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Raymond comprit qu’aucune parole ne serait assez forte et assez belle pour exprimer une douleur digne de ce désespoir. Alors, il approcha de sa bouche la brûlure des larmes de Rite et, tenant cette belle tête dans ses mains, il but cette voluptueuse salure des larmes, gonflé d’amour et de l’orgueil d’avoir inspiré une si vive et sincère douleur. Avec une sorte de désespoir, il serra cette chair contre sa chair, et l’approchant de lui, ils se mêlèrent…
Il savait bien l’onction des possessions mouillées de larmes. Accroché à ses épaules comme à un rocher, tout son être se tendait vers cette bouche dorée qui l’aspirait et buvait son désir.
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Veröffentlichungsjahr: 2024
JEAN DE GOURMONT
ROMAN
© 2024 Librorium Editions
ISBN : 9782385747008
L’ART D’AIMER
— Rite ?
— Raymond ?
— A quoi songent tes yeux qui regardent loin, je ne sais vers quel passé où je n’étais pas près de toi ?
En amour, songeait-il, il n’y a pas de passé, et Rite ne vit que depuis l’instant où mes lèvres lui ont donné une âme, la mienne…
— Mes yeux ne contemplent aucun passé plus lointain que toi, Raymond ; mais je suis triste ce soir du mal que je vais être obligée de te faire, peut-être, en te parlant de moi-même et de ma vie réelle. Depuis ce soir de juin où je t’ai rencontré, au lit de mort de Marthe, nous ne nous sommes pas quittés, nous avons vécu en dehors du temps et de l’espace dans l’absolu de notre amour. Tu ne m’as pas interrogée et je ne t’ai pas fait de confidences… Il semblait que nous vivions comme au seuil de la mort qui éterniserait notre baiser… Oh ! Raymond, j’ai peur ce soir, parce qu’il va falloir te quitter et reprendre cette vie d’hypocrisie qui est la vie de toutes les femmes mariées… Je serai toujours à toi, mais je ne pourrai plus te donner de mes journées que quelques heures volées…
En disant cela, Rite était plus pâle sous le toit de ses cheveux blonds, des larmes scintillaient dans ses yeux plus noirs, et la respiration de ses seins se précipitait…
Raymond comprit qu’aucune parole ne serait assez forte et assez belle pour exprimer une douleur digne de ce désespoir. Alors, il approcha de sa bouche la brûlure des larmes de Rite et, tenant cette belle tête dans ses mains, il but cette voluptueuse salure des larmes, gonflé d’amour et de l’orgueil d’avoir inspiré une si vive et sincère douleur. Avec une sorte de désespoir, il serra cette chair contre sa chair, et l’approchant de lui, ils se mêlèrent…
Il savait bien l’onction des possessions mouillées de larmes. Accroché à ses épaules comme à un rocher, tout son être se tendait vers cette bouche dorée qui l’aspirait et buvait son désir.
Rite, soulevée comme une vague qui retombe sur elle-même en déchirant ses volutes, sanglotait de voluptueux sanglots ; et contemplant la gravité douloureuse de son visage, au moment même où sa chair se brisait sur le sable, Raymond écoutait dans tout son être le heurt précipité de cette chair blanche, mouillée de son propre parfum qui l’écrasait. Peu à peu, la respiration s’éteignit et ils demeurèrent immobilisés dans cette sorte de rêve voluptueux où les chairs qui se sont données ne se sont pas encore reprises et où le miracle de la transsubstantiation amoureuse se prolonge… Les baisers sonnent alors dans le cerveau comme des cloches sous-marines et les mains qui s’étreignaient jusqu’à se briser se détendent et s’endorment.
Toute la chair se replie, se referme comme une corolle trop profondément respirée, et la dernière caresse s’emprisonne dans la digitale sacrée, prise comme une fougère dans le baiser glacé de l’étang.
Ils demeurèrent ainsi longtemps silencieux, et Raymond, les yeux fermés, la tête appuyée sur le sein de Rite, respirant les mousses mouillées de son aisselle, se parlait à lui-même et s’interrogeait devant cette nouvelle vie qui allait commencer.
