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À la suite d’un différend, Éliane, sa sœur et sa mère rompent tout lien. Si Éliane réussit à reprendre contact avec cette dernière quelque temps avant son décès, la tâche s’avère plus difficile avec sa sœur. Encore rongée par la perte de celle qui l’a mise au monde, le choc est violent lorsqu’elle constate que l’héritage de la défunte se réduit à peau de chagrin, sans raison apparente. Pourquoi ? Pour élucider ce mystère, sous le couvert de son passé, Éliane vous invite à la suivre dans une quête pleine de sensations à travers ses souvenirs qui ne manqueront pas de vous émouvoir.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Krysten Ormann découvre la littérature en corrigeant des manuscrits pour quelques amis. L’idée lui vient, à la suite du décès de sa mère, d’utiliser l’écriture comme un exutoire, une véritable thérapie lui permettant de se libérer de son histoire familiale douloureuse et de rendre hommage à son père.
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Seitenzahl: 334
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Krysten Ormann
L’alliance de la discorde
Roman
© Lys Bleu Éditions – Krysten Ormann
ISBN: 979-10-377-8716-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
La mort n’est pas la pire chose de la vie. Le pire, c’est ce qui meurt en nous quand on vit.
Albert Einstein
Aujourd’hui, lundi 15 juin 2020, j’ai tout mon temps ; la journée s’annonce aussi belle qu’hier. Je m’accorde une petite grasse matinée, puis un solide petit déjeuner ; ensuite, j’enfilerai les chaussures de marche et ce sera parti pour ma balade quotidienne, accompagnée de mon fidèle ami à quatre pattes.
Huit heures du matin, le téléphone sonne. Je suis encore engourdie par le sommeil. Le temps d’émerger, il est trop tard, je rate l’appel.
Je me sens soucieuse ; personne n’appelle si tôt un dimanche ! Cela présagerait-il d’une mauvaise nouvelle ?
Voilà le téléphone qui se remet à sonner. Cette fois, je réponds. J’entends la voix de ma sœur Brigitte et je comprends de suite : maman s’est éteinte dans la nuit.
Maman n’est plus !
Mon cerveau a besoin d’un peu de temps pour assimiler la nouvelle. Ce n’est pourtant pas si surprenant, au vu de son grand âge. Je dois être prête à recevoir ce message. Et au lieu de cela, je suis assaillie par une foule d’émotions plus contradictoires les unes que les autres.
Il faut dire qu’avec ma mère rien n’a été simple. Drôle de relation qu’a été la nôtre. Il paraît que j’ai été une enfant désirée. Pourquoi ai-je tant de mal à le croire ?
Me voilà prise d’un besoin irrésistible de me plonger dans le passé ; faire ressurgir à travers mes souvenirs tout ce qui a fait de moi ce que je suis. Aurai-je le courage nécessaire, saurai-je me montrer assez sincère pour me mettre à nu ?
J’ai conscience que ce sera douloureux parfois, joyeux à d’autres moments, pour finalement me conduire à faire face à mes vieux démons et les sortir définitivement de ma vie.
Le chemin sera long pour y parvenir ; je devrai me poser tant de questions. Mais pour l’instant, je n’en suis pas là. Avant j’aurai d’autres épreuves à surmonter.
Ma mère et moi sommes restées des années sans le moindre échange. Comment est-ce possible ? Et pourtant ! cette histoire me semble aujourd’hui si stupide. Heureusement, nous avions repris contact, je lui ai même rendu visite moins de deux semaines avant qu’elle ne quitte notre monde. Comme si elle avait attendu ce moment de brèves retrouvailles, pour lâcher prise…
Suite au décès de ma mère, je ne sais pas vraiment ce que je ressens ; elle avait en son temps fait le choix de me sortir de sa vie. Alors je me suis habituée à son absence. Mais là, c’est différent : avant je la savais bien en vie quelque part, et je gardais l’espoir de chaleureuses rencontres.
Aujourd’hui, je réalise que plus jamais je ne la verrai ni n’entendrai le son de sa voix. Prétendre que cela va me manquer, je ne le peux pas, car je ne le sais pas…
Là, maintenant, tout de suite, ma préoccupation est ailleurs : le moment est venu d’affronter Brigitte, ma sœur cadette. Je la connais si bien que je pressens toutes les difficultés auxquelles je vais me heurter.
Déjà, quelques jours seulement après le décès, Brigitte décide de tout : crémation, dispersion des cendres, pas de cérémonie religieuse… Eh ! petite sœur, as-tu oublié que nous sommes d’une famille catholique ?
Et notre père dans tout cela, notre mère n’aurait-elle pas souhaité le rejoindre là où il repose depuis si longtemps ? Une immense colère m’envahit. Je suis mise devant le fait accompli, comme si je ne comptais pas ! … Je ne suis pas sûre que soient respectées les dernières volontés de ma mère ; je ne le saurai jamais et cela me trouble.
Nous sommes le 19 juin 2020 ; la dépouille de ma mère est partie pour son dernier voyage. Sans moi. Qu’on ne vienne pas me reprocher mon absence, alors qu’on a tout fait pour qu’il en soit ainsi.
