L'Autre moi - Julien Hauss - E-Book

L'Autre moi E-Book

Julien Hauss

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Beschreibung

En pleine crise identitaire que les réseaux sociaux et l’outil numérisé alimentent, Léon, un jeune étudiant, est expulsé de son propre corps. À partir de là, ses émotions, ses sentiments et son imaginaire se réfugient dans l’immatérialité d’une autre vie. Il plonge dans un univers distinct du réel qui, dès lors qu’il est expérimenté, altère la projection humaine du vrai. Au prisme de la construction identitaire à l’heure du numérique, L’Autre moi nous propose une analyse objective de la frontière étroite qui sépare le monde matériel et celui incorporel, l’irréel et la réalité. À travers le récit captivant de Léon, l’auteur nous invite à remettre en question notre propre rapport à la technologie et à la construction de notre identité dans un monde en constante évolution.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Julien Hauss est double licencié en histoire-sciences humaines et sociales de Sorbonne-Université et Panthéon-Assas. Actuellement, il poursuit ses études en droit-histoire. Fondateur du journal universitaire La notice + et auteur d’un premier essai sur la République du numérique, il est passionné par les enjeux actuels de la société et s’intéresse particulièrement à l’impact du numérique sur celle-ci. Par le biais de L’Autre moi, il prolonge sa réflexion sur les transformations identitaires que peuvent engendrer les nouvelles technologies et invite à une prise de conscience nécessaire quant à notre rapport à l’outil numérique.

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Seitenzahl: 358

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Julien Hauss

L’Autre moi

Roman

© Lys Bleu Éditions – Julien Hauss

ISBN :979-10-377-9013-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

La République du numérique – critique d’une crise de la représentativité, Éditions Maïa, 2022.

Le numérique est un puissant instrument de déshumanisation, parce qu’il détruit peu à peu en nous la raison survivante en constante contradiction avec les émotions qu’il engendre ; jusqu’à nier notre propre identité.

Note de l’auteur

« Lecteur épris de modernité,

Je me permets, avant de vous convier à la découverte de ce roman, de vous éclairer sur sa genèse. Je vous rassure d’emblée : il n’est en rien une autobiographie. Les événements qui se déploient sous vos yeux ne sont pas le reflet de ma propre vie, de mes expériences ou de mes choix personnels.

Au contraire, ce récit est né d’une analyse sociologique aiguisée, d’une observation scrupuleuse des expériences vécues à travers le prisme implacable de l’outil numérique. En tant qu’écrivain, j’ai été saisi par la fascination que suscite la technologie moderne, cette force impalpable qui transforme notre existence, nos relations, nos émotions et notre perception du monde.

Les avancées rapides du numérique et les mutations sociales qu’elles engendrent ont imprégné notre époque d’une aura ambivalente. J’ai donc choisi d’explorer ces dynamiques complexes à travers un récit de fiction, en utilisant les personnages et les événements comme autant de révélateurs des défis, des dilemmes et des opportunités que nous offre le monde numérique.

Ce roman se veut ainsi une œuvre d’imagination, qui éveille la réflexion sur notre relation à la technologie, en scrutant comment elle influence notre quotidien, nos interactions sociales, nos identités et notre vision du monde. Les personnages et les situations qui prennent vie dans ces pages sont fruits de mon imagination, mais leur inspiration puise dans les expériences vécues par tant d’âmes à l’ère numérique.

J’espère que cette approche vous transportera dans un univers poétique et profond, où la modernité et la technologie se mêlent à la fragilité de l’âme humaine. Je vous invite à vous laisser emporter par cette histoire captivante, qui vous emmènera dans un voyage littéraire teinté d’interrogations sur les défis et les enjeux de l’ère numérique.

En vous souhaitant une lecture empreinte de fascination,

Julien Hauss »

Avant-propos

Un indolent compagnon de voyage peut réserver bien des surprises à qui veut bien le considérer. Quand cette ombre, suivante à travers la matérialisation contemporaine d’un écran lumineux qu’on appelle smartphone, n’est autre que le reflet de votre conscient, comment séparer le vrai du faux, le matériel de l’immatériel, le sentiment de la pensée, le réel de la fiction ? Telles sont les questions auxquelles la vie de Léon apporte une tentative d’éclairage, dans un récit qu’il convient de présenter, pour permettre de mieux le juger.

C’est au détour d’un chemin du parc du château de Malmaison, à Rueil, qu’un promeneur régulier, Julien HAUSS, trouva l’inspiration d’un roman. Presque bucolique, la maison de l’Impératrice Joséphine fut l’espace de liberté et de nature recherché par l’auteur, semblable à sa Provence natale, pour fuir, l’espace d’un instant, les turpitudes parisiennes. Car tout va bien vite dans une capitale où Parisiens et Parisiennes sont toujours pressés. « Pour profiter du printemps, les Parisiennes n’ont jamais le temps », rappelait le quatuor Les Parisiennes dans les années 60. Notre écrivain n’est pas de ceux-là. Le recul qui le caractérise et le sang-froid qu’il s’efforce d’appliquer à une vision parfois pessimiste du monde devaient accoucher de lignes, sinon sérieuses, au moins profondes.

Ce n’est d’ailleurs pas une première pour cette plume, rodée à l’exercice. C’est sans conteste son premier essai, La République du numérique, passé inaperçu, qui permet au vauclusien d’origine de tirer quelques conclusions sur ce qu’on regroupe sous l’appellation générale de « numérique ».

