Jusqu’au bout de l’espoir - Abdoul Aziz Gning - E-Book

Jusqu’au bout de l’espoir E-Book

Abdoul Aziz Gning

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Beschreibung

"Jusqu’au bout de l’espoir – Vaincre l’immigration clandestine" explore avec une perspective pleine d’espoir la question complexe de l’immigration clandestine, en démontrant que le succès trouve ses fondations dans les racines locales. Mapathé, personnage à l’esprit visionnaire et à la détermination inébranlable, parvient à faire de Sintiane un village florissant et ouvert sur le monde. Face aux défis démographiques, sécuritaires et culturels, cet ancien migrant propose une charte novatrice qui divise profondément la population. Alors que les dissensions s’intensifient, l’intervention du sous-préfet restaure un équilibre précaire. Mais cette stabilité saura-t-elle résister aux tensions grandissantes ? L’avenir du vivre-ensemble à Sintiane reste incertain, laissant planer des interrogations sur le destin du village.


À PROPOS DE L'AUTEUR 

Abdoul Aziz Gning, ancien professeur de lettres, diplômé en lettres classiques et modernes de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, est aujourd’hui consultant en techniques d’expression et de communication. Il se consacre à l’écriture et à la réflexion sur l’avenir de l’Afrique, cherchant à libérer le roman africain des modèles traditionnels. Son œuvre reflète cette ambition avec un style libre, imprégné du français d’Afrique de l’Ouest.

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Seitenzahl: 257

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Abdoul Aziz Gning

Jusqu’au bout de l’espoir

Vaincre l’immigration clandestine

Roman

© Lys Bleu Éditions – Abdoul Aziz Gning

ISBN : 979-10-422-5159-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mes défunts parents, surtout ma mère Theo Faye,

À mes frères et sœurs,

À Mon épouse, mes enfants et petits-enfants,

À mes collègues des lycées Charles de Gaulle de Saint-Louis

et Lamine Gueye (ex-Van Vollenhoven de Dakar),

À tous les professeurs du Cem El hadji Mamadou Ndiaye,

les chefs d’établissements et inspecteurs de L’IEF des Almadies,

À mes amis et collègues des instituts professionnels de Dakar,

surtout M. Pierre Tissera,

Mes amis d’enfance de Kaolack,

Et à tous les porteurs de projets, les frères panafricanistes,

Je dédie ce roman.

Première partie

Le retour de Mapathé

Un rideau de brouillard se retirait progressivement à la faveur du jour naissant et Sintiane, village natal de Mapathé, facile d’accès par ses nombreuses pistes conduisant à des champs étendus à perte de vue, apparaissait.

Une route principale que les habitants appellent la Nationale le sépare d’un fleuve majestueux, territoire d’un hippopotame géant redouté pour ses attaques meurtrières.

Totem du village ou simple animal ? Personne ne saurait justifier la présence de l’animal. De toute façon, il est toujours là, parfois il est de bonne humeur et les pécheurs peuvent se livrer à leurs activités.

Sintiane est un village qui s’anime progressivement le matin. Une à une, les concessions s’ouvrent. On entend l’agitation des poules qui s’ébrouent, des chèvres en divagation de même que des porcs venant d’une maison voisine à la recherche de reliques à grignoter.

Des voix s’élèvent dans l’air ; des salutations entre voisins qui vont et viennent. Des grelots de charrettes prêtes à aller aux champs distants de quelques kilomètres du village se font entendre. Des travailleurs saisonniers en file indienne apparaissent, instruments de travail à la main ; ils vont à l’assaut des champs pour un travail ponctuel s’ils ne sont pas recrutés par un propriétaire terrien ou un agriculteur aisé.

À Sintiane, un incident ne passe pas inaperçu. Ainsi, ce matin, une moto est passée en trombe écrasant un chien qui hurlait si fort que tout le monde se retourna pour voir l’animal.

La moto ensuite finit sa course dans un tas de sable. Son conducteur se retrouva à terre et se releva sous le regard médusé des passants. Des enfants s’approchèrent en toute curiosité, éclatèrent de rire et semblaient prendre plaisir au spectacle.

Le village s’anime si facilement qu’un rien crée même du spectacle.

