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Chaque année, environ soixante mille personnes disparaissent, parmi lesquelles des milliers d’enfants. La plupart de ces individus sont retrouvés après une fugue de quelques heures, voire de quelques jours. Malheureusement, certains d’entre eux ne réapparaissent jamais. Où sont-ils ? Que font-ils ? À quoi servent-ils ? Que sont-ils devenus ? Antoine, le petit commerçant, en aurait-il fait son fonds de commerce ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Dans
Juste un petit commerçant,
Patrick Castillon explore l’étendue de son imagination en s’appuyant sur des faits réels. Il met ainsi des mots sur des souffrances et angoisses endurées par des personnes séquestrées et abusées.
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Seitenzahl: 302
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Patrick Castillon
Juste un petit commerçant
Roman
© Lys Bleu Éditions – Patrick Castillon
ISBN : 979-10-377-6852-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Préface
Ce livre va aborder un sujet difficile, celui de ces milliers de personnes qui disparaissent tous les ans, sans jamais laisser de trace, et qui, petit à petit, après que les journalistes ont fait leur boulot, sont oubliées de tous, sauf de leurs proches.
Pourtant elles existent quelque part.
L’auteur raconte, dans cette fiction, comment il imagine leurs vies après.
Il ne faut pas y voir un côté pervers… au contraire.
Ces enlèvements de jeunes filles l’ont toujours interpellé, et parce qu’il trouve inconcevable que cela puisse arriver, il en a imaginé un scénario possible…
Sylvie Castillon
Prologue
Marion vient de sortir de l’école, à midi, elle rentre chez elle pour le déjeuner. Elle s’est mise un peu en retard, elle se dépêche. Pourtant, à douze heures quarante-cinq, elle n’est toujours pas arrivée chez elle, alors qu’elle n’habite qu’à quelques centaines de mètres de l’école. Ses parents s’inquiètent. Ce n’est pas dans ses habitudes de prendre du retard.
Marion ne rentrera jamais. Un homme sur son chemin en a décidé autrement.
Nous sommes le quatorze novembre mille-neuf-cent-quatre-vingt-seize, Marion Wagon vient d’être enlevée.
Comment a-t-elle pu disparaître sans laisser la moindre trace ?
Pourquoi la police n’a-t-elle jamais récolté le moindre indice ?
Qui a pu faire ça dans la discrétion la plus parfaite ?
Pourquoi personne n’a-t-il jamais demandé de rançon ?
C’est une enfant de dix ans dont les parents ne sont pas fortunés, même s’ils donneraient tout ce qu’ils ont pour la retrouver, il n’y a pas beaucoup d’argent à espérer pour le ou les ravisseurs. On vient de détruire leur vie en même temps que celle de leur fille, comme ça, gratuitement, en l’espace de quelques minutes.
À l’heure où j’écris ces lignes, cela fait vingt-cinq ans que les faits se sont produits. Si elle est encore vivante, Marion a donc trente-cinq ans.
Chaque année, des dizaines d’enfants sont enlevés, la plupart sont retrouvés après une fugue de quelques heures, voire de quelques jours. Mais quelques-uns ne réapparaissent jamais.
Où sont-ils, que font-ils, à quoi servent-ils, que sont-ils devenus ?
Marion a fait les gros titres de la presse pendant quelque temps, mais petit à petit, elle a disparu de la première page des journaux et nous avons commencé à l’oublier. Il n’y a plus que ses parents pour penser encore à elle.
Pourtant, je suis sûr qu’elle pense encore à nous. Si nous continuons à ne rien dire, à ne rien faire, à ne rien penser, alors, Marion sera vraiment morte.
Ma mère ne m’aimait pas.
Ce n’est ni facile à dire ni facile à entendre. Cela paraît tellement impossible que même moi j’ai du mal à le croire. Pourtant, dès mon plus jeune âge, il a bien fallu que je me rende à l’évidence, je lui étais totalement indifférent. Je suis un garçon, les mamans sont censées aimer les garçons encore plus que les filles. Les conflits mère/fille sont fréquents, souvent, un sentiment de jalousie se développe chez une mère dès l’adolescence de son enfant, mais cela n’empêche pas les mamans d’aimer leur fille. Mais je crois que, aimer était un sentiment que ma mère était incapable de ressentir. À la rigueur, elle pouvait aimer un animal, mais un être humain…
Elle aimait les garçons, mais plus grands, ceux qui ont du poil au zizi. Alors ceux-là, elle les aimait beaucoup ! Je ne suis pas sûr que le terme soit bien approprié, disons qu’elle les collectionnait, faut dire que c’était une belle fille : elle était canon, ma mère. Elle avait un port de reine, une démarche aérienne qui faisait que tous les garçons se retournaient sur elle lorsqu’elle marchait dans la rue. Grande, mince, de grands yeux verts et des seins provocants qu’elle portait haut et droit, des cheveux légèrement roux, disons auburn, qu’elle avait toujours très longs. Elle avait un très beau visage avec deux petites fossettes qui apparaissaient lorsqu’elle souriait. Bon, c’est vrai, avec moi, elle ne souriait pas souvent. Quand elle me regardait, elle prenait toujours un air triste et résigné. Mais cela ne m’empêchait pas de l’admirer, j’étais baba devant elle. J’étais amoureux de ma mère comme d’autres sont amoureux de leur institutrice.
