L’amnésique de Srebrenica - Fabrice Vine - E-Book

L’amnésique de Srebrenica E-Book

Fabrice Viné

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Beschreibung

L’amnésique de Srebrenica raconte, dans la Yougoslavie moderne où la haine persiste vingt-cinq ans après Srebrenica, l’histoire de Bogdan, Serbe devenu amnésique en raison d’un curieux accident de voiture qui était en fait une tentative d’assassinat, et de Samir, Bosniaque vengeur.

À leur histoire développée autour de deux grandes valeurs que sont l’amitié et la rédemption s’imbriquent plusieurs récits, notamment une enquête policière menée par des flics particuliers ; une thérapie analytique menée par un psychiatre exceptionnel permettant de révéler à Bogdan sa vraie nature ; les difficultés de leurs femmes devant accepter et comprendre les tourments de leurs compagnons et enfin un tueur sadique se servant du prétexte d’une islamisation radicale pour assouvir ses penchants.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Fabrice Vine est bercé depuis l’enfance d'abord par les romans de la comtesse de Ségur, puis naturellement ceux de Jules Vernes, Mark Twain, et surtout Les Pardaillan de Michel Zevaco. Amoureux des belles-lettres, l’envie d’écrire toutes les histoires qu’il inventait lui est apparue comme une évidence. Il est l’auteur de quatre autres romans : Pour les yeux d’un homme et Terrorisme survolté, édités par la société des écrivains, Même le pire n’est pas sûr, paru aux éditions Baudelaire et Inconséquente immortalité, édité chez Encre Rouge.

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Seitenzahl: 217

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Fabrice Vine

L’amnésique de Srebrenica

Roman

© Lys Bleu Éditions – Fabrice Vine

ISBN : 979-10-377-5861-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

La ville des fées, bougonnait Bogdan dans son beau SUV. Il parcourait difficilement le boulevard Nemanjica encombré, regardant la ville comme s’il la voyait pour la première fois. Sa tête explosait. Où en était-il ? « Ville des fées » ou Naissus nom celte initial de Nis, troisième ville de Serbie, oui, « ville d’effet » surtout, pensait-il en regardant le patrimoine architectural du passé mélangé savamment à des bâtiments futuristes. Comme tous les jeudis, il traversait la ville de part en part, mais aujourd’hui les bouchons l’énervaient. Il avait le temps de penser ce n’était pas ce qui lui plaisait le plus.

« Ville des Faits » plutôt songeait-il pour s’éloigner de ses pensées trop personnelles, évoquant tous ces crânes de soldats serbes de la Cela Kula édifiée par les Turcs, mais aussi au massacre perpétré par Attila. À un feu rouge, Bogdan posa son front sur son volant de cuir. Pourquoi aujourd’hui pensait-il à sa ville alors que chaque semaine il faisait le même trajet ? Il avait besoin de se rassurer, de retrouver ses racines. Puis des ruines romaines évoquèrent pour lui l’empereur Constantin, né à Nis, le premier à devenir chrétien. Il considérait le patchwork de tous ces vestiges celtes, romains, byzantins, turcs, serbes. Il avait l’impression d’un immense puzzle, un peu comme sa vie, comme sa mémoire. Sa mémoire qu’il cherchait à retrouver et chaque jeudi après-midi depuis deux ans, il se rendait chez son psychiatre, le docteur Kostankos. Il arriva enfin sur la place du roi de Milan aux jolies maisons colorées et gara avec moult précautions son C5 Air Cross Citroën, sa voiture chérie. Ce véhicule statutaire était aussi une vitrine pour ce chef des ventes de la concession de cette marque à Nis. Oui pour ce fils de Serbes de Bosnie pauvres, il incarnait une certaine réussite sociale. Il était malgré tout en avance et resta un moment aux commandes de son carrosse. Qui était-il ? Certes, il avait appris que l’on existait par le truchement des autres et il écoutait son psy lui parler du concept de l’en-soi et du pour soi de Sartre. Il était fier comme d’Artaban d’être le meilleur vendeur du garage. Oui, il avait besoin de la reconnaissance des autres, de son patron et même de la jalousie de certains pour exister. Cependant, il avait aussi et surtout une famille, une femme merveilleuse, deux enfants extraordinaires qui lui apportaient cette troisième dimension de la vie, le bonheur. Cependant il avait du mal à habiter sa vie et ce bonheur il avait l’impression de n’en recevoir qu’une partie, une petite partie parce qu’il ne se connaissait pas entièrement. Il lui manquait un peu de lui-même, de sa personnalité, de ses souvenirs, de son vécu. Il lui semblait que ce bonheur s’adressait à quelqu’un d’autre. Il regardait sur la place le monument des Libérateurs et sa statue équestre. Il imaginait le docteur Kostankos, sur un blanc destrier, libérer sa mémoire emprisonnée.