D’autres faits banals agrémentent aussi le quotidien des villageois : la course à vélo organisée par les jeunes, le rassemblement de tous les chiens sur la place du village pour le grand départ à la chasse à courre fixé toujours à dix-sept heures, après la prière.

Parfois, on assiste à un combat de coqs très suivi par des gens désœuvrés un moment, ou bien c’est le spectacle de plusieurs ânes qui s’envoient des coups de patte à la poursuite d’une ânesse qui refuse de s’accoupler. Plus loin, un berger muni d’un bâton peine à faire avancer ses bœufs.

Sintiane par son décor et son ambiance donne l’image de ces villages africains attrayants que les touristes aiment visiter avec plaisir.

Tous les deux jours, l’attraction du village est l’embarquement des voyageurs dans le bus-horaire en partance pour la ville. Sous un grand fromager surplombant les cases alentour, des villageois, les yeux rouges de sommeil, s’affairent à disposer leurs bagages, aidés par un jeune apprenti.

Ces villageois apparemment n’ont pas bien dormi car, inscrits depuis la veille à minuit, ils craignaient de rater le départ fixé toujours à sept heures trente minutes. De plus, le chauffeur du bus ne leur fait aucune concession.

Celui-ci, obèse et effronté, est d’un tempérament agressif. Sa violence verbale n’épargne ni son apprenti ni les voyageurs, quel que soit leur âge. Ainsi, pour faire face à une telle impolitesse, les voyageurs ne cessent de le menacer et lancent même l’idée de boycotter le bus du village.

Aujourd’hui il y a un départ pour la ville.

Après avoir mis en marche le moteur du véhicule, le chauffeur lance à tout le monde :

— J’espère que tous les voyageurs sont en place. On s’en va, dit-il dans la précipitation, sans tenir compte de l’avis des autres.

La lenteur des personnes du troisième âge, la lourdeur et la nonchalance des femmes obèses, il n’en a cure.

Le bus part en force, crachant des volutes de fumée aux alentours et disparaît.

Dans la maison d’en face, une porte s’ouvre. Une femme âgée d’environ soixante-cinq ans s’avance, bouilloire à la main gauche et chapelet à la main droite. Après avoir versé un peu d’eau devant la porte, elle prononce quelques incantations avant de venir s’asseoir au milieu de la cour sur un escabeau.

Sa fille lui apporte à manger avant de rejoindre l’enclos des animaux domestiques derrière la case principale : des chèvres, des moutons et même un âne attaché à distance des autres bêtes.

La fille leur présente du mil mêlé à du maïs, du foin et de l’eau propre. Sa mère tient à ce qu’elle change l’eau de la veille et maintienne l’enclos toujours propre.

Cette vieille femme s’appelle mère Faya, une veuve dont le mari a participé à la guerre 1939/1945.

Celui-ci, se rappelle-t-elle pour s’en désoler, a réclamé jusqu’à sa mort une pension digne d’un ancien combattant comme ses frères d’armes de la métropole.

Mère Faya, malgré les difficultés liées à son petit commerce, se débrouille pour survivre. Elle a une famille composée de trois filles et de deux garçons.

Astou est la fille aînée et elle a choisi de troquer ses robes et pantalons contre des habits amples et un voile arabe, depuis qu’elle a abandonné l’école française pour aider sa mère. Elle s’est finalement mariée à un homme qui habitait avec elle dans la maison de ses parents. Son homme est un cultivateur.

Sa sœur Coumba rêve de quitter le village, fascinée par le mode de vie des jeunes filles citadines. En plus, elle réfléchit chaque jour à la suite à donner à ses études après le cycle moyen.

Elle aime se moquer de sa sœur et dit qu’elle ne l’envie pas avec son mari analphabète et ses mœurs paysannes. Et pour ne pas s’en offusquer, Astou éclate de rire souvent.

Trois grands absents de la famille manquent à mère Faya : Mapathé l’émigré, Coura partie en ville chercher du travail et Modou, le talibé confié à un maître coranique.

Ils ont deux oncles : l’un, tonton Badara, travaille à la capitale Karad, l’autre habite dans une concession voisine et s’appelle Doudou. Avec plusieurs femmes et un bataillon d’enfants, il traîne sa famille nombreuse comme un boulet.

