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Les suites d’un pari idiot, interférant avec le cours réel des événements, vont conduire les deux amis Calixte et Pamphile, ainsi que les autres protagonistes de ce thriller, à participer à des investigations qui vont se dérouler depuis Paris jusqu’au cœur de la forêt de Tronçais, dans l’Allier.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Ingénieur spécialisé en structures de génie civil, Michel Deflandre a également, dans sa jeunesse, étudié la musique et la pratique de l'accordéon. Après une longue et riche carrière professionnelle, il a décidé de se consacrer depuis à une autre activité sans cesse repoussée à cause de son emploi du temps professionnel auparavant surchargé : l'écriture de romans d'aventures et d'intrigues à base scientifique et psychologique.
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Seitenzahl: 490
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Michel Deflandre
L’affaire du ressort
Roman
© Lys Bleu Éditions – Michel Deflandre
ISBN : 979-10-377-7320-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Si tout cela a pu aboutir, c’est grâce à l’attention que Martine, mon épouse a toujours su manifester à mon égard, et surtout à sa patience depuis cet accident qui n’a pas bonifié mon caractère. Sans ses encouragements, rien n’aurait été possible.
Les suites d’un pari idiot, interférant avec le cours des évènements réels, conduisent Calixte et Pamphile et certains protagonistes de ce thriller surprenant à participer à des investigations inattendues qui vont ensuite se dérouler depuis Paris jusqu’au plein cœur de la forêt de Tronçais, située dans l’Allier.
(N.d.A)
« Je suis à chaque fois épaté de te voir ramasser tous ces machins, par terre. D’où te vient cette manie ? ... »
Un cabinet de curiosités
D’humeur très souvent fantasque, Pamphile Gaudins était de plus, curieux de tout. C’est ainsi qu’il ne manquait jamais la moindre occasion, de profiter des panoramas intéressants que Paris offre, depuis les différents points de vue de cette « Coulée Verte » aménagée sur le viaduc des arts, entre les places de la Bastille et de Daumesnil1.
Ce fut à nouveau le cas, lors de cet après-midi d’automne ensoleillé, au cours d’une de ses promenades en compagnie de son ami et confident, Calixte Devoos.
— Je suis à chaque fois épaté de te voir ramasser tous ces machins, par terre. D’où te vient cette manie ? demanda soudain ce dernier, à Pamphile, d’un air à la fois inquisiteur et narquois.
— D’abord, ce n’est pas une manie, puisque j’y trouve de l’intérêt, et que ces machins peuvent parfois être des points de départ d’idées, des sources d’inspiration ou même de créations. Et tout ça, en partant de petites choses, à partir de presque rien, te rends-tu compte ? lui fit remarquer celui-ci.
— Ah oui, et des créations de quoi ?... lui demanda alors Calixte, qui s’attendait une nouvelle fois aux pires élucubrations, de la part de son imprévisible ami.
— De toutes sortes… Ou plutôt, de presque tout… En plus, ça entretient ma curiosité, mais quelques fois, ça peut aussi provoquer des interférences surprenantes, avec la réalité !
— Ouah… Alors, prouve-le ! Et je proposerai ensuite d’ajouter ton nom sur la liste de ceux qui, comme Galilée, ont marqué l’humanité, le mit au défi Calixte, goguenard.
— Bon, très bien ! ajouta alors Pamphile, piqué au vif…
Tu vois ce truc, là sur le sol ? Eh bien c’est justement un de ces machins, comme tu viens de le dire…
— Oui, c’est un simple ressort un peu rouillé qui traînait sur le chemin, avant que tu ne te décides comme maintenant à te baisser pour le ramasser. Je me demande bien d’ailleurs, quelle pouvait être son utilité ?
— Eh bien tu vois ? C’est précisément par une question comme celle-ci, que tout peut commencer, continua Pamphile, d’un ton énigmatique et un peu emphatique.
— Justement, tu ne devrais pas minimiser le rôle que les ressorts ont joué dans le développement des sciences et des techniques. Regarde celui-ci ! À première vue, il semble être un ressort de compression, car ses extrémités sont dépourvues de boucle. Je pourrais t’en parler plus longuement, car je te rappelle que l’histoire des sciences, c’est tout de même ma spécialité ! En plus, je crois que tu te la « pètes »2 un peu en affirmant tout ça, réagit Calixte, afin de continuer à le défier, et en étant de plus en plus ravi de pouvoir observer la tournure qu’allait prendre leur discussion.
— Dans ce cas, tu vas voir… Tu entends la personne qui marche là, juste derrière nous ? Bon, ne te retourne pas… Ralentis comme moi, continua-t-il, en baissant la voix.
Une minute plus tard, un homme les dépassait en claudiquant, sur ce chemin aménagé et arboré, qui rejoignait un peu plus loin le pont suspendu surplombant le Jardin de Reuilly. Il semblait peiner pour marcher en s’appuyant à chacun de ses pas, plus fortement sur sa jambe droite.
— Monsieur ! l’interpella Pamphile, après avoir attendu qu’il les distança de quelques mètres.
— Oui ? fit l’homme, qui se retourna en fronçant les sourcils, l’air interrogatif.
— Je crois que vous venez de perdre ceci, dit Pamphile en exhibant le ressort.
L’homme s’arrêta pour attendre qu’ils arrivent à sa hauteur, puis leur dit, après avoir examiné l’objet :
— Euh non… Non, ce n’est pas à moi !
— Ah ? Excusez-moi, mais j’étais pourtant presque certain de l’avoir vu tomber de votre poche.
— Je vous remercie en tout cas, dit l’homme qui repartit aussitôt en boitant.
— Alors, je vais passer une annonce dans le journal local ou sur internet en y joignant une photo, ajouta Pamphile, suffisamment fort pour que ce dernier l’entende.
— C’est beaucoup d’énergie dépensée pour un simple petit ressort rouillé ! lui répondit l’homme, d’un ton moqueur en accompagnant son propos, d’un geste désabusé du bras.
— Peut-être, insista Pamphile, mais si ce truc-là vous avait appartenu, vous seriez bien content que quelqu’un vous le restitue, non ?
— Admettons, reprit l’homme en s’arrêtant de nouveau. Mais seulement si ça avait de la valeur. Mais là, ça m’étonnerait !... ajouta-t-il, d’une moue dubitative et un peu narquoise.
— Vous avez sans doute raison, mais on ne sait jamais. Je vais tout de même faire ça ! insista Pamphile, toujours sur le même ton.
Calixte décontenancé par ce dialogue, resta un moment silencieux à réfléchir, puis d’un air étonné, il demanda à son ami :
— C’était ça, ta démonstration ?
— Je voulais seulement que tu assistes bien à tout depuis l’origine… Tu vas voir, je suis sûr que ce n’est pas fini. Je te propose qu’on en reparle ensemble d’ici deux jours, dit Pamphile d’un air assuré.
— Moi, ce qui me plaît bien dans la réponse de ce type, c’est la façon dont il a relié immédiatement ce ressort à de l’énergie, marmonna Calixte.
Tout de suite après avoir fait cette remarque, ce dernier continua à suivre des yeux d’un air pensif, l’homme qui s’éloignait en claudiquant.
Pamphile en entendant la remarque, ne put s’empêcher de se frapper la tempe à plusieurs reprises, de son index en levant les yeux au ciel.
— Je t’ai bien vu faire toutes ces simagrées ! lui fit remarquer Calixte, en faisant exprès d’arborer un air contrarié.
Un peu plus loin à l’écart, un homme avait observé attentivement toute la scène et était même parvenu à saisir quelques bribes de paroles échangées. Assis sur un banc situé dans un bosquet, il fumait nonchalamment sa cigarette.
