L’admirateur - Remy Lorblancher - E-Book

L’admirateur E-Book

Remy Lorblancher

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Beschreibung

Paul Beruer est un écrivain sur le déclin. Ses romans policiers n’attirent plus grand monde. Alors qu’il manque d’inspiration, sa rencontre avec Louis Armand, un jeune professeur de français, lui redonne l’envie d’écrire. À quatre mains, la « marque Beruer » retrouve sa grandeur et dépasse toutes leurs attentes. Mais Louis reste un nègre littéraire inconnu de ce public toujours plus nombreux. Une nuit suffira pour solder leurs comptes et changer leurs vies.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Rémy Lorblancher est collaborateur d’élus. Dans le milieu politique, il a pour habitude de donner ses mots aux autres. L’admirateur est son premier roman.


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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Rémy Lorblancher

L’admirateur

Roman

© Lys Bleu Éditions – Rémy Lorblancher

ISBN : 979-10-377-8061-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

Une nouvelle fois, il rêva d’un meurtre cette nuit-là. À force d’en écrire, cela devenait une obsession. Le ciel était gris et il pleuvait sur Paris. Comme tous les matins, Louis Armand quitta son lit peu après sept heures. Sophie était déjà sous la douche. C’était grâce à elle que leur modeste deux-pièces mal-chauffé gardait un semblant d’ordre. Sans elle, Louis aurait déjà accumulé bien trop de livres. En bruit de fond, le périphérique. Ils s’y étaient habitués, cela ne les dérangeait plus. Une cuisine minuscule donnait sur un salon qui faisait office de salle à manger. Au centre, une grande table et un canapé près de l’entrée. De l’autre côté, un bureau en désordre, un ordinateur en équilibre sur une pile de feuilles de brouillons. Quand Sophie sortit de la douche, Louis préparait deux cafés. Ils se parlaient peu le matin. Ils n’aimaient pas les matins. Sophie se préparait en vitesse, de peur d’être en retard. Les parents n’allaient pas attendre devant la crèche pour déposer leur progéniture. Louis l’observait dans sa gestuelle matinale. Il traînait devant son café qui refroidissait. Il ne voulait pas aller travailler. Il ne voulait plus travailler. Elle était belle avec sa longue chevelure châtain. Sophie l’embrassa et le laissa seul.

Après une douche rapide, mais toujours brûlante, il se rasa et finit de se préparer. Louis portait toujours des chemises bleues ou blanches. Il n’est pas très original. Il est temps d’aller au travail. C’est à ce moment qu’elle est là, toujours, qu’elle prend possession de son corps. L’angoisse. Il ne veut pas y aller. Louis quitte l’appartement en traînant des pieds. Leur voisin était un vieil homme aussi gentil qu’insistant. Il proposait souvent à Louis ou Sophie des timbres de sa collection :

— Non, merci monsieur Hénac, c’est très gentil, mais je n’en ferai rien, répondit Louis au vieil homme lui tendant un classeur rempli de timbres de toutes les couleurs.

— Prenez, prenez ! Je vous les laisse ! insista-t-il.

Louis s’excusa à nouveau et se jeta dans les rues froides de la capitale. Le métro a le mérite de brasser un air chaud et réconfortant en hiver. C’était le seul avantage que lui trouvait Louis. Il devait s’y soustraire chaque jour pendant de longues minutes qui lui semblaient interminables. Louis rejoignit le centre de Paris et un immeuble bourgeois, de style haussmannien, sur les quais de Seine. Il connaît le code de l’interphone. Un son mécanique retentit. Dans le grand hall, la femme de ménage passait le balai :

— Bonjour Monsieur, vous allez bien ? Je crois qu’il vous attend.

— Bien et vous ? Bonne journée Madame.

