque le contraire de son amie. En finalité tout aussi agréable de contact. Bien qu’assez ronde, silhouette très féminine. Joviale, jeune femme simple, plus naturelle tu meurs, sans complexe non plus. D’ailleurs ladite Flavia prit le relais.

– Disons… on essaie de combiner, si possible. Rien n’est vraiment aisé avec nos jobs respectifs…

– Ah guère facile à notre époque d’hyperactivité permanente. Faut toujours être disponible, constamment, au top ou fiévreux… vous, jeunes d’aujourd’hui, devez aller au… charbon… c’est ça hein ?… Sinon…

Le sexagénaire tentait l’empathie.

– Alors, merci d’en déduire que votre môme Flavia Valli doit être classée, ad aeternam « rameuse » professionnelle…

– Lorsqu’on a votre âge, votre potentiel. Que me racontez-vous là ?

– En clair ? Facile, moi je trime un max ! Bosser dans le journalisme, ce truc a toujours été mon rêve. L’idéal d’une vie ! La mienne, me paraissait tracée à même le granit ! Une voie royale m’attendait, bras ouverts. Bilan actuel ? Nul… à chier ! Scusate… ben je me contente d’un obscur train-train, dont peu de gens un tant soit peu éclairés voudraient. Documentaliste freelance. Rat d’étagères si vous préférez ! Toujours à fouiner au profit de quelqu’un. Genre boulot peu gratifiant… ouais… au moins ça me permet de payer mes factures…

– Bien, alors un vieux croulant, tiens dans mon genre, ne peut que vous conseiller de serrer les dents… Ce vent contraire va finir par tourner vous verrez…

– Grazie Signor, j’ignorais qu’à vos heures vous pratiquiez la méthode Coué…

– Buona risposta… hum. Vous Annagrazia, je crois avoir saisi que vous êtes prof ? Ezato ? Si j’ose encore, après ma maladresse de tout à l’heure…

– Enseignante… rattachée au très honorable département de l’Éducation Physique. Vous pigez ? Fonctionnaire à perpète quoi. Paraît qu’y a pas de sots métiers… mon paternel me le surine à chaque réunion familiale…

– Vostro Papa ? Belle incarnation de la… sagesse d’aînés… Confucius, ou le Mahathma Ghandi n’auraient pu mieux formuler la chose…

– Sans blague ? Je vois que vous aimez plaisanter Signor Della Paolera… merci quand même…

***

Ce premier soir José Della Paolera joua la carte « sagesse », fit le choix de ne pas ressortir. Ce voyage aérien avait laissé quelques traces. Crevé, sans ressort. Puis ses douleurs, celles provenant de sa « vieille » épaule déglinguée, liguées contre lui le taquinaient à nouveau. Quelques pages de lecture suffirent donc à « l’achever »…

***

Un début à tout…

De guingois sur son siège Miguel s’employa à un rapide rappel de l’étape les attendant ce second jour. L’itinéraire à suivre. Préliminaires en quelque sorte, une entrée en bouche qui s’en irait crescendo à la rencontre d’un menu impérial des plus consistants.

– Atenciòn por favor… à peine cinq petites minutes à me consacrer…

Presque en droite ligne on allait dans un premier temps longer l’océan Pacifique, soit plongeon vers le sud, sur plus de 250 kilomètres de bonne route. Toujours sur la côte poursuivre jusqu’à Paracas, station balnéaire sans vraies plages, aux rudes rivages « travaillés » depuis des siècles par ce farouche Pacifique au nom menteur, sa puissance, ses infatigables rouleaux d’eaux sombres…

– Sur cette péninsule nous allons y passer la nuit. Très chouette notre hôtel vous verrez. Un endroit très calme, ombragé, bien tenu… notre base de départ, tôt, très tôt demain matin…

Lendemain, jour levé, la troupe visiterait les îles Ballestas, leurs si nombreuses merveilles animalières. Colonies de phoques, millions d’oiseaux nichant sur d’abruptes falaises couvertes de guano… cormorans, pélicans, fous de Bassan… d’autres espèces… Réactif, perspicace, ce diable de Dessibourg voyait très juste.

– Nom de Dieu Pilar, demain c’est jour de gloire ma chère, hein ? Avec tous ces millions d’amis emplumés ça va « déchirer » non ? Presque un orgasme…

« La » Pilar resta de marbre, s’affairant à plus urgent, soit remettre d’aplomb son précieux chullo…

***

Aux abords d’un square de belles dimensions Miguel avait fait arrêter leur minibus. Sans raison apparente. À vrai dire à part quelques petits marchands ambulants, leurs carrioles colorées, RAS… Beaucoup de circulation, quelques maigres groupes d’autochtones désœuvrés. Yeux cachés par des verres opaques un laveur de pare-brise s’approchait déjà, en main un simple seau, un torchon douteux. Du récipient dépassait un court manche, sans doute celui d’un accessoire muni d’une extrémité polyvalente… tranchante ou… bien pointue…

– … d’une…

N’importe quel objet peut se transformer en arme, même avec un minimum de force. D’anticipation José frémit. Du coup à nouveau sur ses gardes. Peu net, l’homme lui parut bizarre. Ce type offrait ses services, mais s’intéressant surtout au seul intérieur du Mercedes. À certains de ses occupants ? Lequel plus qu’un autre ? Étonnant non ? Nécessaire de porter des lunettes à soleil, avec ce ciel bien parti pour rester à journée faite couvert et terne ?

