KGB sur Rhône - Pierre Mainguy - E-Book

KGB sur Rhône E-Book

Pierre Mainguy

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Beschreibung

Un jeune couple est confronté en mer à la mort d’un milliardaire russe, ancien oligarque du régime soviétique. Lui est journaliste, elle est experte auprès de la police criminelle. Avec eux, plongez au cœur d’une enquête dans le monde de l’espionnage entre l’Est et l’Ouest après la chute de l’Empire soviétique.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Ayant exercé en tant que journaliste, moniteur de voile, agent de voyage, directeur commercial de chaînes d’hôtels, et libraire notamment, Pierre Mainguy a bourlingué autour du monde. Il profite à présent pleinement de sa retraite pour laisser libre cours à son imagination et inventer des histoires.

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Seitenzahl: 170

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Ähnliche


Pierre Mainguy

KGB sur Rhône

Roman

© Lys Bleu Éditions – Pierre Mainguy

ISBN : 979-10-377-8564-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

Pour enfants

La petite maison des mystères, Éditions Stellamaris ;

Tac O'Tac, Portaparole France ;

Le Doudou de Jérémy, Verte plume Éditions

Roman

Arles Féria tragique, Portaparole France

Pour le petit Prince

Le petit Soleil et le petit Printemps

Qui illuminent notre vie.

Si tout homme ment… Toute femme ment aussi, mais beaucoup mieux.

J. Barbey d’Aurevilly

1

C’est arrivé par hasard.

Jean-Louis Montey et Ariane, son épouse, naviguaient paisiblement en route vers Porquerolles. Beau temps, bon vent de sud, sud-ouest et mer calme, houle confortable, longue et faible. Les voiles, réglées au mieux pour un petit largue, permettaient une gentille allure. Partis à l’aube de Palavas-les-flots, après avoir doublé les pyramides de La Grande-Motte et le port du Grau-du-Roi, ils avaient longé l’immense plage de l’Espiguette, puis la côte de Camargue remarquable par sa monotonie et, enfin, croisé l’embouchure du Rhône dans une eau à peine jaunie. Cap sur Sausset-les-pins, ils s’apprêtaient à traverser le redoutable golf de Fos. Redoutable en raison des volumineux cargos, pétroliers et porte-conteneurs qui suivent le rail d’entrée du golf avant d’embouquer le chenal d’accès aux quais de déchargements du nouveau port. La vigilance devait être constante, aucun relâchement n’était permis tant ces monstres sur l’eau, tirant droit depuis l’horizon à vitesse soutenue, donnaient l’impression de ne pas pouvoir s’arrêter. Outre ces incroyables porteurs de boîtes, comme les appelaient les dockers, il y avait aussi des méthaniers non moins impressionnants.

Un voilier, même de belle taille, n’était qu’une brindille sur la mer devant ces monstres flottants.

Jean-Louis barrait le bateau prêté par ses beaux-parents. Il était totalement concentré sur la route mais surveillait aussi la sortie du port. Ariane, assise au vent du génois, sur le plat-bord de la pointe avant était une vigie attentive. Bercée par le rythme de l’étrave fendant la mer, elle scrutait chaque volute de fumée, même lointaine, car le danger venait du large, à tribord, d’où arrivaient les navires de commerce. En temps normal, elle aimait se prélasser au soleil en bikini sur la plage avant du voilier familial, mais, lors de ce passage dangereux, c’était hors de question. Son époux quant à lui, faisait le fier marin, barre en main, attentif au cap donné par le GPS. Ce tout nouvel instrument remplaçait la carte marine et la règle Cras, outils dont il aurait été incapable de se servir de toute façon. Même le pilote automatique était exclu durant le franchissement de ce délicat secteur.

Depuis son enfance passée à Nîmes, Ariane avait navigué avec ses parents dès les premiers beaux jours. La famille possédait un mas discret donnant sur l’étang de l’Arnel à Villeneuve-lès-Maguelone et le bateau avait une place à l’année dans le port de Palavas.

Très vite, Ariane avait initié aux plaisirs de la voile un Jean-Louis ébloui. Et lui, l’enfant abandonné, le gamin élevé dans l’orphelinat d’une cité de la banlieue à l’est de Paris, avait tout de suite adopté ce bien-être presque irréel. Heureux, subjugué et fidèle à son tempérament fonceur, il s’était aussitôt inscrit à l’école de voile de Carnon. Il avait appris, découvert, joui et maintenant, quelques années plus tard, il assurait crânement son rôle d’équipier modèle à bord. Toutefois, n’ayant pas la maîtrise presque instinctive d’Ariane, il était le second, son épouse restant « le » capitaine…

Ainsi le couple profitait-il des vacances que leur permettaient leurs intenses activités professionnelles respectives.