Nous partagions tous les jours la salle de bain et elle ne s’est jamais cachée pour faire sa toilette. Elle avait cette attitude qui n’appartenait qu’à elle, de poser son pied sur le bord du lavabo et de s’enduire la jambe avec sa crème de jour. Elle changeait de pied et s’enduisait l’autre jambe. Ensuite, elle secouait ses cheveux la tête en arrière et elle les séchait. J’ai connu très tôt tous les émois que pouvait provoquer le corps nu d’une jeune femme. Je l’admirais et j’en oubliais de m’habiller, je restais là, pantois en béatitude devant son corps que je trouvais parfait. Personne ne m’avait dit qu’il ne fallait pas regarder sa mère comme on regarde une autre femme, la pudeur aurait voulu que je détourne mon regard, mais moi, je restais là, les yeux écarquillés et la bouche entrouverte. L’admiration que je portais sur elle n’avait d’égal que la beauté qu’elle dégageait. Mon admiration pour la plastique féminine a commencé dès ma plus tendre enfance. Bien des fois, j’ai dû enfiler très rapidement mon slip et mon pantalon pour cacher mon érection. Ça avait beau être ma mère, putain, qu’est-ce qu’elle était belle ! De toute ma vie, je crois que c’est la seule femme que j’ai jamais aimée.
Une femme n’éprouve pas forcément le besoin d’être une mère pour assumer son statut de femme, certaines n’en ont jamais ni l’envie ni le désir. Elle faisait partie de celles-là. La société a toujours voulu que la femme soit porteuse de l’avenir de l’homme, mais certaines ne ressentent pas ce sentiment d’amour maternel et pensent différemment. Bon, c’est vrai, pour ma mère, c’est surtout qu’elle ne pensait pas beaucoup. Je ne l’ai pas vraiment bien connue, mais je pense qu’elle n’était pas très maligne. Il faut dire que le milieu dans lequel elle a été élevée n’était pas propice à son épanouissement. Son enfance n’a certainement pas été un enfer, mais pas non plus un charmant coin de paradis. Rebelle dans l’âme, elle ne connaissait pas les interdits, c’était ce qu’on appelle, « une fille à problèmes », et des problèmes, elle ne s’est pas gênée pour en poser à ses parents.
Je n’étais qu’un petit garçon, mais j’ai toujours senti que l’atmosphère entre ma mère et mes grands-parents était très tendue. Sa mère non plus ne l’aimait pas, un sentiment qui se transmet de mère en fille sûrement. Les accrochages entre la mère et la fille étaient fréquents, bien plus qu’avec mon grand-père. Elle passait son temps à braver sa mère. Même en étant majeure, et vivant sous leur toit, ce n’est pas pour cette raison qu’elle acceptait de se faire diriger. Si ma mère n’avait pas peur de ses parents, moi ils me terrorisaient. Je n’aimais pas du tout recevoir des taloches, ce qui a fait de moi un petit garçon très prudent.
J’ai toujours eu un doute, était-ce vraiment sa mère ? Physiquement, elles ne se ressemblaient pas : ma mère était grande et mince, ma grand-mère mesurait un mètre cinquante dans tous les sens. Ma grand-mère était très attachée au « qu’en dira-t-on », ma mère s’en foutait complètement. Contrairement à ma mère, je ne crois pas que ma grand-mère ait eu une activité sexuelle débordante. Je pense même qu’elle n’avait pas d’activité sexuelle du tout. Il y avait quelque chose qui clochait dans toute cette histoire, mon grand-père qui était chef d’entreprise et qui était bel homme, était un coureur de jupons. Il changeait de secrétaire à chaque fois qu’il en avait marre de coucher avec elle. Il était très éclectique dans ses choix, de la vendeuse du supermarché à la femme du docteur, de la femme de ménage à l’infirmière : tout y passait. On m’a même raconté que, pendant un temps, il avait eu une liaison suivie avec une gendarmette qui lui avait filé une contravention. Il l’avait embobinée, lui avait payé un verre et l’histoire s’était terminée au lit.
