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L’amour rend les chats aveugles et autres nouvelles est un recueil de textes décalés pleins de rebondissements. Entre un kidnapping de chat qui tourne mal, une tueuse en série assez singulière, des rites de sorcières sur les plages de Californie et bien d’autres situations à la fois cocasses et à la limite de l’épouvante, des bouts de vie s’y rassemblent et valsent au rythme de l’absurde en mettant en avant vos obsessions contemporaines. Au fil des pages, ne vous fiez pas à vos perceptions, les apparences peuvent être trompeuses…
À PROPOS DE L'AUTRICE
Léa Baltzinger situe ses écrits entre fantastique et réalisme. Elle compte à son actif de nombreux textes dont certains publiés dans les magazines "Hurle Vent" ou encore "reticule.fr". Elle signe, avec "L’amour rend les chats aveugles et autres nouvelles", son deuxième recueil.
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Seitenzahl: 129
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Léa Baltzinger
L’amour rend les chats aveugles et autres nouvelles
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Léa Baltzinger
ISBN : 979-10-422-0190-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
Le chat est d’une honnêteté absolue : les êtres humains cachent, pour une raison ou une autre, leurs sentiments. Les chats non.
Ernest Hemingway
Oscar descend les escaliers en colimaçon avec fébrilité et vigilance. On vient de sonner. Enfin, la rencontre. Son étourderie mythique lui intime la prudence. La trace de poinçon sur sa lèvre supérieure lui remémore la chute du pire Noël de sa vie. Certains concluront que c’était peut-être le meilleur. Cela relevait du point de vue. C’était l’année précédente.Encore un peu sous l’influence de l’alcool, il avait dévalé les marches, la tête en avant. Sa lèvre supérieure s’était lacérée sur l’aiguille des escarpins de sa dulcinée. Cette année-là, il n’avait pas eu le courage d’écouter les récits d’expériences sexuelles de sa cousine qui enchaînait les succès, et encore moins de débattre de la dernière tondeuse à gazon avec son oncle qui consommait des litres d’eau-de-vie de pissenlit parce que « ça aide à digérer ». Oscar s’était replié sur une conquête récente qui se retrouvait seule la veille de Noël. Après un tête-à-tête arrosé, ils étaient montés dans la chambre pour boucler la soirée en beauté. Elle lui avait demandé d’aller chercher quelque chose en bas, dans son sac à main. D’où la chute.
Lorsqu’il avait répondu à l’appel de sa mère, Oscar était toujours aux urgences. Il lui avait raconté sa mésaventure. Elle en avait profité pour lui asséner le fameux :
— C’est Jésus qui te punit pour ne pas passer les fêtes avec nous. Ton frère est arrivé hier et loge à la maison pendant dix jours. Tu pourrais fournir un minuscule effort !
Elle continuait à le traiter comme un bébé. Il le lui faisait remarquer avec impatience. Ce à quoi elle répondait invariablement :
— Toi et ton frère resterez mes tout-petits pour l’éternité.
Bien sûr que le cadet ne manquait pas une occasion de se tire-bouchonner dans les jupes de sa mère ! Le p’tit cochon n’avait jamais coupé le cordon.
Oscar se tient debout sur la dernière marche. Il est anxieux. Et si la réunion n’était pas à la hauteur de leurs désirs ? Après tout, Noël n’apportait jamais rien de bon. C’était un vingt-cinq décembre que la fusée Beagle 2 s’était perdue dans l’espace, qu’un tsunami de la force de 23 000 bombes atomiques avait détruit la majorité des côtes de l’océan Indien.
Son unique relation durable, c’était avec Bretzel. Sa chatte, mi-gouttière, mi-main coon, il l’avait trouvée au fond d’un ruisselet asséché le long de son trajet de footing. La mère, sans vie, venait de mettre au monde quatre chatons. Dans une mare de sang, Bretzel était la seule qui respirait encore. Elle léchait le placenta que la mère n’avait plus eu la force d’ingurgiter. Écœuré, il l’avait calée malgré tout dans sa poche de survêtement.
