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Face à l’impasse des recours légaux pour sauver sa terre natale d’un forage industriel, Loïc se résout à une action plus radicale. De victime, il se transforme en bourreau. Ce combat, jusqu’alors ignoré, embrase progressivement le pays et devient le symbole de la résistance environnementale. Un récit haletant où la détermination et la révolte s’unissent pour défier l’injustice.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Nourri dès son enfance par la bibliothèque familiale,
Gaston Trebor se tourne vers l’écriture à son arrivée à Paris pour étudier le théâtre. Loin de chez lui, il charge ses mots de nostalgie pour traiter un sujet qui lui tient profondément à cœur.
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Seitenzahl: 150
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Gaston Trebor
L’affaire Shnell
Roman
© Lys Bleu Éditions – Gaston Trebor
ISBN : 979-10-422-6003-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
Lundi 1er février, 7 heures
Une nouvelle semaine de boulot commence pour Stéphane. Depuis qu’il travaille pour Shnell, en tant qu’ingénieur de projet, il n’a pas raté un lundi. Son job, c’est sa vie.
Après une pause aux toilettes, Stéphane se sert un café noir, grille puis beurre deux tartines préalablement découpées dans une baguette Tradition achetée la veille chez M. Thomas, le boulanger du quartier. S’en suit, une douche, un lavage de dents.
Le quart d’heure suivant, Stéphane l’utilise pour choisir son costume et sa cravate. Ses chaussures restent classiques : des Richelieus noirs à bout pointu. Ce lundi, il opte pour un costume gris, une chemise blanche, une cravate tricot anthracite avec une finition horizontale. L’habit ne fait pas le moine, il est vrai, mais, dans le cas de Stéphane, nous pouvons l’affirmer, ses choix vestimentaires sont à l’identique du personnage : détestablement plat.
8 heures
Stéphane quitte son logement, descend les escaliers de l’immeuble, et sort dans la rue. Dans ses oreilles, ses écouteurs dernier cri jouent « Eye of the tiger ». Il avait lu dans un magazine de développement personnel que des chansons motivantes écoutées en début de journée permettraient d’augmenter les capacités mentales. Alors, l’ingénieur n’hésite pas. Sa playlist, très bien constituée, lui permet d’atteindre son bureau sans avoir besoin de choisir telle ou telle chanson.
Quelques minutes suffisent à Stéphane pour atteindre la station Trocadéro. Quand Rocky monte les marches, lui, il les descend vers le métro. À cette heure-ci, quelques places assises sont disponibles. Deux possibilités s’offrent alors à Stéphane. Deux strapontins côte à côte sont libres. Dans ce cas, l’un sert à poser ses fesses, l’autre a pour fonction « porte-serviette ». Inutile de préciser, qu’une fois dans cette position, la tête dans le téléphone, Stéphane ne bouge pas jusqu’au moment de descendre. Femmes enceintes, vieillards ou handicapés, veuillez circuler. Dans le second cas, ce ne sont que des places à proximité d’autres personnes qui restent et l’ingénieur préfère voyager debout, tenant la barre métallique à l’aide d’un mouchoir en papier.
8 heures 30
Sorti du métro à la station Havre-Caumartin, Stéphane se dirige vers les locaux de l’entreprise, boulevard des Capucines. Il y pénètre, salue ses collègues d’un geste de la tête, enlève ses écouteurs, et dit solennellement : « Bonjour, Monsieur Hermel ! Comment allez-vous ? ». Bien entendu, le patron a droit à une salutation plus distinguée que les autres ploucs de l’étage.
Un petit passage à la machine à café s’impose. Puis, Stéphane se lance dans son travail. Il a l’attirail complet pour être à l’aise devant ses deux ordinateurs : repose-mains, repose-pieds, souris ergonomique, écrans incurvés, coussin pour la nuque accroché en haut du dossier de sa chaise de bureau dernière génération. Il a fait une demande spéciale pour tout obtenir. Après une argumentation de longue durée basée essentiellement sur un gain de productivité, l’entreprise avait accepté de lui fournir les équipements.
