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« "Je m’appelle Radja" » est un condensé romancé de dizaines de milliers de séances qui ont donné naissance à un cheval ambassadeur, tout aussi tendre que fougueux, qui en racontant son histoire, nous raconte l’histoire de toute son espèce. Dans son premier livre, « la Communication Animale au Quotidien »,
Ifigeneia a proposé une explication théorique de son approche de la communication animale, afin de permettre au lecteur de comprendre le potentiel des animaux, et les fondamentaux des interactions inter-espèces. A travers ce roman, en se basant sur des faits réels tirés de ses séances de Communication Animale et du suivi des séances de magnétisme de son mari et collaborateur, Julian,
Ifigeneia propose une mise en lumière du quotidien d’un cheval, et de la complexité de cohabitation de l’humain avec cet animal si sensible, tant que perdure la barrière du langage. Au travers du regard innocent et bienveillant que Radja porte sur le monde qui l’entoure, ce cheval, qui demande à être compris, conduit étonnamment le lecteur à mieux se comprendre lui-même. Ce roman est une invitation à communiquer avec les chevaux, en se reconnectant à cette part de soi qui les comprend instinctivement, pour finalement s’ouvrir à quelque chose de plus grand : la perspective d’un monde régi à la perfection, pour peu qu’on en respecte les règles fondamentales, et qu’on se mette au service du vivant
À PROPOS DE L'AUTEUR
Ifigeneia s’est découvert une passion pour l’écriture à l’adolescence. C’est après avoir remporté plusieurs prix littéraires au lycée qu’elle décide de suivre le cursus Hypokhâgne/Khâgne, avec les études théâtrales pour spécialité. Sa passion pour les chevaux la conduit à la pratique de la Communication Animale, métier qu’elle exerce aujourd’hui à temps plein. Dans son premier ouvrage, « "La Communication Animale au Quotidien" », Ifigeneia partage son approche et met en lumière le potentiel insoupçonné des animaux. Dans son roman « "Je m’appelle Radja" »,
Ifigeneia s’inspire des annecdotes de son métier pour mettre en scène l’histoire d’un cheval, racontée par lui-même. En alliant sa passion pour l’écriture et pour les animaux,
Ifigeneia se donne pour mission de donner une voix à ceux qui n’en ont pas.
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Seitenzahl: 211
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Publishroom Factorywww.publishroom.com
ISBN : 978-2-38625-402-4
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Ifigeneia
JE M’APPELLE RADJA
Dédié à tous les chevaux qui ont croisé ma route et à leurs référents qui nous ont fait confiance.Que ce roman mette en lumière ce à quoi le monde des chevaux ressemble, au quotidien. Que l’on en tire le meilleur, pour continuer ce que l’on fait de bien, et remédier progressivement au reste.
On m’appelle Radja, je crois.
Pas sur mes papiers, mais c’est ainsi que l’humaine que j’aime a décidé de m’appeler.
Mon humaine c’est celle que j’ai dans le cœur. Celle avec qui j’ai partagé ma vie. Celle qui pleure près de moi, à genoux dans la boue, à quelques mètres de mon pré, à cet instant. Je crois qu’elle vient de comprendre que je suis en train de quitter ce monde.
Je vous aurais bien parlé de notre combat des dernières quarante-huit heures, mais c’est une façon un peu abrupte de faire connaissance avec vous qui avez décidé d’entendre mon histoire. L’intensité de ce que nous vivons, elle et moi, à l’heure où je m’adresse à vous, n’aurait pas de sens s’il vous manquait le reste : tout ce qu’il s’est passé avant. J’ai besoin de vous raconter mon parcours, j’en ai besoin pour trouver la paix et vous expliquer tout ce que j’ai compris de la vie, de la mienne, mais aussi de la vôtre.
