L’arcane des consciences - Laura Green - E-Book

L’arcane des consciences E-Book

Laura Green

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Beschreibung

Aux confins d'un désert baigné par la lumière de deux lunes, douze adolescents, coupés du reste du monde, sont façonnés dès leur naissance pour devenir des érudits-guerriers d'exception. Parmi eux, seul le plus valeureux sera désigné comme l'élu, destiné à servir l'Impératrice avec honneur. Cependant, alors que leurs destins semblent gravés dans le marbre, une succession d'événements aussi troublants qu'irrationnels vient ébranler leurs certitudes. Contraints de s'engager dans une quête de vérité, ils découvrent des révélations capables de remettre en question les fondements de leur existence et de défier les lois mêmes de leur univers. Leur destinée est-elle réellement celle qu'on leur a promise ?

À PROPOS DE L'AUTRICE

Laura Green a vécu en France, aux États-Unis, au Luxembourg et au Canada, des expériences variées qui ont enrichi son inspiration et nourri sa plume. Passionnée par l'histoire, les sciences et la fantasy, elle s'inspire d'auteurs tels que David Eddings, Tolkien, JK Rowling et José Rodrigues dos Santos. Ses récits, subtils mélanges de fantastique et de science, invitent les lecteurs à explorer des univers où l'imaginaire et la réflexion se rencontrent. De retour en France pendant la pandémie, elle a consacré quatre années à peaufiner son premier roman, "L’arcane des consciences", qu'elle espère voir transporter ses lecteurs autant qu'elle a aimé l'écrire.

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Seitenzahl: 523

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Laura Green

L’arcane des consciences

Le Conclave

Roman

© Lys Bleu Éditions – Laura Green

ISBN : 979-10-422-6257-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À ma fille,

dont la propre histoire a débuté

à peine une semaine après que celle-ci s’est achevée.

À mon mari,

mon compagnon d’aventures, dans la réalité ou sur papier,

et mon ancre dans tous les mondes que nous avons explorés.

Prologue

Le soleil s’était endormi depuis longtemps, pourtant, il régnait toujours une chaleur étouffante. La légère brise ne parvenait pas à rafraîchir l’air sec et brûlant. Les dunes se dessinaient dans la pénombre alors que seules les étoiles et les lunes fournissaient un semblant de clarté. Le désert s’étendait à perte de vue ; vaste et austère pour ceux qui ont le malheur de s’y égarer. Pourtant, ce soir, il semblait paisible, presque accueillant. Un calme absolu y régnait.

Darius profitait de ces derniers instants de tranquillité. Il glissait dans ses mains de petites poignées de sable encore tiède et fixait le ciel étoilé.

Le lendemain, la Semaine de la Sélection commencerait enfin. Le jeune homme avait attendu ce moment toute sa vie. Réussir pour partir. Plus qu’un souhait, un objectif. Tous les jours, il y pensait quand l’impatience agitait ses rêves aussi fort que la combativité faisait battre son cœur. Une idée fixe qui bourdonnait sans jamais s’arrêter.

Depuis quelques années déjà, il se savait prêt à affronter les épreuves. Pourtant, ce soir, seul devant l’immensité du désert et du cosmos, c’est le doute qui habitait son cœur.

Tous les quatre-vingts ans, son Village envoyait un jeune homme ou une jeune fille pour dédier sa vie à la famille impériale et devenir un conseiller influent. Cet honneur était exclusivement réservé aux quatre villages les plus reclus de l’empire – Les Premiers Remparts – dont la mission était d’avertir et de défendre l’Empire en cas d’invasion. Cette tradition remontait à plus de 1 000 ans, à la suite des désolations des Grandes Invasions.

La Sélection de l’Élu était un évènement révéré et grandement attendu. Depuis mémoire d’homme, le principal objectif du Conseil avait été de former un ou une Élu irréprochable. La survie de tous les habitants-guerriers dépendait de ce statut privilégié. Les épreuves seraient impitoyables. Le Conseil des Sages y prenait grand soin.

La compétition pour le titre s’annonçait d’autant plus rude que selon les lois de l’Empire, seul l’Élu avait le droit de quitter le désert. Tous les autres seraient contraints de trouver leur place au village. S’enfuir était proscrit et les déserteurs risquaient la mort. Les villageois vouaient leur vie à surveiller l’horizon, sans jamais rencontrer d’autres âmes que celles de leurs pairs, et des rares marchands qui osaient défier les pistes mouvantes de l’immense mer de dunes.

Darius poussa un soupir en relâchant une énième poignée de sable. Avait-il réellement envie de devenir l’Élu cette année ? Quitter son village et ses Frères et Sœurs pour être au service de l’Impératrice ? Peut-être pas. Hélas, pour vivre la vie à laquelle il aspirait, il n’aurait d’autres choix. Alors, comme tous les jeunes de sa génération élevés au Conclave depuis leur naissance, il se confronterait aux épreuves dans l’espoir d’être victorieux.

Toute sa vie, le Conseil des Sages lui avait rabâché qu’être sélectionné serait le plus grand accomplissement de sa vie. Il apporterait la gloire et la pérennité à tout le Village durant deux décennies. Il vivrait des aventures exceptionnelles à travers l’Empire. Alors cette année, il fallait que ce soit lui.

Un bruissement de tissus et un léger pas sur le sable brisèrent le silence nocturne. Darius tressaillit et se retourna brusquement. Soulagé, il vit Aphéléia avancer doucement sur la dune et s’asseoir à ses côtés :

— À quoi tu penses ? demanda-t-elle en retirant le foulard sombre qui camouflait sa longue chevelure blonde.

— Je me demandais si l’impératrice était célibataire…, répondit Darius, un sourire espiègle aux lèvres.

— Espèce d’imbécile heureux, rétorqua Aphéléia tout en lui assénant un coup dans les côtes. Tu penses vraiment qu’ils te laisseront, toi, approcher de l’Impératrice ?

Aphéléia et Darius éclatèrent de rire, se remémorant les innombrables pitreries qui avaient animé le Conclave une grande partie de leur enfance. Les années n’avaient pas assagi le garçon, bien au contraire.

Darius observa sa Sœur. Son regard vert-gris fixa un instant le doux bleuté de celui de sa Sœur. Il sourit. Darius s’étonnait toujours de la force de leur complicité. Eux, aussi différents que peuvent l’être le sable et le cactus. L’un, espiègle et piquant, toujours prêt à semer la zizanie. L’autre, calme et chaleureuse, attentive aux déconfitures de son intrépide compagnon. Sable et cactus ; incapable de vivre l’un sans l’autre – jusqu’au lendemain matin, où ils seraient seulement deux concurrents pour le même titre.

« Soleil, je t’en prie, ne te lève pas, laisse-nous encore un peu de temps », songea Darius.

Au fond de lui, il ne désirait rien d’autre que de partir pour découvrir le monde et de quitter définitivement ce petit village oublié de tous, où, sans guerre, la vie se coulait d’une agréable monotonie. S’il partait, c’était toute sa vie qu’il devrait abandonner. Aphéléia lui adressa son irrésistible sourire et son cœur se déchira dans sa poitrine.

— Et si l’on allait dormir un peu ? Demain, tout commence, demanda Aphéléia après une longue minute de silence.

— Tu as raison, demain, quoi qu’il arrive, la vie au Conclave se finit !

Son ton enthousiaste ne laissait rien transparaître de son véritable tourment intérieur.

— Si tu es l’Élu, m’écriras-tu une fois au palais ?

— Si je suis l’Élu, bien sûr, autant que je le pourrai ! Et toi, tu m’écriras entre deux plaies recousues, future Grande Doctoresse Impériale ?

Aphéléia sourit poliment.

Bien sûr qu’elle rêvait de devenir Doctoresse Impériale, de travailler aux côtés des plus grands guérisseurs, d’obtenir les connaissances biologiques et anatomiques les plus pointues de son temps et de manier les plantes médicinales les plus rares. Pourtant, elle nourrissait peu d’espoir d’être l’Élue. Sa jambe, blessée durant son enfance et jamais entièrement remise, serait une faiblesse face à ses Sœurs et ses Frères. De plus, elle n’avait jamais entendu dire qu’un Élu faisait de la correspondance avec ses anciens amis d’enfance. Elle n’y croyait pas mais, si Darius était sélectionné, elle l’espérait.

