L’Amant de la momie - Antoine Wylm - E-Book

L’Amant de la momie E-Book

Antoine Wylm

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Beschreibung

Il y a deux ans environ, des égyptologues déterrèrent, près de Thèbes, le sarcophage d’une momie. Ils décidèrent son transport en Angleterre, pour l’offrir au British Museum.
Dès lors survinrent des événements singuliers. On eût dit que sa venue au monde avait ressuscité chez la momie une sorte d’influence maléfique et qu’elle se plaisait à tourmenter ceux qui avaient violé sa sépulture.

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L’AMANT DE LA MOMIE

Grand roman psychique inédit

par Antoine Wylm

Paris 1912

© 2021 Librorium Editions

 ISBN : 9782383830429

PRÉFACE

Il y a deux ans environ, des égyptologues déterrèrent, près de Thèbes, le sarcophage d’une momie. Ils décidèrent son transport en Angleterre, pour l’offrir au British Museum.

Dès lors survinrent des événements singuliers. On eût dit que sa venue au monde avait ressuscité chez la momie une sorte d’influence maléfique et qu’elle se plaisait à tourmenter ceux qui avaient violé sa sépulture.

Tous ceux qui avaient porté la main sur le sarcophage se virent persécutés de différentes façons : les uns furent malades, les autres firent des chutes plus ou moins graves. Un peu plus tard, le navire qui transportait la dépouille de la morte fut assailli par une tempête à sa sortie d’Alexandrie — des matelots déclarèrent qu’un mauvais sort s’était attaché au bateau.

Après l’installation du trésor funéraire dans les salles du British Museum, des événements incroyables se développèrent avec une logique déconcertante : il y eut des apparitions, des visions fluidiques diverses. On soutient même qu’il y eut transport d’objets et manifestations matérielles.

Des gens qui avaient contesté le pouvoir de la momie se virent punis de leur incrédulité. Des photographes qui voulurent prendre des clichés de la morte eurent leur fortune ou leur santé compromises.

Bien plus, un jeune savant prétendit être visité par le corps astral de la morte et déclara que celle-ci, furieuse d’être dérangée de son sommeil millénaire, désirait se venger de l’outrage commis envers sa dépouille.

Ces faits reposent-ils sur une suggestion collective des témoins, ou se sont-ils réellement passés ? La science de l’occulte n’est pas encore assez développée pour en affirmer la véracité.

Mais il y a là tout un ensemble de phénomènes qui, pris isolément, ne signifieraient rien, et qui, réunis, suggèrent des hypothèses bien troublantes. Au moyen âge, on n’eût pas manqué de faire intervenir la sorcellerie.

Si, m’appuyant sur ces données, j’ai composé ce roman en supposant la suite logique des faits sentis, réels ou imaginaires, je n’entends pas prendre position. Je me borne à relater des événements dans leur ordre chronologique et à laisser aux lecteurs le soin d’en déduire une conviction personnelle.

Le psychisme n’est pas encore une science admise. Les initiés se sont depuis longtemps rendu compte que des forces surnaturelles agissent autour de nous. Il y a toujours eu, dans la suite des âges, des êtres doués d’une acuité de vision particulière et qui, sans s’être concertés puisqu’ils appartenaient à des temps différents, ont soutenu les mêmes hypothèses avec une identique puissance de conviction.

Il y a là « présomption de preuve par universalité de croyance ».

Malheureusement, faute d’instruments pour calculer la puissance des manifestations occultes, et par manque d’appareils enregistreurs pour en fixer la matérialité, ces savants ne purent jamais qu’avancer le témoignage de leurs yeux.

Il me sera cependant permis de dire à propos de ce roman psychique, que souvent des événements se produisent dont notre raison se refuse à admettre sur le moment la réalité, mais dont la science, plus tard, se chargera de fournir l’explication.

Selon que les gens sont des convaincus ou des sceptiques, ils pourront toujours expliquer une aventure qui paraît surnaturelle, soit en faisant intervenir leur croyance occulte, soit en soutenant qu’il y a là suggestion du sujet, ou plus simplement encore, fraude cachée d’un des participants.

Toutefois il y a des événements, des faits qui appellent des causes, et si l’esprit moderne, à son degré de développement actuel, n’est pas encore assez documenté pour expliquer le merveilleux, il est quand même asses instruit pour ne plus le nier.

Ce sera aux lecteurs du Matin de combattre ou d’approuver, lorsqu’ils auront lu les multiples péripéties de l’Amant de la momie.

A. Wylm.

PREMIÈRE PARTIE

I

John Smith, chef du département des antiquités égyptiennes au British Museum, était fort occupé dans la matinée du 20 octobre 1908. Il devait classer un lot de figurines en terre émaillée, de cette belle couleur turquoise que les anciens Égyptiens ont jadis obtenue, et déterminer l’âge des statuettes dont les plus récentes remontaient à plus de 3 000 ans.

L’égyptologue fut tout à coup distrait de son travail. Il releva d’un geste irrité ses lunettes d’or sur son front chauve, posa soigneusement l’Isis qu’il étudiait, et dressa l’oreille. Un bruit de voix se faisait entendre dans son antichambre. Quelque intrus essayait sans doute de violer la consigne par lui donnée.