Je pense qu’il me faut démarrer par le tout début, si vous voulez bien…
Je suis né dans une bourgade de Normandie, entre les mains d’un homme décent, disposant de peu de moyens, et le cœur plein de rêves et d’ambition à mon égard. Sa jument, « Reine des prés », qu’il appelait affectueusement, mais aussi avec une pointe d’ironie, « Madame la Duchesse », était agréée à la reproduction pour les poulains de course de galop. Elle tenait son surnom de son caractère très affirmé.
Une aubaine pour lui qui s’en est saisie pour quelques sous, après une vilaine tendinite dont elle a souffert toute sa vie. « Madame la Duchesse », c’était ma maman.
Elle était aimante, mais aigrie. Aigrie de ne pas avoir pu atterrir chez une « jeune fille à poney », comme elle les appelle. Une jeune fille qui aurait eu plus à cœur de lui tresser les crins et de la brosser tout le jour, que de choisir des étalons bourrus pour tenter chaque année de mettre au monde un yearling à jackpot.
Mais ce monsieur, au fond, il n’était pas méchant, comme elle dit. Il rêvait de son poulain comme on rêve du gros lot à la tombola, sauf qu’ici, la tombola dépassait les espérances des humbles et garantissait, avec le gain, son lot d’adrénaline. Et l’adrénaline, c’est une drogue.
Très tôt, ma mère m’a parlé « des autres » : mes frères et sœurs. Elle m’a parlé de leurs réussites, mais aussi, et surtout, de leurs déboires. Notre humain référent de l’époque changeait d’entraîneur, parfois tous les six mois, convaincu que la méthode était toujours à l’origine des échecs.
Il passait des heures sur internet à passer en revue les derniers « trucs et astuces » pour booster les performances, la liste des produits interdits aux contrôles des stupéfiants à la main, pour s’apercevoir chaque fois, le cœur hésitant, qu’il risquait gros à tenter le coup. Parfois, il cassait sa tirelire pour un sirop miracle, une injection booster, tout en faisant paradoxalement des économies sur ce qui aurait finalement contribué le plus à nos performances : le foin.
Maman disait souvent qu’une jeune fille à poney aurait peut-être fait la même chose, mais pour s’assurer le dernier tapis brodé à paillettes de la marque « qui va bien ». C’est ainsi qu’elle se rassurait, je pense, pour éviter d’être envahie d’amertume. Silencieusement, je me demandais si « les jeunes filles à poney » me plairaient plus que cet homme de la campagne, un peu rêveur et négligent, mais pas si méchant finalement.
Chaque jour, la question de mon avenir me taraudait et passé mes un an, je me suis surpris à développer des tiques pour me détendre, tel que passer en revue toutes les odeurs des bords du pré, pour en détecter les différentes plantes, et les récents passages d’animaux, véhicules ou humains. J’étais doué. Et c’était une belle façon de m’évader. Mais c’est un jeu que je n’ai plus eu le loisir de faire après ma castration. J’ai perdu une grande partie de mon odorat. Maman me disait que c’était normal. Que les hongres vivent cela. Les juments, elles, gardent leur flair. C’est ainsi.
Je suis resté dix-huit mois chez cet homme avant de rejoindre les différents centres d’entraînement de la région, pour être jaugé sous tous les angles, mesuré, presque quotidiennement, et étroitement observé dans tous mes déplacements. Il m’a fallu monter avec cinq autres jeunes dans un véhicule sombre, sans être prévenu du déplacement, ni informé de la destination. Sans crier gare, quelqu’un s’est présenté, chambrière à la main, pour nous pousser dans une voie sans issue. Maman m’avait prévenu que ce jour arriverait, mais je pensais avoir le temps de lui dire au revoir. Je fus toutefois soulagé de ne pas partir seul, même si nous n’avons pas tous atterri au même endroit, ce qui a achevé de me contrarier.
En arrivant sur place, j’ai cru comprendre que mon père était ce qu’ils appellent « un crack », à entendre par là qu’il était très endurant, et allait très vite. En essayant de percevoir les images qui passaient par la tête des humains lorsqu’ils en parlaient, j’ai bien vu un cheval gris. Mais maman l’a trouvé blanc lorsqu’ils se sont rencontrés. Il devait avoir performé il y a longtemps, avant de devenir exclusivement reproducteur.