Il attendit que Pamphile et Calixte se séparent, pour quitter son poste d’observation et entreprendre de suivre discrètement le boiteux.
« Ce type m’intéresse. Il faut que j’en sache qui il est… » se dit ce dernier.
Le surlendemain, Calixte retrouva Pamphile comme prévu. Ce dernier était assis sur un des bancs du parcours piéton aménagé le long de l’ancienne ligne de chemin de fer, là où ils s’étaient quittés l’avant-veille.
Aussitôt qu’il le vit, Calixte lui demanda sans préliminaires, où en était l’affaire du ressort.
— Avant de te répondre, dis-moi plutôt, ce que toi tu en sais ! lui répondit bizarrement Pamphile, en levant la tête du journal dans lequel il semblait plongé.
— Mais, pourquoi moi ? s’étonna Calixte.
— Oui toi justement ! Ne me dis pas que tu n’es pas allé traîner sur internet et sur les réseaux sociaux pour me devancer, se moqua Pamphile.
— Euh… j’ai seulement voulu vérifier si quelqu’un avait répondu à ton annonce…
— Et ?
— D’abord, je n’ai trouvé aucune trace nulle part, d’un message de ce genre, lui avoua Calixte.
— C’est normal, puisque je n’en ai pas passé !
— Mais tu avais pourtant dit…
— Bon, c’est vraiment tout ? insista Pamphile, peu convaincu par cette réponse.
— Eh bien non, mais ça tu dois déjà le savoir, s’énerva Calixte.
— Je ne sais rien du tout. Moi, je n’ai pas cherché à savoir quoi que ce soit, concernant ce ressort.
— Alors, tu ne sais pas ?...
— Mais qu’est-ce que je devrais savoir ?
— Tu n’es pas au courant de toutes les réponses que cet
homme qu’on a croisé a reçues ? lui demanda Calixte.
— Parce que lui, il avait passé un message ?
— Oui… Sur le site «Lost». Et il a même laissé ses coordonnées…
— Donc tu connais son nom ? demanda Pamphile.
— Il s’appelle Ambroise Duchemin, avoua Calixte.
— Alors tu connais aussi son âge, sa profession…
— Euh… Eh bien oui ! C’est un ancien inspecteur de police. Il est retraité et a soixante-deux ans…
— Il avait joint tous ces renseignements dans son message ?
— Euh… dit Calixte embarrassé.
— Quoi ? Je n’ai pas entendu ta réponse, insista Pamphile.
— Tu m’emmerdes… C’est un interrogatoire ?
— Mais non !... C’est juste que je me demandais si parmi les autres personnes qui lui avaient répondu, certaines comme toi avaient eu envie d’en savoir plus sur lui.
— Mais pourquoi ?
— Pour te prouver qu’il est possible de créer quelque chose à partir de presque rien, comme je te l’avais laissé entendre avant-hier, insista Pamphile.
— Mais rien n’a été créé dans cette histoire, que je sache !
— Bien sûr que si !... Dans un premier temps, on a d’abord créé de l’information…
— C’est intéressant, mais de l’information, ce n’est pas grand-chose, ce n’est pas palpable, et donc, ce n’est… rien ! insista exprès Calixte, et de plus en plus amusé et intéressé.
— C’est forcément quelque chose, puisque pour créer cette information, on a tout de même fait des efforts… Je me suis baissé pour ramasser le ressort, j’ai discuté avec ce type, ce dernier a passé un message, des personnes lui ont répondu, maintenant je t’en parle et toi tu me réponds à ton tour, et en plus après t’être renseigné plusieurs fois sur…
— Mais où veux-tu en venir ? le coupa Calixte, émerveillé par la tournure que prenait leur débat.
— À ceci… Alors, je me demande d’un coup, si à l’inverse, de l’information pourrait aussi créer des choses… Ou plutôt, est-ce que de l’information ne pourrait pas à son tour être assimilable à… de l’énergie, pour par la suite participerait à la création ou à la transformation de quelque chose en autre chose ou un en autre évènement ? lâcha Pamphile, dont le front plissé indiquait une réflexion intense.
— Ah ah ? … Eh bien, certains pourraient te croire complètement dingue, de te poser ce genre de questions. Mais… en creusant un peu… ce n’est pas aussi si con que ça ! finit par ajouter Calixte, tout à fait conquis par les interrogations de son ami.
— Je te remercie de le reconnaître ! dit Pamphile.
— Il n’y a pas de quoi ! Figure-toi que des physiciens ont rejoint certains métaphysiciens et philosophes. Ils commencent à accepter l’information comme troisième entité fondamentale de la constitution de l’univers.
— Au fait… Combien de personnes lui avaient répondu ?
— Je n’ai pas compté… Une quinzaine ?... Je crois… dit Calixte, perplexe.
— Bon, je te propose qu’on en parle à nouveau dans deux jours, qu’est-ce que tu en penses ?
— Comme tu veux ! lui répondit Calixte, étonné de revoir Pamphile replonger la tête dans son journal, en affichant un air redevenu indifférent.
Ni l’un ni l’autre n’auraient pu s’imaginer qu’une autre personne n’avait rien perdu de tous leurs faits et gestes, en les épiant depuis le même banc que l’avant-veille.
Deux jours plus tard, c’est un peu avant que leur prochaine rencontre prévue ait lieu que n’ayant eu bizarrement aucune nouvelle de son compère, Calixte décida, par sécurité, de le joindre par téléphone. N’obtenant pas de réponse, il lui laissa ce simple message par sms :
« C’est Calixte… On avait bien prévu de se voir aujourd’hui, non ? »
Puis dans l’attente d’une réponse, il se dit que ce serait sans doute intéressant de lire plus attentivement les réponses au message, que ce fameux Ambroise Duchemin avait posté. Mais surprise. Il y avait beaucoup plus de réactions que l’avant-veille...
Calixte fit un tri en éliminant d’abord toute la flopée de celles du genre : « En effet, j’ai bien perdu un ressort… Il m’était indispensable pour…Ou, on m’a bien dérobé un ressort… je me souviens maintenant de la personne qui… »
Il préféra se concentrer plutôt sur un autre type d’échanges d’un caractère plus énigmatique :
« Monsieur, j’ai bien reçu votre message dont je crois bien avoir perçu le sens profond. Sachez alors que ce ressort, dont vous vous prévalez maintenant comme d’un avantage, ne vous a pas été transmis par hasard. Nous vous avons choisi… Ou bien – ne vous laissez pas influencer par les divagations de ce genre d’individu dont le but cache un dessein beaucoup plus obscur… Ou encore – Ah ! je retrouve bien là, les manœuvres de cette confrérie d’illuminés que je croyais pourtant dissoute. Face à cette résurgence, sachez que nous les combattrons à nouveau, avec toute l’énergie que vous nous connaissez ! »
Calixte se dit qu’il serait sans doute amusant de réagir aux propos de la première des phrases qu’il venait de découvrir et dont le sens ne lui paraissait réservé qu’à certains membres avertis d’un réseau. Il eut donc envie de se comporter comme s’il savait de quoi il retournait, en tournant sa réponse de la façon suivante :
« Cher Monsieur, je me permets de vous faire part de ma surprise, car figurez-vous que moi aussi j’affirme faire partie de ces personnes qui ont été choisies, en recevant ce fameux ressort dont j’atteste pouvoir à mon tour, me prévaloir ! »
« Toc… Envoi ! » se dit Calixte en se frottant ensuite les mains d’un air satisfait, après avoir contemplé son œuvre et en se demandant si cette phrase pourrait bien avoir un sens pour quelqu’un.