Comment se fait-il que ma grand-mère n’ait eu qu’un seul enfant ? Alors que lui, qui était un queutard fini avait dispersé sa semence aux quatre coins du département. Logiquement, elle aurait dû être à la tête d’une famille nombreuse. À l’époque, les femmes avaient toujours plus d’enfants qu’elles n’en désiraient. La pilule n’est apparue qu’en mille-neuf-cent-soixante-cinq et à la campagne certainement bien plus tard.
J’ai échafaudé bien des scénarii, mais je pense qu’il n’y en a qu’un qui tienne vraiment la route : elle ne pouvait pas avoir d’enfant et un jour de grande bonté, il lui en a offert un, venu d’une de ses innombrables conquêtes. Il était assez pourri pour faire ça, quoique, après tout, il rendait service à sa maîtresse du moment, en la débarrassant d’un mouflet encombrant et faisait un beau cadeau à sa femme qui ne pouvait pas en avoir. C’était du gagnant-gagnant. Visiblement, dans ma famille, on ne s’encombre pas de préjugés.
Nous vivions dans une maison isolée du village, et cacher une grossesse à l’époque ne devait pas être bien difficile. À la campagne, on ne se mêle pas des affaires des autres. Elle a dû apparaître un beau jour avec un nourrisson dans les bras, comme on ne l’avait pas vue depuis longtemps…
Quand je dis que ma mère ne m’aimait pas, ce n’est pas une parole en l’air. Même si les circonstances de ma procréation étaient plus que sordides, je ne crois pas que cela l’ait traumatisé plus que de raison. Elle ne m’aimait pas ? Je crois que c’était pire que ça, je lui étais totalement indifférent. Si ce n’est que j’étais un boulet dans sa vie de tous les jours, je n’existais pas pour elle. Je n’ai pas été enfermé dans un placard ni même dans une cave, je n’ai pas été frappé avec un ceinturon ni avec un fouet, j’ai seulement reçu des baffes, mais surtout j’ai été victime de l’indifférence des miens. Mes grands-parents me terrorisaient, ma mère m’ignorait… Ils ont fait de moi un solitaire asocial, incapable d’éprouver le moindre sentiment.
Elle n’avait jamais réussi à digérer les circonstances de ma création. Non seulement je n’étais pas un enfant désiré, mais j’étais même un enfant accidentel et très mal venu. À travers moi, elle se reprochait sûrement son incompétence à gérer sa vie, mais ce n’était encore qu’une enfant, à cette époque-là. Comment aurait-elle pu gérer sa vie, c’était à ses parents de le faire, mais ils en étaient bien incapables. Ma grand-mère était bête à bouffer du foin et mon grand-père avait autre chose à faire. Si elle avait été plus disciplinée, elle aurait été capable de prendre sa pilule plus régulièrement. Et si elle avait été moins bête, elle ne se serait pas fourrée aussi souvent dans des situations incontrôlables. Sa formation a été précoce, elle a toujours été la fille la plus grande de sa classe, dès le CM1, sa poitrine a commencé à se développer et déjà en CM2 elle a eu ses premières règles.
Dès son entrée au collège, à l’âge de onze/douze ans, elle montrait ses seins aux garçons qui lui donnaient une pièce. Pour un franc, elle ne soulevait que son pull, mais pour deux francs elle soulevait aussi son soutien-gorge. Le spectacle était magnifique et jamais un garçon n’a porté réclamation. Ensuite, elle n’a pas vraiment fait la différence entre sucer une langue et sucer une bite et rapidement les pipes à dix francs se sont succédé dans les chiottes du collège. Elle ne voyait pas où était le problème et même elle aimait bien ça. C’était une salope quoi ! L’information s’est très vite répandue et rapidement elle s’est fait pas mal d’argent de poche. Elle pouvait ainsi s’acheter des fringues neuves au lieu de porter les vêtements d’occasion que sa mère lui achetait, sans lui demander son avis à la friperie. Mais bon, ce genre d’activité ne reste pas un secret bien longtemps, au bout de quelques mois, l’information est arrivée aux oreilles de la directrice du collège. Après avoir reçu plusieurs leçons de morale et quelques avertissements, ma mère a fini par se faire virer.