Sur la route du travail, il l’avait déposée au refuge. La gérante était en pleurs. On venait de lui diagnostiquer une maladie rare, sans doute incurable. Que deviendraient ses protégés ? Penaud, Oscar avait laissé glisser la chatonne. Il n’aimait pas trop les bestioles, mais devant ce flot de chagrin, il avait su mettre son sarcasme de côté. En ramassant Bretzel, il avait bafouillé qu’après tout, il aiderait en adoptant au moins cette boule de poils poisseuse.
Cela faisait dix ans que Bretzel régnait en reine absolue dans le monde d’Oscar. Elle l’accompagnait souvent en voiture, ronronnant sur le siège passager. Il ne partait presque pas en vacances pour ne pas la laisser seule plus de trois jours. Lorsqu’il avait dû se traîner aux urgences l’année précédente, la chatte avait disparu mystérieusement. Oscar ne l’avait pas revue depuis. Ni la fille, d’ailleurs. Mais ça, c’était moins grave. Enfin, ça n’était pas tout à fait vrai. Il voyait souvent Bretzel en photo… En effet, au bout de quelques semaines, une personne s’était mise à lui donner des nouvelles de Bretzel par texto. Le premier message avait été surprenant. Un haïku.
« Chatte de Noël,
Vous la cherchez, oui ou non ?
À moi pour l’hiver. »
Oscar avait aussitôt répondu :« Dites-moi à quel endroit je peux récupérer ma chatte. » « Non, je la garde pour l’hiver. Ne vous angoissez pas trop. Je vous contacte en mars. » Il trouvait la plaisanterie de mauvais goût et absurde. Comme il ne s’entendait pas avec ses voisins, il n’eut pas le courage de sonner pour demander qui tenait sa chatte en otage. La vie avait continué malgré tout. La saison froide avait fini par passer. En mars, comme prévu, il avait reçu un nouveau texto : « Finalement, je me suis attachée, je la garde encore un peu. Voici une photo. Elle a l’air heureuse entre les coussins colorés de mon canapé ? Elle fait plus jeune, non ? »
Oscar espérait que Bretzel accomplisse un exploit. Un de ceux qu’on lisait occasionnellement dans la presse : « Un chat parcourt 1 200 km entre Grasse et le Calvados pour retrouver ses maîtres. » Bretzel n’avait pas de super-pouvoirs. Au fond, il lui en voulait de l’avoir abandonné. « Je m’en fiche. Gardez cette trappe à puces ingrate. » « OK, Ebenezer Scrooge ! » Le lendemain, il avait reçu le portrait d’une jeune femme brune, Bretzel sur l’épaule, comme un perroquet de pirate. Elle lui offrait de se connecter via un réseau social, car elle y publiait souvent des clichés de Bretzel. Il pourrait les « aimer ». Oscar avait trouvé l’idée incongrue, mais Bretzel lui manquait et la fille semblait assez séduisante. Son visage lui paraissait étrangement familier.Cette fille vivait comme s’il n’y avait pas d’avenir. Bretzel au dos, dans un sac spécial, elle était drôle et plutôt désarmante lorsqu’elle se photographia au sommet de la montagne volcanique Lassen, rouge comme une tomate ébouillantée. Elle s’était aussi essayée aux recettes de cuisine véganes, bonnes pour les humains et les chats ! La substance verdâtre à base de blettes n’était pas ragoûtante. Elle avait obtenu si peu d’encouragements qu’Oscar s’était senti un peu gêné pour elle. La brunette @Bretzygirl (il ne connaissait pas son vrai nom) n’avait pas perdu sa motivation pour autant. Oscar avait engagé le dialogue à travers les commentaires sous ses publications. Elle souriait comme le chat de Cheshire d’Alice aux pays des merveilles. À travers des clichés ou courtes vidéos, il avait recomposé le patchwork de sa vie. @Bretzygirl était une voleuse de chats (enfin, d’une chatte), mais pas seulement. La jeune femme était célibataire. À son anniversaire en juin, elle avait posté la carte peu délicate de sa grande sœur : « Voilà un mascara pour toi, fais battre ces cils de biche, et trouve-toi un petit ami cette année ! » Brutal. Dans le commentaire, @Bretzygirl avait écrit : « Le pire, c’est que l’année prochaine, elle va probablement m’offrir le même mascara, et que je n’aurai toujours pas de petit ami ! »
Les saisons avaient défilé. « Je la garde encore un peu. »Et puis, début novembre, plus rien. La dernière photo représentait la brune et la féline déguisées, sans doute en route vers une soirée d’Halloween. On lisait : « J’adore la tête de Bretzel sur cette photo avec son costume entier de Dracula. Et vous ? Qui serez-vous cette année ? » @Bretzygirl n’avait plus rien posté. Au bout de trois semaines, Oscar avait mis son ego de côté et s’était décidé à lui envoyer un texto : « Alors, vous avez sacrifié Bretzel pour un rite de sorcellerie ? »
Dix mois plus tôt. Urgences de Huntington Beach, 33,659 5° N, 117.9988° W
— Allez, Robyn ! Je voudrais rentrer à la maison à une heure décente. Presque quarante-cinq minutes pour une lèvre coupée ? Non, mais qu’est-ce que tu fiches ? Il y a des gens qui m’attendent, moi !
