Jusqu’à plus soif - Pascal Bizern - E-Book

Jusqu’à plus soif E-Book

Pascal Bizern

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Beschreibung

Ornella et Tommy vivent une passion torride et d’excès en tout genre depuis quelques années. Seulement, avec la rencontre de Soledad, tout bascule. Ornella est prête à tout, par contre jusqu’où ira Tommy, écrivain raté mais alcoolique réussi ? Lui-même n’en sait rien. Il décide donc de raconter sa vie de poète au bord du gouffre à son seul véritable ami : son sac de voyage. Au cœur de cette double narration, le seul mot d’ordre est le désir… À mi-chemin du récit picaresque et du polar, cet ouvrage est un livre très rock’n’roll interdit aux prudes.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Féru d’auteurs américains et de pop anglaise, Pascal Bizern a édifié au fil du temps un pont naturel entre musique et littérature. Trois albums musicaux et deux romans plus tard, son désir reste intact : écrire, quoi qu’il arrive !

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Pascal Bizern

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jusqu’à plus soif

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Pascal Bizern

ISBN : 979-10-422-0448-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

Le sac retrouvé du poète disparu.

 

T.S. Elway

 

 

Le monde a soif d’amour : tu viendras l’apaiser.

 

Rimbaud

 

 

Un autre homme viendra, une autre rencontre,

Un autre miracle… Aimer évite au moins de chercher

Sans cesse un sens à sa vie.

 

Joanna, L’anomalie

 

 

After any old mother fuckin’ blow I’ll be back

 

Tom Barman, Instant Street

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ornella

 

 

 

 

 

1

 

 

 

Se branler deux fois par jour pour oublier qu’elle couchait avec un autre, donc qu’elle n’était plus sienne, fut l’unique initiative qu’il prit en ce mois d’octobre, doux mais orageux. À un doigt de caresser la folie en les imaginant baiser, toucher sa bite lui paraissait moins dangereux, à peine avait-il éjaculé que son angoisse retombait en même temps que sa queue. Deux ou trois heures durant, il arrivait enfin à ne plus imaginer Ornella forniquant, elle mouillait plus que le Gange à cette époque-là. À bientôt 40 ans, Tommy ne voyait pas non plus pourquoi il lui aurait fallu entretenir sagement son corps, au-dessus des bouteilles vides, son nez s’érigeait aussi blanc qu’un sommet du monde. Il vivait entre deux continents, l’apparent et le dissimulé, et il passait de l’un à l’autre comme un mauvais génie. Car quoi qu’il fasse, Ornella restait aussi vivace que ses lendemains de cuite et de drogue insolents. Un matin où il envisagea de la tuer, il pensa que Satan devait lui avoir murmuré à l’oreille et léché le bout du lobe. Il se ravisa en pensant qu’elle méritait au moins un livre, et se mit dès lors à écrire sur elle, dans une vieille baraque en bois en bord de mer, où le vent s’amusait à gifler les mouettes sous un ciel lumineux. Même sobre elle l’inspira, il écrivit des pages entières, s’approchant de la noirceur de son cœur sans y tomber. Mais le seul véritable boulot dont il se sentait capable était de l’aimer à plein temps, et comme elle l’avait quitté depuis cinquante-trois jours et sept heures, Tom se retrouva sans véritable travail. Les feuilles sur les arbres se ridaient et craquelaient, elles laissaient le vent les porter jusqu’à terre – comme lui. Il n’avait jamais été aussi triste qu’en ce moment, à regarder les feuilles perdre leur couleur et flotter vers le sol une à une. Sa vie avait perdu ses reflets, il avait juste envie de faner lui aussi, de se laisser tomber la tête entre les bras, de rester sec à jamais.

