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Dans un paisible village normand, Armand Level, ancien professeur de lettres, attend son médecin lorsqu’une photographie dans un vieux magazine le bouleverse : une jeune artiste, Mathilde Esteban, exposant à Biarritz, arbore des traits identiques à ceux d’Isabelle, sa fille disparue dix ans plus tôt dans des circonstances tragiques. Le souvenir d’un accident qui lui a également arraché son épouse resurgit avec une intensité insoutenable. Saisi par une émotion irrépressible et un pressentiment troublant, Armand prend une décision audacieuse : rejoindre Biarritz pour affronter ce visage du passé qui pourrait tout changer. Et si une image pouvait faire renaître l’espoir et bousculer le destin ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Danielle Lebée, animée dès l’âge de quinze ans par une passion inaltérable pour l’écriture, fait de cet art un fil conducteur de son existence. À l’heure où s’ouvre le chapitre de sa retraite, elle choisit d’embrasser pleinement cette vocation, encouragée avec tendresse par son mari et sa fille, ses premiers lecteurs et alliés indéfectibles.
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Seitenzahl: 360
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Danielle Lebée
Jours d’angoisse à Saint-Sevin
Roman
© Lys Bleu Éditions – Danielle Lebée
ISBN : 979-10-422-5509-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Lisbeth planta un regard noir plein d’inquiétude dans les yeux du Docteur Amaury :
— Pas question, Docteur, vous m’entendez ! pas question. Je ne veux pas d’opération. Trouvez autre chose ! un médicament suffisamment efficace pour me soulager dans un premier temps !
Le Docteur Amaury rechaussa ses lunettes sur le bout de son nez et regarda par-dessus ses verres le visage tendu et crispé de Lisbeth.
— Nous nous connaissons depuis combien de temps Lisbeth ?
Elle haussa les épaules.
— Depuis votre arrivée dans notre vert paradis normand. J’ai été votre première patiente, souvenez-vous !
— C’est ma foi vraie… Ça ne me rajeunit pas ! Bigre…
— N’exagérons rien tout de même, d’ailleurs vous n’avez pas changé Docteur ! C’est pas comme moi ! Me voilà grignotée par l’arthrose ! à mon âge…
Lisbeth avait la quarantaine épanouie, une chevelure rousse, des yeux verts étirés comme un chat, pleine d’énergie, elle était fleuriste.
Charles Amaury, installé depuis 20 ans dans le petit village de Saint-Sevin, la cinquantaine passée et grisonnante, exerçait son art comme Médecin Généraliste.
Le médecin replaça les radios sur le négatoscope et à l’aide de son crayon désigna à Lisbeth l’endroit où la hanche commençait à s’effriter.
— Écoutez Lisbeth, je vais vous donner ce qu’il faut pour vous soulager. Mais, je vous en prie, soyez raisonnable. Après les fêtes du 1er mai, retournez voir le chirurgien et prenez une décision.
Elle grogna :
— On verra !
Pendant qu’il rédigeait l’ordonnance au nom de Lise-Elisabeth Solivane, elle remit son manteau, son écharpe et ses gants.
Elle empocha l’ordonnance d’un geste nerveux et claqua un baiser sur la joue mal rasée du praticien.
— À la prochaine, Docteur !
Il leva les bras au ciel et la regarda traverser la salle d’attente de son pas décidé.
Il poussa un soupir d’impuissance et appela le patient suivant.
Lisbeth regagna sa voiture et une fois assise au volant respira un grand coup. D’abord ne pas se laisser aller au pessimisme. Sa hanche tiendrait bien encore quelques mois. Il le fallait.
Les fêtes de Pâques se profilaient à l’horizon, suivies par le 1er mai et elle comptait sur le chiffre d’affaires généré par ces périodes festives pour requinquer les finances de son entreprise.
Cette année, les choses s’annonçaient plus difficiles. En effet, elle était désormais seule pour absorber le surcroît de travail.
Veuve depuis plusieurs années, elle avait toujours pu jusqu’à présent prendre une employée pour la seconder en période de pointe. Mais cette année, il n’en était pas question.
Alors, encore moins fermer son magasin pour une éventuelle intervention chirurgicale.
Elle ne pouvait tout simplement pas se le permettre.
Marie est de ces femmes qui aiment que chaque jour se ressemble, que chaque objet soit à sa place, que chaque recette de cuisine soit faite avec les mêmes ingrédients. Si elle pouvait gérer la météo, elle ferait en sorte que le printemps soit léger, que l’été soit chaud et lumineux, que l’automne soit doux et coloré et que l’hiver apporte son lot de frimas et de neige. Si elle pouvait, Marie ferait en sorte que les humains soient rangés par catégories, les bons d’un côté et les méchants de l’autre.
Elle aime que son jardin soit bien entretenu, elle ramasse la moindre feuille morte qui s’aventure dans l’allée, coupe les fleurs fanées, aligne ses pots de géraniums sur son balcon comme une rangée de soldats.