Tout à coup, Ariane se leva d’un bond, se faufila souplement sous les haubans sur le passavant tribord et sauta dans le cockpit. Avant que Jean-Louis ait eu le temps de quoi que ce soit, elle lui retira la barre des mains et pointa son doigt vers le sud-est, au large.

— Là-bas, regarde ! Ce con a mis en panne en plein milieu du rail, il est fou !

Effectivement, Jean-Louis distingua au loin un bateau à l’arrêt sur le passage des porte-conteneurs. Les voiles faseyaient mollement dans le vent.

— Il doit avoir un problème, on y va… Affale la toile et mets le moteur, ordonna capitaine Ariane qui vira bout au vent.

Jean-Louis s’exécuta prestement, choqua les écoutes et roula le génois puis la grand-voile. L’équipement moderne permettait ces manœuvres rapides sans grandes dépenses d’énergie. Il ne manquait plus que les winchs électriques pour que le confort fût total.

Faisant route, moteur à fond, ils approchèrent de leur objectif, un joli sloop d’une douzaine de mètres dont la voilure désordonnée battait au vent. Ariane prit les jumelles. Sur le pont, une femme en maillot de bain agitait les bras, semblait hurler. Elle était seule.

— Prépare les pare-bats', on va l’aborder… Elle est dans la merde. Regarde, il dérive ! Même pas de moteur !

Jean-Louis ouvrit le coffre où se trouvait le matériel, saisit trois pare-battages qu'il crocha sur la filière tribord tandis qu’ils approchaient du voilier en détresse. Ariane put se ranger bord à bord en douceur. Par chance, la météo permettait toutes les manœuvres sans heurts. Alors ils entendirent les cris. « Vite, venez m’aider… vite, il est mort ! Je ne sais pas quoi faire… Aidez-moi, il est mort… »

— Putain ! C’est vraiment sérieux, s’exclama Jean-Louis en disposant les amarres.

Une fois les deux voiliers accouplés, il sauta à bord et tenta de rassurer la jeune femme.

— On est là… Du calme. On va vous aider…

Rien n’y faisait. Elle continuait d’implorer. Elle ne versait pas de larmes, mais ne pouvait s’empêcher de jurer, de gémir et même hurler. Après avoir branché le pilote automatique afin d’éloigner du trafic commercial les deux voiliers désormais réunis, Ariane monta à bord à son tour et relaya son époux auprès de la désemparée. Il s’empressa de ferler1 cette voilure désordonnée tout en guettant le chenal, inquiet de voir surgir un monstre des mers.

— Mets le moteur en route, commanda Ariane. Le tableau de commande doit être juste au-dessus de la descente !

Jean-Louis bondit vers l’entrée du roof et s’arrêta net. Il était là, en bas des marches, affalé sur le plancher. « C’est dingue… Il a l’air tout à fait mort », pensa-t-il. Effectivement, entre la table du carré et une banquette, gisait un homme sur le dos. Il était grand et plutôt gras, le visage blanc, les yeux révulsés, la bouche entre-ouverte. Un filet de bave chargée s’écoulait de ses lèvres. Peut-être avait-il vomi. Le corps blafard était vêtu d’un simple maillot de bain. Les jambes étaient repliées, comme s’il était tombé sur lui-même, lentement, essayant de se maintenir debout. Le bras droit étendu immobile sous la table, tandis que l’autre battait légèrement contre le montant de la banquette, au rythme de la faible houle. Jean-Louis prit soin de ne rien toucher. Il saisit la clef de contact au tableau, lança le moteur puis remonta à l’air libre, content de respirer le frais.

— C’est votre père ? demanda-t-il, fixant la jeune femme toujours lovée dans les bras d’Ariane.

— C’est Youri… murmura-t-elle.

— Youri ?

— Mon ami.

Alors elle s’écroula en pleurs. Les nerfs lâchaient et rien ne put enrayer la crise de larmes. Jean-Louis lui prit les mains tandis qu’Ariane descendit à son tour constater le décès. Elle remonta, visage fermé, sans équivoque. Elle fit asseoir la malheureuse sur l’un des coffres du cockpit et lui parla doucement, lui murmura des mots de réconfort tout en lui caressant les cheveux. Cela dura un court moment avant qu’elle pût reprendre la direction de la navigation. Alors, les ordres tombèrent, secs, sans nuance.