Il partit d’un constat, que nous livrons ici : chaque jour offre une illustration supplémentaire de la déstructuration du débat démocratique, gangréné par les réseaux sociaux et la loi du « buzz ». Si l’opinion publique tient, depuis la Révolution, une place prépondérante dans la vie politique française, ayant pu conduire à de grands malheurs pour notre nation, cette opinion devient une donnée plus que jamais manipulable et importante par le numérique, par cet espace public 2.0. De quoi rappeler à l’étudiant en droit et en histoire ; et présent auteur, le propos de Victor Hugo « La foule est traître au peuple ». Propos qui prend ici une redoutable incarnation. Effectivement, tout effet de groupe sans contrôle de la puissance publique, ainsi qu’institué par les réseaux sociaux – traduction principale de ce monde virtuel – constitue un outil des plus à même de réduire notre pacte social à l’état de cendres.

Car le numérique est une révolution, pas une évolution. Il met à la disposition de chaque individu une somme trop élevée et trop complète d’informations à appréhender pour permettre de le faire justement. Nous n’aurons bien sûr, en la matière, à rappeler l’excellent ouvrage Apocalypse cognitive, de Gérard Bronner, qui constitue, pour l’auteur de ce roman, une référence lue sur ce banc du château de Malmaison.

La révolution numérique et cognitive est avant tout la connexion avec le monde, notamment au travers du téléphone, connexion dont découle inéluctablement un culte de l’immédiateté. C’est l’immédiateté d’une réflexion, d’une prise de position, d’une affirmation en dehors de toute considération raisonnée. Là où toute construction politique articule le temps long, il s’agit de faire générale la loi du « buzz » dont l’outil principal est le temps court : engendrer un maximum d’interactions sur le laps de temps le plus réduit possible.

C’est jusqu’au rapport au réel qui est altéré par le numérique, lequel dispose d’un grand pouvoir de persuasion. Le détournement de la réalité, par tout moyen, est monnaie courante sur l’espace numérique qui, de fait, ne représente plus rien de sincère ni de réel. L’homme prend donc, consciemment ou non, une distance dangereuse avec la réalité de la pensée humaine, du temps qui passe et des gens qui le marquent.

Les relations sociales s’en trouvent naturellement impactées, dans un univers fait d’émulsion sentimentale invocatoire sans fondement. L’art du dialogue, du débat et du consensus se perd sur fond d’idéologies nouvelles. Surtout, le numérique a la faculté, parce que générant une addiction de notre cortex, à capter l’attention et à ne la plus lâcher. Ainsi les nouvelles pathologies liées au numérique, notamment les formes d’addiction maladives, qui aigrissent l’individu dans sa vie privée et publique. Le numérique rend malade. Demain, sans doute, il tuera.

Par le développement de la science, l’homme a souvent recherché l’abolition des frontières, ce au prix d’un éloignement certain avec sa propre humanité, comprise comme la limite temporelle, physique et intellectuelle. Des caractéristiques devenues des maux dans cette société « pressée » que le numérique s’emploie à combler. La mémoire infinie des data centers se substitue à la mémoire humaine, faible en comparaison. La magie de la communication, qu’il s’agisse des inénarrables « visioconférences », mises en exergue par la crise sanitaire dans le milieu professionnel, ou bien des appels aux possibilités illimitées, nous font dépasser les frontières, nous permettent de nous téléporter : en un clic, nous voilà à Paris, Washington, puis Bamako et Mexico.

Comme vaincre ces premières frontières était sans doute trop simple, le numérique s’attaque aujourd’hui aux limites physiques de l’homme, et même à la mort. C’est ici dépasser le seul sujet du digital – mais l’auteur ne nous en voudra nullement – que d’évoquer cet enjeu majeur que constitue le transhumanisme. Parce que la médecine est censée soignée, est considérée comme tare toute limite, y compris biologique. Une idée source d’un mouvement expérimental, qui n’en est qu’à ses débuts : dévoyant la médecine en ce qu’il transforme plutôt qu’il ne répare, dépassant l’humain en ce qu’il l’augmente jusqu’à la création de chimères humano-robotiques.

Il n’est pas certain que cette révolution s’accompagne d’un avenir prospère pour notre civilisation. Que sera donc cet humain 2.0, connecté puis augmenté et intégré à un espace public devenu numérique, contre toute réalité ? Surtout, où placerons-nous la frontière entre l’infini proposé par la technologie et la limite humaine ? Nous nous souvenons des excellents ouvrages de Yuval Noah Harari. L’auteur résume les conclusions de sa démarche scientifique en une phrase « L’histoire a commencé quand les hommes ont inventé les dieux. Elle se terminera quand ils deviendront des dieux ». Nous sommes convaincus que c’est, véritablement, au travers du numérique que l’homme tendra à ce caractère divin, par le dépassement de l’entièreté de ses limites. Sans doute par excès de réalisme, nous ne prédisons pas un grand avenir à cette humanité de demi-dieux, Hercule numériques dont l’hubris a depuis longtemps dépassé la réalité de la finalité humaine.

