L’empire des maux - Rudy Kerr - E-Book

L’empire des maux E-Book

Rudy Kerr

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Beschreibung

"L’empire des maux" vous entraîne dans un univers où le mal règne en maître. Ce journal relate des morts inéluctables et des rencontres effrayantes qui se succèdent dans un cortège macabre. Dans cet empire épistolaire, le cauchemar prend forme, devenant une réalité impossible à fuir. Ce recueil de nouvelles vous tiendra en éveil, rendant vos nuits aussi troublantes que vos pires rêves."L’empire des maux" vous entraîne dans un univers où le mal règne en maître. Ce journal relate des morts inéluctables et des rencontres effrayantes qui se succèdent dans un cortège macabre. Dans cet empire épistolaire, le cauchemar prend forme, devenant une réalité impossible à fuir. Ce recueil de nouvelles vous tiendra en éveil, rendant vos nuits aussi troublantes que vos pires rêves.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Rudy Kerr puise son inspiration dans les œuvres de Lovecraft, Matheson et Ray pour façonner son univers littéraire. Dans un cadre familier et à travers des personnages ordinaires, il tisse des récits où l’horreur surgit de manière inattendue.

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Seitenzahl: 201

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Rudy Kerr

L’empire des maux

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Rudy Kerr

ISBN : 979-10-422-4456-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Jeanine, ma première fan !

À Marianne, pour son amical appui technique.

Connaissez-vous les affres de la feuille blanche ?

Hello mes chers lecteurs !

Vous allez recevoir ou plutôt lire si vous en avez le courage, le temps est accessoire, de mauvaises nouvelles…

Je vous rassure tout de suite, il ne s’agit pas d’un événement malheureux ni même honteux, non, juste une invitation à parcourir mon recueil de nouvelles.

Effectivement, si vous rencontrez actuellement une pénurie d’activités, que vous n’avez plus envie de goûter à la madeleine de Proust ni d’écouter la Bible de l’opéra, qu’autant en emporte le vent continue de vous faire chialer sans vraiment savoir pourquoi, que tout vous paraît insipide et ennuyeux, même vos meilleurs potes. Bref, si vous êtes à la limite de la déprime, vous pourrez vite retrouver au travers de mes mauvaises nouvelles, votre appétit de lire ou dégoûté à jamais de croire tout ce qui est écrit !

Vous êtes toujours là ?

Créer ou plus précisément écrire s’apparente dans bien des cas à une gestation plus ou moins longue (pour mon cas, type éléphant). Il s’agit avant tout de noircir cette foutue feuille blanche, de planter cette petite graine « d’encre »… et soudain, une éjaculation que chaque auteur souhaiterait pour une fois précoce, jaillit : l’inspiration ou l’orgasme de l’écrivain est là !

Dès lors, il ne s’agit plus uniquement que de s’occuper de cet embryon qui chaque jour prend de plus en plus forme, accentue vos envies, et surtout vos malaises, accapare votre esprit, dévore votre énergie et vous réveille même la nuit.

Et l’on attend plus que cette délivrance, cet accouchement (pour mon cas, les forceps se sont avérés très utiles) d’une œuvre que l’on prophétise déjà universelle.

Eh oui, l’objectivité n’est plus de mise. Comme tous les parents du monde même les plus humbles, les géniteurs s’installent dans une propension sincère à croire que leur progéniture est toujours la plus belle du monde, mais vous verrez aussi, si vous avez le courage de poursuivre cette lecture, que parfois sommeille un petit monstre.

Alors, à présent, un conseil : Ouvrir avec délicatesse et un zeste d’excitation votre livre ; installez-vous confortablement dans votre fauteuil, si vous en avez un, avec une bonne bière ou un chocolat chaud, à voir selon la saison. Éloignez les éléments perturbateurs : femme, enfants, belle-mère, canaris, animal domestique, que sais-je encore… Enclenchez un bon CD, le style classique conviendra, mais proscrire la Bible de l’opéra, un léger fond sonore pour créer l’ambiance adéquate. Enfin, ne pas oublier d’éteindre le smartphone, il n’y a rien de plus agaçant que d’être dérangé au beau milieu d’une lecture au suspense insoutenable ou d’une partie de jambes en l’air croustillante.