Il avait la tête lourde, très lourde aujourd’hui, chargée de nuits sans sommeil. Il ne réveillait pas Mirela, profondément enfouie dans son sommeil blond. Il allait sur le balcon de ce petit immeuble d’un quartier petit-bourgeois pour y griller une ou deux Marlboro. La fumée du tabac dissipait ses soucis, évaporait ses tourments. Tourments dont il allait parler avec le docteur Kostankos ? Pendant 45 minutes chez ce thérapeute, formé à la psychanalyse. Il allait parler de son enfance, battu à coups de ceinturon, parfois attaché à un radiateur. La brutalité de son père, exacerbée par l’alcool, n’était toutefois pas exceptionnelle dans ce milieu rural serbe. Cela faisait maintenant deux ans que Bogdan était entré en thérapie, ses troubles du sommeil retentissaient sur son équilibre familial et sa vie professionnelle. Il ne dormait pas, il ne savait pas exactement pourquoi. Rien ne lui venait à l’esprit pendant ces longues nuits enfumées. Alors il racontait à son psy son enfance martyrisée, la violence de son père, de son frère, la sienne. Cette évocation avait été pénible pour Bogdan. Elle lui avait rappelé son séjour en prison pour coups et blessures lors d’une bagarre ayant entraîné un coma chez un de ses protagonistes. Kostankos avait pu retrouver la fin de cette violence, à la mort de son père en 1998. Le thérapeute, en praticien appliqué, déroulait la pelote de laine de l’inconscient de Bogdan. À mesure que la thérapie avançait, que les associations d’idées fusaient, Bogdan était de plus en plus agité. Le médecin avait dû lui prescrire un antidépresseur modéré ainsi qu’un anxiolytique.

16 heures 30 : Bogdan regagnait le parking en passant devant un kiosque où il acheta comme d’habitude le « Politika ». Pas de nouvelles bonnes nouvelles. Trump faisait toujours du Trump, les relations américano-chinoises se détérioraient. Mais quel intérêt pour Bogdan ? En pages intérieures, un fait divers, un accident exceptionnel avec une photo qui avait dû faire bander les journalistes, celle d’une voiture ayant défoncé un parapet gisant au fond d’un ravin 100 mètres plus bas. Le mort était Slobodan Radzig. « Radzig ? » se dit Bogdan. Je me souviens avoir fait l’armée avec lui. Un grand type désagréable. Ils avaient fait ensemble la campagne de Bosnie en été 95. Bogdan ne savait pas pourquoi cette nouvelle le dérangeait. Néanmoins, il la rangea dans un coin de son esprit. Puis il pensait maintenant au goulash que lui préparait chaque jeudi soir Mirela. C’était son plat préféré et il l’accompagnait d’un Rioja somptueux. Il pensait à la saveur des carottes mijotées. Il avait oublié le journal. Son psy lui avait un peu décortiqué les troubles de sa mémoire mais cela il l’avait oublié. Il avait pris l’habitude de ces petites absences comme il disait et il savait simplement que cela remontait à son accident de voiture, il y a maintenant 12 ans où sa voiture, comme celle de Slobodan, avait enjambé un parapet et s’était écrasée 20 mètres plus bas. Un coma de deux mois avait suivi et il avait quitté le service de réanimation de Belgrade en chaise roulante. Il avait alors rencontré Mirela, infirmière dans le service de rééducation.