Ma sœur s’en est bien sortie, celle juste avant moi. Elle a fait carrière dans les courses jusqu’à ses 7 ans. Mais personne ne sait ce qu’elle est devenue ensuite. Comme dit maman, faire carrière ne garantit pas toujours une longue vie. Mais être médiocre l’abrège certainement immédiatement. C’est quelque chose qu’elle répétait, et qui me laissait toujours perplexe, tant j’y percevais de la menace, et de l’amour à la fois, une forme de mise en garde d’une violence inouïe, mais vraisemblablement à la hauteur du risque que j’encourais.
Ces jours-là, je me mettais à courir frénétiquement dans le pré, de toutes mes forces, tant pour rassurer ma mère, impressionner mon éleveur, que pour me convaincre que je valais la peine de vivre. Ces jours-là, mon éleveur disait généralement « regarde-moi celui-là, il a ça dans le sang, il aime déjà ça ». J’aurais voulu lui répondre que j’aimais surtout l’idée de vivre. Mais j’ai vite compris que les humains n’entendent pas ce qu’on leur dit.
Ma mère me voyant anxieux tentait parfois de me rassurer. Elle disait que les nouvelles mœurs tendent à nous donner une chance avant d’être tués, même si l’on ne court pas assez vite. Et que les humains ont créé des programmes de réforme, et que par chance, on valait plus en animal de compagnie et de loisir, qu’en viande hachée. Les poulains de ma génération et moi nous sommes alors mis à prier pour que le prix de la viande n’augmente pas.
J’ai essayé très tôt de prouver ma bonne volonté en étant particulièrement agile et dynamique. Puisqu’il en allait de ma survie, il n’était pas question d’être oisif ou faiblard. Mais j’ai dû trop en faire, car j’ai vite été jugé ingérable. J’ai alors essayé d’aller plus au contact de l’humain pour montrer ma volonté de créer un lien, mais j’ai été jugé envahissant. Il semblerait que j’ai écrasé plusieurs pieds sans le vouloir, ce qui m’a valu de beaux revers de baffe pour me faire prendre quelques distances et « m’apprendre le respect », comme ils disent.
Mais j’ai aussi compris que la logique inverse n’existe pas. On ne peut pas donner un coup de pied dans la tête de l’humain pour lui apprendre le respect quand on est un cheval, même s’il a été irrespectueux. Le principe d’iniquité est important à comprendre, car si vous appliquez en tant que cheval ce que vous voyez de l’humain, vous ne faites généralement pas long feu dans leur vie.
Je me souviens d’un jour où le chien de notre éleveur s’est retourné contre lui. Il faut dire qu’il avait cette tendance à le frapper de son balai dès que le chien aboyait à des heures de repos, quand bien même le chien nous protégeait de tous les dangers alentour. Un jour venu, la douleur trop vive sur cette vertèbre qui en avait trop vu a fait basculer notre brave ami. Les quatre pattes vissées au sol, il s’est retourné en grognant, déterminé à lui attraper le bras au moindre mouvement, l’empêchant de sortir de la maison, alors qu’il s’apprêtait à faire sa tournée matinale des prés.
Maman qui observait la scène à distance et m’a invité à m’y connecter, me disait en riant « c’est un karma, vois-tu, il ne peut plus sortir de sa maison, tout comme les chevaux qu’il enferme au box ne peuvent sortir non plus, s’il ne donne pas son autorisation. » Elle avait l’air amusée. Quant à moi, j’avais beau être jeune, j’ai vite compris que le chien serait jugé comme moi, « ingérable », avec cette notion supplémentaire qui s’applique aux carnivores : dans leur cas, « ingérable » veut dire « tueur ». Il a été euthanasié pour faute grave quelques jours après.