Une fois cette check-list vérifiée, alors et seulement alors vous pourrez prétendre à votre carte d’embarquement pour une autre dimension en cliquant vers mon univers :

Merci pour le temps que vous prendrez et que je sais précieux pour respecter ma prescription.

Rencontres de plusieurs types

On dit souvent que le hasard fait bien les choses. Le hasard, ce pourvoyeur de rencontres, plus ou moins renouvelées, plus ou moins agréables, plus ou moins étranges, plus ou moins près de certains endroits.

À court d’arguments et souvent d’idées, j’ai quelquefois sollicité cet artifice, pour oser m’aventurer vers une rencontre que j’avais intentionnellement préparée ; attendant patiemment et anodin (c’est une qualité indispensable pour s’approprier cette méthode) celle qui devait normalement s’avancer vers moi, à moins qu’il me faille aller vers elle, car la jonction espérée ne se réalisa pas.

Car le hasard est aussi capricieux et reste soumis à trop d’aléas, à cette scientifique loi des probabilités qui fourvoie nos pas dans les méandres parfois inextricables du destin.

J’étais certainement loin de songer à toutes ces difficiles conceptions pas vraiment philosophiques, tant le tumulte de la ville paraissait insupportable, agressant mes tympans, obsédant mon esprit.

Sa foule, ses rues se révélaient aujourd’hui infiniment modernes et aussi infiniment abjectes. Des artères pleines et grouillantes qui ne décelaient qu’une faune énigmatique et démesurée !

J’avais la sensation soudaine d’un navigateur solitaire égaré sur un océan plein de remous, de courants dangereux, de vents contraires où peu à peu, et malgré moi, je me laissai dériver.

Seul un soleil étonnamment brillant m’offrit un peu de répit, déposant son âme réconfortante sur les pierres grises et sur la foule emmitouflée. Mais bientôt, il se lassa, gagné sans doute lui aussi par la mélancolie, se couvrant insensiblement d’un voile gris, qui précipita la ville dans l’austérité du frimas de novembre.

J’avais longtemps déambulé à travers les rues, sans but précis, et je ne savais même plus dans quel quartier j’avais abouti. J’avais totalement négligé mon itinéraire, laissant ma pensée vagabonder à quelques poèmes qu’engendraient les choses et les êtres qui m’apparaissaient au fur et à mesure de mon parcours.

J’étais totalement annihilé par l’atmosphère qui se dévoilait peu à peu délétère, morne et sans issue, m’inspirant des alexandrins où chaque rime était un coup de poignard brutal au bout de vers apocalyptiques ; et, quand la réalité m’apparut, je reçus un choc quasi foudroyant…

Là, devant moi, à quelques mètres, sur le trottoir d’en face se tenait une silhouette qui ne pouvait provenir que d’une hallucination :

Rebecca !

Oui, bien sûr, notre rupture fut pénible, juste un an de mariage après deux ans de vie commune. De ces premiers baisers aux plus belles des promesses, de nos folles complicités aux maelstroms de plaisirs, survint alors le temps des doutes, des trahisons, de la déchirure.

Idéaliste, j’avais sûrement dû l’être, mais Rebecca s’accrochait à des pulsions chimériques de parfaite illuminée, qui fatalement avaient fini par absorber son âme.

Si, au début, et nous étions jeunes ; il est vrai, son univers utopique ne me déplaisait pas, au fil du temps, Rebecca m’apparaissait comme ce monstre fabuleux, qui tout en préservant toute sa féminité ne vomissait que des tourbillons de flammes et d’opprobre.