Chaque jour à l’heure du repas, on dirait qu’il se passe quelque chose chez lui, vu le nombre de personnes qui s’agitent autour des récipients remplis de nourriture souvent de mauvaise qualité.

Le contraste était frappant quand ce polygame s’installa un soir pour dîner : vêtu d’un sous-vêtement laissant apparaître un ventre bedonnant que ses enfants apercevaient sans oser rire. Tonton Doudou, comme l’appelaient ses neveux, s’empiffrait de mets délicieux que ses femmes savaient préparer en secret. Sa progéniture, attirée par l’odeur agréable, tardait à aller regarder les téléfilms ou à aller apprendre ses leçons, espérant grignoter quelques restes, souvent la carcasse désarticulée d’un poulet rôti.

Apparemment, ses enfants l’importunaient et il cherchait toujours le bon moment, la quiétude pour manger seul. Ainsi, pour terminer son repas un jour, il avait demandé à sa deuxième épouse d’écarter les plus jeunes qui, disait-il, étaient les plus agaçants. Comme pour chasser des mouches, il faisait des gestes à lui couper l’appétit. Et comble de malheur, il renversa son plat par inadvertance ; les enfants alertés par l’exclamation de leur géniteur et le bruit du récipient revinrent à la charge et s’arrachèrent les morceaux de viande tombés par terre. Sans réagir cette fois à leur assaut, il ouvrait de grands yeux en disant : « C’est leur chance ! » Ses femmes attirées par la scène ne pouvaient que constater, impuissantes, ce qui arriva à leur mari.

Tonton Doudou est chargé dans la famille de récupérer pour Mapathé l’émigré les mandats destinés à des opportunités d’investissements au pays et aux besoins de la famille.

Mapathé, diplômé de l’enseignement supérieur, a choisi de tenter sa chance dans l’aventure comme tous les jeunes en mal de patience. Son frère Modou, quant à lui, passait ses humanités auprès d’un maître coranique installé dans un village voisin. Et depuis son plus jeune âge, il était au service de ce maître coranique.

Des voisins qui revenaient de ce village communiquaient souvent des informations à son sujet : il était triste, mal nourri, les yeux rouges sûrement par manque de sommeil et de repos. Il pleurait en solitude, ravagé par l’éloignement d’avec ses parents.

Sa mère surtout lui manquait beaucoup et il demandait avec insistance ses nouvelles aux villageois qu’il rencontrait par hasard. Modou semblait envier discrètement les enfants de son maître coranique qui ne subissaient aucun mauvais traitement et avaient le privilège d’avoir leurs parents à leurs côtés pour être couvés et choyés. Ainsi, privé d’interlocuteur et de confident pour le réconforter, ne voyant que le maître coranique depuis qu’il a été placé en études, Modou avait fait de son maître son père et il l’appelait Papa.

Les nouvelles de sa mère ne lui parvenaient presque pas puisqu’elle avait dit au maître coranique qu’il avait droit de vie et de mort sur son enfant. Cette phrase sonnait dans les oreilles du garçon comme une démission de sa mère, et il avait raison de penser malgré son jeune âge qu’il ne pourrait échapper à toute sorte de mauvais traitement.

Modou désemparé s’était donc résigné à son sort. Mais avec le temps ses pensées devenaient profondes, moins puériles. Il lui arrivait de sillonner les rues du village, mal réveillé, pieds nus, le ventre vide, à la recherche de nourriture et d’argent, l’escarcelle à la main. Son emploi du temps se résumait à la mémorisation et à la mendicité. Jamais il n’avait le temps, lui et ses condisciples, d’apprendre de leur maître les bonnes habitudes car ils étaient confiés à un adulte responsabilisé par un maître coranique assez distant d’eux, qui les exploitait et les martyrisait.

Modou et ses condisciples devaient verser chaque jour un montant fixé par le maître coranique dont les enfants eux ne devaient aucunement mendier ; ils incarnaient le maître coranique malgré leur jeune âge, même s’ils recevaient ensemble les mêmes leçons ; ils étaient donc considérés comme supérieurs par leur rang aux autres enfants.