Elle ne se gênait pas pour me dire qu’elle ne m’aimait pas et pour me raconter pourquoi. Ma mère n’avait pas un caractère sociable, sauf auprès des hommes. Je pense que l’on pourrait dire aujourd’hui que c’était une chaudière. Les cris de ses orgasmes ont bercé ma jeunesse. Nous vivions dans la maison de mes grands-parents qui était très grande. Mais nous logions ma mère et moi dans trois petites pièces aménagées par les ouvriers de mon grand-père dans le sous-sol de leur maison. Bonjour l’intimité, trois pièces sombres, sans aération, sans fenêtre et qui sentaient le renfermé. L’appartement était toujours propre et bien rangé, c’est bien la seule règle de vie que ma mère s’est imposée. Pour les toilettes, il fallait monter à l’étage chez mes grands-parents, pour la salle de bains aussi. C’est donc comme ça que j’ai passé ma petite enfance à admirer le corps de ma mère.
Le niveau d’amour de mes grands-parents ne dépassait pas celui de ma mère. Ils n’aimaient pas vraiment leur fille qui le leur rendait bien, alors moi… Né de père inconnu, ma venue n’avait pas déclenché des élans de tendresse, pas de bisou, pas de caresse, pas de câlin. Ils ne me détestaient pas, ils ne m’aimaient pas tout simplement. À leurs yeux, j’étais la honte de la famille, l’enfant du péché, et j’avais, par ma venue, dirigé tous les regards des voisins sur eux et sali leur réputation. Pour la réputation, je pense que mon grand-père avait déjà tracé le chemin bien avant moi. Sa réputation à lui n’était plus à faire et les habitants du village ne portaient pas mes grands-parents en odeur de sainteté. Sans compter toutes les femmes des alentours avec lesquelles il avait couché et qui lui auraient bien arraché les yeux. Quant à la réputation de ma mère… Je crois, au contraire, que les gens du village avaient pitié de moi et m’aimaient bien. L’épicière me donnait souvent un bonbon, quand je passais devant son magasin. Avec son décolleté pigeonnant, je suppose que mon grand-père avait dû y plonger souvent. Cela devait lui rappeler des souvenirs émus et c’est peut-être pour ça qu’elle m’offrait des bonbons.
À la campagne, les distractions ne sont pas légion, et même si les jeunes ont beaucoup d’imagination, les possibilités restent limitées. De plus, chez nous, les enfants passent le plus clair de leur temps libre à donner un coup de main à leurs parents. Travail aux champs, rangements au magasin, vente de l’essence à la station-service : les occasions ne manquent pas. Mais mon grand-père ayant une entreprise du bâtiment, ce n’est certainement pas ma mère qui allait lui donner un coup de main pour porter les sacs de ciment ou décharger les palettes de briques. De ce côté-là, il lui foutait une paix royale.
Une partie de billard au bistrot du village ou les baloches de campagne, la piscine municipale, en été dans le bourg le plus proche, ou les virées en mobs quelques fois jusqu’au bord de la mer : on a vite fait le tour. Le regroupement se faisait sur le seul banc de la place du village où tous les jeunes du coin refaisaient le monde un petit peu chaque jour. C’est là que ma mère, dès son plus jeune âge, s’est fait tripoter par tous les garçons du village, mais toujours contre monnaie sonnante et trébuchante. Je ne suis pas sûre qu’il en soit resté un qui ne l’ait pas, au moins, embrassée.
Ah, les baloches, elle a dû en écumer quelques-uns. C’était leur distraction favorite du samedi soir et plus tard, la mienne. Ça ne manquait pas dans tous les villages aux alentours, souvent en même temps que les fêtes foraines. La cible était de choix pour une horde de mobylettes, chacun se prenant pour Marlon Brando. Ça pétaradait sérieux et les gendarmes qui étaient habitués ne disaient trop rien, la seule chose qu’ils surveillaient vraiment, c’était le port du casque. Alors, tous les jeunes qui venaient à mobylette avaient pris l’habitude de déposer leurs casques dans le fourgon de la gendarmerie. Ce qui pouvait donner lieu à des situations assez cocasses, tous ceux qui venaient récupérer leurs casques trop tard, alors que les gendarmes étaient déjà partis, devaient le récupérer le lendemain à la caserne, en venant à mobylette, mais sans casque.
Passé dix-huit ans, les mobs ont laissé la place aux voitures dont les banquettes arrière en ont vu des vertes et des pas mûres. La voiture, c’était le Graal, tout le monde en rêvait, mais seuls ceux qui touchaient un salaire pouvaient en posséder une. De tout temps à jamais, la voiture a toujours était un piège à gonzesses, celui qui en possédait une ne restait jamais seul bien longtemps. Même le plus vilain pouvait attraper une fille s’il avait une voiture.