— Jean-Louis… Radio canal 16, tu appelles le CROSS. Tu expliques le problème. Tu demandes assistance pour entrer dans le port de Carro. C’est le plus proche. On va naviguer tout doux au moteur dans l’attente des secours. Trop dangereux de rester là ! Moi je prends la barre ici et tu me suis. OK ?

Bien sûr que c’était OK. Il admirait chez Ariane cette manière de prendre une décision, de donner un ordre d’une voix ferme, mais pas dominatrice... Dans la vie comme en mer, toujours directe et efficace. Effectivement, Carro était plus simple d’accès que Port-Saint-Louis où le petit port de la Plage Olga ne présentait pas assez de tirant d’eau tandis que le port de plaisance au bout du canal Saint-Louis était trop loin. Il libéra les amarres pour découpler les deux bateaux, mit de l’ordre et prit la barre. Lentement, l’un suivant l’autre, les voiliers firent route au moteur, cap sur la pointe de Carro. À mi-chemin, un Zodiac de la SNSM les accosta. Un sauveteur monta à bord, se fit brièvement résumer la situation et prit les commandes du sloop. Personne ne descendit voir le défunt. Ariane resta auprès de la jeune femme qui avait retrouvé un peu de calme. Serrées l’une contre l’autre, comme deux confidentes de toujours, l’une émettait des exaltations, des confessions, livrait des petits secrets, l’autre écoutait attentivement.

Ce curieux convoi de trois embarcations doubla la pointe puis le phare et se dirigea vers la capitainerie à l’entrée du port, sous le regard de nombreux curieux. Parvenu à poste, un médecin et un policier montèrent à bord. Le semi-rigide regagna sa place devant la station SNSM. De son côté, Jean-Louis manœuvrait pour s’amarrer en bout de ponton. Ariane raconta ce qu’il en était aux autorités. La jeune femme, prénommée Jennifer, se présenta comme la maîtresse de Youri Ioumedine. Il s’agissait d’un milliardaire russe, installé depuis plusieurs années en Provence où il vivait modestement après avoir fait fortune à la suite de l’effondrement de l’URSS dix ans auparavant.

Un rapide témoignage au commissariat de police, une nuit au port et, enfin, le couple Montey put reprendre sa route vers Porquerolles après ce détour inattendu. Ariane avait noté les coordonnées de Jennifer sur un bout de papier, glissé dans le haut du bikini. Elle lui avait promis de la contacter aussitôt que possible.

L’irruption de cet incident dans le déroulement tranquille de la navigation estivale les ramena dans la particularité de chacune de leurs activités professionnelles avec, comme marquages constants, la mort pour elle et la curiosité pour lui.

Ariane, dentiste diplômée de la faculté de Montpellier, avait aussi suivi des études de droit et était devenue une des rares spécialistes en expertise judiciaire de la morphologie dentaire et maxillaire. Il lui arrivait fréquemment d’intervenir auprès de la police ou de la gendarmerie dans des cas un peu complexes d'autopsie et d’identification lors d’enquêtes criminelles ou suite à des accidents, des incendies et autres drames. Elle avait ses entrées au 36 Quai des Orfèvres, le siège de la Direction régionale de la Police judiciaire de Paris. Elle y avait tissé quelques amitiés. Toutefois, autant que possible, elle continuait d’exercer sa pratique à l’hôpital. Meilleure façon de rester dans la réalité de sa profession, pensait-elle.

Jean-Louis, de son côté, était un reporter apprécié à la rédaction de l’antenne locale de Radio-France et il attendait avec impatience la création de France-Bleu, la nouvelle station du groupe, promise par le PDG pour la rentrée de septembre 2000. Tous deux étaient débordés et ne comptaient pas leurs heures. Cette vie hyperactive leur plaisait beaucoup.

Ces postes avaient conduit la petite famille à quitter le midi pour s’établir en région parisienne. Mais alors, il ne s’était plus agi de banlieue triste à l’horizon barré d’immeubles tous identiques, tels que Jean-Louis les avait connus autrefois. Ils louaient une maison sur les hauteurs de Conflans-Sainte-Honorine, sur les anciens vergers de Louis-Philippe. Ils en aimaient le jardin et la belle vue apaisante sur la Seine et la forêt de Saint-Germain-en-Laye sur l’autre rive. Ils ne se lassaient pas de l’illusion d’être à la campagne. Dans la paix et la bonne humeur, leurs deux enfants s’épanouissaient sous le regard aimant de chacun des jeunes parents.