Tommy avait rendez-vous avec elle à dix-huit heures. Elle allait, comme à son habitude, arriver en retard, mais cette contrainte avant la vue de l’être aimé lui procurait depuis toujours une indicible euphorie, mélange indéfectible de joie et de peur, de fragilité furtive et d’envie de meurtre. Comme s’il lui tardait de la voir pour cogner le bonheur, entrouvrir sa porte puis cracher à l’intérieur, préférant la souiller avant de la perdre. Se revoir, l’aimer puis la tuer, c’était ça la vraie vie. Il descend la rue déserte en pensant à tout ça quand un klaxon retentit. Il fait presque nuit quand il l’aperçoit au volant de sa voiture blanche, vitre baissée, Ornella le fixe. Il voit de suite qu’elle a bu et baisé la veille, mais ne dit rien et lui sourit. Le visage d’O s’illumine, il est si fier de ça. Tommy s’imagine, aussi con et orgueilleux qu’un trader et un actionnaire défoncés, qu’il a toujours été la cause et la raison de cet état de grâce, de cette bascule réjouie rivée à ses lèvres. Il se rassure comme il peut, et en profite pour emmerder celles et ceux qui lui ont dit d’arrêter leur histoire, aussi décousue qu’un ourlet récalcitrant. Tom la retrouve une fois de plus et c’est tout ce qui compte, il ouvre la porte et prend place à côté d’elle.

— Salut Tommy.

— Salut ma belle.

Hésitations. Il l’embrasse sur la bouche, celle qui a sucé son amant quelques heures auparavant.

— Je ne t’avais pas vue, je pensais pourtant à toi.

Elle sourit, il envisage ses lèvres affamées se jetant sur le sexe gonflé du type.

— On va boire un verre quelque part ?

— Ça m’va, dit-elle en sortant de la voiture.

Ornella prend un petit panier en osier que je ne lui connais pas, ferme la porte et se dirige vers moi. Je prends sa main qu’elle n’enlève pas, même si je sens une légère réticence – chose compréhensible lorsqu’on a caressé, pas plus tard que la veille, les testicules du bonhomme et qu’on se retrouve les doigts collés avec son ex une poignée d’heures plus tard. Installés sur la terrasse du bistrot, je commande deux verres de vin rouge à une serveuse aussi aimable qu’un carreau cassé. Nous sommes rapidement servis, l’alcool me fait du bien. La fébrilité de nos retrouvailles s’estompe lentement, au-dehors le jour se casse la figure. Ornella et ses regards tournoient autour de moi, j’ai la désagréable impression d’être une proie en sursis. Mais l’étrange sensation d’être vivant au plus près d’elle est déjà magnifique, je me lance.

— J’ai envie qu’on revive ensemble, je t’aime définitivement. Sans toi, je ne suis qu’une sale merde, je ne mérite même pas un caniveau. Reprends-moi et fais de moi ce que tu veux, sinon je te tue.

Ça sort comme ça, je sais simplement que je souffre un peu trop, depuis cinquante-trois jours et neuf heures dans un silence inconfortable.

— J’ai envie, j’ai envie, j’ai envie… Faut qu’t’arrêtes de te prendre pour le roi, Tommy ! Chaque fois que j’ai voulu vivre avec toi, tu m’as envoyée paître, bouler, valdinguer, et là, maintenant, parce que tu l’aurais décidé, faudrait que je t’dise oui, de suite, allons-y, fonçons, repartons pour un tour, euh… La vie est si belle avec toi, aimons-nous tant qu’il est temps, buvons, baisons, et tout le tralala !

Pause aussi inconfortable.

— C’est non, surtout pas maintenant. Je veux que tu ressentes tout ce que j’ai enduré, que tu crèves la bouche ouverte en attendant de mes nouvelles, comme tant de fois ça m’est arrivé. Comme tant de fois j’ai pleuré en apprenant que tu ne viendrais pas, encore dans les bras d’une salope de passage, ou dans une beuverie avec tes soi-disant amis, ressassant mes erreurs et les tiennes. Marre, marre, marre ! Désormais, je ne veux qu’une chose… Que tu souffres.

Je décide de la tuer plus tard, trop de monde picole en terrasse. Je finis mon verre d’un trait, j’en commande deux autres que j’avale en suivant. Mains moites qui tremblent légèrement, je la regarde vibrer sous la lune voilée au loin. Elle est toujours aussi belle, bien qu’elle ait pris quelques rides ces dernières années, en grande partie par ma faute. Petite, brune, fière et lunatique, Ornella a ce je-ne-sais-quoi qui fait qu’on a de suite envie de la baiser, ce que j’avais fait sans délai. Depuis vingt ans que nous nous connaissions et déchirions à tout-va, seuls nos voyages aux quatre coins du monde nous offraient une armada de cessez-le-feu. Enfin éloignés de chez nous, la sérénité nous envahissait, recouvrant disputes et liaisons dangereuses sous les nouveaux arbres des forêts lointaines et dans le ventre des mers perdues. Lorsqu’on rentrait, la paix s’éternisait une semaine, comme les lèvres viennent aux lèvres s’unir. Puis un séisme soudain ou un putain de cyclone réapparaissait sans prévenir, comment faisaient les couples pour s’éteindre à petit feu, je n’en savais foutre rien. Sur les écrans du monde, ils se plaignaient de tout – la mort du désir, l’ennui éternel et leurs rêves disparus –, la peur était si moderne qu’ils se dissolvaient en flaques de trouille. Pour rien au monde, je n’aurais échangé leur vie avec la mienne, mais l’emprunter par moments aurait suffi à mon bonheur.