C’est au cours d’un de ces bals de campagne que ma vie a commencé. Ce soir-là, ma mère avait passé plus de temps au bar à descendre des bières que sur la piste de danse à danser des slows langoureux. Elle était complètement saoule et avait accepté de se faire raccompagner par deux zigotos, qui avaient profité de son état d’ébriété pour la sauter chacun son tour. Peu de temps après, une autre voiture était arrivée, puis une troisième et elle avait subi une tournante jusqu’au petit jour. Ils n’avaient pas tous des préservatifs loin de là et vraisemblablement, ça ne les avait pas gênés. Ce n’était pas la première fois qu’elle se faisait attraper par un groupe, mais cette fois-ci elle ne l’avait pas programmé et elle ne supportait pas de ne pas être payée pour services rendus.
C’est elle qui m’a raconté tout ça, elle ne se gênait pas pour raconter à un tout jeune gamin des histoires d’agression, de sexe et de viol. J’aurais certainement préféré entendre des contes de fées, des histoires de cow-boys ou d’extraterrestres, plutôt que des aventures sordides dans lesquelles était impliquée ma propre mère. Je n’ai pas fait d’études et je ne suis certainement pas apte à juger des effets que les récits des aventures de ma mère ont eus sur ma personnalité, mais je doute fort qu’ils fussent bénéfiques.
Elle m’a toujours affirmé qu’elle n’était pas consentante et qu’ils l’avaient violée chacun leur tour à l’arrière d’une voiture dont elle ne se souvenait pas la marque. Elle ne se souvenait pas non plus être montée dedans. Ni en être descendue. En sortant de son état d’ébriété, elle s’est réveillée allongée sur la pelouse devant la maison de mes grands-parents. Ils l’avaient jetée là comme une poupée gonflable qui avait trop servi. Son souvenir le plus fort fut qu’elle n’a jamais retrouvé son string. C’était peut-être ce qu’elle regrettait le plus. « Un joli string en dentelle », me disait-elle.
Lorsque ma mère racontait une histoire, il était toujours impossible de savoir quelle était la part du faux et du vrai. C’était une véritable professionnelle du mensonge, mais toujours avec un fond de vérité. Elle s’était longuement entraînée avec ses parents, pour justifier ses nombreuses fugues et disparitions, sa vie passionnée avait fait d’elle une experte en mensonge, et je ne crois pas que même un détecteur dernier cri aurait pu deviner quoi que ce soit.
Elle avait vingt ans et je suis donc né des spermatozoïdes d’un de ces mecs dont elle était incapable de se rappeler les visages. Pourtant, en ayant écumé tous les bals de la région, elle devait sûrement en connaître quelques-uns. Né de père inconnu et même de pères très inconnus.
Toutes ces aventures sordides ne l’ont pas empêchée d’avoir un petit copain attitré, celui qui l’accompagnait un peu partout, pour traîner dans les galeries marchandes, faire les boutiques, ou aller au cinéma. C’était plus un animal de compagnie qu’un véritable petit copain. Elle n’en a jamais parlé avec lui et lorsqu’il lui a été impossible de cacher son état, il a quand même été capable de s’échapper en courant, pas du tout sûr d’être le responsable. Peut-être s’était-il vengé de toutes ces couleuvres avalées en participant à la tournante ? Le monde qu’elle avait créé autour d’elle était sordide, elle ne fréquentait que des trous du cul qui ne pensaient qu’à une seule chose, tirer un coup. Même enceinte elle a continué à picoler et à coucher avec le premier venu. Et on voudrait que je sois « normal ».
La vie s’écoulait donc « tranquille », ma mère partait, revenait, repartait, revenait de nouveau, des périodes plus ou moins longues, pendant lesquelles je me débrouillais comme je pouvais. La plupart du temps, je mangeais chez mes grands-parents, mon grand-père gueulait un bon coup, puis il se calmait et ma grand-mère me donnait à manger. Comme j’avais toujours aussi peur de lui, je sautais, au moins, un repas sur deux. Le reste du temps, je piquais un morceau de pain avec une barre de chocolat, lorsqu’ils avaient le dos tourné. Ma mère réapparaissait au bout de quelques jours et nous reprenions le cours de notre vie. J’étais toujours aussi content de la revoir. Malgré tout, c’était ma maman, et moi, je l’aimais.
Et puis un jour, l’épouvantable nouvelle est arrivée : ma grand-mère m’a pris dans ses bras, c’est certainement la seule fois où elle a fait preuve de compassion envers moi, elle m’a annoncé que l’on avait retrouvé ma mère morte « empoisonnée » dans une chambre d’hôtel. Si pour beaucoup, ce monde qu’elle avait créé, autour de moi, était un monde de misère et d’immoralité, c’était mon monde et surtout c’était ma maman. Je l’aimais comme n’importe quel enfant aime sa maman. J’ai eu de très nombreuses occasions de pleurer durant toute mon enfance, la vie n’a pas été tendre avec moi, mais cette fois, j’ai vidé toutes les larmes de mon corps, la réserve était vide et je n’ai plus jamais pleuré. Je me suis juré que, plus jamais, je n’aurai peur de mon grand-père et que dorénavant je serai un dur.
