Jekyl et A.I. - Ludmila Kowalski - E-Book

Jekyl et A.I. E-Book

Ludmila Kowalski

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Beschreibung

Jekyl Jones, détective privé cynique et fumeur invétéré, survit grâce à des contrats troubles avec la police dans un Londres futuriste aux allures cyberpunk. Après une chute quasi mortelle lors d’une mission, il se réveille transformé, équipé de prothèses robotiques dernier cri. Tandis qu’il tente de s’adapter à ce nouveau corps, un mystérieux milliardaire lui confie une enquête sur le vol d’un objet ultra confidentiel. Entre manipulations, trahisons familiales et intelligences artificielles aux intentions troubles, Jekyl se retrouve pris dans une spirale bien plus complexe que prévu. L’homme qu’il était devra affronter ce qu’il est devenu. Et peut-être découvrir qu’il n’est plus tout à fait seul dans sa propre tête...

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Auteure belge, Ludmila Kowalski tisse depuis des années des récits empreints de finesse, entre poésie et fiction. Avec "Jekyl et A.I. – Hyde Park Project", elle signe un roman saisissant, où se rencontrent l’univers du détective privé et les vertiges de l’intelligence artificielle.

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Seitenzahl: 295

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Ludmila Kowalski

Jekyl et A.I.

Hyde park project

Roman

© Lys Bleu Éditions – Ludmila Kowalski

ISBN : 979-10-422-7883-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Cet ouvrage est dédié à ma maman.

Tu as manqué Jekyl de peu,

je pense que tu l’aurais apprécié.

Merci pour tout, je t’aime.

Chapitre 1

Jekyl venait de claquer une porte métallique à la volée. L’écho de ce son désagréable se répercuta sur les murs alentour, venant s’ajouter aux autres bruits de cette ville mouvementée. Malgré la nuit déjà tombée depuis plusieurs heures, le calme ne régnait clairement pas en ces lieux.

L’homme continua à courir après le suspect qu’il essayait d’arrêter. À chacune de ses expirations, le froid piquant au-dehors lui faisait cracher de la buée. Jekyl n’était pas un policier et il n’était pas particulièrement fan des forces de l’ordre. À vrai dire, cette animosité était mutuelle. Mais parfois, il devait bien se résoudre à travailler ensemble. Mine de rien, les contrats de chasseur de primes de l’État payaient bien et Jekyl avait toujours besoin d’argent. Lassé de courir après cet arnaqueur sur les toits de Londres, il hurla :

— Arrête-toi, connard, ou je te tire dans le dos !

L’homme devant Jekyl se retourna quelques instants, mais écarta les yeux de peur et accéléra de plus belle. Du haut de ses deux mètres, avec son regard mauvais et son langage pas des plus accueillants, Jekyl n’avait rien de rassurant, il le savait très bien et cela lui était plus utile que néfaste. Il resserra autour de lui son manteau afin de courir plus librement. Il sortit son arme et la pointa sur le type, mais il était difficile de viser tout en courant et avec si peu de luminosité. Il tendit le bras, mais dut renoncer à tenter un tir ; c’était trop incertain.

— Je t’ai dit de t’arrêter, ordure ! reprit Jekyl.
— Vous allez me tuer ! rétorqua l’homme d’une voix effrayée.
— Mais non, je bosse pour les flics, je dois juste te ramener au poste…
— Vous avez pas l’air d’un flic !
— J’ai pas dit que je l’étais et… Putain, mais arrête-toi !

Le type venait de sauter sur un toit en contrebas. Sans hésiter, Jekyl le suivit, bien déterminé à ne pas revenir au poste de police les mains vides. Il avait besoin de cet argent.

— Vous êtes chasseur de primes ? questionna le fugitif.
— Détective privé. Maintenant, arrête-toi !
— C’est pas censé être moins violent, un…

Le type venait de faire un bond sur le côté pour éviter le bras droit de Jek qui filait vers lui. Le détective lança un regard plein de rage à sa cible. Effrayé, l’arnaqueur repartit de plus belle. Jekyl était essoufflé ; être fumeur et faire des courses-poursuites était parfois compliqué. Il s’arrêta net. Le type venait juste de tourner le coin, mais il ne le voyait pas. Il regarda alors plus loin devant lui et s’aperçut qu’il était sur le toit en face. Il venait de sauter.

— Tu m’échapperas pas ! cria Jek avec rage.
— Ne sautez pas, j’ai moi-même failli tomber ! l’avertit l’arnaqueur.
— La ferme ! lança Jek en prenant de l’élan et en se propulsant vers le toit face à lui.