Elle était toujours aussi belle et sensuelle, mais aujourd’hui, il y avait un zeste de vulgarité que je lui ne connaissais pas. Ce cuir noir qui lui collait comme une deuxième peau et bien au-dessus des genoux, cette attitude cambrée et généreuse que j’avais mémorisée moins provocatrice. À moins que je ne l’aie oubliée.

Je devais lui paraître grotesque tant mon inertie me pesait. J’en voulus terriblement à mon cerveau d’être aussi infécond, de ne pouvoir m’accorder une phrase simple, mais qui échappe à toutes banalités, je désirais ardemment d’un seul mot, recoller le puzzle dispersé de notre amour.

Elle aussi se complaisait dans son immobilisme. Je songeai que comme moi, son orgueil et sa surprise paralysaient tout élan favorable.

La ville semblait tout à coup lointaine, seulement une vague rumeur qui se dissipait dans ce quartier sordide ; plein de passages obscurs et étrangement calmes.

Peut-être bougea-t-elle le bras comme pour m’appeler. Il me sembla même qu’elle me sourit, ce sourire si pur, si rayonnant auquel il m’était toujours impossible de résister.

Je perdis alors tout contrôle de mon cerveau, mes sentiments ou le désir venaient de balayer d’un coup toute trace d’amour-propre.

Je voulus m’élancer en même temps qu’elle…

Un vertige me surprit, violent, la sensation d’être happé par une main froide et puissante. Je dégringolai entre les parois tournoyantes d’un puits vertigineux, selon une trajectoire spiralée.

Quand le tourbillon cessa, je redécouvris alors la solitude et la froideur du quartier.

Un sentiment de détachement en même temps que d’irréalité m’avait totalement submergé.

Je fixai le quartier subitement vide comme si j’avais rêvé ma rencontre avec Rebecca. À contrecœur, la gigue de souvenirs affluait et ce n’étaient pas forcément les plus merveilleux. Je pris conscience que je désirais ne plus jamais la revoir, bizarrement cette rencontre inespérée m’avait ouvert les yeux. Je m’estimai même tout à fait satisfait que mon imagination se soit révélée aussi hallucinante dans un coin que l’on ne pouvait souhaiter plus discret.

Je décidai de me remettre en marche lorsqu’une odeur nauséabonde provoqua au creux de mon estomac quelques spasmes douloureux. Je ne parvins pas à en définir son origine, plutôt une impression ; comme si tout le quartier était à jamais imprégné de cette effluence !

Je constatai l’atroce humidité et pauvreté des murs des habitations où partout régnait cette pernicieuse odeur.

Mon esprit voyageait dans ce no man’s land qui séparait le présent du souvenir. Je ne puis, hélas, m’y mémoriser ce désagréable phénomène.

Inquiet et perplexe, je quittai cette rue sombre et me retrouvai sur l’avenue toujours aussi grouillante.

J’avisai un panneau d’arrêt de bus et lorsque le lourd véhicule s’immobilisa, sans me soucier de sa destination, j’y montai. Il était presque vide. Je m’adossai sur une banquette du fond, les yeux lourds gagnés par une soudaine lassitude.

Je m’aperçus brusquement que j’avais somnolé, car je venais d’être tiré de ma torpeur par la présence d’un adolescent d’une quinzaine d’années qui s’installa en face de moi.

Mes paupières s’agitèrent nerveusement, ne parvenant pas à dissiper le flou de ma vision. En proie à un malaise, je redoutai de découvrir de nouveau une terrible vérité, une invraisemblable rencontre qui ne pouvait, qui ne devait pas se faire.

Le visage entre les mains je fermais aussitôt les yeux. Un intervalle de temps s’écoula où ma pensée se nourrissait d’un passé qui s’avérait de plus en plus tangible.

Je relevai, inquiet, la tête et vis qu’il était toujours assis en face de moi :

Chang Ning-Yang ou Chaning ! Comme j’aimais à le surnommer, cet ami d’enfance et de collège avec qui j’avais partagé tant d’aventures.

