L’Absent - Sébastien Hardouin - E-Book

L’Absent E-Book

Sébastien Hardouin

0,0

Beschreibung

« Je ne réalisais toujours pas ce qu’il m’arrivait. Je n’avais pas encore vraiment conscience de ce que la mort m’avait pris. Elle s’était invitée si brutalement dans ma vie, alors même qu’elle n’était pas conviée… Elle avait frappé à la porte de mon frère, s’était installée comme on prend place à table pour partager un repas. Son aisance familière avec les lieux semblait indiquer qu’elle était attendue. Il y avait quelque chose d’indécent chez elle, dans sa démarche. Elle arrivait sans crier gare, et repartait tout aussi rapidement, sans explication. Je la détestais profondément. »


À PROPOS DE L'AUTEUR


Lecteur passionné de classiques, de polars et de contemporains, Sébastien Hardouin publie L’Absent, son premier ouvrage, en mémoire de son frère. Dans ce roman autobiographique, il lui rend hommage et témoigne aussi de son parcours de reconstruction.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 170

Veröffentlichungsjahr: 2022

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Sébastien Hardouin

L’Absent

Roman

© Lys Bleu Éditions – Sébastien Hardouin

ISBN : 979-10-377-5507-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À toi, mon frère

Chapitre 1

— Juliette, ne marche pas sur la dalle ! Reste sur le bord, ma chérie.

La fillette leva ses beaux yeux bleus vers sa mère, la dévisagea longuement comme pour deviner ce que cachaient ses lunettes de soleil. Marion, la trentaine réjouissante, arborait une de ses longues robes à fleurs que je déteste tant. Elle s’était attaché les cheveux, ce qui lui va mieux, je trouve. Sous l’effet du vent, ses bouclettes brunes lui caressaient le visage. Elle tira de son tout nouveau sac à main son dernier Samsung Galaxy pour le mettre sur silencieux.

Je regardais Juliette s’éloigner dans les allées partiellement fleuries et retrouver son père. Greg se tenait en retrait avec Maxence, leur petit dernier. Maxence allait bientôt fêter ses trois ans. Le garçonnet, aussi blond que sa sœur était brune, ânonnait un ensemble de mots encore imparfaits, mais progressait jour après jour d’après ses parents. Depuis leur arrivée en ces lieux, Greg était en quête d’un endroit discret pour son fils prêt à uriner dans son pantalon. Il lui répétait tant de se retenir que, même à distance, je pouvais lire sur le visage de Maxence la crainte de déplaire à son père.

Tôt ce matin, j’avais quitté sur la pointe des pieds la maison endormie pour rejoindre ma sœur, son mari et leurs deux enfants. J’avais ainsi évité les ralentissements quotidiens sur le périphérique et son lot d’incertitudes. Il n’était pas question d’arriver en retard.

J’aimais rouler aux premières lueurs pour profiter de la lumière naissante du lever du jour. Dès que j’en avais l’occasion, je m’installais sur notre terrasse et ne me lassais pas de ce spectacle si inépuisable qu’il me donnait le vertige, un spectacle toujours aussi saisissant. Les teintes rosées laissaient lentement place à un sombre orangé qui s’éclaircissait tandis que les minutes passaient. Enfin, de cette palette magique surgissait un jaune doré, de plus en plus éclatant à mesure que la Terre pivotait lentement sur elle-même, un jaune splendide et franc qui m’explosait totalement à la figure.

L’autoroute offrait un confort et une sécurité que je choisis de m’offrir ce jour-là. Ainsi, le moment venu, je pourrais bénéficier d’une de leurs aires de service pour y avaler un petit-déjeuner bienvenu.

Le soleil s’extirpa péniblement des nuages amoncelés en paquets menaçants : finalement, il était au rendez-vous. Son éclairage zénithal se refléta brutalement sur le gris clair de la dalle, m’arrachant un rictus gêné.

Je n’avais pas remis les pieds en ces lieux depuis un an.

Depuis le décès brutal de mon frère.

Une année passée à revivre chaque instant comme une étape indispensable à ma reconstruction. « Cela fait partie du processus », me rappelait parfois mon psychiatre.

Processus. C’est fou ce que des mots peuvent prendre tout leur sens quand on est soi-même confronté à la situation.