En bref, Marie craint tout ce qui est inhabituel. Elle aime tout ce qui la rassure. Le tictac de la pendule, le passage du facteur entre 10 heures et 10 h 30, Monsieur Level, son voisin d’en face, bel homme grand et distingué qui promène son chien tous les matins à 8 heures très exactement.
Marie est veuve, elle a pris sa retraite d’institutrice depuis presque dix ans. Elle habite le même quartier depuis quarante ans. La physionomie de sa rue à peu changée au cours de ces quelques décennies, mais elle y est bien, elle se sent comme protégée en quelque sorte.
Elle note soigneusement ses rendez-vous chez le Médecin, le dentiste, le coiffeur. Va faire son marché tous les jeudis matin, toujours chez les mêmes commerçants ambulants, dans un ordre immuable. D’abord le boucher afin d’éviter la file d’attente. La viande est bonne chez Monsieur Lallande et l’on se bouscule, puis le crémier et le maraîcher. Mais avant de remplir son panier, elle flâne du côté des fanfreluches, de la mercerie, des étals divers et variés, mais se laisse très peu tenter par ce qui n’est pas le strict nécessaire.
Elle n’est pas pingre, elle est économe. Elle sait s’offrir de petits plaisirs de temps en temps. Un joli corsage, un sac à main, une séance au cinéma le dimanche en matinée ou un florentin de chez Lasserre le meilleur pâtissier de Saint-Sevin.
Elle fait ses confitures avec les fraises de son jardin, ses conserves de haricots verts et ses coulis de tomates quand le potager a bien donné.
Elle aime lire, écouter la radio, regarder ses émissions préférées. Elle n’a jamais voulu intégrer une quelconque association, elle n’a besoin de personne, enfin presque ! Elle ne fait pas non plus de bénévolat, elle a beaucoup donné à ses petits élèves, bien au-delà des heures de cours.
Elle est tout le contraire de son amie Gabrielle.
Ah, Gabrielle ! elle se moque bien de la poussière sur ses meubles, des journaux qui encombrent la table d’entrée, elle vit en communion avec ses chats qui ont droit de cité aussi bien sur le lit, le canapé, le piano et même l’ordinateur.
Gabrielle conduit sa voiture sans ceinture de sécurité, parle haut et fort et ne mâche pas ses mots, elle est fâchée avec la moitié de la rue et se fiche comme de son premier biberon du quand dira-t-on.
Mais voilà, ces deux-là se connaissent depuis leur plus tendre enfance.
Quand l’une va mal, l’autre le sent. Marie a été une épouse comblée et pleure encore son cher Antoine. Gabrielle est divorcée et ne compte plus ses amants.
Marie est menue, petite avec un joli visage doucement griffé par le temps et une jolie chevelure d’un blanc de neige soigneusement entretenue par son coiffeur.
Gabrielle est grande, bien en chair, se maquille trop et mal et se teint les cheveux. Ah les teintures de Gabrielle, un vrai patchwork ! Non contente de les teindre en noir corbeau, elle y intègre des mèches rouges, bleues ou vertes ce qui horrifie Marie à chaque fois qu’elles se voient.
Gabrielle n’est pas économe et peut claquer toute sa pension pour acheter un tableau qui s’avérera être une croûte qui finira dans le grenier ou emmener Marie dans un restaurant 3 étoiles.
Gabrielle a l’esprit vif, elle est intelligente et sous son allure de folle de Chaillot, elle est dotée d’un bon sens de paysanne et possède une finesse d’esprit qui enchante Marie. Jeune, elle a fait les beaux-arts et possède un joli coup de crayon, s’adonne encore un peu à la sculpture.
Elles peuvent passer des soirées entières à disséquer Descartes, à parler politique à refaire le monde ou se répandre en lamentations sur leur ingrate progéniture.
En fait de progéniture, Marie n’en a pas. Dieu en a voulu ainsi, dit-elle dans un profond soupir de regret, d’ailleurs des enfants, elle en a eu des centaines. Elle en a tant consolé des têtes blondes ou brunes, elle en a aimé quelques-unes un peu plus que d’autres. Parfois, Antoine la morigénait un peu lorsque l’une ou l’un de ses petits l’accaparait un peu trop. Mais certains lui sont encore fidèles, comme Jérôme, Lisbeth, ou Rose-Marie.
Aujourd’hui, elle se console en voyant Gabrielle quémander quelques miettes de leur temps à ses trois enfants, tous très occupés, soit par leur travail, leur vie de famille, leurs loisirs ou les trois à la fois. Pas de place pour maman Gabrielle dans les emplois du temps de sa progéniture.
En ce jeudi matin, jour de marché à Saint-Sevin, Marie attend que Gabrielle vienne la chercher. Elle guette la Renault 5 blanche que son amie s’enorgueillit de posséder depuis 20 ans et qui tourne à l’entendre comme une horloge. Comme d’habitude, Gabrielle est en retard. Qu’importe, il fait beau en cette matinée d’avril et Marie savoure l’air doux et vif, assise sur le banc de son jardin qui donne sur la rue.