Il m’apparaissait tel que je l’avais toujours connu, avec son éternel blouson d’aviateur bardé d’écussons hétéroclites et cousus maladroitement, son tricot à col roulé tabac et son pantalon de velours sans âge et toujours aussi élimé.

Pour l’instant, il était, comme par le passé, entièrement absorbé par une revue scientifique qu’il tenait entre ses mains frêles et aux ongles crasseux.

Les rares fois où il leva les yeux, il m’ignora, s’abstenant de toutes réflexions qu’aurait dû légitimer ma présence.

Comment pouvais-je expliquer sans devenir fou cette mystérieuse présence, car, à cet instant précis, il ne pouvait y avoir de coïncidence, de jeu heureux ou malheureux du hasard, cette rencontre ne pouvait provenir que de l’imaginaire à défaut d’être macabre : Chaning était mort !

Et depuis longtemps…

C’était au milieu des années soixante. Le jeu s’appelait l’appontage. C’est Chaning qu’il l’avait baptisé ainsi. Puérilement, il pensait que cette distraction ludique constituait un bon entraînement à sa vocation de futur pilote de chasse.

Une solide corde tendue et attachée à une extrémité d’une branche puissante et la plus haute d’un chêne, avec à son bout une sorte de baudrier qui permettait de caler les deux fesses. Il s’agissait ensuite, à partir d’un promontoire, constitué d’anciennes souches, de s’élancer pour se balancer et de gagner suffisamment de vitesse sous la poussée que hélas, j’assurais ce jour-là…

Sauf qu’en face il y avait un mur, le maudit mur d’en face !

Toutes les semaines, c’était notre principale distraction. Après avoir escalé le mur d’enceinte, nous prenions possession du gazomètre désaffecté, que l’armée allemande avait occupé lors de la Deuxième Guerre mondiale. Toutes les structures métalliques et les réservoirs avaient été démontés, seuls quelques hangars délabrés – qui servaient parfois de refuges à quelques clochards – et deux mares croupissantes et nauséabondes témoignaient du passé industriel de la zone. Cet environnement aquatique regorgeait de crapauds et rainettes, vivier inépuisable pour nos premières expérimentations biologiques dont ces pauvres batraciens eurent à pâtir. L’expérience du kamikaze, entre autres, mais notre préférée et toujours inspirée par Chaning, consistait à attacher le petit animal et à le garnir de bons vieux et gros pétards… Vous pouvez sans peine imaginer le reste…

Il faut dire que cet endroit, outre nos amis amphibiens et clochards, constitue un formidable terrain de jeu pour quelques gamins intrépides, désœuvrés et souvent inconscients, mais avec un imaginaire fertilisé par l’abondance d’armement, vestige négligemment abandonné. Certes, il y avait surtout des carcasses de véhicules militaires qui achevaient leur dernière guerre contre la corrosion et sans danger par rapport à quelques mitraillettes oxydées, mais aussi quelques grenades qui, elles auraient dû cent fois nous tuer.

L’appontage était bien plus redoutable !

Le jeu se déroulait à l’extrémité de l’ancien gazomètre, un terrain en friche parcourue d’herbes folles et de ronceraies, où dominait le grand chêne.

— Tu vas trop fort ! Arrête ! cria Chaning qui parvenait jusqu’à présent, mais de plus en plus difficilement à repousser de ses pieds l’attaque du mur d’en face.

Comme toujours, je pensais qu’il en rajoutait ! Après tout, il voulait être pilote, oui ou non ?

— Et un petit dernier ! suggérai-je en le poussant une nouvelle fois.

— Trop fort ! Trop fort ! implora-t-il.

Et cette fois, Chaning eut peur de s’écraser contre le mur et préféra, dans un mauvais réflexe, lâcher la corde. Oh ! Certes, il ne tomba pas vraiment de haut, entre deux ou trois mètres, mais quand sa tête, avec un bruit sourd, heurta violemment en arrière le sol, je compris, tétanisé, que l’irréparable destin avait frappé.