Avec l’humain, tout est très subtil. Dans un sens ils nous trouvent « trop », dans l’autre sens, ils ne nous trouvent « pas assez ». Pour être en harmonie, il nous faut toujours trouver le bon équilibre à leurs côtés, pour exister sans déranger, offrir sans trop en faire, être expressif, mais gérable, heureux, mais calme, performant, mais docile. La vie de l’humain trône sur un balancier, et nous, parfois par peur, parfois par amour, parfois par compassion, et le plus souvent par confort, nous devenons de véritables funambules.
Il m’a fallu du temps et l’aide des copains de l’année d’avant, pour comprendre un peu mieux ce qu’on attendait de moi. C’est que l’humain râle beaucoup, mais ne dit jamais pourquoi. On voit seulement qu’il est fâché, et qu’il ne veut pas qu’on se fâche en retour. Il m’est alors arrivé de rester stoïque et d’être jugé de ce fait idiot, ou autiste, un mot qu’ils utilisent pour nous désigner lorsqu’ils ne nous comprennent pas ou qu’on ne se conforme pas à leurs envies non exprimées.
J’ai beaucoup appris. Et toute ma vie durant, j’ai œuvré partout où j’ai été à aider les autres à décoder les humains, dans chaque pré et chaque écurie. Et le Ciel sait combien j’en ai fait des écuries… J’ai parcouru le monde pour performer.
Je me souviens de ce jour où j’ai compris qu’on serait tous montés dans la semaine. L’heure était venue au « débourrage » comme ils l’appellent.
C’est très compliqué pour nous de comprendre les attentes des humains. On en parle énormément et on consulte les plus âgés. Bien souvent, malheureusement, ils nous mettent entre jeunes et on doit essayer de deviner entre nous ce qu’il en est, au regard de ce que chacun a appris de sa mère, ou des juments tutrices de notre enfance, avant d’arriver au centre.
On a tous compris qu’il fallait aller vite et être vif, il en allait de notre futur, et de notre sélection. Mais l’humain a l’air terrorisé, au débourrage, à l’idée que nous allions trop vite et soyons justement trop vifs. On oscille alors entre le besoin de faire ce qui est attendu de nous, et le besoin d’apaiser les peurs de l’humain : deux choses qui ne vont pas du tout ensemble.
Étonnamment dans cette phase-là, la plus importante de notre apprentissage dans notre discipline de l’époque, le débourrage n’est pas confié aux humains expérimentés, mais aux jeunes. On les reconnaît, ils sont souvent tremblants et fébriles, venus tout droit de l’école, en bus, pour participer à l’expérience. On comprend souvent que les humains doyens n’ont plus envie de prendre le risque de manger du sable dans un virage un peu trop abrupt. Et finalement, cela nous aide à faire un choix : on verra plus tard pour la vitesse. Essayons déjà de ne pas effrayer les étudiants.
Je me souviens, au débourrage, de cet autre grand paradoxe pour nous : la chambrière qui nous menace si l’on n’avance pas et le mors qui nous retient si l’on avance.
Je ne vous cache pas que nous sommes nombreux, surtout au début, à penser que certains humains sont schizophrènes tant leurs demandes, parfois simultanées, sont contradictoires. On apprend à doser les réponses, c’est souvent le message qu’ils essayent de faire passer : la demi-mesure dans la réponse. Mais il faut du temps pour trouver cet équilibre, et l’humain est impatient.
À deux ans, nous savions tous courir droit, et chercher la vitesse. On développait notre cardio avant même d’avoir du muscle et des articulations solides. Mes performances étaient plutôt bonnes et je donnais de l’espoir à mon naisseur, à distance, qui recevait des messages avec des chiffres, il me semble, relatifs au temps qu’il me fallait pour parcourir les distances requises. Il envoyait ces résultats à d’autres gens qui se réjouissaient ou remplissaient leur cœur d’amertume. Aussi je me demandais parfois pourquoi il partageait ces choses.