Rite, comme toutes les femmes, était donc mariée. Au fond, cela le rassurait et restituait à leur amour cette sorte d’abstraction des contingences quotidiennes qui font d’une liaison une sorte de rêve enchanté.
Depuis un mois qu’il vivait avec Rite, il s’était abandonné, fleur coupée, à ce courant de sensualité qui le roulait dans son remous, à cette sorte d’ivresse dionysiaque qui le soulevait et le faisait jaillir. Il trouvait dans cette chair fraternelle une sorte d’identification de son être avec un autre être, une totalité de vie instinctive si reposante : ne plus penser, n’être plus qu’une vibration heureuse de son propre rythme harmonisé en un autre rythme, se contempler soi-même, comme éternellement dans ce miroir ébloui qu’est l’âme d’une femme qui vous aime.
Mais parfois, même en ces minutes de communion sensuelle où la vie est presque comme un parfum intellectualisé, Raymond s’isolait et partait, secrètement seul, sur la route du songe. Instinctivement inquiète de cette fuite imperceptible, Rite demandait :
— Où es-tu, Raymond ?
— Je suis là, répondait-il, et, en disant cela, il lui semblait, en effet, qu’après un envol dans la plaine des souvenirs, il était revenu se poser, oiseau domestiqué, sur le sein de sa bien-aimée.
Elle avait un mari : une sorte d’intendant de sa chair et de sa vie. Elle avait avoué cela comme on confesse un péché, le péché de n’avoir pas su attendre le miracle de la venue de Raymond. Mais cette confession, elle avait eu la délicatesse de ne pas la dire tout de suite, afin de laisser à ces quelques semaines tout leur parfum d’absolu.
« Cette situation, pensa Raymond, complique à la fois et simplifie les choses : il s’agit simplement d’inscrire sa vie dans ce cadre. Et quant à ce mari, ne pas s’en occuper, le nier : il n’est pas plus pour elle qu’un ancien amant oublié. »
Raymond n’était pas jaloux du passé, peut-être parce qu’il avait trop d’orgueil et trop de confiance en lui-même.
— Une femme que j’aime, pensait-il, est à jamais marquée de mon sceau.
Peut-être eût-il fallu, à cette minute, rassurer Rite et lui expliquer le provisoire de cette incomplétude de vie. Il se contenta de lui affirmer, par un baiser où leurs dents se choquèrent, tandis que dans son regard Raymond mettait toute sa mysticité amoureuse, l’indissolubilité de leur tendresse.
Il se fit un peu douloureux et sembla héroïquement surmonter une peine déjà obsédante. Alors ce fut Rite qui le rassura : elle viendrait chaque jour vers lui, et ce serait chaque jour une nouvelle Rite, lentement préparée, parfumée, embellie pour ces heures sacrées, que l’attente et le désir feraient plus ardentes.
— Et puis, et en disant cela elle savait bien qu’elle exprimait la pensée secrète et profonde de Raymond, et puis tu mettras toute ton intelligence à nous préparer cette vie nôtre qui sera l’harmonie définitive…
— L’harmonie définitive, reprit Raymond, définitive…
Et il songeait à la mort, qui viendrait un jour recouvrir les rythmes éteints de leurs chairs et de leurs âmes comme la marée montante efface sur la grève les pas entremêlés des éternels fiancés.
Déjà Rite s’était levée et Raymond, la tête appuyée dans sa main, contemplait la nudité de son amie, d’une sensualité plus intellectuelle que le corps doré de sa première Marguerite. Les bras levés d’un geste ailé, elle allait s’habiller lorsque Raymond l’arrêta : il voulut qu’elle vînt vers lui et qu’elle penchât vers son corps encore allongé la caresse de ses cheveux, et qu’elle lui donnât, sous cette voûte parfumée comme un sous-bois, sa bouche encore vierge de rouge. Le baiser de Rite parcourait le corps de Raymond, mordait la fragilité des fraises égarées dans les mousses de sa poitrine, et tout à coup, grave, ce baiser s’immobilisa et il sembla à Rite que jamais elle n’avait aussi intensément bu l’âme de Raymond.