Modou réfléchissait souvent à son départ de ce foyer ardent. Il se demandait souvent quand sa mère viendrait le récupérer enfin pour qu’il aille apprendre un métier et fonder plus tard un foyer comme tout le monde. Ses condisciples se moquaient de lui et le trouvaient précoce pour de telles idées ; ils se mettaient à rire.

Malgré tout, il faisait preuve de résilience et ne cédait pas à l’amertume au fur et à mesure qu’il réfléchissait à sa situation.

Un jour, Modou fut témoin d’une scène qui le fit pleurer : une vieille dame qui avait l’âge de sa mère, révoltée, était venue récupérer son enfant pour maltraitance. Et il se disait, avant que la dame ne quitte les lieux : « Qu’attend ma mère pour venir me chercher moi aussi ? »

Il avait suivi avec les autres talibés l’échange de propos violents entre la dame et le maître coranique. Tous regrettaient de ne pouvoir appeler leurs parents directement pour raconter leur calvaire quotidien dans cette école coranique ; ils ne pensaient qu’à rentrer définitivement chez eux.

Leur bourreau était un jeune maître coranique, l’adjoint au maître des lieux.

Il était chargé de rédiger les textes sur les tablettes au fur et à mesure que les disciples progressaient dans la mémorisation du texte coranique.

Très sévère, il n’hésitait pas à sévir avec une chicotte redoutée des potaches. Quand il remarquait une velléité d’insoumission ou bien un cas de fugue, il donnait l’ordre de ligoter le fautif et de le priver de récréation. Quelques heures après pleuvaient sur l’enfant les coups et les injures.

Cette situation insupportable avait semé dans l’esprit des gamins les graines d’une révolte imminente car tous souffraient plus qu’ils n’apprenaient. C’était le silence complet sur ces exactions que personne ne pouvait ébruiter pour sauver ces enfants.

Modou avait ces souvenirs en tête comme les empreintes de la chicotte sur son corps. Néanmoins, il gardait toujours espoir. Personne au village ne pouvait s’imaginer ce qu’il subissait.

Pendant que son fils souffrait au loin, mère Faya ne pouvait pas s’imaginer que le maître coranique à qui elle faisait entière confiance plaçait son enfant dans une situation infernale. Son esprit était ailleurs, elle avait d’autres préoccupations relatives à son petit commerce ou au retour de son fils immigré clandestin, Mapathé.

Une bonne nouvelle vint de la métropole un jour concernant les anciens combattants : en effet les revendications de tous les vétérans de la guerre avaient prospéré et des sommes importantes devaient leur être versées en plus de la revalorisation de la pension d’ancien combattant.

Mère Faya qui avait reçu au village la notification se posait plusieurs questions :

« Moi analphabète, comment ferais-je pour récupérer de tels fonds ? Je ne suis pas une habituée de la ville. Pourrais-je faire mes déplacements seule ? Que faire pour éviter les agresseurs, les pickpockets prompts à vous arracher le sac ou à vous attirer dans un guet-apens ? Une fois revenue au village, pourrais-je échapper à l’assaut des envieux, des misérables et des truands comme mon frère Doudou dont les agissements comme courtier sont connus de tous ? »

Mère Faya qui ne comptait pas bouger du village manquait terriblement d’interlocuteur digne de confiance pour l’aider à recouvrer les sommes envoyées à son défunt mari. Et pendant qu’elle y réfléchissait, l’idée lui vint de chercher le numéro d’Assane, le fils d’une voisine qui est avocat en ville. Sa fille Coumba s’en chargea, elle qui était dans les secrets de sa vieille mère.

L’idée de mère Faya prospéra, et de leur conversation avec Assane il ressortait qu’il les aiderait à récupérer les fonds et à les domicilier dans une institution financière d’épargne et de crédit qui pourrait offrir à la vieille dame des opportunités pour son commerce de détail et autres dans le village.

En vérité, mère Faya avait ses raisons de ne pas parler d’argent à son frère qu’elle connaissait bien. Selon elle, nos vrais obstacles au bonheur sont souvent nos proches. Et si on a le malheur d’avoir un parent négatif, il faudra faire preuve de beaucoup de prudence. En effet, comment peut-on faire confiance à un proche qui a des rapports troubles avec l’argent ? Peut-on prospérer, garder la dignité familiale avec des gens comme Doudou qui se dit courtier et dont la boulimie foncière le pousse à vendre des terrains sans passer par un notaire, à s’attirer tous les ennuis financiers pour satisfaire les besoins de plusieurs femmes qui compétissent à la maternité ?

