Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
« Avec Sabine, Julien avait entrepris un changement sur le plan sexuel depuis qu’il l’avait rencontrée, en étant inspiré de liberté, d’égalité et d’altérité dans une recherche du bonheur où la sexualité ne devait plus avoir de lien direct ou étroit avec l’amour. Le besoin sexuel n’était que du plaisir pour soi, comme se nourrir, faire du sport, se faire masser, ou bien rechercher une certaine harmonie entre l’esprit et le corps. Il espérait détruire la pensée rétrograde d’une hégémonie masculine sur ce plan, d’autant plus évident qu’une femme disposait naturellement d’une capacité au plaisir bien plus grande que la plupart des hommes... »
À PROPOS DE L'AUTEUR
Changer les relations entre l’homme et la femme, afin qu’elles soient égalitaires en tous points, est le moteur de
Julien et Sabine - Amour et sexualité d’un couple incomparable.
Bernard Nilles veut sensibiliser les nouvelles générations, afin de faire de la réflexion, de la tolérance et du dialogue un préalable pour laisser une ouverture au bonheur.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 892
Veröffentlichungsjahr: 2022
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Bernard Nilles
Julien et Sabine
Amour et sexualité
d’un couple incomparable
Roman
© Lys Bleu Éditions – Bernard Nilles
ISBN : 979-10-377-5625-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Du même auteur
L’auteur a écrit des essais et des romans sur des sujets très éclectiques qu’on peut découvrir sur son site, Amazon, Fnac, Bookelis et d’une façon générale sur les bases de données des principaux libraires francophones, notamment pour les 4 tomes de la saga Aimer pour durer.
En plongeant dans l’univers de ma mémoire
(Éditions BoD) :
Un risque mortel pour la France et un risque mortel pour le Monde,
suivi d’une réédition sous le titre :
2040, basculement civilisationnel pour la France et le Monde
,
2012
(éditeur Amazon K D P) ;
Une pensée aboutie,
suivie d’une nouvelle édition sous le titre
Le labyrinthe,
2014
(éditeur Édilivre) ;
Amour et liberté
en deux tomes et en version complète, 2019 (éditeur Amazon K D P) ;
Aimer pour durer
en 4 tomes et en version complète, 2019 (éditeur Amazon K D P) ;
Les fleurs du bien,
2019
(Plumes de Mimi éditions) :
L’odyssée historique de la sexualité,
2019
(éditeur Amazon K D P).
À ma femme
Source d’inspiration, elle embellit ma vie depuis que je l’ai rencontrée, en lui dédiant ce roman.
L’amour, lorsqu’il est durable, permet de rencontrer le bonheur. La sagesse d’Épicure est de prendre du plaisir avec modération en s’appuyant sur la volonté. Celle des stoïciens permet de l’atteindre en faisant preuve de sagesse et d’équité, tout en pratiquant un certain irénisme ; soit pour un couple, une capacité à développer tout ce qui peut unir, en réduisant tout ce qui peut séparer. La conjugaison de l’épicurisme au féminin et du stoïcisme au masculin aboutira pour les principaux acteurs de l’histoire à transcender leur amour.
Les premières années après la naissance de Julien
Christine et Frédéric, les parents de Julien s’étaient mariés par amour, plutôt que de raison. Ce fut lors d’une soirée au théâtre de la ville où l’on présentait le Dom Juan de Molière qu’ils se rencontrèrent. Ils s’étaient opposés vivement sur le contenu libertin de la pièce où l’on pouvait découvrir un Dom Juan dont la parole n’avait de sens que pour séduire. Pour Christine un homme séducteur n’était généralement pas sincère. Elle préférait les fuir. Frédéric s’animait à la taquiner à ce sujet afin de connaître ses réactions. Il plaisait naturellement auprès des femmes pour sa sincérité et l’impression d’homme serviable qu’il montrait à diverses occasions. Un an après leur rencontre ils se marièrent et s’installèrent dans la demeure familiale où fut conçu Julien.
Ce fut un peu plus de cent cinquante ans plus tôt que dans cette même chambre le jeune général Lazare Hoche1 fit l’amour pour la première fois, avec Adélaïde Déchaux, âgée de seulement seize ans, qu’il venait d’épouser. Il avait fait sa connaissance lors d’un bal magnifique organisé en son honneur. Parmi toutes les jeunes filles qui espéraient une attention de sa part ; ce fut le regard de feu et la délicatesse juvénile d’Adélaïde qui obtint ses faveurs en le frappant en plein cœur. Quatre années plus tard il mourut en pleine gloire d’une hémoptysie. Elle n’avait que vingt ans à sa mort et lui voua tout au long de sa vie un véritable culte durant plus de soixante ans. On raconta qu’à quatre-vingts ans, malgré son âge, elle rougissait encore, tant son âme était restée pure et fidèle à son glorieux époux.
Frédéric exerçait une activité de peintre décorateur et de peintre sur toile. Son thème préféré était la femme dans la vie quotidienne comme dans l’intimité en s’inspirant du peintre Sandro Botticelli. Il fut au quinzième siècle le premier à exprimer sur une toile la nudité féminine avec beaucoup de pudeur. Puis il s’intéressa au courant impressionniste de l’œuvre d’Édouard Manet2 dont les thèmes étaient des paysages marins, des portraits, des scènes de la vie parisienne et de bien d’autres sujets. Pour Frédéric il s’exerça surtout sur le dur labeur des vignerons ; les paysages campagnards et les portraits d’hommes et de femmes.
Les parents de Julien illustraient un couple uni par l’amour, la beauté artistique et une certaine exemplarité d’un point de vue humain. Ils eurent deux enfants après Julien, une fille Juliette et Romain, un garçon. Malheureusement une décennie plus tard, Frédéric disparaissait brutalement au cours d’une opération au cerveau, dont il ne se relèvera pas. Christine lui voua ensuite un amour éternel durant près de soixante ans, avant d’aller le rejoindre pour l’éternité. La coïncidence entre les deux histoires d’amour imprégna longtemps la mémoire de Julien, tout en influençant son regard sur les femmes.
Christine avait un sens de la vérité et de l’exactitude qui lui permettait de mieux assurer son rôle d’éducatrice auprès de ses trois enfants. La vérité était pour elle un gage de respect d’autrui. Elle racontait que c’était au cours de l’enfance que les principales vertus prenaient racine et qu’ensuite une fois adulte on réagissait davantage par réflexe avec de bons comportements. Elle disait aussi qu’on pouvait se tromper sur les apparences et qu’il fallait toujours éclairer une situation par le dialogue avant de décider. Elle considérait que la vulgarité dans les relations était destructrice, en empêchant toutes possibilités d’amour entre deux personnes. Elle aimait les bonnes manières et le beau, ce qui avait le pouvoir de favoriser une plus grande spiritualité. Elle influença la vie intellectuelle de Julien et sans le savoir, sa vie sexuelle. Ainsi elle l’engendra deux fois. Une première fois en créant son enveloppe charnelle chargée d’une potentialité d’énergie et une seconde fois en potentialité de conscience et de spiritualité. Plus tard Julien transposa sa conception égalitaire dans ses relations avec les femmes, permettant d’élever l’amour vers le dépassement de soi et dans le respect de la liberté de l’autre. « La bête ne sera jamais Homme, là où l’Homme peut devenir bête. » Il estimait que l’homme pouvait se grandir à l’infini, mais aussi se réduire à presque rien s’il n’avait pas de grandes vertus. Ne jamais rien faire dans sa vie qui puisse porter atteinte aux valeurs acquises et construites après validation par sa raison et par sa conscience.