Sa douce beauté, sa blondeur diaphane, son charme authentique l’avait rendu fou amoureux. Elle avait été séduite par le désarroi, la naïveté et la fragilité de ce bel homme.

Bogdan pensait maintenant à retrouver sa famille, son bonheur simple. Il pensait à Mirna aujourd’hui un peu malade et qui n’était pas allée à l’école. Il rangea son C5 Aircross dans son parking souterrain, prenait l’ascenseur qui le menait directement à l’intérieur de son appartement. Le luxe, pensait-il avec un petit sourire, il était le meilleur vendeur de la concession Citroën pour l’ensemble de la Serbie et ses primes étaient conséquentes. La soirée en famille fut délicieuse, repas excellent, le vin chaleureux. Mirela et lui firent l’amour avec une sensualité nouvelle, une profonde douceur. Cette nuit, Bogdan la dormit presque dans son entièreté. Ce n’est que vers cinq heures du matin qu’une pensée le réveilla. Quelque chose le chiffonnait. Mais quoi ? Il alluma quelques Marlboro sur le balcon, regardant loin l’avenue s’animer. Dans ses yeux gris brillait une lueur incrédule.

Quelques semaines avaient passé. Le sommeil de Bogdan ne s’était pas amélioré et une certaine fébrilité l’habitait de façon quotidienne. Ce soir, à la concession Citroën de Nis, régnait une joyeuse effervescence : les objectifs de vente avaient été pulvérisés et une bonne part du succès revenait à Bogdan Marek. Le directeur avait organisé un cocktail pour fêter cela et féliciter son employé modèle. Le personnel de la concession comprenait une trentaine de personnes au total. Bogdan dans son costume gris perle avait une certaine élégance. Une coupe de champagne à la main, il faisait le tour de ses collègues et serrant des mains, baisant des joues, décochant des sourires grand format. Bogdan avait toujours rêvé de cette réussite. Il était reconnu par ses pairs, apprécié de ses collègues, aimé par certains. Car cet homme était un bon camarade, rendant service, de bonne humeur même si depuis quelque temps on le devinait préoccupé. Ce soir, il avait décidé de prendre sur lui et de surjouer son côté jovial, plaisantin, affable. Helena la petite secrétaire rousse n’était pas dupe. Elle était amoureuse de Bogdan depuis des années. Il avait même eu une courte aventure qu’il avait vite stoppée car il était amoureux de sa femme. Helena avait compris mais dans la concession, si quelqu’un pouvait comprendre, appréhender, deviner les sentiments les tourments de Bogdan c’était elle. Là en ce moment, elle regardait son prince charmant virevolter parmi les convives, remarquant en lui un trouble nouveau.

— Ça va Bogdan ? dit-elle lorsqu’il lui amena une coupe de champagne.

— Oui, ça va !

— Tu me le dirais ? insista-t-elle.

— Mais il n’y a rien… Ah si Guiseppe le mécano m’a parlé d’un gars qui s’est fait tuer à la sortie d’une discothèque hier soir.

— Et alors ?

— Ce type, Dimitri Zadir, je le connaissais, on a fait l’armée ensemble…

— C’est un fait divers banal non ?

— Oui, une bagarre qui a mal tourné, je pense.

— Tu le connaissais bien ?

— Eh bien non justement. Cela fait 23 ans que je ne l’avais pas vu. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs cela m’a touché. Mais bon, passons à autre chose. Tu vas bien toi ?