12 heures 30
Pour la pause déjeuner, Stéphane s’insère à un groupe de collègues. Un faux moment de convivialité s’amorce. Tous sont en costume, le badge de l’entreprise accroché autour du cou. Le rêve de Stéphane : avoir un pass qui donne accès à l’ensemble du bâtiment. En attendant ce jour, il peut toujours se vanter auprès de ses compagnons de repas des vacances qu’il vient de passer à Cuba. « Oui, j’aime bien me faire plaisir, c’est vrai. Vous savez quand on a les moyens, pourquoi ne pas en profiter. Mais, tu sais Dimitri, moi je trouve que la Normandie c’est pas mal comme destination aussi. Moins exotique que La Havane certes, mais je suis certain que tu as autant profité que moi ». Sa fausse modestie et son égocentrisme énervent tout le monde autour de la table. Stéphane est le seul à ne pas s’en rendre compte.
13 heures 30
Retour au bureau. Derrière l’écran Stéphane pianote si fort sur son clavier qu’on pourrait penser qu’il cherche à créer une Symphonie en Azerty mineur. Les autres ont arrêté de lui faire des remarques sur ses nuisances sonores (ainsi que sur le reste d’ailleurs). Le dernier à avoir osé s’est mystérieusement fait virer. Alors tout le monde se tait.
Personne ne connaît la relation qui unit le patron et Stéphane, mais une chose est sûre, le dernier est protégé par le premier. Ne nous mentons pas, Stéphane est un bon travailleur, pour autant son caractère intouchable perturbe l’ensemble du bureau. C’est sans doute l’un de ces secrets qu’il y a au sein des grandes entreprises et que personne ne comprendra jamais. Tout le monde s’en accommode et l’exception devient une normalité.
16 heures 30
L’open space a l’odeur d’une fin de journée. Les visages aux yeux épuisés par la lumière artificielle se multiplient. Une dissipation générale s’invite un peu partout. Les téléphones commencent à vibrer d’informations. Des messages invitent les jeunes parents à venir chercher leurs enfants à la crèche. Des notifications proposent des livraisons exprès de sushis pour le soir même.
Stéphane n’échappe pas à la dynamique générale et commence à montrer quelques limites à sa concentration. Les tableaux Excel défilent sur l’écran de droite, tandis qu’une photo de son ancienne petite-amie apparaît par alternance sur son écran de gauche. La vie à deux lui manque. Elle lui manque. Pour dire vrai, c’est une femme si belle qu’elle manquerait à tout le monde. Pendant deux ans, ils avaient vécu ensemble. Le gain de confiance qu’elle lui avait apporté sur son apparence s’était retourné contre lui. Il fallut qu’il aille voir ailleurs. Bien entendu, tous ses collègues sont au courant qu’elle la première allait s’amuser loin de lui, et qu’elle n’avait qu’attendu la première sortie de route de l’ingénieur pour le quitter. Mais, ça, Stéphane l’ignore. Pour le moment, il s’assoupit devant ses photos.
« Stéphane ! ». Le directeur du département, Monsieur Hermel, vient sortir son employé de ses pensées. D’un clic de panique, ce dernier ouvre un fichier recouvrant les images secrètement regardées.
« Stéphane, ce soir, 20 h, Le Beyroutus, dîner avec un représentant d’une petite asso d’écolo-bobo-gaucho. Je ne peux pas y être. Je me suis dit que, puisque vous n’avez pas d’obligation familiale, vous pourriez y aller à ma place. C’est un très bon libanais. Vous allez vous régaler. Je vous pose le dossier ici. C’est une affaire de routine, pas de quoi s’affoler. Il faut juste dire non à tout ce qui nous embêterait pour le projet en cours. J’ai confiance en vous. Et prenez votre journée demain pour compenser. » Le directeur opère un demi-tour et disparaît derrière les vitres teintées de son bureau.
Les minutes suivantes, les locaux se vident. Stéphane a moins de trois heures pour connaître le dossier sur le bout des doigts. Il ouvre la pochette. Trois feuilles. Parfait. M. Hermel n’avait pas menti. L’affaire va être vite réglée.