 

 

 

 

 

2

 

 

 

— Je comprends ta colère. Prêt à souffrir, je t’attendrai le temps qu’il faudra.

Je prends sa bouche, ouvre ses lèvres avec ma langue, touche celles du bas à travers sa petite robe bleue en soie de Chine à 19,90 € des Galeries Lafayette, elle ne porte pas de culotte. Ornella me repousse violemment.

— Arrête, putain ! C’est fini, stop, terminado, capito ? Je t’aime comme je respire, c’est plus au goût du jour. Je n’ai qu’une envie, celle de t’oublier. Lâche-moi une bonne fois pour toutes.

Je ne suis pas prêt du tout, je suis anéanti. Tripes à l’air après accident de voiture, impossible de désincarcérer la victime, bouts d’intestin pendouillant au-dessus des burnes. Je l’ai tant de fois humiliée que je n’aie droit à présent qu’à ce que je mérite : rien. Dans un baroud d’honneur des plus pathétiques, je lui crie que nos peaux sont faites du même derme, nos sangs ne sont qu’une seule et même rivière, nos sperme et cyprine la sève unique d’un arbre millénaire, etc. Elle ne répond pas et détourne la tête en soufflant. J’ai envie de pleurer, j’y arrive pas, mes mots ridicules devraient pourtant m’y aider.

— Pardonne-moi. Donne-moi une dernière chance. On sera bien, tu verras… À bientôt, j’espère.

L’inspiration s’est barrée en se foutant de ma gueule, je parle désormais, au choix, comme un SMS, une chanson de Bruel ou une song de RnB. Je me noie sous la pluie épaisse comme une trombe écossaise, les lumières de la ville éclaboussent les boulevards, les gens rentrent en courant chez eux, livides et trempés, sans trop savoir ce qu’ils regarderont à la télé en mangeant une boîte, drôles comme des chasses d’eau. Ils semblent parfois ensemble, mais il n’en est rien, ils sont terriblement seuls. Rien ne changera, le pire, c’est l’espoir. Croire que l’autre va améliorer le cours de votre vie, est-ce ça, l’amour ? Allez savoir, nous sommes si seuls qu’il ne nous reste que ça, espérer. L’espoir rend pourtant triste, il dessine les jours gravés dans le pire des silences, celui de l’humain seul. Pour retrouver d’la joie je me mets une claque mais rien ne bouge, ce que je vois autour s’assombrit, ça pue l’urine, ça empeste les égouts, une station d’épuration hors d’usage, ça empuantit mon fond de vie joyeux d’une eau saumâtre où j’aurais plongé cadavres et charognes en décomposition avancée, ça schlingue la vaseline suintant d’un cul démoli. Pris dans cette mare involontaire, presque asphyxié, putrescent, je suis le salaud de ces vieux films qui, à l’aune de la fin, rate la peau du héros et s’enfonce inexorablement dans des sables mouvants sans GPS. Tout ça à cause de l’espoir, aussi futile qu’inutile, à la reconquête de l’amour perdu, alors que je ne suis qu’un sombre connard qui a tout bousillé. Mais la boue, après tout, pourquoi pas.