Alors qu’elle entend le moteur de la voiture de Gabrielle qui doit tourner au coin du cimetière, avant de s’engager sur la droite et emprunter la rue des Bleuets, quelque chose d’insolite vient troubler Marie. Il est 9 heures et les volets de la maison de monsieur Level sont encore fermés.
Elle en fait la réflexion à Gabrielle en s’installant sur le siège du passager et en prenant grand soin de boucler sa ceinture de sécurité.
Mais Gabrielle avait raison. On verra au retour.
Angèle sirotait sa tasse de thé assise dans la cuisine, un magazine ouvert sur la table qui vantait des tas de produits pour vous rendre jeunesse et beauté, pour vous donner une forme à rendre jalouse Jane Fonda. Des cheveux de sirène, un corps de rêve. Des recettes faciles, pas chères pour épater les copains (qu’elle n’avait pas), le tout dans une maison où tout respirait l’ordre, le bien-être du sol au plafond en utilisant exclusivement des produits fabriqués soi-même (écologie et économie) étant les maîtres mots de ce XXIe siècle un peu « barré ».
C’est à ce moment-là que Max, son Labrador, donna de la voix. Un aboiement pas du tout sympathique, signe de l’approche d’un intrus.
Angèle se leva péniblement en pestant contre ses articulations douloureuses et s’adressa à Max :
— Alors mon pépère, dis-moi qui vient t’embêter ?
Le chien se dirigea droit vers la porte d’entrée qu’elle ouvrit pour apercevoir un homme devant son portail qui cherchait désespérément la sonnette qui avait rendu l’âme depuis longtemps. D’ailleurs pas besoin de sonnette, elle avait Max.
Elle cria de loin :
Angèle s’approcha de la barrière et vit un homme à lunettes, la mine plutôt sympathique, une sacoche en cuir à bout de bras.
— Voulez-vous qu’on essaie de l’appeler, proposa Angèle ?
Il lui montra son portable.
— Il ne répond pas ! Vous n’auriez pas une clé par hasard ?
— Grand Dieu non, cher Monsieur, nous ne sommes pas assez intimes. Ici, c’est bonjour, bonsoir, personne n’entre chez personne.
— Ah ! Je vois le genre, ironisa le médecin. Il ne me reste plus qu’à appeler les pompiers. Ce n’est pas normal.
C’est à cet instant que la R5 de Gabrielle stoppa devant le pavillon de Marie. Les deux femmes virent aussitôt la scène.
— Tu vois Gabrielle, s’exclama Marie, il se passe quelque chose. Les volets de monsieur Level sont toujours fermés et l’homme qui parle à Madame Richard, je le connais bien, c’est mon médecin, le Docteur Amaury.
Gabrielle s’extirpa de sa voiture et s’approcha du Docteur Amaury, accompagnée de Marie la mine un peu défaite.
Le médecin reconnut Marie aussitôt.
— Ah, madame Bouisson, vous habitez le quartier ?
— Oui Docteur… la maison juste en face de celle de monsieur Level. Que se passe-t-il ?
Il lui fit un bref récit de la situation.
Marie réfléchit quelques secondes puis déclara :
— Attendez Docteur, il y a une petite porte derrière le jardin. Elle ne ferme plus très bien, on peut toujours essayer de voir de ce côté. Après, il y a le garage qui n’est jamais complètement fermé pour qu’Arthur puisse sortir faire ses besoins la nuit. Elle précisa, bien que le médecin ait compris, Arthur c’est le chien de monsieur Level. Il est vieux et comme les humains il a lui aussi les inconvénients de son âge.
Le médecin sourit et emboîta le pas à Marie. Il y avait bien une petite porte en bois vermoulu fermée à clé. Le Docteur Amaury essaya en vain de la forcer, il allait abandonner quand Gabrielle arriva armée d’un tournevis et d’un marteau.
— Laissez-moi faire Docteur !
Interloqué, il s’écarta de la porte et émit un sifflement admiratif lorsque celle-ci s’ouvrit sous les coups précis que Gabrielle avait assénés sur le pêne.
Il suivit Marie qui se dirigea droit vers le garage, elle souleva la porte et pénétra à l’intérieur puis s’engagea dans l’escalier qui menait au premier étage.
Des gémissements provenant du fond du couloir les firent tous se précipiter. Le Docteur Amaury ouvrit une porte d’où un teckel complètement affolé s’échappa pour se ruer dans l’escalier puis dans le jardin. La pièce était vide, une chambre apparemment inoccupée qui avait dû être, comme le décor le laissait encore à penser, celle de la fille de la maison. Ils ouvrirent toutes les portes une à une, rez-de-chaussée, cuisine, salon-salle à manger, toilette, débarras, puis à l’étage les chambres, la salle de bain, le bureau. Visitèrent la cave et le grenier.