Louis n’avait aucune envie d’être ici. C’est même le dernier endroit sur Terre où il souhaitait être ce matin. Il ne prit pas l’ascenseur. Comme pour perdre du temps. Louis monta lentement l’imposant escalier, tout en pierre de taille, se tenant à la rampe en fer forgé. Il s’arrêta au quatrième étage. Un homme en costume noir fermait à clé son appartement. Il avait les cheveux poivre et sel, et de larges lunettes en écaille. Louis ne le connaissait pas. Il l’avait croisé à de nombreuses reprises ces dernières années, mais sans jamais lui parler. Ils se saluèrent d’un discret « bonjour » à peine murmuré. Louis toqua à la porte voisine.

— Ah ! Louis te voilà ! Comment vas-tu ? Fraîche journée n’est-ce pas ? Installe-toi, je t’en prie.

Louis ne prit pas la peine de répondre à Paul Beruer et entra dans un confortable et lumineux appartement, donnant sur la Seine. Sur la gauche, une grande cuisine s’ouvrait sur un salon aux proportions démesurées. Deux grands canapés se faisaient face, et derrière chacun d’eux, un bureau en bois recouvert de feuilles de brouillon griffonnées. Tout l’appartement était parfaitement rangé et propre. Son propriétaire est de nature maniaque.

Avec sa barbe blanche, sa calvitie naissante et ses lunettes rondes, Paul Beruer avait de faux airs de Sigmund Freud. C’est l’image qui avait traversé l’esprit de Louis, le jour où il l’avait rencontré, il y a de cela plusieurs années déjà. Il était vêtu d’une veste verte, en tweed, parfaitement taillée, et d’une chemise blanche qui cachait son léger embonpoint. Les deux hommes s’assirent chacun à son bureau et commencèrent à travailler.

— Écoute, dit Paul Beruer, la première partie est bien, mais on doit davantage la « muscler » je trouve, on doit plus « marquer » notre personnage. On va reprendre cela ce matin.

Louis acquiesça d’un timide hochement de tête en sortant son ordinateur de son sac.

— Je peux retravailler la description de Lola si tu veux, pendant que tu regardes ce qu’on peut faire pour la fin du chapitre 6, proposa-t-il.

— Oui tu as raison, faisons cela, ajoute des détails à Lola, je la veux plus vivante, qu’on puisse facilement l’imaginer.

Paul Beruer est l’un des auteurs francophones les plus lus au monde. Spécialiste des romans policiers, il était surnommé le Stephen King français depuis que François Busnel avait tenté cette comparaison sur le plateau de la Grande Librairie. Cela faisait bientôt quinze ans que Paul Beruer sortait chaque année l’un des livres les plus vendus dans l’hexagone. Auteur populaire, il était aussi apprécié pour son style simple et ses intrigues surprenantes que pour sa discrétion médiatique. Rare en interviews, encore plus en dîners mondains, Paul Beruer appréciait le calme de son très chic appartement. Il n’en sortait que rarement, préférant vivre parmi ses brouillons et ses livres.

Dans ses romans, le lecteur sait tout. Qui meurt. Pourquoi. Et qui l’a tué. Alors, pourquoi le lire ? Parce que dans un Beruer, le méchant de l’histoire s’en sort toujours. Il parvient à s’en tirer même quand tout semble perdu. Il est pratiquement impossible de ne pas lire d’une traite les dernières pages d’un Beruer. Beaucoup trop de lecteurs et de lectrices étaient arrivés en retard à leurs rendez-vous, ou avaient raté leur arrêt de métro en lisant le dernier chapitre de ses romans. Il est très facile de s’identifier aux héros d’un Beruer et de les comprendre. Des gens au quotidien banal à qui il arrive des évènements hors du commun, les transformant à jamais. On avait déjà demandé à Paul Beruer d’où il tirait toutes ces idées de meurtres et d’enquêtes. À vrai dire, il n’en savait rien. Il avait toujours pensé qu’on ne choisissait pas ce qui sort de nous, en posant des mots sur une page blanche. Il n’avait pas toujours été écrivain. Issu d’une famille de la grande bourgeoisie parisienne, il était entré très tôt dans la carrière diplomatique. Une profession où il n’avait jamais vraiment brillé. Plusieurs opportunités s’étaient présentées à lui pour devenir consul ou même ambassadeur, mais Paul avait toujours refusé. Cela demandait de changer de poste et de pays régulièrement. Il n’aimait pas le changement. Au début de sa carrière, il enchaîna les postes subalternes, à Rome, Genève et Buenos Aires avant de revenir en France comme simple rédacteur au Quai d’Orsay. Dans l’ennui de cet emploi, il commença à écrire Meurtres chez le Consul, où un jeune attaché d’ambassade étrangle son supérieur avant de faire croire à une pendaison. La critique détesta son premier livre. Qui était cet inconnu qui se permettait de donner à voir, de manière aussi crue et vulgaire, une histoire de meurtre où le coupable n’était pas inquiété ? Le public français tomba immédiatement sous le charme de Beruer. Personne alors n’écrivait si simplement des histoires où le héros était moralement aussi mauvais. Il fut tout de suite numéro un des ventes. La première chose que fit Paul avec cet argent fut de s’acheter une bouteille de vin Château d’Yquem 1933. Puis il démissionna. Réglé comme un métronome, il sortait, depuis, un livre par an, pour la rentrée littéraire.