En soirée, le téléphone grésilla. C’était Pamphile qui prit la parole immédiatement, dès la connexion établie :
— Bonsoir Calixte, pardonne-moi de ne t’avoir pas répondu, car je suis parti en voyage.
— Mais, c’est pourtant bien toi qui m’avais proposé qu’on se retrouve comme l’autre fois afin d’évoquer les suites de notre affaire ?
— De quoi tu parles ?...
— Mais… des suites aux réactions des personnes qui… Enfin, tu sais bien ! Des échanges à propos de ce ressort…
— Ah oui, le ressort ? C’est vrai… je n’y pensais plus !
— Mais comment ça... tu avais oublié ?
— J’étais passé à autre chose, depuis…
— Tu m’avais pourtant dit que tu voulais me prouver qu’on pouvait créer quelque chose, rien qu’en ramassant des trucs ! le coupa-t-il.
— Ah oui c’est vrai… Mais ce n’est pas pour ça que moi, je t’appelais.
— C’est incroyable !... grommela Calixte, désappointé.
— Écoute, on reparlera quand tu le voudras, des conséquences de la découverte de ce ressort, et d’ailleurs tu remarqueras que j’ai évité de m’en mêler… Là maintenant, si je t’appelais, c’était pour te demander de venir me rejoindre.
— Pourquoi ? Mais où es-tu ?
— Dans le département de l’Allier.
— Qu’est-ce que tu es allé faire, là-bas ? lâcha Calixte, déconcerté par le comportement imprévisible de son ami.
— Une ancienne relation retrouvée récemment m’a signalé que je pourrais y découvrir des trucs intéressants. Il paraissait certain que ça éveillerait ma curiosité. Eh bien, il a eu raison, car je ne suis pas déçu !
— Et tu es parti comme ça d’un coup, en me laissant l’affaire de ce ressort sur les bras, s’indigna Calixte.
— Je ne t’ai rien laissé du tout sur les bras, car c’est toi qui as décidé d’en suivre les rebondissements, le reprit malicieusement Pamphile.
— Et maintenant, ça t’indiffère ? lui répondit ce dernier, en ignorant exprès, cette allusion à l’objet ramassé deux jours plus tôt.
— Oui, complètement puisque je t’ai déjà donné une réponse sur ce qui avait été créé. Bon… revenons plutôt à l’Allier ! Alors, tu m’y rejoins ? Tu pourras de cette façon, y découvrir enfin des choses qui sont de ton ressort ! insista alors plus lourdement Pamphile.
— Haha, bof ! cette fois, je la trouve ça carrément nul comme allusion. Bon ! à une seule condition alors...
— Laquelle ? demanda Pamphile, d’une même voix amusée.
— Que tu me laisses te tenir au courant des derniers soubresauts de ce machin lança à son tour, Calixte.
— Ouais… là c’est un poil meilleur !... Bon alors je t’attends demain, et tu pourras me raconter tout ça sur place. Voici les coordonnées…
Calixte pourtant habitué au caractère versatile de son ami, se demanda qui pouvait-être cette personne qui l’avait incité aussi soudainement, à aller farfouiller dans ce département éloigné. Il ne put s’empêcher de le questionner :
— Au fait, est-ce que je la connais moi, cette personne qui t’a…
— Tuut-tu-tut… n’obtint-il comme toute réponse, de son portable.
Si Calixte semblait s’être fait tirer l’oreille avant d’accepter d’entreprendre ce voyage, c’était pour la forme. En réalité la perspective d’un trajet en train de trois petites heures depuis la gare de Lyon, au travers des paysages de la Bourgogne et du Bourbonnais, le ravissait d’avance.
Pamphile était donc venu le récupérer en fin d’après-midi, à la gare de Moulins, puisqu’il avait sa voiture et lui avait proposé de le ramener par la suite, à Paris.
— Alors, tu t’es enfin décidé à t’évader de ton train-train ? lui demanda ce dernier l’air réjoui, dès qu’il le vît.
— Tu sais très bien que ce train-train, comme tu l’appelles, m’apporte beaucoup de satisfactions. Mais, je suis plutôt impatient que tu me montres, ce qui a bien pu t’amener ici !
— OK, mais avant, nous devrons en premier traverser partiellement, une des forêts les plus spectaculaires de France, dit Pamphile d’un air docte.
— C’est loin ? lui répondit seulement ce dernier.
— Une trentaine de kilomètres, tu vas voir…
— Alors je vais pouvoir mettre ce temps de parcours à contribution, pour te tenir informé des autres sursauts de notre ressort ! dit Calixte en sautant sur cette occasion.
— Tu ne lâches rien, hein ? Bon vas-y, je suis bien obligé de t’écouter puisque je suis rivé à ce volant…
— Bon, tu te souviens d’où nous en étions restés ? dit Calixte.
Et ce dernier lui résuma les termes des réactions aux échanges découverts entre les internautes, suite à la réponse que cet autre avait faite au message passé par le fameux Ambroise Duchemin. Il lui expliqua aussi son intervention, dans laquelle il avait cru bon d’affirmer qu’il avait été « choisi » et qu’il n’avait pas été le seul à l’avoir été, ainsi que la réponse obtenue.
— Ah, tiens ?
— C’est tout ce que ça t’inspire, comme remarque ?
— C’était pour marquer mon intérêt… Mais continue ton histoire. Je te signale qu’il nous reste encore dix-huit kilomètres à parcourir ! dit Pamphile.
— J’ai reçu… Enfin plutôt, j’ai lu plusieurs autres réactions à ma réponse, et parmi celles-ci, il y en a une qui m’a particulièrement intriguée…
— Ah, et pourquoi ? réagit ce coup-ci, Pamphile.
— Regarde plutôt la route ! Tu viens de signaler que tu allais tourner à droite, alors que tu es allé tout droit… On reprendra la suite plus tard, car je tiens arriver en entier à destination, dit Calixte en faisant des efforts pour garder son sérieux.
— Si j’ai bien compris, tu essaies de tirer parti du moindre incident pour retarder à ton tour, ce récit.
— Excuse-moi. Bon alors, comme tu sembles brûler d’impatience de continuer, dis-moi enfin où on va ? le questionna Calixte.
— Dans un tout petit village qui se nomme Isle-et-Bardais. Celui-ci est situé près d’un étang, et un quart de la forêt de Tronçais fait partie de son territoire.
— Je me demande bien ce qui peut intéresser un citadin indécrottable comme toi, dans un tel village perdu.
— Tout simplement un endroit que les gens du cru appellent « la maison de l’Inventeur », répondit Pamphile.
— Tu as l’intention d’y faire une opération immobilière ?
— Mais non, ce sont surtout les souvenirs laissés par ce bonhomme que je pourrais y trouver…
— C’est qui, cet inventeur ?
— Tu devrais plutôt demander, qui c’était ? rectifia Pamphile.
— Alors, qui était-il, et quand est-il décédé ? demanda Calixte, redevenu sérieux.
— En fait, personne actuellement ne sait plus trop rien sur les détails, sauf ce que certains colportent encore à son sujet… Tu comprends, ça remonte à pas mal de décennies, et celui-ci n’a pas eu de descendants. Du coup, la maison a été abandonnée, et la démographie du village s’est effondrée. D’après mes recherches, d’un millier d’habitants autour de 1870, passés ensuite à 700 il y a cent ans, on ne compte plus actuellement qu’environ 250 personnes vivant dans la commune.
— Mais il devait au moins avoir un nom, cet inventeur ?
— Oui… Clothaire Duranton. Ce qu’on sait de lui, c’est qu’il avait fait des études secondaires à Moulins, qu’il avait hérité de quelques biens et qu’il s’intéressait beaucoup aux sciences et techniques de l’époque. Mais tiens, nous y voici !