Ce serait pourtant une erreur de ne considérer le présent ouvrage qu’au travers du seul fil d’intrigue numérique. Déterminé par le combat avec son identité numérique, le personnage de Léon livre les prémices d’une analyse sociale et psychologique : celui d’un « provincial », monté à Paris pour réussir, face à l’adversité et à l’amour. Dans un registre parfois idéal, le roman nous plonge dans l’intimité de rapports sociaux, amoureux et familiaux complexes, mais toujours influencés par ce qui constitue une image : un « moi » numérique. L’autre…

Léon est, finalement, une confusion. Confusion entre deux mondes, deux univers sociaux, deux géographies, mais plus au-delà deux identités : un personnage et son reflet. C’est aussi la confusion entre la raison et l’émotion, entre la vie et la pensée, entre l’action et le regret. Cette confusion, il tente tant bien que mal d’y échapper, dans une vision naïve de l’humanité, dans l’idéal de l’Homo oeconomicus. Faire abstraction des émotions, produire, consommer. Un homme rationnel. Cette vision est une chimère qui méconnaît aussi bien les origines de l’homme que sa beauté. Origines, car il est bien candide d’imaginer une transition complète de l’australopithèque, chasseur cueilleur apparu voilà plus de 4 millions d’années, en un être culturel et économique étranger à tout caractère physique. L’homme est un animal. Un animal politique, mais un animal. Cette animalité se caractérise par ses émotions qui en font sa beauté. Car la rage qui fait le malheur des hommes et des civilisations se couple des sentiments les plus nobles, qui font l’art et l’amitié, entre les individus et les peuples. C’est cette valse permanente avec les émotions qui rend l’homme brillant dans sa démarche. Une idée que Léon peine à entrevoir. Nous lui donnons cependant raison sur un point : cette valse ne doit pas se transformer en galop infernal. L’hystérie des réseaux sociaux en est un piètre témoignage. Mais l’émotion n’est pas l’hystérie. Si l’humanité est le contrôle des émotions, l’hystérie numérique sera sa fin.

Justement, les émotions du jeune Léon seront mises à rude épreuve lorsque celui-ci croisera la route de Mathilde. Qu’avait-elle de particulier, cette jeune femme au prénom germanique, pour plus qu’une autre retenir l’attention de notre héros ? Quel genre de maléfice fit naître en Léon ces émotions consumant, cette envie dévorante d’un plaisir à partager ? Quel grand malheur attend le jeune homme chez qui apparaît un univers de maux derrière un ciel de désir ? L’amour est une forme de tragédie pour celui qui veut tout contrôler. S’en remettre au sentiment plutôt qu’à la raison, offrir sa vulnérabilité à l’autre est une forme d’aliénation. Quand se rencontrent deux êtres inaboutis dans leur plénitude, en somme incapables de vivre seuls, quelle idée originale de créer un troisième belligérant, le « nous » du couple. Ici, le troisième esprit est déjà là, mais n’est pas l’amour. Ce double qui poursuit Léon sera-t-il pour l’empêcher de vivre son histoire personnelle ? À moins que notre sujet considère la nuance suivante.

Si le numérique est effectivement une catastrophe pour notre civilisation, c’est parce qu’il constitue le théâtre d’une guerre permanente pour les sujets d’un même espace démocratique. Mais n’en est-il pas ainsi de l’amour ? L’amour, les liens entre hommes et femmes, ne sont-ils pas le nœud d’une traque permanente entre deux sexes ? Remarquons, pour filer la métaphore littéraire, que dans la littérature classique, les comparaisons entre guerre et amour vont bon train. Aussi n’est-il pas interdit de penser que le numérique n’est pas autre chose que la poursuite par d’autres moyens d’une guerre déclarée voilà des millénaires, premier des conflits entre les hommes. Sera-t-il, finalement, l’issue d’une société desséchée, désertée par l’amour ? C’est fort possible. Le numérique, qui devait être l’outil du rapprochement entre les peuples et les individus, est celui de leur séparation. L’outil qui devait faire l’Homo oeconomicus, plutôt que l’homme sensible, en fait un homme hystérique, incapable de raisonner. Mais, quitte à mourir, autant finalement mourir d’amour. Cela ne rendra la chute que plus belle.

Une dernière considération doit nous arrêter. Que fait, face à ce déclin civilisationnel, le politique ?

Le transhumanisme et ses conséquences a été cité dans cet avant-propos : si nous ne pouvons, sur le sujet, que difficilement en vouloir au scientifique, dont l’objectif légitime est de pousser au plus loin l’expérimentation, l’attente se tourne du côté du législateur en ce qui relève de la définition de l’acceptable et de l’inacceptable. Aussi, à partir du développement des premiers smartphones, l’ironie faisait dire que ces outils « feraient tout ». Constat doit être fait que nous nous en approchons. Ils remplacent même, aujourd’hui, la République doit la construction de ce nouvel espace politique. Pourquoi le politique ne se saisit-il que si timidement de cette question ? Et de toutes celles qui en découlent ?

À dire vrai, le numérique fait son œuvre, gagnant du terrain sur le politique. Parce qu’accroché à sa côte sur les réseaux, le politique, si plein de bonne volonté qu’il soit, s’efface au profit d’une identité numérique, constituée non pas d’idées, mais d’images. Car tout ce qui se conçoit bien se montre clairement dans cette société de la « comm’ ». Ainsi n’est-ce plus tant le fond qui est recherché par ceux qui s’essaient à la politique, mais la forme, c’est-à-dire la meilleure représentation. Aussi les hommes d’État se font rares aujourd’hui, et l’action politique se fait de plus en plus difficile. Le moindre fait ou geste d’un élu ou responsable politique se trouve décortiqué, dénaturé, sur les réseaux. Pour un rien ou un tout – et surtout pour un rien – une population numérique qui a, dans la dimension physique, largement abandonné les urnes démocratiques, dresse des procès en trahison auprès du tribunal populaire de la twittosphère. Nous nous permettons ces remarques, précisément parce que notre protagoniste s’essaiera à l’exercice politique – sur lequel nous ne porterons pas d’appréciation. Sinon que celle-ci : le lecteur aura plaisir à découvrir un « jeune-vieux politique ». Car le Léon politique ressemble à corps défendant au politicien type de la Troisième. Très attaché à la chose publique, fort minutieux dans son travail, fatigué des oppositions, ambitieux, et parfois, disons-le, orthodoxe. La politique est un de ces mondes professionnels et publics pesants, qui ne rend que plus vivace l’invitation au voyage, de surcroît quand la guerre intérieure fait rage.