Avant, je ne comprenais pas bien en quoi le fait de repasser par toutes ces étapes – les anniversaires, Noël, les réunions de famille – pouvait aider à avancer. Mon pote José, pour en avoir déjà fait l’expérience après le décès de son père, m’avait prévenu. J’avais eu beau essayer, je n’étais pas vraiment parvenu à saisir la portée de ses propos à l’époque. Tout simplement parce que je n’étais pas autant concerné que lui. Je lui avais fait croire que je comprenais ce qu’il traversait, mais il n’en était rien. Aujourd’hui, ses mots résonnaient dans ma tête comme les cloches de l’église toute proche, aux pierres vieillies par le temps.

Les cris de Juliette m’arrachèrent à mes pensées. Son frère, tout heureux de ne pas avoir mouillé son pantalon, lui courait après ; leur sourire éclatant emplissait de vie cette enceinte d’habitude si paisible et morne à la fois. La vie venait saluer les morts. J’observais avec une saveur toute particulière cet instant fugace et je me pris à espérer qu’il ne s’arrête jamais. Comme suspendu dans l’éternité.

Marion qui se tenait jusqu’alors à mes côtés s’en était allée rejoindre sa famille sur le départ. Bientôt, je les retrouvai, non sans relire une nouvelle fois ces mots gravés dans l’éternité de la pierre. Franck, tu resteras toujours dans nos cœurs.

La grille chancelante du cimetière s’était déjà refermée dans un couinement métallique interminable. Un gros chat roux installé sur le haut mur de pierres m’observait avec une méfiance teintée de bienveillance, rassuré de me voir à mon tour quitter les lieux.

Chapitre 2

Un seul coup de feu aura suffi. Le corps de Franck Douillot gisait sur le carrelage froid du bureau. C’est à peine si quelques gouttelettes de sang avaient giclé jusque sur le tapis persan écarlate. Au pire, cela ne se verrait pas, ou si peu. Une faible lumière dissipait l’obscurité qui enveloppait la maison tout entière. La lampe posée à mi-hauteur sur un guéridon éclairait la lettre qu’avait consciencieusement écrite Franck. De sa fine écriture, en petites lettres cerclées, il laissait là l’ultime témoignage de son passage sur cette Terre. Délibérément, il actait une dernière fois de sa volonté de transmettre des messages tels qu’il l’avait toujours fait sa vie durant. Une autre lettre, celle-ci postée le matin même sur la place principale du village, indiquait à son employeur qu’il lui faudrait trouver rapidement un remplaçant pour pourvoir le poste de bibliothécaire à la médiathèque de la communauté de communes.

Minutieux à l’extrême, Franck avait tout calculé. Par précaution, il avait reculé le fauteuil crapaud aux stries roses et grises. Il avait aussi éloigné, des élégants rideaux de taffetas recouvrant la fenêtre, la chaise sur laquelle il avait choisi de s’asseoir avant de commettre l’irréparable. Maintenant, le sang se répandait lentement, recouvrant le sol grisé, s’insinuant dans les joints de ciment. Pourvu qu’il ne descende pas les quelques marches qui menaient à sa chambre. Le parquet pourrait en subir quelque dommage. Et dans ces cas-là, on ne sait jamais ce que les assurances couvrent réellement. C’est vrai que, maintenant qu’il était allongé tête contre sol, il ne pouvait que se rappeler avoir omis de parcourir ses divers contrats. Comme quoi, on croit penser à tout, mais il n’en est rien. Ce n’est pas si facile de se suicider.

Bien sûr, son frère serait l’un des tout premiers à s’inquiéter de ne pouvoir le joindre. Le téléphone sonnerait peut-être de façon insistante tout au long de la journée. Pas un jour ne passait sans qu’ils ne s’appellent. Enfin ça, c’était vrai avant. Avant sa rencontre avec la belle Sonja. Elle lui avait ouvert d’autres horizons et, presque comme une évidence, Arnaud s’était lentement détourné de Franck pour suivre son propre chemin. Franck ne lui en voulait pas, pas plus qu’à Sonja qu’il appréciait véritablement. Ils se voyaient souvent et chacune de leurs retrouvailles s’effectuait dans une atmosphère bon enfant. Après tout, c’est dans l’ordre des choses de construire sa vie chacun de son côté. Mais, tout au fond de lui, il ne pouvait s’empêcher d’éprouver une pointe d’amertume. De jalousie, sans doute, aussi.