Dans la tête du détective, la scène se déroula comme au ralenti. Il était plus lourd que sa cible, peut-être un peu moins agile aussi ; quoi qu’il en soit, malgré la puissance de son saut, il ne parvint pas de l’autre côté. Sa main droite était toujours tendue vers le bord. Il se rappela alors que, malgré le fait qu’ils soient descendus de quelques mètres depuis leur arrivée sur les toits, ils étaient auparavant montés au sommet d’un immeuble de plusieurs étages. Tandis que le rebord s’éloignait à une vitesse folle, il le vécut à une lenteur accablante, voyant pâlir peu à peu l’arnaqueur qu’il traquait tandis que ce dernier le regardait faire une chute vertigineuse et, dans un sinistre craquement, atterrir sur le flanc au fond d’une ruelle.

Chapitre 2

Un bip régulier se faisait entendre dans la pièce aux murs blancs. À part ce son, le lieu était des plus calmes. Une odeur de désinfectant flottait dans l’air. Jekyl ouvrit les yeux, et ceux-ci mirent quelques instants à faire le point et à lui montrer ce qui l’entourait : une chambre d’hôpital. Il se sentait vaseux et avait terriblement mal au crâne. Jek essaya tant bien que mal de faire fonctionner sa mémoire… Que faisait-il ici ? Il lutta pour rester conscient, mais il n’y parvint pas. Il lui sembla juste qu’il faisait nuit dehors et c’est tout ce qu’il apprit de plus.

Il s’éveilla à nouveau. Cette fois, l’intensité de la lumière provenant de l’extérieur le marqua ; il faisait jour. Il entendait deux personnes s’entretenir à ses côtés. Il se concentra pour saisir le sens de leur conversation.

— On est arrivés à temps, mais on n’a pas pu faire plus… semblait dire une doctoresse à la voix rauque.
— Au moins, il est en vie et fonctionnel, répondit un infirmier en regardant Jek. Oh, il se réveille ! Monsieur, vous m’entendez ? Faites-moi un signe, si c’est le cas !

Jekyl fit tous les efforts du monde pour tourner sa main et lever son majeur. La doctoresse se mit à rire tandis que l’infirmier pâlit.

— La police m’avait prévenue que c’était un cas… particulier… Enfin, il semble aller bien, lança la médecin en regardant les écrans des machines auxquelles était branché Jek.
— Je vais bien… je peux sortir… répliqua Jek en tentant de se lever.
— Non, non, monsieur ! Certainement pas ! rétorqua l’infirmier en le poussant doucement sur son lit.

Jek grogna et lui jeta un regard mauvais avant de se tourner vers la doctoresse.

— J’imagine que vous voulez savoir pourquoi on vous retient ? Vous avez fait une sacrée chute, vous savez ? Enfin soit, vous êtes resté plusieurs jours dans le coma après votre opération d’urgence.
— Mon opération ? répondit Jek d’une voix enrouée.
— Oui. Vous auriez pu mourir après être tombé d’une telle hauteur ! Heureusement, comme vous pouvez le constater, vous êtes en vie.
— Question de point de vue… pour le heureusement.
— Je vois que vous êtes un optimiste, vous ! Enfin, comme j’allais vous l’annoncer, nous avons fait ce que nous avons pu, et on peut déjà parler d’un miracle. Heureusement que vous avez une bonne mutuelle, elle a pu payer tous les frais. Je ne vous fais pas attendre plus longtemps : vous avez perdu une jambe, un bras et un œil dans votre chute, mais laissez-moi finir avant de m’interrompre, nous les avons remplacés par des prothèses robotiques. Elles sont pleinement fonctionnelles maintenant. Vous avez chuté sur le côté et avez écrasé une partie de votre corps sous votre propre poids.
— Vous dites que je suis trop lourd ? Enfin, je serai toujours capable de me déplacer comme avant ? Rien ne sera plus difficile ?
— Non, je ne dis pas ça, rétorqua la médecin d’un air amusé. Oui, parfaitement, vous aurez même plus de force avec vos prothèses, pour tout vous dire. Enfin, comment ça va psychologiquement ? Cette nouvelle ne vous affecte pas trop ?
— C’est pas pire que d’habitude… Je peux avoir une clope ?
— Mais monsieur, vous venez à peine de vous réveiller de… commença l’infirmier.
— Je ne vois pas de raison de vous l’interdire. Je vous retire votre oxygène et vous pourrez fumer, le coupa la doctoresse. Sérieusement, l’opération s’est bien passée, il se remet correctement et n’affiche pas de signe de traumatisme, laissons-le fumer tranquillement, lança-t-elle à son collègue.
— Oui enfin… c’est particulier…
— Je ne dis pas le contraire… vous avez des questions monsieur ?
— Je peux avoir un miroir ?
— Voici.