Que me réserve la suite ? Il va falloir régler la succession. Cela présage de terribles confrontations avec Brigitte et ses enfants. Je sais qu’ils déploieront toute leur ingéniosité pour que je ne suspecte rien de leurs « petits arrangements ».
Mais je ne suis pas stupide, je soupçonne ma mère, subjuguée par sa fille cadette et ses petits-enfants de s’être laissé convaincre de leur apporter un soutien substantiel, et ce depuis de nombreuses années. Comme Brigitte passe son temps à pleurnicher parce qu’elle n’y arrive pas, elle incite à ce qu’on l’aide, même si ses revenus de médecin sont plutôt confortables. Moi je n’ai rien demandé, je n’ai rien reçu ! question d’amour propre sans doute…
Quelques semaines plus tôt, ma mère me téléphone ; elle m’annonce qu’elle ne peut plus rester chez elle et me passe très vite (trop vite) Brigitte. « Ta sœur va t’expliquer », me dit-elle.
J’écoute avec attention les explications de Brigitte :
« Maman tombe la nuit ; chaque fois, on appelle les pompiers ; je dois me déplacer… ce n’est plus possible… Blablabla, blablabla… ».
D’accord, j’ai compris ; message reçu ! Il faut placer maman en maison de retraite. Elle qui a toujours été terrifiée à cette idée, il va falloir prendre le temps de la préparer, de trouver le bon établissement, de passer par un séjour temporaire tout en gardant le logement qu’elle loue.
Nous avons le devoir de la rassurer, lui montrer qu’elle reste libre de décider, de revenir chez elle, qu’elle garde la main sur le choix de son lieu de vie. Cela me paraît indispensable : si elle accepte, elle parviendra à s’intégrer.
Brigitte écoute mes arguments et ne me contredit pas, bien au contraire : « tu as raison Éliane, nous avons le temps. Trouvons déjà un établissement sympa qu’on fera visiter à maman ; et si elle le trouve bien, on montera le dossier d’inscription dans l’attente d’une disponibilité, les places sont si rares ».
Je suis d’accord, d’autant que si besoin et pour soulager Brigitte, maman n’a pas de soucis financiers ; elle peut avoir une aide la nuit en attendant le moment d’entrer en établissement. Surtout pas de précipitation, ce serait l’échec assuré.
Après ce long échange téléphonique, Brigitte et moi nous quittons en phase sur l’approche à avoir.
Du moins, je le croyais…
Au lieu de cela, tout se précipite ; alors que j’appelle maman dans les jours qui suivent, histoire de bavarder un peu, de tester son moral, elle m’annonce tout de go :
« Je ne peux pas te parler, des gens vident ma maison. Je te rappellerai quand ils seront partis ».
En effet, j’entends des bruits en arrière-plan, voix, meubles que l’on déplace, objets que l’on bouge. Avant de raccrocher, j’ai le temps de demander à ma mère qui est chez elle et pourquoi.
Un détail me revient et me trouble : dès l’évocation de son placement en maison de retraite, maman me suggère de dire à Brigitte ce que je voulais récupérer de ses biens. Choquée, je lui réponds que tant qu’elle sera chez elle, il est hors de question de se servir.
« Maman, te dépouiller de tes affaires alors que tu es encore chez toi, que voilà une bien vilaine idée ».
Avec le recul, je réalise que ma sœur ne m’a pas tout dit ; pire encore, elle m’a menti.
Quand maman me rappelle le soir du « déménagement », elle m’annonce que son admission en établissement est prévue cinq jours plus tard.
Il me faut un peu de temps pour remettre de l’ordre dans mes pensées. Mais très vite, je comprends. Tout se met en place… la vérité est que Brigitte avait déjà tout organisé ; le choix de l’établissement, la programmation de l’admission sans même avoir prévu une visite avec la seule concernée : notre mère !
Bravo petite sœur, en agissant ainsi, dans la précipitation (en apparence seulement, car tu as bien monté ton coup en amont), tu m’empêches de réagir ; tu es très forte ma belle ; il faut que j’apprenne à me méfier de toi.
En effet, quelques jours après, Maman est placée, et c’est loin d’être son choix.
Il me revient à l’esprit une conversation que nous avons eue toutes les deux quelques années plus tôt :
« Écoute-moi bien Eliane, jamais je n’accepterai d’aller en maison de retraite, plutôt me suicider » !
Je retrouve bien là les excès de ma mère ; il n’empêche que c’est Brigitte qui l’a réduite à accepter, et avec quelle délicatesse !
Mais revenons à maman et son nouveau lieu de vie. Je veux lui rendre visite, elle me demande d’attendre :
« Laisse-moi le temps de m’adapter un peu. Le changement est brutal, tu sais, même si tout le monde est gentil avec moi ».
Je raccroche le téléphone, bouleversée ; je n’attendrai pas trop longtemps pour aller la voir. Je sens que je dois le faire.
Je suis allée voir maman à peine deux semaines après son placement. Ma visite « surprise » est accueillie avec une immense joie. Elle me sourit, nous nous embrassons et commençons à bavarder.
Le temps a passé vite. Je dois repartir, mais je m’engage à revenir très bientôt.