Ils avaient toujours été très proches, depuis tout petits déjà. Franck avait toujours veillé sur Arnaud telle une poule couvant ses petits. Et à ses côtés, Arnaud s’était senti poussé des ailes. Comme ce jour de vacances chez leurs grands-parents où il s’était risqué à affronter l’orage. Il faisait nuit noire et seuls d’aveuglants éclairs lézardaient le ciel. Partis pour une balade avec Rusky, le bâtard des voisins, ils avaient trouvé refuge en chemin dans une grange d’apparence abandonnée. Trempés, gelés, Arnaud et Franck n’étaient pas très rassurés face à ce ciel grondant de colère. L’heure passait et il n’y avait pas moyen de quitter ces lieux peu engageants. Et leurs grands-parents, qu’allaient-ils penser ?

Arnaud regrettait de n’avoir pas écouté son frère qui l’avait sommé de faire demi-tour alors que le ciel se chargeait d’une noirceur menaçante. Malgré l’inquiétude, une certaine excitation les avait gagnés. Franck avait alors fait preuve de caractère pour dompter son appréhension. Arnaud s’était senti tellement rassuré à ses côtés. Ils avaient passé la nuit, là, au milieu de dizaines de bottes de paille dressées telles les murailles d’un château fort.

Le lendemain matin, leurs grands-parents les accueillirent avec un tel soulagement après une longue nuit d’inquiétude que les deux garçons reçurent une claque monumentale. Ils avaient gardé un souvenir impérissable de cette nuit d’aventure et de la correction en retour. De sa place d’aîné, Franck avait pris la défense de son frère arguant qu’il était seul responsable de leur escapade nocturne. Son courage lui avait valu une punition supplémentaire, mais il avait gagné définitivement la fierté de son frère.

Mme Pouille ne viendrait faire le ménage que le lundi suivant ce qui laissait une faible probabilité pour qu’elle découvrît Franck la première. Tant mieux ! Il ne souhaitait vraiment pas lui causer tout ce tracas. Elle, d’ordinaire si tatillonne sur la saleté, ne supporterait pas toutes ces traces.

Franck avait imaginé que le premier, outre son frère, à s’alarmer de son absence serait Jacques, dit « Jacot », le propriétaire de l’unique commerce à dix kilomètres à la ronde. Il faisait de tout Jacot. Initialement bar-pmu-tabac-presse, il s’était au fil des ans accoutumé à proposer toutes sortes de services à mesure que les autres commerces ou services publics fermaient.

Il avait ainsi développé un coin épicerie qui dépannait, disposé quelques tables et chaises se targuant ainsi d’être l’unique « restaurateur » des environs, installé un espace dédié aux services postaux, et il réceptionnait les colis. Il avait même mis à disposition un ordinateur avec une connexion internet suffisamment performante pour glaner une clientèle peu habituée à son commerce fourre-tout. On avait beau dire, mais le Jacot, il se débrouillait sacrément bien. Et il connaissait sa clientèle et ses habitudes aussi éclectiques que les services qu’il proposait.

Comme chaque jeudi, vers 9 h, il s’attendrait à voir débouler Franck. Il lui servirait un café serré, accompagné d’une grille de loto et de quelques tickets à gratter. Franck resterait environ une heure à parler politique, du désengagement syndical, de la puissance des patrons sur les petits, du pouvoir insupportable de l’argent qui mène le monde. Franck s’énerverait contre Jean-Charles et Michel, fidèles piliers de bar, qui défendent des idées trop nationalistes à son goût et ne cachent pas leur sympathie pour le vote extrême. Une fois encore Jacot devrait calmer tout son monde et proposer d’enterrer la hache de guerre une bière à la main. Franck refuserait et quitterait sans mot dire les lieux pour s’en retourner dans ses pénates.

Seulement, ce jeudi sera bien différent des précédents. C’est comme ça, parfois il faut savoir casser les habitudes. Et en cela, Franck aura réussi son coup. L’inconvénient, c’est qu’il ne sera plus là pour s’en apercevoir.

Chapitre 3

Ce jour-là devait être une journée comme une autre.

L’année scolaire était terminée depuis peu. Les étudiants avaient déjà quitté l’école d’architecture, pressés de retrouver leurs familles et leurs amis pour les plus éloignés. Je pouvais dorénavant moi aussi goûter à ce repos que j’estimais bien mérité. Le temps des examens et des corrections qui s’ensuivent clôturait une année à nouveau bien remplie. Depuis cinq ans déjà, je partageais mon temps entre les cours à préparer, mes interventions professorales, la recherche et mes publications.