Chacun d’entre eux fit le tour du jardin, contournant le moindre bosquet. Il fallait se rendre à l’évidence, monsieur Level avait disparu, abandonnant son chien, ce qui sembla à Marie complètement insensé, vu l’attachement du maître pour Arthur et réciproquement.
Le docteur Amaury rejoignit les deux femmes qui se tenaient dans l’entrée du pavillon.
— Je vous propose que nous visitions à nouveau chaque pièce pour vérifier qu’il n’a pas laissé un mot, une lettre d’explication quelque chose de tangible, puis si nous ne trouvons rien j’irai à la gendarmerie signaler la disparition de mon patient.
Ils se répartirent la tâche et vingt minutes plus tard ils se retrouvèrent tous les trois dans l’entrée, la mine inquiète.
— Mesdames, je vous remercie encore de votre aide précieuse. Je file à la gendarmerie. Je suppose que vous aurez certainement la visite du Brigadier de Boissard ou de l’un de ses adjoints, car je vais mentionner vos noms.
Gabrielle, qui pour une fois, semblait un peu désarçonnée par cette histoire et avait un peu perdu de sa faconde, lui répondit :
Le Docteur Amaury regagna sa grosse berline et remonta lentement la Rue des Bleuets.
Angèle sortit enfin sur le trottoir et s’approcha de la maison de monsieur Level où ses deux voisines étaient restées figées devant la barrière.
— Mais que se passe-t-il donc ? interrogea-t-elle d’une voix basse comme si un malheur était arrivé.
Angèle secoua la tête d’un air entendu.
Jérôme était le fils de monsieur Level et Marie l’avait eu dans sa classe. C’était un enfant extrêmement attachant, qui était devenu un bel homme séduisant. Il était passionné d’équitation et en avait fait son métier. Il était propriétaire d’un centre équestre, à quelques kilomètres de Saint-Sevin. Il ne manquait jamais de passer l’embrasser chaque fois qu’il venait voir son vieux Père. Il passait une fois la semaine et monsieur Level se rendait presque tous les dimanches chez son fils.
Marie posa sa main sur le bras de Gabrielle :
— Je crois que je devrais appeler Jérôme. Ce serait mieux de le prévenir avant qu’il ne voie débarquer la gendarmerie chez lui.
— Bonne idée, prends mon portable.
— Euh ! Fais-moi le numéro puis tu me passes l’appareil.
Gabrielle soupira.
— Tu pourrais quand même être un peu plus moderne.
Elle composa le numéro sous la dictée de Marie et lui passa le téléphone.
Ce fut Jérôme qui répondit :
— Bonjour, Jérôme, c’est madame Bouisson. Je suis désolée de te déranger, mais ton père est-il chez toi ?
— Madame Bouisson ? Non ! mon père n’est pas à la maison, que se passe-t-il ?
— Écoute Jérôme, je ne voudrais pas t’affoler, mais ton père est introuvable.
— Comment ça introuvable ?
— Eh bien voilà, il a appelé le Docteur Amaury ce matin, car il ne se sentait pas bien et quand celui-ci est arrivé, il a trouvé porte close. Arthur aboyait dans la maison. Comme je revenais du marché avec mon amie Gabrielle, nous avons suggéré au Docteur Amaury d’essayer d’entrer par la petite porte de derrière et par le garage et une fois dans la maison, nous n’avons trouvé qu’Arthur enfermé dans l’ancienne chambre de ta sœur.
— Bon sang ! Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Le Docteur Amaury est allé le signaler à la gendarmerie. Mais je voulais te prévenir avant qu’ils ne viennent t’en informer.
— Je vous remercie madame Bouisson, répondit Jérôme d’une voix blanche. J’arrive.
Marie tendit le téléphone à Gabrielle.
— Jérôme arrive !
— Si nous ne l’avons pas trouvé, il ne va pas faire mieux que nous, bougonna Gabrielle.
— Certes, mais c’est une réaction normale. Et puis il connaît certainement mieux que nous les endroits que peut fréquenter son père. Après tout, aucune d’entre nous n’est réellement intime avec monsieur Level et nous ne connaissons pas vraiment à quoi, voire éventuellement à qui il consacre son temps.
Angèle crut bon d’ajouter :
— C’est vrai qu’il sort sa voiture tous les jours du garage, mais je n’ai jamais fait attention ni à l’heure à laquelle il part ni à l’heure à laquelle il rentre.
Marie pensa que ce n’était sans doute pas tout à fait vrai. Angèle avait la réputation de passer beaucoup de temps derrière sa fenêtre dont le rideau était toujours ouvert. C’était une femme charmante, qui disait bonjour à tout le voisinage sans jamais cancaner. Cependant, Marie la soupçonnait quand même d’épier un peu la vie du petit monde de la rue des Bleuets, histoire de passer le temps ou de vivre sa vie par procuration.