Puis Bogdan continua son numéro de charme et se dirigea vers son patron

Marko Kukovic, en tant que commissaire principal de Nis était théoriquement bien trop gradé pour s’occuper d’une affaire aussi banale qu’une bagarre que boîtes de nuit. Marko avait lu attentivement le rapport de son adjoint Vlamir et plusieurs choses l’avaient interpellé : d’une part pas de bagarre significative dans la boîte selon les témoins et le corps retrouvé présentait une seule plaie large au niveau du plexus, plaie causée par un poignard de guerre a priori. Pour Marko, cela pouvait donc ressembler à une exécution. Que savait-on du mort ? Un ancien militaire, membre des milices autrefois reconverties dans le petit banditisme. Et puis un papier serré dans la main du mort, mais la pluie avait effacé ce qui était inscrit. Marko pestait : « impossible à lire malgré les efforts du labo ! » Il avait l’impression que ce papier avait été mis dans la main du cadavre pour délivrer un message. Son adjoint argumentait que ce papier pouvait appartenir au mort et qu’il s’agissait peut-être d’une adresse d’un code.

— Peut-être, haussait les épaules Marko et puis il avait enfilé son imperméable à la Colombo, son chapeau à la Kojak et il était parti enquêter sur le terrain. Là, avec sa mauvaise humeur proverbiale il avait de nouveau interrogé tous les témoins potentiels, pour inspecter la scène de crime. Là, aucun témoin n’avait vu l’agresseur comme s’il n’avait jamais existé. Malgré la pluie battante, Marko décida de rentrer chez lui à pied, cinq kilomètres. Il avait besoin de réfléchir. Il avait vu cela dans les films américains et puis il avait le temps de rentrer chez lui, sa femme venait de le quitter pour leur médecin de famille. Ses deux enfants étaient grands, partis et déjà alcooliques. Marko n’était donc pas pleinement heureux dans sa vie familiale et son boulot, ses collègues étaient sa vraie famille. Chacun admirait sa puissance de travail, il pouvait consacrer ses nuits, ses week-ends, ses vacances à une enquête. Il pouvait en oublier de manger tant la concentration était grande. En ce moment, il marchait, il réfléchissait. Ce meurtre à la sortie d’une discothèque était une mise en scène. On a voulu faire croire à une banale bagarre, il s’agissait en fait d’une exécution programmée orchestrée. L’assassin avait été habile, ne pas se faire remarquer par les gens de la boîte, échapper à la vidéosurveillance et ce coup de poignard était celui d’un professionnel permettant une mort immédiate, et l’absence de cri. Et ce papier glissé dans les mains de ceux à dire pour dire quoi, transmettre un message ? Une menace ? Ce message qui s’était effacé sous la pluie brutale que n’avait pas prévue le tueur. Donc, se disait Marko il ne sait pas qu’on n’a pas compris le message. Faut-il lui faire comprendre par voie de presse pour le faire réagir ? Marko réfléchissait sous la pluie battante qui rebondissait sur les trottoirs luisants. Son cerveau surchauffé sous son chapeau détrempé et ramolli. Oui, il fallait annoncer dans la presse que le papier dans la main du mort était illisible. Il fallait savoir ce que voulait dire ce papier ! Marko entra dans un petit café comme il en avait des dizaines dans le dans la banlieue de Nis et il s’octroya un bon vin chaud agrémenté d’un schnaps. Il n’était toujours pas pressé de rentrer chez lui mais il fallait pourtant donner à manger à son gros chat Boris. Oui, son gros chat l’attendait avec ses yeux jaunes et son poil doux, son ronronnement rassurant.

