L’éclaboussure du sang d’honneur - Leroi Djabiri Madi - E-Book

L’éclaboussure du sang d’honneur E-Book

Leroi Djabiri Madi

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Beschreibung

"L’éclaboussure du sang d’honneur" retrace le destin bouleversant de Mzé Tchoiby, éperdument amoureux de Zaina-Mamy. Déterminé à préserver l’honneur de celle qu’il chérit, il sollicite l’aide des marabouts, tandis qu’elle s’abandonne aux mystères des djinns. Convaincu de sceller leur amour par un mariage somptueux, Mzé Tchoiby voit son rêve se briser face à la trahison de Zaina-Mamy. Cet affront le précipite dans une folie sans retour, sous l’œil impuissant d’une société enracinée dans ses traditions et des puissances spirituelles silencieuses. Un récit envoûtant où se croisent passion dévorante, poids des coutumes et désillusions tragiques.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Inspiré par sa rencontre avec Abdou Salam Baco, premier écrivain de Mayotte, Djabiri Madi Leroi découvre que l’écriture peut devenir un moyen d’expression pour sa communauté. Profondément engagé dans la valorisation et la transmission de sa culture, il puise dans ses racines pour nourrir son œuvre littéraire. Auteur du recueil de poèmes polyphonique "La valse des djinns" – "Français – "Kibošy "–, publié en 2019 aux Éditions Jets d’Encre, il fait résonner la richesse de sa langue et de son patrimoine dans une démarche artistique et universelle.

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Seitenzahl: 206

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

Page de titre

Djabiri Madi Leroi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’éclaboussure du sang d’honneur

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Djabiri Madi Leroi

ISBN : 979-10-422-5773-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Zema za pundra masuzi.

« Au bien qu’on lui fait, dans le meilleur des cas, l’âne répondra par un pet. »

« N’attends jamais un meilleur retour venant d’une personne à qui tu auras rendu un service ou que tu auras sortie d’un embarras quelconque. »

 

Dicton mahorais

 

 

Mandeha tsy mizaha, koa mantsôtroko vaky vàva.

« Celui qui marche les yeux fermés doit s’assurer de ne pas trébucher, au risque de se casser les dents. »

 

Dicton kibošy

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’amour est un grand bien qui produit de grands maux

L’amoureux ne doit pas éviter ces maux.

Dans l’amour, le vaillant c’est celui

Qui, lorsque l’amour l’attaque, capitule.

 

Djalâl-od-Dîn Rûmî, Rubâi’yât

 

 

 

 

 

Préface

 

 

 

L’amoureux des temps et des lieux d’un instant furtif peut devenir l’ombre de lui-même en un instant de folie désirée. L’agacement des cieux et des envieux rampe à l’œil nu de l’amant qui attend sans l’espoir du lendemain. Écoute la vague d’émotions qui submerge les rivages d’un visage passionné par le corps défendant d’un lutteur des nuits solitaires ! Écoute ! C’est le prix de la passion et de la dévotion qui sonne à l’entrée de l’être épris. Il n’y a nul doute que l’amour et l’honneur font un mariage de raison.

