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Diane fait le choix radical de partir, laissant derrière elle une simple lettre d’adieu. Ce n’est ni une fuite ni une conséquence du mal-être, mais une nécessité impérieuse de renouer avec elle-même. De Lyon à Menton, en passant par Rome, elle s’engage dans un périple ponctuel de souvenirs et de rencontres marquantes. Mathéo, Hélène et Enzo se révèlent des figures clés, non pour éclairer son chemin, mais pour l’aider à se défaire des illusions qui la hantent. Pendant ce temps, Paul, son compagnon, doit faire face à ce vide, ravivant des peurs longtemps enfouies. Leur relation résistera-t-elle à cette quête d’émancipation ? Je pars explore les tensions entre besoin d’évasion et d’attachement, offrant une réflexion subtile sur la liberté et l’amour.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après la publication de son premier essai, en 2018, basé sur des fragments autobiographiques,
Serge Ollivier poursuit son parcours littéraire avec plusieurs œuvres publiées chez Le Lys Bleu Éditions. Parmi eux, "Les âmes du silence" et "L’écho du silence" qui explorent tous les deux les méandres du destin à travers une profonde réflexion sur soi.
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Seitenzahl: 251
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Serge Ollivier
Je pars
Roman
© Lys Bleu Éditions – Serge Ollivier
ISBN :979-10-422-5195-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Que de belles journées à venir ! Encore quelques jours avant le printemps et le retour des saisons ensoleillées. Déjà, les sols protègent avec la délicatesse d’une bonne mère nourricière, les éclosions des premières boutures ; des odeurs éparses bientôt parfumeront les allées empruntées par les rêveurs ; la lumière naturelle auréolera d’azur les cimes des toits et les interstices des branchages. Alors les corps reprendront les danses du mouvement et du cœur…
Paul se sentait tout guilleret en lisant ces quelques phrases parues dans la rubrique intitulée Le mot du jour d’une revue abandonnée sur le siège en face de lui. Sa respiration s’amplifiait comme pour atteindre le bien-être dans l’expiration. La renaissance du « tout branle » incitait à se rassasier du vivre dehors. Du coup, ses narines se dilataient à chaque inspiration au profit de la détente et de la chaleur à venir. Des images de vagues déferlant sur un sable fin et de mâts de bateaux se balançant au rythme d’un vent d’ouest survinrent instantanément. Une balade à la mer serait la bienvenue. Il l’écrirait sur la feuille scotchée sur la porte du réfrigérateur, dans la case – projet week-end –. L’iode marin pénétrait par enchantement à travers le système de ventilation. C’était étonnant !
Assis place 18, dans le sens de la marche, le siège du TGV enveloppait ses fessiers, son dos, sa nuque créant une satisfaction à accepter tout bonnement. Son corps tout en légèreté, malgré le frisson du petit balancement de la rame sur les rails, se collait aux grains du tissu confortable. D’habitude, il n’était pas attentif à ce toucher particulier. Les premiers rayons du soleil, généreux de chaleur, transperçaient la vitre tachetée dans sa partie basse par des empreintes de doigts d’enfants croyant capturer les reflets. Quels bons moments de lâcher-prise ! Sollicité par l’évidence, il les savourait tel un amoureux qui ressent la tranquillité au contact des tissus de sa protégée. Ce n’était pas si fréquent pour lui de s’ouvrir aux sensations. Les tensions se dénouaient au fur et à mesure de ces caresses invisibles nées de cette ambiance ; la vitesse réduisait ces panoramas du sursaut à des impressions visuelles de l’instantané ; ce défilé ininterrompu, cadencé par les bruits d’un souffle heurtant les wagons, délivrait sa pensée au profit de la rapidité du coup d’œil, des « états d’yeux », comme disait le peintre impressionniste, Edgar Degas ; il connaissait peu cet artiste. Mais cette expression, entendue récemment à la radio, ainsi que les métaphores déclarées par l’invité l’avaient enchanté au point d’en retenir quelques-unes.