D’une main mal assurée, il se saisit de l’objet réfléchissant. Il mira son reflet, il avait désormais un œil bleu vif et un autre à l’iris noir. Ce n’était pas discret… Quant à ses autres membres, ils étaient recouverts d’une matière ressemblant à de la peau.

— De la peau synthétique, votre différence ne se remarquera pas, sauf pour l’œil, désolé. C’est le meilleur modèle, mais il n’a qu’une seule couleur. Comme vous n’étiez pas conscient, ce n’était pas facile de vous demander votre avis, répondit la médecin en s’allumant une cigarette avant de lui en tendre une.
— Merci… j’imagine que je pourrai analyser des choses avec cette prothèse ?
— Oui, je vous donnerai le mode d’emploi. On peut y installer des programmes, pour l’instant vous aurez juste une meilleure vue. Ne vous en faites pas, c’est calibré pour ne pas rendre votre autre œil paresseux.
— J’ai l’air de m’inquiéter ? rétorqua Jek en allumant sa cigarette.
— Pas vraiment, non. Au cas où ça vous intéresse, c’est le type que vous poursuiviez qui a appelé l’ambulance. La police est venue l’arrêter. Ils croyaient que vous étiez mort, heureusement pour vous, non. Ou pas, c’est une question de point de vue, répondit-elle d’un air amusé. Enfin, j’ai du travail, je vais devoir vous laisser. Vous devez rester encore un peu en observation. Pour l’instant, vous vous remettez bien, rien d’alarmant. Je vous laisse le mode d’emploi et le manuel d’entretien de vos prothèses. Appuyez sur le bouton rouge si vous avez besoin de quoi que ce soit. Quelqu’un viendra… j’espère.

Jek esquissa un sourire ; cette femme semblait réaliste. Le domaine médical n’était en effet pas au beau fixe. Il y avait peu de financement et ils étaient en sous-effectif dans tous les hôpitaux. La doctoresse et son collègue quittèrent alors la pièce, laissant Jekyl fumer seul. Il remarqua alors un bouquet de fleurs posé sur sa table de chevet et attrapa la petite carte posée à côté : un mot de sa sœur lui disant de tenir bon. Des fleurs… qu’allait-il en faire à part les jeter ? Il soupira et laissa retomber sa tête sur l’oreiller. Il leva sa main droite devant lui. De près, on pouvait voir la différence de la peau si on était attentif, mais il s’en fichait. Il tira une bouffée sur sa cigarette et la recracha d’un air blasé. Il espérait au moins être payé pour la mission qu’il avait faite.

Il se saisit du téléphone à côté de lui et composa le numéro du poste de police avec lequel il avait travaillé sur cette affaire. Un officier lui répondit alors :

— Allô ?
— C’est Jekyl. J’appelle pour discuter de mon paiement.
— Ah bah vous êtes pas mort, finalement ? Bon écoutez, on en a discuté avec les collègues, si vous surviviez on vous payait la moitié de la prime – ne grognez pas comme ça, c’est nous qui l’avons arrêté le gars au final.
— Après que lui vous a appelé, oui !
— Faire semblant de mourir pour faire culpabiliser vos cibles est une technique, disons… particulière, répondit le policier d’un air amusé.
— J’ai failli crever et vous ne me payez que la moitié ?! Bande de rats… Enfin, au moins, je ne vous ai pas donné la satisfaction de mourir…
— Vous êtes autant un fardeau qu’un atout, Jekyl, c’est ça qui est dingue avec vous. Enfin… Je vous verse le paiement sur votre compte. Je sais que ce n’est pas pour payer vos frais d’hôpitaux – vous avez une bonne mutuelle visiblement, je me suis renseigné –, sinon on vous aurait versé l’intégralité de la prime, sans doute. Mais là, je sais que cet argent va en grande partie partir dans l’alcool.
— Ça vous regarde pas ce que je fais de mon fric ! Je ne comprends même pas pourquoi je bosse encore avec vous !
— Vous bossez avec nous pour vous payer votre alcool quand vous n’avez pas d’affaires assez lucratives à vous mettre sous la dent, Jekyl.
— Je vous emmerde, répondit-il, avant de raccrocher.