Une fois retirée dans sa chambre, mère Faya était déjà tout heureuse à l’idée de réaliser ses projets, malgré sa vieillesse ; elle rendait grâce au Tout-Puissant d’avoir drainé autant d’argent vers elle. Son commerce connaîtrait enfin un sursaut notable et ses enfants atteindraient la prospérité, pour peu qu’ils sachent faire preuve de prudence, d’organisation, d’intelligence financière.

Un soir, Assane qui était venu passer un long week-end au village toqua à la porte de la vieille dame. Elle ouvrit et tomba sur un visage juvénile qui lui souriait.

— Assane, s’écria-t-elle. Entre, bismillah ! fais comme chez toi. Tu es venu voir ta maman. Assois-toi, mon fils.

Assane dit merci et prit place à côté d’elle. Leur entretien débuta.

C’était une occasion véritable pour mère Faya d’exposer toutes ses préoccupations de vieille femme veuve sans grands moyens au village : ses filles se débrouillent avec ou sans mari, ses deux garçons l’ont quittée, l’un est parti pour une immigration clandestine et le second est confié à un maître coranique pour des études dont elle ne saurait fixer le terme.

En plus, elle ne peut pas compter sur un frère polygame vivant au-dessus de ses moyens et manquant d’ambition.

En accueillant Assane comme son fils, elle lui dit qu’elle était rassurée, sa présence lui donnait grand plaisir en attendant le retour de ses fils qu’elle aurait aimés lui présenter comme ses frères.

Assane écoutait avec beaucoup de respect la vieille dame et avant de la quitter, il lui promit le recouvrement sans délai des sommes déjà disponibles aux services de l’ambassade. Tout dépendrait d’elle, qu’elle fasse le déplacement en ville ou que le service comptable accepte une procuration, il l’accompagnerait jusqu’à la domiciliation de ses fonds dans un compte à elle.

Comme la vieille dame était impressionnée par le mot procuration, Assane prit quelques minutes pour l’expliquer en tant que juriste, tout en lui vantant les avantages, la sécurité à placer les fonds récupérés dans un compte d’épargne et éviter l’imprudence des ruraux qui font de leur troupeau de bœufs leur compte de dépôts à vue, s’ils ne gardent pas leur avoir sous le lit.

La vieille était rassurée et apparemment contente. Elle ne cessait de remercier Assane en lui serrant longuement la main. Et celui-ci, avant de s’éclipser, sollicita ses prières.

Ce problème réglé, mère Faya était face à un autre ; elle ne dormait plus profondément car d’un moment à l’autre Mapathé, son fils émigré, pourrait débarquer au village et réclamer à son oncle Doudou tous les fonds qu’il avait envoyés pour investir au pays et préparer son retour.

Elle voyait donc venir un problème familial, un séisme qui emporterait toute la sérénité, toute la réputation de la famille que le chef, son défunt mari, avait construite de manière exemplaire jusqu’à sa mort. Ce dernier jouissait en effet de la totale considération des villageois. Et il serait regrettable que tout cela parte en fumée. Cette situation jetterait définitivement, l’opprobre sur la famille.

Ainsi, lasse d’attendre la réaction de l’oncle Doudou, elle le convoqua chez elle pour un entretien.

Une heure après, celui-ci qui n’habitait pas loin ne tarda pas à toquer à la porte.

— Entrez, bismillah, dit une voix de l’intérieur.

La vieille dame le reçut dans sa chambre, une pièce modeste où il y avait un ameublement assez sobre ; un petit téléviseur fonctionnant à l’énergie solaire diffusait les images de l’actualité du jour.

Doudou prit place et son attention semblait captée plus par l’actualité que par ce qui pourrait être l’objet de sa convocation chez sa sœur. Celle-ci d’ailleurs prit la parole la première.

— Tu sais pourquoi je t’ai convoqué ici aujourd’hui. L’heure est grave, Doudou. Ton neveu Mapathé a annoncé son retour imminent et je ne sais pas si tu as gardé l’argent qu’il t’envoyait ou bien si tu l’as investi comme il le voulait. Je suis vraiment stressée à l’instant même.