Chaque année, le nouveau Beruer était attendu par un public toujours plus nombreux. À chaque fois, le meurtrier s’en sortait. Mais de manière toujours inattendue. La presse écrivait en avance les critiques de ses livres, certains de leurs succès à venir. Les journalistes se demandaient qui il était. On le sollicita pour faire des interviews, écrire des chroniques et même faire de la publicité. Cela ne l’intéressait pas. Partout où il allait dans Paris, il était reconnu. Cela l’angoissait. Alors, il resta de plus en plus souvent chez lui. Et la routine s’installa ainsi. Un nouveau livre. Encore. Un nouveau succès. À nouveau. Beruer ne surprenait plus par sa réussite. Au fil des années, l’inspiration se fit mécanique et il se savait de plus en plus médiocre. Les ventes diminuaient, restant tout à fait acceptables, mais loin de ses premiers livres. La critique, quant à elle, assassinait cet auteur qui se contentait de plagier ses romans précédents. Paul n’arrivait pas à leur donner tort. Il pensait à Marlon Brando. En bon cinéphile, il le revoyait dire devant la caméra lors d’un interview : Être un acteur est un métier vide et inutile. Écrivain aussi, pensait-il. Paul avait adoré écrire, mais désormais cela le tuait doucement, mais sûrement. Il n’avait plus goût à rien. Il avait même arrêté sa collection de grands vins. Il ne lisait plus. Paul savait qu’il ne savait rien faire d’autre, il était donc contraint à devenir un écrivain sur le déclin, sombrait un peu plus à chaque page. Comment remédier à cela ? Il avait besoin de nouvelles idées. De casser cette routine mortifère et de vivre d’autres choses. Son éditeur, François Lecamp, lui proposa de partir quelque temps chercher l’inspiration dans un voyage, mais Paul ne se voyait pas quitter son grand appartement.

Un soir, il se mit à rêver. Il pensait à Roman Kacew. Plus connu sous le nom de Romain Gary. Entre 1974 et 1980, l’écrivain avait publié sept romans. Trois en tant que Romain Gary. Quatre sous le pseudonyme d’Émile Ajar. L’écrivain demanda à Paul Pavlowitch, fils de sa cousine germaine, de « jouer » Émile Ajar auprès des médias. C’est donc lui qui se présenta comme l’auteur de La vie devant soi.

Paul avait-il encore sa vie devant lui ? Pouvait-il se réinventer lui aussi ? Il l’espérait. Mais il savait aussi que Gary avait succombé à ce jeu de nom d’emprunt.