De son bras, il l’avait attirée vers lui, et il sentait maintenant tout le poids de cette chair qui s’écrasait sur son corps comme un fruit où les lèvres ont mordu et qui verse sa saveur.
La lumière bleue du soir caressait la croupe de Rite et la ligne creusée de son dos montait vers la coupelle de ses cheveux défaits, et qui semblaient dans cette clarté un peu plus mate, une source dorée par le couchant.
Vite Rite fut debout, inquiète maintenant de l’heure…
— Tu m’apparais tout d’un coup, dit Raymond en souriant, comme une Amazone descendue de son cheval et encore toute haletante de la course…
— Oui, Raymond ; mais ne me parle plus : demeurons sur ce baiser qui m’a versée en toi et qui fut comme une tendresse après l’ardeur et la brûlure de notre amour. Il m’est doux de penser que tu vas vivre dans cet encens de nos vespres, et ton fauteuil d’osier qui craque sous mon poids gardera l’empreinte…
Raymond s’était levé et, tandis que Rite achevait de s’habiller, il s’était agenouillé devant elle et soulevait encore sa jupe courte pour baiser ses genoux et poser tendrement sa tête rêveuse contre le bouclier sacré de son ventre.
Il la reconduisit jusqu’au carrefour voisin où, alignés comme des bêtes au repos, des taxis attendaient. Le moteur ronronna et, dans un léger craquement de mécanique, la voiture s’éloigna. Une dernière fois, leurs yeux échangèrent une pensée, Rite referma ses paupières mouillées d’émotion sur l’image de Raymond ; quelque temps encore, Raymond aperçut dans le lointain une main blanche qui éclairait le crépuscule, comme un lys dans l’allée des jardins de son enfance.
Raymond se reprochait presque cet allègement qu’il éprouvait en se sentant seul dans la rue.
— Mais c’est mieux ainsi, se dit-il : la perpétuelle présence eût fini par user cet amour que je veux inépuisable. Je le cultiverai savamment comme une plante rare, et il est bien qu’un peu de divine amertume vienne aggraver des sentiments de cette qualité. Les êtres que l’on aime sont un peu semblables aux paysages qui ont besoin d’un peu d’éloignement pour être compris et admirés.
« Il faut aussi en amour savoir se quitter pour, dans une solitude réfléchie, diriger cet amour, l’analyser, en prendre une réelle conscience. L’amour, ce n’est en somme que la culture de son intelligence, de sa sensibilité et de sa sensualité. Aimer une femme, c’est s’aimer soi-même en cette femme.
« Je vais donc pouvoir, enfin, continuait Raymond, en allumant une cigarette, mettre un peu en ordre la gerbe de nos sentiments et de nos images, les noter dans la solitude et pour moi-même ; je sais trop combien nos sensations, même les plus vives, sont fugitives si nous ne leur donnons cette éternité, peut-être mensongère encore, de l’écriture. Vivre même intensément les plus somptueuses passions, ce n’est rien si nous ne savons esthétiquement emprisonner ces instants dans un rythme ou dans la courbe d’une image. O Rite, ton amour serait vain, aussi vain que les amours bleues des libellules, si mon cerveau ne le créait pas à chaque minute et si mon instinct d’éternité ne lui donnait pas déjà comme une immobilité de statue dans un temple.
« Je veux que ton odeur de femme que j’ai respirée comme le plus émouvant des poèmes, parfume les siècles et que les jeunes hommes qui viendront après nous, viennent boire à cette source de mes songes.
Et, devant Raymond qui était rentré chez lui et s’était assis à sa table, le fantôme blanc de Rite s’était dressé, agrandi, et à travers l’ogive de ses cuisses, il regardait dans le ciel au-dessus des toits, poindre les premières étoiles.
Raymond se souvenait de leur première soirée, déjà illuminée d’une subite et ardente sensualité. Dès que cette porte s’était refermée sur leur solitude, il avait, sans dire une parole, ouvert son corsage et posé sa tête entre ses seins. Elle s’était tout de suite voulue nue, pour être plus pure et sa chair blanche, veinée de bleu, lui fut une apparition inoubliable, une lumière qui depuis jamais ne s’était éteinte.