Finalement, la vie n’est pas complète sans un accomplissement de soi-même comme sujet, pensant parce que culturel, émotionnel parce qu’humain. Ainsi, en politique, comme en amour, à travers chacun des thèmes de ce roman, c’est finalement à la recherche de réponses à ces nombreuses questions que le personnage principal nous emporte. À la recherche, surtout, de réponses à ses nombreuses questions.

Léon est le canasson de cette réflexion sociale, mais également profondément humaine, traduite par l’utilisation à outrance de « l’outil numérique » et de sa pénétration toujours plus complète de nos existences, pour le meilleur et pour le pire.

Au sortir de Malmaison, c’est surtout à Crillon-le-Brave, charmant village du Vaucluse, qu’en bon provençal notre auteur trouve refuge, pour penser et écrire, comme avant lui Pétrarque, qui nous laisse ces quelques lignes dans Épître à la postérité :

« Je rencontrai une vallée très étroite, mais solitaire et agréable, nommé Vaucluse, à quelques milles d’Avignon, où la reine de toutes les fontaines, la Sorgue, prend sa source. Séduit par l’agrément du lieu, j’y transportai mes livres et ma personne. »

Ainsi, bien que l’image de l’ascension du mont Ventoux, narrée entre ces lignes romanesques, soit probablement peu parlante pour le natif parisien, il n’est pas sans nous rappeler l’importance, pour les hommes, de la Patrie, grande ou petite. De quoi nous rapprocher de l’essentiel, de s’extraire de cette pesanteur numérique et sociale.

C’est pour ne pas vivre seul, d’après Dalida – qui s’invite dans la vie de Léon au détour d’une mesure romantique – qu’on aime « une ombre, n’importe quoi ». Est-ce pour ne pas vivre seul que Léon, qui nous emporte dans son histoire, a pour interlocuteur une présence énigmatique, fantomatique, sortie d’un songe, ou d’un écran ? Un proverbe africain nous apprend « qu’il y a plusieurs personnes en la personne ». L’histoire de Léon établit, précisément, le récit d’une extraction trop réussie de cette identité numérique, qui ne se distingue du corps humain et social que pour davantage le pénétrer et emporter toute réalité en son empire. Rodant autour du personnage comme la mort autour de la chanteuse égyptienne, l’identité numérique remet en cause tout à la fois l’identité personnelle du sujet que les bases de notre société. Une réflexion personnelle et collective d’un côté, « Un po’ d’amore » de l’autre. Deux dimensions bienvenues au milieu de tant de malheurs en Europe.

Puisse cette lecture inspirer chacun dans le monde numérique qui vient.

Matteo Pottier Bianchi

Première partie

L’ascension

I

Ce soir-là, je parvenais à toucher mon propre corps inanimé. Allongé sur le dos, la tête légèrement inclinée sur le côté droit que les bras, disposés comme un éventail, ouvraient au premier regard, j’enlaçais le coussin blanc. Je parvenais à voir ce visage triste, sans plus aucune vie, et souriais en me tournant vers lui. Je prononçai seulement quelques mots intérieurement ; ceux de ma vie, ceux de mon histoire. Cette lumière de projection était une capacité acquise au cours de mon existence, un exploit de conscience qui m’animait fortement. Le temps arrêté sur mon corps figé que je pouvais contempler me fit penser à l’histoire de ma vie. Celle que je me racontais, celle que j’allais découvrir, car, pour qui existe, la vie demeure une étrange suite d’expériences immédiates involontaires. L’homme qui meurt semble puni par le malheur involontaire de comprendre les immédiatetés de la vie. Les prétendues vérités qu’offre la vie sont des mensonges essentiels de l’émotion que la raison s’emploie de taire par la mise en sommeil d’une réflexion hystérique. C’était une vie d’amour qui naquit avant la parole raisonnée que j’avais vécue. C’était la beauté vivante de ressentir sans comprendre que j’avais laissé submerger in petto. Et pourtant, au même moment où je l’eus su, je cessai de le savoir. D’un rythme improvisé, je me projetais l’histoire de ma vie que je me racontais au côté de celui qui était mon autre moi ; qui n’était plus.

Respirer. Dormir. Rire. Pleurer. Aimer. Détester. Parler. Découvrir. Vivre. Mourir. Telles sont les simples actions fondamentales de nos vies, mais menacées par la route d’une vie rythmée d’immatériel. Ce constat, je le fis le premier jour de mon arrivée à Paris. Moi, le provençal qui débarquait à Paris, perçu dès mes premiers instants au sein de la Ville Lumière, la réalité de nos vies. Alors que le bruit sourd de la fermeture des portes du métro de la station ligne six de Bercy résonnait, tandis que l’odeur de la pollution souterraine se mêlait aux transpirations caniculaires du mois d’août parisien, je parvins à trouver une place assise aux côtés d’une jeune femme blonde immaculée. Dans la rame du métro six, nous étions, collés les uns sur les autres, si bien qu’il était de coutume de rester debout et de rabattre les sièges des places assises pour agrandir l’espace. Mon épaule droite touchait le haut de l’épaule gauche de la jeune fille. Pourtant, ce qui retint mon attention n’était, ni ses yeux bleu profond ou ses mains soignées d’une blancheur éblouissante dont le rouge écarlate de sa manucure laissait supposer une volonté de vivifier ses traits ; mais bien son téléphone portable qu’elle tenait dans ses mains et dont il m’était possible de voir l’écran en baissant la tête. D’ailleurs, comme la très criante majorité des individus qui composaient cette rame de métro, elle répondit aux messages qu’elle reçut et, en l’absence de nouveaux messages, elle s’empressait de consulter les dernières vidéos quotidiennes – pour ne pas dire horaires – des comptes de l’application Instagram auxquels elle était abonnée. Les stations défilaient et une information attira mon attention. En se rendant sur son profil de la messagerie WhatsApp, comme pour se contempler, le numéro de téléphone de la jeune femme s’afficha quelques secondes. J’ai toujours eu une mémoire visuelle et me répétais, dans ma tête, la suite des chiffres qui composait son numéro. C’est à ce même moment que je m’empressai de sortir de ma poche droite mon téléphone portable pour l’inscrire dans mes contacts. Il m’a fallu deux stations, voyant qu’elle ne sortait toujours pas de la rame, pour me décider à lui envoyer un premier message.