Pamphile, après s’être garé entre l’église et le cimetière, se dirigea sans un mot et d’un pas assuré, vers une bâtisse ancienne, flanquée d’un grand appentis métallique, en partie vitré, dont l’allure industrielle vieillotte inhabituelle, semblait entériner les mystères générés par ses premières explications.
Calixte qui l’avait suivi risqua une question au moment où ce dernier s’apprêtait à pénétrer dans l’édifice :
— Tu as le droit de t’y introduire comme ça ?
— J’avais prévenu le Maire au préalable… Il y a eu pendant plus de trente ans des recherches d’héritiers qui se sont ensuite révélées négatives. Du coup, la municipalité s’est vue attribuer ce bien, de droit.
— Ah… Et donc tu penses pouvoir te servir comme ça ? s’étonna Calixte.
— Le Maire m’a prévenu, qu’une vente publique aurait bientôt lieu, et que si des objets m’intéressaient je pourrais auparavant, les négocier avec lui.
— Et tu y as déjà remarqué des choses intéressantes ?
— J’aimerais bien avoir ton avis sur certains trucs, répondit Pamphile.
— Mais moi, avant ce que tu viens de me dire m’inspire une autre idée. Je te propose tout d’abord, d’aller faire un tour jusqu’à ce cimetière, qu’on voit tout près…
— Si tu y tiens… Mais je ne suis pas certain qu’une visite sur la tombe de ce Clothaire Duranton nous apportera beaucoup plus de renseignements. Viens, suis-moi ! On peut passer par l’arrière de la maison, c’est plus court !
— Donc pendant qu’on marche, je vais pouvoir reprendre la suite des évènements liés au ressort, que je m’apprêtais à te dévoiler dans la voiture, dit Calixte.
— D’accord, mais nous y serons dans deux minutes, et…
— Alors, écoute-moi ! l’interrompit Calixte… Rappelle-toi qu’Ambroise Duchemin ayant cru bon de réagir en affirmant que lui aussi avait été « choisi », je te disais que j’avais eu aussi envie d’y mettre mon grain de sel, en ajoutant que c’était mon cas moi aussi…
— Mais qu’est-ce que tu voulais dire ? …
— Je n’en savais moi-même, fichtrement rien ! … J’avais répondu ça au hasard, pour faire avancer le schmilblick ! Et comme je commençais à te l’expliquer, j’ai ensuite pu lire plusieurs réactions à ma réponse, et surtout celle-ci, que je te cite de mémoire, et qui m’a beaucoup intriguée : « Monsieur, vous vous croyez obligé de faire le malin en affirmant que vous avez été choisi, vous aussi. Une telle affirmation peut être lourde de conséquences pour quivoudrait se faire passer pour un “élu”. Je vous demande donc, soit de rédiger un rectificatif à votre déclaration, et nous en resterons alors, là… Par contre, dans le cas où vous persisteriez, je vous inviterai alors à me le prouver, ce qui ne sera pas une mince affaire. »
— Alors, tu as fait quoi ? réagit Pamphile, tout en ouvrant le portail métallique du cimetière, qui émit un grincement plaintif en phase avec l’atmosphère du lieu.
— Eh bien j’ai pris la décision de…
— Le Maire m’a indiqué que c’était sur la droite au bout de l’allée, le coupa de nouveau Pamphile.
— Hein ?
— La tombe ! … J’en avais parlé au Maire, et il m’avait dit qu’elle se trouvait sur la droite, insista ce dernier.
— Ah ?... Mais j’étais juste en train de t’expliquer quelle décision j’avais prise, s’insurgea Calixte.
— La voici ! continua Pamphile, chez qui Calixte crut déceler une amorce de sourire de satisfaction.
Le caveau se révéla envahi d’herbes folles, et on arrivait à peine à déchiffrer le nom, « … haire Duranto. ». D’autres inscriptions presque illisibles étaient gravées plus bas.
— Il va falloir gratter un peu la pierre pour lire la suite de ce qui est écrit, fit remarquer Calixte.
— C’est juste de la mousse… Tiens, dit Pamphile, ça ne devrait pas être trop difficile avec la lame de mon canif !
— Continue à gratter, je vois apparaître quelque chose… Là, stop !
— Tu arrives à lire, là maintenant ? demanda Pamphile.
— Oui, presque ! À n. tre Ami ...thaire, .én. ali… enteur .éco..u 1879-19.8, dit Calixte en articulant exagérément la prononciation des seules syllabes lisibles.
— Hein ?
— Je ne fais qu’épeler ce qui est déchiffrable, dit Calixte qui afficha à son tour un sourire malicieux.
— Tu ne te forces pas trop… Moi je lis, en m’appliquant un peu plus pour reconstituer ce qui manque, « À notre regretté Ami Clothaire, inventeur méconnu – 1879-1958. »
— Pourquoi pas 1928, 1938 ou 1948 ?
— C’est encore le Maire, qui m’a communiqué son année de décès.
— Je me demande bien ce qu’il avait pu inventer ? murmura Calixte.
— J’espère que tous les trucs qui restent dans cette tanièrepourront nous donner des indices suffisants afin de nous le faire découvrir, continua Pamphile en se dirigeant d’un air déterminé vers une bâtisse un peu à l’écart.
— J’ai bien peur que depuis tout ce temps, il ne reste plus grand-chose…
— Et bien, détrompe-toi, d’après ce que j’ai déjà pu en voir ! Une espèce de légende aurait été même entretenue dans le village, depuis la disparition de ce drôle de type. Du coup… les gens ont préféré se tenir à l’écart de ce lieu, ajouta Pamphile en reprenant son souffle.
— Tu crois qu’elle est hantée ? ajouta Calixte, l’air ironique.
— Mais non ! suis moi…
— Ralentis un peu et respire ce bon air de la campagne ! Lui conseilla Calixte, en ralentissant et en adoptant exprès un air détendu.
— Nous voici justement presque arrivés, au seuil de la mystérieuse caverne d’Ali-Baba, lui indiqua Pamphile, d’un ton surexcité.
— Je finirai bien par trouver bien la faille à un moment un autre ! bougonna Calixte.
— Heureusement que j’ai pensé à prendre une lampe-torche, car la nuit vient vite en cette fin de journée d’octobre, répondit Pamphile en faisant semblant d’ignorer sa dernière remarque.
Après avoir pénétré dans le vestibule de la maison, ils traversèrent une salle complètement vide de mobilier, puis, ce qui avait dû être une antichambre tout aussi vide, qui donnait ensuite accès à l’appentis vitré.
— Ouaah !... s’exclama Calixte dès l’ouverture de la porte.
— J’avoue que je m’attendais à ta réaction, dit Pamphile l’air satisfait.
— Je comprends mieux quand tu parlais de caverne d’Ali-Baba ou d’antre. On dirait à la fois un atelier, ou un laboratoire scientifique… non plutôt un musée de sciences ! s’émerveilla Calixte en baissant la voix machinalement comme s’ils s’introduisaient dans un sanctuaire.
— Tu saisis maintenant pourquoi j’avais besoin de quelqu’un comme toi pour m’aider.
— Pourquoi moi, et que cherches-tu, particulièrement ? chuchota Calixte.
— Pourquoi toi ? Tu dois bien t’en douter. Mais en ce qui concerne le reste de ta question, je n’ai pas encore de vraie réponse, avoua-t-il. Au fait, rien ne t’empêche de parler un peu plus fort.
— C’est que, ce lieu m’impressionne…
— Toi, impressionné ?
— Certains lieux comme celui-ci semblent encore imprégnés de l’histoire de ceux qui les ont créés et animés. Regarde, tout a été laissé en l’état, comme si le propriétaire était sur le point d’y revenir… continua Calixte, à mi-voix.