Et tout ça à cause de quelques vestiges qu’avait laissés l’envahisseur. Un morceau d’acier rouillé qui dépassait de quelques centimètres d’un sol à présent souillé, devenu inopinément écarlate.

Ma vue se brouilla à cette image. Je puisai lamentablement tout au fond de mon cerveau le peu de réflexions cohérentes qui subsistaient pour oser croire à un affreux cauchemar.

Des paroles informulées affluèrent à mes lèvres, mes oreilles bourdonnèrent ; et soudain, l’autobus stoppa me ramenant vivement à l’incroyable réalité.

Chaning s’apprêtait à descendre, je criai son nom et me jetai à sa poursuite. Mon visage s’écrasa sur les portes qui venaient de se refermer.

Le véhicule redémarra. Je fixai, hébété, Chaning qui s’éloignait dans la rue et qui n’avait pas tourné la tête à mon appel désespéré.

Irrémédiablement, mon passé surgit de nouveau quand je découvris la plaie sanguinolente à l’arrière de son crâne…

L’appontage… pensai-je seulement.

Tel un automate, je descendis à l’arrêt suivant et repris à pied une nouvelle avenue qui érigeait un décor qui m’apparaissait de moins en moins familier.

À une intersection, un jeune couple cessa ses élans amoureux pour me dévisager, comme si j’étais une apparition tout à fait répugnante.

Mon esprit était un tourbillon de sensations imprécises. Il me semblait fonctionner entre deux points qui peu à peu se rejoignaient : un passé inintelligible et inexplicable et un présent plus tangible, mais où je ne parvenais pas à m’imposer, à recouvrer un équilibre qui me permette de franchir la frontière de la vérité.

La foule était toujours aussi nombreuse, déambulant sous le pâle halo des réverbères.

Un sentiment d’indifférence subsistait dans chaque regard. Il s’accentuait même au point que je me surpris à haïr farouchement cette masse humaine qui continuait à grossir toujours davantage. Elle s’insinuait dans chaque recoin de rue, dans chaque ruelle, sous chaque porche, la moindre parcelle de macadam était devenue sienne.

Elle prenait à présent l’apparence d’un monstre hideux dégoulinant dans toute la ville.

Cette révélation subite me paniqua. L’idée qu’elle pouvait s’emparer de moi, me prendre dans son sein infâme. Je me mis à courir, désespéré, le cerveau vide, jusqu’à ce que je bute sur un passant…

Il était grand et fort, avec un visage blafard et inquiétant, des cheveux très gris et clairsemés et un mauvais sourire, presque crispé, qui distendait les coins cruels de ses lèvres.

De nouvelles images du passé affluèrent sans que je puisse en maîtriser le contenu. Seuls des souvenirs douloureux commençaient à émerger. Puis soudain, ils s’identifièrent sous la froideur d’un petit matin d’hiver, un paysage blanc tout engourdi et juste la musique du vent qui empreignait une note sinistre et funeste aux tournoiements des flocons de neige.

Il me semblait survoler un décor surnaturel, prisonnier d’une boule de verre où s’agitait la douceur des flocons.

Deux lueurs pâles se reflétèrent dans le manteau neigeux. Le silence se révéla pesant et glacial ; rompu, un bref instant, par un son presque inaudible puis un gémissement étouffé et prolongé.

J’avais froid, très froid, et mon épaule droite me faisait atrocement mal. Elle était bloquée tout comme ma poitrine par une sangle. Le sang affluait à ma tête qui, comme mes poumons, ne parvenait plus à s’oxygéner correctement.

Le grincement laborieux des essuie-glaces et la nitescence du tableau de bord me permirent de réaliser que je me trouvais à l’intérieur d’un véhicule.

À tâtons, je découvris fébrilement la fermeture de la ceinture de sécurité… la sangle libéra mon corps d’un coup. Ma tête alla cogner sans douceur le toit du véhicule.