— Comment as-tu su que j’étais là cette nuit ? Et par où sortir ? Tu n’es jamais venue avec nous avant, questionna Darius qui n’avait toujours pas bougé.

— Pas très compliqué, tu es ici presque toutes les nuits alors je me doutais bien t’y trouver ce soir. La dernière nuit au Conclave, je ne m’attendais pas à ce que tu la passes gentiment dans ton lit. Puis, je pensais que tu aurais besoin d’un peu de soutien, je sais ce que ça représente pour toi. Pour ce qui est de trouver la sortie… j’ai mes sources.

— Sacré Maz ! Il aurait pu venir aussi. Merci Aphé, je suis heureux que tu sois venue.

Ils passèrent encore une heure à se remémorer de bons souvenirs, jusqu’à ce qu’Aphéléia étouffe un bâillement signifiant la fin de l’échappée nocturne. Darius se leva et posa un baiser sur le front de sa Sœur. Un baiser de bonne nuit, un baiser de bonne chance et un peu un baiser d’adieu.

Aphéléia se leva à la suite de Darius et dépoussiéra son sarouel du sable qui s’y accrochait.

Les deux fugitifs d’un soir se dirigèrent vers la partie sud du Conclave. Le mur d’enceinte, une grande fortification construite pour restreindre l’accès aux dunes, présentait une fissure suffisamment large pour se hisser jusqu’à la première branche d’un eucalyptus centenaire. Il suffisait ensuite de grimper dans les branches de l’arbre, en profitant de sa délicate odeur mentholée, pour atteindre le sommet du rempart.

Aphéléia tendit la main à Darius pour l’aider à se laisser glisser de l’autre côté. Silencieux et prudents, ils se rapprochèrent de la porte qui donnait sur l’infirmerie, celle-ci n’était jamais fermée. Ils échangèrent un dernier signe de tête, un dernier au revoir muet pour ne pas attirer l’attention des Sentinelles, et se séparèrent pour rejoindre leurs chambres.

Le lendemain, le Conseil annoncerait l’ouverture de la semaine la plus décisive de leur vie.

La course d’orientation

Darius s’accroupit prestement derrière la dune de sable, déclenchant une légère avalanche. Quelques mètres en dessous de lui, il entendit Koros grogner. Darius répondit par un haussement d’épaules à la mine renfrognée de son Frère dissimulée sous le voile brun de son chèche.

— Sémi, articula-t-il en silence.

Koros hocha la tête et posa une main à sa ceinture là où reposait la petite épée de bois que les enfants utilisaient durant leurs séances d’entraînement. Darius fit non de la tête et pointa du doigt la partie opposée de la dune. Ils devaient continuer d’avancer avant que la chaleur ne devienne insupportable.

Ils avaient été réveillés par Sentinelles alors que les dunes reposaient encore dans l’obscurité. La maîtresse d’armes du Conclave, Dame Penthésilée, attendait ses élèves au milieu du terrain d’entraînement. Elle avait annoncé à ses jeunes guerriers et guerrières encore ensommeillés, le départ d’une course d’orientation qui durerait toute la journée. Sa manière à elle de célébrer leur dixième année de vie au Conclave. « Plus que 10 ans avant l’épreuve la plus importante de votre vie », avait-elle annoncé de sa voix dure en guise d’introduction.

— Vous serez répartis en quatre équipes de trois. L’un de vous protégera le médaillon de votre groupe, un autre sera garant de l’unique gourde et le dernier aura droit à une épée en bois. La première équipe qui atteindra l’oasis avec son médaillon remportera l’épreuve.

— Et si plusieurs équipes y arrivent ? avait demandé Sémiramis, toujours pragmatique, mais dont les yeux dorés brillaient d’excitation.

— L’équipe qui aura dérobé le plus de médaillons aux autres sera désignée vainqueur même si elle arrive plus tard, déclara la maîtresse d’arts martiaux.

Son regard dur balaya les rangs formés par les douze Conclaviens aux visages encore rebondis par les traits de l’enfance. Malgré leur aspect juvénile, une concentration extrême émanait de la petite troupe.

La petite Octavia, dont les boucles de feu semblaient bouder leur nuit raccourcie, leva la main. Penthésilée fit signe de la tête.

— Vers quelle oasis devons-nous aller ? Il y en a plusieurs dans les environs…

— Les Sentinelles vous guideront à vos différents points de départ et vous donneront une carte avec la destination. D’autres questions ?

Penthésilée se déplaça tel un sphinx, silencieuse et redoutable, devant sa petite armée. Elle sortit un parchemin de son bustier de cuir noir et, en réponse au silence de ses élèves, commença la répartition.

Darius s’était retrouvé dans le même groupe que Koros et Aphéléia – et il en était très satisfait. Son Frère, bien que légèrement plus petit que lui, était déjà plus trapu et massif pour son jeune âge. Reconnu parmi les Conclaviens pour être le boute-en-train du groupe, il savait être efficace quand la situation l’exigeait. Hormis son tempérament parfois bougon, avoir Koros dans son groupe était une aubaine.

Il n’avait, en revanche, pas pu se retenir de pouffer à l’annonce du groupe de Maz. Ce dernier avait levé ses grands yeux noirs au ciel en découvrant qu’il ferait équipe avec Sémiramis, leur Sœur qui adorait commander, et Egil, leur Frère qui détestait ne pas avoir le dernier mot.

— Tu as trop de la chance d’être avec Koros et Aphé… avait chuchoté Maz à Darius en s’approchant pour prendre une épée de bois.

L’accoutrement le rendait redoutable, pourtant il soupira de dépit.

À dix ans, Maz était déjà plus grand que tous ses Frères d’une bonne tête, et ses muscles commençaient à ressortir sous sa peau d’un brun profond. Pour ne pas être gêné durant la course, il avait attaché ses cheveux noirs sous un morceau de tissu qui lui servait de bandana. Malgré sa carrure imposante, il avait un caractère doux et évitait le conflit à tout prix. Maz le savait, Sémiramis et Egil ne lui laisseraient pas l’occasion d’en placer une.

Darius lui adressa une moue désolée avant de rejoindre Aphéléia. Celle-ci fit un signe de main encourageant à Maz qui lui répondit par un sourire. Puis, il se dirigea vers son propre groupe où son Frère et sa Sœur se chamaillent déjà la garde du médaillon.

Dans leur village, Frères et Sœurs avaient une signification bien différente du sens commun qu’ils étudiaient dans les livres. Ici, aux fins fonds du désert, les enfants n’avaient pas de parents à proprement parler. Dès leur naissance, les enfants du village étaient élevés au Conclave afin d’y être instruits.

Le Conclave était une grande bâtisse de terre ocre encerclée d’un immense mur d’enceinte où deux tours carrées servaient de quartiers aux Sentinelles et aux serviteurs. La troisième tour abritait les télescopes et lunettes nécessaires aux cours d’astronomie. Dans la dernière tour, au premier étage, se situait le dortoir des filles et au second, le redouté bureau du directeur. Le bâtiment était entrecoupé de patios et de jardins arborés reliés par des arches de pierres somptueusement ouvragées.

Les enfants ne sortaient de ses murs qu’à l’occasion des deux fêtes annuelles ou sous demande expresse d’un membre du Conseil dans le cadre de leur apprentissage.

En quelques minutes, tous les Conclaviens s’étaient équipés et avaient suivi les Sentinelles qui les menaient à leur point de départ. Depuis leur réveil, ils n’avaient eu aucun répit, pas même le temps de grignoter une datte séchée avant de partir en mission.