— Alors, ne reste pas sur le seuil. Entre et promène-toi au milieu de tous ces trucs, et dis-moi ce que tu remarques en premier…
Calixte s’aventura jusqu’à la paillasse carrelée d’une zone aménagée comme un laboratoire. Des fioles multicolores de tailles diverses étaient alignées, sur les étiquettes desquelles on pouvait encore y déchiffrer certaines inscriptions de couleur mauve et délavées par le temps. « Onguent des tanneurs, Vitriol, Esprit de Sel, Vif-argent, Sel d’Oseille, Huile de raze, Cristal de Condy3… »
— Tout est impeccablement rangé et aussi mis en valeur, s’étonna Pamphile.
— Tiens ici, on dirait des creusets de fondeur ? Remarqua Calixte, étonné.
Il fit quelques pas jusqu’à une autre paillasse sur laquelle il découvrit ce qui ressemblait à des instruments de mesure électriques, du genre ampèremètre.
— Ooh ! s’écria-t-il.
— Qu’est-ce qui t’arrive ?
— C’est incroyable ! … Un disque perforé tournant de Nipkow, ici ?
— C’est quoi ça ?
— Un… un système d’analyse mécanique d’une image, qui permet sa décomposition sous forme de lignes, dans le but de transmettre celle-ci par des signaux électriques et par la suite, électroniques… Ça a permis bien plus tard, l’essor du fax, puis grâce au tube cathodique, celui de la télé… débita Calixte d’un ton expert, encore sur le coup de l’émotion de cette découverte.
— Et pourquoi cela t’étonne-t-il autant ?
— Paul Nipkow était un ingénieur allemand qui a inventé ce dispositif en 1884. Ça ne t’étonne pas toi, que ce mec possédait un truc comme ça dans la première partie des années ce dispositif en 1884. Ça ne t’étonne pas toi, que ce mec possédait un truc comme ça dans la première partie des années mille neuf cent, et dans un village perdu au fond d’une des plus grandes forêts d’Auvergne ? s’enquit Calixte.
— Tu vois bien que j’ai eu une bonne idée de te demander de venir… Tu viens aussi de répondre à ta propre question de tout à l’heure. Au fait, as-tu remarqué qu’il y avait très peu de poussière sur tous ces objets ? dit Pamphile.
— Je m’en suis fait la remarque au moment où je t’ai dit que ça paraissait bien rangé… Ça semble impossible que tous ces machins soient restés dans un pareil état de conservation, depuis plus de soixante ans… ajouta Calixte, de plus en plus intrigué.
— Alors je compte sur toi pour m’aider à percer cette énigme.
— Je suis épistémologiste et non pas policier, réagit Calixte.
— Non, mais ça ne t’a pas empêché de faire ces remarques, et au fond de toi-même tu dois être curieux de savoir à quelles recherches, ce bonhomme pouvait bien se consacrer.
— C’est pas faux ! rétorqua Calixte, l’air suffisant.
— Là, c’est toi qui te la pètes, en employant cette expression pédante.
— Il commence à faire sombre, nous devrions plutôt revenir demain matin, afin d’examiner tout ça en détail, proposa Calixte, pensif.
— Ah-Aaah… alors le suspens prend corps ! souligna Pamphile, moqueur.
— Tiens au fait, à propos de suspens, ça ne t’intéresse pas de savoir quelle décision j’avais prise, après avoir lu la réponse de celui qui semblait agacé parce que je lui avais affirmé être aussi un « élu » ? continua Calixte.
— Tu vas pouvoir me dire ça pendant le dîner. J’ai réservé des chambres dans une auberge située à Valigny, c’est tout près…
— Mais j’espère quand même que tu te rends compte, que ce ressort que tu as ramassé…
— Tu ferais mieux d’admirer toute cette nature qui est autour de nous, le coupa Pamphile. Regarde, c’est l’étang de Pirot, réalisé grâce à un barrage en terre, sur la rivière Marmande…
— Ton ressort ! le coupa Calixte en insistant. Tu sembles l’oublier… Et toutes ces invectives à son propos !
— Je t’avais pourtant bien prévenu qu’il était possible de créer quelque chose, à partir d’un simple machin trouvé sur un chemin, lui rappela Pamphile, d’un air réjoui.
— Boof… Moi j’attends toujours de voir ce qui a été vraiment créé, ajouta Calixte pour le titiller.
— Tu sais que parfois, un processus créatif peut être long… Il est le plus souvent fait d’étapes, de moments de réflexion et de pauses, de ratures, d’exaltation et de découragement.
— Là, tu parles des phases, que tout artiste traverse ! Cela n’a rien à voir avec ce que tu m’as annoncé. Dans ce défi, tu semblais plutôt me prédire que quelque chose ou un évènement, allait survenir comme une génération spontanée…
— Jamais je n’ai parlé de génération spontanée ! protesta Pamphile. J’ai bien insisté sur le fait que ce qui allait être créé le serait à partir de presque rien, comme ce simple ressort, mais surtout pas de rien, comme tu sembles vouloir le dire.
— Tu me fatigues ! lui répondit Calixte, qui sortit en claquant violemment la porte.
— Ce bâtiment ne résistera pas très longtemps à tes mouvements d’humeur, réagit Pamphile en entendant le vitrage de l’appentis, réagir en vibrant, suite à la brutalité involontaire du geste de son ami.
AmbroiseDuchemin était resté perplexe et contrarié, par toutes ces réactions que son message avait provoquées, sur le net. Bien sûr, il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Rien ni personne ne l’avait obligé à faire ça, sinon sa seule curiosité. Mais tout ça, c’était de la faute d’un de ces deux types croisés l’autre jour, qui lui avait demandé s’il ne venait pas de perdre un machin. Il se souvenait qu’après lui avoir posé cette question, ce dernier lui avait affirmé qu’à tout hasard, il se chargerait de laisser sur le Net, un message concernant ce bidule perdu… Déçu de n’avoir trouvé aucun courriel, il s’était dit qu’en en rédigeant un lui-même, ça provoquerait ce bonhomme qui avait assuré qu’il le ferait, et il avait même diffusé ses coordonnées. Mais il était loin de se douter que cette initiative allait déchaîner autant de passions et de mauvaise foi. Et puis cet autre-là, qui s’en était mêlé après coup, en s’adressant au type venu d’on ne sait où, qui affirmait être « un élu », et à qui il s’était vanté à son tour d’avoir été « choisi »…
Ambroise ne se sentait pas du tout tranquille. Il était même inquiet de savoir que son nom et ses coordonnées se trouvaient maintenant mêlés à des évènements qu’il risquait de ne plus pouvoir contrôler. Qu’est-ce qui lui avait pris de prendre ce chemin haut de la coulée verte pour se rendre à la poste ? D’habitude, il empruntait l’Avenue de Reuilly en contrebas, bien plus directe.
Quelques jours plus tard, il se décida à s’épancher auprès de son épouse Rosamonde :
— Il faut que je te confie un truc… avait-il commencé.
Cette dernière fut tout de suite alertée. Ce n’était pas son genre de lui dire des trucs comme ça tout à coup. Une angoisse et un pressentiment l’étreignirent, car le ton détaché qu’il venait d’utiliser en prémices de ses confidences ne lui annonçait rien qui vaille. Elle qui aimait avant tout, la stabilité et la sécurité, et n’acceptait l’aventure qu’en prenant toutes les précautions possibles, se sentit brusquement complètement déstabilisée.
— Holala ! Que se passe-t-il ? S’était aussitôt emballéeRosamonde. Dis-moi tout… La police te recherche ?... Tu as commis un meurtre ?