C’est avec ce souvenir que je dois apprendre à vivre, car ce sera le dernier, nous ne nous reverrons pas. Elle est partie peu après ma visite.
Maman n’est plus !
Le moment que je redoutais est arrivé. Il faut mettre en ordre les papiers, se mettre en règle avec l’administration, confier la succession à un notaire.
Je me dois de préciser que maman et Brigitte habitaient près l’une de l’autre. C’est donc Brigitte qui naturellement gérait ses affaires.
Moi je ne suis pas sur place, mais je propose à ma sœur de lui apporter mon aide. Nous qui nous sommes éloignées l’une de l’autre depuis des années (sans que j’en aie jamais connu la cause), je vois là l’occasion de nous rapprocher autour de nos souvenirs.
Mais quelle idiote suis-je donc ? Que je peux être naïve à mes heures !
Mon offre est balayée, c’est un refus sans appel. Tout serait déjà bien avancé. Julie et Philippe, mes nièce et neveu se seraient chargés de tout.
D’ailleurs, il n’est nul besoin de passer par un notaire : « il y a si peu à partager que la banque s’en occupera » dixit Brigitte.
Ah, mais non petite sœur ! Tu oublies le testament rédigé par notre mère. Très mauvaise blague qu’elle m’a faite là, maman. Mais elle ne s’en est jamais cachée : elle voulait favoriser ses petits-enfants et moi, je ne lui en ai pas donné. Telle était sa volonté, que je ne peux que respecter, si dure soit-elle pour moi.
Nous voilà donc contraintes de faire appel au notaire de nos parents. Enfin, cela me paraît évident.
Eh bien non ! quand je contacte l’étude notariale, je m’entends dire qu’ils ne sont pas en charge du dossier successoral. Non mais j’hallucine : Qu’y a-t-il donc à cacher pour qu’on me tienne ainsi à distance ? Je suis bien décidée à le découvrir. Je n’aurai pas à chercher longtemps. Il a suffi de se procurer les relevés de comptes bancaires de maman et de les « éplucher ».
Bingo ! En voilà de jolis chèques distribués. À ce niveau-là, ce ne sont plus des « petits cadeaux » d’anniversaire ou de Noël… Me voilà fixée, et pas vraiment surprise.
« Alors Brigitte, il va bien falloir t’expliquer. Tu m’en as donné du fil à retordre pour trouver le notaire. Ça, c’est fait. Restait à obtenir les copies des chèques les plus significatifs. C’est fait aussi ».
Contente de mon travail, j’écris au notaire, je fournis copies des éléments qui me semblent importants, et j’attends, j’attends encore et encore… Pas de retour de ce notaire, cela me paraît impensable. Je relance et suis toujours confrontée au même silence.
Que voilà une situation étrange.
Je sollicite l’aide d’un avocat, j’ai besoin de conseils. Chacun son métier et la loi est à des années-lumière de ce que je connais. Je n’ai pas pour autant l’intention de mettre ma propre famille en justice. Ce ne serait pas moi, je ne suis et ne serai jamais procédurière. Je pense d’ailleurs que Brigitte le sait bien.
Les semaines passent et rien ne se passe ! Avocat ou pas, face à moi, c’est l’immobilisme le plus complet. Même le notaire, homme de loi assermenté, ignore mes démarches. C’est comme si je n’existais pas, comme si ma mère n’avait eu qu’une fille, pire encore, comme si elle l’avait élevée seule.
« As-tu réalisé, maman, le mal que tu allais faire ? As-tu oublié jusqu’à l’existence de ton mari ? Tu sais, celui qui t’a donné tout son amour, deux filles et non pas une, la position sociale dont tu rêvais ».
Elles t’ont oublié mon pauvre papa, mais pas moi. Tu es toujours aussi cher à mon cœur. Tu me manques tellement. Pourquoi la vie t’a-t-elle quitté si vite ?
Le temps s’écoule encore et toujours, je ne compte plus en semaines, mais en mois et même en années ; que ce deuil devient terriblement douloureux ! Ce n’est pas seulement ma mère que j’ai perdue, mais avec elle l’espoir de retrouver ma sœur et ses enfants.
Qu’est-il arrivé à notre famille ? Quelles sont les raisons de cette explosion ?
Pourquoi depuis le décès de maman, je me suis tout pris dans la tête : les mensonges et le mépris de Brigitte, les mots haineux et violents de Philippe, mon neveu.
Seule ma nièce, Julie, sans pour autant m’apporter son soutien, reste discrète et ne fait preuve d’aucune agressivité à mon égard. D’accord, dans les faits, cela ne change rien. Mais quand même, aurait-elle une âme moins sombre ?
Moi qui croyais que nous étions une famille bien ordinaire, sans histoire… Et si je me trompais ? Je suis prise d’un besoin vital de « fouiller » mes souvenirs, de remonter dans le temps…
Oublier ses ancêtres, c’est être un ruisseau sans source, un arbre sans racines.
Proverbe chinois
Nous sommes en 1939.
L’Allemagne est sous la domination d’un homme qu’elle vénère, et dont la folie la conduira à sa perte.