– Quelqu’un a besoin d’un peu d’argent péruvien parmi vous ? Des nuevos soles ? Houhou… vous voulez procéder à du change ? Qui parmi vous serait intéressé ? Vous Senõras ? Ici vos aurez le meilleur prix, sans frais. Devises ? Euros ? Vous détenez aussi des dollars US ? Aucun problème…

– Ouais, pardi quelle plaisanterie mon gars ! Bien sûr qu’on veut ! Mais certes, comment donc ! Quelle banque doit-on attaquer amigo ? Celle de gauche, avec ses tôles pourries ? Celle de droite, sous cet arbre, vous plairait mieux ? Mon cher Boss sera furieux, fort mécontent de devoir m’apporter des oranges… je l’entrevois m’engueuler au parloir pénitentiaire quatre étoiles du coin ahahah…

En fait de plaisanterie, celle de Dessibourg tomba à plat. À part pour lui-même, son auteur, pris d’un de ses rires gras, visiblement très satisfait… Par contre, logique respectée, toutes et tous, se déclarèrent intéressés par la perspective d’un change en argent péruvien, attractif, surtout « béton ». Miguel leur désigna une camionnette immobile, parquée, sans vergogne, juste en bordure de la chaussée. Véhicule un brin vieillot, carrosserie peinture anémique, d’où sa teinte d’origine impossible à déterminer. De nombreux impacts ou chocs subis encore bien visibles le « décoraient », ce qui parvenait à lui attribuer un certain charme. Sans ménagement aucun cette insolite agence de change prenait même certaines libertés, débordant de deux roues sur un pauvre gazon déjà bien mis à mal. À son flanc une pancarte accolée, mieux qu’à Wall Street, noircie de cours des devises du monde entier. Du jour por favor… Miguel leur confirma.

– La voilà votre précieuse banque ! Plutôt un simple bureau de change, très… très efficace d’ailleurs. Des conditions plus avantageuses qu’en pleine ville. Ici vous oubliez le marbre, par contre des taux très intéressants, super intéressants vous jugerez par vous-mêmes…

Stimulée Annagrazia démarra au quart de tour, pressée de quitter sa place.

– Bon, vous faites comme vous voulez, moi j’y file, ce genre d’avantages j’aime… Allez Pilar, lancez-vous avec moi, après tout ce n’est qu’un petit péché véniel…

Levant le bras l’Indio stoppa net son enthousiasme.

– Non, stop Annagrazia, s’il-te-plait ! Plus simple, plus profitable, moins risqué, intérêts à grouper. Chacun m’indique, me confie ses dollars ou ses euros. De acuerdo ? Moi je m’occupe du tout. En retour vous bénéficierez non seulement de plus de nuevos soles, surtout aussi vous serez certains de ne pas recevoir de faux billets, sans oublier d’autres coupures déjà retirées de la circulation…

***

Directement après un copieux petit-déjeuner, l’équipe encore en léger rodage, s’était mise en route. Peu après huit heures, au petit trot… Chacun avait pris place, plus ou moins au hasard, se calant dans l’habitacle du minibus. Juste derrière Miguel et Raul, leur chauffeur, les « sœurs siamoises » italiennes, redevenues elles-mêmes, loquaces, « dévidaient » aujourd’hui plus qu’au premier jour. Partant haut, se coupant la parole, tourbillon verbal finissant par des fous rires, éclats soudains ou quelque chuchotement… top secret…

Conquérants les Dessibourg essaimaient un peu partout. Alors que, d’autorité, « la » Pilar avait squatté deux bons sièges, ça aux seules fins d’y caser barda, appareils photo avec objectifs itou, zone ainsi « occupée », mieux qu’un barbelé repoussant au large toute velléité d’un quelconque voisinage ou contact disons… physique… Suite à cette « loterie » matinale Della Polera s’était rabattu sagement sur la banquette du dernier rang. Sa grande carcasse coincée par des bagages, territoire certes neutre, au niveau de l’essieu arrière, point d’observation assez privilégié cependant.

De commentaire perçu au commentaire suivant, d’une réponse émanant d’un autre, Miguel les fixait, tour à tour. Magnétisant ses « clients », ces curieux de tout, au moyen de ses grands yeux bruns, noisettes, vifs, qui, au final, vous paraissaient jaillir d’autant de leurs globes vu sa peau cuivrée d’Indio de souche… des hauteurs du Huaras…

Incertain quant à la signification d’un mot, d’une expression ? D’un détail sur tel lieu traversé ? Terme exact illustrant tel minerai que des consortiums géants exploitaient dans ce secteur ? Parfois du nom scientifique, celui-là toujours impossible à mémoriser, d’une plante endémique bordant la route ? Vite leur guide péruvien sortait de sa poche l’un de ses indispensables « aides de camp ». L’un recueil condensé français espagnol, l’autre traité de culture et généralités péruviennes et andines.