L’attention de toute la scène littéraire s’était portée, à l’été 1975, sur cet auteur inconnu, à la biographie fictive, construite par Gary. Pavlowitch prit alors quelques libertés et laissa échapper des indices sur sa véritable identité. Le lien familial avec Romain Gary fut rapidement établi et les soupçons sur la paternité de l’œuvre d’Ajar se faisaient de plus en plus pressants. Ce mystère fit le succès de La vie devant soi qui remporta, cette année-là, le prix Goncourt. Romain Gary obtient ainsi son deuxième Goncourt, après Les Racines du ciel en 1956. Un prix que l’on ne peut recevoir normalement qu’une seule et unique fois. Pavlowitch disparut, et Gary refusa le prix.

Le 2 décembre 1980, il a 66 ans et il est fatigué de cette vie aux multiples facettes. Il déjeune avec Claude Gallimard, son éditeur, puis il rentre chez lui, rue du Bac à Paris. Allongé sur son lit, il se tire une balle dans la bouche. Il laissa une lettre qui se termine par ces mots : « Je me suis enfin exprimé entièrement. »

Paul comprenait pourquoi Gary avait voulu se réinventer. Être écrivain c’est être seul. Se créer un double littéraire, c’est vaincre cette solitude de l’écriture. Au risque d’être dépassé et d’y succomber. Un soir, accablé par les doutes et la peur de voir tout se finir, il fit ce qu’il n’avait jamais pris la peine de faire. Paul commença à parcourir les premières pages des manuscrits que de jeunes auteurs lui envoyaient, cherchant conseils et affection d’un écrivain qu’ils admiraient. D’une nature peu sociable, Paul finissait le plus souvent par jeter ces écrits sans y porter un seul regard.

Mais ce soir-là, il pensa que lire le travail d’un autre pouvait l’aider à trouver l’inspiration. Le premier manuscrit était faible. Le style brillait par sa lourdeur. Le deuxième était incompréhensible, trop de personnages, de dialogues inutiles. Il faillit abandonner avant d’attaquer le troisième. Mais c’était tout aussi mauvais. Enfin non, il faut dire que Paul Beruer est exigeant. C’était une histoire d’amour assez plate, une relation passionnelle de deux amants en vacances, en Grèce. Pas très original.

Et si ce personnage masculin tuait sa bien-aimée ? Et si c’était involontaire ? que ferait-il du corps ? Il serait perdu entre sa peine et sa peur, sans doute. Voilà les idées qui fusaient dans la tête de Paul. Cette histoire était médiocre, mais réécrite dans un roman policier, dans son style à lui, cela pouvait devenir intéressant. Il revint à la page de garde, chercher le nom de l’auteur de ces pages. Bien entendu, c’était un parfait inconnu. Louis Armand.

Louis Armand n’a jamais eu le succès de Paul Beruer. Il avait bien essayé d’écrire plusieurs romans, mais aucun d’entre eux ne fut accepté par une maison d’édition. Pourtant, Louis savait qu’il avait du talent. Depuis tout petit, il écrivait. Des nouvelles, des pièces de théâtre puis des romans. Adolescent, il s’était refermé sur lui-même. Il ne plaisait pas vraiment aux filles. Alors il écrivait ses propres histoires d’amour. L’été, il aimait faire de l’escalade, il était loin d’être mauvais en équilibre sur une paroi rocheuse. Il était même parvenu à se qualifier pour les championnats de France. Mais cela n’impressionnait pas beaucoup les filles. Même dans la section littéraire au lycée, il n’avait pas les faveurs de ses camarades féminines. Alors il écrivait. Partout. Tout le temps. À s’en faire saigner les doigts parfois. Il entreprit des études de lettres malgré les réticences de ses parents. Louis s’enferma alors toujours plus dans la lecture. Il lisait tout ce qui lui tombait entre les mains. Les classiques, bien sûr, mais aussi les best-sellers du moment. Il décortiquait leurs styles d’écriture afin de comprendre leurs succès. Il attendait chaque année le nouveau roman de Beruer, auteur tout récent alors, un personnage mystérieux, peu médiatique, qui savait emporter son lecteur par son style aussi simple que ses intrigues complexes. Louis lisait souvent d’une traite ses romans policiers. Après cinq ans d’études, Louis se résolut à devenir professeur de français. Aucun de ses manuscrits n’avait séduit de maisons d’édition. Il continuait d’écrire sans tenir compte des lettres de refus, il savait qu’un jour cela payerait. Louis s’ennuya quelque temps dans un collège de banlieue. Le niveau était catastrophique. Il avait pensé un temps pouvoir se satisfaire de cet emploi par les bienfaits de la transmission du goût des livres à de jeunes esprits, mais il se retrouvait à reprendre des bases de grammaire et d’orthographe à des enfants aussi turbulents que peu intéressés. Après quelques années, Louis fut muté dans un lycée non loin de là. Un public autrement plus difficile. Parvenir à maintenir un semblant de calme relevait de l’exploit. Il rentrait souvent chez lui le soir complètement défait, ne sachant pas si le lendemain, il aurait la force d’y retourner. Il se souvint d’un cours particulièrement traumatisant. Après toutes ces années, Louis avait publié sur internet un de ces romans. Il avait de nombreux retours de lecteurs anonymes, lui trouvant du talent. Un de ses élèves était tombé dessus et avait partagé son travail avec ses camarades de classe. Arrivé dans la salle de cours, Louis se fit attaquer par des jets de boules de papier alors que l’un d’eux lisait son texte.