Après une heure de marche dans les pas de leur guide, Darius, Aphéléia et Koros s’étaient retrouvés seuls au milieu des dunes. Les rayons de soleil apparaissent à peine à l’horizon. Le groupe avait pris quelques minutes de réflexion avant de s’élancer à la recherche de l’oasis désignée par la carte de Penthésilée. Leur stratégie serait celle du renard des sables. Invisibles et silencieux mais intraitables en cas d’attaque. Ils s’étaient réparti les rôles et les objets à leur disposition. Aphéléia serait éclaireuse et partirait en tête avec la carte. Elle laisserait des signes dans le sable pour indiquer le chemin à ses compagnons. Koros aurait l’épée, il était le plus épais des trois et leurs adversaires penseraient sûrement qu’il défendrait ainsi le médaillon. Or, le précieux collier ainsi que la gourde avaient été attribués à Darius.

Leur stratégie était simple, avancer le plus rapidement possible vers l’oasis sans se faire prendre le médaillon et, s’ils en avaient l’occasion, ils voleraient ceux des équipes adverses.

Satisfaits de leur plan, ils se mirent rapidement en route, profitant des premières lueurs du jour et de la température encore clémente. Les trois compères passèrent la matinée à arpenter les dunes. Aphéléia avançait toujours en tête, silencieuse comme une ombre, laissant de ses petits doigts fins des traces subtiles pour indiquer sa position à ses Frères.

Toutes les deux heures, le trio se retrouvait pour faire un point et boire une gorgée d’eau.

— On est tout près du groupe de Sémi, chuchota Aphéléia en se glissant entre ses deux Frères allongés au pied d’une dune, essayant vainement de se protéger des rayons de soleil brûlants.

Darius lui répondit qu’ils les avaient aperçus aussi.

— On est aussi passé tout près de celui d’Octavia. Elle semblait épuisée, continua Aphéléia en saisissant la gourde que Darius lui tendait.

— Moi aussi… répondit Koros en s’allongeant dans le sable en position fœtus. Il fait trop chaud, j’en ai marre !

— On a tous chaud et soif. Mais on ne peut pas abandonner ! Pense à la Sélection, tu veux devenir l’Élu ou pas ? le sermonna sa Sœur.

Koros marmonna une phrase inintelligible et se recroquevilla, les bras au-dessus de la tête pour se protéger des rayons du soleil qui le martelaient.

— On est encore loin de l’oasis ? demanda Darius.

— Non, à quelques heures seulement, on avance plutôt vite.

— As-tu vu les autres groupes ?

Aphéléia le regarda en haussant un sourcil, un petit sourire aux lèvres, fière de son rapport d’éclaireuse.

— J’ai quelques infos, oui. Le groupe de Maz a réussi à voler le médaillon au groupe de Porthos.

— Éris devait être furieuse, bien fait ! lâcha Koros qui était sorti de sa léthargie pour écouter le rapport d’Aphéléia avec attention.

Darius se leva pour se dégourdir les jambes.

— La bonne nouvelle, je connais la stratégie de Maz, Sémi et Egil.

Aphéléia esquissa un sourire en se remémorant la scène à laquelle elle avait assisté quelques minutes plus tôt. Sémi et Egil, tels deux commandants, qui tentaient de convaincre leur Frère que leur plan d’attaque les mènerait indéniablement à la victoire. Maz bien avait bien tenté de s’exprimer mais voyant que c’était peine perdue, il avait capitulé dans un haussement d’épaules.

— Et c’est quoi leur fameuse stratégie ? demanda Koros railleur.

— Dérober tous les médaillons avant que les équipes puissent arriver à l’oasis.

— Ils ont déjà volé un médaillon et n’ont pas d’informations sur notre équipe ni celle d’Octavia, réfléchit Darius à haute voix en faisant les cent pas face à ses camarades. Ça veut dire que soit ils prennent le risque d’aller à l’oasis, de ne pas être les premiers et d’être à égalité avec une autre équipe – ce qui les ferait perdre, soit ils décident de voler un troisième médaillon…

— Dans ce cas, ils sont sûrs d’être victorieux, termina Aphéléia.

— Ils vont attaquer une dernière équipe, c’est sûr… soupira Koros. Je vois mal Sémi et Egil risquer de perdre s’ils ont une chance de s’assurer la victoire.

— Je suis d’accord, confirma Darius en jetant un nouveau coup d’œil à la carte.

— Nous sommes tout proche de l’oasis… et nous sommes difficiles à trouver car on avance séparés.

— On doit les trouver et leur voler les médaillons avant qu’ils ne trouvent le groupe d’Octavia et se dirigent vers l’oasis ! s’exclama Koros à demi-voix.

Aphéléia hocha doucement la tête, relativement d’accord avec son Frère. Darius ne répondit pas. Il s’accroupit et murmura :

— J’ai une autre idée… mais pour ça, il faut qu’on reste discret le temps que le groupe de Maz vole le médaillon de l’équipe d’Octavia.

— Quoi ?! Tu es fou, si on attend, ils vont forcément gagner avec trois médaillons ! s’exclama Koros incrédule.

Aphéléia scrutait Darius, l’air suspicieux, comme si elle cherchait à entrer dans la tête de son Frère pour trouver la logique de son plan.

— Quelles sont honnêtement nos chances de battre l’équipe de Maz, Egil et Sémiramis en combat ? demanda Darius en regardant tour à tour son Frère et sa Sœur.

Koros ouvrit la bouche pour répliquer mais Aphéléia ne lui en laissa pas le temps.

— Ils sont redoutables. Maz et Egil ensemble sont deux défenses infranchissables et Sémi donnera tout ce qu’elle a pour protéger son médaillon et mener son équipe à la victoire. Les chances ne sont pas de notre côté.

— Mais… on est tous les trois de bons combattants ! s’indigna Koros en sautant sur ses pieds, sa petite épée de bois virevoltant entre ses mains.

— Je n’ai jamais dit le contraire… répliqua Aphéléia en lui faisant signe de baisser le son de sa voix.

— Aphéléia a raison, renchérit Darius. Maz, Egil et Sémi en combat singulier, prêts à tout pour conserver leurs médaillons et remporter l’épreuve, on va se faire laminer…

— Tu proposes quoi alors ? bougonna Koros peu convaincu en se rasseyant lourdement.

— On attend qu’ils trouvent Octavia, Naga et Embet.

— Si on suit ton raisonnement, ça va être pareil pour eux, ils vont avoir du mal à les battre.

— Parfaitement, mais eux aussi vont se battre comme des démons pour éviter de se faire éliminer.

— Comme on le ferait nous…

Darius acquiesça avec un grand sourire malicieux.

— Maintenant, dites-moi, que se passerait-il si une équipe leur tombait dessus juste après un combat acharné ?

— Nos chances seraient beaucoup plus grandes, car ils seraient épuisés, contrairement à nous ! s’exclama Aphéléia qui comprenait où son Frère voulait en venir.

— C’est malin, commenta Koros. Pas très loyal, mais malin.

Darius haussa les épaules, mimant une moue faussement désolée.

— En plus, nous serions automatiquement vainqueurs…

— Nous déroberons tous les médaillons en une seule fois ! Un coup de génie ! s’exclama Koros qui s’était remis sur ses deux pieds si vite qu’il perdit l’équilibre et laissa échapper un juron.

— Discrétion Koros ! Si on veut que le plan fonctionne, on ne doit pas se faire remarquer, lança Aphéléia en le menaçant de l’épée en bois qu’il avait laissée à ses côtés.

— En revanche, on n’est même pas sûr que les deux équipes se rencontrent à un moment, maugréa le garçon un peu penaud.

— C’est vrai, mais on pourrait y participer, répliqua son Frère.

— Si on continue à se séparer comme on l’a fait, je pourrais vous indiquer la position d’une première équipe et ensuite partir à la recherche de la seconde, continua Aphéléia, l’œil pétillant de malice.

— Parfait, comme ça tu sauras dans quelle direction entraîner la seconde équipe !

L’excitation de Darius était palpable alors que Koros affichait une moue dubitative.