Ton nom a assez circulé dans le village à tort ou à raison pour des histoires de terrains ou d’argent et si une dispute éclate dans la famille à propos d’argent encore, ce sera la catastrophe. Tu quitteras à jamais le village et notre réputation sera ternie ad vitam aeternam. J’ai vu en songe un nuage s’abattre sur la famille, une division nous éloigner les uns des autres, rien que pour de l’argent, ce démon des temps modernes. Que le Tout-Puissant nous en garde.

Je viens de faire des sacrifices à ce sujet pour conjurer le malheur. Combien as-tu reçu de ton neveu ? Qu’en as-tu fait ? Dis-moi la vérité avant qu’il ne soit trop tard, on est en famille et il n’y a rien à cacher.

Doudou, après avoir entendu les paroles tranchantes de sa sœur, répondit :

— Ma sœur, je vous ai comprise. Il est vrai que mon neveu m’envoyait de l’argent pour préparer son retour, mais les difficultés de la vie sont telles que je n’ai pas résisté à la tentation de l’utiliser pour entretenir mes femmes et mes nombreux enfants. Et en plus je devais de l’argent à quelqu’un.

Je reconnais ici avoir menti à mon neveu en lui envoyant des photos de maisons en construction ou achevées, d’un commerce multiservices, rien que pour le rassurer. Mais voilà que je suis à découvert. J’ai mal agi et je le reconnais. Je crois pouvoir trouver compréhension auprès de toi, ma sœur, pour plaider ma cause puisque le linge sale se lave en famille.

Je comptais sur une parcelle à vendre pour rembourser mes emprunts, mais malheureusement j’ai perdu la confiance des villageois. Je pense que je suis victime d’une cabale de voisins envieux. Un marabout m’a même confirmé cela. Et il me faut un vrai bain mystique pour me nettoyer et relancer mes activités bloquées.

— Je ne te crois pas, Doudou, reprit sa sœur. Tes arguments sont légers et tu regretteras tes actes. De toute façon, je ne suis pas prête à t’aider avec mes économies pour deux raisons :

D’abord, tu es polygame au village et tu n’as pas voulu exploiter la terre avec ta nombreuse famille qui est naturellement une source inestimable de main-d’œuvre pour toi. Les polygames au village ne doivent pas se plaindre ; ils ont la semence, la pluie, la main-d’œuvre et même le crédit des usuriers en période de soudure. En plus, au village, la vie est simple et naturelle, contrairement à la ville où les gens sont plutôt des consommateurs, des gens toujours tendus et pressés, souvent endettés et à la recherche de l’argent facile.

Toi, tu ne peux pas être comme ces gens qui veulent vivre aisément sans effort ; ton père ne t’a pas éduqué de la sorte. Ressaisis-toi pour changer et progresser comme les gens responsables du village.

D’autre part, tout l’argent que tu gagnes avec la vente des terrains en tant que courtier, ta pension d’agent vétérinaire à la retraite, tout cela tu le consommes sans me regarder, sans savoir si je mange ou pas. Tu as agi comme le poussin égoïste qui s’éloigne de la mère poule et de sa fratrie dès qu’il tombe sur un insecte ou une graine douce à consommer. Je ne sais même plus quoi te dire. Tu es pire qu’un poussin. Tu es comme le rat des champs, un rat qui sort de son trou après avoir thésaurisé et consommé tout ce qu’il a soutiré aux autres. Maintenant que tu es fauché comme un rat d’église, débrouille-toi.

— Ma sœur, ne dis pas ça, reprit Doudou. J’ai appris qu’un avocat t’a apporté de l’argent. Je sais tout. De toute façon, tes comparaisons ne sont pas justes et ne me conviennent pas. Je ne suis ni un poussin égoïste ni un rat opportuniste. Je reconnais avoir détourné l’argent de mon neveu mais sache que l’argent du fils est l’argent du père et vice versa. Je m’attendais même à ce que mon neveu m’amène aux lieux saints de l’Islam. Ainsi si je dépense son argent, normalement personne ne devrait nous entendre. Présentement, je veux bien rembourser mais je suis bloqué. Qu’on me donne le temps de me refaire pour tout régler. Dans la vie, ma sœur, il faut savoir pardonner, comprendre ceux qui sont en situation difficile.