— Bien sûr que non !
— Alors, de quoi s’agit-il ? avait-elle imploré, de nouveau paniquée.
— Rien de si grave, il n’y a pas de quoi te mettre dans un était pareil…
Et il lui avait raconté sa rencontre avec les deux types sur le chemin de la poste, lui avait parlé de ce ressort rouillé qui ne lui appartenait pas…
— Tu en es sûr ? lui avait-elle demandé, en sentant son pouls s’accélérer de nouveau.
— Que voudrais-tu que je fasse avec un ressort ? s’était énervé Ambroise, qui commençait à regretter d’avoir voulu jouer la transparence avec Rosamonde.
— Bon alors, puisque tu lui as confirmé que ce ressort n’était pas à toi, que t’a répondu ce bonhomme ?
— Il m’a tout simplement fait cette simple remarque, « qu’il passerait à tout hasard une annonce dans le journal local et sur internet en y joignant une photo… »
— Bon eh bien voilà ! l’affaire est close, s’était exclamée Rosamonde, enfin rassurée et sentant les battements de son cœur ralentir un peu.
— Pas tout-à-fait, lui avait-il répondu ensuite, d’un ton plus bas…
Et il lui confessa que sa curiosité l’avait poussé à vérifier si ce dernier avait bien mis son projet à exécution en allant se balader sur internet, et que n’y trouvant rien il avait eu envie de bousculer un peu les choses. Puis il lui relata les réactions en retour, qui l’avaient finalement poussé à se confier à elle.
De nouveau, Rosamonde sentit son pouls s’accélérer et le vide de l’inconnu s’ouvrir sous elle et l’aspirer. Elle défaillit et s’affala de tout son long sur le sol au pied du canapé sur lequel ils s’entretenaient.
— Rosamonde ! Rosamon-on-de ! ... avait-il hurlé, en vain.
Leur Médecin appelé en urgence ne put que constater son décès. Ce dernier ajouta :
— Je l’avais pourtant prévenue qu’il lui faudrait éviter les trop fortes émotions, dit-il, après qu’Ambroise lui eut relaté dans quelles conditions le drame était survenu. Comme vous étiez averti de son insuffisance cardiaque, je vais être obligé de signaler tout ça à la police, afin qu’il y ait une enquête, ajouta-t-il, d’un air désolé.
L’enquête ayant eu lieu, le Juge d’instruction décida finalement de clore l’affaire en mettant l’ancien fonctionnaire de police Ambroise Duchemin hors de cause, après avoir fait recouper les détails qu’il avait donnés, par son équipe.
Après que l’autorisation d’inhumer fut donnée et que la cérémonie eut lieu, Ambroise se jura alors de venger Rosamonde, en essayant tout d’abord de retrouver ces deux types qui l’avaient abordé.
Pour ce faire, il décida de se poster sur le fameux chemin où tout avait commencé en s’y rendant chaque jour à des heures différentes, puis tous les deux jours. Mais peine perdue, malgré toute sa détermination, ses efforts restèrent vains. Au bout d’une semaine et demie et lassé, il décida de s’y prendre autrement.
« Pourquoi ne pas plutôt essayer de leur tendre un piège ? » se dit-il, plein de hargne.
Depuis tout ce temps passé à faire le guet, Ambroise avait complètement délaissé internet. Il se demanda alors s’il ne serait pas plus judicieux de reprendre contact avec ces deux individus par ce biais, au cas où ceux-ci seraient poussés par la même curiosité un peu malsaine, de savoir comment avait évolué l’histoire du ressort rouillé.
Il fut très surpris de constater que les polémiques avaient continué à enfler. Toute une communauté d’individus signant leurs invectives de pseudos exotiques s’y était jointe. Ainsi on pouvait lire, « … qui peut avoir été choisi, à part moi ! Lebon-choix# cémoi », ou « ne prenez pas la mouche, mais exterminez là, comme tous ceux de votre organisation répugnante, l’anamite-citrine # flytox », ou encore, « Pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom ? Un rectificatif ne vous sauvera pas puisque nous savons qui vous êtes. Tremblez ! lucy-fair# Zoro-astre ».
Ambroise se rendit alors compte que sa première initiative avait été le point de départ de ce déferlement de haine des internautes, voulut tenter de calmer ce jeu qui commençait à prendre des proportions que rien ni personne ne semblait pouvoir contrôler, en expliquant tout depuis le démarrage et en s’adressant à tous. Cela aurait peut-être comme effet de pousser en plus ces deux olibrius, à réagir.
Il commença à rédiger un brouillon, en essayant de ne rien omettre, reprenant son texte plusieurs fois, changeant des mots ici ou là. Il le relut enfin à voix haute, et d’un air satisfait :
— Messieurs-Dames les Internautes,j’ai bien lu toutes vos réactions et tous cesembrouillaminis regrettables, nés d’un simple concours de circonstances mal maîtrisé. Je vous dois donc d’exposer les faits chronologiquement et le plus fidèlement, tels qu’ils ont eu lieu depuis le début. Tout a commencé alors que je me rendais à pied à la poste il y a plusieurs semaines. Mais plutôt que d’emprunter l’Avenue, comme d’habitude pour faire ce trajet, j’ai eu l’idée de passer par cette voie sur la coulée verte, qui est un peu plus longue, mais beaucoup plus agréable du fait qu’il permet de se soustraire un peu aux nuisances des émanations de la circulation automobile. Tout en marchant donc sur ce chemin, j’ai d’abord été dépassé par deux individus, car ma démarche est assez lente étant donné qu’un rhumatisme de la jambe gauche me fait boiter. Mais quelques instants après que ces deux piétons m’eurent dépassé, j’eus l’impression qu’ils ralentissaient exprès afin que je puisse les dépasser à nouveau. Puis l’un des deux m’interpella en me demandant si c’était moi qui venais de laisser tomber un objet de ma poche. Il me montra ensuite la chose, mais j’ai répondu négativement en le voyant. Il ne s’agissait en fait que d’un simple petit ressort un peu rouillé ! L’homme m’a dit alors qu’il passerait une annonce dans le journal et sur internet en y joignant une photo à tout hasard. Je me suis permis de lui répondre que c’était beaucoup d’énergie dépensée pour un objet sans valeur. Mais c’est quelques jours plus tard que tout a basculé. Voyant que l’homme qui m’avait interpellé ne s’était pas manifesté, j’ai alors voulu le narguer en relatant moi-même ce qui s’était passé. Mal m’en a pris, puisque je n’ai pu ensuite que constater que je venais de déclencher ce séisme de malentendus, ce qui a provoqué ensuite aussi la cause du décès de mon épouse. Aussi, je vous demande à tous, de bien vouloir m’excuser, pour avoir ainsi bousculé le cours des évènements et de vos existences, en décidant de relater ce fait déclencheur qui n’avait en soi aucune importance. Ambroiseduchemin – [email protected].
— Et toc… Envoi ! murmura Ambroise, qui se sentit d’un coup soulagé, en pensant avoir mis les choses au clair.
— Je vous propose en entrée, des filets de carpe de l’étang de Pirot, accompagnés d’une crème d’orties, dit la patronne de l’auberge, où Pamphile les avait conduits.
— Oh ! ça se mange ça, les orties ? Ne put s’empêcher de réagir Calixte.
— Oui, et accompagné d’un vin blanc de Saint-Pourçain, assemblage de cépages de Chardonnay et de Tressallier, vous verrez que c’est même délicieux, lui répondit-elle en riant.
— C’est ce que j’ai choisi hier et je confirme ! Du coup, pour changer, moi je vais goûter à votre spécialité régionale, le pâté aux pommes de terre, intervint Pamphile.