Le moteur du Mercedes appréciait ce genre de route. En ronronnait de plaisir, de facilité. Sur ce littoral le bon revêtement de la large chaussée leur permettait d’avancer sans trop de tangage superflu. D’une allure de croisière correcte… soft. Seulement hachée par quelques arrêts « photos » ou « d’urgence technique » sur demande. Au fil du parcours beaucoup de cris, d’exclamations sourdes ou assez aigües, devant tant de grandioses découvertes sur cet axe prometteur, ces rouleaux puissants venus du large, plus loin des murs écroulés suscitant quasi une émeute à bord du bus, lorsque qu’apprenant illico qu’ils s’agissaient - Dieu du ciel - d’anciens réservoirs à vivres de l’Empire inca…

***

Une silhouette massive s’approcha. Dessibourg. L’homme avait envie de parler.

– Vous êtes à l’isolement ou quoi ? Contagieux vos microbes ? Alors quoi, vous aviez une forte fringale de civilisation inca, de gros cailloux, d’impénétrables mystères… à vouloir venir vous planter là…

– À voir puis écouter chacun, je ne suis pas le dernier…

– C’est mon Big Boss ! Lui m’a chaudement recommandé ce voyage : Charles, mon vieux, tirez-vous en Amérique latine si vous recherchez de l’extatique que le Boss m’a lâché. Venant du grand Sachem, pensez, hein, presque un ordre de marche… direction le front…

– Mazette, donc vous êtes quasiment là… comment dire… en service commandé…

– Ouais, je suis un bon petit soldat, ahahah… Mon Boss se situe loin du genre lampe à huile, passé et compagnie… Non, le vrai fonceur ! Obstacle contrariant ? « tac » tu tranches l’artère ! De la pure chirurgie de guerre… indispensable. Bref rien ne sert de tergiverser… ton objectif en point de mire avant tout ! Tant pis si ça doit… engendrer… quelques menus imprévus ajoutés à un ou deux dommages collatéraux…

– Impressionnant ! À vous entendre personne n’a intérêt à… traînasser, voire avoir l’imprudence de couper sa route, non ?

– Notre boîte brasse plein d’affaires. Import-export, niveau mondial. Ce qui signifie montages savants, de gros financements, d’un peu partout… Pur travail de zinzins. Ma femme me reproche assez d’être toujours occupé ailleurs. Selon ma chère Moitié je suis un vrai… courant d’air. Mes absences à répétition lui foutent le bourdon… Hum, entre nous, vous étonnez pas trop, la plupart du temps ma Béatrice carbure aux tranquillisants… Vous… vous en étiez rendu compte ?

Cette question que José redoutait tomba, vrai fruit mûr. Une fois lancé, à fond les manettes, ce diable de Charles Dessibourg se transformait véritable bélier…

– Vous mon cher… votre job ? Quel genre ? Jeune rentier ? Frais retiré des affaires ? Au juste votre vrai boulot José ? Non, chasseur de grands fauves ? Mieux gigolo ? Ahahah ! Ou les deux à la fois ? Allez… parrain mafieux, je vous verrais bien ! Avec votre air mystérieux, pis cette cicatrice, souvenir qui doit tellement plaire aux dames un brin… délurées ? Encore mieux, acteur de séries télé ? Lesquelles ? Crachez-moi ce putain de morceau que diable…

Chaud ! José avait du coup très… très chaud. Nulle envie, non plus, de trop s’aventurer plus avant sur cette pente, laquelle risquait de s’avérer vite plus que délicate à négocier. Malgré sa réticence il s’entendit répondre…

– Bonne suggestion mon cher Charles ! Selon vous Georges Clooney n’a qu’à bien se cramponner…

– Bon… excusez-moi, ça fait du bien de rigoler. Sérieux, de vous à moi, c’est quoi votre truc… à part les indices boursiers ?

– Sérieusement ? Les RH. Oui, dans les RH. Travail complexe, pas toujours évident, d’ailleurs je suis venu surtout au Pérou me changer… si possible… les idées… Vous me comprenez ? Toujours pied au plancher, souvent il m’arrive de stresser un maximum. Alors, avec ce circuit dépaysant je vais tenter… essayer… de… décompresser, avant d’appuyer à nouveau sur… l’accélérateur…

– Firme ? Trust offshore ? Genre multinationale, « blindée » de nombreux satellites ?

– Presque, quoique…

À ce stade l’entretien tournait en rond, allait mal se terminer… se casser la gueule… Dessibourg le sentit venir. Battant sportivement en retraite, du moins en apparence.

– T’as beau nous bassiner, toi t’es pas clean



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