Dehors, les arbres, les routes et les chemins, les maisons et les villes, les voitures, les cyclistes et autres éléments du présent dessinaient les séquences de l’éphémère. Avec le flou du bougé, tout disparaissait et se renouvelait aussi rapidement. Il le voyait ainsi, probablement influencé par les propos échangés au cours de cette émission. La confusion totale et le trouble optique pactisaient pour aboutir à un étourdissement de la vue. Le dedans et le dehors se brouillaient au point de ne plus savoir qui avançait, qui était fixe. La rêverie décidait de maquiller délicieusement la magie de la nature ou le contraire, qui sait ! Pourvu que le train, lancé à plus de trois cents à l’heure, ne déraille pas ! Effroyable, se disait-il ! Au moindre crissement, un sursaut du réel foudroyait le penseur.
Des états d’âme, autant aléatoires que surprenants, surgissaient au rythme des dérangements et des bruitages dans le compartiment. L’insupportable des frappes, par à-coups, avec la rapidité d’une dactylo, sur les touches des joujoux ordinateurs, titillait sa conscience ; les pacotilles d’écouteurs, imposants à partager des sons disharmonieux, le rendaient critique sur ces mélomanes de proximité ; la véracité de leurs cultures musicales semblait douteuse. Ce n’était pas bien grave, lui-même ne pensait pas toujours au repos escompté par ses voisins de voyage. La société repoussait au fur et à mesure les limites de l’inhibition ; chacun était libre dans notre monde. D’ailleurs, les wagons n’étaient-ils pas aménagés de telle sorte que les usagers puissent satisfaire leurs propres désirs, au mieux le temps de leurs périples ?
Vivre, c’était bien souvent imiter l’autre, le besoin de chacun se confondant avec l’expression et les intentions des autres. L’affichage au grand public permettait de refouler la sentence finale : fuir et jouir avant de mourir. « Aucune entrave », ce diktat d’aujourd’hui irisait la paix et l’amour d’hier ; la sonorité du présent avait remplacé le silence du recueillement d’autrefois.
Enfin, le compartiment semblait avoir recouvré le calme ; silence et ronflements attestaient de cette pause groupale comme si chacun était réglé sur la même heure biologique digestive, ou bien frappé d’une amnésie neuronale, ou tout simplement, amolli sous l’effet d’une température douillette, ou bêtement hypnotisé par le bruit des essieux martelant les rails. Paul ressassait, en son for intérieur, son côté presque asocial, voire grincheux. Les observations des comportements des uns et des autres aboutissaient à des croyances, à des vérités parfois inavouables en grand public. Se taire pour ne pas paraître ringard s’avérait l’option de la tranquillité. Était-ce le copié-collé d’une litanie maintes fois entendue chez son père ? L’idée d’être trop critique vis-à-vis des attitudes, des pensées des uns et des autres, tout âge, tout rang, confondu, le déstabilisait tout de même, au point de ressentir des moments de solitude. Ses humeurs chagrines se nourrissaient soit, d’un détail doublé de sons de bruitage, soit d’un regard rappelant vaguement une connaissance, ou de tout autre élément propre à heurter sa mémoire involontaire : une boîte de pandore en quelque sorte, créant des effets d’ombres et de lumières dont il s’amusait. Lui et ses doubles se bousculaient dans ce monde de l’humain. Ces effets visuels de discordance, le stable et le mouvant, le perturbaient dans le déroulé de ses idées au point de les rendre inopérantes, comme percutées le temps d’une légère amnésie. Son regard devint fixe, son mental se remit en route. Il était en liberté conditionnelle sur une planète qui tourne sur elle-même, en permanence.