« Salut, lui écrivis-je.

— C’est qui ? me répondit-elle. »

Alors que nous arrivions à la station Glacière, à cinq arrêts de la station à laquelle je devais descendre, je me dis qu’il m’était possible de lui répondre la vérité à cette rencontre éphémère qui me permettrait de vérifier ce que j’observais.

« Ton voisin de rame ».

À la lecture de ce message, ma voisine de rame fronça les sourcils et se tourna aussitôt à sa droite. Elle croisa le regard d’un vieillard vêtu d’un béret qui lui sourit. À peine eut-elle le temps de dégainer de nouveau sa messagerie pour réagir que je lui envoyais un nouveau message.

« À ta gauche ».

Mon objectif n’était évidemment pas de l’effrayer. Dans mon esprit, je voulais vérifier une hypothèse que sans doute chacun est en mesure de conjecturer : l’approche par le message mystérieux a très nettement plus de chance d’aboutir sur une conversation intéressante et durable qu’un simple « bonjour » de vive voix, souvent retoqué par une indifférence totale. Cette approche, en ce qu’elle est mystérieuse, fascine. En ce qu’elle est immatérielle, protège inconsciemment du danger. Mais, et dans cette expérience précise, la proximité immédiate entre le récepteur et l’émetteur du message immatériel invalide le sentiment de protection. Voyant son visage inquiet, je souhaitais la rassurer.

« J’ai aperçu ton numéro sur ton écran, excuse-moi… je n’ai pas pu m’empêcher de t’envoyer un message directement pour plaisanter.

— C’est la première fois qu’on me fait le coup, me dit-elle en souriant.

— Au moins je n’ai pas besoin de te demander ton numéro.

— Tu emménages ? répondit-elle, apercevant mes deux valises. »

À mesure que nous approchions de la station Montparnasse, notre conversation, dont la durée a sensiblement augmenté en raison de l’immobilisation quelques dizaines de minutes durant de la rame de métro pour régulation, me permit de gagner sa confiance. Dans ce qui me paraissait être de courtes minutes, je ne parvenais pas à ressentir de l’intérêt pour ses histoires. Pas même lorsqu’elle me confia une anecdote de son enfance en Bretagne, lorsqu’elle perdit le collier en perles que son défunt père lui avait offert. Ressentir de l’empathie ? Je ne pouvais à cet instant que penser à mon seul objectif, celui de gagner sa confiance pour lui adresser mon ultime question qui viendrait valider mon hypothèse de départ.

Arrivée à la station Raspail, elle me dit :

« Je descends à la prochaine. J’ai en tout cas été ravie de faire…

— … je peux te poser une question ? lui ai-je demandé en l’interrompant.

— Sans ce message, nous ne nous serions finalement jamais adressé la parole ou dans tous les cas, certainement pas dans l’objectif de faire connaissance. Que m’aurais-tu dit si je t’avais abordé directement ?

— Tu n’es pas commun n’est-ce pas… je ne peux pas répondre précisément à ta question, mais il est vrai que si je devais répondre à tous ceux qui m’interpellent en une journée j’y serais encore. Où veux-tu en venir ?

— Non, mais ce n’est rien, je te remercie. »

En descendant de la rame, arrivée à la station Denfert, elle me prodigua quelques conseils, que je retins comme prochaine destination : « à bientôt et n’oublie pas ce que je t’ai dit, poursuis jusqu’à Bir Hakeim pour apercevoir la tour Eiffel ». Elle partit, je l’observais.

Il est vrai que si je devais descendre dans deux stations à Montparnasse rejoindre l’appartement que mes parents m’aidaient à louer pour mes études à Paris, le conseil de la jeune fille était très intéressant. Il me suffirait de prendre le sens inverse pour retrouver mon arrêt. Il était vingt et une heures cinquante-neuf lorsque j’aperçus la majestueuse Tour Eiffel à travers les vitres de la rame de métro de la sixième ligne. Mais, toujours dans l’observation, j’étais frappé par un constat, toujours le même : le téléphone portable monopolisait l’attention des individus composant la rame de métro. Tandis que quelques touristes cherchaient à prendre la plus belle photographie possible avec leur portable, certains Parisiens, habitués de la ligne, ne prirent même pas le temps de détourner le regard de l’écran de leur téléphone portable pour observer ce magnifique panorama d’une tour Eiffel éblouie par le coucher de soleil. D’autres étaient rivés sur leur montre à attendre – presque en priant – le glas des vingt-deux heures pour prendre une vidéo de la tour Eiffel illuminée. La mise en scène des photographies occupait l’esprit de cette rame de métro qui ne profitait plus de la matérialité du paysage. Les quelque sept mille trois cents tonnes, qui composent la charpente métallique de la Dame de fer, étaient supplantées par un vulgaire rectangle de quelques grammes, rendant sa beauté immatérielle. Cette critique, je me l’étais appliquée lorsqu’en voyage scolaire en Égypte, en classe de terminale, je prenais aussi grand soin de capturer de la plus belle manière les pyramides de Gizeh. Que de prises de vue mobilisées pour obtenir, finalement, une photographie des plus classiques du désert égyptien ! Mais qu’importe, mon compte Instagram en était rempli. C’était mon unique voyage.