— Hé, le poète !

— Monsieur Armand, c’est chaud là !

Louis était humilié. Demain, il faudrait y retourner. Chaque jour un peu plus, il perdait goût à la vie. Il écrivait de moins en moins. Puis tout changea.

Au début, c’était juste un coup de téléphone.

— Oui allô ?

— Oui, monsieur… Louis Armand ? Paul Beruer à l’appareil.

Louis n’en revenait pas. Il pensait à une mauvaise blague. Il avait envoyé son manuscrit à l’auteur il y a de cela presque six mois et le silence du grand écrivain durant cette période marquait bien son total désintérêt quant à son travail. Il s’était plus ou moins résolu à devenir professeur, à force d’entendre les silences pesants des maisons d’édition.

— Paul Beruer ? Vous êtes Paul Beruer ? bredouilla sans conviction Louis.

— Oui oui, écoutez, hier soir j’ai lu votre manuscrit, je pense qu’on peut en faire une bonne histoire. Vous pouvez venir chez moi ce matin ?

C’est à ce moment que Louis aurait dû se demander ce que signifiait ce « on », mais c’est plus l’invitation de Paul qui le préoccupa.

— Mais je… je dois donner cours là je ne peux pas…

— Écoutez, laissez tomber votre cours ou ce que vous êtes en train de faire, peu importe, j’ai besoin de vous Louis.

Louis n’en revenait pas. Il allait rencontrer Paul Beruer.

Alors, pour la première fois de sa vie, Louis fit quelque chose qu’il n’avait jamais pensé faire : il fut déraisonnable. Il quitta sans réfléchir le lycée sans plus penser aux classes qui allaient l’attendre. Un taxi le conduit jusqu’au domicile de Paul Beruer.

Il emprunta le grand escalier jusqu’au quatrième étage. Bien sûr, il connaissait le visage de l’auteur, rare en interview, mais pas dans la presse littéraire.

La première fois que Louis vit son visage, il était souriant. Bien loin du mythe de l’écrivain froid et misanthrope.

— Bonjour Louis, vous voulez un café ?

— Euh oui avec plaisir monsieur Beruer.

— Paul, appelez-moi Paul, je vous en prie, le rassura Beruer d’un sourire entendu.

Il l’invita à s’asseoir en face de lui sur un canapé en cuir. Il s’installa en face, dans un canapé identique, très à l’aise, les jambes croisées.

L’appartement ressemblait bien à celui d’un homme cultivé vivant seul. Des piles de livres, de papiers et de journaux en tous genres décoraient le grand salon baigné de lumière.

— Écoutez Louis, j’ai lu avec attention votre histoire.

À ces mots, Louis sentit son ventre se serrer. Être lu par quelqu’un d’aussi important, il savait que c’était la chance de sa vie.