Quelques minutes encore et Diane, sa compagne de vie, fêterait son retour tout en tendresse ; tendresse colorée du plaisir des mots, flot intarissable, surprenant, voluptueux. L’accueil à bras ouverts se prolongerait en une étreinte aimante qui éloignerait ses pensées chahutées par des persistances pessimistes. Les doigts de sa main droite se déployaient pour visualiser quatre années de vie commune. Le temps passait vite. Cette belle rencontre l’avait sauvé de la noirceur d’une époque. Les répits avec Diane s’enrichissaient de l’innocence du débat, agrémentés du conformisme du bien-être. Ce quotidien remplissait la besace de la tendre banalité. Il n’y avait rien de plus simple selon son point de vue.
De retour de Paris, trois jours à se pavaner dans un bel hôtel, Paul figurait, comme tous les invités à ce forum débattant sur les écrivains du début du vingtième siècle, dont les œuvres avaient été influencées ou marquées par la complexité humaine. Son intervention se référait à deux nouvelles d’Arthur Schnitzler : – La flûte de Pan – et – La Nouvelle Rêvée –. Cet écrivain, abandonnant la médecine pour l’écriture, scruta les profondeurs humaines ; « Les merveilleux chaos de la vie ». Ces écrits suggéraient un climat psychologique dans chacune des situations décrites ; les personnages aspiraient, le plus souvent, à progresser sur le chemin de la liberté ; leurs voies intérieures recherchaient la vérité avec des dénouements ambigus ou apaisants ; les frontières entre le réel et l’imaginaire étaient toujours floues dans les partages des protagonistes.
Quelque temps auparavant, le comité organisateur, à la recherche d’un intervenant doté d’une double culture, à la fois la littérature et la psychologie, fut enchanté lors des échanges préparatoires. Lui aussi, d’ailleurs, dès les premiers contacts, fut enthousiasmé. Et, pourtant, il s’interrogea sur cet engouement à participer à ces débats. Certes, sa crédibilité, aux vues de la qualité de ses exposés, reposait sur une bonne maîtrise des concepts et sur l’affirmation d’une qualité oratoire. À bien y regarder, et à son grand regret, même si sa sincérité intellectuelle s’affichait sans conteste, la passion lui échappait, au grand dam de sa vie, car c’était compliqué de donner un sens ; seule la posture attendue par l’extérieur le sauvait dans le croire vivant et vrai.
Diane fut l’instigatrice de la mise en relation avec le magazine. Elle procéda au choix de la relecture des deux écrits de cet auteur. Le laïus s’était construit à partir d’un travail en commun. Pendant quelques semaines, ils avaient relu mot à mot les deux textes. Leurs mises en perspective accentuèrent cette satisfaction à débattre ensemble. Grande lectrice, dotée d’une culture psychanalytique, sa participation consistait à être assise à la place de Paul sur cette estrade de la gloire. Une autre fois ! avait-elle répondu à l’idée de l’accompagner. Le fil rouge de sa mission s’aventurait à témoigner d’une grille de lecture des expériences dites limites ou à la frontière du basculement. C’était sérieux, toutefois le topo devait rester centré sur les œuvres et les écrivains.
Son regard parcourut, avec le plaisir du satisfait, la page de garde de sa conférence, introduisant la totalité du texte. Il lut en lecture rapide.