Quoi qu’il en soit, cet épisode m’a marqué. Cette première sortie au sein du métro parisien me conforta effectivement dans l’idée que nos vies étaient altérées par l’outil numérique et en ce soir orageux, la veille de mon épreuve de finances publiques, cette pensée m’empêchait de m’endormir. J’étais installé depuis cinq semaines dans un studio de trente mètres carrés au quinzième étage d’un immeuble moderne en face d’une tour de maintenance de la gare SNCF de Montparnasse. Je restais dans mon lit à songer à cet épisode. Je n’avais pas cherché à recontacter la jeune fille pour laquelle j’avais pourtant soigneusement pris le temps d’inscrire son numéro dans mes contacts. Je regardais avec attention les draps bleus fleuris de mon lit. À mesure que je compris qu’il m’était impossible de m’endormir, mon corps tout entier et mes mains se dirigèrent maladroitement vers la table de nuit située à ma gauche sur laquelle chargeait mon téléphone portable. Presque nerveusement, j’eus ce besoin de consulter mes notifications et de répondre aux messages reçus.

« Hey Léon ! N’oublie pas d’apporter demain la calculette que je t’ai prêtée stp », pouvais-je lire signé de mon ami Simon avec lequel je suis le cours de finances publiques.

« Ce serait bien que nous trouvions le moyen de nous appeler une fois par semaine, Maman ».

Entre d’autres notifications des réseaux sociaux Twitter, Snapchat et Instagram, je reçus à cet instant un message au sein de mon groupe de classe d’une certaine Mathilde dont l’image de profil laissait suggérer une femme soignée, populaire et de prime abord, superficielle. « Bon l’interro de demain est reportée, regardez le mail du prof. C’est reporté à la semaine prochaine. On n’a donc pas cours demain ! »

Loin de moi l’idée de répondre à ces futilités, un mot résonna dans ma tête : « Pourquoi ? » Oui pourquoi ressentis-je ce besoin presque nécessaire de consulter mon téléphone ? Certes, cela me permit de m’informer du report de l’épreuve de demain. Que dire d’ailleurs de ce professeur qui ne trouve rien de mieux que d’adresser un mail si important à vingt-trois heures quarante-six la veille de l’examen ? Mais qu’importe, ce n’était pas en consultant cet outil numérique que je parviendrais à m’endormir. Au contraire, la lumière bleue dégagée de l’écran stimule notre cerveau et le maintient éveillé. C’était la première fois que j’eus cette pensée. Je continuais pourtant à consulter les réseaux sociaux jusqu’à ce qu’un bruit de verre retentit dans la salle de bain située à quelques mètres de mon lit. Je sursautai et aperçus la silhouette d’un homme vêtu d’un tee-shirt blanc et d’un pantalon de la même couleur, portant une casquette, traverser le couloir et se rendre dans la cuisine sans me prêter la moindre attention. En à peine deux secondes, il fit le chemin qui le mena de la salle de bain à la cuisine. Je tremblais et m’empressais de me rendre, hésitant, dans la cuisine. Je n’entendis aucun bruit. Il n’y avait personne. La cuisine était vide. Alors, tout étonné et en état de choc, je me rendis dans la salle de bain. Le bruit de verre, lui, ne pouvait pas être irréel. J’étais certain d’avoir entendu le bruit d’un éclat de verre. Peut-être était-ce le miroir, pensais-je. Non. Lorsque j’allumai la salle de bain, tout était intact. Le pommeau de douche de la baignoire était au même emplacement qu’à sa dernière utilisation et le flexible en métal était bien ordonné en escargot. Le miroir n’avait aucune fissure et ne souffrait d’aucun débris de verre. La salle de bain ne laissait présager aucune intrusion. Il n’y avait de toute manière aucune fenêtre. Je me dis qu’il était temps de me reposer, que la fatigue me faisait rêver éveillé. Après quelques minutes à surveiller la cuisine et la salle de bain de mon logement, je me décidais à dormir. J’étais pourtant en proie aux agitations de mon intellect perturbé par ces pensées.

Le lendemain, je me réveillai aux aurores et pris une douche. Je contemplais le miroir et souris en l’apercevant intact. Je sortis chercher du pain à la boulangerie habituelle. Il faisait beau temps, le soleil parvenait à masquer le brouillard de pollution. Comme chaque matin, c’était Estelle qui me servait mon pain aux herbes de Provence qui me rappelait mon enfance. J’aimais me rendre dans cette boulangerie avenue Denfert-Rochereau. Chaque jour, Estelle demandait à son premier client s’il lui était possible de prendre un selfie avec lui pour le poster sur ses réseaux sociaux. C’était une manière pour la boulangère de débuter sa journée. Ce jour-là, et d’une manière surprenante un lundi, j’étais son premier client.

« Oh, Léon bonjour, si tôt un lundi ? me dit-elle étonnée.

— Un cours a été annulé, j’ai donc l’occasion de venir plus tôt ! Je prendrai comme d’habitude ».