Pendant longtemps, je n’ai pas su comment ma mère avait été soi-disant empoisonnée. La gendarmerie avait bien mené une enquête, mais le veilleur de nuit n’avait rien vu de particulier et il n’y avait aucun témoin. La vie dissolue de ma mère a certainement favorisé le classement de l’affaire. Ils avaient retrouvé quelques seringues et des mégots de marijuana, la mort d’une fille de ce genre ne les avait pas poussés à poursuivre plus loin leurs investigations. Ils avaient survolé l’affaire, bien trop contents de s’en débarrasser.
De peur de prendre une baffe, il a fallu que j’avance en âge, que je prenne de la force et de la carrure pour oser poser la question à mes grands-parents. Les premières fois, il a fallu que je me contente de la réponse brutale de mon grand-père : « Elle est morte étouffée par le foutre ! » La police avait dit empoisonnée, pas étouffée.
Il a fallu que j’attende très longtemps, pratiquement jusqu’à ma majorité pour que je fasse la connaissance d’une femme du village qui avait traîné avec ma mère et qui était aussi facile qu’elle. J’avais seize ans, et contre quelques billets, elle m’a fait perdre ma virginité et commencé mon éducation sexuelle. Elle n’était pas très pédagogue et il fallait que j’y retourne régulièrement pour parfaire mon apprentissage. C’est au cours d’une de ces séances d’initiation qu’elle m’a dit la vérité sur le décès de ma mère.
Ce soir-là, elle s’était fait embarquer par plusieurs hommes, ce n’était pas la première fois et on peut dire que ça arrivait assez régulièrement, mais en principe, c’était toujours elle qui organisait. Je suppose que la réunion était payante, les gangs bang n’étaient pas pour lui déplaire, c’était son fonds de commerce. Elle organisait ce genre de réunion dans une des chambres d’un hôtel qu’elle connaissait bien. L’hôtel de la Falaise avait cette particularité d’avoir deux entrées. Une au rez-de-chaussée donnant sur la rue principale et une autre au troisième étage donnant sur une petite rue située derrière l’hôtel au sommet de la falaise. La discrétion était au maximum et son activité devait durer depuis longtemps. Cependant, je doute fort que le gardien de nuit n’ai pas été au courant de ce trafic. Il devait, contre quelques billets fermer les yeux et ne rien voir de ce qu’il se passait au troisième étage. Ma mère devait peut-être aussi le payer en nature et il ne devait certainement pas se plaindre à qui que ce soit.
Toujours est-il que ce soir-là, les choses ne se sont pas passées comme prévu. Dans ce genre de réunion, l’alcool et la drogue coulaient à flots et ma mère n’était pas la dernière pour picoler, fumer un joint ou sniffer un rail. Trop d’alcool et trop de drogues, son cœur fatigué par les excès a fini par lâcher. Ma mère a fait une overdose et c’est ça que l’on a appelé empoisonnement ? C’était peut-être une overdose de vie de merde ? Décidément ma mère était une championne, même dans sa mort, le faux n’était pas toujours facile à discerner du vrai.
Elle avait vingt-huit ans, j’en avais huit, la suite ne s’annonçait pas facile. Les services sociaux ont décidé que mes grands-parents étaient aptes à pourvoir à mes besoins et ce sont eux qui se sont chargés de mon éducation, plus souvent avec des gifles qu’avec des caresses bien sûr. J’ai continué ma vie de solitaire pendant plusieurs années, en me tenant à carreau pour éviter le maximum de punitions. Pas facile, mais ça m’a rendu précautionneux et discret, et ça a développé mon sens de l’observation et mes réflexes. Cela n’a eu aucun effet sur mon sens moral, j’avais été tordu dès le départ et rien ne pouvait me redresser. Mais ils ont eu la bonne ou la mauvaise idée de mourir après ma majorité, comme ça je n’ai pas eu à séjourner dans un foyer. D’un autre côté, je n’aurais pas été plus mal dans un foyer, le nombre de gifles aurait été, peut-être, moins conséquent. Ce n’est pas l’envie de me placer qui leur a manqué, mais je suis resté chez eux. L’assistante sociale, qui venait me voir une fois par an, n’a pas jugé utile de me séparer de mes grands-parents. Lorsque j’ai eu seize ans, ils ont décidé que j’étais suffisamment allé à l’école et qu’ils avaient autre chose à payer que mes études. À payer quoi, je ne sais pas, mais j’avais déjà redoublé deux classes et il était clair que les études n’étaient pas mon point fort et qu’elles ne représentaient pas vraiment mon avenir.