— Vous verrez qu’il s’accordera aussi très bien avec ce vin blanc, lui assura-t-elle.
À peine la tenancière eut-elle tourné les talons, que Calixte revint à la charge, pressé de continuer :
— Je vais maintenant enfin pouvoir te parler de la décision que j’avais prise à propos du mec mécontent de ma déclaration dans laquelle j’affirmais aussi être un élu et qui m’avait adressé une espèce de défi…
— Et donc ? insista Pamphile impatient, voyant que la suite ne venait pas.
— J’avais marqué ce temps d’arrêt pour m’assurer que tu étais intéressé par ce j’allais te dire, s’amusa Calixte. Bon puisque je constate que ça semble enfin autant te captiver, je lui ai répondu que je persistais dans ma déclaration.
— Ça a dû le foutre en rogne, non ?
— J’en sais rien ! Depuis, on est ici à essayer de savoir ce que ton Clothaire Duranton pouvait bien bricoler, et même inventer à cette époque, si l’on en croit l’épitaphe découverte sur sa tombe, réagit Calixte.
— Donc tu n’es pas allé voir depuis, s’il avait réagi à ta réponse, concernant son ultimatum ?
— Non, d’autant plus que toi depuis, tu m’as distrait avec la maison de cet inventeur qui n’aurait pas été ni pillée, ni même dérangée, et qui donne l’impression d’être entretenue. Alors j’ai cherché parmi les inventions faites entre la fin du dix-neuvième et le début du vingtième siècle… Tu me connais, j’ai tout passé en revue, et nada ! Enfin si, puisque cette période a été une des plus prolifiques de l’histoire des sciences. Mais je n’ai rien trouvé de particulièrement remarquable, dans ce coin de France à cette époque... Depuis la fin 1800, les disciplines et les spécialités n’ont cessé de se multiplier, fondées de plus en plus sur le recours à des instruments coûteux, et à une forte division du travail. Les universités devinrent alors les lieux privilégiés de la recherche et de la formation des équipes de chercheurs. Mais ce mec lui, d’après ce qu’on en sait, il travaillait tout seul ! …
— C’est peut-être une de ces nombreuses légendes nées on ne sait comment, puis entretenues par les ouï-dire et devenues ensuite des ragots ? insinua Pamphile.
— Au fait, je voulais te demander, si ce n’est pas indiscret…Qui sait, cette relation récente, qui t’avait signalé ce lieu complètement paumé de l’Allier ? Est-ce que moi je la connais ? …
— Alors ce vin ? Les interrompit brutalement la patronne, en passant mine de rien à côté d’eux, pour vérifier si le repas était à leur goût.
— Ah, vraiment fameux ! Juste le soupçon d’acidité indispensable sans pour autant nuire au fruit, débita d’un coup Pamphile à cette dernière, stupéfaite par cette tirade.
— Tu as trouvé tout ça dans ce vin ? Lui demanda Calixte, surpris à son tour, par la réponse de ce dernier et troublé par l’ingérence de la femme dans leur discussion. Tu es aussi œnologue ? ajouta-t-il machinalement sur sa lancée.
— Non, c’est vrai qu’il n’est pas désagréable, pouffa ce dernier. Mais je lui ai répondu ça pour couper court, alors que je n’avais pas envie qu’on s’éternise sur la question, continua Pamphile sur le même ton.
— T’es quand même un type un peu fêlé ! ne put s’empêcher de remarquer Calixte. De plus, maintenant par ta faute, il y a deux sujets qui me mobilisent les neurones. D’abord ce ressort… Jusqu’où va-t-il nous mener ? Et puis cet inventeur sans invention dont on entretient la mémoire en faisant le ménage dans son repaire, et ça, depuis plus de soixante ans qu’il a disparu ! Avoue que ça interpelle… Non ?
— C’est pour ça que j’avais besoin de toi, pour m’aider à jeter des passerelles entre toutes ces idées.
— Donc je te sers de faire valoir, afin de te permettre au passage, d’enrichir ton imaginaire. C’est ça ?... s’indigna Calixte.
— Non, je le dirais autrement… Tu joues un rôle similaire à celui d’un catalyseur qui accélère une réaction chimique… souligna Pamphile.
— Hein ?
— Oui, parce que tout seul, bien sûr que j’aurais cherché à raccrocher bêtement ce ressort banal trouvé sur ce trajet piétonnier du douzième arrondissement, à un autre objet ou à autre chose. Bien sûr que j’aurais pu fouiller tout seul dans l’atelier de Clothaire Duranton. Mais maintenant, c’est grâce à toi et à ton expérience qu’on va pouvoir passer en revue des tas d’hypothèses auxquelles je n’aurais sans doute jamais pensé sans ton aide, dit Pamphile.
— C’est possible, mais je dois t’avouer que ça finit par accaparer sérieusement le cerveau, que d’essayer sans cesse d’établir toutes ces connexions historiques et contemporaines.
— Tu ne crois pas que nous sommes bizarres ? un peu cinglés, même ?... marmonna soudain Pamphile, à haute voix.
— Oh non, ou alors on n’est pas les seuls ! le rassura Calixte. Parmi les différents univers que j’ai explorés en m’intéressant à tous ces personnages de l’histoire des idées et des sciences, j’ai trouvé des tas de gens souvent aussi très bizarres…
— Et alors ! … l’accord de ce vin blanc avec le pâté de pomme de terre, qu’en pensez-vous ? Les interrompit à nouveau la patronne.
— Génial ! dit Pamphile, avec un grand sourire.
— Ah oui… Où on en était ? reprit Calixte, après avoir attendu que cette dernière s’éloigne.
— Tu me disais qu’on n’était pas tous seuls à avoir un comportement bizarre.
— Je te le confirme, et à propos, un comportement différent ça se cultive, ça demande de l’entraînement, afin de prendre de la distance avec les évènements, donc du repos de l’esprit en contrepartie afin de reconstituer son énergie, lui répondit Calixte.
— Et où veux-tu en venir ?
— Qu’il est tard et que si nous voulons percer demain, les secrets de Clothaire Duranton en fouillant à fond son repaire, il serait sage de nous reposer, suggéra Calixte en tentant trop tard, de maîtriser un bâillement.
— Bonne idée, je meurs de sommeil ! lui répondit-il, en baillant à son tour à s’en décrocher la mâchoire.
Le boiteux criait : « Allez, un peu de nerf, nom d’un chien ! » Tous, le regardaient hurler ses ordres au milieu d’une atmosphère enfumée où résonnaient les cliquetis des machines. Ceux qui maugréaient étaient immédiatement désignés à la vindicte de ce garde-chiourme armé d’une cravache, qui passait au milieu de chacune des rangées pour vérifier que chacun respectait bien les consignes. Mais tous se figèrent d’un coup en silence en entendant des cris plaintifs insistants et lugubres qui venaient de l’extérieur.
« C’est le brame d’un cerf ! s’écria, l’un d’eux.
— Non, il s’agit du grincement du ressort, dit un autre.
— Le ressort ? Encore lui ! reprit le premier.
— C’est normal, puisqu’il vient tout juste d’être inventé ! ajouta encore un autre.
— Non, c’est un forgeron allemand qui l’a inventé ce ressort, dès le début du XIXe siècle, rectifia celui qui n’était pas d’accord avec le son du brame.
Le boiteux leva sa cravache et l’abattit sur Calixte. »
— Aa-aa-ahh, au secours, arrêtez !hurla ce dernier.
Dans la chambre d’à côté, Pamphile réveillé en sursaut se leva d’un bond et ouvrit la porte mitoyenne. Il vit alors Calixte qui se débattait sur son lit en se protégeant la tête, en criant :
— Aïe aïe, pitié… arrêtez ! criait-il.