Une fois leur plan d’action établi, Aphéléia prit une dernière gorgée d’eau, remit son chèche sur son visage et repartit seule dans l’immensité aride du désert. Les deux garçons la regardèrent s’éloigner un instant puis Darius mit la gourde à la bouche pour, lui aussi, se désaltérer. Au moment où le liquide salvateur toucha ses lèvres, il comprit qu’il n’y en aurait pas assez pour deux. L’eau tiède avait à peine eu le temps d’hydrater sa bouche qu’il se tourna vers son Frère et lui tendit la gourde. Koros la saisit avidement, la gorge asséchée par les heures de privation et la chaleur qui le faisait transpirer à grosses gouttes.

— C’est la dernière gorgée ! s’exclama celui-ci un peu affolé.

— Vas-y, c’est la tienne, mentit Darius. Si tout se passe comme prévu, dans pas longtemps, on sera au frais dans l’oasis.

Koros hocha la tête, rassuré par le ton convaincu de son Frère.

— C’est parti ! annonça Koros revigoré en accrochant la gourde vide à côté de son épée.

Darius hocha la tête et réajusta son chèche en déglutissant péniblement. Il préférait encore souffrir de la soif que de la mauvaise humeur de son Frère.

Les deux garçons marchèrent une bonne heure en suivant les discrètes traces laissées par Aphéléia. Puis, après plusieurs signes uniquement directionnels, Aphélia ajouta trois lettres « S.E.M » en leur indiquant le sommet de la dune face à eux. Elle les avait guidés vers le groupe formé par Sémiramis, Egil et Maz. Ils devaient se montrer extrêmement prudents.

Darius et Koros commencèrent l’ascension de la pente et arrivés au sommet, ils passèrent discrètement la tête par-dessus la crête. De l’autre côté, le sable se transformait en une vaste plaine rocailleuse où se dressaient quelques herbes et arbustes propices à la dissimulation. À plusieurs mètres de là, leurs Frères et Sœurs se reposaient, à l’ombre des feuilles d’un mopane.

Les deux garçons décidèrent d’attendre que leurs concurrents reprennent leur chemin avant de descendre la dune. La savane s’étendait encore sur plusieurs kilomètres, et au loin se dressait une colline rocheuse. Darius jeta un dernier coup d’œil à la carte, l’oasis indiquée par Penthésilée se trouvait juste après.

Darius et Koros attendirent une demi-heure après le départ de Maz, Sémi et Egil avant de descendre de leur dune et d’entamer leur discrète filature.

Arrivé à quelques centaines de mètres de la colline, Maz posa une main sur l’épaule d’Egil, lui désignant quelque chose au sol. Les deux comparses se détachèrent pour aller vérifier leurs doutes.

Sémiramis, qui avançait en tête, ne s’aperçut de leur échappée que plusieurs minutes après. Celle-ci les rejoint rageusement, les disputant de ne pas l’avoir suivie. Egil fronçait les sourcils, ses volumineux bras blancs roussis par le soleil croisés devant sa poitrine. Il refusait de se laisser impressionner par la petite fille colérique qui se prenait pour la cheffe de leur groupe. Maz, quant à lui, bien que mesurant plus d’une tête et demie que Sémiramis, semblait mal à l’aise face aux remontrances de sa Sœur. Il tenta de la calmer en expliquant la raison de leur détour. « Des traces de pas, relativement récentes. Quelqu’un vient de passer par là ».

Sémiramis oublia instantanément son irritation et arbora un sourire carnassier. D’un geste fort théâtral, elle dégaina l’épée de bois, la pointa dans la direction que prenaient les empreintes et se mit à courir, laissant ses deux Frères surpris par ce changement soudain d’attitude. Egil secoua la tête par principe mais dans ses yeux bleus brillaient les braises de l’excitation du combat et le feu ardent du triomphe à porter de main. Il ne réfléchit pas une seconde de plus et se lança dans l’ascension de la pente face à eux. Maz soupira et, d’un pas nonchalant, partit rejoindre ses camarades.

À plusieurs mètres de l’équipe adverse, Darius et Koros avaient observé discrètement la scène, allongés derrière des commiphores à moitié desséchées. Les deux complices se jetèrent un regard satisfait. Ils ne doutaient pas que la trace de pas était une fausse piste laissée par Aphéléia. Tout se passait comme prévu. Koros s’apprêtait à se relever quand Darius posa une main sur son épaule, le contraignant à rester à plat ventre. Arrivé à mi-chemin, Maz se retourna et se mit à scruter les environs. Darius et Koros retinrent leur souffle. Ils n’étaient pas passés loin de se faire repérer. Au bout d’une minute bien trop longue au goût de Sémiramis, Maz fut rappelé à l’ordre et rejoignit ses camarades au sommet.

— On a eu chaud, chuchota Koros encore sous le coup de l’émotion.

— Maz se doute de quelque chose.

— C’est impossible !

— Il a de très bons pressentiments, on doit être très prudents.

Les deux garçons attendirent encore une dizaine de minutes afin de ne plus apercevoir leurs trois rivaux avant de quitter leur position.

— J’espère que tout va bien pour Aphéléia et qu’elle a pu trouver la dernière équipe, chuchota Koros.

— Pour le moment, elle a l’air de bien s’en sortir.

La montée leur parut interminable. La terre, rouge et friable, se détachait sous leurs pieds, les obligeant à avancer en diagonale au risque de trop s’éloigner de leur cible. Arrivé au sommet, Koros passa une tête discrète par-dessus la crête.

— Ils sont en bas. On ne doit plus être très loin de l’oasis, le sol est plus clair et il y a un peu plus de plantes, commenta-t-il pour Darius en dessous de lui. Oh attends ! Je vois quelque chose ! On dirait… oui, c’est ça ! Le groupe d’Octavia ! Oh ! Sémi, la repérée aussi ! Ahah ! Ça va barder !

— Attends ! Moi aussi, je veux voir !

Darius monta au niveau de son Frère pour assister au spectacle. La bataille allait être féroce. Les deux garçons étaient tellement happés par la scène qui se produisait à quelques mètres au-dessous d’eux qu’ils n’entendirent pas les pas arrivés derrière eux.

— Alors, ils en sont où ?

Koros eut un haut-le-cœur et Darius se retourna d’un mouvement brusque, les poings en position d’attaque.

— Aphé ! s’exclama-t-il après avoir reconnu sa Sœur, Koros a failli se faire dessus, ce n’est pas très sympa.

L’intéressé donna un coup de poing dans l’épaule de son Frère pour marquer sa désapprobation.

— Aie ! s’exclama Darius, feignant une terrible douleur à l’épaule.

Koros allait armer son poing une seconde fois pour faire passer l’envie à son Frère de se moquer de lui mais Aphéléia mit fin à leurs enfantillages.

— Concentrez-vous, ce n’est pas le moment de faire les zouaves !

Koros baissa le bras en faisant une grimace menaçante à l’encontre de Darius. Ce dernier baissa la tête devant Aphéléia en prenant un air faussement contrit.

— Pardonnez-nous, Dame Aphéléia, pour ces puérilités indignes de votre simple présence… mais aïe !

Cette fois, la douleur n’était pas simulée. Sa Sœur venait de lui mettre un second coup de poing dans l’épaule.

— Ça t’apprendra à te ficher de moi !

— Bien fait ! commenta Koros heureux d’avoir été vengé.

— Bon alors, ils en sont où ? répéta Aphéléia, en s’approchant du bord à plat ventre.

Le combat était épique. Personne ne voulait laisser de terrain à l’adversaire. La victoire allait se jouer à la force mentale des participants et ceux dont la fatigue prendrait le dessus seraient déclarés perdants.

Avantagés par leurs musculatures, l’une ivoire et l’autre ébène, Egil et Maz, dos-à-dos, formaient une barrière impénétrable autour de Sémi. De leur Sœur, on ne percevait que le bout de l’épée qui s’agitait avec véhémence et les injures qu’elle lançait à ses adversaires.

— C’est Sémi qui doit avoir les médaillons, suggéra Koros.

— À qui d’autres veux-tu qu’elle les ait laissés ! commenta Aphéléia en riant.