Le vide provoqué par la mort de Frédéric constitua une cicatrice que sa mère sut guérir en parlant constamment de lui. S’il était absent physiquement, il était présent spirituellement. Ainsi l’amour du père pour son fils devenait une réalité imaginaire éternelle. Sa mère idéalisa l’homme qu’elle avait aimé, d’autant plus qu’il était encore jeune à sa mort et qu’avec les années, sa mère vieillissante continuait d’aimer un homme qui n’avait pas pris une ride et dont elle était toujours imprégnée corps et âme. Son père avait incarné l’autorité, mais aussi une spiritualité inaccessible, puisqu’il disparut à l’âge où le destin d’un homme s’affirmait et qu’il n’avait pas eu le temps de transmettre ses principales vertus à ses enfants. Ainsi, Julien façonna sa conscience sur l’idée poétisée qu’il se fit de lui et à partir de la fiction idéalisée qu’avait sa mère pour son époux.
Il commença à découvrir qu’il existait une grande différence dans les comportements entre les filles et les garçons. Lorsqu’il posa tout naturellement la question à sa mère, elle lui avait dit que déjà dans l’éducation, les parents n’agissaient pas de la même manière avec les uns et les autres, parce que plus tard, une fois devenus adultes, les hommes et les femmes n’avaient pas les mêmes rôles à assurer. Cela le rendit perplexe, malgré le bon sens apparent des propos de sa mère. Elle ne faisait que traduire la tradition qui imprégnait sa vision de la femme et de l’homme dans la société à ce moment-là.
Les plaisirs charnels s’identifiaient à l’impureté que la raison devait combattre pour être en conformité avec la religion catholique. C’était la philosophie de la mère de Julien à l’époque de son adolescence. Cette vision resta pour elle l’un de ses sujets de conversation préférée lorsqu’elle parlait de la littérature sur l’amour et des relations hommes-femmes. L’essentiel pour elle dans une relation d’amour était sa nature spirituelle. Le corps ne constituait que l’habitacle de la pensée qu’il fallait juste préserver le mieux et le plus longtemps possible.
Julien n’ignorait pas que cette question serait importante lorsqu’il deviendrait adulte et qu’il n’accepterait pas de copier ou de répéter les mœurs ambiantes, sans discernement préalable. Il pensait que la notion d’amour était la question principale pour remplir une vie en altérité avec quelqu’un. Plus tard il découvrit les expressions multiples du sentiment d’amour dans ses composantes charnelles et spirituelles. Il pensait qu’il était facile de se perdre dans le vulgaire et la facilité en descendant vers les bas-fonds de l’esprit en observant certains de ses copains qui se laissèrent parfois enliser dans les sables mouvants de plaisirs charnels, sans cesse inassouvis suffisamment pour avoir envie de recommencer.
Cette dualité entre l’amour et la sexualité allait interpeller Julien tout au long de sa vie en refusant de confondre l’un et l’autre. Il estimait que les expériences multiples devaient permettre d’affiner cette perception en séparant les deux concepts.
L’un pouvait nourrir l’âme et l’autre le corps.
La mère de Julien répétait sans cesse que la vérité ne pouvait émerger qu’à partir de la pluralité des savoirs. Elle disait en s’inspirant de Pascal « que l’on pouvait s’approcher de Dieu sans orgueil et auprès duquel on pouvait s’abaisser sans désespoir ». Julien au contraire, estimait que Dieu s’il existait avait forcément dans son infinie bonté induit en l’homme une potentialité de liberté absolue. Et celle-ci ne pouvait être limitée que par lui-même. Certes, la société avec ses lois et ses traditions devait jouer un rôle d’influence, dont il fallait tenir compte avec un esprit critique et ouvert.
Par ailleurs, il était conscient qu’un même individu ne pouvait pas aboutir au même degré de conscience et d’acceptation de la société, suivant qu’il aurait vécu à l’époque grecque, au Moyen-âge, au vingtième siècle, aujourd’hui, ou encore en France, en Inde, en Chine, en Afrique ou aux États-Unis. Ou bien s’il avait été élevé dans un milieu chrétien, catholique ou protestant ; hindouiste, bouddhiste, musulman ou athée. Et pour finir, s’il avait été élevé parmi l’élite intellectuelle, les gens de pouvoir, ou dans l’une ou l’autre des infinités de familles, toutes spécifiques par leur composition et par leur histoire.
Ainsi plus tard, il pensa que face à l’amour exprimé auprès d’une femme, il serait comme quelqu’un qui venait de naître, accompagné de ses connaissances, de sa raison, de ses sensibilités, de son humanité et de sa spiritualité.
Il imaginait que pour parcourir le chemin du bonheur, seul un complément féminin serait indispensable pour le construire, afin de vivre avec deux visions ; l’une masculine et l’autre féminine. Autrement dit une combinaison éclairée du Yin et du Yang.
Abraham et Moïse avaient pris tous les pouvoirs à leur avantage et sans partage ; plaçant la femme au second rang, alors que ses qualités naturelles, spirituelles et sexuelles étaient bien supérieures aux hommes dans la plupart des cas où le sens de l’humain devait être présent.
Julien découvrait un monde plein d’espoir, incohérent et incertain. Il observait le caractère plus ou moins cyclique de l’évolution du monde, mais aussi les moments d’inflexion où le changement était synonyme de métamorphose, et où ce qui était vrai avant, ne l’était plus ensuite en voulant survivre. Il avait besoin d’exemples à admirer pour définir les chemins nouveaux à prendre, tout en se sentant séduit et motivé pour agir. Il était convaincu que la différence entre un homme et une femme n’était que sexuelle, en se disant simplement que l’homme pénètre et la femme reçoit. Or sur le plan intellectuel et spirituel une égalité dans la diversité existe entre un homme et une femme. Pour Julien, dans les récits bibliques où la femme était constamment placée en situation d’infériorité par rapport à l’homme n’était pas acceptable, d’autant plus que cela durait depuis des millénaires. Les religions ayant assuré cette fonction contre nature se fondaient ainsi sur un principe d’inégalité et d’injustice. Ce fut avec cette conviction qu’il aborda le monde féminin avec l’intention de construire des relations d’égalité pour accomplir les changements nécessaires. Il pensait que la conjugaison du masculin et du féminin était plus créatrice pour rendre la vie sur terre plus acceptable et plus belle.
La pensée des philosophes et écrivains en tous genres lui imprima d’autres façons de voir, de concevoir et de conclure sur de nombreux sujets.
Il n’ignorait pas qu’il serait difficile d’atteindre un niveau de conscience digne d’un Homme, puisqu’elle se situait à l’infini du fini de chaque existence. La sienne ne faisait que commencer et il avait pourtant déjà effectué un parcours significatif d’un point de vue spirituel et sociétal.
Julien imaginait que si tous les hommes pouvaient penser de cette manière, l’humanité serait sur la route d’un humanisme amoureux de l’espèce humaine et de la sagesse, imitant Pythagore, ce philosophe-mathématicien plus ou moins oublié qui en inventa la formule. Si chaque personne rencontrée dans sa vie pouvait dire de l’autre « il fut un homme, ou une femme respectable de grande vertu et d’une sagesse pouvant servir d’exemple », elle aurait alors apporté un sens à sa vie.
Une sorte « d’Homo-Humanicus » à reproduire pour qu’il devienne universel. C’était aussi ce qu’il ferait plus tard, lorsqu’il exercerait avec conviction et humilité son rôle dans la cité, imprégné d’équité dans son entreprise et d’échanges entre les femmes et les hommes. Il pensait souvent que réfléchir avec une femme avant de prendre une décision pouvait être de nature à mieux appréhender la dimension sociale, humaine et économique pour réussir.
Pour devenir un homme, il pensait que malgré les difficultés, il faudrait réussir d’abord à sortir de la gangue originelle d’où chaque individu était issu, sans renier l’ensemble qui avait servi de support à la nécessité d’enclencher cette métamorphose.
L’érotisme précoce d’une adolescente
Déjà au cours de son adolescence, Julien trouvait plus d’intérêt d’être en compagnie des filles qu’il trouvait plus matures, plus spirituelles et plus sensibles. Cela ne l’empêchait pas d’avoir de bons amis garçons, s’ils avaient des qualités intellectuelles, morales et humaines acceptables selon ses principes d’éducation.
