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En cette année 2010, sous le soleil de Marseille, une machination machiavélique, orchestré par un être démoniaque aux mobiles bien défini, va conduire des familles, la ville dans le chaos. Lentement, face à des meurtres sanglants, des agressions violentes, des tortures psychologiques, l'injustice, la haine, un clan va se former et lutter avec les seules armes dont il dispose, l'amitié, l'amour... Mais ! Est-ce que ce sera suffisant ? L'ennemi est puissant, déterminé et sans pitié. Pendant que le commissaire divisionnaire Delonnay enquête sur l'assassinat de deux fillettes, Noémie court dans les bras de l'homme de sa vie. Une saga, une épopée, un thriller riche en émotion, grâce à des personnages haut en couleur. Vous ferez connaissance entre autres, de Mei Lin la sage coréenne, infirmière par vocation, d'Olivier le courageux capitaine, de Liliane l'avocate teigneuse qui ne lâche jamais rien, d'Angie la voluptueuse femme de coeur engagée, ou encore de la belle Natacha, le soleil du clan toujours prêt à faire la fête. Que feriez-vous à la place d'Olivia, confronté à un tueur de cent kilos ? Comment réagiriez-vous si toute une ville voulait votre mort? Quel serait votre ressentiment si la personne que vous aimez en secret vous disait, je t'aime? Plonger dans un océan d'amour et d'amitié, au coeur de la belle cité phocéenne, mais nager prudemment, car dans les profondeurs la mort rôde.
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Seitenzahl: 975
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Comme le papillon qui meurt le jour de sa naissance, comme la rose qui éclot au lever du soleil et s’étiole avant la tombée de la nuit, la vie est éphémère ; telle est la routine de notre existence où douleur et douceur cohabitent, où bonheur et chagrin s’entremêlent… Ainsi des existences s'achèvent avant même de commencer... Nous suivons courageusement l'arc-en-ciel de notre destin, telle est notre mission sur cette terre, surtout quand le noir s'infiltre dans les couleurs...
Ce livre est dédié à la mémoire d'Oriane, la sœur de mon beau fils. Elle nous a quitté dans la nuit du dix au onze septembre 2022 à l'âge de trente et un ans.
« Il est bon d'aimer autant que l'on peut, car c'est là que gît la vraie force, et celui qui aime beaucoup accomplit de grandes choses et en est capable, et ce qui se fait par amour est bien fait. »
Vincent Van Gogh
« Personne d'autre ne sait mieux que moi aujourd'hui qu'une catastrophe n'arrive pas qu'aux autres, que la vie distribue ses drames sans regarder qui les mérite le plus. »
Grand Corps Malade
Chapitre 1 : Noémie
Chapitre 2 : Jacques
Chapitre 3 : Noémie et Jacques
Chapitre 4 : Amour sans ombre
Chapitre 5 : Point mort
Chapitre 6 : Olivia
Chapitre 7 : Natacha
Chapitre 8 : Coupable
Chapitre 9 : Haine
Chapitre 10 : Rose
Chapitre 11 : Vérité
Chapitre 12 : Richard
Chapitre 13 : Révélations
Chapitre 14 : Jeanne et Nicolas
Chapitre 15 : Otages
Chapitre 16 : Mei Lin
Chapitre 17 : Rédemption
Chapitre 18 : Rose et Alexandre
Marseille, samedi six mars 2010, dix-huit heures quarante-cinq. À l'ouest de la belle cité phocéenne, inondée de lumière par les rayons d'un soleil printanier, se trouvait un charmant petit quartier tranquille. Un endroit où la douceur de vivre enracinait les familles depuis plusieurs générations. En plein centre de sa rue principale, entre une cordonnerie transformée en appartement, dont il ne subsistait plus que l'enseigne illisible, et une petite boulangerie sans prétention, se dressait une imposante pharmacie à la façade contemporaine. À dater de son ouverture, en 1944, elle avait subi au fil des ans, plusieurs rénovations : deux agrandissements, l'évolution de la modernité, quelques remises aux normes et installation de l'informatique. Fréquentée par une fidèle clientèle de personnes âgées, vestige de familles inexorablement décimées par le temps, et par toute une communauté de gens plus ou moins actifs, l'officine ne désemplissait pas. Causes principales d'un tel engouement, la nécessité, la proximité et deux sourires de déesses si charmeurs, si enjôleurs, que les autres officines de la ville auraient dû porter plainte depuis longtemps pour concurrence déloyale.
Fin d'une longue journée harassante pour les deux gracieuses pharmaciennes. Dans l'arrière-boutique, grimpée en équilibre sur un escabeau, la responsable en chef, les traits tirés de fatigue, comptait les boîtes de médicaments empilées sur un rayon. Elle ne vit pas venir la tornade en blouse blanche, frissonna, s'agrippa à une étagère de peur de tomber de la fragile échelle en aluminium, quand celle-ci fut secouée par l'électrique ronchonne.
— Allez ! Ma louloute, abrège, on s'arrache de là, s'il te plaît ! Dépêche-toi !
Noémie, encore tremblante, descendit furax de son perchoir en métal et houspilla sa copine.
— Ça va pas ? Qu'est-ce qui te prend, tu es folle ! Tu veux me tuer ?
— Bien sûr que non, mais je sais pertinemment ce qui va se passer si nous traînons, un client va se pointer, et se sera reparti pour une demi-heure minimum. Désolée ma Louloute, mais pas le samedi soir, surtout pas ce samedi, et tu sais pourquoi, l'anniversaire.
— Tu as raison, je fais vite.
Noémie pianota rapidement sur le clavier de l'ordinateur la liste des remèdes en rupture de stock, positionna le curseur dans la case confirmation de commande, valida d'un clic gauche sur la souris, arrêta la machine, fixa de ses yeux verts sa camarade et d’un ton satisfait, lui dit :
— Voilà ! J'ai terminé, nous pouvons fermer, ma chérie.
Noémie composa le code secret de l'alarme et activa la descente du rideau de fer. Une fois sur le trottoir les deux jeunes femmes saluèrent, comme tous les soirs, l'épicier, le coiffeur, le boucher et Paolo qui les contemplaient du bas de la rue, de devant le salon de coiffure. Natacha, gentiment, d'une voix caressante cria.
— Salut mes agneaux ! À demain ! Bisous !
Noémie la voix portante mais suave, les sermonna un peu.
— Doucement avec le blanc mes chéris ! Bisou à tous les quatre
Joyeusement, bras dessus bras dessous, les deux naïades traversèrent la rue, entrèrent dans l'unique bar-tabac P.M.U du quartier, et lancèrent poliment en binôme au jeune homme derrière le bar, qui venait de sprinter pour les servir lui-même.
— Bonsoir Paolo
— Bonsoir mesdemoiselles…! Que désirent boire..., les deux plus belles pharmaciennes de la ville... ? Articula difficilement le Brésilien encore tout essoufflé, car il venait de courir cinquante mètres comme un dératé, pour pouvoir les servir.
— Café pour moi, commanda Noémie en retirant son écharpe rouge, un cadeau de sa sœur. Natacha, indignée, posa ses mains sur celles de son amie
— Noémie ma chérie, tu ne vas quand même pas boire un café ? Cher barman, deux double tequilas...
Avec autorité, Noémie confirma sa commande
— Paolo, un café, s'il te plaît
Natacha secoua la tête, retira ses mains en bougonnant
— Tu n'es vraiment pas marrante, eh bien moi je reste sur la tequila...
Une petite demi-heure plus tard, les deux jeunes femmes sortirent du bar et se dirigèrent vers leur véhicule respectif. Natacha était toujours aussi enjouée.
— Dans deux heures chez moi, hein ? Tu ne me fais pas faux bond, tu m'accompagnes toujours à la soirée ? L'anniversaire, tu n'as pas oublié ? L'anniversaire de Charlotte.
— Je ne sais pas trop, je suis très fatiguée... Je n'ai pas trop le moral, répondit Noémie indécise, en montant dans sa voiture.
Natacha, agacée, claqua la portière de sa Citroën et monta énergiquement dans la vieille Renault de sa complice.