Le choc déclencha de nouvelles douleurs à mon épaule déjà meurtrie. Le corps avachi, et dans une position des plus inconfortables, je comprenais, peu à peu, ce qui venait de se passer. Un terrible accident et l’enchaînement des événements qui l’avait précédé.

Nous revenions d’un séjour d’une semaine au ski, moi-même, alors âgé de seize ans, mon père et sa nouvelle amie, Virginie. Il venait quelques années auparavant de se séparer de ma mère, divorce motivé par la mauvaise et fâcheuse habitude que mon père maintenait depuis qu’il avait compris, et il était précoce du fabuleux appareillage, dont l’avait doté dame Nature, non pas en raison d’un surdimensionnement exceptionnel, mais plutôt de la libido exacerbée qui le relayait à son cerveau.

Une boulimie féroce de sexe, ma mère disait pathologie, dont elle ne pouvait, à elle seule, satisfaire à la fois l’appétit vorace et volage, qui l’amena à se montrer tolérante pendant plusieurs années, jusqu’à ce qu’elle rencontre un homme plus enclin à un minimum de tendresse et de stabilité.

N’empêche que la cellule familiale dont j’étais le seul rejeton en pâtit cruellement. Les absences répétées et parfois longues d’un père libidineux, puis la présence d’un autre, sorte de beauf empoté et lénifiant, perturbèrent gravement mon passage de l’enfance primaire à l’adolescence.

Si j’éprouvais quelques sentiments envers mon père, que l’on pouvait définir comme amour, l’autre versant plus redoutable s’identifiait par la haine, cela créa une ambivalence qui virait souvent à la névrose obsessionnelle et le terrible aveu de la mort souhaitée de mon géniteur.

Bien évidemment, il ne devina jamais ce terrible sentiment.

Il essaya de concilier, à sa façon, son rôle paternel, et plus égoïstement, son rôle de débauché.

À ce titre, il m’avait offert, juste pour mes seize ans, mais également pour son amie du moment, et comme il me disait, son propre cadeau, Virginie, un séjour à la montagne, même si j’eusse préféré des retrouvailles plus intimes.

Et c’est sur le chemin du retour de vacances, à quelques kilomètres du domicile de ma mère, que se produisit l’accident.

Dès la veille, la météo avait émis des seuils d’alerte maximale, prévoyant de forts coups de vent et des précipitations importantes avec les risques certains de verglas corollaires d’une température inférieure à moins 10 degrés.

Mais mon père, comme moi-même d’ailleurs, étions pressés de quitter notre lieu de villégiature qui de toute évidence ne resterait pas gravé dans nos mémoires.

Dès notre départ, en milieu de matinée, outre les intempéries, nous avions rencontré un fort trafic occasionnant de solides bouchons qui perturbèrent sérieusement notre planning.

Il était près d’une heure du matin, lorsque la neige recommença à tomber toujours plus dru. Mon père naviguait difficilement, usant de toute la panoplie d’éclairage qui équipait son range rover. À moitié assoupi, je l’entendais râler et jurer, malgré la main savante et complice de Virginie qui n’arrivait pas à le calmer, à défaut d’autre chose.

Un violent coup de frein me tira de ma somnolence, il effectua un geste brutal du volant et je savais déjà qu’il allait perdre le contrôle du quatre-quatre. Aussitôt, l’arrière du véhicule fit une embardée. Virginie hurla ! Le conducteur, affolé, tenta une manœuvre désespérée juste avant que le quatre-quatre rebondisse sur le rail de sécurité.

Le choc fit un bruit terrifiant, Virginie cria de nouveau, puis le quatre-quatre s’engagea pendant quelques secondes dans plusieurs tonneaux et s’immobilisa dans une gerbe de poussière blanche sur le toit.

Un râle me parvint tout proche.

Tout d’abord, je ne parvins pas à actionner la poignée de la portière. Je devinais que la carrosserie du véhicule devait être fortement endommagée et par le jeu que l’impact avait provoqué, modifiait la structure de l’habitacle. Je redoutai de ne pouvoir m’extraire de l’amas de ferrailles si par malchance il s’enflammait.