Une jeune fille, Louise, proche de ses seize ans avait trois ans de plus que Julien. Elle habitait dans le même quartier que lui, ce qui facilitait les rencontres inopinées après l’école. Pendant les vacances il arrivait qu’elle reste assise sur les marches de son perron dans la douceur des soirées d’été, ou parfois dans l’après-midi. Elle semblait attendre le hasard d’une rencontre pour entamer une conversation. Quand Julien passait par là, il était convié à la rejoindre et elle s’amusait à le taquiner sur ses rapports avec les filles, essayant de le faire rougir d’embarras. La première fois qu’elle y parvint il préféra s’éloigner d’elle en se jurant que cela ne se reproduirait plus.
Elle prenait son ami pour un ignorant sur tous les sujets ayant trait aux différences entre les deux sexes. Les filles étaient pour lui une équation dont il espérait un jour découvrir toutes les inconnues matérielles et immatérielles. Sa mère, par sa seule présence, était à ses yeux une féminité accessible, familière et rassurante par sa capacité à faire comprendre l’indicible. Il savait qu’au fil des années, l’écart entre le monde masculin et féminin finirait par se réduire en laissant apparaître la vie dans sa nudité originelle.
Louise ne parvenait plus à reproduire ce trouble sur le visage de Julien et à force de discussions, elle s’aperçut qu’il était un garçon ouvert, capable d’écoute, de patience et de compréhension.
Ainsi, naturellement, elle devinait qu’avec lui, elle allait pouvoir s’exercer sans risque au jeu de la séduction, afin de mieux aborder les garçons de son âge. Ceux-ci représentaient le plus souvent pour elle une espèce préoccupée par des jeux violents, agressifs et dangereux. Elle les trouvait vantards dans tous les domaines et toujours prêts à se pavaner auprès des filles pour une victoire ridicule, lors d’une rixe sans fondement. Pourtant certains étaient plus réfléchis et plus enclins aux discussions et aux échanges intellectuels fructueux avec l’autre sexe.
Louise était une fille timide avec les garçons, mais en confiance auprès de Julien, elle souhaitait explorer des sujets qu’elle n’osait pas aborder avec ceux de son âge par peur de paraître dévergondée, ou stupide. Elle était agréable à regarder avec sa chevelure flamboyante de rousse qui la différenciait de ses copines. Cela contribuait malgré elle à alimenter sa différence et à accentuer sa timidité. Cependant, son intelligence au-dessus de la moyenne lui permettait d’être la meilleure dans la plupart des matières, ce qui forçait l’admiration de ses professeurs et de certains élèves. Les filles la jalousaient pour cela ; les garçons l’enviaient et l’admiraient, tout à la fois.
Curieuse et vive d’esprit, elle souhaitait trouver des réponses à ses interrogations les plus intimes. Julien était abordable et à sa portée directe. Encore innocent, elle savait qu’elle ne courait aucun risque avec lui en se livrant à des confidences personnelles. Elle avait remarqué que son jeune ami n’était même pas sensible à l’apparition de ses seins qui ressemblaient déjà à ceux d’une femme. Quand elle allait en classe, ses chemisiers sévères camouflaient habilement ses formes, afin d’éviter les regards et les quolibets absurdes et vulgaires des plus entreprenants.
Paradoxalement, lorsqu’elle était libérée des exigences scolaires, ses vêtements étaient plus légers et plus sexy. Julien ne semblait pas impressionné quand, dans un geste naturel en apparence, elle rabattait sa chevelure jusqu’à l’échancrure de ses seins d’adolescente. Les parties dénudées de son corps étaient parsemées de fines taches de rousseur savamment dispersées comme si un artiste était venu lui dessiner à même la peau, un premier vêtement de protection.
Il ignorait qu’une métamorphose profonde envahissait l’esprit et le corps de Louise depuis quelque temps déjà. En lui parlant, elle se confiait un peu à elle-même, tout en espérant recevoir de sa part d’autres appréciations pertinentes et désintéressées. Elle se demandait parfois s’il n’était pas comme ce jeune Werther, dans le roman de Goethe3 qu’elle venait de lire récemment. Elle se sentait capable et prête à lui montrer quelques trésors de sa féminité encore vierge et d’en respirer les effets. Malgré son jeune âge, Julien montrait déjà une belle intelligence avec une sensibilité qui restait encore à maîtriser. Les rencontres avec Louise étaient régulières et fréquentes tout au long de l’été. Il la trouvait douce, sensible et agréable. Elle aimait parler de ses désirs de jeune fille et des comportements des garçons qu’elle critiquait souvent pour leur vulgarité et leur arrogance sans fondement envers les filles.
Julien, avec ses yeux d’adolescent, était émerveillé par sa douceur et son intelligence. Lorsqu’elle lui caressait le creux de sa main, tout son corps en ressentait les effets et elle lui adressait en retour avec malice des sourires de provocation.
Louise représentait à elle seule toutes les filles qu’il rencontrerait plus tard avec leur spécificité féminine si particulière. Il était étonné du jeu parfois un peu pervers de son amie. Elle se comportait comme un papillon devant une lumière pour éprouver sa capacité d’attirance, qui, le plus souvent, n’avait aucun effet sur lui. À défaut de ressentir quelque chose, il lui renvoyait un sourire composé de curiosité. Il s’étonnait des nombreuses volte-face de son amie, quand jouant au jeu de la séduction, elle se plaisait à dire qu’il fallait cacher aux garçons certaines choses, pour ensuite les montrer, ou le contraire, les dévoiler pour les dissimuler à son regard dans la seconde suivante. Elle exerçait son côté sexy, pour être en mesure d’éprouver la résistance au désir de ses conquêtes futures, là où elle pensait que Julien n’était pas encore en mesure de la satisfaire, du moins le croyait-elle.
Elle voulut aller plus loin dans son désir de séduction. Il fallait qu’elle trouve un moyen pour connaître les limites qu’elle était prête à franchir face à un garçon qui lui plairait et qui deviendrait un peu trop entreprenant. Elle avait certainement bien défini ce qu’elle avait envie de faire avec Julien, sans risque aucun, en demandant un peu avant la fin des vacances d’aller une dernière fois se promener sur la colline avec lui, avant la rentrée prochaine. Elle lui avait confié son envie de lui réserver une petite surprise pour le récompenser de toutes les attentions qu’il avait eues pour elle tout au long de l’été. Ce jour-là, il faisait un temps magnifique, quand vers la fin de la matinée Julien s’empressa d’aller la rejoindre pour connaître la surprise tant attendue qui aiguisait sa curiosité.
Il avait prévenu sa mère qu’il partait avec elle pour la journée et qu’ils se contenteraient de prendre un petit casse-croûte ensemble lors de leur promenade. Il retrouva Louise comme la première fois, assise sur l’escalier de sa maison. Un petit panier d’osier était près d’elle ; il contenait le repas commun qu’elle avait minutieusement préparé. En partant vers les sentiers escarpés de la colline proche, Julien resta songeur et silencieux. Ils avaient beaucoup progressé depuis, dans la connaissance de l’autre. Il écoutait avec attention les rêveries joyeuses de celle qui s’exerçait à la séduction devant lui. Elle jouait d’imagination pour que son ami puisse lors d’un mouvement naturel entrevoir la rondeur d’un sein protégé par un chemisier à moitié déboutonné. Elle agissait comme une chatte voulant provoquer un mouvement de désir chez son ami. Mais Julien semblait aveugle à la sensualité de celle qui se comportait comme une Lolita. Elle n’arrêtait pas de le questionner sur ce qu’il pensait d’elle physiquement. Il lui dit qu’il la trouvait belle et intelligente avec plein d’idées intéressantes. Ce n’était visiblement pas ce qu’attendait Louise en le questionnant ainsi.