 

 

 

 

 

3

 

 

 

Elle allait revoir Tommy, espérant juste qu’il n’allait pas fourrer ses doigts dans son con, encore plein du foutre de Peter la veille au soir. Ornella en était encore toute retournée, la prendre et la retourner, c’est ce que le type n’avait cessé de faire quelques heures auparavant, et revoir son ex dans ces conditions la laissait forcément dubitative. Elle ne voulait plus de lui, ils s’étaient tant de fois égarés dans leurs méandres amoureux qu’elle ne voyait aucune issue à leur amour fusionnel. Cet amour-lave, ils l’entretenaient depuis vingt ans, reclus dans leur volcan perpétuellement en activité, crachant leur amour à la gueule de tous, flamboyant vers le ciel puis brusquement s’écrasant au sol, s’épuisant dans un magma de situations inextricables qui les laissait chaque fois un peu plus exsangues et ravagés. Elle avait vécu dans sa peau, sa bouche, son sexe, sa langue, ses lèvres, son sperme, ses yeux, son odeur, ses cris, son espoir et son contraire, l’aimer comme on respire avait pris tout son sens durant ces années-là. Tommy avait toujours été sa quête, son Graal déglingué, mais n’en pouvant plus par la force des événements, elle avait décidé d’en terminer. De ne plus trembler s’il s’absentait, ne plus fondre s’il la regardait, ne plus pleurer s’il la quittait, ne plus mouiller s’il la touchait. Ornella aspirait à une sérénité inconnue, un nouveau temps sans nuisance ni destruction, elle ne voulait plus se cacher d’espérer une autre vie. Tommy lui avait donné plaisir et rides à volonté, elle avait tout pris sans réfléchir, plus un cairn de Lexomil et l’attirail du dégoût. Ses mensonges et ses tromperies, sa cyclothymie et sa lâcheté avaient pris une trop large place dans son existence, elle avait pourtant tout tenté afin de s’en défaire. Mais il était toujours là, funambule dansant et riant sur les débris de ce qui lui restait d’âme. Grand, charmeur comme une pute en manque de liquidités, il avait ce je-ne-sais-quoi qui fait qu’on a tout de suite envie de le baiser, ce qu’elle avait fait sur-le-champ. Dès lors leurs corps ne s’étaient jamais oubliés, en mémoire d’un langage propre à eux, tant leurs parties de jambes en l’air ou à géométrie variable puaient l’essence du désir, les flammes et la folie durables. Comme une chanson qui ne vous quitte plus dès le réveil, sans savoir pourquoi ni comment elle envahit votre journée jusqu’à la nuit tombée. L’emprise de Tommy semblait sans fin, sûr de sa mainmise dès qu’il débarquait, tel un océan entre deux vagues de ses doutes. Elle acceptait sans broncher et se laissait faire, non sans délectation d’ailleurs, jouissant et se taisant dans un éternel recommencement. Il était temps pour elle de reprendre le dessus : Ornella s’effondrait sans drame, un peu hors-jeu, hors circuit, elle voulait juste vivre à un autre étage du monde.

 

 

 

 

 

4

 

 

 

Après avoir quitté Ornella, Tommy rejoint Franck et Alec, impeccables amis de boisson, se soûler en point de mire lui semble parfait. Depuis que les trois acolytes se connaissent, ils fêtent leurs retrouvailles au rituel de la bouteille vide. Tout débute par une rapide mise à flot le temps des trois premiers verres, puis une lente mare d’euphorie recouvre leur mal de vivre du 4e au 7e. Ce n’est qu’ensuite qu’ils plongent vers cet énigmatique gouffre du buveur sans fin, en quête de ce message à l’intérieur de la bouteille sifflée qui jamais n’apparaît. Déçus, ils commandent alors une autre bouteille, et ainsi de suite, vérifiant ainsi qu’il n’y a toujours rien de cacher à l’intérieur. Ils se soûlent en riant jusqu’à la fermeture, puis ne sachant plus où sont garées leurs bagnoles, ils rentrent à pied vomir dans la maison du plus proche d’entre eux. Parfois bien sûr ils gerbent en chemin, réveillant les SDF qui les insultent gratuitement, eux-mêmes ayant déjà repeint les trottoirs quelques heures auparavant. Dans ces rues de la déchéance, Alec dévoile sa part du diable, bottant des culs à coups de Doc Martens dans les cartons étalés devant lui, tellement bourré qu’il ne voit pas sur qui il frappe, la plupart du temps dans l’air ou des couvertures inoccupées. Le lendemain n’est qu’une lente remontée vers le néant. Silencieux sous le bruit des crânes qui souffrent, ils s’inquiètent d’une nouvelle défaite de leur équipe favorite, l’abus total d’alcool leur offre en prime un cerveau de hooligan. Tristes comme des pierres, ils leur restent à retrouver leurs voitures, un PV accroché au pare-brise. Parfois ils marchent longtemps, les rues sentent l’urine, ils écrasent quelques merdes de chien mais la chance n’y est pour rien, et avant que le blues du pochtron ne les assaille, ils repartent picoler. Leur endroit favori est le Radis Grave. RG eut mieux convenu, tant il regorge de délateurs prêts à dénoncer le moindre type au commissariat tout proche. Si vous êtes artiste, homosexuel, drogué ou étranger – ou un peu de tout ça à la fois –, mieux vaut ne pas s’y pointer. Aucun charme particulier ne s’en dégage, bien au contraire. Les odeurs de friture y flottent sereines, des têtes d’anus puant s’invectivent, les patrons ramassent du verre brisé toutes les cinq minutes, mais une fois installés à l’intérieur, ils s’y sentent comme une giclée de pus quand on éclate un bouton d’acné : soulagés de voir au dehors bien pire qu’eux. Franck observe Tommy du coin de son œil droit et torve, ils viennent d’achever la quatrième bouteille de gin. Mi-amusé, mi-hagard, il regarde Tom insulter les gens qui ne mouftent pas ou peu, affalé sur le bar sale et collant, chemise verte et déchirée, verres cassés autour de lui, pieds dans l’alcool dégoulinant du comptoir.