Je recommençais paniqué une tentative pour débloquer la portière qui m’opposait toujours la même résistance. Mon épaule attisait le même tourment et je commençais, malgré le froid, à transpirer.

La manœuvre fut inlassablement répétée et dans un couinement la portière céda quelques centimètres et dans le même instant l’ampoule du plafonnier s’alluma, libérant un spectacle atroce.

Juste au-dessus, retenue par sa ceinture de sécurité, m’apparut Virginie. Son visage ensanglanté dessinait une grimace convulsionnée par la peur. Il n’était qu’à quelques centimètres du mien, ses jolis yeux bleus remplis d’effroi et qui semblaient fixer pour l’éternité cet unique et fatal instant.

Je n’éprouvais pas de sympathie particulière pour cette fille, certes jeune et jolie, comme mon père impénitent savait les conquérir ou les acheter, et qui se révélait finalement très superficielle et sans charme particulier. Seules mes pulsions pubères la rendaient désirable.

— Virginie ! Virginie ! criais-je bouleversé.

Toc ! Toc ! Toc !

Juste le bruit de son sang, s’écoulant régulièrement sur le toit du quatre-quatre.

Des larmes affluèrent, j’étais effrayé, constatant soudain que mon père n’était pas dans le véhicule.

Je me sentis totalement désemparé. Ce qu’il me restait de la conscience ne devait plus être très loin du summum de la terreur. La poignée de la portière à peine entrouverte se dessinait au-dessus de moi. Je sentais que je ne parviendrais pas à l’ouvrir davantage sur la seule force de mes bras, d’autant qu’ils étaient handicapés par une de mes épaules.

Dans un mouvement reptilien, prudent et pénible, je parvins à inverser ma position, de manière à ce que mes pieds puissent exercer leur pression sur la portière. Je repliai mes jambes sur mon estomac, et, dans un élan désespéré et énergique, je jetai mes membres inférieurs sur l’obstacle.

Dans un grincement, la portière céda d’un seul coup et je crus bien alors que mon épaule, tant l’onde de choc fut violente, allait-elle aussi se déchirer.

Je me glissai à l’extérieur de l’épave accueillie par une bordée de neige et saisie par l’air glacial. Le ciel m’apparut désespérément vide, continuant d’agoniser en lourds flocons pour recouvrir de son linceul albumineux toute la végétation.

Le range rover renversé dont le fossé ne laissait plus apparaître qu’une lueur borgne, pratiquement enseveli sous l’épais tapis blanc.

Je mis mes mains en porte-voix :

— Papa ? Papa ? La voix trahie par l’émotion et cette peur qui me nouait l’estomac, celle de découvrir une nouvelle et terrible vérité.

— Papa ! Tu es là ?

Presque hagard, je continuai de scruter tout autour de moi le manteau blanc, à la recherche de ce petit détail qui aurait trahi sa présence.

Et je le vis…

À une dizaine de mètres, juste à l’orée d’un bois de petits chênes, je crus reconnaître la couleur rouge de son anorak.

Il était sur le ventre, seule une partie de son dos rouge émergeait encore de l’agrégat blanc.

— Papa ? Papa ? essayai-je d’une voix qui n’était plus qu’un filet ténu.

Je jetai mes deux mains dans la poudre froide et humide, libérant son corps, et parvenais avec mon seul bras valide à le remettre sur le dos.

Tétanisé, je restai là, à genoux et oscillant dans le vent glacial, ne parvenant plus à détacher mon regard du visage de mon père…

Le visage terreux me fixa, interloqué

Un visage que je ne voulais surtout pas reconnaître, que je ne pouvais appeler par son nom même si ce patronyme avait été celui de mon père disparu tragiquement quelques années plus tôt.

Je ressentis alors un sentiment innommable et gagné par une hystérie violente, je me précipitai sur le visage blafard qui ne pouvait être que le fantôme de mon père.