Alors, elle devint plus concrète. Comment trouves-tu ma silhouette, mon corps, ma poitrine, mes jambes ? Ou encore ma chevelure, mes yeux, mon nez, ma bouche ? Tu vois, il y a plein de questions que je me pose. J’aimerais connaître tes réponses de garçon. Depuis deux mois qu’on parle sur tout, on peut bien aujourd’hui parler de notre apparence ; ce que l’on voit, c’est-à-dire son corps. On parle à l’esprit sans le voir ; on ne fait que l’entendre quand il s’exprime et quand on couche sa pensée sur une feuille de papier, alors on se sert de ses yeux pour communiquer avec l’esprit de l’autre. Pour les aveugles, sourds et muets, ils ne peuvent pas communiquer. Pourtant ils y arrivent, grâce à leurs doigts, leurs mains ou leur corps. Souvent ils réussissent à mieux comprendre et sentir l’autre au fond de leur âme. Leur imaginaire devient une source à créer le beau et le sublime en écartant l’inutile, le commun ou le grossier.
Julien réfléchissait sur la réponse qu’il pouvait faire à tout cela. Il commença par dire que pour le corps, on ne peut lui parler qu’avec les yeux et là je t’ai déjà dit que tu étais belle. Pour le reste, il ne savait quoi répondre, car il n’avait pas les mots pour le dire.
Louise insista : Il suffit de regarder et puis tu réponds comme si tu observais un tableau en décrivant ce que tu vois.
Julien trouva que Louise avait un grand talent méconnu et qu’elle savait expliquer l’inexplicable, en faisant entrer celui qui l’écoutait dans des mondes ignorés de lui, comme s’il allait pouvoir entrer dans une forêt vierge où à chaque pas on pouvait découvrir quelque chose de nouveau. Malgré cela, il lui fit confiance, tout autant qu’avec sa propre mère.
Au bout du chemin, Louise dit à Julien qu’elle trouvait le lieu propice pour faire une pause. Il y régnait une ambiance de mer calme ; une brume se dissipait lentement à l’horizon sous les effets des rayons du soleil.
Louise dit alors à son jeune ami que la surprise préparée pour lui était prête et qu’il pouvait décider de la recevoir. Avec une curiosité non dissimulée, il l’invita à s’exécuter. Elle lui demanda de fermer les yeux et de bien vouloir les ouvrir ensuite à son signal. Quelques secondes plus tard, Louise était prête dans sa nudité intégrale. Elle était comme une Vénus naissante lorsqu’elle autorisa Julien à la regarder.
— Comment me trouves-tu ?
— Très jolie. Aussi belle qu’une sculpture grecque.
Ensuite, elle s’allongea sur le sol. Il ressemblait à une litière d’herbe jaunie par la sécheresse du lieu. Au-dessus d’eux, un mirabellier parsemé de fruits ressemblant à des pépites d’or. Ceux que la nature vous offre quand on a été respectueux avec elle, laissant aux deux innocents inexpérimentés la pureté de leur regard.
— Approche-toi de moi pour contempler l’enveloppe de mon esprit et qui mieux que lui te permettra de rencontrer mon âme.
Julien, transformé, vint s’asseoir à côté d’elle, conquis par tant d’attentions de Louise à son égard.
Un long moment d’observation se passa où il put admirer la pureté des lignes arrondies de son corps, de ses cuisses, de ses seins et de son ventre qui finissait comme une chute d’eau en allant se perdre dans les profondeurs et les méandres sinueux d’une excavation invisible.
Tout cela lui était offert à la vue comme s’il était au théâtre en spectateur pour entreprendre une communion avec l’actrice. Elle l’invita à venir près d’elle et frôler son corps comme le Dieu Éole aurait pu le faire à sa place. Il était soumis à des ondes invisibles en provenance du corps éthérique de Louise qui entrait progressivement en situation de douce plénitude.
Telle une attraction indécelable, il frôla les rondeurs du corps comme le geste d’un sculpteur prenant connaissance avec son œuvre. Son amie désirait qu’aucune partie de sa nudité ne soit oubliée. Elle guidait parfois le geste pour vaincre la timidité de Julien. Ce fut à cet instant qu’il ressentit une transformation involontaire comparable à l’élévation de la fameuse oronge, appelée plus communément l’amanite des césars. Un phénomène naturel permettant d’atteindre le Graal des passionnés à l’état pur. Pour Julien, dans cette circonstance il était comme un nouveau-né confronté aux mystères qui animaient la vie en lui.
Il n’avait jamais observé auparavant un tel phénomène en regardant une fille. Ce sera plus tard qu’il comprendra qu’il s’agissait de désir instinctif. Il était conquis par la volupté lascive de Louise et par le plaisir insolite qu’il subissait au passage des doigts sur les monts et les vallées de sa peau veloutée de pêche. Alanguie dans sa nonchalance, des vagues de plaisir inondaient le corps de son amie. Lorsqu’il insistait un peu plus sur certains endroits, plutôt que sur d’autres, elle gémissait comme le chuchotement d’une lamentation lui procurant des plaisirs inconnus jusqu’ici. Les douces caresses produisaient leur effet suggestif si bien que prise à son propre jeu érotique la respiration de Louise devint plus rapide et plus forte ; ses paupières se fermèrent ; son corps ondulait et induisait dans les profondeurs de celui de Julien un mouvement ascendant d’énergie inhabituelle, pendant qu’elle entrait en pâmoison pour finir par pousser quelques mélodies erratiques suivies par un relâchement d’apaisement et de satisfaction.
Il venait de partager une expérience avec une fille intelligente qui voulut apprendre sur elle-même, avec un garçon qui ignorait également tout de sa sexualité émergente.
Louise avait choisi Julien pour se préparer à l’érotisme, dans un exercice pratique bien supérieur à ce que la littérature pouvait lui apprendre, avec des phrases et des phrases. Elle n’ignorait pas qu’elle en savait plus que certaines de ses copines qui avaient été initiées à faire l’amour avec des garçons inexpérimentés.
Leur complicité leur avait permis de découvrir les effets d’une complicité plus spirituelle que charnelle. Satisfaite elle se leva pudiquement, heureuse et comblée pour se parer des vêtements qu’elle avait portés avant la transformation. Elle s’approcha de Julien en riant et l’embrassa du bout des lèvres.
Il venait de constater qu’une fille n’était pas seulement un esprit avec lequel on pouvait parler. Elle avait un corps capable de transmettre et recevoir en silence des impressions et des messages plus subtils qui parlaient à l’âme.
Il découvrit inconsciemment ce qu’il percevrait consciemment plus tard. Il ressentait en lui-même que le désir envers une fille était comme les braises d’un feu ; toujours prêt à s’embraser dès qu’une bise légère, composée de sentiment, d’amour, de beauté et de générosité se mettait à souffler dans la bonne direction.
Louise venait de lui permettre de rencontrer une étoile en formation qui s’éveillait aux plaisirs de l’amour et elle lui avait permis d’y participer. Ce furent quelques semaines plus tard que Julien, repensant à la scène qu’il avait vécue avec son amie, associa la plupart de ses érections et jouissances futures à cet événement imprégné de volupté féminine. Cependant, il se passerait encore beaucoup de temps pour espérer mettre en œuvre à son initiative les connaissances qu’il venait d’acquérir. Louise lui avait demandé de garder un secret absolu sur leur expérience. Ce qu’il fit respectueusement ; car ce ne fut que beaucoup plus tard qu’il en parla à celle qui devint son épouse.
Louise venait de lui faire découvrir un aperçu des délices à venir avec une femme qui désirait faire parler son corps, sous le contrôle de l’esprit. Elle ne fut pas une conquête pour Julien. Elle fut pour lui une initiatrice et Julien fut pour elle son premier révélateur d’émotions sensuelles.