Dans La flûte de Pan, la jeune épouse Dionysia se trouve bouleversée par les propos d’Érasme. Son mari, plus âgé, lui exprime ses doutes sur la vertu de la morale conjugale. Il décide de lui rendre la liberté. Il renonce à ses droits sur elle. Elle n’a pas à craindre les questions ou les reproches lors de son éventuel retour. Désorientée par l’insupportable de cette proposition, elle tente de se jeter par la fenêtre. À cet instant, elle entend le son d’une flûte, une suave mélodie l’envahit dans son corps. La sonorité l’envoûte totalement. Au final, elle cède à l’attrait de l’instrument et à l’envie de connaître les lèvres de celui qui en joue. Elle s’autorise à succomber aux chemins inconnus des tentations ; le voyage d’aventure et les zones oniriques. Malgré toutes les expériences marquées par le destin, le bonheur est absent. À son retour, elle lui signifie qu’elle ne sait pas qui elle est. Elle est horrifiée par la face grimaçante de son implacable sagesse. Elle ne craint plus le monde. Elle part définitivement, engloutie par l’ombre immense de la plaine…
La tentation de vivre une apparente liberté ne garantit rien du devenir. Elle peut se transformer en un appât qui autorise à s’abandonner sans réfléchir aux pensées de l’actuel et sans pour autant trouver le bonheur. (À développer ; sur feuillet 1)
Dans « La Nouvelle Rêvée », l’auteur décrit avec justesse l’état d’esprit de deux protagonistes,Albertine et Fridolin, en proie à l’envie d’en savoir plus sur l’inavouable de chacun, tout en dissimulant bien entendu la jalousie, la frustration et la vindicte. Les personnages sont submergés par leurs quêtes d’aventure. Tout reste de l’ordre du fantasme et des images, tout est rêvé, chacun raconte, la réalité et/ou le rêve ? À la fin des échanges, Albertine pose ses doigts sur les lèvres de son mari, elle murmure comme pour elle-même, « Ne jamais tenter l’avenir ».
Certes, le dévoilement de ces intimités présente des limites à ne pas franchir. L’intime fantasmé se fracasse aux risques et périls sur les affects des interlocuteurs. (À développer ; sur feuillet 2)
C’était intéressant tout cela ! Il se revoyait faire son show sur l’estrade. Toutefois, la sensation d’imposture le hantait assez souvent. Depuis trois ans, il exerçait comme maître de conférences à l’université. Même si les écrits des grands chercheurs sur l’inconscient avaient été au programme de ses études, il ne pouvait pas prétendre être un analyste qui interrogeait le désir. Cette clinique et ce cadre lui étaient inconnus dans sa pratique. À son corps défendant, un master en lettres modernes complétait son curriculum vitae en sciences humaines, avantage supplémentaire pour le solliciter à ce temps fort.
Depuis sa participation sur une chaîne de télévision à grande audience, et malgré une assez brève intervention, les médias le sollicitaient pour porter une certaine parole. La célébrité était à la portée de tous ! Il devenait un personnage public apparaissant de temps à autre, comme s’il s’agissait de spots publicitaires. Posture attirante, certes, stressante aussi. Car sans le rechercher consciemment ni comprendre le pourquoi, il avait créé le buzz en quelques minutes. Ses propos, ses analyses, n’outrepassaient pas la frontière de ses compétences. Dorénavant, un certain milieu le reconnaissait comme une personnalité incontournable. Son livre, validé et accepté par le secteur psycho-socio-éducatif, confirmait en quelque sorte ce statut.
Il n’était pas insensible à ces attentions, un peu décalées cependant, au point que cette réputation s’amplifiait dans les couloirs de l’université. Son ego se dissimulait derrière ses sourires gênés. Les jeunes étudiantes n’hésitaient pas à le chambrer en tendant leurs téléphones pour la photo du vu et du connu. Son succès s’affichait au monde. Toutefois, quelque peu gêné par le mélange des genres, une distance convenable s’imposait vis-à-vis de son professionnalisme. N’était-il pas qu’un étendard de gloire pour ces quémandeuses ? Que disaient-elles de lui sur les réseaux sociaux ? Son côté photogénique satisfaisait-il le narcissisme de ces belles ? Pour être adulé comme une star, il lui faudrait changer de look et de métier.