En ce début d’octobre, les rives de la rivière Nisava partageant Nis en deux étaient magnifiques. Déjà, un feuillage rouge couvrait les arbres qui bordaient le rivage. Sur le chemin rose longeant la rivière, Samir en short noir, T-shirt technique noir courait d’une foulée souple et assurée. Son corps était et athlétique. Son cheveu était noir, la peau légèrement mate, le regard caché par des Ray-Ban. Ses oreilles étaient comblées par des oreillettes Bluetooth distillant une musique de rap moderne et entraînante. Samir cherchait à se détendre. Il avait lu le journal ce matin à son hôtel. Dans l’article relatant la mort de Zadir, il était bien spécifié que le message avait été effacé par la pluie. C’est vrai que la pluie s’était brutalement abattue sur la ville après qu’il avait supprimé ce salopard. Il n’avait pas souffert mais il avait compris qu’il allait mourir, ce que voulait Samir. Mais diable que c’était dur de tuer. Ce n’était pas sa vocation même s’il avait eu un entraînement militaire et surtout paramilitaire organisé par un Al Quaida naissant dans cette Bosnie martyrisée. Les familles avaient fui cet islamisme aveugle ce terrorisme pour lui contraire au principe même de l’islam. C’était sa lecture du Coran et pourtant qui était-il aujourd’hui. N’était-il pas un terroriste tueur ? Non il chassait cette idée de son esprit même si celle-ci revenait régulièrement. Ce qu’il faisait, il devait le faire. Ce n’était pas du terrorisme même s’il distillait une certaine terreur mais seulement chez un petit groupe de personnes et puis il n’aimait pas tuer. À chaque fois, c’était plus difficile et récemment tuer avec un contact direct avait été presque insurmontable. Saboter une direction et des freins de voiture était peut-être plus lâche mais tellement plus facile. Samir le savait : il n’arriverait bientôt plus à tuer. Et avec cet humour noir qui le caractérisait, il se disait : « Tuer c’est mourir un peu à chaque fois. » Et lui il aimait la vie. Il tuait parce qu’il aimait la vie. Cette vie qu’on avait ôtée à tant des siens. Le rap rythmait ses pensées. Samir suait et pas seulement en raison de l’effort. Il ressentait une oppression dans la poitrine et finalement il s’arrêta essoufflé. L’angoisse lui coupait le souffle alors il s’assit sur un banc. Il s’efforça de penser à sa petite Mirna dont il avait fêté les trois ans la semaine dernière. Sa mère, dont il était séparé était venue avec elle pour fêter l’événement. Samir avait été heureux de l’anniversaire de sa fille mais aussi de revoir Aniesa À la fin de la soirée il l’avait fugacement tenue dans ses bras et un petit espoir renaissait. Mais Samir avait dû partir. Il avait pisté ce Zadir, organisé l’exécution. Maintenant, sur ce banc, il était las. Il y avait encore cette histoire de papier effacé. Était-ce vrai ? Pourquoi ce serait faux d’ailleurs ? De toute façon, il fallait trouver le moyen de faire passer le message. Mais comment faire sans se mettre en danger ? Devait-il contacter Dusian pour si peu ? Non il ne le ferait pas et puis il avait peur de la réaction de Dusian. C’était son chef certes mais son équilibre psychologique laissait à désirer. Il faut dire que lui avait perdu quatre frères et son père exécuté par les milices serbes. Il n’empêche que sa brutalité faisait souvent peur à Samir. L’oppression dans sa poitrine augmentait et Samir appliqua ses deux mains sur son thorax avec un rictus de douleur.

Bogdan, comme tous les matins après une nuit peu dormie, chaussa ses baskets pour effectuer son petit footing avant d’aller travailler. Cette pratique lui amenait un peu de sérénité et puis Mirela l’encourageait. Cela compensait un peu les risques cardio-vasculaires de son tabagisme, lui disait-elle. Et puis il avait un léger surpoids et un peu de cholestérol. Mirna harnachée de son cartable sac à dos vint lui faire un baiser. Elle était toujours câline. Borislav, beaucoup moins, il grogna un salut du bout de la table du petit déjeuner. Puis Bogdan s’élançait, en fait s’élancer c’est beaucoup dire, il courait à petites foulées. Il n’était plus vraiment sportif et son accident de voiture avait entamé son potentiel physique. Qu’importe, les rives de la Nisava étaient tellement agréables en ce matin d’automne. Il regardait ses baskets vertes marteler le bitume rose anciennement chemin de halage. Il avait le souffle court et trottinait plus qu’il ne courait. Sacré tabac ! Mais il ne pouvait pas s’en passer pas plus maintenant que des traitements psychiatriques. Il avait seulement 44 ans mais il sentait le poids des années. Mais il n’y avait pas que le poids des années qui, lui semblait-il, alourdissait son pas de course actuellement. C’est cela, il se sentait lourd beaucoup plus lourd que ne le voulait son léger surpoids. Une chape de plomb virtuelle lui voûtait légèrement les épaules. Pourtant il avait l’impression que quelqu’un était plus mal que lui à 20 mètres sur un banc, un jeune homme en noir se tenait la poitrine. Bogdan s’arrêta à sa hauteur.