Cet homme, Adolphe Hitler, ex-caporal autrichien, national-socialiste totalitaire, devient chancelier du troisième Reich le trente janvier 1933. Il sera confirmé dans ses fonctions « suprêmes » par la ratification du dix-neuf août 1934.
La suprématie nazie, le fascisme italien et l’impérialisme japonais vont entraîner la planète tout entière vers un conflit armé d’une violence sans précédent.
Ce conflit sera le plus dévastateur de l’histoire de l’humanité. Les dégâts matériels seront considérables ; pire encore, les pertes en vies humaines (y compris parmi les civils) seront inégalées, au point qu’on parlera de crimes de guerre.
L’Allemagne nazie et le Japon impérial iront jusqu’à se livrer à des crimes de masse d’une atrocité inconnue jusqu’alors.
Ils seront responsables de génocides et accusés de crime contre l’humanité.
L’envahisseur allemand progresse irrémédiablement. Il va petit à petit prendre possession de lieux stratégiques (administrations, industries…).
Son objectif : soumettre la France à sa dictature. Adolphe Hitler est un guerrier assoiffé de pouvoir. Il se voit conquérir le monde.
Face à cette implacable poussée, la France signera l’Armistice le 22 juin 1940, à la demande du Maréchal Pétain. Le 10 juillet de la même année, ce dernier obtiendra les pleins pouvoirs.
La France se retrouve coupée en deux par une ligne de démarcation qui traverse treize départements.
Deux zones sont définies :
– La zone libre, sous l’autorité du Maréchal Pétain ;
– La zone d’occupation allemande.
Un homme va s’opposer au gouvernement de Vichy mis en place par le Maréchal Pétain : le Général de Gaulle.
Depuis Londres, il lancera l’appel du 18 juin 1940. Il sera entendu par le peuple français qui entrera en résistance. Le général fait renaître l’espoir d’une France libre.
La France rejoint les alliés.
Nombreux sont les hommes qui feront le sacrifice de leur vie pour libérer notre pays du joug allemand.
C’est dans cette ambiance menaçante que tenteront de survivre les habitants de Bourg-en-Bresse.
Bourg-en-Bresse : en 1936, cette petite ville de province compte tout de même une population de vingt-cinq mille habitants environ. Elle est traversée par une rivière, la Reyssouze, qui finit sa course dans la Saône.
Dès le moyen âge, l’homme y a construit de nombreux moulins à eau, participant pour ce qu’il en subsiste, à un patrimoine particulièrement remarquable.
Ces moulins à eau ont dynamisé toute la région à travers trois types d’activité ; la transformation du grain en farine, celle des chiffons en pâte à papier et enfin celle du minerai de fer en métal.
Capitale historique de la Bresse, Bourg-en-Bresse profite de sa proximité avec Lyon et Genève. On comprend ainsi l’intérêt qu’elle a suscité chez l’envahisseur allemand.
Parmi les Burgiens et Burgiennes vivaient les deux familles de mes aïeux.
Du côté maternel, la Bresse agricole faisait vivre honorablement ces familles implantées dans la ruralité. Il était courant à l’époque de « faire des mariages arrangés » dont le but était de réunir des terres.
Ce fut le cas pour mon grand-père Auguste et ma grand-mère Fernande. Point n’était besoin d’amour entre ces deux-là. Pourvu que l’Auguste fasse bouillir la marmite et que la Fernande reprise bien les chaussettes.
Voilà donc l’affaire conclue et scellée par un mariage, après trois rencontres seulement. La Fernande est une femme au caractère bien trempé. Le travail ne lui fait pas peur. Comme l’Auguste, elle a grandi à la ferme. Elle connaît tout de cette vie-là ; en temps de guerre, c’est précieux de savoir tout faire (ou presque), et de pouvoir se nourrir. Avec les bêtes et les cultures, on ne manque de rien.
L’Auguste, quant à lui, ne se voit pas passer sa vie à faire ces travaux-là, rien ne le passionne ; en plus, ce travail est tellement physique ! C’est qu’il est pas ben courageux l’Auguste ; et puis c’est qu’il a la santé fragile, alors…
Par contre, il y a deux choses qu’il aime l’Auguste : l’ordre et les chevaux.
C’est donc tout naturellement que mon « brave Auguste grand-père » s’est retrouvé gendarme à cheval.
Fier de son bel uniforme, il met toute son énergie à faire respecter la loi, enfin juste quand il est en service. Car de l’énergie, il faut ben en garder un peu pour pouvoir satisfaire la Fernande.
Un soupçon d’amour serait-il né, finalement, entre ces deux-là, va-t’en savoir !
Le fait est que, de cette union, naîtront deux enfants : d’abord Renée, l’aînée, qui deviendra ma tante ; puis la seconde, Henriette, qui arrivera cinq ans plus tard et à qui je dois d’avoir vu le jour.
Mais revenons plutôt à mes grands-parents maternels. Pendant que le gendarme Auguste veille sur la population, la Fernande, quant à elle, a abandonné sa tenue de paysanne pour se transformer en « épouse de gendarme » vivant au sein de cette communauté que l’on appelle usuellement « gendarmerie ». La voilà qui s’embourgeoise, notre Fernande. La vie est plus douce qu’à la ferme.