Ce moment à Paris fut agréable à vivre. La grande salle feutrée, cossue, confidentielle, au décor moderne, digne d’un palace étoilé, s’annonçait propice aux rencontres inédites. Chaque situation s’amplifiait d’émotions le plus souvent contrastées. Deux journalistes de renom, spécialistes des émissions littéraires, animaient les divers points de vue. C’était flatteur d’être à leurs côtés. Participants et intervenants étaient issus de diverses sphères de la culture et de l’investigation psychologique. Des points de vue affirmés s’élevaient selon la tonalité de la sono. Des nuances dans les analyses incitaient aux échanges, autant passionnés que polémiques. Le plus souvent, des digressions ponctuaient l’ordre du jour. Un des filigranes de ces temps forts était le questionnement de la subjectivité. Tout pouvait-il se mirer dans l’esprit ? La littérature, les arts et l’éthique étaient comme floqués sur les épais rideaux de la salle. La liberté et la vérité devenaient les deux enjeux à démêler. D’aucuns nuançaient, avec la conviction du clinicien que le travail sur l’inconscient s’opérait uniquement dans un cadre spécifique. D’autres, plus sensibles à la langue, estimaient que la création n’existait pas sans un grain de folie. Quelques-uns s’affranchissaient de la certitude en questionnant l’espace des limites normatives de la société. Certains chevronnés signifiaient de manière ostentatoire qu’il ne fallait retenir que le texte, rien que le texte. Les linguistes interféraient sur les envolées lyriques des poètes présents. Aucun n’avait la même définition des signes, car les mots ont, à la fois, une puissance d’évocation et une puissance de signification. Qui avait dit cela ? Il ne s’en souvenait plus, mais le savoir et le vivre en « live » le rendaient autant pessimiste qu’optimiste. Tout était comédie ! Tout était faux ! Tout était nécessaire ! Le monde ne s’écroulait pas. Tout était maîtrisé ! Tout était technologique ! Tout était connaissance ! Vivre sa vie comme une « évidence poétique » le rassurait. Un adage très personnel !
Le sponsor patronnant l’événement gâta ses hôtes. Des espaces, aménagés de manière cosy, facilitaient les bavardages en toute discrétion tandis qu’une douce musique jazzy enveloppait la fraîcheur du lieu. Le buffet dressé au fond de la grande salle attirait les plus gourmands et rassasiait temporairement les appétits des convives. Petits fours, gâteaux, salade de fruits, jus de fruits pressés, et autres réconforts s’offraient autour d’une décoration florale. Des cocktails, avec ou sans alcool, furent proposés en fin d’après-midi. Les entractes permettaient de délasser les corps trop longtemps assis. Le brouhaha qui résonnait dans la salle traduisait l’indice de satisfaction. Dans ce monde protégé et créatif, Paul restait assez discret au-delà des affinités de la circonstance et de la nécessité. Le job, quoi !
S’éclipsant discrètement, il s’offrit une escapade pour prolonger ce week-end d’amusement. Ce fut l’occasion de refaire la visite du musée Picasso à l’hôtel Salé dans le troisième arrondissement. Sans être un adepte des visites à tout prix, ces peintures le touchaient, sans les arguments du convaincu, il le regrettait d’ailleurs. Les artistes flirtent avec les autorisations des transgressions. Ils sont les chanceux de la vie jusqu’au jour où la censure les rappelle à l’ordre. Il pensait quand même qu’il fallait distinguer l’œuvre et l’auteur. Cette balade l’amena à flâner autour de Beaubourg. En qualité de bon marcheur et solitaire par choix, il rechercha les possibilités de se perdre dans tous ces quartiers. Ce havre de paix parfois malmené par les bruits et les odeurs était espéré à chaque voyage dans la capitale. L’esprit parisien n’était plus celui d’antan. Lui le jeunot, fan des rétrospectives cinématographiques, aurait été curieux de vivre la vie parisienne à plusieurs époques. Ces flâneries, dans Paris, le transportaient par l’imagination dans le monde passé où la richesse et la notoriété de quelques habitants et bâtisseurs en assuraient la vitrine du summum de l’élégance et des arts. Les rues et les boulevards le renvoyaient à des épisodes historiques où les grands de ce monde, morts et présents, les avaient habitaient et les habitaient pour en faire rêver les passants. Il prenait le temps de lire les noms des rues. La beauté architecturale et la part mystérieuse de la capitale l’attiraient et l’enchantaient. La Seine coupait cette grande cité pour l’embellir de ses belles rives. Elle la découpait pour la rendre encore plus ravissante de distinction. À chaque fois, il rendait visite aux bouquinistes. Les villes traversées par un fleuve témoignent des périodes de l’avant et semblent plus vivantes. Les bâtiments étaient différenciés par les formes et les couleurs. Les quartiers et les marchands faisaient l’histoire. Les vies nocturnes et les arts attestaient de l’attrait culturel. Paris, c’était rive gauche et rive droite. Où était la frontière ? Idiotie d’un fleuve ! Hasard des guerres de classe !