John Smith était d’un caractère quinteux ; il ne souffrait pas la contradiction et avait pris en Allemagne, où il avait fait ses études, l’habitude de diriger son département comme un colonel sa caserne. Il écouta les voix qui troublaient ses occupations sacro-saintes, et fronça le sourcil d’un air menaçant.

— Par Osiris ! — Smith ne jurait que par les dieux égyptiens — ce Jim fait bien mal son service !

Le bruit continuait. On distinguait maintenant une voix forte, autoritaire, parlant d’un ton de commandement.

— Qu’Isis me bénisse si l’animal n’est pas entêté ! grommela Smith.

Au moment précis où l’égyptologue sollicitait la bénédiction d’Isis, la porte s’ouvrit brusquement, et un homme entra. Il était de haute taille, de tournure militaire, sa lèvre supérieure s’ornait de longues moustaches, son œil droit semblait exposé comme dans une vitrine, derrière un monocle de cristal : un pardessus sombre d’une coupe irréprochable, un pantalon cassant avec régularité au cou-de-pied sur des bottines du bon faiseur, révélèrent à John Smith lui-même que l’envahisseur était un gentleman.

Il interpella rudement l’inconnu :

— Pour l’amour de Phtah ! monsieur, vous avez une façon d’entrer chez les gens !

— Veuillez m’excuser, monsieur, si j’ai insisté…

— Insisté ! Il me semble que vous avez mieux fait ! Vous êtes entré de force ! Vous violez mon domicile.

— Ne vous fâchez pas ! Lorsque vous saurez…

Le visiteur tendit au savant sa carte de visite. Smith lut :

— Le comte de Charing.

Et un peu confus, il murmura :

— Que puis-je pour votre service, mylord ?

— Monsieur le directeur, je vous apporte une momie.

— Une momie ? Que voulez-vous que j’en fasse ?

— Vous la placerez dans le musée, s’il vous convient de la prendre quand vous connaîtrez son histoire.

— Je ne puis accepter comme cela une momie, sans l’autorisation du conservateur.

— Je verrai le ministre, et je vous ferai avoir cette autorisation sans difficulté si…

— Si ?

— Si vous acceptez mon offre…

— Avant de me prononcer, mylord, je dois voir l’objet. Vous comprenez que nous ne pouvons pas placer dans nos collections, les plus belles du monde, des momies ordinaires ; il nous faut des spécimens de choix.

— Je crois que vous serez satisfait.

— Il faut voir ! Il faut voir ! Je connais les collections particulières et, soit dit sans vous offenser, mylord, si vos tableaux sont célèbres, si vos porcelaines de Chine sont parmi les plus cotées, je n’ai jamais entendu parler de vos collections égyptiennes.

— Hélas ! c’est malheureusement une acquisition récente.

— Pourquoi dites-vous malheureusement ?

— Je vous l’expliquerai plus tard. Consentez-vous à recevoir au moins provisoirement le don que je fais au musée ? Voulez-vous voir la momie ? Elle est sur mon automobile.

— Sur votre automobile ! Elle doit être dans un bel état ! Que voulez-vous que je fasse, je vous le répète, d’une momie avariée ?

— Elle n’est pas avariée.

— D’une momie sans son cercueil…

— Elle a son cercueil.

— D’une momie de quelque pauvre hère simplement passé au bitume !

— C’est une momie royale.

Smith se renversa sur sa chaise en riant bruyamment.

— Une momie royale ! Que Seth m’emporte si tous ces amateurs ne sont pas pareils ! Une momie royale !

— Parfaitement, reprit lord Charing, que l’aigre entêtement du savant commençait à amuser.

— Vous ignorez que le gouvernement égyptien interdit l’exportation des échantillons précieux ?

— Je le sais.

— Eh bien ! Vous avez acquis récemment cette momie. Par conséquent, si on a autorisé son exportation, cela signifie que votre momie est ordinaire, donc indigne de figurer au British Museum.

Lord Charing ouvrit l’œil droit et laissa tomber son monocle ; il le remit lentement, et considéra pendant un instant son interlocuteur.

— Vous verrez ma momie, monsieur. Je doute que vous en ayez une aussi belle.

Cette affirmation scandalisa Smith.

— Nous avons, mylord, les plus beaux spécimens qui soient au monde, exception faite du musée de Boulaq.

— Avez-vous des momies encore revêtues de leurs bijoux ?

— Non, dit Smith avec mauvaise humeur, mais nous avons de nombreux bijoux.

— Avez-vous des colliers d’or émaillé ? Quinzième dynastie ?

— Non, mais…

— Avec de gros cabochons d’émeraude ?

— Votre momie a été ensevelie avec de pareils bijoux ? demanda Smith, dont la curiosité s’éveillait.

— Voulez-vous la voir ?

— Certainement, dit l’égyptologue avec promptitude.

— Avez-vous des hommes capables de porter la caisse jusqu’ici ?

— Oui, nous la ferons déposer dans l’atelier où les caisses sont ouvertes. Je vais donner des ordres. Désirez-vous m’accompagner ?

Lord Charing acquiesça d’un signe.

— La caisse est-elle lourde ?