J’ai apprécié mon jockey, le premier, un homme sympathique, sincère. On a essayé ensemble d’aller au bout de nos capacités. Mais comme moi, il était trop gentil, trop intègre. Il n’a pas continué dans le milieu, pas quand il a vu qu’on voulait me pousser à bout, et qu’un nouveau produit, non condamné par les autorités sanitaires, pouvait me faire littéralement « voler », comme disait l’entraîneur. Et mon jockey avait raison de s’y opposer. C’était pourtant bien écrit sur l’étiquette que des ulcères et des troubles respiratoires pouvaient apparaître après l’utilisation. Mais l’entraîneur que j’avais à cette époque ne l’entendait pas de cette oreille.
Alors on m’a confié à un autre jockey, plus dur, plus ferme, qui ne semblait pas considérer qu’on était censés avoir une relation, former une équipe. Je me suis robotisé. Et là où il était attendu de moi que, le corps boosté par la poudre magique, je passe enfin de deuxième à premier, j’ai surtout le cœur qui s’est éteint de tristesse, et je n’avais plus goût à battre mes records.
La nuit tombante, je pleurais parfois, pensant à ma maman qui attendait beaucoup de moi. Je voyais bien, à trois ans et demi, que ma vie dans les courses s’arrêterait là.
Mon ami Charly l’alezan, celui qui m’a accueilli le premier jour à l’arrivée au centre, présentait un trouble cardiaque d’origine inconnue. Un camion dont l’odeur de mort n’a échappé à aucun de nous l’a emmené avec lui. Les humains nous aiment, mais avec leurs limites, avec leur ego. Nous sommes aimés par leur ego. C’est étrange de le dire ainsi. C’est la vérité.
Quand Charly s’en est allé, ce fut le coup de grâce. J’ai perdu du poids, toutes mes articulations se sont bloquées. Et les huit à douze litres d’avoine que j’ingérais me brûlaient de l’œsophage jusqu’au duodénum. Je ne savais plus comment expulser ma détresse. J’ai sorti les dents, j’ai tourné les fesses. Je crois que dans cette phase-là, je n’avais pas vu de pré depuis plus d’un an. Je passais vingt-trois heures dans mon box de quatre mètres sur trois, avec pour seule perspective, celle de pouvoir courir en ligne droite sur une route de sable, pour le bon plaisir d’un homme qui ne m’aimait pas. Lorsque mes performances étaient mauvaises, on m’imposait « le repos », disaient-ils. Façon plus ou moins ironique de m’empêcher de bouger pendant plusieurs jours, pour me rendre encore plus nerveux à la sortie suivante.
C’est là que mon tendon a lâché. Devant à gauche, au-dessus du boulet. Je l’ai entendu, ce claquement. J’en étais presque soulagé. À la limite, retrouver Charly dans un autre monde, ça ne devait pas être aussi terrible que ma mère avait plus le décrire.
Je crois que l’entraîneur s’en est voulu. Mon naisseur aura encore une bonne raison d’en changer. Mais moi j’étais fichu. Et tout l’argent placé dans la semence de mon père, et dans ce centre tout propre qui avait coûté si cher, s’était envolé aussi.
Pour récupérer les miettes, le camion de la mort est une solution. Mais il faut attendre, et nous faire grossir pour qu’on pèse plus lourd, car le boucher nous achète au poids. On découvre alors le foin à volonté pour la première fois, comme le bonbon qu’on vous donne, à vous les humains, sur votre lit de mort, pour vous rappeler la douceur des instants vécus. Sauf que pour nous, c’est une première.
Mais quand on est beaux, il y a des fous qui veulent bien de nous. Même maigres, et tout cassés.
Maman m’avait parlé d’eux. Ces gens qui veulent nous redonner une vie, parce qu’ils savent qu’on peut donner beaucoup, qu’on peut donner autrement, tant on a été à rude école.
Parmi ces rêveurs qui nous réforment, il y a de tout bien entendu. Des libres penseurs qui veulent créer une belle histoire, et des pingres qui veulent nous exploiter différemment, mais sans payer le prix. Ceux-là ne sont pas plus un cadeau que l’entraîneur que j’ai connu, quoi qu’ils pensent tout de même à nous garder en vie et en bonne forme plus longtemps, et ont plus à cœur de nous garder en bon état que de nous pousser au-delà du possible.