Une rencontre dangereuse avec Natacha
Les études secondaires terminées, Julien décida de les poursuivre à Grenoble. Une ville en pleine effervescence intellectuelle, culturelle et scientifique où les nombreuses disciplines universitaires favorisaient la mixité d’étudiants, filles et garçons d’origines régionales et étrangères variées. Ce choix lui permit d’être confronté à la notion de liberté et en particulier aller respirer à la manière proustienne, toutes ces jeunes filles en fleurs qui lui offriraient peut-êtreles senteurs de quelques parfums ignorés. Il n’était pas pressé. Il laisserait son âme en éveil et sa raison attentive pour qu’un jour la rencontre idéale puisse poindre à l’horizon.
La féminité à découvrir devrait avoir du charme, une certaine candeur et une façon d’être dont la beauté le fascinerait. Les sensibilités de cœur et d’esprit seraient essentielles pour qu’il puisse envisager ensuite de poursuivre une relation de longue durée. Il en imagina les contours, telle une vestale4 le regardant avec un léger sourire. Sa chevelure sauvage et parfumée serait comme une liane à saisir pour entrer dans son oasis de sérénité. Lorsque son esprit serait un jour en coïncidence avec cette réalité, il savait qu’il n’aurait pas de doute et qu’il devrait agir pour ne pas laisser l’oiseau de rêve s’envoler. Pour lui, aimer serait avoir un respect pour la liberté de l’autre et être fidèle à sa parole. Être imprégné d’équité et de tolérance. Avoir un plaisir immense à regarder comme une œuvre d’art, celle dont il tomberait amoureux et avec laquelle il aimerait passer du temps à discuter et à observer le monde sous son influence.
Julien avait une vision plus spirituelle que sexuelle de l’amour. Il pensait que plus il serait éloigné d’un être aimé et plus l’amour pouvait devenir envahissant. Cette évidence lui imposait d’être prudent et plus réfléchi que nécessaire.
Il s’enflammait parfois un peu trop rapidement pour une jeune fille qu’il venait de rencontrer et qui semblait le séduire par sa façon d’être, sa beauté et sa sensualité naturelle. Si les discussions s’orientaient sur la badinerie, il était imbattable pour jouer une sorte de double jeu, presque toujours voué au succès, s’il décidait d’en profiter. Un mélange de spiritualité attractive, d’érotisme livresque, de nature à solliciter les sens et le désir de l’un comme de l’autre, pour ensuite passer à autre chose, faisait partie de son répertoire de séduction. Certains de ses amis le qualifiaient de conquérant toujours insatisfait en laissant choir le désir de la belle à l’instant même où elle s’offrait au plaisir.
Il estimait que c’était un moyen accéléré pour appréhender les richesses de l’esprit où seul le temps pouvait en dévoiler les splendeurs, alors que les corps dénudés étaient plus rapidement accessibles pour révéler leurs fécondités et leurs somptuosités. Les amis qu’il désirait préserver devaient correspondre aux mêmes critères que les siens pour qu’il s’y intéressât. L’amitié avec eux devait permettre un enrichissement. Avec les jeunes filles, il était animé par un besoin constant de dépassement spirituel, dans une recherche d’unité, dans la diversité, autant que l’inverse ; une diversité dans l’unité. Les ébats amoureux avec une femme ne pouvaient être pour lui qu’un aboutissement naturel pour passer de l’imaginaire au réel.
La femme qui le ferait basculer ne serait pas charnelle ; elle serait sensuelle et capable de lui faire découvrir sa sensibilité et sa spiritualité. Plus qu’un désir charnel sombrant dans la vacuité, il cherchait le chemin qui pourrait le conduire vers un bonheur enrichissant et durable. La femme qui pouvait percevoir cette conception de l’amour le séduirait.
La première rencontre féminine de Julien à Grenoble fut totalement fortuite. Il se rendit le soir au restaurant universitaire pour dîner. C’était quelques jours avant de revenir dans sa famille pour les vacances de Noël.
À quelques pas de l’entrée du restaurant, une jeune fille aux cheveux longs et noirs, mignonne à en rêver dans son manteau rouge vif, semblait attendre quelqu’un. Il fit plusieurs allers et retours d’un air pensif, feignant la décontraction. Il se demanda ce qu’il allait lui dire pour ne pas être éconduit avant d’avoir pu terminer sa phrase. Finalement, décidé d’agir pour faire sa connaissance, il l’invita d’entrée de jeu à venir dîner avec lui, pensant qu’elle était étudiante et qu’elle attendait quelqu’un avant d’aller dîner. Elle indiqua qu’elle avait déjà dîné et qu’elle préférait dans ce cas prendre une collation dans le café le plus proche. Afin de laisser paraître une décontraction apparente évidente, dès leurs premiers pas ensemble, alors que la nuit venait de tomber, il fit cette interjection qui se voulut spirituelle.
— Comptiez-vous les étoiles avant que je n’arrive ?
Elle lui répondit : « J’observe les passants et j’ai bien remarqué que vous aviez l’air de flâner sans savoir où aller ».
Afin de ne pas se disperser, il poursuivit sa première interrogation en disant : « Je présume que vous êtes comme un mystère à découvrir » ? Elle ne répondit pas.
En entrant dans le premier café proche, à peine assis et les consommations servies, l’inconnue lui dit avec un regard malicieux :« Si vous voulez, on peut aller faire l’amour ; ce serait mieux que d’aller dîner ! »
Cette sortie surprenante eut sur Julien l’effet d’une électrocution. Il resta sans voix un court instant. Comment une étudiante pouvait-elle sans même le connaître et après avoir échangé à peine quelques mots, désirer s’offrir à lui ?
La suite de son interjection inattendue resta dans la continuité de la première, lorsqu’en poursuivant elle lui dit :
« Si vous êtes d’accord j’aimerais bien que vous me fassiez un petit cadeau. »
Puis comme pour justifier sa proposition, elle fit cette confidence irréelle :
« Pour payer mes études, je suis obligée d’avoir recours à cette activité pour m’en sortir. »
Observant qu’il ne disait rien, elle continua sa phrase : « Si vous voulez que l’on continue de se parler, il faudra me payer comme si nous allions faire l’amour ensemble. »
Cette fois, totalement décontenancé, Julien ne sut que dire. Puis, dans l’expectative et ne voulant rien décider, il finit par proposer de la revoir le lendemain à la même heure ; ce qu’elle accepta en lui lançant, alors qu’il s’en allait : « Je m’appelle Natacha ».
Julien était un peu sonné, déçu et à la recherche de ce qu’il déciderait pour le lendemain. Au cours du repas sa conviction était faite. Il mettrait en œuvre tout son talent pour essayer de modifier le destin de cette fille. Elle était en perdition en ruinant son âme et sa vie, alors qu’elle semblait avoir d’autres atouts pour la conduire.
Le lendemain, après une journée de cours à l’école, il avait pu éviter de réfléchir à cette fille. Le soleil finissait sa course de fin de journée. Il restait une petite heure d’attente avant de se rendre sur le lieu de rendez-vous. Une grande concentration s’imposait pour réussir dans son projet. Le fait de lui avoir déjà parlé et qu’elle ne soit plus tout à fait une inconnue lui procura une certaine sérénité. Il contrôlait son souffle et les battements de son cœur au fur et à mesure qu’il était proche de l’instant fatidique. Elle était là, dans cette embrasure de porte, à dix mètres de lui et elle ne l’avait certainement pas encore aperçu. L’éblouissement, puis la surprise de la veille se confondirent à cet instant avec le combat sur lui-même et le discours qu’il allait devoir effectuer pour la faire changer d’avis. Quand son regard croisa le sien, un sourire de victoire l’anima soudainement tel un présage heureux pour la suite. Une fois à sa hauteur, elle lui lança une flèche empoisonnée en plein cœur, employant d’emblée un tutoiement de conquête :
— Si tu veux me parler mon petit chéri, il faudra me suivre dans une chambre d’hôtel et me verser un petit cadeau.