— Trois ou quatre hommes seront nécessaires pour la manier facilement.

— Bien !

Smith sonna. Le garçon de bureau entra, l’air inquiet.

— Jim, dites au chef d’atelier d’aller avec six ouvriers robustes prendre une caisse sur l’automobile de lord Charing. Qu’ils l’apportent dans la salle de réception des colis, et qu’ils l’ouvrent avec précaution.

» Au surplus, ajouta-t-il, je vais avec vous. »

Tandis que Jim exécutait la commission dont il était chargé, Smith se leva, couvrit son crâne brillant d’un smoking-cap de velours noir, et entraîna d’un pas rapide lord Charing. Il ne s’arrêta que devant l’automobile luxueuse du pair d’Angleterre, une soixante chevaux, rapide et confortable, avec une large plate-forme pour les bagages. Là, reposait l’énorme caisse, munie de poignées métalliques, où se trouvait la momie que l’égyptologue brûlait du désir de contempler.

— Par Ammon ! mylord, la caisse a l’air de peser beaucoup.

— Beaucoup, en effet, monsieur Smith ; c’est une caisse imperméable, faite pour flotter en cas de naufrage. La momie est revenue sur mon yacht, et j’avais des raisons sérieuses pour prendre toutes sortes de précautions.

— Ah ! je suis curieux de savoir pourquoi ?

— Patience. Je vous promets de vous raconter en détail l’histoire de ma momie mais je veux absolument que vous la voyiez d’abord.

Les hommes de service arrivaient ; ils descendirent avec précaution la boîte de chêne et prirent le chemin de l’atelier qui se trouvait au rez-de-chaussée du musée.

Smith s’agitait tumultueusement.

— Vous vous endormez, mes garçons ! criait-il, allez plus vite. Nous n’avons pas de temps à perdre.

Tout à coup un des porteurs fit un faux pas et la caisse s’abattit pesamment sur son pied. Il poussa un cri accompagné d’un retentissant juron et tomba. Ses camarades le relevèrent ; il avait le pied écrasé et souffrait cruellement. Il fallut le conduire immédiatement à l’hôpital ; l’automobile de lord Charing, offerte et acceptée, transporta rapidement le blessé.

— C’est de la malechance, disait Smith entre ses dents. Le maladroit !

— Attendez. Mon récit vous montrera que c’est tout autre chose. Je ne suis pas surpris de cette aventure et je vous assure qu’il m’a fallu beaucoup de courage pour emporter moi-même cette caisse.

Lord Charing désignait la lourde boîte que les porteurs avaient enfin amenée dans l’atelier.

— Que voulez-vous dire, mylord ? reprit Smith en fixant ses petits yeux perçants sur le visage de son visiteur.

— Tout à l’heure. Quand vous aurez vu l’objet.

Smith ne put retenir une exclamation en apercevant le cercueil de bois précieux, couvert de peintures d’une extrême richesse ; le dessin, très pur, révélait la main d’un artiste thébain de la bonne époque du nouvel empire.

L’égyptologue fit ouvrir le coffre de bois ; un autre cercueil de carton, plus richement orné que le précédent, apparut alors aux yeux étonnés de Smith et de ses employés. Cette boîte épousait la forme du corps qu’il contenait ; une figure de femme y était peinte, à l’endroit qui correspondait à la face.

— Par les cornes d’Ammon ! c’est le cercueil d’une personne bien riche, mylord. Voyons vite la momie elle-même !

Le chef d’atelier enleva dextrement le couvercle de carton et la momie, encore enveloppée de ses bandelettes blanches, se montra dans sa splendeur.

Les étroits rubans qui couvraient la partie supérieure du corps avaient été enlevés et placés à côté de la morte, dont on voyait le visage, les épaules, la gorge et les bras. Rien n’aurait sans doute révélé son âge à des profanes, si le rictus qui distendait les lèvres n’eût laissé voir des dents petites, blanches, intactes, telles que la jeunesse seule peut en montrer. La beauté presque vivante de cette dentition magnifique faisait un étrange contraste avec la peau tannée, les yeux enfoncés, le nez et les pommettes saillantes du cadavre embaumé.

Mais autre chose provoqua l’admiration de Smith, qui jura par tous les dieux du ciel égyptien, en apercevant la parure de la morte. Deux colliers enserraient encore son cou, des bracelets encerclaient ses bras, des gorgerins recouvraient de leurs délicates sphères la place de ses seins affaissés. Ces bijoux étaient les plus beaux que Smith eût encore vus.

Il s’attarda dans la contemplation des parures, puis il souleva légèrement les mains de la morte qui étaient couvertes de bagues, les unes en or finement ciselé, les autres munies de chatons où étaient sertis des cabochons d’émeraude, de saphir, de rubis ; le mouvement qu’il fit lui montra, dans la main droite de la momie, un bijou qu’elle semblait tenir pressé contre son cœur. C’était un disque d’or, autour duquel des mains, tenant de petites croix ansées, formaient comme une couronne de rayons.

— Tiens ! tiens ! tiens ! dit-il, en se baissant pour regarder de plus près l’objet qu’il avait découvert, voilà un bijou curieux, et qui permet d’assigner une date certaine à l’ensevelissement.

— Comment cela ? fit lord Charing.