Déjà dès la maternelle, je détestais l’école, je passais par-dessus la grille et je m’échappais. Mais, il a bien fallu que je me rende à l’évidence, l’école n’était pas provisoire et j’ai donc dû faire contre mauvaise fortune bon cœur. Le collège a été beaucoup plus difficile que l’école primaire, ce n’est pas que je ne comprenais pas, mais je n’écoutais rien et donc, je ne mémorisais pas grand-chose. Je suis donc entré comme apprenti dans une entreprise générale du bâtiment. C’était l’entreprise que mon grand-père avait revendue, avant qu’il ne fasse faillite. Elle était située au bourg et je faisais les quatre kilomètres pour y aller, d’abord à vélo et ensuite avec ma première mobylette. Je l’avais payée en plusieurs fois, avec le minuscule salaire que mon patron me versait pendant ma période d’apprentissage. Je faisais trois semaines en entreprise et une semaine au collège. Le niveau scolaire qui accompagnait l’apprentissage était tellement bas, que du jour au lendemain, j’ai été propulsé premier de la classe. Les copains m’appelaient l’intellectuel. Ça m’a fait un sacré changement, j’étais pas habitué.
Mon grand-père avait revendu son entreprise, parce que, je suppose que ses nombreuses maîtresses devaient lui coûter « un bras » et à l’approche de la retraite, il a saisi l’opportunité qui s’offrait à lui : quelqu’un avait dû lui en proposer un bon prix. Cet apprentissage a fait de moi un très bon bricoleur. Dans la vie il faut être riche ou bricoleur, disait ma grand-mère, et cela s’est avéré bien utile par la suite. Ces trois années ont été très enrichissantes pour moi.
Aujourd’hui, on ne considère plus les études manuelles comme des études de second ordre, mais à l’époque la manière de voir était très différente et la mise en apprentissage était considérée comme une voie de garage. Pourtant, avec un bon CAP, on est à peu près sûr de trouver du travail, ce qui est loin d’être le cas avec un diplôme d’études supérieures.
Ce n’est pas parce que l’on fait des études que l’on réussit mieux sa vie… Réussir sa vie, en voilà une expression à la con, tout le monde réussit sa vie, on y est bien obligé, dans la vie on est sûr que d’une seule chose : un jour on va mourir ! La mort c’est l’aboutissement de la vie. Quand on meurt, c’est que l’on a réussi sa vie. C’est comme la longueur des jambes, l’important c’est qu’elles touchent le sol.
Au bout de quelques années, ma vie de solitaire a commencé à me peser et je me suis mis à fréquenter les jeunes du coin. J’ai pu nouer quelques amitiés avec des gars des villages environnants et notamment, j’ai fait la connaissance d’un gars du même village que moi et au bout de quelque temps, j’ai eu le droit d’accéder au banc de la place de l’église. J’y ai connu mes premiers émois « amoureux », enfin presque, mon éducation ne m’a pas appris à aimer et mes émois se situaient plutôt en dessous de la ceinture. (C’est ma mère qui m’a appris.)
J’ai commencé par suivre le chemin tordu que ma mère avait suivi avant moi (les chiens ne font pas des chats). Baloches pour attraper les filles, alcool pour leur mettre la main dans le soutif ou la culotte et ensuite un bon petit joint pour les sauter. Consentantes, pas consentantes, quelle différence ? Nous étions très persuasifs et les non consentantes finissaient souvent par devenir consentantes, ou pas… Mais je suis resté très prudent, j’avais la trouille de me faire prendre par les gendarmes, pour avoir piqué des bonbons chez le marchand, ce qui aurait entraîné une dérouillée par mon grand-père. Même si j’avais la peau tannée, cela lui aurait fait trop plaisir et je n’avais aucune envie de satisfaire à ses désirs. Je crois que j’étais plutôt beau gosse et j’attrapais facilement les filles. Mais j’ai toujours préféré les avoir par insistance plutôt que de les voir tomber toutes rôties dans mes bras.