Djabiri Madi Leroi est l’un de ces amoureux du lendemain. Un indomptable lion des lettres et des fresques d’histoire et de mémoires qui transmettent bribe après bribe les secrets d’une culture de mystères et de légendes vivantes. Il a su dépasser le monde des certitudes et des servitudes pour dompter celui de la quiétude des sens et des mots d’une lune apaisée. Il parcourt les sentiers de notre mémoire à la recherche de l’intimité de notre histoire et de ce passé souvent refoulé, abandonné, écrasé par une modernité triomphante sans gloire. Il est la plume d’une nuit à la recherche de sa lumière à l’aube d’une ère nouvelle. Ses mots vous emportent dans les méandres d’une terre peuplée d’esprits, d’envoûtement, de regards et d’égards à l’endroit de celles et ceux qui ont vécu et qui vivront demain encore. L’encre qui coule au bout de ses doigts est l’essence d’une vie parfois habillée de la robe d’une bruyante solitude réclamant la paix de l’âme, la quiétude de l’esprit vif. Il marche derrière des mots, il court après les verbes pour guérir les maux d’un peuple tiraillé entre hier et aujourd’hui. Ses écritures sont le transport de nos espérances soufflant sur les nuages de nos tristesses bienvenues. J’attends le jour et la nuit, la peur et le bonheur, la certitude et l’incertitude entre chaque ligne créée par la main de cet enfant du Nord baignant dans ses mondes où la nuit est le jour. L’auteur nous amène au cœur de nous-mêmes, à l’endroit même où nous devons faire face à ces instants aigres-doux, entre amour et désespoir, entre rires et tristesse. Il sublime ces instants de la vie qui marquent nos personnes à tout jamais. Son regard perçant sur l’indicible ouvre les yeux aux aveuglés de l’amoureux d’un visage, d’un soupir, d’un papillon battant le pavillon des cœurs entre printemps et été. Qu’il est bon de savoir que du haut de sa plume aiguisée, l’un de nous veille sur ce que nous sommes, sur ce qui donne du sens à un geste, un regret, un sourire ! Les corps de nos terres en mouvement gardent le pas de nos danses, de nos veillées et de nos chants rythmant la saison des vents debout. Il me tarde de croire à cette liberté de s’abandonner à l’espoir d’un amour réconciliateur refondant les liens de nos passés entremêlés.

Les chemins que vous vous apprêtez à prendre, dans quelques lignes, seront parsemés d’étoiles, d’ombre et de pénombre, d’esprits incompris et de rêveurs d’un monde meilleur. Accompagnez le périple de celles et ceux qui toisent la peur et chérissent l’espoir d’un exploit à venir. Vous serez certes de ceux qui sèment l’espoir en lisant le cœur léger.

 

Soula Said-Souffou

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par la tête d’Alphabète

 

 

 

 

 

Il est 17 h 30. Le soleil entame la fin de sa vaste carrière et laisse traîner à l’horizon ses rayons vermeils et ardents comme du fer fraîchement sorti d’un chaudron. Cet instant porte plutôt malheur aux nouveau-nés qu’il faille s’en préserver, tandis que pour d’autres, adultes, l’intérêt est juste ailleurs que dans la beauté funèbre d’un coucher du soleil : la mort de la journée. Elle renaîtra forcément demain ; mais sous quelle forme ? On compte sur la nuit pour apaiser les durs moments de la journée. Cependant, il arrive qu’elle soit plus mouvementée que la naissance du volcan au large de Mayotte.

Nous sommes ici à Antanimangotroko, un village paisible du nord de Marovoanio.

Un homme est assis à califourchon sur le tronc d’un takamaka tombé au dernier « kashikazy ». Il y était déjà trois heures plus tôt, toujours seul et pensif, regrettant sans doute le temps des « Lakazèra » et des amourettes.

À quelques pas de là, sous l’ombrage donnant vue à la mer et à même le sable, des hommes ont pour coutume de se retrouver pour palabrer et tuer le temps en attendant les appels du muezzin de la journée. À peine le soleil s’efface à l’horizon que la place se vide. Ici, tous les sujets trouvent leur place. Se distingue comme maître-conférencier celui qui parle le plus fort et possède le plus d’histoires à raconter. Il arrive même que des défis y soient lancés, comme celui de chiffrer avec exactitude le nombre de feuilles que contiennent le takamaka ou le badamier de la place.

On raconte que l’arbre, sur le tronc duquel s’assied notre homme, est tombé, épuisé par les clabaudages et les bêtises qu’on échangeait sous ses pieds : le « kashikazy » n’est qu’un prétexte.