À l’autre bout du fil, le policier se mit à rire tandis qu’une de ses collègues lui demandait :

— Alors, il va bien ? Et tu crois qu’il va revenir nous emmerder ? Perso, je n’ose jamais décrocher quand c’est lui, il me fait peur…
— Oh, moi je le connais depuis longtemps maintenant, je sais à peu près le gérer. Mais oui, il reviendra certainement vers nous ! répondit l’officier.

Jekyl, lui, attrapa le mode d’emploi de ses prothèses d’un air rageur. Les flics le rendaient dingue parfois, mais la dernière fois qu’il s’était battu avec eux, il avait failli perdre sa licence ; il devait donc se montrer prudent. Au moins, ils le payaient un peu, il pourrait boire un verre en rentrant chez lui.

Après une bonne heure de lecture, Jek reprit le téléphone et contacta Gareth, son ami informaticien. Il avait une question à lui poser concernant ses prothèses.

Gareth décrocha et répondit d’un air malaisé, car il ne reconnaissait pas le numéro qui le contactait :

— Oui ? Qui est à l’appareil ?
— C’est Jek, j’ai une question sur mes prothèses.
— Jek ! Tu es en vie ! Dieu soit loué !
— Mêle pas Dieu à tout ça ; si j’étais croyant, je ne me sauverais pas moi-même.
— Oh, n’exagère pas, tu n’es pas un si mauvais bougre que ça ! Oh, je suis rassuré, j’ai eu tellement peur ! Je suis venu dès que j’ai su, j’ai discuté avec la docteure qui t’a opéré et elle n’était pas très optimiste… Elle m’a expliqué l’opération qu’elle t’avait faite – c’est un vrai bijou de technologie ces prothèses ! Tu as de la chance d’avoir survécu et d’être si bien équipé.
— C’est ce qu’on me dit souvent, répondit Jek d’un air amusé.
— Tu n’as pas changé, toi. Enfin… Je comptais passer te voir cet après-midi et…
— Te fatigue pas, je reste encore aujourd’hui, et demain je signe une décharge pour partir – je pense pas que je puisse me barrer maintenant… Je passerai te voir demain.
— Non, mais tu dois te reposer ! C’est important !
— Oui, oui, je sais… Bref, j’avais une question concernant les prothèses.
— Ah oui, euh… dis-moi.
— Ils m’ont mis des sortes de ports USB sur mes prothèses sous la fausse peau, je peux télécharger des programmes dessus. Je peux avoir accès à une base de données, tu saurais m’implanter ça ? questionna Jekyl.
— Je… j’imagine. Que veux-tu ?
— Les bases de données des personnes recherchées et des immatriculations.
— Je ne sais pas si tu as accès à…
— T’occupe, je t’apporterai ça sur un disque dur portable – tu saurais me l’implanter, toi, le petit génie de l’informatique ?

Gareth soupira et se pinça l’arête du nez. Oui, il pouvait, mais utiliser des banques de données illégalement acquises n’était pas des plus prudents.

— Je peux faire ça, mais tu devras être prudent. Repose-toi d’abord assez, Jek, tu as failli mourir.
— Je sais, mais j’ai des factures à payer. Je dois leur demander mon téléphone pour voir si personne n’a essayé de me contacter pour un contrat.
— Jek, tu as fait une chute de plusieurs étages, tu crois vraiment que ton téléphone portable a survécu ?

Jekyl énuméra une série de jurons au téléphone, si bien que l’infirmière qui passait dans le couloir à ce moment-là lui jeta un regard courroucé avant d’accélérer le pas.

— Bon, tu peux m’en commander un nouveau ? Je le connecterai avec mon compte demain, demanda-t-il à son ami.
— Pas de souci. Oh, tu sais qu’avec ta prothèse oculaire tu pourras mettre l’écran de ton téléphone directement dans ton œil ? Celle de ton bras a un clavier intégré sous la peau, je te montrerai comment l’activer. En principe, tu peux aussi passer des appels. Tu as également un micro et un baffle miniatures.
— Ouais bah, on fera les deux, si possible – pas envie d’être dérangé en plein sommeil par un appel qui résonnera dans ma tête… ça m’emmerderait plus qu’autre chose.
— Oh, tu pourras le mettre en silencieux, tu sais ! Et en mode avion aussi.
— On verra… Je te laisse, je continue à regarder ça, je passe chez toi demain – de toute façon tu sors jamais…
— Si quand même, je me balade un peu et je fais des courses… Mais bon, je ne comptais pas sortir demain, en effet, je t’attendrai, on mangera ensemble.
— Parfait, il me restait plus grand-chose à bouffer chez moi et ça risque d’être périmé… À demain, Gareth.