Le « moi » de son infirmière de garde, c’était pour lui enfoncer une petite dague dans le cœur. La vilaine ne savait pas que Robyn s’était complètement mithridatisée à ce genre d’attaque, ainsi qu’à toutes celles qui entraient dans le champ lexical de l’affection.Robyn avait été abandonnée dans une boîte à bébé, à Séoul, en 1980. Dix-neuf poupons déposés la même année. Elle avait été adoptée à l’âge de treize mois par un couple de diplomates franco-coréens. Elle avait grandi aisément au sein de différentes ambassades. La tendresse n’avait jamais existé dans leur foyer. L’enfant contribuait principalement au capital sympathie nécessaire à la carrière internationale des parents. À ses dix-huit ans, ses parents avaient réglé les derniers détails de leur divorce sans drame. Le père adoptif, pragmatique, avait divisé leur argent en trois : la mère regagna la Corée, lui, la France, et Robyn avait pris le chemin de la Californie pour suivre des études de médecine. Aucun membre de la famille disloquée n’avait manifesté l’envie de maintenir des rapports. Le tout resterait dans les annales comme le récit d’une synergie profitable et salutaire. Diplômée avec deux ans d’avance, Robyn avait été propulsée à la tête du service des urgences pour son sang-froid terrifiant.
Robyn
Je m’appelle Robyn. Je suis médecin aux Urgences de la ville balnéaire Huntington Beach. Pour moi, ce ne sont que des coordonnées GPS. C’est simplement le point où l’univers m’a projetée. Puisque je n’ai pas de proches, c’est à vous que je vais relater la seule chose digne d’intérêt qui me soit arrivée. À Noël, l’année passée, j’ai eu un coup de foudre. Un vrai. Mon esprit cartésien m’a mise à l’épreuve. Il ne s’agissait que de chimie. Après maintes investigations, j’ai été forcée d’admettre que le moteur de recherche Google dépeignait parfaitement ce que j’avais vécu (il a toujours raison quand ça m’arrange) :comment ressent-on un coup de foudre ? Souvent, il se caractérise par cette étrange impression de connaître déjà l’autre, comme si vous vous étiez déjà rencontrés auparavant. Très vite, vous vous êtes sentie très proche de lui et votre histoire vous a semblé couler de source. Généralement, le coup de foudre n’engendre aucune peur ni angoisse.
Sans arrière-pensée, j’ai eu envie que ce gars me prenne dans ses bras. Il était pourtant couvert de sang et flanqué d’une pimbêche très jeune qui versait des larmes de crocodile.
— Vous savez, Mademoiselle, les lèvres, ça saigne beaucoup. C’est impressionnant, mais ça n’est pas si grave.
— C’est facile pour vous !
— Patientez dans la salle d’attente. Inspirez par la bouche et soufflez par le nez.
— Il m’a demandé de tenir compagnie à sa chatte dans la voiture ! Qui se promène avec un chat dans sa bagnole ? Bretzel ! Quel nom ridicule !
Oh, non ! Ils n’allaient quand même pas se chamailler ici.
— S’il vous plaît, ne vous agitez pas, Monsieur, tout va bien.