Elle me demanda si j’acceptais de prendre un selfie à ses côtés pour débuter la journée. Nous avions fait, ce jour-là, la deux mille quatre cent quatre-vingt-douzième photographie figurant sur ses réseaux sociaux. Mais une fois de plus, la pensée d’hier me traversait l’esprit : « pourquoi ? ». Quel est l’objectif de multiplier autant de selfies et de les poster sur un compte qui atteint péniblement les quatre cents abonnés ? Immortaliser le moment d’une vie n’est utile que si ce même moment possède un intérêt à être transmis. Je me rappelai cette formule de Proust « la photographie est l’art de montrer de combien d’instants éphémères la vie est faite » et lui demanda :

« Pourquoi cette nécessité de capturer chaque jour un instant aussi éphémère que le service d’un premier client ?

— Ce n’est qu’une tradition et cela me permet d’alimenter mes réseaux ! me répondit-elle en souriant.

— Quand bien même vous n’obtenez pas un nombre mirobolant d’abonnés, je resterai prendre mon pain ici parce qu’il est bon, vous savez ! dis-je d’un ton presque hautain.

— C’est gentil, mais si vous saviez le nombre de clients que j’ai réussi à mobiliser depuis que je poste régulièrement chaque jour. »

La formule de Proust s’applique parfaitement au célèbre Henri Cartier-Bresson qui possède cet instinct de la capture de l’instant décisif. Mais certainement pas à cette boulangère qui monétise la capture de l’éphémère. Que dire aussi de ces clients non plus attirés par le pain de la boulangerie en lui-même, mais par ce qu’il représente. Je pris le pain aux herbes de Provence après avoir payé une Estelle naïve de mes critiques et me rendis en direction de mon appartement. Après avoir déjeuné, je me décidai à me rendre à la bibliothèque de l’université d’Assas pour étudier. Attendant le bus de la ligne cinquante-huit, je m’assis sur le banc de l’arrêt de bus situé juste devant un petit parc de la gare Montparnasse. Le soleil intense reluisait sur les carreaux de la grande tour qu’il m’était possible d’apercevoir. Il y avait une petite fille qui jouait avec sa tétine, quitte à la jeter par terre aux plus grands déboires de sa maman surchargée, tenant en ses mains, jusqu’à l’épaule, six sachets de courses et déplaçant péniblement vers l’avant une poussette vide aux côtés de laquelle la petite fille tapait du pied. Désespérée de ne pouvoir ramasser la tétine que sa fille avait pris soin de jeter par terre sans chercher à la reprendre, la mère souffla et s’arrêta puis fléchit les jambes lorsqu’un homme se baissa. De mon point d’observation, il m’était impossible de savoir si la femme était parvenue à prendre elle-même la tétine ou bien si l’homme la lui donna. Tous deux étaient baissés. Lorsqu’il se leva, je reconnus la silhouette de l’apparition de la nuit dernière. Habillé tout en blanc, il poursuivit son chemin en face de mon arrêt de bus et s’arrêta quelques secondes, presque symétriquement à ma position avant d’entrer au sein de la gare Montparnasse. Depuis que j’eus cette interrogation « pourquoi ? » la veille, je sentais en moi une force inexplicable et l’apparition qui se confirma soudainement m’inquiéta. Je n’avais pas le temps de croiser son regard ni d’identifier son visage en raison de la casquette blanche qu’il portait, prenant bien le soin de baisser sa tête en marchant. J’étais persuadé qu’il s’agissait d’une hallucination et ne pris pas le temps d’entrer dans la gare. À quoi bon de toute manière entrer dans un lieu accueillant chaque seconde des milliers de personnes ? Le bus arriva et je me rendis à la bibliothèque de l’université innocemment.

J’avais donné rendez-vous à Simon pour travailler ensemble. C’était un homme soigné, toujours vêtu d’une chemise à carreaux, bordeaux de préférence. L’été, il laissait deux boutons détachés et attachait dans la fente apparente ses lunettes de soleil prêtes à porter. Je lui rendis sans tarder la calculatrice qu’il avait pris soin de me prêter et nous nous racontions nos week-ends respectifs. Il s’était rendu chez lui à Carcassonne retrouver sa famille. Il me raconta sa traversée en bateau du canal du Midi sous le frissonnement des platanes et, comme s’il s’agissait d’un événement surprenant, me confia que Benoît avait demandé en mariage sa grande sœur Christelle au cours de cette promenade. En réalité, je savais déjà tout ceci par l’intermédiaire des très nombreuses publications qu’il avait postées sur ses réseaux sociaux. Faisant mine de surprise, je lui adressai mes félicitations pour sa sœur. Toujours cette même donnée avec les réseaux sociaux qui nous mettent très largement et immédiatement à jour de la vie de nos amis, quitte à essouffler les conversations physiques. Mais j’étais sincèrement ravi pour sa sœur et content pour mon ami que tout aille bien chez lui. Je savais ô combien il était difficile d’étudier si loin de chez soi tout en entretenant une vie de famille. Qui plus est, être le fils unique par la force des choses n’aidait pas puisque mes parents cherchaient constamment à occuper et connaître ma vie. Le décès soudain de mon frère avait marqué les esprits et hantait mes parents qui ne voulaient pas que je parte. Comme une évidence, nous allions nous voir bien moins à distance. C’était mon cas, je ne pouvais désormais les voir que quelques jours durant les vacances universitaires, ce qui était insuffisant malgré que nous tentassions d’installer un rituel hebdomadaire d’une conversation téléphonique.