Après dix minutes d’attaque et de défense acharnées, les six adversaires commençaient à montrer des signes de faiblesse.

Soudain, un violent coup de pied retourné d’Egil propulsa Naga sur Octavia qui se battait contre Sémi. La jeune guerrière rousse heurta le sol et le médaillon qu’elle portait autour du cou jailli de sa cachette. Octavia rampa pour s’éloigner au plus vite de ses adversaires. Naga, toujours au sol, reprenait difficilement sa respiration et ses esprits. Embet cessa ses coups d’épée contre le puissant bras de Maz pour se placer aux côtés d’Octavia et protéger le médaillon. C’était trop tard.

Dans un même mouvement, Egil, Maz et Sémi se jetèrent sur Octavia. Ce fut rapide.

Darius entendit le bras d’Embet craqué sous la prise d’Egil. Maz fonça sur la pauvre Octavia et, malgré un dernier coup de poing désespéré reçu dans la mâchoire, il la plaqua lourdement au sol et Sémiramis lui arracha le médaillon.

— C’est fini, annonça simplement Maz.

Dans l’immensité du désert se mêlèrent les cris de victoire de Sémi et Egil ainsi que le hurlement de rage d’Octavia. En quelques minutes, trois Sentinelles apparurent pour raccompagner l’équipe vaincue au Conclave.

— On a réussi ! On a gagné ! s’exclama Sémi avant de s’étaler sur le sol, épuisée.

— On n’a pas encore tout à fait gagné… commença Maz en cherchant la carte qu’il avait dans la poche de son sarouel.

— Détends-toi un peu Maz ! On a tous les médaillons, il ne nous manque plus qu’à rejoindre l’oasis.

Egil s’étala aux côtés de Sémiramis. Il avait sué à grosses gouttes durant le combat. Bien que né dans le désert, il supportait extrêmement mal les hautes températures.

— On n’a pas encore croisé l’équipe de Darius… continua Maz, en se massant la bouche où Octavia l’avait frappé.

— On s’en fiche ! On a tous les médaillons, ils ne peuvent pas gagner même s’ils arrivent les premiers, commenta Sémi.

Alors qu’elle prononçait ses mots, Aphéléia et Koros apparurent au sommet de la colline.

— Tu vois ! s’écrira Sémi, ils sont là ! C’est parfait.

Au moment où la jeune fille croisa le regard d’Aphéléia, celle-ci se dépêcha de remettre le médaillon qu’elle portait négligemment autour du cou à l’intérieur de sa chemise. Au même moment, Koros fit un signe provocateur vers ses adversaires.

— À l’attaque ! cria Sémi en saisissant son épée.

— Tu rigoles ! Encore, un combat comme ça et mon cœur va exploser ! s’exclama Egil, peu satisfait à l’idée de repartir sur un nouveau round.

— Non, cette fois ça va être facile. C’est Aphé qui a le médaillon.

Egil rassuré de savoir où concentrer ses attaques se releva prêt à combattre. La victoire serait encore plus belle avec tous les médaillons en main. Maz secoua la tête et tenta de convaincre ses partenaires que le combat était inutile. Il leur suffisait de rejoindre l’oasis pour gagner.

Aphéléia et Koros après avoir longé la crête sur quelques mètres s’arrêtèrent. Koros, épée en main, raillait copieusement ses adversaires. Sémiramis, furieuse, s’égosillait, lui ordonnant de descendre se battre avec elle. Koros continuait ses provocations.

— Koros ! Tu n’as pas honte de fuir ! Viens te battre ! rugit Egil, piqué par la dernière insulte de son Frère à son égard.

— Si tu veux te battre, tu n’as qu’à monter ! cria Koros à son tour.

— Si je monte, tu vas prendre une raclée !

— Tu parles, tu es épuisé, tu ressembles à un pauvre cactus desséché ! Et Sémi, tu ne tiens même plus sur tes jambes. C’est un cadeau qu’on vous fait de ne pas descendre, continua Koros.

À plusieurs mètres de Koros, toujours au sommet de la colline, Aphéléia s’assit pour assister à la scène en riant. Soudain, Maz s’approcha d’Egil qui trépignait de rage et lui glissa un mot à l’oreille. Le jeune homme blond se calma et un sourire carnassier apparut sur son visage.

Koros n’était plus qu’à quelques mètres du bas de la colline et continuait ses assauts verbaux. Soudain, Maz hocha la tête et les deux titans usèrent de leurs dernières forces se ruer sur la pente le plus rapidement possible. Koros s’arrêta net, horrifié de voir ses Frères franchir à grands pas la courte distance qui les séparait. Or, il n’était pas la cible. Tout juste un obstacle qu’Egil balaya de sa puissante main.

Aphéléia se releva d’un bond, et regarda, pétrifiée, ses deux Frères gagner du terrain. La pente était bien moins raide de ce côté de la colline et Egil, tout haletant, arriva rapidement au sommet. Aphéléia recula et se mit en position de défense, une main cramponnée au médaillon à son cou. Egil n’était qu’à quelques mètres de sa Sœur quand Maz eut une illumination.

— Où est Darius ?! C’est un piège !

Au moment où il prononçait sa phrase, le cri de Sémiramis retentit.

Un puissant coup de pied dans le dos la prit par surprise et elle s’étala de tout son long, plaquée au sol par le poids de Darius assis sur son dos. Le dernier du trio profita de la surprise de son adversaire pour lui lier les mains avec son chèche soigneusement préparé.

Maz et Egil regardèrent la scène avec stupeur. Trop tard. Darius avait déjà arraché les trois médaillons du cou de sa Sœur, laissant de légères marques rouges sur son cou hâlé.

— On a gagné ! s’écria-t-il en brandissant bien haut les médaillons en direction de Koros et Aphéléia.

Un nouveau cri de désespoir s’éleva du désert, celui de Sémiramis, accompagné par les insultes d’Egil qui tapait rageusement du pied. Seul Maz descendait de la colline avec un détachement certain.

— Je pense que tu peux libérer Sémi, dit-il, en s’approchant de Darius toujours perché sur le dos de sa Sœur en colère.

— Tu rigoles ? Si je la libère maintenant et que je suis à moins de 3 km, elle va m’arracher la tête, répondit Darius en rigolant.

— Tu crois pas si bien dire, cracha l’intéressée.

Maz tendit une main vers Darius pour l’aider à se relever et celui-ci l’accepta de bon cœur. Au moment où il se sentit soulevé par son Frère, il comprit que le piège se refermait sur lui. Maz en profita pour lui faire une clé de bras et le propulsa à terre avant de s’affaler sur lui de tout son poids.

— Ça, c’est pour t’être moqué de nous, vers de terre ! rugit Maz en riant sous les supplications de son Frère

***

Après leur course folle dans le désert, les jeunes guerriers et guerrières eurent à peine le temps de rentrer au Conclave pour se débarbouiller que la cloche sonna l’heure du dîner.

Maz s’assit à côté de Darius à la table du réfectoire. Une table en bois d’acacia, tout ce qu’il y a de plus banal, autour de laquelle deux grands bancs servaient d’assise pour les douze Conclaviens. Tous avaient le nez plongé dans leurs assiettes, exténués par leur rude journée.

Dame Apitaca servait les rations fort trop petites au goût de Maz. Bien que jeune, il était déjà plus grand d’une bonne tête que ses Frères et constamment affamé. La course d’orientation et l’intensité des derniers combats lui avaient demandé de puiser dans une réserve d’énergie qu’il ne pensait pas posséder. Il avait tenu bon tout le long de l’épreuve mais, depuis quelques heures, son estomac lui faisait comprendre sa détresse. Alors qu’Apitaca passait autour de la table pour distribuer un bout de pain à chacun, Maz, de toute son innocence, osa lui en demander un deuxième. Requête tout à fait légitime considérant les grognements qui résonnaient dans la salle. La cantinière, outrée de l’insolente requête, lui avait mis un coup de baguette sur les doigts et privé de sa ration de pain.