— Cette représentation du disque solaire est familière à l’époque du dernier grand roi de la dix-huitième dynastie, Aménophis IV ; c’est le symbole d’Aten, le Dieu d’Amen-Hotep, l’hérétique Khounaten.

Smith se redressa brusquement, et courut vers le cercueil de bois, mais il glissa, tomba sur le nez, et brisa ses lunettes, tandis que l’organe, durement projeté sur le sol saignait abondamment.

— Par Osiris ! s’écria l’égyptologue, votre momie me fait perdre l’esprit.

Le savant mit ses lunettes dans la poche droite de sa redingote, et étancha le sang qui coulait de son nez ; on s’empressait autour de lui, on lui apportait des serviettes, une cuvette pleine d’eau fraîche, on allait lui insérer une clé dans le dos, mais l’irascible Smith ne toléra pas longtemps cette intempestive sollicitude ; il remplaça ses lunettes par un lorgnon, appuya une serviette sous son nez, et alla, avec moins de brusquerie cette fois, vers le cercueil.

Au bout de quelques minutes, il poussa une nouvelle exclamation.

— Par le ventre d’Horus !

— Quoi donc ? demanda lord Charing.

Mais Smith avait repris son examen silencieux ; cinq minutes encore il étudia les hiéroglyphes du cercueil.

— C’est phénoménal ! s’exclama-t-il soudain.

— Quoi, M. Smith ?

— Inconcevable !

— Mais encore…

— Inouï, mylord ! inouï ! Où avez-vous trouvé cette momie ?

— Je vous le dirai ; expliquez-moi d’abord le motif de votre surprise.

— Vous ne le comprenez pas ? dit avec vivacité l’impétueux vieillard. Vous n’avez donc montré votre momie à aucun égyptologue ? Personne ne vous a lu ces hiéroglyphes ?

Et il désignait les peintures inscrites sur le cercueil de bois.

— Non. Personne ne les a encore examinés.

Smith se frotta joyeusement les mains.

— Parfait Quelle admirable trouvaille, mylord !

» Une momie royale, fille d’Aménophis IV ou Khounaten l’hérésiarque ! Une prêtresse d’Aten ! Anubis soit loué !

» Je crois cet exemplaire unique au monde.

— Ainsi, monsieur Smith, la momie vous paraît convenable ?

— Admirable, mylord ! Échantillon unique.

— Et vous l’acceptez pour le British Museum ?

— Sans la moindre hésitation !

— Ne vous engagez pas avant de connaître son histoire. Je me reprocherais de vous laisser accueillir l’hôte que j’envoie au musée, sans savoir à quoi vous vous exposez…

— Je sais ! Je sais, mylord, affirma le bouillant Smith, mais la momie ayant été exportée en contrebande, nous n’avons rien à craindre du gouvernement égyptien.

— Là n’est pas la question…

— Au contraire, mylord. Là est l’unique difficulté que l’on puisse prévoir.

— Il y en a d’autres, il faut que vous le sachiez.

Conduisant le visiteur dans son bureau, John Smith s’assit devant sa table de travail et prit un air résigné.

— Je vous écoute, mylord.

IILA DÉCOUVERTE DE LA MOMIE

Lord Charing alluma un cigare dont il avait soigneusement coupé le bout. Il aspira quelques bouffées, et demanda sérieusement à Smith s’il croyait aux mauvais sorts.

Le savant bondit sur son fauteuil.

— Moi ! mylord ? Vous voulez rire…

— Je ne veux pas rire du tout, je vous pose cette question parce que mon histoire vous impressionnera d’une manière différente, suivant que vous croirez ou ne croirez pas aux sorts.

— Par le ventre d’Horus ! Vous me demandez à moi, John Smith, membre de la Société royale, si je crois à cette chose absurde, bonne pour les montagnards d’Écosse ?

— Bien, bien, M. Smith. Alors vous m’expliquerez la cause des événements que je vais vous raconter.

» Je me trouvais en Égypte l’hiver dernier. Je m’y étais rendu sur mon yacht ; je comptais passer la mauvaise saison au Caire, et remonter le Nil jusqu’à Khartoum.

» M’étant arrêté à Thèbes, ou plutôt à l’endroit que cette ville célèbre occupait autrefois, j’ai visité ses temples et parcouru les hypogées où reposaient les momies des pharaons. Je suis resté quelques jours à l’ancre devant Louqsor, et le bruit s’est vite répandu dans le pays qu’un riche seigneur anglais était arrivé, les poches pleines de guinées.

— Et les Arabes sont venus vous proposer des antiquités ?

— Naturellement. J’ai fait quelques acquisitions, que j’ai payées sans marchander.

— Bon moyen pour attirer ces filous !

— C’est ma réputation de générosité qui m’a sans doute valu la visite d’un vieillard, à mine patibulaire. Il se donnait comme le cheik d’un village voisin, situé sur la rive droite du Nil. Le vieux bandit vint un jour trouver mon interprète.

» Après une courte conversation, ce dernier m’apprit qu’un chef arabe désirait me faire des propositions relatives à une affaire merveilleuse.