Il raccrocha alors et ne tarda pas à se rendormir, encore fort fatigué. Malgré la morphine, Jekyl avait mal. La douleur le harassait. Il était anxieux par rapport à son avenir avec ses prothèses, il n’avait pas encore pu expérimenter leur mobilité et ça l’inquiétait. Cela ne l’empêchait pas d’afficher en public un air détaché ; se concentrer sur ses problèmes ne l’avait jamais aidé. Il préférait les nier, cela les rendait tout de suite plus faciles à vivre. Il ferma les yeux et grâce à la morphine, il lui fut plus aisé de s’endormir qu’à l’accoutumée.

Chapitre 3

Il y avait beaucoup de circulation à Tottenham Court Road ce jour-là. Le taxi dans lequel Jekyl était assis peinait à avancer. À intervalles réguliers, le conducteur jurait sur les autres automobilistes. La radio braillait trop fort, mais couvrait à peine les insultes balancées par le chauffeur. Ce n’était pas du genre de Jek de prendre un taxi ; il n’aimait pas dépenser de l’argent pour ce genre de choses et préférait être au volant plutôt que d’être conduit quelque part. C’était Gareth qui avait insisté pour lui payer le voyage, heureusement qu’il gagnait bien sa vie. Cela lui avait permis d’aider son ami à arriver chez lui de façon plus confortable.

Jek regardait les gouttes s’écraser pitoyablement sur la vitre. Il n’était toujours pas convaincu que ça soit une bonne idée de prendre un taxi, marcher un peu lui aurait permis de mieux tester sa prothèse de jambe. Ce matin même, la médecin lui avait expliqué qu’il n’y avait plus besoin de rééducation avec ces prothèses adaptatives ; marcher un peu suffisait à ce nouveau membre pour « apprendre » la manière de se déplacer de la personne. C’était pratique, mais malgré tout, Gareth avait insisté pour qu’il n’en fasse pas trop. Du peu qu’il avait pu en tester, il y avait très peu de différences entre sa nouvelle et son ancienne façon de marcher. C’était parfait, cela ne le handicaperait donc pas.

Le véhicule s’arrêta devant un grand immeuble. Les vitres de celui-ci reflétaient les nuages gris planant paresseusement au-dessus de la ville. Gareth était déjà là. Comme à son habitude, il portait un jean, une chemise, des chaussures de costume et ses cheveux bruns étaient bien coiffés. Il paya à la borne que lui tendit le taximan pendant que Jekyl sortait de l’habitacle. Une fois son paiement reçu, le conducteur repartit à toute vitesse, sans un mot.

— Il avait l’air adorable… Vous avez dû vous entendre, plaisanta Gareth en rangeant sa carte bancaire dans sa poche.
— On est devenus les meilleurs amis du monde… répondit Jekyl en marchant vers l’immeuble.
— Oh là, doucement ! Je ne pensais pas que tu marcherais déjà aussi vite ! Enfin, c’est bien, ça veut dire que ta prothèse s’adapte bien, bonne nouvelle ! lança Gareth en observant la démarche assurée de son ami.
— Je t’avais dit de pas t’en faire, répondit Jek en poussant la porte du hall d’entrée.
— Tu as failli mourir, j’avais bien le droit de m’inquiéter un peu, non ?

Jek haussa les épaules et appela l’ascenseur. Il tourna lentement la tête vers Gareth, qui le dévisageait.

— Tu veux ma photo ?
— Désolé, je regardais juste ton nouvel œil ! Il a l’air très perfectionné !
— Y paraît… répondit le détective en rentrant dans l’ascenseur.

Gareth le suivit d’un pas pressé et poussa sur le bouton de son étage.

— Ça s’est bien passé ta sortie d’hôpital, tout à l’heure ?
— J’ai signé une décharge, répondit Jek d’un air blasé.
— Je maintiens que tu aurais dû te reposer plus longtemps… Enfin, de toute façon, tu n’écoutes jamais les conseils, alors pourquoi je me fatigue ? On est arrivés, suis-moi.
— Ça va, je le connais bien ton appart’, je passe souvent te voir.
— Oui, c’est vrai… répondit Gareth en déverrouillant la porte.

Les deux hommes entrèrent dans une grande pièce à l’ambiance tamisée. Les rideaux étaient tirés et seules deux lampes de bureau éclairaient ce grand salon transformé en bureau géant. Devant la large baie vitrée s’étendait un bureau sur plusieurs mètres. Trois écrans étaient côte à côte avec un clavier haut de gamme. Il y avait tout un tas de pièces détachées, de bouts de circuits et d’outils qui traînaient sur ce grand bureau. Il y avait aussi un grand fauteuil dans lequel était roulée en boule une couverture, et un oreiller gisait sur le tapis à côté. La table basse était couverte de cartons de pizza et de cornets de pâtes vides. Des cannettes de soda étaient disséminées dans toute la pièce. Jekyl entendait le bruit de soufflement émis par les ventilateurs des serveurs et de l’ordinateur.