— Nous vivons dans un désert, chaque morceau de pain est une offrande et ne doit pas être gaspillé par la gloutonnerie. Que cela te serve de leçon à l’avenir, avait-elle grondé avec sa voix sévère.

Le jeune garçon sentit les larmes lui monter aux yeux de rage mais préféra se concentrer sur son assiette de légumes, ignorant les supplications de son estomac. À la suite de cet incident, aucun autre enfant n’avait osé prononcer autre chose qu’un « merci » lors de la distribution d’Apitaca.

À la fin du repas, les garçons et les filles furent reconduits aux dortoirs par les Sentinelles qui ne leur prêtaient aucune attention. De leur naissance jusqu’à l’âge de 15 ans, filles et garçons avaient tous une petite chambre individuelle dans le même couloir. Dans cinq ans, les jeunes femmes rejoindraient une autre aile du Conclave, mais pour l’heure, ils partageaient tout ; de la même salle de bain à la salle commune.

Maz marchait à l’arrière, les poings serrés, le cœur toujours gros de la remontrance qu’il venait de recevoir pour un simple morceau de pain. Soudain, une main compatissante se posa sur son bras. Aphéléia, avec son visage rond et ses grands yeux bleus, le regardait.

— Dame Apitaca n’a vraiment pas été agréable avec toi… moi aussi j’aurais bien aimé un autre bout de pain… avoua-t-elle à demi-mot.

Elle lui fit le plus charmant des sourires et la morosité de Maz s’envola aussitôt.

— Merci Aphé, c’est bien la dernière fois que je me risquerai à demander quelque chose.

Ils arrivèrent devant la porte des dortoirs. Tous leurs camarades se dirigèrent vers la salle commune pour continuer à retracer les épopées, sauf Darius, qui s’arrêta. Il fixa Maz et Aphé et leur fit signe de le rejoindre dans sa chambre. Maz jeta un regard interrogateur à Aphéléia qui lui répondit par un hochement d’épaules. Elle n’avait aucune idée de ce que leur Frère tramait. Ils se dirigèrent vers la petite cellule où Darius les attendait.

Il était assis sur son lit, un immense sourire illuminait son visage. Devant lui se tenait une petite serviette sur laquelle étaient posés 3 petits morceaux de pain.

— Bon appétit les amis !

Maz, qui avait déjà retrouvé sa bonne humeur grâce aux paroles réconfortantes d’Aphéléia, ne put s’empêcher de sourire à pleines dents alors que sa Sœur ouvrait de grands yeux incrédules.

— Comment as-tu pu voler trois morceaux de pain sans te faire voir ?! s’exclama-t-elle.

Maz rejoignit son Frère sur le lit et croqua à pleine dent dans le quignon. Darius saisit un autre bout de pain et le lança à sa Sœur qui l’attrapa au vol. Elle aussi souriait en mettant sa première bouchée en bouche.

— Facile, Apitaca était tellement occupée à sermonner Maz qu’elle ne s’est même pas rendu compte que je piquais dans son panier, répliqua Darius.

— Tu aurais pu te recevoir une raclée si elle t’avait vu… ajouta Maz, toujours aussi heureux.

— Peut-être, mais le bruit de ton ventre me disait que ça valait le coup ! rigola Darius en donnant un petit coup dans l’épaule de son copain.

Les trois amis savourèrent leur festin volé qui scella définitivement leur solide amitié.

Le cours de rhétorique

Une année s’était écoulée au rythme des cloches du Conclave. Celles qui sonnaient le réveil avaient retenti au moment où l’aurore éclatait et, comme tous les matins, les élèves s’étaient regroupés dans l’Atrium. Ils avaient attentivement écouté le directeur annoncer leur emploi du temps. Puis, en petits groupes, ils s’étaient dirigés soit vers leur salle de classe, soit vers l’arène pour un cours de combat, soit vers la cuisine pour recevoir la liste des corvées du jour.

— Moi quand je serai l’Élu, je serai le Commandant des Légions et je défendrai tout l’empire ! clama Koros, le torse bombé au milieu de joyeux brouhaha de ses Frères et Sœurs.

Ils se dirigeaient vers la dernière salle de classe en longeant le couloir orné de hautes arches ouvertes sur le paisible jardin du Conclave.

— Moi, je serai Ambassadeur et je découvrirai de nouveaux territoires. Je resterai dans les livres d’Histoire comme l’Élu le plus aventurier ! enchérit Darius tout en saisissant au passage une sauge du désert.

— Arrêtez de rêver, aucun de vous deux ne sera l’Élu, répliqua fermement Sémiramis le menton relevé entouré de ses Sœurs qui pouffaient.

— L’Élu doit savoir utiliser sa tête, pas que ses muscles ! continua Octavia qui rigolait bêtement.

— Je suis plus intelligent que toi déjà ! rugit Koros piqué à vif.

Le petit groupe continua de se chamailler en attendant devant la porte de bois derrière laquelle maître Quintilien leur prodiguait les rudiments de l’art de la conversation, de la persuasion et de la diplomatie. La porte s’ouvrit et les huit enfants se turent. Le professeur les toisait, l’air sévère et renfrogné.

— Entrez et en silence.

Ils se hâtèrent vers les tapis aux couleurs jadis vibrantes, usés jusqu’à la corde. Les enfants formèrent un arc de cercle dans la pièce rectangulaire et attendirent l’ordre du professeur.

— Assis ! cracha Maître Quintilien en observant chacun des élèves de son regard bleu qui glaçait le sang. J’espère que vous avez bien révisé vos leçons pour aujourd’hui. Je vous préviens, je ne suis pas d’humeur.

En effet, le professeur semblait épuisé. Sa peau d’ordinaire blanche laiteuse ressemblait à un vieux lait caillé, presque grisé. De grands cernes violets dessinaient des crevasses sous ses yeux et sa moustache couleur blé ressemblait plutôt à un balai trop utilisé.

Le silence qui planait dans la salle de classe laissa place à une tension presque oppressante.

— Sémiramis, quelles sont les trois dimensions de la preuve théorique ?

— Éthos, Logos et Pathos, Maître, répondit la jeune fille d’une voix assurée.

— Correct. Darius, qu’est le Logos ?

Darius fronça un peu les sourcils, il avait lu la définition la veille en coup de vent et il hésitait. Une chance sur deux…

— Les arguments de l’orateur.

— Une définition bien fade que je ne pense pas avoir énoncée de la sorte. J’attends mieux ! Quelqu’un pourrait-il nous donner la définition exacte ?

Le professeur faisait les cent pas devant ses élèves, soutenant leurs regards effarouchés.

— Les arguments que l’orateur soumet au jugement du public, explicita Octavia à côté de Sémiramis.

— Je ne pense pas t’avoir donné l’autorisation de parler. C’est néanmoins la bonne définition.

Octavia piqua un fard alors que ses yeux lançaient des éclairs, alors que le professeur menaçait ses jeunes élèves d’une visite dans le bureau du directeur au moindre prochain manquement. Appuyé sur son bureau, les sourcils froncés, il observa un instant la silencieuse assemblée devant lui.

Puis, il se dirigea vers une étagère au fond de la salle et prit une petite boîte en bois. Il l’ouvrit, et annonça le thème de la journée : une mise en situation. Chaque élève piocherait un papier contenant un personnage à interpréter et un objectif à atteindre. Le but était simple. Celui ou celle qui parviendrait à atteindre son objectif par la force de son discours remporterait le duel. Il posa la boîte en bois au centre du demi-cercle formé par les Conclaviens et ordonna à Octavia et Embet de se lever.

Les deux fillettes obéirent un peu déboussolées. C’était la première fois que leur professeur leur faisait mettre en pratique ses enseignements et elles n’avaient pas bien compris de quoi il s’agissait. Octavia plongea la main dans la boîte en bois et tira un papier. En le dépliant, elle lut :

Forgeron

Objectif : Convaincre un client de le laisser réparer une épée d’une valeur inestimable.

La surprise se lit dans les yeux écarquillés de la jeune fille qui se tourna vers sa Sœur. La perplexité se lisait également sur son visage.