» C’était un pilleur de tombes ; il avait déjà fait quelques trouvailles fructueuses, et subi quelques condamnations, incidents prévus, qui n’avaient pas entravé sa carrière, car il récidivait sans scrupules. Sa constance venait d’être récompensée ; il avait découvert, depuis peu, une tombe royale dans une gorge isolée de la chaîne libyque, à une assez grande distance des sépulcres actuellement connus.

— Le vieux misérable ! murmura Smith.

— Le cercueil, d’une grande richesse, était double, et renfermait une momie de femme, encore parée de superbes bijoux. Si j’étais disposé à payer sa trouvaille un prix convenable, le vieux cheik se chargeait de l’amener nuitamment à mon bord. Je commençai par refuser. Il insista si bien que, pour mon malheur, je finis par céder.

— Pour votre malheur ?

— Pour mon malheur, oui. Car cette momie a une influence maligne.

— Allons donc, mylord ! Vous ne pensez pas un mot de cela.

— Au contraire. Je n’ai jamais plus sérieusement parlé. La première victime fut le vieux cheik. Il tomba dans la rivière après avoir touché le prix de la vente et se noya.

— Coïncidence, par Isis, coïncidence !

— Attendez. Au moment où je donnais l’ordre de partir pour continuer la montée du Nil, le mécanicien vint m’avertir qu’une pièce importante s’étant brisée, il était impossible de continuer le voyage. Je dus par conséquent revenir au Caire à la voile, aidé par le courant.

» À partir du moment où la momie est devenue ma propriété, une malechance constante n’a cessé de me persécuter. Je veux que vous le sachiez, et j’insiste sur ce point encore une fois.

— Pourquoi, mylord ?

— Parce que c’est la raison qui me détermine à me débarrasser de cet objet. À mon arrivée, au Caire, je trouvai lady Charing alitée. Elle avait une forte fièvre, et les médecins craignaient une maladie infectieuse grave. Je ne supposais pas alors que l’influence pernicieuse de la momie pût avoir quelque relation avec la maladie de ma femme.

» Mon yacht demeura dans le port d’Alexandrie, tandis que je restais au Caire, occupé à donner mes soins à lady Charing.

» Afin de lui éviter un long voyage en mer, je pris avec elle le paquebot pour Brindisi et je la ramenai par l’Italie, la Suisse, l’Allemagne et la France. Rien de particulièrement surprenant ne m’arriva au cours de ce voyage ; la traversée de mon yacht a été au contraire remplie d’incidents extraordinaires.

— Vraiment ?

— C’est un bateau de 600 tonneaux. Il compte une trentaine d’hommes d’équipage. Parmi eux se trouve un matelot écossais, Mac Donald, qui passe pour avoir le don de seconde vue. C’est un très honnête garçon, dont la famille habite depuis cinq cents ans auprès de la mienne, dans le comté de Perth.

» Mac Donald a toujours eu peur de la momie. Il prétend qu’il voit son esprit et il assure que c’est une âme irritée qui croit avoir des torts à venger ; elle serait furieuse d’avoir été exhumée ; elle s’est aperçue que Donald pouvait entrer en communication avec elle et persécute le pauvre homme. Elle s’exprime dans une langue totalement inconnue de l’Écossais, qui cependant comprend le sens de ses discours, comme s’il percevait la pensée même de la momie.

— Je vous arrête ici, mylord. Votre Mac Donald est un fou, purement et simplement. Je dirai même un fou poltron, par les cornes d’Apis !

— Je ne suis pas de cet avis, M. Smith. J’ai interrogé Mac Donald ; le docteur Martins l’a examiné ; il est sain d’esprit. Les événements subséquents lui ont d’ailleurs donné raison.

» D’abord, dès la sortie du port d’Alexandrie, mon navire a failli s’échouer. C’est par un hasard providentiel que le Thistle n’a pas heurté le musoir de la jetée. Mac Donald était à l’arrière, chargé de je ne sais plus quelle besogne ; il se trouvait à une petite distance des hommes qui tenaient la roue du gouvernail. Tout à coup il vit une femme, vêtue d’une longue robe blanche collante, s’approcher rapidement de la roue, et faire le geste de la pousser.

» Le navire changea son erre aussitôt et se dirigea droit sur la jetée. Mon marin se jeta sur la roue, la fit tourner en sens contraire, et ramena le steamer sur sa gauche. La manœuvre de ce fou a certainement évité la perte du Thistle.

» Le commandant a fait une enquête sur le fâcheux coup de barre qui avait failli amener le naufrage de son navire. Les timoniers n’ont pu fournir aucune explication. Ils ont senti la roue leur échapper, comme sous l’effet d’un fort coup de mer, et tourner dans le mauvais sens. La décision et la présence d’esprit de Mac Donald leur ont porté secours au moment opportun.

» L’Écossais a l’habitude de ces visions particulières, et il reconnut vite qu’il avait affaire à ce qu’il appelle naïvement un esprit. Il identifia, à tort ou à raison, la femme qui avait poussé la roue avec la momie que nous transportions.

— Mais ce n’est là qu’une vulgaire hallucination, mylord, déclara Smith en invoquant la déesse Neith.