— C’est une belle histoire, cela manque un peu de fond, de consistance, certes, mais c’est normal après tout, vous êtes si jeune !

Louis ne comprit pas tout de suite cette remarque, il resta figé sur le « c’est une belle histoire ». C’est ce qu’il voulait ; écrire de belles histoires. Cette intrigue d’amour de vacances lui était venue lors d’un voyage en Grèce, où il n’avait pas eu le courage d’aborder sa magnifique voisine de chambre d’hôtel. À défaut de faire vivre cette histoire, il essaya de la raconter. Et Paul Beruer aimait cette belle histoire.

— Louis, j’aimerais vous proposer quelque chose. Avez-vous déjà écrit un roman policier ?

— À dire vrai, je n’ai écrit pour le moment que des histoires d’amour, avoua timidement Louis.

— L’amour est mort depuis longtemps mon cher.

La formule aussi brève que surprenante ne rassura pas Louis, qui découvrait ici tout le cynisme et la misanthropie de son hôte.

— Vous avez pensé à la faire mourir ?

— Pardon ?

— Votre personnage féminin. Si son amourette de vacances la tue, ça change toute l’intrigue, n’est-ce pas, on peut imaginer à partir de ce point de départ toute une nouvelle histoire !

Louis fut surpris par cette déclaration et le plaisir que semblait prendre Beruer à imaginer cette histoire parallèle. Cependant, il concevait désormais la platitude de son intrigue. Un crime ? Il n’y avait pas pensé, pourquoi tuer une belle histoire ?

— Louis, l’amour ennuie les gens, la mort les excite. Vous voulez bien écrire cette histoire avec moi ?

Louis n’aurait pas pu être plus surpris. Il s’attendait à des conseils d’un grand écrivain, pas à cette proposition. Son téléphone sonna. La principale de son lycée. Il ignora l’appel.

— Tenez, installez-vous là et reprenons au moment où la romance est née entre les deux personnages.

Comment refuser ? Il s’assit sur le canapé à côté de Paul. Ils tenaient ensemble le manuscrit et Paul commença :

— Vous voyez ici, c’est trop long, on se perd dans la description de ses sentiments, on se fiche de cette introspection à l’eau de rose.

Décidément, ce Paul Beruer était surprenant. Loin du timide maladif décrit dans de nombreux articles de presse, Louis découvrait un homme jovial, franc et charismatique. On sentait que les idées fusaient dans sa tête.

— Oui, mais je voulais que ce soit un moment de réflexion sur ce qu’était l’amour pour lui et…

— L’amour c’est l’amour, rien de plus, mais il faut introduire à ce moment une tension, voyez-vous. Un élément qui fera dire au lecteur « oh, cette histoire d’amour cache quelque chose ».

— Un indice sur… sa mort prochaine ?

— Oui exactement ! Louis commençait à concevoir l’originalité d’une telle histoire et se prit au jeu :

— Il pourrait lui dire qu’il serait prêt à mourir d’amour pour elle ? essaya-t-il.

Paul marque un temps d’arrêt qui sembla une éternité dans le silence de ce grand appartement. Il regarde Louis avec un léger sourire :

— C’est excellent ça, Louis.

Il y a des moments où le temps n’a plus de prise et où les heures défilent comme des secondes. La journée passa et les deux hommes restèrent sur ce canapé, à réécrire, raturer et imaginer cette nouvelle intrigue. Ni la faim ni la fatigue ne les dérangea dans leur besogne. Malgré leurs deux décennies d’écart, ils semblaient deux camarades de classe préparant une nouvelle bêtise passionnante. La Grèce et son soleil devenaient leur univers, et cet hôtel, le lieu de leur crime. La jeune femme succomba sous les coups de son amour de vacances. Et Louis et Paul ne faisaient plus qu’un.

— Il est tard, regarde, lança Paul en observant la lune déjà haute dans le ciel parisien.

Puis un silence :

— Que fais-tu demain ?

Louis pensa à ses copies à corriger et à ses élèves. Mais quel ennui de revenir à cette réalité si décevante et de repenser à cette vie de professeur qu’il n’avait jamais voulue !