À la terrasse du café Flore, le défilé incessant de la mode parisienne lui fit penser aux femmes, partageant la vie de Picasso, qui avaient marqué l’évolution de sa création artistique. La peinture « Le rêve », réalisée à l’époque de la rencontre avec la très jeune Marie-Thérèse Walter, évoquait la dualité entre la femme qui rêve et le rêve lui-même, ou encore entre la veille et le sommeil. Une telle digression aurait pu être formulée lors de son baratin du samedi matin. Ce dimanche après-midi, de retour en séance plénière, pour la conclusion de ce temps fort, il ne résista pas à apporter cette touche culturelle. Était-ce bien nécessaire ? Les intentions et les mots étaient des variations de langage dont les motifs en étaient assez souvent ignorés par l’auteur. Il aimait séduire. Cette certitude chancelait aux moindres regards désapprobateurs. La honte le traversait quand il s’apercevait de son trop de présence. Il était souvent trop tard.
En toute honnêteté, cette échappée lui permit de s’éloigner de la pressante provocation de cette jeune romancière connue et encensée par la presse. Une déjantée à coup sûr, un peu barrée, sinon, elle jouait parfaitement sa communication. N’hésitant pas à le draguer à la moindre occasion, ses sourires, à la fois prometteurs et exclusifs, se collaient comme des aimants sur sa peau. Ses interventions, chaleureuses et osées, l’intimidaient. À la pause, elle l’avait invité à sa future dédicace prévue en province. C’était chez lui dans sa ville, le week-end prochain, à la librairie « L’Autre Rive». À la vue de tous et de toutes, ses doigts avaient glissé un bout de papier à l’intérieur de la poche poitrine de sa veste. Elle s’était évaporée vers un groupe en lui déclamant comme lors d’une sortie de scène :
— Mon numéro de téléphone, au cas où !
L’idée d’une boutade s’accordait à celle de l’inattendu. Personne n’oserait lui accorder le statut de dragueur. Trop timide. Les prises de risque de cette nature étaient rares dans son quotidien. Il évitait ainsi de se perdre dans les mélis-mélos des amourettes. Les histoires de « rentre-dedans » avec les femmes accentuaient son côté trouillard. L’hésitation sur la suite à donner était à son comble. Fallait-il jeter ce papier dans la première poubelle ou le garder en toute confidence ? Cette entrée en matière, déroutante par la spontanéité et l’audace, bouleversait son regard sur la sincérité de la proposition. Une telle rencontre pourrait, de surcroît, compromettre la sécurité de son couple. Cette femme s’affichait, tellement imprévisible. L’excitation se réfrénait à la vue d’un jeu dangereux. Elle s’amusait de lui. Il la diagnostiquait en un éclair comme une artiste à personnalité limite. Attention ! Néanmoins, la décision de le calfeutrer n’obéissait pas à l’absolu de la curiosité. Au contraire, ce caché anonyme prolongeait le vivant.
Son regard balayait les voyageurs de dos ou de face. Les endormis à la bouche ouverte et déformée étaient plus nombreux que ceux avec les traits lisses des reposés. Les plus timorés ou les plus fatigués se cachaient sous leurs manteaux qui leur servaient de couverture. Quelques mateurs enroulaient leurs écharpes autour de leur tête tout en clignant de temps en temps leurs paupières. Ceux, plongés dans la lecture, sous-entendaient le statut de l’érudit ou le familier du divertissement. Sa pensée s’évaporait comme un petit nuage. Dans un sursaut d’imagination, l’universitaire se dédoublait en musicien, transformation fréquente chez lui. Ce scénario lui permettait de s’échapper de son quotidien en simulant le doigté d’un guitariste pop. Un grincement trop brutal de la réalité estompa cette envolée. Dommage !