Il s’appelle Mzé Tchoiby. Cela fait sept ans qu’il s’est éloigné de ses co-palabreurs pour méditer seul dans son coin, oubliant parfois la tombée de la nuit pour rentrer chez lui. Il est devenu fou.

— Assalamanlaikom ! lui dis-je en guise de salut.

Mzé sursauta avec un mouvement spasmodique et me répondit :

— Vous êtes le frère de Zaina-mamy ?
— Vous me confondez, lui répondis-je. Mais… que puis-je pour vous ?
— J’ai rendez-vous avec son père ici et je l’attends, me dit-il.
— De ce pas, je vais l’appeler, si vous le souhaitez… en garçon poli, lui ai-je proposé.

À ces mots, levant les yeux, je remarque un homme devant moi. Il me fit un signe de la main en pointant son index sur sa propre tête, juste au-dessus de son oreille droite, pour m’indiquer que Mzé Tchoiby n’a pas toute sa tête.

Le chagrin d’amour a diminué ses facultés mentales.

En effet, il y a dix ans jour pour jour, une grande fête a été célébrée dans le village en l’honneur du mariage de Zaina-mamy et Mzé Tchoiby. Pendant deux semaines, danses et chants folkloriques, prières et bénédictions diverses s’étaient succédé, pour marquer la joie des mariés et de leurs parents respectifs. Zaina-mamy a su préserver sa virginité jusqu’au jour de son mariage, et Mzé Tchoiby était l’heureux élu de la chose convoitée. Les convives affluaient de tous les villages et les festivités étaient à la hauteur de l’événement et du statut de la famille de la mariée. Une famille connue de l’est au couchant, une famille bénie, dit-on dans la région, par les astres et les esprits des ancêtres.

Le premier jour du mariage, un tissu blanc taché du sang virginal fut brandi par les mpiamby, « les dames qui veillent au bien-être des mariés », au son des youyous, sous les yeux joyeux des parents. Ce rituel validait la consommation du mariage et la pureté de la jeune fille, devenue mariée. Elle s’est mariée vierge. Tout le village devait le savoir, et en premier lieu, les parents et surtout la mère de Mzé Tchoiby. À cette dernière, la famille de Zaina-mamy était tenu de présenter le tissu taché de ce sang pour prouver que leur fille était une vraie « jeune fille » jusqu’au mariage. Mzé était un homme chanceux. Il avait épousé une femme belle, issue d’une famille de bonne réputation et dotée d’une excellente éducation.

Des félicitations tombaient de toute part. Aussi, on pouvait entendre, dans le voisinage et au-delà, des parents ayant appris avec jalousie la nouvelle, attirer l’attention de leurs filles déjà en âge de procréer sur l’obligation de se préserver.

« Vous voyez ? Zaina-mamy fait la fierté de ses parents et de tout le village. Elle a su se préserver. Et vous, évitez les “Lakazèra”… Si ces garçons vous aiment vraiment, qu’ils se présentent ici auprès de nous, comme l’a fait Mzé Tchoiby à la famille de Zaina-mamy ! » De sérieuses mises en garde.

C’était un événement très attendu, connaissant la famille de la mariée et la place qu’elle occupait dans ce village d’Antanimangotroko et dans toute la région.

Déshonorer sa famille en ayant perdu sa virginité avant le mariage était presque un crime. Et surtout s’agissant d’une fille issue de cette famille, la famille de Bawily.

Le jour du mariage, Bawily, le père de Zaina-mamy, avait aiguisé son « pija » (coupe-coupe) pour être prêt à égorger sa fille, si jamais il s’avérait qu’elle n’était pas vierge. Ce fut un moment de grande émotion pour lui. Sa dignité, son honneur étaient en jeu, car le village ronronnait, quelque temps auparavant, que la fille jouait au cache-cache avec un garçon du village voisin. On l’avait vue à plusieurs reprises raser les murs pour aller trouver ce garçon, pendant que son père s’adonnait à ses activités spirituelles ou jouait son rôle de bon polygame. De plus, à l’approche du mariage, les bruits avaient repris de plus belle qu’elle ne serait plus vierge. C’était pour cette raison qu’il était prêt à commettre l’irréparable, tuer sa fille si jamais les rumeurs étaient vérifiées.