— Bon ! Maintenant ça suffit, voilà trois jours que tu es bizarre, et depuis ce matin totalement ailleurs. Que se passe-t-il ? Qu'est-ce qui te met dans un état pareil ? Ne suis-je pas ta meilleure amie ? Ta confidente ? Alors ? raconte-moi, je t'écoute.
— Franck, soupira tristement Noémie.
— Quoi Franck ? l'interrogea Natacha.
Les yeux embués de larmes, Noémie lui confia ses craintes.
— Je suis pratiquement certaine qu'il me trompe, qu'il y a une autre femme dans sa vie.
— Mon Dieu ! Ma pauvre chérie, je ne sais absolument pas si il s'éclate avec une autre que toi, par contre, j'ai remarqué qu'il avait une conception toute personnelle du couple : je commande et tu obéis au doigt et à l'œil. Ne te méprends pas, loin de moi l'idée de te juger, de le juger, c'est votre affaire. Je n'ai aucune arrièrepensée, je constate tout simplement. Tu sais que je t'aime et je serai toujours de ton côté, raison pour laquelle je te conseillerais de garder ton objectivité, de te laisse pas aveugler par la jalousie. Évite de tirer conclusions trop hâtives sans preuves formelles.
Noémie justifia ses doutes.
— Moi aussi je t'aime ma Nat, et je sais bien que Franck est loin d'être un sentimental, mais que veux-tu, je l'ai dans la peau, je ne peux rien y faire. Il m'a téléphoné hier soir, un bref appel pour m'inviter à dîner, après presque un mois de silence. Il m'a dit d'une voix glaciale : « Il faut que l'on parle sérieusement Noémie » Tu comprends que je redoute le pire.
Natacha caressa la joue de sa copine.
— Ce type ne te mérite vraiment pas ! Change-toi les idées, éclate-toi sans lui, au moins ce soir, avec moi.
Natacha détestait ce macho prétentieux, elle priait pour que ce connard quitte à jamais la vie de Noémie. Le moment était peut-être venu, si c'était le cas, une belle journée s'annonçait demain. Sa tête posée sur l'épaule de Noémie, ses yeux brillaient d'un éclat de satisfaction. Noémie, incrédule, supposa à tort que sa meilleure amie avait du chagrin pour elle, elle accepta par amitié de l'accompagner.
— Tu as raison, après tout, voir du monde me changera les idées.
Aux environs de vingt-deux heures, nos deux pharmaciennes se faufilaient dans la cohue d'une soirée très animée, au milieu de gens inconnus. Natacha avait revêtu sa tenue vestimentaire de prédilection : une courte jupe rouge grenat, qui faisait la part belle à ses longues jambes au galbe parfait, réchauffées par un fin collant noir, et un chemisier en satin vert au décolleté si plongeant qu’il laissait légèrement entrevoir son soutien-gorge rose fuchsia. Noémie, beaucoup plus sage, avait choisi pour la circonstance une robe blanche moulante, dont la matière élastique dessinait ses formes gracieuses et parfaites. Natacha s'écria brusquement, les yeux braqués sur la piste de danse improvisée dans le salon.
— Ma chérie ! Mate-moi tous ces beaux mecs ! Là, il ni a pas photo ma vieille, tu as de quoi oublier ton bonhomme.
Puis le radar visuel de Natacha repéra un mâle esseulé.
— Je crois que j'ai une touche, bye, bye, à plus tard ma belle, souhaite-moi bonne chance !
Natacha fonça droit devant elle et se colla contre le gars en question, qui sembla plutôt satisfait qu'une aussi sexy jeune femme le choisisse parmi tous les apollons présents. Le cœur trop lourd, Noémie ne s'amusa que quelques minutes de la scène, elle replongea dans sa mélancolie, totalement absente de l'ambiance fêtarde. Toute la soirée, elle resta dans un coin sombre de l'appartement, plongée dans ses pensées négatives. Quand une série de slows passait, de très beaux jeunes hommes l'invitaient à danser, quelques-uns réussirent, la prirent dans leurs bras, mais ils se rendirent vite compte qu'ils n'avaient aucune chance, et ne gagnèrent qu'un goût amer d'échec dans la bouche. Il faut comprendre la déception de ses pauvres prédateurs, car ils étaient éconduits par une proie des plus alléchantes. Formes équilibrées, taille de guêpe, longue chevelure noire aux reflets bleutés, descendante en cascade ondulante le long de son dos jusqu'au creux de ses reins. Un visage ovoïdal aux traits fins, un petit nez retroussé et des yeux verts émeraudes qui vous transperçaient le corps jusqu'au plus profond de votre âme.
Ni tenant plus, Noémie mit fin à son calvaire vers trois heures du matin, elle s'éclipsa sans dire au revoir à personne, rentra seule chez sa sœur. Natacha avait disparu, elle était certainement partie avec son amant d'un soir. Un peu après dix heures, Noémie en peignoir, vaseuse, descendit de l'étage, sa sœur et son beau-frère s'enlaçaient dans la cuisine, s'embrassaient tendrement. Mal dans sa peau, elle grommela, dépité et envieuse, son incompréhension.
— je pige vraiment pas, après quatorze ans de vie commune, vous vous aimez comme au premier jour, ça dépasse l’entendement. Pas un nuage, pas d'engueulades, une confiance l'un envers l'autre qui frise l'admiration, c'est quoi votre secret ?
Noémie enserra la poignée de la verseuse en verre, remplit de liquide noir son mug, posa prudemment ses lèvres sur le bord. Tout en buvant à petites gorgées son café brûlant, elle scrutait du coin de l'œil les deux amoureux, attendant une réponse à sa question. Angie noya son regard dans les yeux de son mari, toujours serrée contre lui et lui dit.
— Ce que nous ressentons l'un pour l'autre est indescriptible, ma chérie, nous sommes liés par un sentiment très fort, qui durera toute notre vie. Je te souhaite de ressentir la même chose pour un homme, je te garantis que tu auras mal à en crever, mais ça en vaudra la peine, car c’est très rare, comme un privilège des Dieux.
La réponse d'Angie accentua encore plus le malaise de Noémie. Sur un ton résigné, elle régla son cas.
— Il y a peu de chances que ça m'arrive, je ne suis pas faite pour l'amour, surtout un amour comme le vôtre, de contes de fées.
Noémie posa son mug vide, attrapa la boîte de sucre en poudre et d'une voix faussement guillerette s'exalta.
— Super ! Tu as fait des crêpes, je peux en prendre une ?
Angie décela de l'anxiété dans la voix de sa sœur. Elle lui fit poser le condiment en serrant son poignet.
— Tu as l'intention de nous dire ce qui ne va pas ? Je vois bien que tu es contrariée.
Noémie, au bord des larmes, n'articula qu'un prénom. « Franck ! » S'ensuivit un long silence qu'Angie ne brisa pas. Défaitiste, Noémie inspira toute sa résignation et expira son envie de pleurer avant de poursuivre.
— Franck ! Je déjeune avec lui ce midi, je crois qu'il a quelqu'un d'autre dans sa vie, je ne serais pas étonnée qu'il veuille rompre avec moi.
Angie se reversa un café, remplit également la tasse de Noémie et celle de Paul.
— Tu as certainement des raisons de penser ça, et je ne sais pas du coup quoi te dire, à part que je suis désolée pour toi. Garde confiance, prends une crêpe avant que le feu follet que j'entends dévaler dans les escaliers, dévore tout.
Marine déboula dans la cuisine et se jeta dans leurs bras.
— Bonjour ! Bonjour ! Bonjour ! Des crêpes ! Chouette ! J'ai une faim de loup.
Tout en dévorant son petit déjeuner, Marine asticota sa mère.
— Maman, j'aimerais bien aller au cinéma cette après-midi, il y a un bon film que je voudrais voir. Dis, tu m'emmènes ? Hein ? Tu m'emmènes ? S'il te plaît, je te promets de ranger ma chambre après.
Angie, dans une impasse, hésitait à répondre, Noémie intervint.
— Moi ma chérie je t'emmènerai au ciné, tu auras même droit à une glace. J'ai un rendez-vous, mais je serai rentrée à quinze heures trente, ça te va ?
La jeune demoiselle gratifia sa tante d'un énorme câlin.
— Oui ! Oui ! C'est génial, merci Noémie, tu es ma tata préférée, je t'aime beaucoup.