— Rentre chez toi, tu ne me convaincs pas. Et puis prépare la réponse à servir à ton neveu qui ne tardera pas à rentrer puisque l’État promet le rapatriement de tous les immigrés en difficulté, conclut mère Faya.

Tonton Doudou excédé par les paroles de sa sœur ne voulut pas attendre le manger qui devait être servi. Il ne savait pas quoi dire et cherchait à quitter les lieux, les yeux rouges de colère.

Il était treize heures trente minutes quand son fils cadet vint le chercher pour le déjeuner. Il était donc obligé de partir.

Une fois son frère parti, mère Faya ralluma son poste de téléviseur et suivit pendant trente minutes l’actualité du jour. Une information tomba comme pour confirmer ce qu’elle disait : « La première vague d’immigrés rapatriés est arrivée ce jour. Une deuxième suivra les jours à venir. »

Sa joie se mêla de crainte ; enfin son fils reviendra au pays.

Qu’adviendrait-il si Mapathé trouvait que rien n’a changé pour lui, que tous ses espoirs, tous ses projets se sont volatilisés à cause de son oncle ?

La bonne vieille dame se faisait assurément des soucis à en perdre l’appétit.

Le lendemain, à midi passé de quelques minutes, Mapathé débarqua, sac au dos, des fruits à la main droite pour sa vieille mère. Le rapatriement précipité n’avait pas autorisé beaucoup de bagages dans l’avion pour les immigrés.

Dans le voisinage l’arrivée de Mapathé passa inaperçue. Rien en lui ne laissait apparaître ce semblant de richesses qu’affichent toujours ceux qui viennent de l’étranger ou de la ville.

Après tout, Mapathé ne cherchait à impressionner personne. Il voulait rentrer chez lui sans tambour ni trompette. Ainsi après avoir salué tout le monde, il pénétra dans la chambre de sa mère, déposa ses affaires et s’informa longuement des nouvelles de chacun avant d’observer une pause. Mère Faya n’était pas loin, semblait-il. Et Mapathé n’insista pas pour la voir. Il connaît les habitudes de sa mère ; en toute chose, elle prend son temps.

Quand elle sortit des toilettes, sa surprise de voir enfin son fils fut grande et agréable. Elle rendit grâce au Tout-Puissant et s’installa sur son lit face à son fils assis sur un tabouret.

Entre deux questions de sa mère, Mapathé demanda à boire. Sa sœur s’en chargea rapidement avant de venir partager l’instant agréable des retrouvailles. C’était pour mère Faya et sa fille la fin d’un cauchemar, tant les informations au sujet de l’immigration clandestine étaient époustouflantes.

La conversation libre et détendue que Mapathé a eue avec sa mère dura plus de deux heures durant lesquelles tous les sujets furent abordés. C’était l’occasion pour sa mère de rappeler tous les projets qu’elle souhaitait voir réaliser par son fils ; investir dans des actifs rentables et surtout se marier, car le célibat de longue durée pervertit l’homme. Il faut fonder un foyer, et le plus tôt serait le mieux.

Pour elle, les jeunes ne réalisent pas trop l’avantage de se marier tôt.

Par la suite, elle revint sur la question des investissements et s’embrouillait dans ses explications quand elle parlait des réalisations de son frère Doudou. Le doute envahit l’esprit de Mapathé aussitôt. Écarquillant les yeux, il demanda furtivement les nouvelles de son oncle pour ne pas embarrasser sa mère dans des détails ou susciter déjà la polémique, le moment étant aux retrouvailles. Malgré tout, sa mère était dans l’embarras.

Mapathé avait beau comprimer ses inquiétudes quant à d’éventuels agissements de son oncle Doudou, il ne pouvait s’empêcher de dire ouvertement à sa mère qu’il avait peur quand il envoyait ses fonds directement à son oncle ; il se disait à un moment donné qu’il avait manqué de prudence peut-être, car l’argent étant ce que l’on sait, il serait naïf de croire retrouver intact l’argent confié à un déficitaire comme l’oncle Doudou. Doit-on confier une chèvre à une hyène ? Rien n’est moins sûr.