Avant cela, ayant entendu les rumeurs, « Bawily » avait tenté de conclure un mariage arrangé entre sa fille et l’un de ses cousins. Il voulait s’assurer ainsi de pouvoir préserver l’honneur de la famille et éviter que Zaina-mamy commette l’inacceptable : avoir une relation sexuelle avant le mariage, perdre sa virginité. La démarche n’avait pas pu aboutir et pour cause, un voyant très connu et très respecté de la région avait annoncé un malheur irréversible qui s’abattrait sur la famille, si le mariage entre celle-ci et son cousin venait à être célébré.

Or, le mal était déjà fait, pour ce qui concerne la relation sexuelle hors mariage. De source sûre, Mzé Tchoiby avait appris la nouvelle et n’avait pas hésité à la chuchoter à l’intéressée un jour, qu’il était au fait de la chose. Zaina-mamy, prise de panique, pensant que le secret était bien gardé, supplia Mzé de ne rien dire. Celui-ci respecta le pacte du silence sachant qu’il était très amoureux de cette dame, mais n’avait jamais réussi à la conquérir. Il aurait pourtant pu en profiter pour répandre la nouvelle par pure jalousie !

Pendant longtemps, il avait usé en vain de tout ce qu’il pouvait pour courtiser celle-là que les intimes surnommaient « La-sucrée » : ce surnom n’était connu ni des parents ni des personnes averties de la famille. Seules les personnes « intimement intimes » pouvaient l’appeler ainsi. Mzé Tchoiby, malgré tout, faisait partie des personnes qui pouvaient l’appeler par ce surnom.

Un jour, promenant mes oreilles parmi l’ombrage des badamiers et des takamakas de la place, j’ai surpris la conversation de deux des anciens amis de Mzé au sujet des manœuvres qu’il employait pour espérer l’amour de la La-sucrée. Constatant ma présence, ils se sont abstenus de prononcer un nom, mais plus tard, j’ai su qu’il était bien question de Mzé. Celui-ci, paraît-il, pouvait surveiller, suivre discrètement La-sucrée pendant des heures, tel un fauve qui guette sa proie. Il était ainsi prêt à récupérer toute chose appartenant à Zaina-mamy qui pourrait lui servir à la marabouter afin de pouvoir l’épouser : un morceau de tissu lui appartenant, quelques mèches de ses cheveux, entre autres.

À ce sujet, dans la culture d’ici, à Antanimangotroko, on ne jette pas les cheveux n’importe où : soit on les enfouit dans le sable, soit on les jette à la mer ou encore on les cache à l’abri des personnes qui pourraient les récupérer pour faire des grigris ou du maraboutage. Mzé devait donc faire preuve de beaucoup de patience pour obtenir un bout de cheveux de sa future dame. À force de la surveiller et de la guetter de partout, ses amis avaient fini par l’appeler « Ampitsidiky-moraba » c’est-à-dire un espion, un voyeur des toilettes.

En effet, à cette époque, connaissant l’architecture des habitats de la place, les maisons étaient composées de deux chambres : « tapalalahy » (la chambre du monsieur) et « tapaviavy » (la chambre de la femme), avec une grande cour au sein de laquelle on trouvait la cuisine et, un peu excentré, le « morabakely », c’est-à-dire la salle d’eau qui fait office de salle de bain et des toilettes en même temps. La clôture de la cour était à base de bambou, de bois et de feuilles de cocotier. Mzé, au risque de se faire attraper, n’hésitait pas à écarter les feuilles de cocotier, y faire un trou pour observer discrètement La-sucrée dans sa salle de bain à ciel ouvert. Toutes ses manœuvres, comme la drague ne suffisait pas, étaient coordonnées par un voyant, un marabout de confiance. Les morceaux de tissu, les bouts de cheveux ou même de la terre sur laquelle Zaina-mamy venait de poser ses pieds servaient au marabout pour ensorceler la fille afin que celle-ci accepte Mzé Tchoiby, malgré elle, comme compagnon.