En appréciant le chiffre qu’elle venait de lui annoncer, il se dit que cela représentait environ une quinzaine de repas au restau U. Puis comme un automate, il se laissa aller à la suivre vers l’hôtel où elle se dirigeait. Il ne pensa à rien d’autre qu’au joueur qu’il était devenu. Il allait investir une grosse somme en rapport à ses moyens, dans le seul but d’obtenir une victoire morale sur la vénalité charnelle de cette fille. Il était à ce moment-là pris par le vertige du joueur comme dans le roman du même nom de Dostoïevski lorsqu’il eut placé ses jetons. Il revit la fébrilité et l’excitation d’Alexeï Ivanovitch quand il attendait le résultat. Une seule réalité se dessinait pour lui. Il ferait ce qu’il avait décidé. Une fois dans la chambre, seul le discours qu’il allait tenir aurait de l’importance. Ils entrèrent dans un lieu plutôt sombre dans lequel un lit occupait presque toute la pièce. Sans attendre, avec un sourire pervers, Natacha lui dit :
— Je vais te faire l’amour mon petit chéri, comme tu ne l’as jamais fait. Mais avant, tu vas me faire ton cadeau.
Julien docile, paya ce qu’elle lui demandait et alla s’asseoir dans le fauteuil qui se trouvait à côté du lit ; prêt à prononcer son discours. Elle commença par dégrafer son corsage en même temps qu’il l’interrompit pour lui dire qu’il était là pour essayer de la convaincre d’abandonner la prostitution.
— Tu as une demi-heure mon chéri…lui dit-elle.
Puis, elle alla s’asseoir sur le lit, le corsage dégrafé, la jupe suffisamment relevée pour découvrir son arrogante nudité. Julien se laissait envahir contre son gré par un désir qu’il ignorait, le prenant à la gorge, comme si on allait l’étrangler. Il savait que s’il cédait, il se retrouverait dans un profond désarroi devant tant de jouissance en devenir, pour si peu de plaisir.
Sa respiration devint difficile jusqu’à l’instant où sa volonté l’emporta sur l’envie. Il regarda ce corps de femme dont il n’aurait possédé que le sexe, un court instant. Cela n’en valait pas la peine. La voix sèche et presque éteinte, il lui demanda de l’écouter attentivement. Après une demi-heure de monologue, elle lui dit que s’il voulait poursuivre, il fallait à nouveau effectuer un petit cadeau, sinon il valait mieux quitter la chambre. Julien était allé trop loin pour abandonner.
Rester sur un échec n’était pas envisageable. Il fit ainsi un nouvel investissement pour essayer de la convaincre. À la fin du temps qui lui fut accordé, il eut naïvement l’impression d’avoir obtenu un résultat ; car avant de la quitter, Natacha lui fit la promesse d’arrêter la prostitution jusqu’à son retour de vacances. Elle lui proposa une rencontre pour la mi-janvier au même café où ils se parlèrent pour la première fois, avec l’espoir qu’elle lui annoncerait une bonne nouvelle. Il fut content de lui, malgré le trou qu’il venait de provoquer dans sa trésorerie. Le lendemain, il partit dans sa famille, satisfait de ce qu’il venait de faire.
Cette jeune femme était désemparée moralement et Julien n’avait jamais rencontré depuis son adolescence de femme plus belle et de plus désirable en dehors de Louise. Malheureusement il découvrit plus tard qu’elle était juste une manipulatrice pour arriver à ses fins. Il imagina alors qu’avec sa maturité acquise depuis, si Natacha avait été comme Louise, il aurait fait l’amour pour la première fois avec une femme. À la mi-janvier, il savait qu’il aurait la réponse sur les effets de son action.
À son retour de vacances, il fut heureux de constater que la jeune femme n’était pas là et qu’il avait peut-être réussi dans son entreprise. Deux jours avant leur rendez-vous, il eut la désagréable surprise de la voir au loin, alors qu’il allait dîner. La distance le séparant d’elle n’était que de quelques mètres ; il s’arrêta net. Il vit un visage blafard, légèrement défiguré par une multitude de boutons rougeâtres qui pouvaient être les effets d’une maladie, ou d’un traitement pour la soigner. Julien n’eut pas le courage de lui parler et il passa son chemin comme s’il ne l’avait jamais vue. Il resta mélancolique toute la soirée et mit autant d’énergie à oublier Natacha qu’il en avait mis à vouloir lui offrir la possibilité d’échapper à son destin. Cette histoire n’avait pas été inutile pour lui, car il découvrit que la force de son caractère était plus grande que ses désirs sexuels.
L’apparition d’une Philistine
Julien s’était inscrit sur une liste qui circulait à l’association des étudiants afin d’être figurantdans des spectacles du théâtre municipal de Grenoble. Cette activité lui permettait d’améliorer son ordinaire. Lors d’un spectacle d’opéra intitulé Samson et Dalila5, il fut parmi les comparses chargés d’abreuver les jeunes femmes philistines couronnées de fleurs avec leur coupe à la main, lors de la fête qui avait lieu au temple de Dagon où serait ramené Samson. « Malgré l’aurore qui se levait après une nuit si belle aimons-nous encore, disait Dalila à ses Philistines. »
Le figurant qu’il était, passant d’une jeune fille à l’autre avec son outre de vin avait peine à jouer l’indifférence en allant vers les bras tendus des Philistines alanguies et aimantes, nues sous leur voile transparent.
La scène orgiaque fut d’une pureté artistique enflammante. Il était à la hauteur d’une amante de la fête qu’il abreuvait du nectar sans alcool, quand elle lui lança un regard foudroyant dont il eut du mal à faire la différence entre la réalité, ou son jeu d’actrice. Il eut la réponse à la fin du spectacle.
Elle vint vers lui en tourbillonnant, ses cheveux de mèches tordues caressaient son visage, avant de déposer un baiser de feu sur les lèvres étonnées de celui qui l’avait si bien servie sur scène. Julien sentit monter en lui les effets d’un poison anesthésiant lui faisant perdre sa timidité en même temps qu’il osa enfouir une main dans sa toison aux senteurs balsamiques, légères et sensuelles. Un désir puissant s’empara de son être, puis s’apaisa, quand elle lui proposa de l’accompagner au restaurant avec la troupe, afin de terminer la soirée. Il était tellement étonné et désireux d’être avec elle qu’il ne se fit pas prier deux fois et s’engagea pour une aventure incertaine avec cette inconnue. Le Ténor l’intimidait par sa faconde et son aura sur la troupe. Il venait de découvrir un monde où l’entente et la convivialité contrastaient avec la rigueur qu’imposait le spectacle quand chacun était dans son rôle de comédien.
La jeune actrice s’appelait Émilie. Son allure de succube offrait avec son corps en mouvement l’envie de lui offrir les plaisirs qu’elle recherchait, sans possibilité de s’y soustraire. Légère et transparente, elle était devenue ce soir-là, une envie à satisfaire et une folie inspirante dans le sens où il la laissait agir. Assise à côté de lui, elle lui prit une main en lui jetant des regards complices avec une gaieté naturelle. Elle le regardait d’un air de complicité acquise pour le rassurer de sa vulnérabilité. Il savait qu’il ne ferait rien pour arrêter l’ivresse qui le gagnait ; il était déjà vaincu sans recours. Son esprit fonctionnait au ralenti, l’empêchant de participer aux discussions. Il parlait en silence avec son regard et sa main droite était entremêlée dans la main gauche indolente de la jeune fille.
Il était dans une bulle où le temps s’était arrêté. Sa seule réflexion sensée sur le moment montra qu’ils étaient au restaurant et que rien ne pouvait se produire dans cette situation. À la fin du repas, le groupe dans son ensemble décida qu’il était temps d’aller rejoindre les bras de Morphée6 dans la douceur de la déesse de la nuit.
Émilie souhaitait inviter Julien à son hôtel situé à proximité, alors que lui préférait qu’elle l’accompagne dans son propre cadre de vie, à la cité universitaire. Cela imposait un bon quart d’heure de marche à cette heure tardive, faisant hésiter la jeune actrice. Afin de ne pas la contrarier, il finit par accepter sa proposition. Lorsqu’ils passèrent à la réception de l’hôtel ils croisèrent quelques regards de connivence de quelques amis de la troupe qui n’étaient pas pressés d’aller regagner leur gîte pour la nuit. Lorsqu’ils, entrèrent dans la chambre, Émilie lui proposa de se mettre à son aise pendant qu’elle alla se préparer dans la salle de bain.