Il se disait qu’il y avait sûrement un problème ; soit son oncle n’a rien réalisé pour avoir détourné l’argent qu’il lui envoyait, soit sa mère n’était pas suffisamment informée de ses transactions risquées pour l’en dissuader.

Mapathé avait donc hâte de voir son oncle pour en avoir le cœur net. Il but un verre d’eau et se tut un instant avant de dire à sa mère son intention d’aller voir son oncle après le dîner.

Mapathé et sa mère abordèrent d’autres sujets tels que les décès de voisins ou de parents, les baptêmes et les mariages, l’autosuffisance alimentaire et la précarité toujours actuelle, le pouvoir d’achat des travailleurs et des chefs de famille, etc.

Quand après le dîner Mapathé se rendit chez son oncle, il le trouva étendu sur une natte, en train de se faire masser par une de ses épouses, sûrement la plus jeune. Ses enfants se partageaient un bol de riz bouilli au lait caillé. À côté, une marmite était posée sur un fourneau rempli de braises ardentes et laissait s’échapper par moment l’odeur agréable d’une soupe à la viande. C’était le dîner de tonton Doudou que surveillait sa troisième épouse.

Surpris par l’arrivée inopinée de son neveu, l’oncle Doudou dit à son épouse d’arrêter le massage et de lui passer un habit léger. Il s’adressa ensuite à Mapathé qu’il présenta à la famille.

— Mapathé, quel plaisir de te revoir ! Prends place et sois le bienvenu. La famille, venez saluer mon neveu. Quelle agréable surprise tu nous fais, Mapathé !

Toutes les tantes, tous les enfants se présentèrent pour des salutations au neveu, au cousin revenu de loin après une longue absence. Rapidement, toute la famille se retrouva dans la cour. On apporta de l’eau fraîche et un tabouret à Mapathé.

Puis la plus âgée des épouses de son oncle, au nom de toutes les autres, échangea avec lui pour traduire les soucis de la famille à son absence, puis le soulagement de le recevoir sain et sauf.

— Comment vas-tu, Mapathé ? Tu nous as beaucoup manqué. Nous rendons grâce au Tout-Puissant que tu sois revenu en bonne santé parmi nous. On a beaucoup appris sur l’immigration clandestine à travers la presse et les informations, les commentaires les plus invraisemblables circulaient à ce sujet. C’est pourquoi l’État a réagi par communiqué pour rassurer les familles. J’imagine que ton séjour en Occident et avant au pays des Berbères où tu as pu transiter n’a pas été du tout facile. Nous rendons grâce encore au Tout-Puissant. Sois le bienvenu.
— Alhamdoulilah, je suis arrivé dans de bonnes conditions. Merci beaucoup, ma tante, pour les soucis que vous vous êtes faits, les prières pour mon retour ont été exaucées, répondit Mapathé.

Après ces mots de bienvenue, les femmes et leurs enfants se retirèrent dans leurs chambres respectives, laissant Mapathé et son oncle seuls continuer leur conversation.

Au début Mapathé n’abordait pas les questions relatives à l’argent qu’il envoyait à son oncle. Il voulait agir avec beaucoup de sérénité car en matière d’argent, de recouvrement il faut éviter l’empressement, faire preuve de pondération et poser des questions pertinentes au moment opportun.

Mapathé a voulu s’expliquer sur son voyage à la famille comme tout voyageur qui quitte sa famille pendant longtemps ; il n’entendait pas gâcher le plaisir du moment d’être parmi les siens.

Le moment viendra sûrement pour parler d’affaires et demander des comptes à son oncle.

Il était venu passer la soirée avec son oncle, ses tantes et ses jeunes cousins ; et surtout pour ces derniers il fallait expliquer le mythe de l’immigration clandestine, les risques liés à l’aventure.

Mapathé voulait confirmer ou infirmer tout ce qui se racontait de manière gratuite dans les médias car il est difficile de dire pourquoi les jeunes n’arrêtent pas de prendre les embarcations.

Ainsi son oncle qui l’avait reçu était pressé de l’écouter pour être édifié sur les difficultés qu’il a rencontrées lors de son voyage, les circonstances de son rapatriement.

Ainsi parlait longuement Mapathé :

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