La maison était baignée d’une douce et chaude lumière. Je pressentais un délicieux été. Sonja avait concocté un programme alléchant : un séjour rien que nous deux en Italie sur les traces des plus grands peintres de la Renaissance, avant une escapade plus sportive dans les gorges de l’Aveyron avec, cette fois, notre fils Gabriel.

J’avais rencontré Sonja à Paris lors de mes études. Elle était de passage pour quelques jours et devait rentrer ensuite aux Pays-Bas. Elle n’est jamais repartie, si ce n’est pour retrouver ses proches à l’occasion de fêtes familiales. Je ne pensais pas un jour vivre aussi intensément ma vie. Nous ne nous quittions plus, un peu plus amoureux chaque jour.

Notre passion commune pour l’art sous toutes ses formes, nos désirs langoureux et charnels, notre irrépressible envie de laisser éclater notre bonheur au grand jour nous animaient follement. Personne n’aurait pu taire cette folie qui nous entraînait mutuellement. Personne ne pouvait comprendre cet état de grâce qui durait intensément.

Notre lumineuse rencontre allait connaître un tournant majeur et bouleversant : la naissance de notre fils. Il allait avoir trois ans en novembre et ce petit bonhomme était le sel de notre vie. Sa venue au monde fut un bonheur absolument indescriptible. Il était ce qu’il nous manquait. En sa présence, nous ressentions désormais une forme de complétude assouvie.

Plus rien ne pouvait manquer à notre bonheur. Plus rien ne pourrait l’estomper. Il serait résolument éternel. Oui, ce jour-là devait être une journée comme une autre.

Gabriel courait dans le jardin, le tuyau d’arrosage à la main. Il cherchait à m’asperger comme je venais de le faire. À chaque instant, ses pieds mouillés manquaient de se dérober. Sonja lui criait de faire attention mais il ne l’écoutait pas. Elle me jetait des regards timidement réprobateurs et aurait voulu que je cesse le jeu. Mais en même temps, elle s’amusait de voir ses deux amours laisser éclater leur joie. Nous voir heureux l’emplissait à son tour d’une chaleur indéfinissable. C’était si fort qu’elle ne pouvait se résoudre à stopper notre élan. Elle s’enthousiasmait de me voir rire aux éclats, poursuivi par notre fils hilare.

Tout à coup, je tombai à terre et Gabriel se jeta dans mes bras. Épuisés, nous restions ainsi plusieurs minutes à chercher notre souffle, nos cœurs battant l’un contre l’autre en un rythme effréné. Sa tête posée contre mon torse, Gabriel ne bougeait plus. Sa chevelure blonde me caressait doucement le visage. De ses petits doigts, il avait saisi une pâquerette dont il faisait maintenant tourner la tige. Il la fixa longuement, à la manière d’un explorateur intrépide avide de sensations au beau milieu d’une contrée vierge de toute trace humaine, ou tel un scientifique qui réalise l’ampleur d’une découverte fondamentale. Il voulut alors en attraper une deuxième, puis une autre encore.

Soudain, comme s’il s’éveillait d’un rêve trop long, il voulut repartir :

— À l’attaque ! cria-t-il tel un pirate à l’abordage d’un navire ennemi.

Je rendis les armes face à tant d’abnégation et d’énergie. Gabriel consentit à me laisser partir et retourna à ses occupations, dans la petite cabane qui lui servait à stocker ses trésors.

Sur la petite table en fer forgé, à l’ombre d’un bouleau trentenaire, Sonja nous avait porté à chacun un verre d’eau fraîche aromatisée bienvenu. Je la cherchais du regard mais elle devait être rentrée dans la maison, en quête de fraîcheur.

Le soleil jouait à cache-cache derrière le feuillage clairsemé de nos arbres. Sa chaleur irradiait mon visage. Je fermai les yeux avec délectation pour mieux savourer l’instant. Mon corps était gagné par la fatigue, je me sentais partir dans un demi-sommeil. Gabriel était bien occupé et je ne lui étais plus autant indispensable…

Je crois bien qu’une pie m’a tiré de ma torpeur. L’air hagard, je me redressai sur ma chaise. Mon visage se crispa aussitôt de douleur et je portai une main à ma nuque endolorie. Je la massai doucement pour en chasser les désagréables tiraillements qui me lançaient telles des pointes que l’on enfonce avec application. Au bout d’un moment, je pus à nouveau pivoter la tête d’avant en arrière sans risquer le blocage.