Elles se séparèrent. Angèle appela Max qui la suivit de son pas tranquille et referma la porte de sa maison.
Marie regarda Gabrielle :
— Tu restes déjeuner avec moi ? À moins que tu aies d’autres projets pour le reste de la journée ?
— C’est bon Marinette, mais d’abord tu vas m’offrir un petit café, car il fait encore un peu frisquet.
Lisbeth Solivane installa ses présentoirs sur le trottoir. La matinée était belle, ensoleillée quoiqu’encore un peu fraîche. Le trottoir fut vite envahi des couleurs vives et pastel des tulipes, freesias, narcisses, roses à longues tiges ou en petits bouquets serrés. Quand tout fût installé, elle recula un peu pour vérifier l’agencement et satisfaite rentra dans sa boutique pour préparer les commandes de la journée.
Elle aimait bien le jour du marché, les rues étaient animées, elle voyait beaucoup plus de clients, même si ces derniers n’achetaient qu’un petit bouquet de violettes ou une rose. Elle connaissait presque tout le village et elle glanait par-ci par-là quelques potins.
Elle oubliait pendant quelques instants ses petits problèmes personnels et ses petites misères du jour.
Pour l’instant grâce aux médicaments prescrits par le Docteur Amaury, elle ne souffrait pas de sa hanche et elle s’activait à la composition d’un bouquet destiné à la femme du maire de Saint-Sevin depuis plusieurs mandats lui recommandait chaque fois : « Surtout pas de rouge. Ma femme n’aime les fleurs rouges que dans son jardin faites à votre guise, je vous fais confiance. »
Alors qu’elle s’activait à la composition de son bouquet, elle aperçut la voiture du Docteur Amaury qui se garait devant la gendarmerie, elle le vit sauter précipitamment sur le trottoir à peine le véhicule garé. Il n’avait pas sa sacoche et grimpait quatre à quatre les marches du bâtiment.
Elle fut intriguée, mais pensa qu’encore une fois on avait essayé de fracturer la porte de son cabinet. Saint-Sevin était, certes, une bourgade tranquille, mais elle traînait aussi son lot de marginaux, mi-SDF, mi-toxicos. Il y avait aussi à la sortie de la ville le camp de gitans qui faisait faire la grimace à plus d’un habitant. Ils n’étaient ni pires ni meilleurs, mais ici comme ailleurs, la différence n’était pas un droit et puis on se sentait mieux entre nous n’est-ce pas ?
Un quart d’heure plus tard, le Docteur Amaury ressortait de la gendarmerie, suivi par le brigadier de Boissard et de Paul son fidèle second. Ils s’engouffrèrent tous les deux dans l’estafette bleue. Les véhicules démarrèrent. Puis le silence retomba dans la Rue Principale.
Ludo, le chauffeur de Monsieur le Maire entra dans la boutique.
— Bonjour, Lisbeth. Comment vas-tu, en ce beau matin printanier ?
Elle disparut dans sa réserve et revint avec un bouquet de tulipes roses dans un joli emballage en papier crépon de même couleur.
Elle lui plaqua deux bises sur les joues.
Si vous avez besoin de quoi que ce soit, Ludo ne te gêne pas. Je sais que tu es très pris par Monsieur le Maire. Si Carine veut que je lui fasse quelques courses ou bien la conduire chez le médecin, tu peux compter sur moi, vous le savez tous les deux n’est-ce pas ?
Il fit oui de la tête et lui rendit bises pour bises puis sortit de la boutique des fleurs pleins les bras.
Soudain, elle courut derrière lui alors qu’il ouvrait la portière, prêt à s’installer au volant.
Elle haussa les épaules et rentra précipitamment dans sa boutique. Ludo rigolait de bon cœur derrière son dos. Tout compte fait, pensa-t-il, il n’y avait pas tant d’écart que ça entre ces deux-là et tous deux libres de surcroît. Il démarra et ne pensa plus du tout à cette éventualité.
Marie et Gabrielle sirotaient tranquillement leur café quand un bruit de moteur fit tendre l’oreille à Marie.
— C’est Jérôme, je reconnais le bruit du moteur de son 4*4.
En effet, une seconde plus tard, Jérôme sonnait chez madame Bouisson. Elle le fit entrer et lui proposa un café.
Il accepta puis s’assit pesamment sur la chaise qu’elle lui tendit.
Il posa son iPhone devant lui et leva vers les deux femmes un visage inquiet que mangeait une barbe de deux jours. Ces yeux bleus avaient perdu leur éclat habituel. Marie savait que Jérôme adorait son père. Depuis la disparition de sa sœur, le lien déjà très fort entre le père et le fils était devenu indestructible.
Elle lui servit son café qu’il but brûlant puis se leva brusquement.
Il serra la main de Gabrielle et quitta les deux femmes. Il traversa la rue puis pénétra dans la maison paternelle. Marie l’entendit répartir une bonne demi-heure plus tard.