D’après cette conversation que j’ai surprise, il lui arrivait à Mzé de se baigner dans de l’eau altérée par les restes de poissons stagnant dans les pirogues pour augmenter ses chances de se faire aimer : comme si les grigris et diverses potions que lui administrait son marabout ne suffisaient pas. Il est de coutume d’entendre dans cette localité que se baigner dans de l’eau pourrie stagnant dans les pirogues porte chance.

Au hasard des circonstances, un jeune homme du quartier, amateur de la poésie passait régulièrement devant la maison de La-sucrée et récitait à haute voix un poème extrait de « La valsedes djinns » intitulé « Le sang d’honneur » qui dit ceci :

« Il y a du sang qui fait jaillir des youyous

Le sang signe de la pureté, le sang d’honneur

Une goutte sur un tissu blanc

Sur la place il pleut des youyous

La belle-mère baigne dans le bonheur

Signe, nul doute, qu’il n’y a pas de flou

Le sang d’honneur coule

La langue roule des youyous

Pleure qui veut de bonheur

Crie “d’honneur”, youyous étouffent

Pleure de plaisir et de désir

Soif assouvie des youyous

Danses carnavalesques

Accompagnent cris de joie, cris d’honneur

Il y a du sang qui fait jaillir des youyous

Le sang signe de la pureté, le sang d’honneur

Une goutte sur un tissu blanc

Sur la place il pleut des youyous

 

Malheur ! Tissu dépourvu de sang

Baigne la foule dans le flou

Honte et déshonneur

Raccourcissent la joie d’union

Le visage exsangue

La belle-mère est fiévreuse

Le silence a déçu la place

Las, las, malheur, malheur

Rase les murs, tête couverte

Honte, honte, honte

L’absence de la goutte d’honneur

Trouble les esprits et sème le doute

Le silence a gagné la place

Honte, honte, enfant de malheur

Il y a du sang qui fait jaillir des youyous

Le sang signe de la pureté, le sang d’honneur »

 

Au vu du caractère répétitif et régulier du passage du jeune homme devant sa maison, en scandant ces vers, surtout la dernière partie du poème, Zaina-mamy était prise de panique : elle s’était sentie visée par le poème. Ne sachant quoi faire, elle alla trouver Mzé pour demander une explication, persuadée d’avoir été dénoncée par ce dernier qui était censé garder le secret. Elle avait engagé toute une démarche pour le rencontrer dans un cadre où même une fourmi ne pouvait entendre la conversation et aucun œil ne devait l’apercevoir se rendre en ce lieu : le « Lakazèra » de Mzé. Il fallait faire vite avant que la situation ne s’aggrave, avant que le bruit n’arrive réellement sous l’ombre des badamiers et des takamakas, mais surtout aux oreilles de sa mère et de son père Bawily.

C’était un vendredi soir que l’occasion de rencontrer Mzé s’était présentée, la veille d’un grand Daïra du village de Tsimitohy d’où son père tenait son « deuxième bureau », en tant que polygame respectable. Un tel événement, le Daïra, nécessite une préparation sérieuse pour bien accueillir les convives, les amis de la confrérie chadhiliyya ainsi que les familles venant des quatre coins de l’île. Bawily était donc bien occupé et de toute manière, il ne serait pas rentré avant trois jours à Antanimangotroko. Pour Zaïna-mamy, se sachant observée, c’était le moment idéal pour échapper à la vigilance de sa mère, bien occupée par les affaires de la maison, « premier bureau » respectée et respectable, rôle qu’elle assumait fièrement et dignement dans la localité d’Antanimangotroko.