— Tu vis dans le noir et entouré d’ordis, t’es un peu un vampire de l’informatique toi quand même… fit remarquer Jek en se laissant tomber dans le fauteuil.
— On peut dire ça, oui, répondit Gareth en riant. Je vais nous chercher notre repas, je nous ai fait des pâtes bolo !
— Ça me va… répondit-il en dégageant la table d’un geste de l’avant-bras.

Les cartons de pizza volèrent sur le sol, mais au moins la table fut dégagée. Le regard de Jek se perdit sur les écrans de son ami. Des lignes de codes étaient affichées – il n’y comprenait rien…

Gareth revint avec deux assiettes de pâtes fumantes, il les posa et tendit une fourchette à Jek.

— Bon appétit !
— T’as pas une bière ?
— Tu sais bien que je ne bois pas.
— Et je sais bien que tu en achètes pour moi.

Gareth soupira et releva la tête vers son ami :

— Tu es sorti de l’hôpital il y a une heure, Jek !
— Raison de plus pour enfin pouvoir boire une bière fraîche. Quoi ? Je n’ai pas pu boire pendant quatre jours.
— Tu étais dans le coma pendant trois d’entre eux ! Non, moi je refuse de te servir quoi que ce soit d’alcoolisé, et ne râle pas. Tu iras te saouler ailleurs, mais pas chez moi.

Pour toute réponse, Jek grogna et commença à manger. Malgré les apparences, Gareth cuisinait bien. S’il commandait à l’extérieur, c’était surtout, car il était passionné par son travail et avait du mal à en décrocher.

— Tiens, comme promis, un téléphone neuf. C’est cadeau, dit-il en le tendant à Jek.
— T’es sûr ?
— Oui, Jek, je ne sais plus quoi faire de mon argent, je t’assure. Je ne bois pas d’alcool, je ne fume pas, je ne me drogue pas, je ne sors pas, je n’ai personne à charge, je ne pars pas en vacances et…
— Quelle vie chiante…
— … j’ai un salaire trop élevé, termina Gareth.
— Pas si chiante que ça, finalement… rectifia Jek tout en allumant le téléphone.

Il reconnecta ses identifiants et accéda enfin à ses messages, mails et autres appels manqués.

— Tiens, un type m’a contacté par mail il y a deux jours et a essayé de m’appeler ce matin… remarqua-t-il.
— Termine peut-être de manger avant de…
— Tu te fous de moi ?! Tu passes ta vie à bouffer des pizzas parce que tu sais pas te décrocher de tes écrans !
— Je ne dis pas non plus qu’il faut suivre mon exemple…

Jekyl soupira, mais glissa le téléphone dans sa poche et continua de manger. Gareth esquissa un sourire, heureux de constater que parfois, son ami l’écoutait quand même.

Une fois leur repas terminé, Gareth brancha les prothèses à son ordinateur. Il entra dans le programme et parcourut les différentes fonctions et les lignes de code.

— C’est complexe ! C’est très intéressant, je trouve… C’est très bien fait, tout est bien optimisé, tu as vraiment une excellente mutuelle pour t’être payé ça !
— Ouais, je paie super cher alors bon, pour une fois que ça sert, répondit Jek en s’allumant une cigarette.
— Fascinant… Tiens, qu’est-ce que c’est que ça ? questionna-t-il en entrant dans le code.
— Bon, tu as fini de trifouiller là ? Je t’ai demandé de m’installer des trucs…
— Oui, mais c’est étrange, je n’avais jamais vu ça…
— Gareth, tu m’écoutes ?
— Euh oui, pardon, je verrai ça plus tard. Bon alors, je ne saurai pas tout t’installer, je n’ai pas les données nécessaires. Il faudra que tu reviennes avec ça, mais je vais déjà te mettre une interface qui te permettra de faire une recherche internet avec tes prothèses. C’est fascinant ! Ensuite, je connecterai ton téléphone, comme convenu, répondit l’informaticien en pianotant sur son clavier mécanique.
— Bon, c’est déjà ça. Pour le reste, je reviendrai avec les données plus tard. C’est sur mon ordinateur à la maison. Je repasserai te voir bientôt.
— J’espère bien ! Voilà, ça s’installe ! Je dois réfléchir à d’autres programmes qui pourraient t’être utiles… Enfin, en attendant, voici le clavier – sous la peau, juste ici. Tu peux le verrouiller comme ça et si tu le connais assez bien, tu peux même l’utiliser à travers la peau !
— Super… Une fois que tout ça est installé, je rentre chez moi, annonça le détective en regardant le câble partir de son bras vers l’ordinateur.
— Ça ira pour le trajet ? Tu vas pas faire une demi-heure à pied quand même…
— Non, je prendrai le métro, t’en fais pas.