18 heures 30
Seul dans l’open space depuis que la belle Sophie est partie à 18 h 15, Stéphane relit les trois pièces qui constituent le dossier. C’est un cas assez commun. Depuis près de dix mois, une association essaie de rentrer en contact avec Shnell, la compagnie dans laquelle travaille Stéphane, au sujet d’une recherche de terrain que mène l’entreprise en plein cœur de l’Ardèche. Stéphane connaît très bien ce cas. Il en est à l’initiative. Cette région cacherait d’immenses poches de gaz enveloppant des nappes phréatiques. Ces dernières n’étant pas très profondes, le forage ne coûterait presque pas d’argent à la société, et les gains seraient énormes. Stéphane est extrêmement fier de ce projet et compte bien le mener à son terme. M. Hermel a bien fait de le mettre sur le coup.
19 heures
Le rendez-vous ayant lieu dans un restaurant proche de son appartement, l’employé de chez Shnell décide de faire une halte chez lui afin de couper sa journée. Un repos qui s’avère nécessaire après un trajet en métro sans écouteurs. Par conséquent, Stéphane a eu le droit d’assister au concert d’un Roumain reprenant La Bohème de Aznavour. Stéphane s’est fait rire en pensant : un immigré qui chante un immigré, quel comble. La place a été prise mon vieux, on n’en laissera qu’un seul réussir, pas deux.
Enfin chez lui. Il se désinfecte au gel hydroalcoolique et comme attiré par un aimant, il se dirige tout droit vers son canapé et s’y étend de tout son long, fait l’otarie pour trouver la meilleure position possible et opte finalement pour un corps assis allongé en activant les repose-pieds du sofa.
Il allume ensuite l’écran plasma en face de lui. Comme d’habitude, il n’y a rien d’intéressant à la télévision. Stéphane est ravi, car cela donne un sens plus important à l’argent qu’il a placé dans les actions d’une plateforme de streaming cinq ans auparavant. Il participe au renouvellement des médias. C’est un homme de son temps, un homme du futur.
Stéphane éteint l’écran. Il sait qu’il n’a pas le temps de perdre du temps à choisir une série et regarder son pilote avant de partir au restaurant. Il faut qu’il quitte son appartement au plus tard à 19 h 45 et il est déjà vingt. Alors dans un geste machinal, il saisit son téléphone, se redresse sur le canapé, active la navigation privée et tape quelques mots précis. Il sait exactement ce qu’il cherche. Il charge la page vidéo et choisit la première proposée. Rapidement, il attrape la télécommande et rallume l’écran plat, connecte tous ses appareils entre eux et la vidéo s’affiche à la télévision. Les mouchoirs sont sur la table basse. Tout est en place pour que Stéphane se libère de ses tensions avant le rendez-vous. Pantalon baissé. Il aime quand l’introduction est scénarisée. Ce n’est pas du grand cinéma certes, mais cela lui permet de se préparer physiquement. Sa main habituée au mouvement commence à faire ce qu’elle exécute le mieux.
19 heures 30
Flash. Stéphane remonte son pantalon en vitesse et court dans sa cuisine. « Putain ! Putain ! c’est pas vrai. C’était pas pour moi. C’est impossible. » Un coup d’œil vers sa fenêtre lui confirme que c’est possible. Clara est encore sur son balcon, son appareil photo à la main. La voisine loge l’immeuble qui fait face à celui de Stéphane. Cette femme était le rêve de Stéphane jusqu’à aujourd’hui. Ce soir, elle devient son cauchemar. Clara se réfugie rapidement à l’intérieur de son appartement. Le flash de son appareil photo a trahi sa présence.
« Merde, putain de merde. Salope ! » Stéphane enchaîne les injures, tantôt pour soi-même, tantôt à l’encontre de sa « pute de voisine ». Assis par terre dans la cuisine, le dos contre le lave-vaisselle, il pleure. Cela faisait plusieurs années qu’il n’avait pas versé de larmes, mais la situation le dépasse et la panique le saisit.
Sa tête s’est trouvée une place dans ses bras. Ses jambes sont recroquevillées. Il a la position d’un enfant effrayé par ses camarades et qui se cache pour les fuir.