L’Auguste se sent bien dans ce petit ronron quotidien. Il fait honnêtement son travail et assure les besoins du foyer. Quand il regagne son cocon, sa Fernande est là pour lui tirer ses bottes et lui servir sa soupe. Finalement, il a bien fait de la marier.
Hélas, cette petite vie paisible n’était pas destinée à durer. C’était compter sans le caractère irascible de la Fernande. Cette dernière, habituée à dominer son petit monde, s’était mis en tête de mettre à sa botte le commandant de gendarmerie, rien moins que cela.
Il n’est nul besoin de vous dire que les choses ne se sont pas passées comme prévu. Et c’est mon Auguste grand-père qui s’est retrouvé sans emploi, mais toujours flanqué de sa Fernande.
Forte et courageuse comme pas deux, ma grand-mère ne s’est plainte de rien. Pour s’en sortir, elle a tenu un petit restaurant. Mais l’indolence de son époux l’a contrainte à abandonner.
Puis mon grand-père a retrouvé un emploi de garde champêtre à la mairie de Bourg. La famille retrouve sa stabilité, Auguste au boulot et Fernande aux fourneaux.
C’est au cœur de ce foyer bien tranquille que grandissent Renée et Henriette. Elles ont cinq ans d’écart, ça fait beaucoup. De plus, elles n’ont rien en commun les deux sœurs… Autant l’aînée est un vrai garçon manqué, autant la cadette est plaintive et perpétuellement malade.
Ces caractères en totale opposition (hérités pour Renée de sa mère et pour Henriette de son père) leur feront mener une enfance et une adolescence complètement différentes.
Quand l’une est placée en pension, l’autre va à l’école la plus proche.
Quand l’une doit aider sa mère, l’autre va se réfugier dans son lit douillet pour cause de migraines. Tout est à l’avenant et Renée n’a qu’une envie : échapper à l’autorité parentale.
Cette opportunité viendra vite. Renée est une jeune femme et rencontre l’amour. Malheureusement, l’élu de son cœur ne correspond pas aux critères d’exigence de ses parents. Fernande et Auguste lui mettent le marché en main : tu le quittes et tu restes ; sinon tu pars !
Sitôt dit, sitôt fait : Renée choisit de partir avec son amoureux. Le temps passant et leur mariage consumé, Renée et son mari, pas si mauvais que ça et surtout pas rancuniers, ont fini par revenir de temps à autre, pour de courtes visites. Néanmoins, leur vie est ailleurs, tous deux font leur chemin dans la vie active et ils sont bien ainsi.
Pendant ce temps, Henriette, elle, continue à évoluer auprès de ses parents. Sans être dans l’excès, ils se laissent pourtant attendrir par la fragilité de la petite dernière. Elle a treize ans quand éclate la seconde guerre mondiale dans le pays ; les évènements vont bousculer l’ordre établi. Il n’est plus question d’enseignement, du moins ce n’est plus la priorité du moment ; l’urgence est de survivre à l’assaillant.
Henriette va partager ses angoisses, la peur au ventre, avec sa famille et tous ses voisins. La petite adolescente capricieuse et chouchoutée va devoir grandir vite. La guerre et ses horreurs vont-elles la mener vers la maturité ?
Je m’aperçois soudain que je ne connais rien de la famille de mon grand-père Auguste, si ce n’est qu’elle est berrichonne. Alors que j’ai des souvenirs d’enfance de la famille de ma grand-mère Fernande et que je n’en ai rien dit. Je me dois d’y remédier.
Celle-ci avait une sœur, Marguerite, elle aussi destinée aux travaux de la terre.
Avec son mari, ils ont une ferme à Chatillon-sur-Chalaronne, toujours dans le département de l’Ain. Cette cité médiévale est au cœur de la Dombes. Elle est également le plus grand canton de terre agricole de l’Ain ; de quoi élever sans soucis de belles vaches laitières, transformer le lait en beurre, crème et fromage. Ajoutons à cela les poules et leurs œufs, les lapins, le potager… que demander de plus pour vivre bien !
L’ambiance y est sereine, même si le travail ne manque pas. Le dimanche, jour du Seigneur, il est hors de question de ne pas se rendre à la messe.
J’aimais bien les week-ends qu’on y passait…
Quant à la famille du côté de mon père, elle tire ses ressources de diverses activités.
Hélène, ma grand-mère paternelle, est la petite dernière d’une grande fratrie.
Son père Joseph assure les besoins de sa femme Eugénie et de leurs sept enfants grâce à son entreprise de travaux publics.
La vie semble s’annoncer pleine de bonheur et pourtant le destin s’acharnera sur cette famille.
Joséphine, cinquième du nom, sera emportée très jeune par la tuberculose. Puis ce fut Albert, deuxième du nom, qui perdit la vie dans un accident. Enfin, Maria, l’aînée de cette belle famille, succombera à une pneumonie.
La force de leur union les aide à résister face à l’adversité. Pourtant, ils n’en ont pas fini avec le malheur. Alors qu’Eugénie attend son septième enfant (elle est enceinte de six mois), c’est au tour de Joseph, son tendre époux de disparaître brutalement à l’âge de quarante-deux ans.