Il consulta son agenda de la semaine. L’emploi du temps était assez cool. Deux gamins se réveillèrent dans le carré d’à côté. A priori, et à son grand soulagement, ces chérubins prirent l’option du dessin. Ouf ! Au moins, les chamailleries enfantines mêlées aux excès émotionnels des parents s’estomperaient le temps de l’obéissance. Il tolérait difficilement d’être dérangé par les excitations des uns et des autres. Le pulsionnel l’agaçait au plus profond de lui. Plutôt calme dans son enfance, à la moindre manifestation de sa part, ses parents lui rétorquaient assez facilement :
— Va te défouler dehors, cela nous fera des vacances.
Il ne sortait pas. Il ne bougeait plus. Il se sentait isolé et incompris. Il s’était socialisé en devenant au fil des années un dénigreur de la nature humaine. C’était de leur faute, à eux ! La haine pouvait le submerger au carrefour de ses insupportables. Elle se logeait dans le non exprimable. Elle demeurait trop risquée à dévoiler. Elle restait tapie aux portes du définitif, du débordement, de l’inavouable. Il fallait changer de sujet. Pourquoi étaient-ils toujours présents aux moindres rendez-vous de ses errances imaginaires ?
Il regarda sa montre. Encore quarante minutes ! Il hésitait. Fermer les yeux ou observer le paysage ! Une petite fatigue l’invitait à prendre la première option. Cette limite de l’endormissement drapé des balades de l’ailleurs était appréciable pour sa tranquillité. Cette zone de l’entre-deux le rassurait.
Après une nuit bien reposante dans un grand lit, installée dans la vaste salle bondée à cette heure, Diane savourait un copieux petit déjeuner, dit continental, avec buffet à volonté. Pour une fois, les regards indiscrets des hommes, seuls à leurs tables, l’amusaient au point de ressentir une petite joie intérieure, sans se méprendre toutefois, sur la flatterie de ces œillades ou sur la mauvaise foi de leurs intentions. Ces deux nuitées, seule dans cette chambre, elle s’était autorisée à redécouvrir son corps, gestes cheminant entre timidité et embrasement de l’exploration. Libre de la balade de ses doigts, la fièvre accentuée par l’édredon ou par sa rêverie, les deux à la fois, les spasmes s’étaient exprimés comme dans le jeu des variations des notes musicales, la partition accentuant autant la retenue que les soubresauts.
Elle s’était endormie rapidement, pour ainsi dire au dernier soupir, délivré tout en retenue, de peur d’être découverte, la couette remontée à hauteur de son menton. Quelle détente !
Vers dix heures, elle quitta Lyon, un léger sourire aux lèvres. Circulant sur l’autoroute du Sud, elle écoutait une musique à la radio et se souvenait des heures précédentes.
Arrivée l’avant-veille, sans but précis, l’idée d’une journée de farniente convenait bien à ses desiderata. Son agenda, vierge de toute obligation, se complétait au gré de ses humeurs vagabondes, lui suggérant des promenades propices à la découverte des lieux. Un sentiment de sécurité, étrange et bien réel pour autant, l’accompagnait dans chaque dédale des quartiers. Elle croyait rajeunir, elle, la trentenaire, libérée de toute contrainte pour le reste de ses jours. La perspective de changer sa vie attisait la singularité de son devenir. Mais la jeunesse ne l’autorisait pas à se comporter comme une rentière.