La-sucrée employa toutes les précautions pour se rendre chez Mzé Tchoiby. En choisissant ce jour, elle était presque sûre d’avoir plus de temps, au moins trente minutes pour engager de vraies discussions avec le mis en cause dans cette affaire préoccupante : Mzé. Heureusement aussi que le Lakazèra de Mzé se trouvait à la sortie du village, au lieu baptisé Kotchontchorky par les maîtres du lieu : les jeunes célibataires qui y habitaient et qui se partageaient un pacte de silence, notamment en ce qui concerne leur relation avec les filles. Idéal, le jour et idéal, le lieu.

Le lakazèra de Mzé Tchoiby se dressait dans une clôture de sendragons soigneusement taillés, dont les branches touchaient presque le sol. Leur feuillage offrait ainsi un bel ombrage qui laissait à peine pénétrer la lumière : ça donnait un cadre qui invitait à la méditation et au secret. Loin d’être un lieu sombre et triste, ce havre de paix invitait à l’amour et à la liberté de rompre avec le poids des interdits de la tradition et du culte. Souvent, on y improvisait des moments de fête entre amis.

En passant à proximité, on pouvait sentir la bonne odeur de fruit à pain grillé, de mets de hérisson citronné, pimenté, relevé au combava frais de saison et d’oignon : un véritable régal pour les érudits de « voulé » et de « tchac-tchac ». On y buvait discrètement du vin de palme, une pratique courante ici pour, dira-t-on dans le jargon local, casser la timidité (face aux filles à qui on avait l’intention de faire les yeux doux). Mais rien de tel ce jour.

Tout autour de la maisonnette, des fleurs de toutes sortes, aux parfums et couleurs variés, embellissaient le lieu et attiraient abeilles et autres pollinisateurs, dans les deux sens du terme : roses, belle-de-nuit, jasmin, entre autres.

Comme s’il était prévenu de la venue de La-sucrée, Mzé se trouvait seul ce jour-là, dans son Lakazèra. Le bel ange arriva telle une bourrasque imprévisible, après avoir déjoué tous les regards qui auraient pu la démasquer et colporter la nouvelle à sa famille. Pour une jeune fille qui se respectait et qui respectait sa famille, il était formellement interdit de fréquenter les logis des garçons ou d’hommes quelconques. Elle était prête à en découdre, mais sa douceur s’avérait incompatible avec la brutalité que pouvait engendrer le vent de colère qui la transportait jusqu’à kotchontchorky. Et, de toute manière, en apparence seule, Mzé n’aurait jamais aperçu dans l’immédiat l’orage qui grondait dans le cœur de sa belle aimée. Il avait toujours été ébloui par l’amour qu’il avait pour elle.

Zaina-mamy n’était pas une fille ordinaire : elle était très belle et douce, issue d’une famille très distinguée. Elle avait la démarche d’une reine, un regard perçant, ardent comme une sagaie tenue par un possédé de « tromba ». Ses cheveux, toujours soigneusement tressés et parfumés à l’huile de coco, illuminaient davantage son visage « café au lait » : une véritable houri entend-on souvent de la bouche des garçons d’Antanimangodroko et d’ailleurs.

Quand elle passait devant un groupe de garçons, elle déclenchait toujours à son passage un silence de cimetière : plus aucune mouche ne bourdonnait. Chacun l’accompagnait discrètement du regard, retenant son souffle ; et à peine elle se retournait (avant de s’éloigner), les garçons se cognaient la tête entre eux et dans leur distraction, tombaient maladroitement de leur perchoir.

À propos, un jour en sortant de la mosquée, un homme, le chapelet à la main, murmurant quelques invocations en marchant, la croisa en chemin. Il ne put s’empêcher de la suivre du regard jusqu’à trébucher dans une flaque d’eau boueuse. Devant cette honteuse situation, il s’empressa de crier : « Subhanallah » ! (Gloire à Dieu !) en se relevant piteusement aussitôt pour ramasser son chapelet tombé dix mètres plus loin. L’assistance de la scène, ses coreligionnaires se sont effondrés de rire avant de se rattraper en lui demandant si rien n’était cassé.