Se relevant doucement, Stéphane constate qu’il est entièrement tremblant. Il lui est impossible de calmer ses mains. Il essaye de fermer les poings. Elles tremblent. Il les met dans ses poches. Le tremblement remonte dans ses bras jusqu’aux épaules. Il traverse sa cuisine et comme un drogué en manque, ouvre le placard de l’îlot central et sort une bouteille de vodka. Sans prendre le temps de sortir un verre, il prend trois grandes gorgées du remède puis repose la bouteille, grimaçant. Il regarde ses mains. Elles tremblent toujours. Il reprend une rasade d’alcool. Ses yeux suivant le mouvement de son coude se lèvent et se posent sur l’horloge murale. 19 h 50. Stéphane recrache tout le contenu qu’il avait dans la bouche. « Putain ! ». Il fonce dans la salle de bain, se déshabille en vitesse, prend une douche froide de trente secondes, met un maximum d’eau de toilette, se rhabille en vitesse et sort en trombe, laissant sur la table le dossier du projet, son portable et ses clefs.
20 heures 15
Le Beyroutus est en vue. Ce restaurant libanais à la devanture bleue a toujours alléché Stéphane qui n’y est pourtant jamais entré. Les guirlandes de lumière donnent un aspect chaleureux au bâtiment. L’intérieur est meublé à la nouvelle mode : une sorte de mélange entre le raffiné et le tzigane, qui donne un air casual chic à l’ensemble. Impossible de ne pas aimer – même si voir ce genre de décoration dans un restaurant sur deux donne la nausée.
Stéphane, en sueur après le trail urbain qu’il vient de réaliser, se présente au comptoir. La réservation est au nom de l’entreprise. L’hôte d’accueil invite aimablement Stéphane à le suivre. Escorté à travers le restaurant plein à craquer, l’employé de Shnell se sent observé de toute part. Chacun de ses pas est accompagné d’une nouvelle paire d’yeux se tournant vers lui, et le bruit des bouches remplies de falafels et de samoussas semble lui dire : « je sais ce qu’il vient de se passer », « j’ai tout vu moi aussi », « tu devrais avoir honte ». La face baissée comme le ferait un gosse puni, Stéphane suit son guide.
« C’est ici. Joyeux moment chez nous ». Le restaurateur indique une chaise. Stéphane redresse la tête et aperçoit une main.
« Bonsoir, Loïc Moisson, secrétaire général d’Une Terre pas Deux. Vous allez bien ? »
Stéphane se retrouve face à un jeune homme d’une trentaine d’années qui respire l’assurance. Lui au contraire transpire le stress. Après un moment de latence, il se décide enfin à serrer la main qui lui est présentée et s’annonce. Les deux hommes s’assoient.
Ce ping-pong dialogué ne permet pas à Stéphane de retrouver tous ses esprits. Le jeune militant écologique en face de lui semble plus coriace que prévu, et ne lui laisse pas un moment de répit pour en placer une. Avec la plus grande politesse, Stéphane demande alors quelques instants pour s’échapper aux toilettes.
Assis sur une cuvette, il pleure de nouveau. Il a du mal à respirer. Une crise de panique commence à lui prendre la gorge. Il cherche son téléphone dans les poches de son pantalon, mais ne le trouve pas. Il se rappelle maintenant l’avoir abandonné sur sa table basse à côté du dossier de ce soir. Comme pour se punir, il s’inflige une demi-douzaine de gifles. Trois grandes respirations le ressaisissent. Il sort du cabinet de toilette, se lave les mains et le visage, se regarde dans le miroir et pour se donner du courage, réalise la meilleure de ses grimaces. Puis, après avoir ajusté son costume, il sort tranquillement de l’espace d’intimité et rejoint en salle son interlocuteur du soir.
Les choses sont en route. Stéphane retrouve son sang-froid. L’oubli du dossier est une erreur de pacotille. Maintenant, il en est persuadé, il ne va faire qu’une bouchée de ce minable d’écolo.
21 heures
Autour de la table qui s’est remplie de mets, les deux hommes ne sont pas sur la même longueur d’onde. D’un côté Loïc tente d’en venir au sujet qui le préoccupe, de l’autre Stéphane ne parle que d’épices, de feuilles de brick et d’herbes aromatiques, en avalant ses plats.