—Ça va de soi, étant donné que je suis la seule que tu aies
Angie, soulagée, l'embrassa reconnaissante. Il lui était impossible d'accompagner Marine au cinéma. Elle ne pouvait laisser Paul effectuer seul la mise à jour du logiciel de la comptabilité du magasin
— Malgré tes problèmes sentimentaux, tu nous sauves la vie, j'apprécie le geste, merci petite sœur chérie.
— Pas de problème, Marine est adorable.
Douze heures quarante, Noémie le cœur gros, entra sur le parking du relais gastronomique deux étoiles, elle gara sa voiture sur un emplacement qui lui permettait de voir l'intérieur de la grande salle à manger. Franck était bien là, une expression sur le visage qui ne présageait rien de bon. Noémie traversa lentement la cour le dos courbé, regard dans les graviers comme si elle suivait une procession funèbre, son propre enterrement. Elle foula d'un pas mal assuré la luxueuse moquette du hall de réception et releva la tête quand une voix hautaine de politesse lui demanda.
— Puis-je vous aider madame ? Avez-vous réservé une table ? À quel nom je vous prie ?
— Non ! Enfin oui ! Je suis attendue, merci monsieur, répondit-elle sans regarder son interlocuteur, toute son attention portée sur le bel homme qui venait vers elle en pressant le pas.
Noémie, follement éprise, le cœur battant la chamade, lui offrit ses lèvres et reçut un baiser sur le front, la blessant profondément, tout comme les paroles qu'il prononça, dépourvues de tout sentimentalisme.
— Bonjour Noémie, je suis content de te voir, suis-moi je te prie.
Noémie eut droit à la galanterie robotisée d'un homme bien élevé, au même titre qu'une insignifiante invitée sans intérêt. Il la conduisit à sa table en restant derrière elle, tira le fauteuil, puis le repositionna pour qu’elle s'asseye dessus. Il n'était pas encore sur sa chaise, que déjà Noémie bouillonnante, exigeait des explications sur son comportement intolérable et déprimant.
— Je n'ai aucune nouvelle de toi depuis presque un mois, tu me téléphones comme si j'étais une parfaite étrangère, tu ne me dis pas un mot d'amour, m'embrasses sur le front, me traite froidement, je dois en conclure quoi ? Comprendre quoi ?
Mal à l’aise, son petit ami resta un moment silencieux, commanda un whisky, l'avala cul sec et lui brisa le cœur.
— Noémie chérie, pardonne-moi si tu peux le mal que je vais te faire, j'en suis profondément désolé, vraiment désolé... J'aime quelqu'un d'autre, dont je suis follement tombé amoureux, à en perdre la raison. Je ne savais pas comment te l'avouer et rompre avec toi sans te faire souffrir. J'ai reculé l'échéance le plus longtemps possible, comme le roi des lâches que je suis.
Il posa ses mains sur les siennes, elle les retira promptement, son geste de tendresse ne cadrait pas avec ses propos lui écorchant l'âme. Noémie, extrêmement affectée, resta digne. Elle le toisa méchamment, malgré son cœur qui fondait, sa vue qui se troublait et sa tête qui tournait. Son amour-propre bafoué et la jalousie la rendirent très mordante, elle insulta avec une violente haine verbale, sans preuve, sans tact et injustement les femmes qui évoluaient autour de lui, en ce référent uniquement à leur apparence B.C.B.G.
— Je la connais ? C'est une de tes très sexy collègues de travail je suppose ? Elles sont toutes plus salopes les unes que les autres, de vraies mantes religieuses, des croqueuses d'hommes, je me trompe ?
La sueur perlait sur le front de Franck. Il leva son verre vide, son serveur attitré apporta un sixième whisky, qu'il but d'un trait. Un peu ivre, d'une voix hésitante, il révéla, embarrassé, l'inconcevable pour Noémie.
— C'est-à-dire..., il..., il s'appelle Antoine, je pars dans deux jours en Australie, je vais le rejoindre, vivre avec lui dans son immense ranch. Je regrette sincèrement ce qui nous arrive Noémie, mais je ne peux pas résister, l'attirance que j'ai pour cet homme est trop grande.
Le coup était traître, si rude, si inattendu que Noémie ne répondit rien, abasourdie. Elle se leva calmement, sortit du restaurant, monta dans sa voiture et éclata en sanglots. Elle pleura un long moment, le visage enfoui dans le volant. Son univers s'écroulait sous ses pieds, sans qu'elle puisse lutter équitablement. Elle avait de bons atouts en mains pour combattre une femme, reconquérir son amant, mais contre un mâle viril, que faire ? Le jeu était faussé, les cartes étaient truquées. Noémie, désemparée, roula au hasard jusqu’à se retrouver sur le vieux port, où elle marcha le long de la jetée, un grand vide dans le cœur. Son smartphone la sortit brutalement de sa déambulation dépressive. Il bipa, elle lut le court message à travers un voile de larmes et s'écria, affolée : « Mon Dieu ! Marine ! J'ai complètement oublié, quelle conne je fais »
Noémie courut jusqu'à sa voiture, elle n'avait jamais manqué à sa parole, jamais de toute sa vie, elle ne comptait pas commencer aujourd'hui avec son unique petite-nièce. Pendant le trajet du retour, elle sanglota et fut de nouveau secouée par quelques spasmes de désespoir, mais une fois dans la cour de la villa de Paul et Angie, elle prit une grande inspiration, camoufla au mieux les dégâts apparents : elle sécha ses yeux avec un mouchoir en papier, saupoudra son nez et ses joues. Ainsi rafistolée elle entra d'un pas alerte dans la cuisine, sourire aux lèvres.
— Tu es prête, ma chérie ?
Marine, dans tous ses états, survoltée, pesta contre elle.
— Ah ! Te voilà enfin, tu parles si je suis prête, ne traînons pas, nous sommes en retard, la séance commence dans vingt-cinq minutes, nous avons juste le temps.
Marine fonça à la voiture. Angie décela une grande déception dans les yeux rouges de sa sœur, une souffrance courageusement maîtrisée. Elle lui caressa le dos, sensible à son désarroi.
— Je suis désolée, mais je suis là, là pour toi, tu le sais ?
Noémie acquiesça d’un petit sourire amer, elle évita une longue phrase qu'elle n'aurait pu terminer qu'en sanglots.
— Nous parlerons à mon retour, se contenta-t-elle de dire.
Trois heures plus tard, Noémie était enfoncée dans le petit canapé, boîte de mouchoirs en papier à portée de la main, Angie auprès d'elle, prédisposée à la consoler. Les deux sœurs pouvaient discuter tranquillement sans être dérangées, Paul peaufinait les dossiers à remettre au comptable, et Marine finissait ses devoirs dans sa chambre.
Angie et Noémie n'avaient aucun secret l'une pour l'autre, un lien affectif très fort les unissait. Elles étaient depuis leur plus tendre enfance inséparable, comme deux sœurs jumelles. Même le mariage d'Angie n'avait pas changé grand-chose. Paul, fantastique, avait toujours apprécié Noémie, et le jour où un incendie avait détruit son appartement, il lui avait dit sans hésité une seconde : « Noémie tu ne discutes pas avec moi, tu viens t'installer chez nous, aussi longtemps que nécessaire, ta sœur sera contente et moi je passerai à ses yeux pour un héros »
Angie était la copie conforme de Noémie, légèrement plus grande de deux centimètres, les cheveux moins longs mais tout aussi noirs, un corps plus épais aux formes généreuses. Un visage symétrique à la peau brunie par le soleil, des yeux d'un bleu nuit profond, paralysants, qui en accentuaient la terrible séduction naturelle. De petites rides naissantes ne faisaient que lui donner davantage de charme. C'était indéniablement une magnifique et authentique beauté méditerranéenne. Noémie, comme promis, le regard triste d'un petit animal que l'on a abandonné, raconta ses déboires sentimentaux à sa confidente de sœur, et comment son petit ami venait de la larguer pour un mec sans prendre de gants. Angie la câlina en lui caressant les cheveux, lui remonta le moral avec des paroles pas vraiment compatissantes.