— Ça va ?

— Oui oui, ça va… Ce n’est rien. Un spasme.

— C’est peut-être le cœur ? s’inquiéta Bogdan.

— Non non. J’ai toujours ça quand j’ai une poussée d’angoisse.

— Ah vous aussi ! se confia Bogdan qui machinalement s’assit à côté de Samir. Samir était un peu troublé qu’un étranger vienne s’enquérir de son état de santé. Cela faisait longtemps que personne n’avait pris soin de lui sauf sa petite Mirna.

— Vous êtes gentils, dit-il, mais cela va passer.

— Et qu’est-ce qui vous angoisse à ce point ?

— Euh… Le journal.

— Ah vous aussi ! continuait ce bavard de Bogdan.

— Oh, rien important.

— Pour générer une angoisse comme celle-là ? ajouta Bogdan, éternel curieux.

— Mais aussi des soucis familiaux. Je suis séparé et j’ai du mal à m’en remettre. Ne plus voir ma petite fille me fend le cœur.

Ainsi s’exprimait toutefois un tueur.

— Votre petite ? Comment s’appelle-t-elle ? s’enquit notre incorrigible Bogdan.

— … Samir ne voulait pas se confier à cet étranger qui toutefois il était de moins en moins étranger… Mirna, avouait-il finalement.

— Mirna ? explosa Bogdan, comme la mienne. Quel âge a-t-elle ? La mienne a huit ans.

— Trois ans.

— Vous avez une photo ? Samir secoua la tête. Les seules photos étaient sur son téléphone portable et son téléphone, il était hors de question de le montrer.

— Regardez, ma petite Mirna ! s’extasia Bogdan en montrant, lui, son portable.

Samir acquiesça de la tête. Son interlocuteur lui semblait de plus en plus lourd.

— Et comment vous vous appelez, moi c’est Bogdan.

— Samir.

Et celui-ci, pour se débarrasser de son protagoniste :

— Elle est très jolie votre fille. Mais maintenant, je dois y aller.

— Ça va aller Samir ? Je peux vous raccompagner.

Samir fit non de la tête et se leva. Bogdan fit de même. Ils se serrèrent la main et partirent dans des directions opposées mais chacun à très petites foulées pour des raisons différentes. Chacun à son tourment. Samir pensait à cet étranger qui ne lui était pourtant pas tout à fait inconnu. Il faut dire que Bogdan actuellement présentait les séquelles de son accident, une mâchoire reconstruite par une greffe osseuse, un enfoncement de la pommette gauche encore plus visible, une cicatrice qui lui barrait le front.

À son hôtel, Samir fit une revue des photos qu’il possédait : les cibles. Dans les cibles actuelles, il ne trouva pas trace de Bogdan. Alors il s’assit bord de son lit, se servit un whisky dans le bar de sa chambre et réfléchit. Et tout à coup, une idée lui traversa l’esprit :

« Et si ? »