— Dépêchez-vous ! aboya Maître Quintilien, les traits du visage contorsionnés par le mépris.

— Euh… bonjour, bienvenue à la forge, commença Octavia peu sûre d’elle.

D’après le soulèvement de sourcil de sa Sœur, son rôle ne devait pas la conduire dans une forge.

— Euh… bonjour forgeron, désolée, je suis un peu pressée… je dois me rendre au lavoir.

— Au lavoir ?! répéta Octavia cherchant comment diable elle allait pouvoir amener son histoire d’épée. Ah, mais oui ! Le lavoir, je devais y aller également, malheureusement je n’ai pas encore eu le temps avec tout ce travail. J’imagine que vous avez une tâche très importante à accomplir.

— En effet, je dois m’occuper des affaires du roi avant qu’il ne reparte à la guerre.

« Bingo ! » songea Octavia, la guerre collait parfaitement avec les épées. En plus maintenant, elle connaissait l’objectif de sa Sœur.

— Oh ! Vous êtes sous les ordres directs du roi ! s’exclama Octavia feignant l’admiration. Peut-être pourriez-vous glisser un mot à sa majesté de ma part, lui recommandant mes services ? Je fais les meilleurs fers à cheval en ville !

Elle avait décidé de mener sa Sœur sur une fausse piste. Embet, persuadée qu’il s’agissait de son véritable objectif, prit un air faussement contrit mais une pointe de malice passa dans son regard.

— Malheureusement, sa majesté possède déjà de forts bons fers pour ses chevaux.

— Je comprends, pourtant il serait ravi de mes services… peut-être pourrait-il m’accorder une audience cet après-midi ?

— Je vous promets de toucher un mot à sa seigneurie en votre faveur.

— J’en serai très honorée et, pour vous montrer ma gratitude, j’aimerais vous accompagner au lavoir. Nous serons plus efficaces à deux.

Embarquées dans leurs rôles respectifs, les deux filles se prenaient de plus en plus au jeu. Octavia avait le rôle d’un forgeron de village désirant remettre à neuf une belle épée et, Embet, interprétait un page royal chargé de nettoyer les affaires du monarque et désirant déléguer son fardeau à autrui.

— Avec plaisir, les effets personnels du roi doivent tous briller !

— Pensez-vous pouvoir nettoyer la cotte de mailles au lavoir ? Elle risque de rouiller… tenta Octavia en essayant d’imaginer un scénario plausible.

Embet réfléchit un instant et fit mine d’être convaincue par l’argument de sa Sœur. Elle devait trouver un moyen pour convaincre Octavia de se charger entièrement de la tâche. Commencer par la côte de maille lui sembla être une bonne idée.

— En effet, la cotte de mailles pourrait être nettoyée ailleurs qu’au lavoir…

— Je peux vous aider, j’ai quelques outils à la forge qui rendent à n’importe quel objet en fer toute sa brillance.

Octavia feignit de chercher des outils et les tendit à sa Sœur sous les regards amusés de leurs camarades. Personne ne savait exactement qui avait le dessus mais Embet semblait la plus proche de remplir son objectif.

— Merci, maître forgeron. Malheureusement, je n’ai jamais utilisé ces outils. J’ai très peur d’abîmer les affaires du roi, répondit Embet.

— Je peux m’en occuper… J’imagine que vous devrez également nettoyer l’épée ici, un bain forcé serait un sacrilège pour une si belle épée, suggéra Octavia innocemment.

Embet, toujours plus concentrée sur son rôle, trouva parfaitement judicieux que le page d’un roi soit responsable de son épée et acquiesça.

— Je peux également m’occuper de l’épée, continua Octavia.

— Avec plaisir, serait-ce trop vous demander de vous charger du nettoyage de toutes les affaires du roi pendant que je cours au palais lui réclamer une audience pour vous ? tenta hasardeusement Embet.

Octavia, se sentit la victoire se rapprocher. Elle fit mine d’hésiter un instant. L’œil vif de sa Sœur signifiait qu’elle était également proche de son objectif.

— Laissez-moi faire briller son épée, ainsi, vous aurez une preuve irréfutable de mon talent pour montrer au roi. Et vous pourrez ainsi lui demander une audience. Une fois le roi rencontré, je me chargerai de l’ensemble du nettoyage en guise de remerciement.

Embet la regarda un instant suspicieuse. Peut-être que l’objectif d’Octavia n’avait rien à voir avec les chevaux finalement. C’était peut-être d’obtenir une recommandation pour son art.

— Je préfère avoir les effets du roi nettoyés avant de vous introduire en audience.

Octavia se mit à rire, le rire qu’aurait eu une personne qui avait tenté une manipulation mais qui avait été percée à jour.

— Très bien, commençons avec l’épée, puis nous discuterons du reste des priorités, voulez-vous ?

Embet sourit. L’épée était une première étape dans la réalisation de son objectif. Une fois celle-ci terminée, elle pourrait la convaincre de terminer les corvées et de rencontrer le roi immédiatement.

— Très bien. Je vous laisse réparer l’épée du roi, si le travail est satisfaisant, nous rediscuterons après…

Le visage d’Octavia se fendit d’un large sourire alors que sa Sœur la regardait sans comprendre sa réaction. À ce moment, maître Quintilien, qui connaissait tous les rôles, tapa trois fois dans ses mains et annonça d’un ton las « Octavia remporte le duel. »

— Comment ?! s’exclama Embet incrédule.

Leurs camarades semblaient aussi légèrement penauds, peu convaincus de l’issue du duel. Un grand sourire illuminait le visage de la jeune fille, très fière d’avoir su duper sa Sœur et ses camarades. Personne n’avait réellement deviné sa mission. Son sourire qui tourna rapidement au rictus à la suite d’une remarque acerbe de son professeur sur la vertu de l’humilité.

Les deux jeunes filles retournèrent s’asseoir à leur place un peu déconfites.

— Suivants ! Darius et Sémiramis ! On se dépêche.

Darius se leva et s’inclina d’une sorte de révérence théâtrale devant la boîte en bois, laissant Sémi choisir son rôle en premier. Celle-ci lui jeta un regard un peu hautain agrémenté d’un sourire carnassier. Elle n’aurait aucune pitié.

Leur jeu de rôle dura près d’une demi-heure, sous les rires de leurs camarades qui assistaient hilares à une comédie de joutes verbales. Aucun des deux ne refusait de lâcher du terrain à l’autre, créant un scénario rocambolesque afin de mener l’adversaire sur de fausses pistes tout en essayant de réaliser l’objectif fixé. Darius devait convaincre Sémiramis d’aller lui chercher des prunes afin qu’il puisse réaliser une tarte, alors que la jeune fille devait le convaincre de s’enfuir pour vivre le grand amour. Ce fut Quintilien, irrité, qui mit fin à leur spectacle.

— Ça suffit, ce n’est plus de la rhétorique, mais un véritable cirque ! (sa moustache blonde frisait d’indignation.) Retournez vous asseoir ! Vous me ferez tous deux trois travaux supplémentaires : une page sur « comment aborder un débat », une page sur « la définition du cirque » et vous recopierez les 4 premiers chapitres de « De rhétorique, quid sis secundum platonem » ! Cela devrait vous calmer !

Sémiramis plissa les yeux, visiblement outrée par la sanction parfaitement injuste. Ils avaient tenu leurs rôles, rien de plus. Pourtant, elle eut la bonne idée de se taire, ce qui ne fut pas le cas de Darius qui était tout aussi scandalisé.

— Mais c’est injuste ! On n’a rien fait de mal !

Maître Quintilien se tourna vers le garçon et s’approcha dangereusement de lui, l’index pointé en avant.

— Tu oses me contredire avorton ? Crois-tu vraiment que je doive me justifier ?

Ses petits yeux plissés par la colère étaient furieux, mais le jeune garçon lui rendit un regard de défi.

— Baisse les yeux ! Tu resteras ici après la classe et d’ici là tu n’as pas intérêt à ouvrir la bouche ! Un seul son qui passe tes lèvres ou une respiration que je jugerais trop bruyante et je t’envoie immédiatement chez le directeur. C’est compris ?!