Gabrielle ne put s’empêcher de faire remarquer à Marie que ce Jérôme était décidément très bel homme.
Marie haussa les épaules, quasi outrée :
Et alors mon fils aussi est beau garçon et mes petits fils aussi. Enfin Marie, tu as l’esprit fort mal tourné, ma chère.
Elle éclata de rire puis Marie en fit autant.
Il était midi passé. Marie avait rangé les courses du marché. Elle prépara rapidement une salade bien croquante pour accompagner les beaux filets de bœuf achetés ce matin sur le marché et deux tartelettes aux fraises, un déjeuner simple, mais délicieux. Gabrielle lui donna un coup de main. Elles dressèrent la table dans la salle à manger en essayant de parler d’autre chose. Mais le sujet revenait toujours sur la disparition de Monsieur Level et Gabrielle voyait bien que cela affectait son amie au-delà de ce qu’elle pouvait en dire.
D’un coup, elle s’écria :
Quand l’estafette de la gendarmerie pénétra dans l’enceinte du centre équestre, Jérôme ressentit un nœud à l’estomac. Il était en train de panser « Caramba » son bel alezan. Il sortit du box la brosse à la main pour s’avancer vers le brigadier de Boissard.
Les deux hommes se connaissaient bien. La femme du brigadier avait pris des cours d’équitation pendant presque un an, mais n’avait jamais réussi à vaincre la peur de l’animal et Jérôme lui avait déconseillé d’insister. Cela devait rester un plaisir et non une souffrance.
Le Brigadier porta la main au képi par habitude puis se ravisa pour tendre la main à Jérôme.
— J’attendais votre visite, lui dit Jérôme précipitamment, madame Bouisson m’a prévenu de la disparition de mon père. Je suis allé chez lui aussitôt et malheureusement je n’ai rien trouvé qui puisse nous éclairer.
— Le Docteur Amaury s’est trouvé dans l’obligation de nous en informer. Mais je pense que vous auriez fait la même démarche tôt ou tard.
— Oui… Certainement… à quelques heures près de toute évidence. Nous nous appelons presque tous les soirs.
— Et hier soir ? Rien de particulier ?
— Rien. Il avait l’air comme d’habitude. Je lui ai passé les enfants pour les bisous du soir habituels. S’il était malade, il n’en a rien dit. Ce qui me surprend le plus c’est qu’il ait appelé le Docteur Amaury alors que son médecin traitant est un vieil ami à lui, le Docteur Didier Chastain à la clinique des Bruyères.
— Vous avez appelé Chastain ?
— Oui et il m’a dit que cela fait plus d’un an qu’il n’a pas vu mon père en consultation.
— Moi je peux vous dire que le Docteur Amaury l’a vu plusieurs fois ces six derniers mois et toujours tard le soir quand le cabinet était vide.
Jérôme se sentit tout d’un coup pris de vertige. Il s’appuya contre le mur de l’écurie. Caramba vint frotter sa tête sur son épaule et émit un hennissement sourd.
— Et le Docteur Amaury a dit pour quelle pathologie il le consultait en cachette ?
— Non. Pour l’instant, il ne faut pas s’alarmer. Le délai légal est de 48 heures pour signaler une disparition, le Docteur Amaury n’est donc pas obligé pour l’instant de trahir le secret médical.
— Mais Amaury n’a pas attendu 48 heures, vous avez pris en compte sa déposition ?
— Comme je vous l’ai dit, pour lui, en sa qualité de médecin il l’a ressenti comme une obligation. Je suppose que vous avez essayé de le joindre sur son portable et que vous lui avez laissé des messages ?
Jérôme lui répondit d’une voix éteinte :
— À votre avis ?
— Pardon, je ne voulais pas vous vexer, d’ailleurs ce n’est pas encore une enquête et j’espère de tout cœur qu’il n’y en aura pas, il faut garder espoir.
Le téléphone de Jérôme sonna à ce moment précis, il le saisit avec fièvre.
C’était Marie Bouisson qui s’inquiétait pour Arthur.
Jérôme se détendit. Le Brigadier l’entendit répondre :
— Non, je ne l’ai pas trouvé, Madame Bouisson, ni dans la maison ni dans le jardin. Je l’ai appelé, mais en vain… bon d’accord on fait comme ça. Merci pour tout.
Il crut bon d’expliquer au brigadier que Madame Bouisson allait guetter le retour d’Arthur et l’appeler dès que lui aussi voudrait bien réapparaître.
— Bon Jérôme, je vais aller jeter un œil chez votre père. Vous pouvez nous accompagner ?
L’Océan charriait ses rouleaux qu’il venait jeter sur la plage en un bruit assourdissant. Mathilde prit encore quelques photos de surfeurs en pleine action.
Le soleil se levait et jetait sur l’eau des reflets irisés, les vagues fouettaient le Rocher de la Vierge désert en ce début de matinée d’avril.