Et il prit un autre registre de photos sur son ordinateur portable : les anciennes cibles, les cibles éliminées !… Cibles 2007 : Bogdan Marek, accident de voiture par voiture sabotée, victime déclarée morte. C’était bien cela. Il chercha les articles de journaux de l’époque la victime avait été déclarée sans vie dans l’épave. Puis les journaux avaient lâché l’affaire et aucun d’eux ne relatait que la victime était en fait en coma profond et y resta durant deux mois avant de se réveiller puis de suivre une longue rééducation pendant six mois. Samir n’en revenait pas : il avait vu ce matin une de ses anciennes victimes ! C’était lui le spécialiste du sabotage des voitures. Au début de leurs actions tout devait être dissimulé et les meurtres paraître des accidents. Depuis un an sous la direction de Dusian, il fallait maintenant dire pourquoi on tuait et ne plus masquer les crimes. Dusian n’avait peur de rien. Tout dans son attitude exprimait la haine. Ce matin Samir sentait qu’il avait pris de la distance par rapport à son sentiment de vengeance. Il avait partagé un moment agréable, voire sympathique, avec un homme qu’il avait tué, enfin presque, dans le passé. Samir repensait à la photo de sa petite Mirna qui n’aurait jamais existé s’il avait réussi son coup. Cette bonne bouille de petite fille heureuse était donc le fruit de son échec. Pour la première fois de sa vie, Samir ne regrettait pas son échec. Ce type était en vie mais il avait payé malgré tout. Si Dusian l’apprenait, les choses seraient différentes. Samir se sentait fatigué de tuer. L’avant-dernière nuit, il avait eu du mal. Mais il fallait se convaincre, il ne faisait qu’exécuter la peine d’un assassin de la pire espèce. Aniesa ne savait rien de ses activités elle l’avait pourtant quitté sentant une barrière entre eux. Pour elle, il était représentant de commerce pour justifier ses voyages en Serbie et en Europe centrale. Samir s’endormit tout habillé, la douleur à l’estomac ne l’ayant pas quitté.

Mirela adorait habiller ses enfants. Elle mettait un point d’honneur à rendre sa petite fille magnifique mais sans caractère voyant. Mirna portait une robe à fleurs longue légèrement plissée sur des sandales spartiates, un flot dans les cheveux du même tissu que la robe. Borislav était en bermuda beige de bonne facture, un polo rayé beige bleu marine et des baskets en cuir beige. La petite école du quartier privilégié, était une jolie bâtisse de deux étages de couleur vert-pastel, rassurante, une cour limitée par des grilles violettes. Les enfants les parents s’attroupaient. Mirela remarqua que son amie Emina, mère d’un petit Hans dans la classe Borislav, était entourée d’autres parents, des mères en grande majorité et par les dunes. Les autres l’écoutaient visiblement très intéressées. Mirela se rapprocha et écouta la description de la disparition beau-frère d’Emina, assassiné à la sortie d’une boîte de nuit. Ce beau-frère bien sous tous rapports, père de trois enfants, travailleur honnête, citoyen honnête. Personne ne comprenait. Les gens s’indignaient. Qui avait pu faire cela ? Mirela à son tour acquiesçait. Elle avait vu quelquefois ce beau-frère et il était éminemment sympathique. Plus tard quand les enfants furent rentrés dans la cour, mis en rang et guidés vers leurs classes respectives, elle prit Emina par le bras et elles allèrent vers un bar voisin. Devant le café fumant Emina raconta son histoire en détail à son amie. Mirela demanda si Gustav fréquentait les boîtes de nuit. Emina répondit justement que non. On lui avait donné rendez-vous. C’était un traquenard. Quelqu’un lui en voulait. Mais qui et pourquoi ? Gustav n’avait pas d’histoire, il était un employé de banque modèle. Son couple allait bien, il avait de bons amis.

— Non, dit Emina en secouant la tête, c’est incompréhensible et il y a presque 20 ans que je le connaissais !

— 20 ans ? releva Mirela.

— Oui pourquoi ?

— Pour rien.

Elle rentra chez elle d’un pas nonchalant, une main tordant une mèche de ses cheveux blond vénitien. Elle songeait. Elle trouvait qu’il y avait une accumulation de mort violente surtout chez les hommes de cet âge, une petite quarantaine. Mais Gustav ? À quoi cela pouvait-il rimer ?

Un certain calme régnait dans le commissariat principal de Nis. Les flics en uniforme déambulaient paisiblement dans les couloirs à l’instar de ceux des séries américaines. Les policiers en civil étaient dans leur bureau devant leur ordinateur et parfois un prévenu menotté. Il n’y avait pas d’effervescence. Personne n’y était habitué. Nis était une ville relativement épargnée par la délinquance en tout cas la grande délinquance, les narcotrafiquants, les gros braquages. Bien sûr, il y avait des crimes, des meurtres, des assassinats, des homicides toujours dans un cadre familial favorisé par l’alcoolisme et la possession fréquente d’armes à feu depuis la guerre. Les enquêtes étaient simples et vite bouclées.