— J'ai beaucoup de peine pour toi, mais je me dois d'être franche, j'ai toujours détesté cet énergumène et son ignoble comportement envers toi. Il te traitait comme sa chose, un objet que l'on utilise de temps en temps, puis que l'on range dans un placard, c'était insupportable, je souffrais en silence pour toi.
Noémie, éclairée sur la nature machiste de son ex, se révolta en s'esclaffant vulgairement.
— Tu as tout à fait raison, merde pour ce connard de pédé. Je mérite mieux que cet enfoiré, que le diable l'emporte et que l'Australie l'étouffe.
Angie ne fut pas dupe, son vocabulaire de charretier sonnait faux, belle tentative illusoire de la malheureuse larguée. Angie joua le jeu par compassion.
— Voilà qui est bien envoyé, bravo ma chérie, je reconnais bien là, la battante que tu es.
De par son expérience, Angie savait qu'il n'y avait pas de remède contre les blessures du cœur, que seul le temps les refermait, sans les guérir complètement. Noémie tomba dans les bras de sa sœur, posa sa joue sur son épaule, éclata en sanglots. Angie lui tapota le dos.
— Ça va aller, ça va aller, ma chérie, tu as besoin d'un bon remontant et d'une bonne nuit de sommeil.
Angie sortit du bar un carafon de whisky, deux verres et des glaçons. L'alcool fort les fit tousser. Elle regarda sa sœur avec bienveillance et essaya de lui remonter le moral
— Je suis certaine qu'un jour tu rencontreras un bel homme, gentil, aimant, qui te rendra heureuse. Tu es si adorable.
— Que Dieu t'entende, parce que sans son aide, je suis bien partie pour finir vieille fille, aigrie par la vie.
Angie pouffa et remplit de nouveau les verres.
— Au lieu de dire des bêtises, mademoiselle la vieille rombière ferait mieux de boire. Ivre tu seras peut-être plus gaie.
Noémie s'exécuta, grimaça, consulta l'heure sur son portable, dix-sept heures cinquante. Ses déconvenues sentimentales ne l'avaient pas déconnectée de ses priorités, depuis ce matin elle s'inquiétait du silence anormal de Natacha. L'inconsciente ne respectait pas leur pacte : en cas de séparation prolongée, passer un coup de fil rassurant. Noémie consulta une énième fois sa messagerie, rien.
— Bientôt dix-huit heures et toujours pas de nouvelles, pas de message, elle m'agace sérieusement cette écervelée, Angie.
— Ne panique pas, tu la connais, elle finira bien par réapparaître tôt ou tard comme si de rien n'était, étonnée que nous nous sommes inquiétés pour elle.
— Comment veux-tu que je ne panique pas, je suis au bord de la crise de nerfs, du suicide, et elle..., elle..., elle me..., Noémie refoula le sanglot qui montait dans sa gorge. Bon, j'essaye encore une fois de l'appeler.
Noémie n'eut pas le temps de composer le numéro du portable de Natacha, que la sonnerie spécifique du sien chanta un air rétro. Fébrile, elle prit l'appel provenant d'un numéro inconnu, souffla quand elle entendit la voix hésitante de sa copine.
— Allô... ! Noémie..., c'est toi ma louloute?
— Étant donné que c'est mon numéro, il y a de grandes chances que ce soit moi. Qu'est-ce que tu as foutu toute la journée ? Et notre pacte, tu as oublié ?
— Je suis désolée, j'ai pour ainsi dire perdu mon portable, enfin je t'expliquerai tout ça. S'il te plaît viens me chercher, je t'attends devant le bar de Lisandru le Corse.
— O k, ne bouge pas, j'arrive.
Noémie attrapa ses clefs, fonça récupérer Natacha qui n'avait pas son pareil pour se fourrer dans des situations désastreuses. Elle stoppa non loin du bar, klaxonna, Natacha grimpa à l'intérieur du véhicule, énervée et fortement agitée.
— Noémie, ma chérie, tu ne devineras jamais ce qui m'est arrivé, jamais ! Un truc de dingue.
Noémie resta impassible, habituée aux frasques de son amie.
— Calme-toi, tu me raconteras tes mésaventures à la villa, nous soupons avec ma sœur et sa famille ce soir.
— Ta sœur elle est super, une grande dame, j'ai toujours rêvé d'avoir une sœur comme la tienne. Elle m'aurait protégée, guidée, je lui aurais confié mes peines. Je dois t'avouer que je suis un peu jalouse de toi ma louloute, un petit peu.
Noémie quitta son stationnement, passa la deuxième, rembarra sa gamine de copine.
— Tu m'as moi, je crois que ce n'est déjà pas si mal, non ? Grande bêtasse !
Natacha, une grosse bêtise à avouer, se fit mielleuse et commença à conditionner sa patronne.
— Ho ! Oui, et je t'aime énormément, tu es merveilleuse, mon ange gardienne, affirma-t-elle en collant la paume de ses mains en prière.
La quatrième passa mal, craqua, la petite Clio réclamait par ses plaintes un peu de délicatesse de la part de sa conductrice.
— N'en fais quand même pas des tonnes, ma chérie, ça me donne l'impression que tu as une grosse gaffe à te faire pardonner, rétorqua Noémie avec une infinie tendresse dans la voix.
Natacha était sa meilleure amie, sa sœur de cœur, la bonté personnifiée, frivole et imprévisible, mais ô combien attachante. Noémie adopta une conduite moins nerveuse, la vieille boîte de vitesses, nullement responsable des étourderies de Natacha, lui en fut reconnaissante, elle resta silencieuse le reste du trajet. Noémie gara sa guimbarde devant les garages, les deux femmes entrèrent et leurs narines furent aussitôt titillées par un fumet de rôti farci. La faim tirailla subitement l'estomac de Natacha, elle s'exclama.
— Waouh ! Si c'est aussi bon que ça sent bon, on va se régaler. Bisou Angie. Tu sais, je ne voulais pas m'imposer, mais un méga problème ne m'a pas laissé le choix.
Angie, qui mettait la table, l'accueillit comme un membre de la famille.
— Tu seras toujours la bienvenue dans cette maison, tous les jours, à toute heure, considère que tu es ici chez toi, ma belle.
Angie raffolait de la personnalité de Natacha, une grande gamine qui n'étalait pas son intelligence et sa culture.
— Tu es cool Angie, beaucoup trop gentille avec moi
Natacha retira son manteau, le jeta sur un fauteuil et se vautra entre Paul et Marine dans le grand canapé.
— Bisous Marine, bisous Paul, ça va ? Je suis claquée.
Il répondit « ça va » en même temps qu'il reçut le bisou puis il reprit la lecture de son journal un peu froissé. Marine se colla contre elle.
— Tu veux jouer avec moi ? Je fais des colliers de perles, regarde comme ils sont beaux.
Noémie apporta les verres, Angie le saladier de punch fait maison, elles posèrent le tout sur la table basse.
— Pas maintenant ma chérie, elle a quelques explications à me fournir sur son comportement irresponsable, trancha Noémie la voix cinglante.
Natacha ne pouvait plus se défiler, elle raconta à sa manière ses vicissitudes.
— Bon, ok, voilà, il m'est arrivé un truc de dingue, vraiment super dingue. Noémie tu te souviens du mec qui dansait avec moi ? Eh bien aux environs de deux heures du mat il m'a invité chez lui. Après de rapides préliminaires, au moment où il déboutonnait mon corsage, une furie a fait irruption dans l'appartement. Elle m'a envoyé dans la figure toute une liste de mots grossiers, je m'étonne d'ailleurs qu'elle en connaisse autant, enfin bref. Vous ne devinerez jamais qui c'était ? Je vous le donne en mille, sa femme, oui, oui, sa femme, rien que ça. Naturellement elle m'a virée, ce qui est tout à fait normal. Tout cela n’aurait pas été bien catastrophique si je n'avais pas laissé mon sac sur le tapis du salon. Je me suis retrouvée au milieu d'une rue inconnue, sans papiers, sans argent, sans téléphone et sans clefs de voiture et d'appartement, la galère totale quoi. J'ai bien essayé de le récupérer..., heu..., mon sac, pas le mec, mais la pouffiasse m'a claqué la porte au nez. N'ayant pas d'autre solution, j'ai fait du stop jusqu'en ville, et un des serveurs de Lisandru le corse m'a prêté son portable. Voilà, voilà, Noémie, je t'ai tout dit...