Dans mon cas j’ai eu de la chance. Je suis tombé sur un mélange des deux profils. Une femme pleine d’ambition, pleine de tempérament, avec un cœur tendre qui s’ignorait encore à l’époque. Un cœur généreux et courageux, qui m’a porté, autant que je l’ai portée, pendant toutes ces années à rebondissements. Que quelqu’un lui dise comme je l’aime, s’il vous plaît. Car j’ai bien peur qu’elle en doute toute sa vie. C’est qu’elle aussi a fait des erreurs. Mais qu’est-ce qu’elle a fait comme belles choses aussi… Et à cette heure où je m’éteins, je ne peux me souvenir que de nos beaux moments.
Elle est venue un soir pluvieux, dans une écurie de la région qui m’avait accueillie temporairement. Je n’ai d’abord pas compris ce qu’elle faisait là. Elle n’avait rien des cavaliers que j’ai connus dans le passé. Plutôt pressée, elle cherchait un responsable et consultait frénétiquement toutes les pancartes des portes de box dans l’espoir de voir mon nom inscrit. En deux ans de vie aux écuries d’entraînement, ma plaque n’avait jamais été changée et portait le nom d’un cheval qui y avait séjourné il y a plus de trois ans. Aussi j’étais surpris qu’en vingt-quatre heures, elle s’attende à ce que le nécessaire ait été fait.
À l’époque, mon nom était composé d’un numéro, et du nom d’un arbre célèbre qui était coupé dans la région de mon naisseur. Il avait rajouté le suffixe d’un véhicule marquant de son adolescence. Mon identité s’appuyait sur un melting-pot des aspirations et frustrations d’un homme qui ne savait rien de moi et de mon caractère. Je me suis demandé comment ma mère aurait aimé m’appeler, elle qu’on n’a jamais consultée. J’aurais aimé dire à cette jeune femme que mon nom m’importait peu, pour peu qu’elle me dise je t’aime, je me serais reconnu.
Elle m’a de suite inspiré confiance, malgré ses airs sophistiqués qui cachaient un besoin de trouver sa place dans ce monde d’humain. Il faut dire que les enjeux sont compliqués dans votre monde, c’est quelque chose qu’on a bien compris aussi. C’est un peu comme si pour vivre en troupeau on devait changer notre couleur de poils ou leurs longueurs, la forme de nos yeux ou notre morphologie. On vous voit penser à cela dès qu’une interaction se produit entre vous, et on se demande souvent ce que vous pensez de nous physiquement. On se regarde parfois les flans en se demandant si on est acceptables, puis on en rit.
J’ai cru comprendre que j’étais beau. Et c’est bien ce qui me sauve dans cette histoire. Sur la photo, ma référente est tombée amoureuse de mes formes, malgré ma récente perte de poids, car oui, le foin à volonté n’avait pas fait de miracle sur mes ulcères gastriques. Mais elle a vu dans mes yeux cette flamme qu’aucun n’a jusqu’ici regardée. Et elle s’est dit : c’est toi.
Je l’ai sentie cette connexion, tandis qu’elle avait la main vissée sur sa tasse de café chaud, devant son ordinateur. Elle a du talent. Tous les humains ne font pas cela à distance. La plupart ont besoin de passer un coup de téléphone pour avoir des nouvelles des chevaux qu’ils n’ont pas dans leurs écuries. Mais elle, non. Elle pouvait voir à distance que j’étais un cheval bon, volontaire, avec un potentiel qui n’avait jamais été abordé de la bonne façon. Elle voyait ma tristesse aussi. Elle n’avait pas vraiment conscience de cette sensibilité dont elle faisait preuve. Les humains ne réalisent pas toujours qu’ils sont capables de telles intuitions.