Il était près de minuit. La porte de la chambre venait de s’ouvrir. Une amie d’Émilie venait d’entrer feignant la surprise d’y trouver le jeune homme qui l’avait accompagnée toute la soirée au restaurant.
Sur cette brève présentation, Émilie venait de sortir de la salle de bain pour aller s’asseoir sur le lit. Elle avait la même tenue que sur scène. Sa nudité était floutée sous le voile transparent qu’elle portait.
En s’adressant à son amie elle lui proposa d’aller se mettre dans la même tenue, afin d’imiter la scène passée au théâtre quelques heures plus tôt.
Julien ne pouvait imaginer ce qui allait se passer.
Il pensa un moment être tombé dans un traquenard de filles qui allaient profiter de sa présence pour assouvir leurs fantasmes les plus fous, inspirées par le scénario de Sanson et Dalila. Quand Julie revint de la salle de bain elle alla s’asseoir à côté de son amie.
Deux Philistines s’étaient mises en tête de capturer pour le plaisir leur Apollon d’un soir. Elles ignoraient le degré de consentement de leur proie et Julien ignorait sa capacité à les satisfaire. Il n’avait jamais été confronté à une telle situation, où seule l’emprise du désir allait pouvoir s’exprimer, s’il avait l’intention de se laisser aller.
Julien se mit à les interroger sur leur métier ; leurs envies dans la vie ; leurs prochaines pièces ; leurs aventures sentimentales et bien d’autres choses encore. En ayant écouté leur réponse, sa conclusion fut de considérer qu’elles vivaient l’instant présent, sans se soucier du futur. Le hasard, la chance, ou la malchance seraient les prochaines étapes de leurs vies. Julien pensa un moment qu’il représentait pour ces jeunes filles un moment de liberté et d’amusement, certes fugace comme une jouissance et durable comme un souvenir. Elles voulaient simplement ajouter une expérience avec lui, sans autre intention. Elles désiraient transposer la scène orgiaque virtuelle de Samson et Dalila en réalité érotique vécue et concrète ; ici et maintenant. L’occasion était trop belle pour chercher à l’éviter. Elles demandèrent à leur serviteur d’aller s’allonger sur le lit après l’avoir dépouillé de ses vêtements avec une délicatesse toute sensuelle. À leur tour elles quittèrent leur voile. Une rencontre originelle et paradisiaque allait pouvoir se dérouler.
Désormais fermant les yeux, son corps se métamorphosa sous les effets des frôlements des mains, des lèvres et des corps avides. Il respirait avec gourmandise leur parfum léger et anesthésiant. L’objet sexuel qu’il était devenu avec son consentement permettait à ces deux Philistines d’atteindre à tour de rôle ces moments d’extases qui donnent à la vie un double sens de début et de fin. Leurs lèvres exquises venaient s’abreuver avec ardeur à la source vive d’où s’échappait un vin magique. Il nourrissait leur chair en faisant du bien à leur âme. Le banquet que s’offraient ces jeunes filles sortant de l’adolescence faisait palpiter leurs gorges et leurs lèvres affamées pour engendrer les plus belles fleurs de la création.
La nuit se terminait comme un voile qu’on déchire pour effacer les ivresses orgiaques de deux jeunes filles libérées et d’un jeune homme en recherche de maturité et d’expériences sexuelles, afin de devenir un homme respectueux du désir féminin. Il avait ajouté le Vin, fils sacré du soleil !
Après cette folle nuit, l’amour spirituel s’était confondu à l’amour charnel, grâce à la pluralité représentée par deux corps féminins. Elles avaient besoin d’un homme pour s’élever davantage au sommet du plaisir. Il était leur serviteur affranchi pour atteindre les extases furibondes du désir en se délectant à la source pure de la masculinité ; librement et sans affect particulier que d’être les représentantes des créations d’une nature divine et éternelle.
Jamais Julien ne revit Émilie ou Julie. Elles étaient devenues pour lui des incarnations de la féminité libérée. L’homme étant à leur service pour assouvir leurs besoins sexuels, par opposition à la pensée patriarcale depuis des millénaires. Le lendemain il se rendit compte qu’il ne connaissait que leurs prénoms. Il ignorait leurs noms, leurs numéros de téléphone et leurs adresses. La semaine qui suivit, il fut un peu mélancolique de constater qu’il les avait rencontrées par hasard et que seul un autre hasard permettrait éventuellement de les revoir. Cependant il ne regrettait rien de cette histoire qui ne pouvait pas avoir de futur. Émilie s’était jetée si facilement dans ses bras en y ajoutant ceux de son amie. Elle avait juste voulu concrétiser dans le réel et jusqu’à l’aube, l’œuvre théâtrale de Saint-Saëns, inspirée de l’Ancien Testament.
Cette expérience lui sembla en même temps bénéfique et éducative. Il découvrait l’attrait érotique de la pluralité sexuelle, dans son expression de partage entre deux femmes et un homme. A contrario, sa réflexion l’amena à imaginer qu’une femme et plusieurs hommes devait être encore plus extraordinaire pour une femme, car un homme ayant atteint la jouissance n’était plus très opérationnel ; la présence d’un ou plusieurs autres partenaires masculins permettant d’éviter des ruptures dans la consommation des plaisirs. Là où l’homme en général est un coureur de cent mètres, la femme est une marathonienne.
Une apparition dans la nuit
Après deux années préparatoires à Grenoble, Julien se destinait à poursuivre ses études à Brest, dans une école d’Ingénieurs, afin de parfaire ses connaissances scientifiques. En attendant, il se ressourçait en famille au cours des vacances.
Un repas en soirée avait été organisé par sa mère à l’occasion de la fête des mirabelles. Sa joie était immense quand elle pouvait réunir ses trois enfants et leur montrer tout l’amour qu’elle avait pour eux.
Le repas venait de se terminer quand il décida d’aller à tout hasard retrouver quelques copains dans une guinguette proche où s’organisait des soirées dansantes tous les week-ends en été. Julien n’aimait pas vraiment danser ; plus par manque d’entraînement que par rejet de ce divertissement. C’était aussi un excellent moyen d’aborder une inconnue en l’accompagnant sur la piste de danse tout en pouvant lui parler et essayer de la séduire. Alors, il faisait à chaque occasion quelques efforts afin d’éviter d’être ridicule.
Il était trop orgueilleux pour aller de table en table risquer un refus quelconque d’une fille qui pouvait lui plaire physiquement. Sa tactique de conquête consistait à observer les jeunes filles qui correspondaient le mieux à ses critères de beauté et de charme, qu’elles soient ou non accompagnées. Il était rare que dans une soirée, il n’y ait pas plusieurs jeunes filles pouvant répondre à ses préférences d’apparence.
L’invitation faite, s’il devait essuyer un refus, il ne restait jamais bien longtemps, car ensuite, il avait l’impression de perdre son temps, ou de se ridiculiser en insistant. Ce soir-là, lorsqu’il entra dans la salle de danse, il n’avait pas remarqué de filles qui auraient pu le séduire. La soirée se profilait pour être courte. Le temps de discuter un peu au bar avec les amis présents et terminer la consommation qu’il venait de prendre. Il décida de s’en aller.
À peine sorti de la salle il vit aux loin deux jeunes filles. Son regard fut attiré par l’une des silhouettes dont la grâce et la beauté enveloppée par une chevelure calcinée ondulante jusqu’à la taille, couvrait et découvrait ses nudités bronzées. Sa jupe plissée blanche et son corsage de même teinte donnaient avec les lumières environnantes le sentiment d’une apparition sortant de la nuit. Chaque mouvement du corps révélait un peu plus la perfection physique de la jeune fille. Cette vision ne le fit pas réfléchir plus d’un instant.