Natacha, anxieuse, se grignotait les ongles, attendant la réaction de Noémie qui ne tarda pas.
— Alors là ! Super ! Tu t'es surpassée ma petite, pourtant j'ai comme l'impression que justement tu ne me dis pas tout.
Le visage de Natacha vira au vert, elle vida son verre de punch d'un trait. Sa dernière heure était venue, Noémie allait la tuer lentement après son aveu.
— Les clefs de la pharmacie, elles..., elles sont également dans mon sac.
Noémie, consternée, exposa le problème, demandant à Natacha de le résoudre.
— Tu sais que nous ne disposons pas du double, nos patrons sont en vacances en Espagne, comment faisons-nous pour ouvrir mardi matin, mademoiselle l'étourdie ? Nous défonçons la porte ?
— Je ne sais pas Noémie, je ne sais pas..., pas du tout..., je suis désolée..., désolé.
Natacha cachait sa sensibilité à fleur de peau derrière une apparence de jeune femme insouciante. En réalité elle était très émotive, et avait été fortement affectée par ses péripéties de la journée. Sa copine, assez dure avec elle, l'achevait, elle éclata en sanglots. Seulement voilà, Natacha en pleurs, ça ne collait pas avec le personnage, pas du tout. Tu pleurais avec elle ou tu la prenais dans tes bras pour la consoler, ce que fit Noémie, ne supportant pas de la voir dans cet état.
— Allez, calme-toi, arrête de gémir, ce n'est pas si grave, nous allons trouver une solution, tête de linotte.
Paul se manifesta à bon escient, décidé de sauver la jeune femme en détresse.
— Natacha ! Regarde-moi, je me charge de récupérer ton sac, demain matin j'irai rendre une petite visite au guignol et à sa moitié.
Natacha lui sauta au cou et l'embrassa comme une folle hystérique.
— Merci Paul ! Merci ! Merci ! Tu es super, vous êtes une famille formidable, je ne sais pas ce que je deviendrais sans vous. Merci de m'accepter comme je suis, pas facile à gérer, excentrique et un peu fêlée.
Natacha lâcha Paul, saisit la louche, remplit son verre, but une grande rasade.
— Tu fais partie de la famille Nat, demain matin je règle cette histoire, et nous n'en parlerons plus, conclut fermement Paul.
— Et puis pas besoin que tu sois à la rue comme ce soir pour rester dormir chez nous, la chambre d'amis est tout à toi, et toute l'année, ajouta Angie.
Noémie donna un coup d'épaule à Natacha, frappa son verre contre le sien.
— À la tienne camarade, Angie n'a pas son pareil pour déclencher des émotions. Qu'est-ce que tu attends ? Lâche-la cette petite larme.
— Non ! Pas question, j'ai faim, Angie ! Il est cuit le rôti ? Nous lui faisons sa fête ?
Paul tint parole, le lendemain il se rendit au domicile du coureur de jupons. Il récupéra le sac de Natacha sans aucune difficulté, il faut souligner qu'il était accompagné d'un vieil ami, le commissaire divisionnaire Pierre Delonnais, un bon joker dans certains cas...
Quelques mois plus tard, courant juillet, Noémie apprit une bonne nouvelle : ses patrons lui confiaient la gérance de l'officine. Noémie était si heureuse qu'elle désirait partager sa joie avec ses proches. Elle demanda timidement une faveur à sa sœur.
— Angie, j'aimerais recevoir la famille et quelques bons amis, arroser ma promotion. Ton jardin serait parfait pour ma petite fête, tu accepterais que je l'organise ici, vers le barbecue ?
— Non seulement je suis d'accord, mais en plus Paul et moi nous t'aiderons dans les préparatifs.
Noémie, folle de joie, l'écrasa contre son cœur.
— Génial ! Je t'aime, à charge de revanche, promis, juré, craché.
Le dimanche quatre juillet 2010, à douze heures trente, une fumée grise s'infiltrait entre les branches des pins parasols, montait entacher un ciel pur et limpide. Les signaux de fumée redoublèrent quand Paul retourna les morceaux de viande et les petites saucisses, tel le message qu'enverrait un Indien priant sa tribu de le rejoindre. La journée s'annonçait magnifique, peu de vent, un soleil clément, pas plus de vingt-cinq degrés à l'ombre. Noémie était aux anges, tout le monde avait répondu présent à l'invitation. Ce fut un merveilleux moment de convivialité et de chaleur humaine, fait de rires, de papotages, de chamailleries, et bien entendu de bouffetance à volonté. Aux environs de dix-huit heures trente, la plupart des invités commencèrent à partir, félicitant et remerciant encore une fois Noémie pour cette journée de détente. Départ également de ses parents, qui ne pouvaient rester, sous le prétexte douteux de la préparation et de l'organisation d'un voyage aux Antilles françaises. Noémie enlaça son père, il la félicita sincèrement.
— Bravo ma chérie, tu peux être fière de toi, comme je le suis, une évolution sociale couronnée de succès grâce à ton travail, à tous tes efforts, tu es plus que méritante, je t'aime.
— Moi aussi je t'aime papa.
Noémie resta un long moment dans les bras de sa mère, ses déboires sentimentaux réclamaient une compensation affective maternelle.
— Maman..., j'aimerais te dire que... Bon..., bon voyage dans les îles, ne nous laisse pas sans nouvelles, appelle-moi.
— Je sais que c'est dur pour toi en ce moment, courage, je t'aime mon ange.
Tous les invités ainsi que Natacha étaient partis, il ne restait plus que le commissaire Delonnais qui finissait une bouteille de rosé avec son ami Paul. Noémie et Marine aidaient Angie à mettre un peu d'ordre. Paul, ne supportant pas que les femmes se tapent les tâches ingrates, mit également la main à la pâte, et le policier ne resta pas dans son coin. Angie, embarrassée, s'exclama :
— Ho ! Monsieur le commissaire, vous êtes notre invité, laissez ça, je vous en prie.
Le grand gaillard s'immobilisa devant Angie, une pile d'assiettes en carton dans les mains.
— Excusez-moi madame, d'avoir eu l'audace de remplacer de mon propre chef mon étiquette d'invité par celle d'ami le temps d'un nettoyage collectif, comme le ferait une bande de copains. Très présomptueux de ma part, je le reconnais.
Il y a dix ans, quelques jours avant son mariage, Paul avait posé sa lettre de démission sur le bureau du commissaire Delonnais, son ami. Il quittait Paris pour vivre à Marseille, travailler avec son épouse. Paul, il y a moins de deux mois, était retombé sur Pierre qu'il n'avait pas revu depuis presque cinq ans, suite au dépôt d'une main courante. Et aujourd'hui dimanche, c'était la première fois que Paul invitait son ami retrouvé, qui n'avait côtoyé Angie que le temps de sa noce. Angie jeta un sac de déchets dans la poubelle, maintint le couvercle ouvert.
— Merci pour le coup de main, commissaire, bienvenue dans le cercle très fermé de nos intimes, que votre célébrité place au meilleur rang.
— Je n'accorde que peu de valeur aux étiquettes, madame, un jour je suis le sauveur du monde et le lendemain l'homme à abattre. Suivant les affaires médiatisées du moment et l'humeur des journalistes. J'accorde par contre beaucoup d'importance à l'amitié, je vous remercie de m'accueillir dans votre foyer, mais j'aimerais que ce soit tout simplement comme un humble ami.
— J'ai la forte intuition que nous allons bien nous entendre, commissaire, lui dit-elle en passant une éponge sur la grande table du salon de jardin.
— En effet, je le pense aussi, Paul est un veinard, madame, et je comprends maintenant sa décision de quitter la police, votre beauté n'a d'égale que votre gentillesse. Il me tarde de converser avec vous, dans un cadre plus calme, que nous fassions plus ample connaissance très chère madame.
— Rien ne me ferait plus plaisir commissaire, Paul nous arrangera cela dans les prochains jours.
Avançons d'une heure, Marine était dans sa chambre, Angie et Noémie s'affairaient dans la cuisine, elles préparaient la collation légère du soir. Paul et Pierre faisaient quelques pas dans le jardin quand leurs regards furent happés par une silhouette sombre, qui venait directement sur eux. Paul s'écria, surpris :
— Franck ? Mais que faites-vous là ? Vous êtes revenu d’Australie ?