La journée d’étude s’achevait et je rentrais chez moi. Se tenait dans le hall de l’immeuble Maurice, le concierge, qui était au téléphone. Il y avait une affiche sur la porte d’entrée informant les habitants de l’immeuble de la panne des deux ascenseurs. Après une attente de cinq minutes, voyant le regard désespéré et désolé de Maurice, je pris les escaliers et débutai l’ascension jusqu’au quinzième étage. Je n’étais pas le seul dans cette pénible situation et entendais l’agacement de plusieurs personnes. Certains plus âgés restaient dans le hall en attendant l’intervention de l’équipe de maintenance pour regagner leur appartement. J’ai toujours été sportif et cela ne me dérangeait pas outre mesure de gravir les paliers. Arrivé au quatrième étage, j’aperçus une personne âgée montant péniblement et à faible rythme les marches.

« N’auriez-vous dû pas attendre dans le hall le dépannage ? lui ai-je suggéré surpris de la trouver ici.

— Je ne veux pas y passer la soirée, mon garçon ».

Je lui tins la main et l’aidai à monter les marches. Nous atteignions le cinquième, puis le sixième et septième palier tout doucement, à son rythme. Elle habitait au dixième étage. Tout au long du trajet, elle me raconta des anecdotes sur l’immeuble, cela faisait – après tout – trente années qu’elle vivait ici. Avec toujours le même ricanement en fin d’anecdote que l’on peut aisément rapprocher avec ceux des sorcières des films d’animation de Disney, elle me racontait les fois où des jeunes enivrés toquaient et cherchaient à ouvrir sa porte se situant juste à droite de l’ascenseur du dixième étage, croyant qu’il s’agissait d’un local pour les déchets. Arrivés à son étage, la fin de notre discussion prit une tournure énigmatique en ces mots qu’elle prononça en guise d’au revoir :

« Une ascension comme une épreuve ne révèle pas autre chose que ce que nous sommes déjà, ha ha ha ». Ce ricanement à chaque fin de phrase m’exaspérait, mais je retins ces quelques mots comme des remerciements.

Devant le palier de la porte de mon appartement, je sortis mes clés qui tombaient aussitôt sur le sol. En m’abaissant pour les ramasser, je vis l’homme en blanc au fond du couloir. Je décidai de ne pas y prêter la moindre attention et ouvris ma porte. En entrant, je posai mes affaires sur l’étagère située dans la petite entrée de deux mètres carrés agencée comme un couloir. J’allumais la salle de séjour et, cette fois-ci, sans qu’il eût été possible de se tromper, je perçus l’homme avachi sur mon canapé qui regardait le téléviseur éteint. Je lâchai mon sac et à peine ai-je eu le temps de regarder vers le sol lorsque ce dernier tomba et s’ouvrit, laissant sortir mes cahiers et livres qui y étaient logés, que l’homme disparut. Cette fois-ci, je compris, tout ceci se déroulait bien dans ma tête. Il ne pouvait se téléporter ainsi, pensais-je. Étrangement rassuré, je passais une soirée des plus normales, sans arrière-pensée sinon celle d’une fatigue identifiée.

La nuit, je m’endormis rapidement et sans difficulté après avoir répondu aux derniers messages reçus et mis à charger mon téléphone sur le bureau éloigné de mon lit, sans m’interroger sur des questions existentielles. Le mardi est la journée la plus chargée de la semaine avec un enchaînement de cours de neuf heures à vingt heures. Un sommeil profond me gagna, je gémissais dans mon sommeil sans pouvoir me réveiller. Je faisais un rêve étonnant qui me marqua. J’étais au cœur – le milieu pensais-je – d’un couloir interminable digne de celui reliant la partie administrative de la partie ministérielle du Quai d’Orsay au sein duquel j’avais eu l’occasion d’effectuer un stage. Ce couloir comportait une particularité : il était jonché, tout le long, de miroirs qui se reflétaient les uns sur les autres. Je m’avançais jusqu’à ce que la silhouette de l’homme en blanc se distinguât. Cette fois-ci, je parvenais à voir son visage. Il était devant moi, je pouvais le toucher. J’avais conscience de rêver.

II

Cet homme me ressemblait en tous points. Il était moi. Enfin, pas exactement. S’il s’agissait de mon reflet, celui-ci était d’apparence bien plus athlétique que moi et vêtue d’un accoutrement que je ne songerai même pas à porter comme vêtement de nuit. Sa posture, surtout, ne correspondait pas à la mienne. Il se tenait droit, sûr de lui. J’avais les épaules relâchées et étais crispé. Physiquement, il était mon moi perfectionné. Pourtant, lorsqu’il ouvrit les yeux, je perçus deux yeux rouge vif dont les cernes étaient creusés. L’apparence fatiguée de son visage m’interpella. Je m’interrogeais sur le sens de ce rêve, alors même que je le vivais. Cette fois-ci, je compris, il était mon reflet. Mon autre-moi.

« Qui êtes-vous ? dis-je en connaissant un début de réponse.

— Avançons, je t’en prie, répondit-il.

— C’est qu’il n’y a aucune explication rationnelle au fait même que vous pensez maîtriser la conversation, alors même que je suis votre créateur et que je peux tout aussi bien décider de ne plus vous projeter dans ma réalité.

— C’est une bonne chose de percevoir les événements ainsi. Mais tu ne peux pas tout maîtriser et je suis ici pour t’apprendre ce que tu as souhaité convoquer. »

À ce moment précis de notre conversation, je me demandais s’il était bien loisible qu’il endosse le rôle du professeur. J’avançai comme pour m’éloigner de sa présence dans ce couloir infini.

« Léon, mon cher, ralentis.

— Vous n’avez pas répondu à ma question.

— Je suis une partie de toi.

— Pourquoi donc cette partie a-t-elle l’air si sinistre ? Ne dormez-vous pas ?

— Il s’agit de mon apparence et tu peux tout à fait lui donner le sens que tu souhaites. Comme je suis heureux d’être enfin sorti de ta tête.