Combien de temps étais-je resté assis, endormi ? Curieusement, apercevoir Gabriel toujours affairé me rassura. Je décidai de le laisser tranquille. Posé sur la table, mon portable indiquait deux appels en absence. Je ne les avais pas entendus. Mon téléphone était resté sur silencieux. Mon père et ma sœur avaient cherché à me joindre, tous deux en l’espace de quelques minutes. Ce n’était pas si courant… C’est sans doute ce qui m’intriguait le plus. Il fallait que je les rappelle. Mais je devais recharger d’abord mon téléphone.

De retour dans le salon, je trouvai rapidement mon chargeur posé à même la plaque de verre de la table basse. Une fois mon téléphone branché à la prise la plus proche, je me redressai et écoutai le silence qui enveloppait notre intérieur. Aucun bruit ne me parvenait aux oreilles. La maison s’était drapée dans un silence assourdissant. Tout était calme.

Étrangement calme…

— Sonja !

Je l’ai appelée deux fois. Je n’ai eu pour réponse que ce silence de plus en plus pesant. Je me mis à ouvrir chacune des portes des différentes pièces de la maison, avec une évidente nervosité. À un moment, je croisai mon regard dans la glace du couloir qui mène à l’entrée : mes sourcils froncés indiquaient une appréhension insaisissable. Je sentais mes mains devenir moites. Mon cœur commençait à s’emballer, la sueur perlait sur mes tempes. Je me sentais soudainement agité et expirais de plus en plus vite l’inquiétude qui se répandait dans l’air. Une tension diffuse s’emparait de moi, de mon corps.

Soudain, je me retournai et vis Sonja, dans la pénombre, à l’autre bout du couloir. Le téléphone à la main, le long de son corps éteint. Sa tête inclinée fixait le vide.

— Sonja, murmurai-je avec une infinie précaution. Qu’est-ce qui se passe ?

Lentement, son corps glissa le long du mur pour s’affaisser sur le carrelage noir et froid. Elle n’eut pas la force de me regarder.

— Arnaud… c’est ton frère… Il est mort. Il s’est suicidé.

Jamais je n’oublierai ces derniers mots prononcés du bout des lèvres. Ils m’ont percuté avec une telle brutalité que pas un son ne put sortir de ma bouche. C’est comme si on me l’obstruait avec un gros chiffon. Ma gorge s’est violemment serrée. Je n’arrivais plus à respirer. Je m’étouffais littéralement. L’espace d’un instant, je crus perdre connaissance. Ces mots sont venus brusquement dérober l’insouciance de ma vie. En une fraction de seconde, tout l’édifice de mon existence patiemment bâti s’est effondré. Je ne le savais pas encore : mon bonheur venait de s’évanouir durablement.

Mes mains se sont mises à trembler, puis mon corps tout entier fut gagné de cataplexie. J’aurais voulu crier, hurler ma douleur, mon effroi. Rien ne sortit. Mes yeux se sont voilés rapidement. Les larmes ont alors coulé tel un torrent en furie. Mes mains essuyaient furieusement mon nez dégoulinant. Sonja m’attrapa alors les mains, les blottit dans les siennes, me fixa de ses yeux rougis et m’enveloppa tout contre elle.

À un moment, je me dégageai, me relevai avec peine, tournai le dos à Sonja avant de foncer devant moi. Je partis m’enfermer dans notre chambre et, une fois à l’intérieur, je pus libérer la rage qui me submergeait : alors, telle une bête blessée, les longs hurlements que ma bouche expulsa furent si effroyables qu’ils en pétrifièrent durablement Sonja restée de l’autre côté de la porte.

Chapitre 4

Voilà quelque temps déjà que je ne prêtais plus trop attention à mon frère. J’étais trop absorbé par le bonheur dans lequel je me berçais, je me languissais, auquel je m’adonnais avec délectation, avec cette impression surprenante que rien ne pouvait m’en défaire, rien ne pouvait m’arriver, nous arriver, tel un adolescent persuadé de son invincibilité et de son éternité. Comme j’avais tort.