Voilà Eugénie, bien seule pour veiller sur ses enfants et accueillir en prime le petit dernier. Lequel petit dernier sera en fait la petite dernière : ma grand-mère Hélène.
Ainsi donc, par les méfaits de la vie, Hélène n’eut pas le bonheur de connaître son père.
Nous sommes en août 1910. Hélène vient de naître et le père n’est plus là pour nourrir la famille. À cette époque, le maître mot est solidarité. Les aînés ne se posent pas de question : c’est à eux de prendre le relais. Ils travaillent et chacun verse son salaire à la communauté.
Petit à petit, les épreuves laissent la place à un quotidien plus paisible. Chacun reprend ses marques et se construit un avenir.
Seuls quatre enfants ont survécu. Les deux garçons travaillent dans le bâtiment ; quant aux deux filles, l’une, Suzanne, est presque en âge de se marier tandis que l’autre, Hélène, ne sait pas encore marcher. Eh oui, seize années les séparent !
L’époque n’est pas aux longs voyages. Point n’est besoin d’aller bien loin pour rencontrer l’amour. C’est ainsi que Suzanne fait la connaissance de Jean-Charles. Tous deux habitent la même rue. Alors « forcément », on part travailler puis on regagne la maison ; on va faire quelques courses et on rentre avec un panier bien chargé.
Et puis « forcément », il y a le hasard qui fait que l’on se croise une fois, deux fois, trois fois… et les fois suivantes, on s’arrange un peu avec ce fameux hasard, on le « force ».
Là quand on se croise, on se regarde timidement puis avec un peu plus d’assurance ; arrive naturellement le moment où l’on se salue ; Jean-Charles ose aborder Suzanne, propose de porter son panier. Il l’accompagne jusque chez elle. Se faisant, ils bavardent, se découvrent, projettent de se revoir et finiront par ne plus se quitter.
Pendant ce temps, Hélène apprend à marcher. Petit à petit, elle grandit ; elle n’est jamais loin de sa sœur Suzanne et de son beau-frère Jean-Charles. Il faut dire que ce dernier se montre très protecteur.
Suzanne et Jean-Charles ont leur premier garçon en 1912. Hélène n’a que deux ans, et se retrouve avec un « neveu » de presque son âge ! les deux enfants vont progresser l’un avec l’autre. Pour Jean-Charles, il est indispensable d’avoir de l’instruction. Suzanne, elle, veut pour sa toute petite sœur la vie la meilleure possible. Grâce à eux et à leur générosité, Hélène fait ses études de sténodactylo. Cela représente quelque chose dans ces années-là, surtout pour une fille. Pour autant, Hélène restera la même, abordant la vie avec courage et simplicité.
Louis, mon grand-père paternel, est issu d’une famille de producteurs agricoles. Leur exploitation tourne autour de la culture potagère et surtout de l’élevage de volailles bressanes ; puis ils vont vendre le fruit de leur travail sur les marchés.
Cette activité, située dans le charmant petit village de Mézériat, à moins de vingt kilomètres de Bourg-en-Bresse fait vivre confortablement toute la famille tant elle est prospère.
C’est dans ce village que grandissent Louis, né en septembre 1907, et ses deux sœurs.
L’aînée de la famille est restée auprès de ses parents.
Louis, le second, n’a jamais eu aucune appétence pour le travail de la terre, pas plus que pour l’élevage de volailles (fussent-elles de belles poulardes de Bresse d’ailleurs).
Sa passion à lui, c’est la mécanique automobile. Aussi, dès l’âge de quinze ans et sa scolarité terminée à Mézériat, il fait le choix de partir à Bourg-en-Bresse. Il est embauché comme apprenti dans un garage. Apprenant vite, ne rechignant pas à la tâche et montrant de réelles aptitudes pour le métier, c’est sans difficulté qu’il trouve sa place au sein de l’entreprise.
Le troisième enfant arrive huit ans après Louis ; c’est une petite fille. Elle souffre de cécité. Difficile de lui faire apprendre le braille et le langage des signes dans un petit village rural. Sa mère est soucieuse de ne pas la voir s’isoler et se refermer sur elle-même du fait de son handicap ; elle a le pragmatisme de la placer très tôt dans une école spécialisée. Les critiques de l’entourage fusent de tous côtés ; elle tient bon, ne pensant qu’à l’intérêt de sa fille.
Cette dernière peut donc faire un parcours scolaire normal et même choisir un projet professionnel.
Dotée d’un vrai talent, et d’une bonne oreille musicale, elle choisit de devenir professeur de musique ; la voilà partie pour Paris, où elle fera le conservatoire.
Entre-temps, le patriarche de l’exploitation agricole décède et tous les biens sont vendus. Le produit de la vente est partagé entre les enfants.
L’héritage est important ; la mère de Louis et de ses sœurs a la « bosse du commerce ». Elle met à profit cette rentrée d’argent pour investir dans un restaurant à Bourg-en-Bresse. Adieu la campagne, bonjour la ville !