Le professeur criait, lançant des postillons à la face du garçon, qui baissa la tête de mauvaise grâce et ne tomba pas dans le piège de répondre. Les rires qui résonnaient dans la salle quelques minutes plus tôt avaient de nouveau laissé place à un silence pesant.

— Je préfère ça ! lança le professeur à la cantonade. Éris, Koros, debout !

Éris se leva lentement du tapis tandis que Koros, la tête baissée sur ses genoux, ne bougea pas. Depuis le début du cours, il n’avait pas cessé de fixer le plancher. Son cœur battait la chamade et il ressentait comme une bouffée de chaleur. Il priait silencieusement pour que le professeur l’oublie. L’exercice le terrorisait. Devant ses amis, il pouvait passer pour un exubérant et un extraverti. Pourtant, lorsqu’il s’agissait de s’exprimer devant un auditoire, il était tétanisé.

— Koros ! beugla le professeur.

Le jeune garçon se leva et saisit un papier dans la boîte devant lui. Il lut les mots mais fut incapable d’en comprendre le sens. Éris l’attendait déjà au centre de leur scène improvisée. Le garçon ne percevait rien d’autre que les pulsations de son cœur qui s’accéléraient et ses oreilles qui bourdonnaient. Une main invisible semblait l’avoir saisi à la gorge. Il cherchait désespérément du soutien dans le regard de ses camarades. Seul Darius lui lança un petit signe de tête en guise d’encouragement.

Éris commença alors son monologue, inventant une histoire à propos de chèvres, de moutons et de cochons. Koros la regardait, l’air béat. La moiteur de ses mains avait réduit le papier qu’il tenait en une pâte molle. Il ne se souvenait même plus de ce qui était marqué dessus. Il fit tous les efforts du monde pour se souvenir. Quelque chose à propos d’un blessé, ou d’un malade. Éris s’arrêta soudain de parler. Elle attendait qu’il rebondisse pour continuer l’échange. Pourtant, la seule chose qui sortit de la bouche du garçon ne fut que des balbutiements.

Il y eut quelques ricanements discrets dans l’assistance. Ce qui n’aidait pas le pauvre Koros à trouver la confiance en lui nécessaire pour surmonter l’exercice. Éris, quant à elle, reprit le fil de la discussion, essayant de l’interpeller en lui posant des questions. Paralysé par la peur, Koros fut incapable d’inventer quoi que ce soit. Éris lui parla d’agriculture et lui demanda des conseils. Elle chercha par tous les moyens des pistes pour qu’il puisse intervenir. Les seules réponses furent des bredouillements inintelligibles.

Les rires qui avaient d’abord été étouffés se firent de plus en plus audibles à mesure que le pauvre garçon se liquéfiait. Éris continua inlassablement la conversation à sens unique, ne lui laissa aucun répit. Pour cela, il la détesta. Elle semblait prendre plaisir à le voir souffrir et à passer pour un idiot devant toute la classe. Puis, dans un trait d’humour maladroit, elle lança :

— Mon partenaire est aussi éloquent que mes chèvres…

Furieux, le garçon vit rouge et, de rage (et un peu de honte), il poussa sa Sœur à côté de lui un peu violemment. Éris se retrouva les fesses sur le plancher de pierre.

— Ça ne va pas ?! s’écrira-t-elle les poings crispés par la colère qui commençait à tendre ses muscles.

— Ça suffit tous les deux ! cria maître Quintilien en s’interposant. Il se tourna vers Koros et lui saisit le bras. Et toi ! Tu as perdu ta langue. Comment oses-tu prétendre devenir l’Élu alors que tu es incapable d’aligner trois mots sensés ? La violence est l’apanage des lâches ! Les muscles et la force ne te serviront à rien si tu n’as pas de cerveau pour savoir comment les utiliser ! Je te préviens, si d’ici la prochaine séance tu n’ajoutes pas plus de mots à ton vocabulaire, je demanderai expressément ton renvoi de mes cours au directeur ! C’est bien clair ?!

Le discours fut d’une telle violence que les larmes montèrent aux yeux du garçon. Il n’avait pas pu contrôler sa crise d’angoisse. Il se sentait faible de ne pas avoir été capable de parler devant un public mais, en plus de cela, il venait de se faire humilier ouvertement devant tous ses camarades. Son professeur venait de briser toute l’assurance que le jeune garçon commençait à peine à se construire.

La cloche de la fin de la classe sonna à cet instant précis. Le professeur lâcha le bras de Koros et ordonna aux élèves de quitter la salle. Darius, qui pensait que maître Quintilien l’avait oublié, se dirigea vers la sortie avant de se faire rappeler à son bon souvenir.

Il passa le reste de la soirée à recopier un livre, à genoux sur le sol, devant une petite table basse et à la seule lueur d’une faible bougie.

Darius, furieux, passa ses heures de pénitence à ruminer contre le professeur. Le garçon n’acceptait déjà pas d’avoir été puni sans un motif valable mais, plus que tout, il avait détesté la réaction du professeur face au pauvre Koros. Non seulement Darius avait remarqué durant l’ensemble de l’échange la détresse de son Frère mais, en plus, il avait assisté impuissant à cette lente agonie. La réaction du professeur avait été injuste, démesurée et humiliante. Koros ne méritait absolument pas un pareil traitement.

Une fois sa punition levée, Darius fila vers la sortie, osant jeter un dernier regard furibond au professeur avant de passer la porte. Quintilien était de dos, le dos courbé comme s’il peinait à reprendre sa respiration. Les boucles blondes du professeur, d’habitude bien rebondies, étaient toutes avachies et, de loin, Darius leur trouva une couleur particulièrement bleutée.

Durant tout le cours, Darius l’avait trouvé étrange. Outre son humeur plus exécrable qu’à l’accoutumée, le professeur semblait physiquement indisposé. Ses paupières tombaient à moitié sur ses yeux et son front scintillait légèrement.

« Il a peut-être de la fièvre », songea le garçon en l’observant encore un instant.

Darius n’eut aucun sentiment de pitié pour le professeur de rhétorique et se précipita vers le dortoir qu’il partageait avec ses Frères et Sœurs et le trouva vide. La cloche sonna le repas.

« Ils sont déjà tous au réfectoire ! »

Darius allait s’y diriger également lorsqu’il aperçut une bosse sous les couvertures du lit de Koros. Il avait été suffisamment discret pour ne pas annoncer sa présence. Comme une ombre, il repartit vers la sortie. Arrivé à la porte, un sanglot suivi d’un reniflement se fit entendre.

La mâchoire de Darius se crispa. Dès lors, il se jura de détester maître Quintilien du plus profond de son être et de tout faire pour lui rendre la vie misérable.

***

Le lendemain matin, Darius hérita d’une matinée de nettoyage dans la salle commune. C’était sa corvée préférée car une fois le coup de balai express effectué, il passait le reste de son temps à lire ou à étudier les vieilles cartes du royaume. Il rêvait de franchir les Serres de Mahaha – l’immense chaîne de montagnes qui prenait racine au Sud et séparait l’Empire des contrées ennemies. Il savait que le deuxième Village Protecteur résidait sur les plus hauts versants où nul autre humain n’avait le courage d’habiter.

Perdu dans son imaginaire débordant, il n’entendit pas la porte s’ouvrir et sursauta au contact d’une main posée sur son épaule. Il se retourna brusquement pour découvrir le visage rieur d’Aphéléia qui lui demanda si le ménage s’était bien passé. Darius se justifia maladroitement avant de comprendre que sa Sœur le taquinait.

Elle s’assit à côté de lui, et ils discutèrent un moment. Darius lui raconta notamment le cours de rhétorique de la veille. Sa Sœur avait déjà eu des échos de la part des autres filles présentes mais la version de Darius lui sembla être la plus proche de la réalité. Il avait été le seul à apercevoir la détresse de Koros et Aphéléia eut un peu honte de s’être moqué de lui la veille.