Lord Charing ne prit pas garde à l’interruption du savant et continua son récit :

— Mac Donald ne raconta pas tout de suite son étrange aventure. Il est prudent et réservé, car il redoute les moqueries auxquelles il est très sensible. Son hallucination, si vous préférez ce mot à celui de vision, réveilla la crainte qu’il avait déjà manifestée au sujet de la momie, dont il pressentait la néfaste influence. À dater de ce jour, l’ombre s’acharna sur lui, protestant contre la violation de sa sépulture, jurant qu’elle ferait sombrer le navire et périr tout l’équipage.

» Elle faillit tenir parole. Trois ou quatre jours après le départ, dans le détroit de Messine, une tempête soudaine éclata. Le vent soufflait avec une force inouïe, et les courtes vagues de la Méditerranée brisaient sans relâche sur le pont. Le navire fatiguait beaucoup et l’endroit était périlleux. C’est là que les anciens plaçaient Charybde et Scylla, dont ils redoutaient le voisinage. Le Thistle fut drossé par le courant, et c’est miracle s’il n’alla pas à la côte.

» Et savez-vous à quel moment la tempête commença à se calmer ? Lorsque Mac Donald eut fait une chute grave, qui détermina une fracture compliquée du bras.

» Malgré les soins qui lui furent prodigués, malgré les précautions prises, la plaie s’envenima, et l’on dut amputer mon marin quinze jours après l’arrivée du yacht à Cowes. »

Lord Charing, au point où il en était arrivé, n’avait pas terminé l’histoire de la momie, mais le temps marchait. Il ne pouvait prolonger sa visite. Il consulta sa montre et se leva brusquement :

— J’abuserais de vous en prolongeant cet entretien, M. Smith, d’autant plus que la suite de ma narration a été rédigée par mon secrétaire, et que vous pourrez en prendre connaissance. Je vous laisse mon manuscrit, je viendrai le chercher demain, en vous demandant votre décision au sujet de l’offre de ma merveille.

Et lord Charing prit congé de John Smith. Celui-ci ouvrit aussitôt le rouleau de papier que lui avait remis son visiteur. Pour plus de clarté, je résumerai le récit du secrétaire de lord Charing.

 

 

IIILA MOMIE À CHARING-ABBEY

 

Charing-Abbey, comme son nom l’indique, avait été le siège d’une abbaye de bénédictins ; sa fondation remontait à la conquête normande, mais il ne restait à peu près rien de l’édifice primitif.

Le château affectait la forme d’un rectangle dont un des grands côtés était ouvert ; il se développait sur trois lignes en équerre, et comprenait un corps de logis principal avec deux ailes en retour. Les façades avaient la toiture un peu lourde ; mais la variété des aspects, l’élégance des fenêtres prodiguées par l’architecte, la richesse de la décoration imaginée par lui donnaient à Charing-Abbey une grâce inexprimable.

Les appartements de réception, salons, salles à manger, fumoir, occupaient le rez-de-chaussée du corps principal. Les ailes contenaient : à droite, une bibliothèque et le cabinet de travail de lord Charing ; à gauche, une galerie de tableaux. Dans cette galerie se trouvaient les porcelaines célèbres de la collection Charing, due au goût et aux patientes recherches du bisaïeul du comte actuel.

À peine lord Charing fut-il installé, qu’il donna l’ordre de transporter la momie dans la galerie du château. Il lui consacra une vitrine spéciale, munie de rideaux, afin de cacher sa vue aux personnes impressionnables. Ceux qui voudraient admirer sa parure n’auraient qu’à faire glisser les rideaux de soie rouge.

Le personnel du château était considérable ; de nombreux domestiques assuraient le service, sous la direction d’un majordome imposant ; des cochers, des mécaniciens, des jardiniers, des gardes-chasse logeaient dans les communs, édifiés à courte distance du manoir.

Les principaux habitants de Charing-Abbey étaient le comte et sa femme. Le comte, ancien officier aux horse-guards, avait deux enfants. Ces deux jeunes garçons, très intelligents, joignaient l’énergie de leur père à la douceur de leur mère. Celle-ci ne quittait presque jamais sa chambre, vivant sur sa chaise-longue dans une torpeur que rien ne parvenait à dissiper. Le comte aimait tendrement sa femme : il ne dissimulait pas l’inquiétude que lui causait l’état de sa santé.

Près des maîtres vivaient divers personnages. D’abord le docteur Martins, médecin particulier de lord Charing. Il passait une partie de son temps à Londres, mais revenait chaque semaine à Charing-Abbey, où il avait installé un laboratoire.

Ensuite le révérend Ezechiel Symonds, savant qui passait ses jours à rechercher ce que sont devenues les dix tribus d’Israël perdues depuis la ruine du royaume de Samarie. Il employait son immense érudition à élucider le problème ethnographique qui troublait son esprit nourri de la Bible. Hélas ! les tribus perdues ne sont pas encore retrouvées et leurs traces échappent aux investigations du patient vicaire.

Le précepteur, Edward Rogers était grand, robuste, doué d’une énergie physique remarquable ; il avait les traits d’un Oriental malgré sa nationalité. Brun, les yeux très noirs, le nez busqué, il était entièrement rasé, selon l’usage introduit par les Américains.