La fille aînée suit sa mère et l’aide au restaurant. Louis est maintenant mécanicien. Quant à la petite dernière devenue musicienne, elle se verrait bien faire sa vie à Paris, d’autant qu’elle a rencontré un musicien avec qui elle aimerait partager un long chemin.
C’était compter sans l’autorité maternelle : une fille aveugle, fréquentant un garçon aveugle lui aussi, voilà une situation totalement déraisonnable.
« Ma fille, je ne te laisserai pas faire une telle sottise. Amoureuse ou pas, tu vas revenir chez nous ; le restaurant est grand, il y a une pièce disponible. On y installera ta salle de musique avec piano, violon, violoncelle et même un accordéon si tu le veux. Tu auras tout ce qu’il te faut pour donner tes cours ». À cette époque, même un garçon a du mal à se rebeller contre l’autorité parentale, alors une fille, pensez donc, ce n’est pas concevable.
C’est ainsi que toute la famille se retrouve à Bourg-en-Bresse. La fille aînée se marie et continue à travailler au restaurant. Le fils Louis est toujours mécanicien. Il est bien dans sa vie. La dernière fille donne ses cours de musique ; elle finit par épouser un garçon choisi par sa mère et avec qui elle aura deux enfants.
Oh ! elle n’est pas malheureuse, seulement nostalgique… qu’est-il devenu son bel amour parisien ?
Louis a un caractère bien différent ; bien que d’une extrême bonté (il aura l’occasion de le montrer mille fois par la suite), il n’accepte pas qu’on lui dicte sa conduite, surtout en matière d’amour.
Dans la rue où il travaille, il voit toujours passer une jeune fille qui fait battre son cœur. Elle habite cette rue-là, elle est tellement charmante et aussi si jeune, comme lui ; il a dix-huit ans et elle quinze ans à tout casser !
Il n’y a pas d’âge pour ressentir ces choses-là… c’est si doux d’être amoureux.
Louis n’avait pas imaginé que sa mère avait pour lui d’autres projets : il épouserait une cousine, ce qui ferait grossir le patrimoine familial. Ces pratiques étaient très « tendance » à l’époque.
Contrairement à sa petite sœur, Louis ne s’est pas soumis à la volonté maternelle ; il refuse cette alliance et dévoile l’existence de la « jeune fille de la rue où il travaille » et les sentiments qu’elle lui inspire.
C’en est fini de la relation mère-fils ; on ne tient pas tête à sa mère :
« Je te préviens, si tu n’épouses pas ta cousine, tu ne remettras plus les pieds dans cette maison. Je te déshériterai et je ne rencontrerai jamais cette fille qui t’a tout chamboulé les sens ».
Il ne fallait pas tenir de tels propos à mon grand-père Louis ; gentil oui, soumis sûrement pas ; surtout quand il s’agissait de son Hélène. Son choix fut vite fait. Il s’en alla de chez ses parents sans un regard en arrière, pour ne jamais y revenir.
Hélène et Louis s’installent ensemble. Très vite, Hélène tombe enceinte. La nouvelle est accueillie avec bonheur malgré leur jeunesse.
Avec leurs deux salaires (Louis est mécanicien et Hélène dactylo dans une petite entreprise de transports routiers), le couple se prépare à accueillir son premier enfant dans la sérénité. Certes, le logement n’est pas bien grand et il n’y a pas toutes les commodités. Qu’importe, leur amour et leur jeunesse leur donnent tant de confiance en l’avenir.
C’est dans ce climat de bonheur partagé qu’Hélène voit son corps se transformer, sa poitrine se gonfler et son ventre s’arrondir. Elle porte cet enfant avec fierté et son Louis ne se lasse pas d’admirer la magie de Dame Nature.
Nous sommes le 20 octobre 1926. Arrive enfin le moment tant attendu ; neuf mois ont passé et un petit être tout rouge, tout fripé, tout gluant apparaît. Il a fallu quelques heures de souffrance avant de l’entendre pousser son premier cri. Le voilà maintenant qui braille. Ça promet de belles nuits.
Soudain, tout semble si calme malgré les cris de l’enfant ; plus de douleur, plus de crainte, juste le bien-être de la délivrance.
Hélène et Louis sont là, à admirer le fruit de leur amour et tout à coup ils sortent de cet état contemplatif dans lequel ils étaient plongés et réalisent qu’ils sont les heureux parents d’un garçon. Ayant envisagé cette possibilité, ils étaient déjà d’accord sur le prénom : « Il s’appellera Yves ».
Hélène, avec sa jeunesse, a tôt fait de se remettre de son accouchement. Il est décidé qu’elle ne travaillera plus et se consacrera entièrement à leur enfant. La vie reprend son cours. Les journées sont bien remplies. Mais rien ne peut altérer la joie de vivre du jeune couple.
Comment ne pas grandir heureux dans un foyer comme celui-là ? Yves est un enfant aux cheveux clairs et fins, aux grands yeux bleus. Il est d’une nature plutôt calme, pas casse-cou pour deux sous. C’est un garçon doux et sensible, avec un petit côté taquin ; il est curieux et doté d’un esprit vif. De méchanceté, jamais il ne fera preuve.