Le dandy, toujours tiré à quatre épingles, était dépenaillé, dans un état d'ivresse très avancé, et titubait. Il souffla une haleine d'alcool dans la figure de Paul.
— Tu parles ! Je ne suis même pas parti, j'ai évité une grosse arnaque.
Il posa une main sur l'épaule de Paul, comme si c'était son pote, et dévoila la raison de sa présence.
— Je voudrais parler à Noémie, je sais qu'elle est ici, vous voulez bien lui dire de venir ? S'il vous plaît..., s'il te plaît Paul.
— Ce n'est pas une bonne idée de vous présenter devant elle dans cet état, rentrez chez vous, appelez-la demain, lui conseilla Paul en le repoussant.
Trop tard, Noémie qui venait les chercher pour souper, reconnut de loin son ex-amant. Un cri étranglé par l'émotion sortit de sa gorge : « Franck ? » Malgré les souffrances qu'il lui avait infligées, son cœur s'emballa, les sentiments qu'elle ressentait pour lui étaient encore bien présents et remontaient en surface. Dans une totale confusion, elle courut dans le jardin, se figea devant lui.
— Paul ! Commissaire ! Je vous en prie, veuillez nous laisser seuls un moment.
— Tu es certaine ?
— Oui ! Paul, ça va aller.
Les deux hommes obéirent, mais restèrent à bonne distance prêts à intervenir, l'individu ne leur inspirait pas confiance.
— Que fais-tu là ? l'interrogea sèchement Noémie, maîtrisant son envie de lui sauter au cou.
Bras ballants, il gémit.
— Je suis venu te demander pardon, tu me manques trop, j'ai fait une monumentale erreur, je voudrais réparer les dégâts, te dire combien je suis désolé.
Noémie était indécise, son repentir semblait sincère, mais pouvait-elle lui accorder de nouveau sa confiance, croire ce qu'il disait ? Angie et Natacha lui avaient ouvert les yeux sur le comportement ignominieux de son ex-compagnon. Reprendre une relation avec lui demandait une grande réflexion et une certaine mise au point. À commencer déjà par le fameux, formidable, irrésistible fermier australien. Sa voix fut aussi acide que le vitriol, et le ton cinglant.
— Et ton Antoine adoré, que devient-il dans tout ça ? Tu en fais quoi ? Tu n'envisages quand même pas un ménage à trois ?
— Non ! De ce côté-là, tu ne risques plus rien, il est de l'histoire ancienne. J'ai succombé à son charme, cru en ses belles paroles, qu'il m'aimait. Alors qu'il n'en voulait qu'à mon argent, il est criblé de dettes, j'étais la bonne poire, une aubaine pour lui.
Noémie conserva par prudence, une certaine distance entre eux, quand il avança sur elle, elle recula de quelques pas.
— Comment veux-tu que je renoue avec toi après tout le mal que tu m'as fait ? J'ai besoin de réfléchir, besoin de temps, de beaucoup de temps.
Il fonça sur elle, la bloqua contre lui, essaya de l'embrasser de force, Noémie se débattit de toutes ses forces.
— Non ! Non ! Arrête ! Tu me fais mal, tu empestes l'alcool, arrête ! Arrête tout de suite.
Finalement Noémie réussit à se dégager, le gifla. Sur le coup, surpris par sa réaction défensive inhabituelle, il trébucha, faillit s'étaler dans les rosiers, ce qui ne l'empêcha pas de revenir immédiatement à la charge, persuader que Noémie encore sous sa domination ne résisterait pas longtemps.
— Ne me repousse pas, tu te fais du mal pour rien, je sais que tu m'aimes et que tu vas revenir avec moi. Alors ne me résiste pas, embrasse-moi, ne te fais pas prier.
Cette fois il l'attrapa sans ménagement par les poignets, fort de croire qu'elle serait de nouveau soumise à ses désirs. Il l'embrassa bestialement, Noémie tourna la tête et cracha sur le sol. Franck, terriblement vexé, extériorisa sa colère, il lui asséna une calotte du revers de la main, entaillant avec sa chevalière sa joue droite. Noémie, sous la fulgurante douleur, cria et tomba à genoux, groggy. Pierre neutralisa facilement le bonhomme, si bourré qu'il tenait à peine debout. Paul, lui, aida Noémie à se relever. Le commissaire extirpa de sa poche son portable.
— J'appelle une patrouille mademoiselle, quelques heures aux frais devraient lui remettre les idées en place.
Des larmes glissaient sur les joues de Noémie, se mélangeaient avec le sang de la petite plaie. Elle prit la défense de son ex-amant, en souvenir des bons moments qu'elle avait passé avec lui, il y en avait eu quelques-uns.
— Non ! Commissaire, s'il vous plaît, je ne désire pas qu'il aille en cellule, accordez-moi cette faveur, faites-le reconduire chez lui.
— O k, si vous y tenez, mademoiselle, mais je vais quand même le convoquer à la P.J histoire de lui rappeler que les femmes ne sont pas des punching-balls.
Noémie regarda son ex-petit ami partir dans la voiture de police, elle savait qu'il l'aimait, qu'il l'aimait à sa manière, manière qui ne lui convenait plus du tout. Paul l'allongea sur le grand canapé, Angie évalua les dégâts et posa une compresse sur la plaie.
— Ma pauvre chérie, tu n'as vraiment pas de bol avec les hommes, tu parles d'un abruti. Ce n'est pas très grave, mais tu as besoin d'être recousue si tu ne veux pas garder une vilaine cicatrice, je t'emmène aux urgences.
Noémie se leva, grimaça, plissa le front, elle avait mal, très mal à une blessure plus profonde, sur son cœur. Noémie s'en tirait avec trois points de suture et une dent cassée. Au retour des urgences, après avoir avalé un léger souper, principalement constitué de crudités, Angie monta à l'étage s'occuper de Marine. Noémie, encore très secouée et sous l’effet d'un calmant, s'était allongée sur le même canapé. Dans sa somnolence elle entendait des voix qui parlaient de jeunes filles assassinées. Elle se redressa trop vite, jura.
— Ah ! Merde ! Quel con !, j'ai la joue en feu
Paul réajusta l'oreiller, l'incita à se rallonger
— Évite de bouger, demain ça ira mieux. Au sujet de ton ex, je suis d'accord avec toi, un gros con, et j'espère qu'il le restera... ton ex.
— Merci Paul pour ton aide et ta franchise, j’en prends bonne note, mais dis-moi, toi et le commissaire vous parliez bien de jeunes filles assassinées il y a un instant, je n'ai pas rêvé ?
Les deux hommes restèrent silencieux, comme pris en faute, mettant mal à l’aise Noémie. Penaude, elle s'excusa.
— Oups ! Pardon, désolée, je suis incorrigible, je me mêle encore de ce qui ne me regarde pas, vous n'êtes pas obligés de me répondre.
— Vous n'êtes en rien indiscrète mademoiselle, c'est en première page de tous les journaux, en gros titre. Je discutais avec Paul de l'avancée de l'enquête, parce qu'il est un ancien de la maison et mon ami, et je le sais très discret.
— Je comprends commissaire, mais le peu que j'ai entendu de votre conversation m'a fait froid dans le dos, j'aurais bien aimé en savoir plus.
— Moi aussi j'aimerais en savoir plus, j'aimerais surtout ne plus trembler, ne plus avoir peur pour ma fille, confessa une mère angoissée en entrant dans le salon.
Paul la prit immédiatement dans ses bras, afin de la rassurer
— Angie ! Ma chérie, je ne savais pas que tu t'inquiétais à ce point, tu aurais dû m'en parler plus tôt. Je t'assure que Marine ne risque absolument rien, nous la surveillons continuellement et nous ne la laissons jamais se déplacer seule.
Le commissaire rajouta.
— Si ça peut adoucir vos angoisses madame, sachez que des patrouilles de police quadrillent la ville, les alentours, des agents surveillent les écoles et tous les lieux publics fréquentés par des enfants.
Noémie tomba des nues, elle n'avait rien entendu de ces deux affaires qui faisaient pourtant grand bruit.