Gareth grimaça – la ligne allant vers son quartier n’était pas la mieux fréquentée. Lui, par exemple, lorsqu’il rendait visite à son ami, ne prenait jamais le métro. Il y avait très régulièrement des problèmes dans le métro, mieux valait-il connaître les lignes sûres.

— Justement, si tu es convalescent, Jek, tu ne vas pas pouvoir te défendre correctement en cas de… commença Gareth.
— J’ai un bras et une jambe en métal, tu crois que ça fera quoi si je frappe avec ? En vrai, j’ai hâte de tester, répondit-il avec un sourire carnassier.
— Tu n’es pas censé être si violent dans ton métier.
— Bordel, Gareth, tu crois vraiment que les gens en dehors de ta petite bulle de sécurité sont doux et gentils ? Je te le donne en mille : c’est tout le contraire ! Alors laisse-moi me défendre ! Bon, ton truc a terminé de se télécharger.
— Oui, je te débranche… Bon, sois prudent quand même et dis-moi quand tu es chez toi. Ne lève pas les yeux au ciel, parfois tu m’envoies un message quand tu es rentré.

Jekyl salua son ami et reprit l’ascenseur seul. Il savait que Gareth n’était pas très fan pour sortir. Il se baladait bien de temps en temps, mais c’était rare.

Une fois dehors, il chercha l’arrêt de métro le plus proche et fouilla ses poches pour trouver son portefeuille. Il en sortit sa carte contenant son abonnement pour les transports en commun. Il descendit les marches, arrivant à la station bondée. Un brouhaha de conversations résonnait dans les longs couloirs. Ceux-ci étaient bien entretenus, exception réservée aux beaux quartiers. Il n’eut pas à attendre longtemps avant de se glisser dans une rame. Le public ne tarda pas à devenir de plus en plus hostile, mais Jekyl était blasé, il en avait vu d’autres. La rame de métro était mal éclairée et sentait le renfermé, en plus d’une odeur de bière bon marché. Heureusement, le trajet ne durait que quelques minutes, il n’eut pas à faire face à cette ambiance lourde bien longtemps.

Il sortit du métro et se dirigea vers son appartement situé à Arlington Road. Ce n’était pas l’endroit le mieux fréquenté de la ville, mais ça lui était égal, car grâce à cela, le loyer n’était pas trop cher. Il gravit les marches craquantes de l’escalier menant à son palier et voulut rentrer ses clés dans la serrure. Il fronça les sourcils et poussa la porte sans avoir eu à la déverrouiller. Celle-ci s’ouvrit. Quelqu’un était entré dans son appartement.

Prudemment, Jekyl se glissa dans le salon, pièce sur laquelle donnait la porte d’entrée. Couché dans le canapé, un adolescent zappait d’une chaîne à l’autre, jetant un regard vide à la télévision. Il portait un jean troué, un sweatshirt à capuche noir trop large et des baskets élimées. Ses cheveux bruns étaient en bataille.

— Sérieusement !? pesta Jekyl.

Le jeune sursauta et se leva d’un bond.

— Tonton Jek ! Ma mère m’a dit de passer chez toi pour m’occuper de ton chat.

L’animal en question, un petit chat tigré roux et blanc, arriva vers son maître et passa entre ses jambes en ronronnant.

— Tu vois ! Il va super bien !
— Depuis combien de temps tu squattes chez moi, Lewis ?! Et qu’est-ce que tu m’as encore piqué dans le frigo ?! répliqua Jek.
— Je… je squatte pas depuis super longtemps, tu sais… Et j’ai pas pris grand-chose…
— Tu m’as pas piqué de bière, j’espère ?!

L’adolescent pâlit et attrapa son sac de cours pour le lancer sur son épaule.

— Bon bah, content que tu sois vivant, mais j’imagine que tu dois te reposer, je devrais peut-être te laisser…

Jek lui coupa la route en tendant son bras devant la porte. Son neveu avait la fâcheuse tendance à s’inviter chez lui.