2

En mer, dans la tranquillité d’une navigation sous voile, tandis que le soleil de juin baissait sur l’horizon teintant les flots de reflets orangés, Ariane et Jean-Louis discutaient des évènements de la veille. L’intérêt du journaliste avait immédiatement été mis en alerte à l’évocation du défunt. Un milliardaire russe, menant une vie discrète en Provence ! Voilà de l’inhabituel. D’ordinaire, ces anciens oligarques, qui avaient profité de la décomposition de l’empire soviétique pour se remplir les poches, vivaient de façon ostentatoire, exhibant leur fortune sur les Champs Élysées au volant de Ferrari ou sur la Croisette ou encore dans les ports de Saint-Tropez et de Monaco sur des super-yachts. Ils savaient étaler leur réussite comme s’ils avaient besoin de se venger. Ils ne naviguaient pas sur des voiliers relativement modestes avec une seule maîtresse à bord. Belle intrigue, il fallait qu’il enquête sur ce citoyen. Ariane lui parla de Jennifer, raconta certaines des confidences. La compagne était une jeune femme d’environ trente ans qui allait peut-être tout perdre d’un seul mauvais coup du sort.

— Elle ne savait pas qu’il était cardiaque ? demanda-t-il tout en restant concentré sur la navigation.

— Si, si, elle savait et lui donnait même un médoc matin et soir. Ça allait très bien jusqu’à aujourd’hui. C’est arrivé très brutalement. Elle bronzait sur le pont à l’avant et tout d’un coup elle a senti que le bateau faisait n’importe quoi. Les voiles se sont mises à claquer. Elle s’est retournée et son mec n’était plus là. Alors elle l’a cherché et quand elle l’a vu tout raide en bas de la descente elle a paniqué. Elle ne savait mettre en route ni le moteur, ni le pilote automatique. Le bateau faisait ce qu’il voulait…

Immédiatement, Jean-Louis fit des déductions. Une maîtresse de milliardaire n’est plus rien quand celui-ci casse sa pipe, à moins qu’il ait pris des dispositions au préalable.

— Aïe ! Là, elle risque de perdre gros… D’autant que ce mec, il est peut-être marié avec enfants et tout et tout.

Ariane lui fit un bref compte rendu des confidences de Jennifer. En effet, l’homme était marié depuis plus de quarante ans et, maintenant, vivait avec son épouse dans une bastide non loin de Saint-Rémy-de-Provence. Effectivement, il avait une fille prénommée Nadia, mariée et établie à Genève.

— Elle m’a dit que les parents ne s’entendent pas du tout avec le gendre, un Russe lui aussi. D’ailleurs, de ce que j’ai compris, les liens sont rompus avec la fille depuis longtemps et ce mariage n’a rien arrangé, précisa-t-elle.

Ce tableau sommaire était suffisant pour exciter le journaliste qui ne dormait jamais en Jean-Louis, pas même au cours des brèves périodes de libertés professionnelles durant lesquelles il promettait à Ariane de ne s’occuper que d’eux, et surtout d’elle. Mais voilà un fait divers inopiné ; coup du sort. La tentation était trop forte !

Après avoir passé la journée en mer, ils doublèrent l’île du Grand Ribaud et atteignirent Porquerolles, un port qu’ils fréquentaient régulièrement. Ils prirent un poste d’amarrage. Les formalités effectuées à la capitainerie, Jean-Louis fila au village et revint tout excité, une pile de journaux sous le bras. Il dévora la presse tout en faisant semblant de s’intéresser aux joies et à la détente des vacances.