Rogers possédait un cœur excellent, une intelligence remarquable. Il était le produit accompli de ces grandes universités anglaises où la culture intellectuelle s’associe à la culture physique. Il était d’ailleurs doux, courtois et patient.

L’arrivée de la momie fut un événement à Charing-Abbey. Tandis qu’on procédait à l’installation de la princesse pharaonique, par une fatalité incroyable, un des domestiques chargés de porter le coffre imperméable fit un faux pas et se cassa la jambe.

Lord Charing ne vit là qu’une coïncidence, mais le révérend Ezechiel y découvrit manifestement l’intervention de l’esprit impur de la fille des pharaons. Par un hasard également fâcheux, Mac Donald, le marin dont on avait amputé le bras, était le frère du sommelier de Charing-Abbey ; au cours de leurs conversations, Daniel le marin et William le sommelier avaient parlé de la momie, et ce dernier, naturellement, mit l’office au courant de la malignité de « l’objet ».

L’accident arrivé au valet de chambre fit le sujet de toutes les conversations de la domesticité : on le rapprocha de ceux qui étaient arrivés précédemment, et l’avis unanime de l’antichambre fut que la momie porterait malheur au château.

Seul, le précepteur Rogers, au grand étonnement de tout le monde, témoigna pour elle un extraordinaire intérêt.

— Dire que nous avons là ce qui reste d’une femme qui fut peut-être jolie ! murmura Martins.

— Mais elle est encore très jolie ! répliqua Rogers d’un ton singulier.

Personne ne fit alors attention à cette réponse, dans laquelle le docteur Martins prétend trouver la clef des aventures de son ami.

Quoi qu’il en soit, à dater de ce moment, le précepteur fut pris d’un ardent désir de s’initier à l’étude des hiéroglyphes, de l’écriture et du langage de l’ancienne Égypte, de ses mœurs et de son histoire.

Ainsi commença la carrière d’orientaliste de Rogers.

Les premiers jours qui suivirent l’arrivée de Nefert-thi — c’est le nom de la momie — furent relativement calmes. À sa sortie de l’hôpital le marin Daniel Mac Donald vint voir son frère, mais il ne consentit sous aucun prétexte à passer une nuit dans le château où était la « chose ».

Son naïf dévouement à lord Charing lui donna l’audace de demander audience au comte.

— J’assure à Votre Seigneurie, dit-il, que la « chose » est malfaisante pour elle et pour sa famille. Qu’on la renvoie dans son pays ; autrement elle fera beaucoup de mal et beaucoup de dégâts.

Lord Charing se contenta de sourire ; mais voici ce qui arriva le lendemain soir.

Le frère de Daniel, William, était fiancé à une femme de chambre : Betsy. Leur service terminé, ils se retrouvaient dans le jardin, au pied de la terrasse qui longe la galerie ; un soir ils causaient tranquillement de leur avenir, mêlant sans doute quelques baisers timides à leur conversation, quand ils entendirent une musique très extraordinaire, qui semblait provenir d’un orchestre placé dans la galerie.

Les musiciens devaient jouer d’instruments peu usuels ; il est assez difficile de comprendre très exactement ce qu’ont voulu dire Betsy et William ; ils sont d’accord cependant pour déclarer que l’air entendu par eux ne ressemblait pas à la musique moderne. Il était lent, fortement rythmé, comme une marche solennelle.

Surpris par ce concert inattendu, les deux amoureux se levèrent, s’imaginant qu’il y avait au château des hôtes nouvellement arrivés ; William craignit qu’on n’eût besoin de lui ; il quitta précipitamment Betsy et rentra directement à l’office. Sa fiancée, naturellement plus curieuse, gravit le perron et crut voir la galerie éclairée a giorno. L’illumination cessa soudain, et la jeune femme de chambre entendit un cri déchirant comme si on assassinait quelqu’un. Terrifiée, elle se sauva à toutes jambes. Elle arriva en courant à la cuisine où son aspect jeta l’effroi. Elle était pâle comme une morte, son cœur battait à se rompre, et elle criait affolée : « Au meurtre ! Au meurtre ! »

Le majordome survint en entendant les cris de Betsy. D’une voix entrecoupée, celle-ci raconta son aventure. Jones la gourmanda, prétendant qu’elle était folle.

William confirma le récit de sa future femme, et se montra très effrayé en apprenant que Betsy avait vu de la lumière dans la galerie.

Le chef cocher était un Irlandais du nom d’O’Connor. Il déclara que cela présageait une mort prochaine, et faisant allusion â la superstition de son pays, où l’on croit qu’un esprit familier vient hurler autour des maisons que la mort va visiter, il dit :

— Sûr ! C’est le Banshee !

— Pas du tout, répliqua gravement William, c’est la momie !

Cette observation traduisait si bien le sentiment général que tous les domestiques présents gardèrent le silence, et qu’O’Connor, bon catholique, fit le signe de la croix.

— Au fait, c’est bien possible ! Si elle se met maintenant à hanter la maison…

— Taisez-vous donc, O’Connor, vous allez rendre ces dames folles par vos bêtises. Il n’y a pas de fantômes, pas d’esprits et pas de hantises.