— Tu sais quoi, Tommy ?

— … Non ?

— Cette vie me suffit.

Alec se repointe après avoir pissé, des gouttes mouillent son entrejambe. Il finit son verre et leur dit.

— On voit tout ici, c’est parfait. Seuls les courageux comme nous observent le monde. Ils comprennent que tout ce qui le compose, les dieux, les hommes, les femmes et tout le reste finiront mal. Personne ne sera sauvé.

Ils commandent une cinquième bouteille.

 

 

 

 

 

5

 

 

 

Le surlendemain, Tommy rencontra Elsa, une fille sauvage et foutrement laide. Mais comme elle voulait bien le sucer dans les chiottes de ce bar encore plus crade que le RG, et une bouche étant une bouche, il ne pouvait que s’incliner. C’est ce qui arriva : au lieu de s’exposer fièrement raide devant ses lèvres avinées mais gourmandes, sa bite tomba des nues et il ne banda point. Rien à faire, pas un soubresaut de virilité palpable. Il ne pensait plus qu’à Ornella, aucune autre ne l’excitait. Elle lui avait confisqué ce désir du diable au corps, celui qui disparaît parfois sans raison rejoindre les déboires de l’homme. Tommy clamait souvent aux gens, au gré de soirées plus décadentes les unes que les autres, qu’il fallait promulguer chaque année la bandaison obligatoire sans religion, et recommander la levrette les yeux tournés vers les étoiles. Il était certes soûl en criant ça, mais quand même convaincu que la planète cesserait de ferrailler grâce à la fornication universelle. Or, à cet instant précis, il ne bandait pas devant cette consentante créature genoux à terre, baignant dans la pisse de types trop bourrés pour viser le fond d’une cuvette Jacob Delafon à 113 euros. Tommy comprit en un instant pourquoi les impuissants tuent si souvent. Ses mains se posèrent sur les cheveux noirs et sales, puis se dirigèrent vers la nuque recouverte d’un gras suspect. Ses pouces s’enroulèrent autour de la glotte vierge de son foutre et il serra lentement, envisageant à cet instant un inattendu dénouement. Les yeux étonnés et apeurés de la fille se levèrent d’un coup vers son visage, elle mordit aussitôt sa queue toujours aussi molle, la douleur vrilla son cerveau, sa tête explosa au lieu de sa bite, Tommy tira sur les cheveux de la créature qui lâcha prise, il glissa et tomba comme une merde dans les flaques d’urine, la fille lui cracha dessus avant de claquer la porte. Avant de sombrer dans le coma, la dernière pensée de Tom fut de se dire qu’il avait salement touché le fond.