Elle fit encore quelques pas sur la plage puis décida de laisser Biarritz se réveiller sans elle et regagna sa voiture.
Elle posa son Nikon sur le siège passager, boucla sa ceinture de sécurité et quitta la villa pour regagner le calme de son village.
En route, elle fit encore quelques haltes pour photographier des troupeaux de moutons qui paissaient tranquillement l’herbe vert tendre de ce début de printemps. L’air était vif, le ciel lavé par les pluies de Mars était d’un bleu pastel. Elle se sentait légère comme à chaque fois qu’elle se retrouvait seule dans ses montagnes protectrices.
Lorsqu’elle gara sa voiture dans l’enceinte de la maison de maître dont elle occupait une partie, Paco vint lui faire la fête, suivie de son Maître Sébastian Esteban.
Le vieil homme s’approcha à pas lourd. Mathilde sentait chaque fois son cœur se serrer de voir que les forces de son papa Bastian diminuaient de jour en jour. Mais pour l’heure, il avait un grand sourire aux lèvres.
— J’ai eu un appel de l’office du tourisme, je crois que c’est pour ton exposition. J’ai pris le nom de la personne que tu dois rappeler. Tu vois ma chérie, j’avais raison. Tu vas l’avoir ton heure de gloire.
— Que le ciel t’entende, ce serait formidable !
Elle récupéra son appareil photo et passa son bras autour des épaules de son père et tous deux regagnèrent l’intérieur de la maison.
Une odeur de sucre et de cannelle embaumait la cuisine. Maman Alice s’affairait à préparer le repas du déjeuner. Les ouvriers qui travaillaient dans la ferme étaient de solides gaillards qu’il fallait nourrir de plats roboratifs et ne crachaient pas non plus sur quelques douceurs.
Mathilde se glissa sur le banc et maman Alice posa devant elle un grand bol de café et une tartine de pain beurrée surmontée d’une épaisse couche de confiture de cerises noires.
Alice Esteban posa ses deux mains sur les épaules de Mathilde et déposa un léger baiser sur ses cheveux blonds.
Elle but tranquillement son café sous le regard attendri d’Alice.
Mathilde n’était pas leur fille au sens propre du terme. Ils avaient eu un fils qu’une leucémie leur avait enlevé à l’aube de ses dix-huit ans et ils avaient bien cru ne jamais pouvoir surmonter cette horrible perte.
Mathilde était arrivée chez eux un jour d’octobre, par un matin de pluie. Elle était là dans la cour de la ferme, transie, perdue, hagarde.
Bastian avait ouvert la porte, Paco s’était rué dehors. La jeune inconnue les avait regardés tous les deux et s’était effondrée.
Alors Bastian l’avait soulevée dans ses bras puissants et portée jusque sur le canapé du salon. Alice s’était mise en mouvement. Une couverture pour la réchauffer, un coussin sous sa tête, secouant Bastian : Fais du feu dans la cheminée, remonte le radiateur et appelle le Docteur Ordoki. Bastian, s’il te plaît, va dans la chambre et ramène-moi un gros peignoir de bain et ne reste pas là je vais lui ôter ses vêtements, elle est trempée jusqu’aux os. Bastian faisait tout ce que commandait Alice, car elle était à nouveau vivante, pleine de son d’énergie d’antan. Il appela le Docteur Ordoki et se réfugia dans la cuisine où il prépara du café. Puis intrigué, il passa la tête pour voir ce qui se passait au salon. Alice parlait doucement à la jeune fille. Le Docteur Ordoki arriva enfin. Bastian ne lui expliqua rien et ouvrit la porte du salon qu’il referma sur le trio.
Elle sera Mathilde parce que ce prénom plaisait à Alice. Cela fait dix ans qu’elle partage leur quotidien. Elle n’a plus aucun souvenir de sa vie d’avant. Le Docteur Ordoki l’a fait hospitaliser. Elle était de bonne constitution et a vite récupéré toutes ses forces, mais jamais sa mémoire. Mathilde est amnésique. Alors comme à une toute petite enfant ils s’y sont mis tous les deux et lui ont tout réappris. Quand ils l’ont ramassée comme un oiseau tombé du nid, elle n’avait que ses vêtements. Pas un seul papier d’identité.
Un jour, elle est entrée dans la cuisine avec un chiot dans les bras, l’a posé sur les genoux de Sébastian en disant :
— Tu t’appelleras Paco 2. Petit Paco, je te présente papa Bastian et maman Alice, et tu as intérêt à être très sage si tu veux rester parmi nous.
Alors Alice avait levé les yeux vers son mari avec un regard qui brillait si fort de bonheur et d’espoir que ce jour-là Bastian a su qu’il ne fallait plus remuer le passé. Elle serait Mathilde, leur Mathilde !