— Alors ça c'est incroyable, comme si j'étais sourde et aveugle, je ne suis au courant de rien.
Le commissaire consulta sa montre, elle indiquait vingt heures quarante.
— Je peux vous éclairer rapidement mademoiselle. Paul, s'il te plaît, allume le poste de télé.
Tous les quatre fixèrent sur l'écran l'homme en costume cravate au côté du présentateur, le commissaire divisionnaire Pierre Delonnais, le grand patron de la S.R.P.J de Marseille. Le présentateur clôturait son journal avec l'interview du policier en charge d'élucider les meurtres de deux gamines. Présentation de l'intervenant faite aux auditeurs, le journaliste entra dans le vif du sujet.
— Je vais, commissaire, dans un premier temps, récapituler les faits, interrompez-moi si je me trompe.
— Entendu.
Le journaliste chaussa une paire de lunettes, lut à haute voix le compte rendu macabre.
— Le douze avril 2011, dans la forêt de Mimet, des promeneurs ont découvert le corps nu d'une enfant, Marina Duboit, dix ans. Le vingt juin, des pêcheurs dans une barque sur l'étang de Berre ont aperçu le corps flottant d'une petite, Éléonore Morain, onze ans. Il a été établi avec certitude que les deux fillettes sont décédées par strangulation, qu'elles ont été tuer par le même assassin, et qu'elles n'ont subi aucune violence sexuelle. Vous confirmez commissaire ?
— Je confirme, monsieur
Le présentateur retira ses lunettes et posa au commissaire une liste de questions préétablie, il espérait un bon scoop, ou du moins de bonnes infos.
— Commissaire, pensez-vous à un tueur en série ?
— Nous n'écartons pas cette piste, comme toutes les autres, vengeance, détraqué sexuel…
— Avez-vous des suspects ?
— À ce stade de l'enquête non, mais de bons indices que nous exploitons.
— Vous pouvez entrer un peu plus dans les détails, commissaire ? Divulguer un de ces indices ?
— Impossible monsieur, cela compromettrait l'enquête en cours, et je serais viré.
— Devons-nous nous attendre à d'autres agressions ?
— Oui, la menace est bien réelle, une certaine prudence s'impose, je préconise aux parents d'être très vigilants, insista le commissaire en fixant la caméra, regard très sombre. Surveillez vos enfants, ne les laissez jamais seuls.
— Avez-vous pris des mesures spécifiques ?
— Naturellement, immédiatement après le deuxième meurtre, j’ai fait doublé les voitures de patrouille, affecté des agents à la sortie des écoles, dans les squares, les jardins publics, les parcs et tous les lieux fréquentés par des familles.
— Vous avez autre chose à ajouter, commissaire, quelque chose qui rassurerait nos concitoyens ?
— Nous n'en sommes qu'au début des investigations, et je suis malheureusement désolé de devoir dire non. Non, je ne peux pas soulager les angoisses, la peur, je ne peux que la partager avec vous tous qui nous regardez, pour le moment.
— Merci commissaire, d'avoir accepté notre invitation, nous clôturons le journal par la météo…
Paul baissa le son. Noémie toute retournée, supplia le commissaire.
— Mon Dieu ! C'est inhumain de faire ça à des enfants, vous allez arrêter ce détraqué, commissaire ? Très vite j'espère, avant qu'il ne récidive.
— Naturellement mademoiselle, c'est notre priorité absolue.
À cet instant précis Marine déboula dans le salon, elle se jeta sur sa mère qui lui tendait les bras. Noémie quitta sa position semiallongée, elle ne ressentait plus aucune douleur. Elle tira la languette du paquet de mouchoirs posé sur le rebord de la fenêtre de la cuisine et son regard fut aussitôt attiré par une voiture qui s'immobilisait dans la cour. Elle grimaça un sourire.
— Devinez qui arrive ?
Le son du carillon tinta en même temps que la porte s'ouvrit, Natacha déboula, bouteille de champagne à la main. Guillerette, enthousiaste, elle balança.
— Me revoilà les amis ! Nous continuons la fête ? Mais ? Hou là, c'est quoi ces têtes d'enterrement ? Eh bien il était temps que je revienne remettre de l'ambiance.
Noémie se détourna de la fenêtre et montra son visage balafré à sa copine.
— Dieu tout-puissant ! Que... que t'est-il arrivé ?
Natacha, effarée, approcha de Noémie pour examiner la blessure.
— Alors ! Tu t'es fait ça comment ? Tu es tombée ? Tu n'es pas obligée de me le dire tu sais, si c'est encore un secret dont je suis exclue.
Noémie avait caché à sa meilleure amie, comme à un bon nombre de personnes, qu'elle avait été largué par son copain pour un homme, avec le mobile idiot de préserver sa dignité de femme. Noémie présumait, sans en être réellement certaine que Natacha l'avait appris par hasard, au détour d'une conversation avec des connaissances. La pique acerbe qu'elle venait de prendre en pleine figure, retirait tous ses doutes, sa copine en avait gros sur le cœur, était terriblement déçue par son attitude. Noémie, plus mal que jamais, saisit les mains de son amie, et dans un mélange de phrases décousues s'excusa.
— Non ! Je ne suis pas tombée, Nat. C'est Franck qui m'a... Tu sais je m'en veux... J'ai mal agi. Franck... il voulait que je retourne avec lui. Je..., je n'ai jamais voulu te faire de mal. Ça ne s’est pas bien passé, il..., il m'a frappée. Je t'aime tellement ma Nat..., tu me pardonneras ? Hein ? Un jour... J'ai..., j'ai rompu avec lui. Tu avais raison... Angie avait raison... Je suis la seule pauvre conne aveugle qui ne voyait rien, je n'ai que ce que je mérite. Bien fait pour ma gueule..., bien fait.
Natacha, fidèle à elle-même, s'écria.
— Alors là, bravo ! Après toutes ces vérités que tu viens d'avouer, tu dois te sentir plus légère mais avoir le gosier terriblement sec. Paul ! Fais péter le bouchon pour ma louloute à moi ! A bas les connards, les machos et tous ceux qui ne nous aiment pas, vive nous !
Les deux inséparables s'enlacèrent. Natacha restait suspicieuse.
— C'est bien vrai ça, que tu l'as largué, l'autre abruti ?
— Oui.
— Pour toujours ?
— Oui mademoiselle
— Toujours, toujours, c'est sur ?
— Oui madame
— Parfait ! Tu remontes dans mon estime et j'aimerai bien un gros câlin de ma meilleur amie.
Marseille, samedi treize mars 2010, dix-neuf heures quinze. Une pluie diluvienne s'abattait sur la ville, l'orage d'une rare violence obligeait les automobilistes à lever le pied. Un éclair foudroyant embrasa le ciel, suivi d'un grondement sourd prolongé. Le déluge redoubla d'intensité, trop sollicité, les essuie-glaces du monospace de Jacques, le journaliste vedette de la radio locale, n'assumèrent plus leur fonction. Avancer dans de telles conditions demandait de la concentration et une grande prudence afin d'éviter l'accident, visibilité réduite au minimum. Jacques presque aveugle, fixait les feux arrière du véhicule devant lui, dont l'intense brillance était accentuée par la pluie. Il écoutait la femme qui pestait dans son oreillette, Nadia sa secrétaire, elle s'inquiétait de son probable retard et envisageait le plan b.
— Monsieur Forsay, vous êtes sur les ondes dans un peu moins d'une heure, pensez-vous arriver à temps ? Ou dois-je appeler votre remplaçant ?
Jacques rassura l'affolée.
— Pas de panique ma chère, je ne suis plus très loin, je viens de dépasser le centre commercial, et puis mon remplaçant ne fera pas mieux que moi, toute la ville est plus ou moins paralysée.
— Bien monsieur, comme vous voudrez.
Par chance les précipitations exceptionnelles passaient, la pluie faiblissait, la circulation se fluidifiait malgré les trombes d'eau qui inondaient encore la chaussée. Jacques accéléra, il entra sur le parking du siège de la radio locale quinze minutes avant l'heure fatidique, se gara sur son emplacement personnel et descendit de son véhicule. Il remonta le col de son imperméable et courut jusqu'à l'entrée du bâtiment avec son attaché-case sur la tête en guise de parapluie. Le gardien ne l'arrêta pas, lui fit signe de passer, et poliment lui dit :
— bonsoir monsieur Forsay, vous parlez d'un sale temps !