L’homme en question avait avancé sa chaise très près de moi. Il me toisait avec sérieux comme pour déceler un indice physique qui éroderait la sincérité de mon diagnostic. En général, les patients préféraient se tenir à distance du corps médical « plein de germes ». Pas cet individu. Il était assis en face de moi, ses genoux ont frôlé les miens à plusieurs reprises. Je lui ai expliqué que des points de suture s’avéraient inévitables s’il ne voulait pas que sa peau ressemble à un fruit meurtri de talures.Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais à ce moment-là, je me suis dit qu’il fallait que je possède quelque chose de cette personne. Il avait l’air de tenir à son chat. J’ai donc accompagné la fille au véhicule. Je lui ai prodigué un calmant. Elle s’est abandonnée. J’ai eu droit à une tirade sur la vacuité des relations amoureuses. Après tout, cet homme n’était pas un gros poisson comme elle en visait. Elle s’était fait rouler. J’étais d’accord. Qu’elle parte avant qu’il ne lui demande de jouer à l’infirmière. J’ai proposé de lui appeler un taxi. Elle a accepté. Comme une offrande qu’on faisait à un dieu, la fille m’a laissé la chatte. D’un seul coup, j’avais toutes les cartes en main. Elle portait un collier rose avec son prénom et le numéro de portable de son maître. À partir de là, j’ai eu un but dans la vie.
Au début, le garçon ne semblait pas tellement ébloui. J’ai placé tout mon cœur dans les publications de mon compte de réseau social. Jamais je n’avais autant voyagé pour créer un contenu séduisant. Accompagnée de ma docile Bretzel, je me suis mise à parcourir le pays en voiture, à conduire comme un gangster dans les rues de Los Angeles, à me payer des chambres d’hôtel incroyables à Las Vegas. Je documentais tout, comme si chaque heure était la dernière. Attisée par la perspective de le revoir un jour, la flamme en mon for intérieur ne cessait de grandir.Oscar ne réagissait pas au début, mais au fur et à mesure, je recevais des commentaires de plus en plus longs. Cela m’encourageait. Jusqu’au jour du drame.
Bretzel et moi étions au Japon. Les macaques des onsen de Hokkaidō nous ont accueillies dans leur jacuzzi naturel. Les singes nous ont fait de la place à côté d’eux, en silence. Soudain, Bretzel a plongé. J’ai cru qu’elle s’était noyée. Quand j’ai enfin réussi à la repêcher, quelque chose clochait. Le vétérinaire m’a ensuite notifié qu’elle avait perdu la vue. C’était la fin. J’en avais trop fait. Jamais Oscar ne me le pardonnerait. J’étais au pied du mur. J’avais abîmé notre lien.Sous la neige, à Hokkaidō, je méditais sur mon sort. Après tout, je n’avais pas eu besoin de qui que ce soit. Les trente années non glorieuses de ma vie affective m’avaient rouillée.
Je ferme les yeux, je me souviens de l’hôpital. J’éprouve la sensation instantanée de ses genoux qui me frôlaient à chaque fois que je lui enfonçais la fine aiguille stérilisée dans les lèvres. Consciencieusement, je terminais mes points. Ses yeux bleus me définissaient, et moi, je l’aimais déjà. Il semblait assez concerné par son état. À chaque fois, je souris, lorsque je le revois en pensée me fixer avec encore plus d’intensité pour me demander :
— Vous savez, mon amie, elle a marché dans une crotte de chien avec ses talons. Vous ne pensez pas que je risque une septicémie sévère ?
La réminiscence de son souffle court, inquiet, et de ses yeux bleus plantés dans les miens, fatigués et lassés des festivités de fin d’année, ne cesse de m’émouvoir.Je me suis lancée dans cette cour incongrue. Lorsque j’ai renoncé à faire semblant d’être une fille hyper cool, nous nous sommes rapprochés pour de vrai. Nous ne nous étions pas revus, mais nous nous écrivions sans arrêt.
Cette année, pour la première fois, je ne suis pas de garde pour les réjouissances de décembre. Moi aussi, je suis attendue. Oscar m’a envoyé ce message : « Promets-moi une chose : plus jamais on ne fête Noël séparément ! »