— Je peux revenir demain si vous voulez.

— On va se tutoyer, ce sera plus simple, sourit Paul.

Chapitre 2

Louis était bien revenu le lendemain. Et le jour d’après. Et le reste de la semaine aussi. Après plusieurs séances de travail, ils avaient tous deux décidé de repartir sur une idée neuve. Un nouveau roman. Ils souhaitaient imaginer ensemble l’intrigue depuis son commencement et non plus retravailler un roman. Louis avait complètement oublié ses élèves. Ils avançaient bien ensemble, les personnages prenaient forme, l’intrigue aussi. Louis apportait son originalité, sa nouveauté, sa créativité quand Paul y mettait son expérience, sa construction minutieuse d’un roman policier. Louis se voyait chanceux de côtoyer un tel écrivain. Paul adorait la finesse d’esprit du jeune Louis.

La journée, ils pensaient, écrivaient et réécrivaient ensemble. Le soir, chacun chez soi, ils repensaient à leur journée, et à celles à venir. Une forme d’addiction créative s’était nouée entre eux. Ils n’étaient perturbés qu’à de rares moments par le passage de la femme de ménage. Elle ne pouvait constater que ces deux-là s’étaient bien trouvés. Ils étaient devenus en peu de temps les deux faces d’une même pièce. Le voisin de palier de Paul, un homme d’une quarantaine d’années, toujours engoncé dans le même costume noir, voyait ce jeune homme impatient dès le matin d’enjamber quatre à quatre les escaliers. Louis n’avait jamais pris le temps de lui parler, mais les deux se saluaient poliment d’un geste de tête convenu, comme un rituel de leurs matinées.

Paul commençait une phrase, Louis la finissait. Ils leur arrivaient même de relire un passage sans plus savoir qui avait écrit quoi. Après quelques semaines, le tout premier jet de leur premier roman était né. Leurs journées de travail commençaient tôt le matin pour se finir tard dans la nuit. Les après-midis étaient longues et souvent propices aux grands débats :

— Elle ne peut pas le tuer de cette manière ! Allons Louis, ce n’est pas sérieux !

— Mais si ! c’est son unique moyen d’y parvenir dans la bibliothèque !

— Un coupe-papier n’est pas une véritable arme ! Ce n’est pas crédible !

Louis trouvait l’image symbolique forte, Paul la voyait terriblement prévisible. Cette fois-ci, le coupe-papier resta l’arme du crime. Le plus souvent, c’était Louis qui donnait généreusement ses idées, et Paul qui choisissait ce qui collait le plus à son style et à l’intrigue qu’il voulait. Leur duo fonctionnait bien et ils en étaient conscients. Ils avaient appris à se faire confiance. Les deux hommes s’appréciaient et s’estimaient. Paul voyait Louis comme l’étincelle créative qui lui permettait de construire son récit. Louis admirait le génie de Paul, sa façon de penser l’intrigue, de nouer les relations des personnages et de créer des rebondissements inattendus. Il aimait lui donner des idées, et structurer son style qui était devenu le leur. Ce premier roman Beruer/Armand suivait Sophie de Montherlant, aristocrate française, descendante de l’écrivain du même nom. Sophie était une très belle jeune femme qui partageait sa vie entre le mannequinat et la gestion du patrimoine littéraire de son célèbre ancêtre, Henri de Montherlant. Un soir, un jeune admirateur de l’écrivain, Antoine Plenel, pénètre par effraction dans le domaine familial, et à sa grande surprise, Sophie en tombe amoureuse. Mais l’exaltation du jeune homme vire peu à peu à la folie, à mesure qu’il découvre avec toujours plus d’excitation l’intimité de l’écrivain et de sa descendante. Au cours d’une scène de ménage, Sophie le poignarde en plein cœur à l’aide du coupe-papier d’Henri de Montherlant. Elle mettra alors tout en œuvre pour cacher le corps et faire croire à la disparition de son amant exalté.