— J’imagine que si c’est toi qui es venu, c’est parce que tu m’as piqué un double de ma clé que tu ne veux toujours pas me rendre.
— Bah ça a bien servi en attendant ! Ton chat serait mort de faim sinon, j’étais le seul à avoir les clés. Je t’ai déjà dit que ça servait à que dalle un double des clés qu’on laisse à l’intérieur de chez soi et…
— Tu me prends pour un crétin ou quoi ?! Gareth aussi a un double ! En plus, tu ne refermes même pas la porte, c’est dangereux, petit con ! Et j’oublie pas que tu m’as piqué des bières, répondit Jek en pointant son doigt vers lui.
— Oh, on dirait pas que tu as des prothèses ! C’est hyper réussi !
— Ne change pas de sujet ! Maintenant, dégage d’ici et va en cours – si tu te rappelles encore où est ton école !

Lewis lança un sourire ennuyé puis partit sans demander son reste. Il savait très bien que son oncle n’aimait pas qu’il squatte, mais d’un autre côté, l’appartement était vide et c’était souvent la guerre chez lui. Son beau-père était con comme un manche à balai et il faisait trop froid pour rester dehors. En plus, son oncle habitait la rue à côté et il avait une excuse parfaite pour venir ici en son absence. Et puis, le chat l’aimait bien, lui au moins.

Jekyl soupira et alla dans la cuisine. L’évier contenait une pile de vaisselle sale et la petite table était pleine de cartons de pizza et d’assiettes de pâte sales, sans oublier les cannettes de bière. Il ouvrit la porte du frigo qui émettait un grésillement désagréable et grimaça en constatant l’absence de bière et de nourriture – il ne restait pas grand-chose… Heureusement qu’il avait mangé chez Gareth. Il claqua la porte du frigo et pivota vers la gamelle du chat. Celle-ci débordait de croquettes.

— Il va te rendre obèse… lança-t-il au chat roux ronronnant. Tu m’étonnes qu’après tu l’aimes bien et que tu dormes à ses pieds quand il vient.

Sans attendre davantage, Jekyl s’ouvrit une bière d’un pack qui n’était hélas pas au frigo. Il composa ensuite le numéro qui avait essayé de le contacter durant son séjour à l’hôpital. Il tomba sur un répondeur austère auquel il laissa un bref message avant de raccrocher. Il ne pouvait pas faire grand-chose de plus.

Il marcha vers sa chambre, qui contenait aussi son bureau, et se remit à travailler. La pièce sans fenêtre était plutôt sombre. Un lit double défait se trouvait au centre de la chambre, et face à lui et contre la porte se trouvait un bureau en bois. Celui-ci était recouvert de dossiers, photos et autres documents. Un ordinateur ancien était là aussi, attendant de se rallumer. La pièce sentait le renfermé, ce qui était inévitable. Jekyl laissa donc la porte donnant sur le salon ouverte pour aérer au moins un peu. Il n’était pas plus ravi que ça de retrouver le papier peint d’un goût douteux de sa chambre, mais au moins, il était chez lui. Il actionna l’interrupteur de la vieille lampe de bureau et reprit ses affaires en cours. Il fut surpris ; il s’était attendu à avoir un peu de mal après plusieurs jours alité. À vrai dire, c’était tout le contraire, il avait plus de facilité à réfléchir et à se concentrer qu’avant son hospitalisation. Il esquissa un sourire satisfait et continua son travail.

Chapitre 4

Jekyl fumait une cigarette à la fenêtre de sa cuisine. Le vent s’engouffrait dans l’appartement, apportant une bouffée de fraîcheur. Il prit ensuite une gorgée de café tout en regardant dans sa rue.

C’est la sonnerie de son téléphone portable qui le tira de ses pensées. Il songea qu’heureusement il n’avait pas activé cette fonction sur sa prothèse oculaire – cela aurait été des plus agaçants. Il décrocha et répondit d’une voix rauque :

— Allô ?
— C’est bien monsieur Jones à l’appareil ? questionna une voix froide.
— Ouais… Ah oui, c’est vous qui avez essayé de m’appeler il y a quelques jours, lança Jekyl en reconnaissant le numéro.
— Oui, j’ai appris que vous étiez hospitalisé. Êtes-vous en état de travailler ?
— Sans problème. Vous êtes qui et vous voulez quoi ?
— Je vous envoie mon adresse pour vous parler de tout cela. Je vous attends dans deux heures maximum. C’est un contrat bien rémunéré, lança l’homme, avant de raccrocher.

Jekyl vérifia que le type avait bien coupé l’appel avant de dire :

— Pour qui il se prend à me questionner sur ma santé et à me donner des impératifs de temps ? Il a intérêt à vraiment bien payer ce con…