Il fallait qu’il soit le premier à l’inviter dès qu’elle serait installée à sa table. Julien se donna un air nonchalant et décontracté, frisant l’indifférence, mais en réalité il était attentif et concentré, en étant revenu vers le bar, afin d’attendre le moment propice pour faire son invitation.
Il ignorait qu’en allant vers cette inconnue, son destin relationnel avec les femmes allait changer de nature dans la durée, la liberté et la sensualité.
Il était à deux pas de la table, quand, devinant l’invitation, la jeune fille se retrouva sur la piste de danse avec son cavalier, entamant un slow sur un air de verte campagne, bercés par les paroles langoureuses« du temps qui s’efface, du rêve et de l’amour ». Jamais Julien ne dansa aussi longtemps avec une fille. Il accapara l’ingénue toute la soirée jusqu’à son envie de partir, ne laissant aucune chance au moindre soupirant qui aurait pu venir se présenter. Les deux danseurs se quittèrent dans l’intention de se revoir quelques jours plus tard dans un café de la ville ; le crocodile.
Ce café était fréquenté par les étudiants et jeunes filles de l’époque. L’ingénue avait un prénom dont le timbre phonétique correspondait à son allure, comme les sabines7 d’autrefois, puisque c’était son prénom. Julien avait eu ce soir-là l’impression d’avoir rencontré une perle rare à faire pâlir tous les garçons du moment. Avec ses quelques années de plus et sa maturité naissante il devait rester à son niveau de sensibilité et pour cela le meilleur moyen était de rester naturel. C’était une jeune fille qui allait vers ses dix-sept ans. Elle était réservée et attentive aux histoires que lui racontait le jeune homme qu’elle venait de rencontrer. Le jour fixé pour le premier rendez-vous elle n’était pas venue. Ce fut son amie Colette qui l’accompagna à la soirée dansante qui fut chargée de venir proposer un autre rendez-vous. Julien, rassuré, accepta avec une grande joie intérieure l’invitation tout en évitant de le montrer à la messagère. Sans le lien qui venait de se produire avec Colette, il aurait probablement perdu toutes chances de la revoir ; car il aurait considéré qu’elle avait préféré ne pas venir au rendez-vous fixé.
La première vision qu’il eut en revoyant Sabine ne fut pas différente de celle du fameux soir. Elle était solaire. Sa seule présence rendait l’espace rayonnant et musical. L’après-midi se passa à discuter sur de nombreux sujets, parfois scolaires et parfois personnels. Elle écoutait silencieuse en le regardant avec cet air d’intelligence sensible, intimidée par sa faconde. Elle esquissait souvent un sourire d’approbation sur les sujets et les idées abordés. L’heure avançait et la mère de Sabine lui avait recommandé d’être de retour pour sept heures du soir. Julien ressentit à cet instant un double avertissement. La jeune fille était encore sous un contrôle parental important et sortait à peine de l’adolescence. Jusqu’au départ de Julien pour Brest, ils se virent fréquemment, s’appréciant un peu plus à chaque rencontre, évoquant leurs espoirs et laissant apparaître leurs personnalités respectives dans la douceur et le plaisir immense d’être ensemble. Le premier baiser très tendre enclencha chez Julien l’envie de lui écrire de nombreux poèmes qu’il plaçait dans ses lettres. À partir de cet instant les pensées de Julien furent constamment imprégnées par cette ingénue où toutes nouvelles rencontres feraient l’objet de comparaisons avec cette perfection féminine qu’il venait de rencontrer. La séparation et l’éloignement allaient peut-être détruire, ou au contraire renforcer cette idylle naissante. Julien n’avait pas de certitude ; il savait uniquement qu’avec cette jeune fille, il avait rencontré un exemple vivant qui pouvait le combler durablement.
Yvonne, ou une séduction inévitable
Julien venait de retrouver ceux avec lesquels il allait passer quatre années d’études pour devenir ingénieur.
Armand, un gascon d’origine l’avait séduit dès qu’il fit sa connaissance. C’était un jeune homme plein de fougue, exubérant et animé par l’aventure et l’esprit de conquête. Toujours prêt à débattre sur un sujet quelconque avec un sens de l’exagération et de la vantardise qu’il affichait souvent en parlant de ses nombreuses petites amies qu’il présentait comme des trophées à son tableau de chasse de séducteur impénitent.
Pour nouer des amitiés durables, les premières semaines étaient souvent importantes à cet égard. Pourtant, le caractère subjectif et même superficiel des choix que l’on pouvait faire dans ces circonstances étonnait toujours Julien. La relation s’installant davantage par intuition que par un savant raisonnement. L’apparence, l’allure, un style, un visage, l’humour, furent des facteurs influents au départ, quand ensuite l’intelligence, les vertus, complétaient en les favorisant, les relations pour permettre de les rendre durables.
Jean fut l’archétype de l’intelligence orientée à la dérision, transformant ce qui était sérieux en boutade et en rires moqueurs et ce qui était dérisoire en sujet digne d’intérêt. Il ne manquait ni d’écoute ni d’humour quand il le fallait ou qu’il redevenait sérieux.
Patrick fils à papa, était plutôt du genre jouisseur, épicurien et matérialiste. Il était profondément individualiste pour ne pas dire égoïste avec un goût prononcé pour les plaisirs immédiats. Julien trouvait parmi ce premier groupe d’individualités aussi différentes, un terrain privilégié pour étalonner ses propres préférences sur de nombreux sujets. Les groupes qui se formèrent se retrouvaient régulièrement dans leurs lieux habituels de vie. Restaurant universitaire, cafés, crêperies de la rue de Siam ou à proximité. Les endroits de plaisirs et de détentes s’apparentaient à une sélection naturelle des envies ou des désirs des uns ou des autres, avec le cinéma, le théâtre ou les clubs de divertissements comme la Soute où les élèves de l’école navale venaient se divertir avant que d’autres écoles n’investissent ce lieu de rencontres et divertissement.
Parmi les élèves de l’école d’ingénieurs, des groupes se formèrent par affinité. Dans celui de Julien, plusieurs étudiantes issues de diverses disciplines littéraires de la fac s’invitaient régulièrement, favorisant une ouverture intellectuelle plus éclectique. Ces jeunes filles appréciaient la compagnie de ces futurs ingénieurs qui pouvaient représenter de futurs partis à conquérir. Venaient fréquemment deux étudiantes en lettres ; Ève et Yvonne, avec lesquelles Julien aimait échanger à satiété. Ève était une jeune fille dynamique tandis que son amie Yvonne était moins extravertie. Celle-ci lui lançait souvent des sourires attendris comme autant d’approbations à ce qu’il disait. Il affectionnait les arguments contradictoires d’Ève, car une opposition intelligente et raisonnée ne pouvait qu’enrichir les débats et c’était ce qu’aimait Julien.
Jean cherchait à séduire l’interlocutrice préférée de Julien. Il la faisait rire, ce qui constituait une arme redoutable en capacité de séduction. Il se prenait rarement au sérieux, contrairement à Julien ; ce qui amusait beaucoup leurs petites amies du moment si on prenait la peine d’observer leurs différences. Lorsqu’il découvrit que son ami avait su parfaitement tirer parti de leurs échanges multiples, en séduisant Ève, il fut surpris d’abord et un peu navré d’avoir attendu si longtemps pour envisager lui-même d’aller avec elle sur le terrain des frivolités.
Il se disait toujours qu’il était préférable de laisser faire le temps, afin de capter les messages en retour et avancer avec sûreté en prenant un minimum de risque tout en restant honnête avec lui-même. Or son ami agissait à l’inverse ; soit avec célérité pour séduire le cœur d’une jeune fille. Julien n’eut donc aucun regret quand il apprit quelques mois plus tard le dénouement de l’idylle qui s’était nouée avec Ève. Lors de son dernier retour de vacances il apprenait que sa dulcinée8