Après le coup de fil passé à Jérôme. Marie décida de traverser la rue et d’aller voir si Arthur n’était pas dans les parages. Gabrielle l’avait suivie et toutes les deux faisaient consciencieusement le tour extérieur de la maison lorsqu’elles virent arriver simultanément la voiture des gendarmes et celle de Jérôme.
— Madame Bouisson vous êtes toujours à la recherche d’Arthur ? lui demanda Jérôme alors qu’il ouvrait le portail en bois pour laisser entrer les hommes de loi.
— Ma foi oui ! J’avoue que je m’inquiète un peu pour lui, mais je pense que la faim le fera rentrer au bercail. Je vous laisse avec ces messieurs Jérôme, on avisera demain pour alerter éventuellement la S.P.A.
Elles traversèrent toutes deux la rue des Bleuets calme et paisible en ce début d’après-midi.
Sitôt à l’intérieur, Gabrielle déclara :
— Je vais rentrer chez moi nourrir mes chats. Dis donc si ton Arthur revient, as-tu de quoi le nourrir ?
— D’abord, ce n’est pas mon Arthur ! et puis tu as raison, je ne sais pas trop ce que je vais pouvoir lui donner.
— T’inquiètes pas, je vais passer à la supérette et te ramener un petit sac de croquettes et une boîte spéciale pour chien.
— Tu es un amour Gaby !
— Je sais… C’est pour ça qu’on m’aime !
— Mais légèrement prétentieuse à cet instant précis !
Gabrielle partit en riant.
Marie ne put s’empêcher d’aller jeter un œil par la fenêtre de son salon pour voir ce qui se passait de l’autre côté de la rue. Mais ils étaient tous à l’intérieur. Elle poussa un soupir. Elle ne savait pas pourquoi, mais son ciel si serein d’habitude venait de se couvrir d’un vilain nuage gris et elle n’aimait pas non plus cette petite boule d’angoisse à l’estomac. Elle n’avait ni envie de lire, ni de regarder la télévision, encore moins de broder. Elle décida de se faire un café et s’installa confortablement dans son fauteuil où elle finit par s’assoupir.
Ce fut la sonnette d’entrée qui la réveilla en sursaut. Elle courut ouvrir et trouva Jérôme sur le seuil de la porte.
— Entre Jérôme, je me suis fait du café, tu en veux une tasse ?
— Je crois que j’en ai besoin !
— Installe-toi au salon, j’arrive.
Il prit place dans le fauteuil face à celui de Marie. Il avait les traits tirés et les yeux rouges.
— Que t’ont dit les gendarmes ?
— Qu’il était trop tôt pour faire une déclaration de disparition en bonne et due forme. L’inspection de la maison par les pandores n’a rien donné de plus que ce matin. Ils n’ont pas non plus retourné la maison. Je crois que pour ça il faut un mandat de perquisition. Mon père est sain de corps et d’esprit pourquoi serait-il parti comme ça… sans explication et sans ne rien dire à personne.
— Angèle, toi tu la connais surtout sous le nom de Richard. Donc Angèle Richard, sa voisine de droite m’a dit que depuis quelque temps ton père avait une attitude bizarre. Il oubliait certaines choses. D’ailleurs, tu as eu une frayeur, m’a-t-elle dit le jour où il a garé sa voiture en oubliant de serrer le frein à main.
Jérôme sursauta :
— Jamais de la vie, il n’a pas oublié de serrer le frein à main. C’est le frein à main qui était défectueux et qui ne tenait pas accroché.
— Ah je vois ! Mais elle dit aussi qu’il l’a appelée un jour Catherine du nom de ta maman et qu’une autre fois il a coupé des tulipes qu’il a laissé faner sur la table du jardin.
— Qu’essayez-vous de me dire, madame Bouisson ? Que mon père est atteint d’Alzheimer ? Je m’en serais aperçu quand même !
— À notre âge on a le droit d’avoir des oublis, on n’est pas forcément atteint d’Alzheimer pour autant. Non, je voulais simplement te dire que peut-être c’était un comportement de cause à effet et qu’il était possible qu’il soit perturbé par quelque chose, voire par quelqu’un ?
— Par madame Richard peut-être ? essaya-t-il d’ironiser.
— Ne dis pas de bêtises Jérôme.
Jérôme se prit la tête entre les mains.
— Je suis inquiet, Madame Bouisson, tout cela ne ressemble pas à mon père.
En son for intérieur, Marie reconnut qu’effectivement Monsieur Level était plutôt un homme organisé, voire méticuleux. Il tenait seul sa grande maison à part l’aide une fois la semaine de la petite Carine qui faisait les sols et les carreaux et un peu de repassage, il se débrouillait fort bien. Il prenait soin du jardin comme de la maison et encore plus de sa voiture qu’il bichonnait comme une mariée. Ce qui faisait rigoler Gabrielle qui s’en moquait ouvertement et qui irritait Marie. Chacun ses petites manies, lui répondait-elle. Toi tu ramasses tous les chats errants, lui astique sa voiture, moi je collectionne les cartes postales.