J’avais très envie d’être aimé. Mais je ne pouvais pas lui concéder mon amitié de but en blanc. Pas après tout ce qu’on avait vécu, mon jockey et moi, le tout premier. J’étais partagé entre l’envie de lui rester fidèle et l’envie de tourner la page, tant pour mon bien, mon futur, que par rancœur devant la vitesse avec laquelle il m’a tout de même tourné le dos, sans un mot d’adieu.
Elle avait la douceur des femmes qu’on rencontre parfois en bord de pré, celles qui passent par hasard lorsqu’on est jeunes et encore innocents, avec des enfants les bras pleins de carottes. Je me souviens de ces odeurs de crème et de parfum sur leur main, et des mots doux qu’elles emploient pour demander à ce qu’on soit patients. C’est une énergie que j’ai connue, quelques minutes par an, il y a très longtemps. Et en quelques secondes, au contact de cette jeune femme qui voulait devenir mon humaine, j’ai compris que cela pouvait devenir mon quotidien.
Je suis resté très immobile, interloqué. Elle n’a pas regardé mon corps, mes pieds, mon dos. Elle ne m’a pas palpé, n’a pas agité la longe sous mon licol pour voir quelle serait ma réaction, elle a émis un « chhhh, voilà », en me caressant la joue, une expression qu’elle gardera toute notre vie pour me dire « c’est fini, je suis là, je m’occupe de tout ». J’ai, de suite, pensé à ma maman. Je me suis demandé si c’était elle qui l’avait envoyée, d’une façon ou d’une autre. Les mamans font ces choses-là, on ne sait pas toujours comment, mais on le sent.
Elle m’a gentiment pris le pied pour regarder mon tendon et d’un air optimiste, fut la première à me dire « ce n’est pas grand-chose, on va régler ça, ne t’en fais pas ». Le lendemain, elle m’a fait monter dans un camion et cette fois je n’ai pas hésité une seconde. Je savais que le pré était à portée de main, et la vie nouvelle qui va avec. C’était un bon début.
On a passé plusieurs mois à ne se voir qu’au pré. J’hésitais parfois à me rendre jusqu’à elle par peur qu’elle m’en fasse sortir. Je m’y sentais si bien. Je pourrais utiliser beaucoup de mots pour vous décrire les premières sensations du vent sur ma tête, dans mes crins, et le plaisir incomparable de se rouler à même le sol, et de décharger toutes mes tensions dans cette Terre qui nous porte si bien.
Elle s’appelle Maya, mon humaine. Elle est d’origine malgache. C’est ce que j’ai compris. Par son père. Elle a souvent été victime de racisme, et de la violence, dans son enfance. On porte des cicatrices similaires elle et moi. Et c’est quelque chose qui nous a immédiatement soudés. Plus tard, j’ai compris qu’on était censés évoluer ensemble, aussi pour l’aider à travailler sur des blessures trop lourdes à porter pour une seule âme.
Elle m’en a fait porter beaucoup des souffrances, sans le vouloir. Mais la voir changer, fleurir, mûrir comme une belle pomme, était sûrement la plus belle de toutes mes récompenses. Parfois, je l’aurais croquée d’amour tellement elle me semblait lumineuse et pleine de bonté. Mais on ne croque pas les humains, elle me l’a bien fait comprendre.
Elle venait au pré, son bonnet sur la tête, ses écouteurs aux oreilles, pour me donner des pommes et des carottes, et voir si je me déplaçais mieux. Elle n’avait plus l’air aussi sophistiquée qu’au début, et j’ai eu le sentiment que c’était ma première victoire. Lorsqu’elle était seule, avec moi, elle oubliait de porter les marques qui vont bien, et se souciait peu de ses cheveux. Elle ne se peignait pas non plus le visage. Je crois qu’elle s’autorisait à être elle-même. Chose difficile dans votre monde. Mais je prenais beaucoup de place dans son quotidien. Même lorsqu’elle n’était pas avec moi, j’étais dans ses pensées, et tous ses efforts s’articulaient autour de moi et de mon avenir.
Je crois qu’elle a fait appel à tous les praticiens de santé imaginables pour guérir ma blessure. La rupture était complète.