Yves arrive en âge d’être scolarisé. Élève sérieux et discipliné, il ne donnera que des satisfactions. Il aime le calcul, les chiffres le fascinent. Par contre, ne lui demandez pas de se livrer à un quelconque jeu de construction en bois, c’est peine perdue. Pour sûr, il ne sera pas un manuel, ce gamin-là.
Hélène et Louis se verraient bien accueillir un second enfant. Malheureusement, aucune grossesse ne s’annonce. Faudra-t-il en faire son deuil ? Yves, lui aussi, aimerait bien voir la famille s’agrandir. Il s’imagine déjà dans la peau du grand frère attentionné.
SI tel doit être le destin, il faut bien s’en accommoder.
La mère d’Hélène avance en âge ; et avec l’âge arrivent la fatigue et le chagrin de la solitude. Tous ses enfants sont adultes. Ils mènent leur propre vie maintenant, c’est bien normal, mais c’est si dur !
Louis est un homme bon et généreux. Un soir au souper, il suggère à Hélène :
« Si on prenait ta mère avec nous. On pourrait bien se serrer un peu plus en attendant d’avoir un logement plus grand ».
Hélène est submergée par l’émotion et la reconnaissance ; elle en a de la chance d’avoir un mari comme Louis.
La grand-mère accueille la proposition avec enthousiasme, toute à la joie de ne plus être seule et surtout de partager le quotidien de son petit-fils Yves qu’elle adore. Les voilà donc un peu plus à l’étroit, mais heureux d’être ensemble. La grand-mère n’a pas un caractère facile. Elle en a connu des malheurs dans sa vie ; alors, comment lui en vouloir ?
Le temps passe et la vie s’est organisée. Nous sommes en 1936 et Yves a maintenant dix ans. Il est toujours aussi bon élève, pour la plus grande fierté de ses parents. Louis travaille d’arrache-pied pour évoluer dans son entreprise et obtient une confortable augmentation de salaire.
C’est le moment qu’a choisi ce coquin de sort pour faire une bonne blague à la petite famille.
Alors qu’elle n’y croyait plus, Hélène est à nouveau enceinte. Après toutes ces années, comment Louis va-t-il accepter l’annonce de ce deuxième enfant ? À la vue du sourire rayonnant sur le visage de Louis, Hélène est rassurée. Quant à Yves, ce n’est pour lui que du bonheur. Si seulement… ce pouvait être un garçon ? Il fera le troisième au foot ! il faut dire que Louis est un très jeune papa, parfois aussi « gamin » que son fils !
Le 4 juin 1937, Hélène ressent les premières contractions. Ce n’est pourtant pas le moment. Elle est à tout juste huit mois de grossesse. Inquiète, elle se rend à la maternité ; le travail est bien commencé. Ce bébé est pressé d’arriver.
Quelques petites heures plus tard, c’est une fille qui montre le bout de son nez. Elle est toute menue et jolie comme un cœur ; elle s’appellera Françoise. Oubliés les rêves de jeux de garçon pour Yves ; dès qu’il aperçoit sa sœur, il l’aime déjà ; il sait qu’ils seront inséparables.
Yves sera comme prévu un grand frère attentif, toujours aux petits soins pour Françoise. Dès qu’il le peut, il la promène, il joue avec elle. Quant à Françoise, elle va vouer à son frère un attachement sans faille.
Louis, dont les finances se sont améliorées, peut réaliser son rêve : s’installer à son compte, ouvrir un petit commerce. Il a trouvé l’endroit idéal permettant à la fois d’installer sa petite famille dans un appartement et de monter son activité commerciale. Il y a même de quoi agencer un deuxième petit appartement pour la grand-mère et un atelier de réparation.
De longues discussions animent les soirées. Louis est toujours aussi passionné par la mécanique, mais il passera des voitures aux deux-roues motorisées.
Hélène se chargera de l’accueil de la clientèle et assurera la comptabilité.
Il ne fallut pas longtemps à Louis pour démarrer son affaire. Tout va donc pour le mieux. Yves poursuit sa scolarité avec toujours en tête de se former à la gestion d’entreprise, pendant que Françoise commence à marcher.
Nous sommes en 1938 et la famille profite sans le savoir de ses derniers moments de paix avant longtemps. Tout comme l’ensemble des Français, ils ignorent qu’ils sont à la veille de la Deuxième Guerre mondiale.
La seule excuse de la guerre, c’est qu’elle correspond à une folie de l’espèce humaine.
Amélie Nothomb
Ça y est, la nouvelle est tombée : le 3 septembre 1939, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l’Allemagne.
La population le pressentait, bien que gardant un tout petit espoir de l’éviter.
La ville de Bourg (qui deviendra Bourg-en-Bresse seulement en 1955) n’échappera pas à la pression allemande. Elle subira le premier bombardement de ce conflit le 16 juin 1940. La gare et ses alentours seront détruits. On comptera treize morts et vingt-cinq blessés.
Trois jours plus tard seulement, les troupes allemandes traversent la Bresse. L’armée française a beau saboter les ponts qui jalonnent le Rhône, c’est à peine si la progression teutonne est ralentie.