— Elle est là, dit Raymond, elle est toujours là, plus réelle que la blancheur réelle de cette Bacchante de marbre qui domine ma cheminée.
« Je baisai sa bouche qui s’ouvrit comme une blessure, je tenais sa tête blonde dans mes mains, et là, debout, sa chair seule éclairant la nuit, silencieusement nos deux corps se sont unis en une instinctive et subite inclusion dans le frémissement de sa chair mouillée comme les roses du matin.
« Je la pris dans mes bras et la portai sur le divan, baisant ses seins qui s’offraient à mes lèvres. Alors, je m’agenouillai devant ce corps embaumé de sa propre tendresse et je demeurai longtemps enfermé dans ce parfum qui se soulevait vers la sélection de ma bouche…
« — Je suis tienne, Raymond », disait-elle, en une plainte musicale qui suivait la courbe ascendante de son trouble déjà rasséréné.
« Mais du plus profond d’elle-même, inépuisablement, montait cette plainte inguérissable qui retombait toujours sur elle-même.
« Elle m’emportait dans son rythme où j’étais emprisonné en une étreinte douloureusement voluptueuse : battement d’aile du cygne de Léda.
« Rite ! Tout de suite je trouvai ce nom qui la personnalisait et la distinguait dans mes associations d’images et de sentiments de ma Marguerite dorée, à laquelle d’ailleurs je ne pensais plus que comme à de lointains et doux souvenirs d’enfance.
« Rite me parlait de moi-même, qu’elle me disait aimer depuis quelques années déjà, et je compris mieux que c’était la tendresse de Marthe pour moi qui avait créé en elle cette cristallisation.
« — Marthe t’aimait, Raymond, et peut-être plus sensuellement et plus totalement que tu ne l’as cru. Morangis, à qui tu l’avais donnée, ne fut accepté par elle que par une sorte de docilité à tes volontés ; et puis, Morangis, c’était encore un peu toi, puisqu’il était ton ami.
« Elle rêvait de te conquérir un jour et de te donner à toi la vraie floraison d’une sensualité encore hésitante et incertaine. Mais, disait-elle, avec une humilité si orgueilleuse, je ne suis pas encore digne de lui, et même cet amour qui est en moi, plus fort même que mon désir, je ne saurais même pas, enfant que je suis, le lui exprimer.
« Elle trouvait aussi une douceur amertumée dans cette privation de toi qu’elle s’imposait.
« Et moi, continuait Rite, lorsque Marthe me parlait ainsi, ses grands yeux noirs illuminés de fièvre, elle m’apparaissait un peu comme une sainte. Je la serrais sur mon cœur et puis, tendrement, je baisais la coupole de son sein où vivait un dieu… toi, Raymond. Et je t’aimais, nous t’aimions toutes les deux et nous nous aimions en toi.
« Me comprends-tu, Raymond : je te cherchais en elle et sa jeune chair m’était sacrée et comme imprégnée de toi. Oui, et dans nos exaltations de tendresse, c’est ton nom, répété comme un écho par nos deux voix, qui fusait de nos lèvres parfumées.
« Et aujourd’hui qu’elle n’est plus, je pense que je n’aurais pas été jalouse d’elle, ni elle de moi et que nos deux bouches se seraient approchées pour se donner ensemble à ton baiser. »
Raymond évoquait ces premières confidences de Rite, où elle lui avait apporté avec le don total de son être, la passion insoupçonnée de cette petite Marthe qu’il n’avait fait qu’effleurer, comme on respire une rose dans l’allée d’un jardin.
Il se leva, et dans un rayon de sa bibliothèque, il prit un grand cahier où dormaient d’anciens dessins de Newsky… Il le feuilletait, indifférent à toutes les attitudes fixées là de Marguerite.
— Ah ! la voici : Marthe !