 

 

 

 

 

6

 

 

 

Ma voiture ne démarrait plus, je venais à peine de le revoir et déjà j’étais en panne. Coïncidence ou pas, à son contact, la déveine me poursuivait, il me fallait définitivement changer de route. Il est vrai que les derniers temps passés ensemble ne ressemblaient plus à grand-chose, ces bouts de bonheur que l’on partageait autrefois avaient disparu sans prévenir. Il me fallait rebondir et partir ailleurs, même si ce début de millénaire me mettait sacrément en rogne. Lors d’une fête ou au bistrot du coin, quand j’affirmais qu’il y avait autre chose que le fric dans ce monde, l’on me traitait en ricanant de petite gouine communiste. Les jeunes pensaient marques, frime et marketing-salope, les vieux à leur retraite et à l’insécurité. Au milieu on découvrait la guerre de tranchées des chefaillons : écraser son collègue ou lui piquer sa place, posséder la plus belle voiture en plastique à 50 000 à crédit, baiser le plus de femmes ou se taper le plus de bites, même en payant, rêver d’un jackpot en Bourse, spéculer sur les matières premières dès que les pauvres en manquaient, je pourrais en parler des heures mais j’avais une bagnole en panne. Toujours rien, à part un bruit suspect, ça couine quand je tourne la clé. J’interpelle deux gars qui passent par là. Je leur explique brièvement mon problème et, tout en me reluquant, ils acceptent de pousser ma caisse, heureusement garée en pente douce. Je remets le contact, débraie, passe la troisième, espérant redémarrer avec un peu de vitesse. Arrivée au bas de la descente, je relâche l’embrayage sèchement, la voiture hoquette, le moteur me fait croire qu’il va s’y coller, rit un bon coup et cesse à nouveau toute activité. Salope de caisse de merde de pute de ta mère. Un des types s’approche et me dit de prendre à droite où s’amorce une pente plus prononcée. Même très énervée, je l’écoute, décidée à repartir au plus vite. La voiture prend rapidement de la vitesse, je ne vois presque plus les devantures, les magasins ferment, la pluie redouble, les gens commencent à courir pour rentrer chez eux, même s’ils savent que personne ne les attend. Je vois une ombre passer devant le capot, je pile trop tard. J’entends un léger bruit, celui d’une feuille de papier qu’on écrase entre les mains lorsqu’on écrit n’importe quoi. Je découvre le chat qui fait deux pas, il vacille et s’étale sur la chaussée trempée, un peu de sang coule de sa bouche. Il est blanc, aussi beau que mort, étalé de tout son long, je le ramasse et le dépose sur un bout de trottoir. Je suis tellement énervée qu’il m’aurait fallu tuer Tom pour retrouver un semblant de calme.

 

 

 

 

 

7

 

 

 

Le patron m’a traîné jusqu’à l’arrière-salle au milieu des bouteilles vides empilées, certaines ont leur goulot brisé. J’ai encore mal, mais la créature n’a pas trop mordu dans ma bite, je m’en sors plutôt bien. Je fume dans le noir, amer et silencieux. Les mots sans bruit, les maux et leur cri, le baiser, la baiser, étrange langue que la nôtre, celle qui se love autour de l’autre, celle qui s’enfonce au cul des autres. Ai-je au moins des regrets concernant Ornella ? Je ne pense pas. On ne regrette pas les personnes qu’on a aimées, ce n’est qu’une partie de nous qui s’en va avec elles qu’on regrette. Je rentre chez moi, novembre arrive, d’une tristesse froide, je me dois de sourire davantage. Sur le rebord de la fenêtre, la vie est toujours là, je m’y assois avec un soleil dans la main. Bouche bée face au ciel, ouverte pour celle dont je rêve, que je cause, redemandant de son effroi brûlant. Il me faut décrocher sa lune avant de partir, puis marcher droit entre les murs, face au temps. Incapable de survivre sans elle, il me faut entrer dans son palais de sang, au milieu des dents qui cognent, de nos salives amères, à l’envers des yeux, avaler l’ourlet de ses lèvres, l’ouverture éclair de sa bouche, la piqûre de sa langue, notre amour décousu. Pourquoi ne suis-je pas atrocement triste ? Parce que je continue à voir la beauté partout. Si je sombre, je ne pourrais plus me promener le soir à poil sur la plage, aller au ciné-club voir de vieux films cent fois déjà vus, je ne verrais plus les amandiers qui fleurissent dès janvier, près des putains qui s’offrent à Barcelone en plein hiver. Les gens autour de moi sont beaux comme la voix de Ian McCulloch.

— Comment vas-tu ? me diront les gens. Mourant, mais pas encore mort. Je me dois de continuer. Le silence, c’est l’amour des mots sans bruit. Alors chut ! Décrocher sa lune avant de partir, et l’aimer jusqu’à plus soif.