Pamphile le secoua sans ménagement.
— Tais-toi, bon sang, tu vas réveiller tout l’hôtel ! lui dit-il.
— Mais… il me donne des coups de cravache ! répondit Calixte, qui roulait des yeux hagards en continuant à se protéger la tête de ses bras repliés.
— Je l’ai bien reconnu. C’était Ambroise Duchemin, continua-t-il, d’un air encore apeuré.
— Dans ton cauchemar peut-être, mais on est à plus de trois heures de train de lui, se moqua Pamphile.
— Ah, excuse-moi, répondit-il en se redressant et s’asseyant sur le bord du lit… Je… C’est ridicule, ajouta-t-il, penaud.
— Allez, prépare-toi ! on va avoir besoin de toute cette journée pour découvrir les secrets cachés dans le repaire de Clothaire Duranton.
— Le repaire ? … Non…L’Antre de Clothaire, ça sonne mieux ! Tiens, ce serait chouette d’ailleurs comme titre, pour un roman, remarqua soudain Calixte.
— Pourquoi alors ne commences-tu pas démarrer de rédiger quelque chose là-dessus ? lui répondit Pamphile, l’air taquin.
— Moi, ce ressort m’occupe maintenant suffisamment l’esprit comme ça ! maugréa Calixte… Mais à la réflexion, c’est plutôt toi que je verrais, essayer de démarrer un truc de ce genre-là ! ajouta-t-il quelques secondes plus tard, en l’observant du coin de l’œil.
Celui-ci venait d’esquisser une sorte sourire de contentement béat, comme quelqu’un qui viendrait de se sentir comblé.
Les cloches de l’église du village d’Isle-et-Bardais se mirent juste à carillonner au moment où Pamphile gara sa voiture devant l’Antre de Clothaire.
— Neuf tintements de cloches, remarqua Calixte.
— Ben oui, c’est normal puisqu’il est neuf heures, ricana Pamphile.
— C’est ce chiffre neuf qui m’interpelle, juste au moment où l’on s’apprêtait à pénétrer dans cet endroit… Tu savais que ce chiffre évoquait la puissance divine déployée… la Trinité ?
— Parce que tu crois en Dieu ?
— Non, non pas du tout ! se défendit Calixte, pensif… La matière, l’homme et Dieu… continua-t-il, encore plus songeur.
— Il faut savoir… ou tu y crois, ou tu n’y crois pas ! Quand je me demandais hier si on n’était pas bizarres, j’aurais dû plutôt me demander si cette remarque ne s’appliquait pas surtout à toi… À moins que ton cauchemar de cette nuit…
— Attend ! Le chiffre neuf, le triple ternaire c’est… la sagesse, l’achèvement, l’universel. Il évoque aussi les neuf mois de la grossesse et la naissance d’un homme nouveau… C’est aussi le chiffre des initiés…
Pamphile se tourna vers Calixte d’un air interrogatif, et se mit à faire pivoter son index sur sa tempe, d’un geste explicite.
— Ça marque l’accomplissement du travail, la recherche de l’homme sur la matière, sa transmutation et finalement sa propre transformation, précisa Calixte d’un air triomphant, ignorant le geste de dérision de son ami.
Pamphile insista à nouveau :
— Mais de quoi tu parles ?
— De la Pierre Philosophale, bien sûr ! dit Calixte.
— Quoi... de la sorcellerie ? Ce Clothaire aurait été un sorcier ?
— Mais non. Je crois, expliqua alors Calixte, que cet homme cherchait plutôt à percer les secrets du Grand-Œuvre.
— C’est quoi, cette grand-œuvre ?
— Ce Grand-Œuvre ! rectifia Calixte, c’est justement ce long travail qui a l’apparence d’une recherche sur certains métaux, dont je viens de parler…
Et pourquoi alors ce nom d’Inventeur, dont certains l’ont affublé ?
— Ça n’empêche pas ! Regarde, Fulcanelli qui en était un adepte et dont l’identité n’a toujours pas été complètement percée, eh bien il ne fait aucun doute qu’il s’agissait d’un scientifique connu de l’époque, ajouta Calixte sur le ton professoral qu’il affectionnait.
— Qui c’était encore, celui-là ? s’impatienta de nouveau Pamphile.
— Écoute ! C’est toi qui as insisté pour me faire venir ici en plein milieu de cette forêt. Tu m’as bien dit que tu me comparais à un catalyseur, non ? Alors moi, je catalyse ! lui fit remarquer Calixte.
— C’est vrai, excuse-moi !
— Bon… Celui qui se faisait appeler Fulcanelli, a publié deux livres dans les années trente, sous ce pseudonyme, Le Mystère des Cathédrales, et le second, Les Demeures Philosophales. Il s’agissait de l’interprétation ésotérique des symboles du Grand-Œuvre, qui conduit justement à la réalisation de la pierre philosophale.
— Mais à quoi ça sert ? demanda Pamphile.
— Vaste et en même temps, déconcertante question… Marguerite Yourcenar en a fait une approche dans l’Œuvre au noir, ainsi qu’Armand Barbault beaucoup plus récemment, dans l’Or du millième matin. Pour résumer, et bien que cela ne fournisse pas une réponse immédiatement compréhensible, en gros ça décrit l’œuvre de toute une vie concrétisée parfois, par l’accomplissement des trois phases, menant à la pierre philosophale.
Pamphile resta figé un instant, faisant visiblement des efforts pour digérer ce flot d’informations. Puis il lança :
— Ça reste tout de même un peu obscur, non ?
— C’est justement le but du Symbolisme Hermétique, permettant ainsi à certains initiés d’arriver à accomplir la transmutation du plomb en or… hermétique ! cet adjectif indique bien ce que ça veut dire, non ?
— C’est ce que je disais, c’est bien de sorcellerie ou de magie, dont il s’agit. Mais finalement, on finit toujours par en revenir au pognon !
— La transmutation du plomb en or, c’est une allégorie, une autre façon de parler pour faire référence ou exprimer autre chose… Quelque chose d’encore plus profond !
— Mais à quoi, nom d’un chien ?
— Ça fait référence à l’aspiration de l’Alchimiste en une transmutation ou plutôt, une transformation de Luien Quelqu’un d’Autre. Certains parlent même de quelqu’un qui atteindrait ainsi une forme d’immortalité !
De nouveau, Pamphile resta un moment figé sur le pas de la porte de l’antre de Clothaire, avant d’ajouter :
— Entrons !... Moi je me demande plutôt si tous ces discours obscurs, mis au point par une flopée de mages aux chapeaux pointus, ne cherchent pas à masquer une vérité beaucoup plus simple ?
— Ah bon… Laquelle ?
— Celle sur laquelle j’insistais tout à l’heure, la véritable transmutation du plomb en or. Je vais aller examiner de plus près ce creuset dans lequel j’ai trouvé hier des restes de métal fondu. Il faut que j’en aie le cœur net ! Déclara Pamphile d’un air décidé.
— Je t’en prie et je te suis pour voir ça, dit Calixte qui faisait des efforts, afin de réprimer un fou rire.
De l’extérieur, quelqu’un était en train de les épier, au travers des carreaux de l’appentis…
Depuis le décès de Rosamonde, un immense sentiment d’amertume continuait d’envahir Ambroise Duchemin en plus de sa tristesse. Il avait plutôt d’abord ressenti en plus de sa peine, une contrariété indéfinissable, qui peu à peu avait fini par évoluer en remords. Puis en honte, celle d’avoir cédé à cette curiosité d’en apprendre plus au sujet du ressort. Mais maintenant, sa conviction était faite,