Zaina-mamy éblouissait par sa beauté et ses prétendants ne manquaient pas de manière, de stratégie et d’adresse pour la séduire. Elle était comblée de messages romantiques et de poèmes venant de ces prétendants tout au long des semaines. On pouvait lire notamment ce poème, écrit en langue locale, le kibošy, par l’un d’eux :

 

Tañatin’nofinakahy

Atsikaroey mifañaraka

Anao aloha zaho mañaraka afara

Jôkajôka mahatonga lavitry

« Dans mon rêve

On marchait ensemble

Toi devant, moi derrière

Pas après pas mène loin

Làñitry nadio tsisy raha nanampiñy

Fanjava tsihendriky niboaka fa

Lakintaña nañanjava làlaña tsika

Haravoaña, añatin’fôko nihiditry

Atsika aroey niaraka tsy very lalaña

 

Le ciel était bien dégagé

La lune n’apparaissait pas encore, mais

Les étoiles éclairaient nos chemins

La joie avait gagné mon cœur

Nous marchions ensemble sans nous tromper de chemin

Afara, ahitako anao aloha mieriñy

Afara, tsô misy fahavalo zaho hamalamala

Afara, tsô angala takaloha za hitoliky

Ho maty maso sañatria

Derrière, je te regardais te déhancher devant

Derrière, je te protégeais des probables ennemis

Derrière, sans te devancer de peur de vouloir me retourner

Au risque de m’abîmer les yeux

Mipiapiaka anao kara zova manonga

Kay ka atsika ho fañatsiky

Tahôrako tsô tsidiñin’masoko mizaha

Car tu brilles comme le soleil qui se lève

Si je devrais te voir de face

J’ai peur que mes yeux ne puissent te supporter

Nofinofy nakay drako

Atsika roey ho fampisafosafo

Mon rêve madame

C’est de nous voir ensemble nous enlacer »

 

 

 

 

 

J’ignore comment Tsarakobay, un jeune homme du village de Tchansira a pu faire pour l’attirer. C’est un bel homme certainement, mais La-sucrée n’était pas une fille facile à atteindre. Grave encore, comment a-t-il osé braver l’interdit pour extirper l’hymen de la jeune fille avant le mariage ? Comment a-t-il pu la rendre aussi naïve ? Mystère !

Mzé Tchoiby ne ferait sans doute jamais une chose pareille. Dans l’éducation qu’il avait reçue de ses parents, de son fondy, son maître de l’école coranique, on lui avait toujours enseigné que celui qui fait perdre à une jeune fille sa virginité hors mariage portera sur son front le jour du jugement dernier au vu de tout le monde, l’hymen qu’il aura ôté. Et il ne pourra espérer mieux de Dieu que l’enfer. Si jamais La-sucrée avait accepté Mzé de tout temps qu’il l’adulait, Dieu seul sait comment il se serait comporté avec elle. De l’amour platonique sans doute ? Que sais-je ? Mzé était un garçon respectueux.

Toujours est-il que, quand Zaïna-mamy surgit de l’ombre des sendragons et entra directement dans le logis de Mzé Tchoiby, ce dernier crut voir un mirage. Il faillit perdre conscience avant de se reprendre. C’était une chose inattendue ! Il s’approcha d’elle doucement avec la plus grande délicatesse, pour bien confirmer qu’il n’était pas en train de rêver.

« Ô Dieu hospitalier ! Qui vois-je ici ? » : Lança-t-il avec un grand étonnement. D’une main tremblante, il toucha le visage de Zaïna.

— La-sucrée c’est bien toi ? Quelqu’un t’a vu entrer ? Que dois-je comprendre ?