Il la contempla avec une tendresse nouvelle et un peu affligée en songeant à la maîtresse exaltée qu’il avait perdue, qu’il n’avait jamais vraiment possédée. Mais il ne put s’empêcher de sourire, en pensant que cette sensualité, qu’elle cultivait pour lui, c’était Rite qui en avait goûté les fruits déjà dorés et onctueux. Et ce premier soir de solitude dans son cabinet de travail silencieux, sa pensée se réfugiait dans le souvenir lointain de sa petite Marthe, venant vers lui avec tant de confiance, lui apporter la petite pomme encore verte de sa virginité.
… Et quant à Rite, l’idée qu’elle était rentrée chez elle, auprès de ce mari dont il venait d’apprendre l’existence imprécise, le rassurait. Il savait qu’elle serait lasse et triste jusqu’au silence, et qu’en réalité, elle se retrouverait chez elle une étrangère auprès d’un étranger. Rite était trop absolue pour désormais donner rien d’elle-même à cet homme. Et Raymond trouvait cela admirable qu’un mari puisse redevenir tout à coup l’étranger qu’on ne reconnaîtra jamais plus, et qui ne sera plus désormais qu’un affectueux ennemi dont on accepte par habitude la tyrannique et inutile présence.
Raymond alluma une cigarette anglaise dont le parfum subtil se mariait au goût de l’amour :
— C’est encore un peu d’elle que je hume, dit-il, les mots même que je prononce exhalent aussi le parfum de sa chair respirée et bue.
Malgré la promesse qu’elle s’en était faite à elle-même, Rite ne put venir vers Raymond ni le lendemain ni les jours qui suivirent. De petites lettres seules exprimaient son désespoir, un désespoir si sincère que Raymond en était ébloui et réconforté.
— En amour, se disait-il, l’important n’est pas que celle qu’on aime soit heureuse, mais qu’elle ne soit pas heureuse loin de vous.
Pourtant, dans cet état de quiétude orgueilleuse, Raymond comprenait qu’il fallait répondre à ce désespoir par une douleur exagérée, et créer, à côté de l’absolu quotidien qui leur échappait, un autre absolu plus abstrait, fait d’une pensée perpétuelle et perpétuellement cultivée. Il lui écrivit de longues lettres, il écrivit ce qu’il n’avait pas parlé, donnant ainsi une répercussion réfléchie à leurs sentiments, un symbole à leurs gestes d’amour, et comme une direction à leur vie.
Il y a des amours qui ne se sont pas développés et n’ont pas parcouru leur hyperbole, parce qu’ils n’ont pas eu cet appui des mots, créateurs de valeurs mystiques et sentimentales. Un amour qui ne s’enveloppe pas de cette magie des mots n’est rien qu’un pur abandon physique et s’épuise de lui-même…
Mais en amour, il ne faut pas parler, il faut écrire. Une lettre est une présence plus précise que la présence réelle : elle met une gravité lyrique dans le souvenir et fixe, à notre volonté, les étapes d’une passion.
Écrire, c’est aussi une manière de se montrer tel que l’on désire être aimé et les mensonges et les exagérations d’une lettre d’amour sont peut-être plus vrais que la vérité. La noblesse des sentiments que l’on exprime devient une véritable autosuggestion et il y a dans l’amour ainsi cultivé une sorte de perfectionnement moral qui n’est pas sans beauté.
Dans ces premières lettres de la première absence, Raymond voulut surtout maintenir son amie en état de ferveur, et chacune de ses phrases était une caresse et une possession. D’ailleurs, pris lui-même à ce piège des évocations, il constatait l’état de grâce physique où le mettait cette littérature, et il passait ainsi de longues heures, tout son être tendu vers la chair de Rite encore idéalisée dans son souvenir et comme couchée dans son parfum sur la table même où il écrivait.
Il voulait que Rite exaltât aussi, voluptueusement, ces heures d’absence et que ses lettres fussent une lointaine et réelle copulation. Raymond trouvait dans cet échange de leurs désirs et dans cette tension de leurs deux êtres, exaspérés par l’attente, une volupté plus grande que dans la fusion sans mystère de leur baiser.