Chaque jour, le bateau leur offrait des petites balades paisibles vers la calanque des Salins au pied du Sémaphore ou bien un mouillage paradisiaque à l’Oustaou de Dieu au fond de la Cale Longue. Oui, Porquerolles c’était un paradis. Il y avait le bonheur d’être tous les deux, loin des trépidations professionnelles et libérés de leurs jeunes enfants. Repos, loisirs, cabotage calme, voilà ce que devait être leur quotidien. Toutefois, dans la tête de Jean-Louis, ça s’agitait. La lecture des journaux lui avait appris que ce Russe décédé, avait tenu un poste important lors de la prise de fonction de Boris Eltsine à la tête de la Fédération de Russie, mais sans guère plus de précisions. Eltsine c’était le passé. Devenu président, il avait dissous l’URSS. Cependant, depuis quelques mois, Vladimir Poutine avait repris les choses en main. La curiosité de Jean-Louis en était stimulée d’autant. Ariane jouait le jeu sachant qu’elle ne pouvait rien contre ce fléau : la passion de l’enquête. Sans cesse revenait cette question : « Qu’est-ce que ce mec a bien pu trafiquer au Kremlin avant de venir mourir d’une crise cardiaque dans le golf de Fos ? »

Un soir, le couple se détendait allongé sur la large couchette de la cabine arrière. Dehors, comme chaque jour, la brise avait décliné et les mouvements du port étaient devenus rares. Ils ne se parlaient pas. Lui respirait fort, traduisant ainsi une excitation cérébrale mal contenue. Ariane, le nez sur un sudoku, essayait de conserver un air détendu. Puis, comme un automate, presque par réflexe, Jean-Louis se leva pour préparer un apéritif qu’ils allaient déguster dans le cockpit sous le bimini2. La fraîcheur des glaçons achetés à l’épicerie serait la bienvenue pour agrémenter cette veillée qu’il souhaitait paisible. Lors des escales dans les ports, ils avaient pris l’habitude de toujours amarrer le bateau par la pointe avant afin d’éviter que les promeneurs, les badauds de ponton éternels curieux, les dérangent, les observent. Seuls, un ou deux goélands aventuriers venaient rôder, espérant glaner quelques miettes tombées à l’eau.

Ce soir, l’heure tournait et il ne se passait rien. Tout étant fin prêt, Ariane l’avait rejoint dehors et s’était assise face à lui. Attablés sous le doux soleil de cette fin de journée de juin, ils sirotaient leur verre dans la lumière orange du crépuscule, se regardant, en silence.

Jean-Louis débordait d’admiration pour cette petite femme qui lui avait appris que la vie pouvait être autre chose qu’une rugueuse épreuve dans un orphelinat de la banlieue parisienne. Depuis qu’ils s’étaient croisés dans un cinéma d’Arles, cela faisait plus de dix ans maintenant, il ne la voyait que comme un miracle dans sa vie et rien n’était jamais trop beau pour elle3. Mais il y avait cette fichue démangeaison coupable qui le taraudait perpétuellement : la curiosité, l’appétit des mystères. C’est grâce à cet éveil permanent qu’il avait pu entreprendre une jolie carrière de reporter radio, dans une rédaction locale à Arles tout d’abord, avant d’être remarqué par un rédacteur en chef de Radio-France-Gard-Lozère. Puis il avait suivi l’évolution de carrière de son épouse et, désormais, il était reporter à Radio Bleue Ile-de-France. « Toutes les France sont sur France-Bleu », disait le slogan qui préparait l’avènement des radios régionales pour la rentrée. Lui était envahi par ce qu’il avait défini comme sa mission : informer, informer inlassablement, se tenir au courant de tout, être un aiguillon sans cesse actif pour dénicher le plus petit des mystères, la plus dissimulée des histoires. Ariane avait toujours regardé cet homme électrique avec un doux sourire. Ce soir-là, elle trinqua en le fixant droit dans les yeux, une moue malicieuse aux lèvres.

— OK mon amour. On va écourter notre croisière. Demain, on rentre, je te dépose à Toulon, tu files à la rédaction de la radio locale… Tu dois connaître l’adresse, non ? Moi je rentre tranquille à Palavas. On se retrouve chez mes parents !

Elle avait asséné ça d’un trait, prenant son époux au dépourvu. Il se pencha, interdit, la regarda comme s’il la voyait pour la première fois.

— Ça va pas ! Et tu vas ramener le bateau toute seule ! Tu es folle…

— Ce ne sera pas la première fois ! Je l’ai déjà souvent manœuvré en solitaire et la météo est plutôt cool pour les prochains jours… On fait comme ça, point ! décida-t-elle en se levant, très calme, comme toujours quand elle avait décrété quelque chose et que rien ne la ferait changer d’avis.

— Mais Ariane…

— Il n’y a pas de mais ! Tu es comme une casserole de lait sur le feu ! Ça bouillonne, ça bouillonne et si on ne fait rien ça va déborder. Alors on fait ! conclut-elle tout en remplissant derechef les verres de glaçons et de rosé de Provence.