Paul et Louis n’étaient toujours pas d’accord sur le nom de leurs protagonistes.

— On part vraiment sur « Montherlant », Paul ? C’est poussiéreux, on peut prendre un autre auteur non ?

— C’est plus « Antoine Plenel » qui me gêne vois-tu. On dirait un nom d’emprunt.

— Tu penses à un autre nom, pour remplacer notre mort ?

— Jérôme Herbert, par exemple.

— Cela fait tout aussi nom d’emprunt comme tu dis !

— Restons sur Plenel alors, mais hors de question de changer Montherlant dans ce cas.

— Bon, bon comme tu veux. C’est nul, mais va pour Montherlant, se résigna Louis.

Le travail d’écriture était alors achevé. Mais il manquait quelque chose.

— Tu as une idée de titre ? demanda Paul en réfléchissant.

— Non, pas vraiment, et toi ?

— Peut être quelque chose qui vient traduire leur relation, Sophie et Antoine forment un couple particulier, il faudrait retranscrire cela, ils ne sont pas d’égal à égal dans cette relation, Sophie est presque son égérie, c’est comme si Antoine était son…

— Admirateur.

Ils avaient un roman, et ils avaient un titre. Mais une grande question se posait à eux désormais. Qu’allaient-ils faire de cette histoire ? La garder pour eux ? La publier ? Sous quel nom ?

— J’ai pensé qu’on pouvait présenter ce premier jet à mon éditeur sous nos deux noms, dit Paul.

— Cela ne lui semblerait pas bizarre ? Tu n’es pas censé être du genre solitaire ? répondit Louis, en souriant.

— Si en effet, tu as raison.

— Présente-lui ce manuscrit, sans rien lui dire et voyons ce qu’il en pense, proposa Louis.

C’était décidé. Le lendemain, Paul irait chez son éditeur, présenter leur « nouveau-né » comme ils aimaient l’appeler. Cette nuit-là, Louis s’endormit sur le canapé, dans le salon de Paul. Il se réveilla en sursaut quelques heures après, Paul n’était plus là. Sur la table basse, jonchait de feuilles de brouillons, un mot : Je suis parti chez l’éditeur, je reviens vite. Fais comme chez toi, Paul.

***

Le bureau de François Lecamp était baigné de lumière avec sa cloison de verre. Un grand siège de cuir trônait devant un large bureau couvert de manuscrits. Au mur, une bibliothèque ornée de livres en tous genres et de cadres photo, comme autant de souvenirs d’une vie d’éditeur. En rentrant, le regard de Paul Beruer s’arrêta sur une photo de François aux côtés de Jean-Louis Serygnet, le célèbre critique littéraire. François accueillit son client préféré d’un grand sourire, mais d’un regard froid.

Nathalie, sa secrétaire de toujours, se moquait gentiment de son patron, de sa calvitie naissante et de son visage qu’elle jugeait trop expressif, mais elle n’avait en réalité que de l’admiration pour son patron. Il était l’un des éditeurs les plus réputés de Paris. Et ce pour une bonne raison, qui se nomme Paul Beruer. Il se souvenait encore de ce diplomate venu lui apporter son manuscrit alors qu’il n’était qu’un éditeur à la peine. François était tout de suite tombé sous le charme de Beruer et de sa maladresse. Son premier roman était bon. Très bon. Il avait la fougue d’un premier roman et le caractère de l’expérience. François se souvint de sa dernière page. Comme dernier mot, le mot fin, barré : FIN.

Il lui avait alors demandé pourquoi cela, et la réponse de Paul avait suffi à le décider à le publier :

— Parce que je ne crois pas que l’on finit un jour d’écrire.

Les deux hommes avaient construit la marque Beruer, ces bestsellers annuels, François s’accommodait de la discrétion de son auteur, gérant pour lui les nombreuses sollicitations médiatiques et mondaines. Mais depuis quelque temps, François voyait bien que le souffle se faisait court. Beruer avait perdu de sa superbe. Il était attendu, trop attendu. Son public commençait à s’ennuyer. Et lui aussi.