Jacques ne répondit rien, se contentant de franchir à grandes enjambées les quelques mètres qui le séparaient des ascenseurs. Quelques secondes plus tard les portes s'ouvrirent sur sa secrétaire, elle lui tendit une serviette et un café chaud. Pendant qu'il buvait, elle frictionna ses cheveux.
— Vous êtes trempé monsieur Forsay, vous allez attraper la mort.
Il se laissa faire, et même repeigner.
— Merci Nadia, je ne sais pas ce que je ferais sans vous, vous êtes ma bonne fée.
— À l'antenne dans dix minutes, monsieur Forsay, le prévint le technicien installé derrière sa console, et chargé du bon déroulement des programmations.
Jacques était l'animateur vedette de la station, il présentait une émission très spécifique, commentait en direct des événements sportifs ou analysait avec des invités, le plus souvent des athlètes de haut niveau, l'actualité sportive du moment : matchs de foot, tournois de judo, d'escrime, de boxe, de tennis, etc. Le voyant passa au vert. D'une voix maîtrisée, professionnelle, Jacques salua ses deux prestigieux invités, puis débuta son émission en félicitant l'heureux gagnant du jeu-concours de la semaine passée. Deux heures plus tard, le journaliste impassible, la voix neutre, mécaniquement, clôtura son émission.
« Amis sportifs ! Merci de votre fidélité, chers auditeurs nous nous retrouvons demain, un rendez-vous important à ne pas manquer, l'OM, en match certes amical, mais un test décisif pour certains joueurs. Bonsoir à tous, ici Jacques Forsey, qui passe le relai à notre amie Catherine, pour deux heures de très bonne musique. »
Le directeur entra dans le studio, serra la main de Jacques et de ses invités, le félicita.
— Bravo Jacques, du bon boulot, votre émission cartonne tous les soirs, les audiences sont au rendez-vous, je suis très, très satisfait. Continuez comme ça, et un jour je peux vous l'assurer, vous prendrez ma place.
— Merci monsieur, mais..., non merci, je garde mon job, trop bureaucratique le vôtre.
— Il ne faut jamais dire jamais mon vieux, jamais ! rétorqua-t-il malicieusement avant de prendre congé. Bonsoir tout le monde !
Il claqua la porte en riant. Tous les employés de la radio l'adoraient, c’était un personnage intègre, d'une droiture exemplaire. Sa secrétaire partie, Jacques rangea les documents de son émission dans sa mallette, alla aux distributeurs de boissons. Concentré sur le remplissage du gobelet en carton, il ne vit pas venir son ami Richard et sursauta quand celui-ci posa sa main sur son épaule. L'homme était avocat d'affaires, et il avait soudoyé le gardien pour entrer dans les locaux, surprenant ainsi Jacques dans sa méditation. Il exulta aussitôt, contant de lui.
— Jacques ! Jacques ! Mon ami, écoute-moi, j'ai un plan super pour ce soir, nous allons nous éclater mon vieux, regarde avec quoi, hein ! Qu'est-ce que tu en dis ? Jolis morceaux, non ?
Richard avait placé devant les yeux de Jacques une photo sur laquelle posaient deux magnifiques jeunes femmes, vêtues de longues robes du soir, sans aucun doute des call girls de luxe. Jacques n'était pas friand de ce genre de créature, lui, c’était plutôt B.C.B.G, grande classe, élégante, femme du monde, cultivée, des femmes difficiles à apprivoiser, qu'il fallait se donner un peu de peine pour les conquérir.
— Alors, mec, tu es partant ? On va passer une soirée d'enfer, je te le jure, allez ! Merde ! Bouge-toi, insista Richard en bousculant son ami d'une grande tape dans le dos.
— Bon, ok, si tu veux, mais je ne suis pas très enthousiaste.
— Un peu que je veux mon neveu ! Direction le grand hôtel, où les demoiselles nous attendent, et après, nous irons faire la fête sur le bateau de mon patron Dimitri. C'est un énorme connard aux activités très louches, mais il gratifie royalement mes services d'avocat. Ça équilibre la balance.
Richard suivit Jacques avec sa grosse berline jusqu'à son appartement. Pendant que son ami prenait une douche et revêtait un smoking noir des plus classiques, Richard avala plusieurs scotchs. Avec sa grosse bedaine, son visage bouffi et son crâne dégarni, il ne rivalisait pas avec Jacques, qui aurait pu, s'il l'avait voulu, faire une grande carrière comme mannequin. Quand les deux superbes créatures les aperçurent de loin, elle abandonnèrent les tabourets sur lesquels elles patientaient, puis restèrent figer de surprise, en reconnaissant le célèbre journaliste, encore plus beau en vrai que sur les photos des magazines. Richard ceintura aussitôt les deux filles par la taille et désigna Jacques du regard.
— Bonsoir mesdemoiselles, comment trouvez-vous mon pote, plutôt canon, non ?
— Bonsoir monsieur, bafouillèrent-elles, très intimidées
Richard présenta les deux demoiselles à Jacques, qu'une façon vulgaire
— Voilà nos casse-croûte de ce soir Jacques ! Je me réserve Victoria, j'aime bien les blondes, à toi Aurélie.
Dans le même lape de temps, son comportement fut équivalent à sa prose, ses mains baladeuses avaient malaxé leurs fesses, et ses yeux pernicieux c'étaient introduit dans leurs décolletés très ouverts. Les demoiselles n'apprécièrent pas du tout son comportement déplaisant, ni sa lourdeur irrespectueuse, surtout en public. Elles s'approchèrent de Jacques, Victoria en tête, obligeant Richard à les lâcher.
Elle tendit la main, Jacques s'en empara, effleura le bout des doigts d'un baiser. Surprise par la galante marque de courtoisie, Victoria se sentit valorisée, considérée comme une personne très importante.
— Bonsoir, mademoiselle Victoria, ravi de faire votre connaissance, vous êtes très belle et étincelante, comparable à une fleur caressée par la rosée du matin, dont les gouttelettes d'eau frappées par les rayons du soleil levant, scintillent comme des diamants.
Victoria, professionnelle depuis cinq ans, se trouva pour la première fois de sa vie désarçonnée, elle s'appuya contre le comptoir du bar, vida sa coupe de champagne d'un trait, ce qui ne la libéra pas pour autant de l'emprise du célèbre et irrésistible journaliste, une deuxième coupe s'imposait, elle tendit son verre au barmen.
Victoria avait l'assurance de sa profession, elle dévoilait des échantillons de son anatomie sans aucune pudeur. Il en était tout autre de son amie d'enfance qui l'accompagnait, totalement désemparée, ne sachant où se mettre pour ne pas gêner. Elle était pourtant pourvue de tous les atouts féminins nécessaires pour concurrencer sa camarade, et avait beaucoup de charme avec ses joues grêlées de taches de rousseur. Aurélie intimidé par le regard de Jacques posé sur elle, frottait ses mains sur sa longue robe, fixait le sol. Jacques était intrigué par le comportement de cette jeune femme qu'il sentait effrayer, mal à l'aise. Était-ce une débutante ? Une bonne comédienne ? Non, peut probable car elle n'avait rien d'une croqueuse d'hommes, elle avait plutôt l'air d'une toute petite souris apeurée, attendant d'être sauvée de deux gros chats désirant la croquer. Jacques glissa un mot dans l'oreille d'un employé qu'il connaissait, s'empara des mains blanches et douces d'Aurélie, également de ses yeux bleus océan en les noyant dans son regard bleu azur. Aurélie, tout le corps électrifié, frémit. Jacques, comme envoûté, ressentit son trouble, chevaleresque il s'employa à la détendre.
— Bonsoir, mademoiselle Aurélie, votre beauté n'a d'égale que votre sourire, voulez-vous être ma Cendrillon d'un soir, et je l'espère pour moi, bien au-delà de minuit ? suggéra-t-il à la voluptueuse créature, tout en posant délicatement sur ses épaules une étole en soie noire, que le groom venait de lui remettre.