Son errance insouciante, bien que mesurée, respectait ses envies du jour, et, au gré des surprises, s’accommodait à son plaisir. La déambulation aux alentours de la place Bellecour se prolongeait en direction de la Rue de la République, sans oublier le quartier du Palais de la Bourse. Les tracas du quotidien s’estompaient au fur et à mesure des sautillements de ses pas enjoués. Les nouvelles propositions de la mode, printemps/été, affichées de manières alléchantes dans les vitrines accentuaient l’irrésistible incitation à la dépense, invitant à franchir le pas de ces belles boutiques à la parisienne, aux éclairages, high-tech, illuminant les devantures, mises en valeur par un merchandising bien pensé. L’ensemble formait une agréable bulle de vie, où les essayages se vivaient, tel un délice, dans un vrai abandon de soi. La grisaille du monde changeait de contrée. En fait, elle aurait pu tout aussi bien vadrouiller sur les Champs Élysées tant la modernité associée à l’architecture haussmannienne en rappelait les perspectives. Elle l’avait vécu ainsi.
Et puis, le spectre de l’absence s’était reflété sur l’une des vitrines. Le visage d’Édith, une rêveuse qui tentait d’accomplir son deuil d’une idylle impossible, était apparu en surimpression de la publicité. Cette pensée jaillit au moment même où la vendeuse, belle et coquette, remettait sur un cintre ce qui semblait être une jupe. Le souvenir de son amie fut puissant, au point de regretter de ne pas vivre ce moment avec elle. Plus tard, à son retour peut-être.
Toujours à l’affût des dernières tendances, elles adoraient partager les séances de shopping, tout comme les jeux d’enfants, autrefois, mettant en scène le rêve du chic féminin. Une amitié de la simplicité et de la présence juste avec sa complice exemptait de s’arroger les vérités sur autrui, encore moins le prêchi-prêcha des mégères. Simulant avec audace les pas de mannequinat, elles s’exhibaient devant les glaces, et affirmaient sans gêne la spontanéité de la critique des tailles et des formes. Elles se contentaient du toucher des tissus. Pour l’appréciation de la qualité, de la souplesse des fils de chaîne et de trames, leurs doigts les claquaient avec légèreté ou fermeté. Tout cela se terminait au même salon de thé, les jours ensoleillés en extérieur, les jours sombres et frais dans un recoin de la salle, près de la vitrine des envies. Des discussions sans enjeux majeurs accompagnaient la dégustation de gâteaux et de friandises. Les derniers morceaux mettaient fin à ces occasions du non chaloir.
Parfois, Évelyne, sa mère, se rendait disponible pour ces emplettes domestiques considérées comme les plus engageantes financièrement. Sa présence garantissait probablement le conseil de l’expérience. Elle appréciait cette proximité affectueuse qui rendait les instants de vie partagés comme un espace-temps nourri de sécurité où l’avenir n’existait que dans les possibles. Toutes les deux vivaient la sincérité de la filiation. Elle tenait absolument à lui tenir le bras ; ce contact corporel accentuait le témoignage d’une fidélité à vie qui repousse, sans se l’avouer, au plus loin les clairs-obscurs du destin. Durant ces laps, elle reconnaissait que son attitude oscillait entre la demande de protection de la petite fille et l’affirmation d’une femme en devenir.
Soudain, un pincement au cœur fragilisa son souffle, bien rythmé jusqu’à présent. Aller vers l’inconnu ne serait-ce-pas la tentation de succomber à de la douleur ?
Elle longeait cette longue barrière de collines du Valentinois ; la radio grésillait de plus en plus fortement. Ce désagréable crépitement interrompit le fil de son souvenir. Elle ajusta la fréquence pour retrouver l’ambiance d’une musique douce, l’accompagnatrice du défilé des paysages qui côtoyaient au loin les massifs montagneux. Sans savoir pourquoi, elle circulait sur la 66, en voiture décapotable, à la recherche d’un motel improbable. Tout soudainement, la nationale 7 annonçait Charles Trenet. Oui ! Elle était libre de ses mouvements et de ses errements. Elle se reprenait. Elle poursuivit la chronologie.