Mon grand-père était un sanguin, il piquait des colères à faire trembler les murs. Quand je l’entendais, soit je me planquais le plus loin possible du son de sa voix, soit je prenais mon vélo et j’allais battre la campagne le plus longtemps possible. Il ne fallait surtout pas rester dans les parages, il pouvait s’en prendre à n’importe qui. Le plus souvent c’était ma grand-mère qui prenait. La pauvre femme connaissait mieux que personne son mari et arrivait le plus souvent à le calmer, mais qu’est-ce qu’elle a pu prendre ! Et puis, ce jour-là, on ne sait pas pourquoi, ses cris se sont arrêtés brutalement, on a entendu un grand bruit et puis plus rien. Ma grand-mère et moi nous sommes précipités, mon grand-père avait fait un infarctus. J’aurais préféré qu’il meure lentement dans d’atroces souffrances, mais ce ne fut pas le cas, il est mort d’un coup et s’est écroulé comme une grosse merde qu’il était au beau milieu du salon. Il était étendu de tout son long sur le tapis, ma grand-mère l’a regardé un long moment, elle ne savait pas si elle devait pleurer ou pas, comme elle n’en avait pas vraiment envie, elle s’est abstenue. Elle était délivrée après des années de calvaire, et la satisfaction de le voir étendu là, inerte, la mettant à l’abri de ses taloches, l’a largement emporté sur le peu de chagrin quelle était capable d’éprouver. Elle ne lui a pas donné un coup de pied, mais il n’aurait pas fallu beaucoup plus pour qu’elle le fasse. Ma grand-mère était beaucoup plus jeune que lui, et encore en très bonne santé, mais elle l’a suivi quelque temps après… après avoir passé quatorze ans dans un EHPAD. Cette salope avait choisi une maison de retraite hors de prix. Même si sa pension de réversion en couvrait une grosse partie, je devais couvrir le reste, ce qui entamait une partie de mon salaire. Il a bien fallu que je trouve de l’argent pour ne pas vendre la maison de mes grands-parents et ce n’est pas mon petit salaire d’ouvrier qui pouvait me permettre de joindre les deux bouts. C’est comme ça que j’ai rencontré le copain de la connaissance d’un ami qui m’a parlé de quelqu’un qui connaissait un type…
Et c’est comme ça que je suis devenu Marchand de gibier.
Je fais ce travail depuis vingt-deux ans, dire si j’ai de l’expérience. Pourtant, j’aurais pu faire un autre métier, je n’étais pas si mauvais que ça en classe. J’arrivais toujours à avoir la moyenne, ou presque. Les instituteurs et les institutrices m’aimaient bien, bon les profs du collège beaucoup moins… Quant au lycée… Je n’y ai jamais mis les pieds.
Mais j’avais un CAP et du travail dans l’ancienne entreprise de mon grand-père. Ma vie aurait très bien pu se poursuivre comme ça, tranquille, mais comme j’étais vraisemblablement l’employé le moins con de la boîte, je suis devenu contremaître. Le travail est devenu complètement différent et m’a apporté un surcroît de responsabilités. Je faisais beaucoup plus de travail d’organisation de chantier et cela m’a permis de devenir beaucoup plus organisé et méticuleux.
Bien sûr, pour ne pas déroger à mon histoire et le milieu sordide dans lequel j’ai grandi, j’ai tenu absolument à suivre la ligne que ma mère m’avait laissée en héritage. Il était impossible pour moi de stagner dans un travail « plan plan » qui m’aurait permis de ronronner tout au long de ma vie. Mon respect pour le souvenir que ma mère m’avait laissé ne le permettait pas. Je suis devenu marchand de gibier, mais un gibier très particulier, se vendant extrêmement cher et d’une manière tout à fait illégale.
À la mort de mon grand-père et une fois que j’ai eu foutu ma grand-mère dans un EHPAD, j’ai investi l’appartement du haut et j’ai refait entièrement l’appartement du bas. C’est là que mes talents de bricoleur se sont avérés particulièrement utiles.
Une seule pièce, tout en longueur. Douze mètres de long et quatre mètres de large. Double mur de parpaings inversés, remplis de sable, laine de roche haute densité et double cloison en carreaux de plâtre. J’ai recouvert le tout de trente centimètres de sable. Je peux mettre la sono à fond, personne n’entend rien. J’ai rajouté un sas d’entrée avec une porte en métal remplie de sable à chaque extrémité, commandée chacune par une gâche électrique à code. Une seule et unique pièce comprenant salle de bain, cuisine américaine, salon et chambre, ainsi qu’une salle de sport. Caméra de contrôle et écran de surveillance. Le tout réalisé de mes propres mains, afin de ne pas faire intervenir des entreprises. Personne ne sait que cet appartement existe. Pour mes voisins, les plus proches sont au moins à deux cents mètres, c’est un simple sous-sol avec garage. Comme le sont la plupart des sous-sols des maisons de la région.