L’objurgation de Jones resta sans écho, les domestiques regagnèrent leurs chambres ensemble ; aucun d’eux n’osa grimper jusqu’aux combles seul ; Jones lui-même se joignit au groupe de ses camarades bien qu’il aimât à leur montrer sa supériorité.

Ainsi débutèrent les phénomènes qui ont troublé la paix à Charing-Abbey.

Quelques jours après, vers onze heures du soir environ, la domesticité était dans son parloir réservé, lorsque la sonnette de lord Charing retentit. Le tableau indiquait la présence du comte dans sa chambre. Tom Prescott, son domestique particulier, répondit aussitôt à l’appel.

Lord Charing venait d’avoir la même hallucination que ses gens. Ayant ouvert sa fenêtre pour fumer un cigare dans la paix nocturne, ses regards furent attirés vers une chose inusitée : l’illumination de la galerie de tableaux !

Il pensa que ses domestiques la visitaient, le croyant déjà couché. Cette infraction aux règlements de la maison lui ayant déplu, il avait sonné son valet de chambre.

— Tom, pourquoi est-on allé dans la galerie ?

— Personne n’est dans la galerie, Votre Seigneurie.

— Comment se fait-il alors qu’elle soit éclairée ?

Tom pâlit, il s’approcha de la fenêtre, vit, lui aussi, la lumière qui dessinait en clair le rectangle des hautes verrières.

— C’est « la chose », Votre Seigneurie !

— Quelle chose ?

— La momie, mylord !

— Êtes-vous fou, Tom ? Venez avec moi.

Tom suivit lord Charing qui descendit rapidement l’escalier, alla d’un pas alerte vers la galerie, et en ouvrit la porte. Tout était dans l’obscurité et le silence. Il congédia son domestique et se retira chez lui, pensif.

La comtesse était si faible qu’une femme de chambre devait la veiller. Un lit de sangle était dressé chaque soir dans le cabinet de toilette ; sur ce lit s’étendait la personne de garde, prêté à répondre au premier appel de sa maîtresse.

Un vendredi soir, le service de veille était assuré par Louise Morel, une camériste française.

Celle-ci se coucha à minuit et demi ; elle dormait depuis quelques instants, lorsqu’elle fut réveillée en sursaut par la comtesse qui l’appelait d’une voix apeurée. Se levant aussitôt, elle vint auprès de la malade, qu’elle trouva assise sur son séant, la figure livide, toute tremblante.

— Louise, dit lady Charing, on vient d’ouvrir la porte et quelqu’un est dans la chambre… J’ai entendu marcher… Sonnez Jones. Qu’on fouille la maison.

Mlle Morel crut que lady Charing avait réellement entendu quelqu’un. Elle alluma les lampes électriques, il n’y avait personne dans la chambre. Elle vérifia les portes, toutes étaient fermées au verrou.

— Madame la comtesse aura rêvé, dit-elle quand son inspection fut finie, nous sommes seules et bien enfermées.

Lady Charing assura qu’elle ne dormait pas, qu’elle avait entendu la porte s’ouvrir, perçu nettement le grincement de la clef et de la poignée, clairement reconnu un bruit de pas légers.

— Que madame n’ait pas peur, qu’elle dorme. J’allumerai une lampe et je veillerai près de madame.

Lady Charing était si émue, qu’elle accepta l’offre de Mlle Morel.

Le reste de la nuit se passa sans incident, et la comtesse finit par se persuader qu’elle avait eu un cauchemar.

Le samedi, Betsy remplaça Louise. Celle-ci n’avait pas soulflé mot de l’aventure de la nuit précédente ; elle était discrète et sachant Betsy fort impressionnable, elle ne voulait pas donner à sa jeune camarade des inquiétudes inutiles.

Lord Charing passa la soirée auprès de sa femme et la quitta à dix heures trois quarts ; Betsy prit, son service à ce moment. La comtesse, sentant le sommeil la gagner, pria la jeune femme de chambre d’éteindre les lampes et de ne laisser brûler qu’une veilleuse ; lady Charing lui demanda en outre, sans lui en donner la raison, de rester auprès d’elle jusqu’à minuit et demi.

À onze heures, elle commençait à s’endormir. quand elle tressaillit, ouvrit les yeux et dit avec impatience :

— Mon Dieu, Betsy ! qui fait de la musique à cette heure ?

Betsy n’avait rien entendu. Elle écouta et perçut aussitôt les sons qui avaient frappé son oreille quelques jours auparavant. C’était le même air joué par des harpes, sur un rythme lent, scandé par des battements semblables aux claquements des mains l’une contre l’autre.

La femme de chambre sentit une sueur froide perler sur son front, et elle faillit se trouver mal. Elle était tellement effrayée qu’elle n’eut pas la force de répondre à sa maîtresse.

— C’est bien curieux ; ce sont des harpes ! Qui peut en jouer ici ? Quelle étrange musique !

Betsy était plus morte que vive ; la comtesse écoutait toujours le fantastique concert.

— Comme c’est original ! Voyez donc qui joue, Betsy.

Mais Betsy semblait paralysée.

— Betsy ! Betsy ! m’entendez-vous ?

— Oui, Votre Seigneurie, je vous entends, balbutia la jeune fille.

— Qu’avez-vous ?

— Rien, milady. J’écoute…