L’enfant du pacte - Patricia Lafon - E-Book

L’enfant du pacte E-Book

Patricia Lafon

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Beschreibung

Propulsée dans un château comme dame de compagnie de la reine, Thalia pense voir s’ouvrir une nouvelle vie pleine de promesses. Mais les murs du palais dissimulent des alliances troubles, des silences lourds et une reine tourmentée. Tandis que des disparitions inexpliquées secouent la région, le comportement du prince éveille chez elle un mélange de méfiance et d’attirance. Guidée par un don qu’elle ne comprend pas encore, Thalia s’approche d’un secret ancestral. Et si son arrivée n’était pas due au hasard, mais à un pacte scellé bien avant sa naissance ?

 À PROPOS DE L'AUTRICE 


Patricia Lafon a découvert l’écriture il y a plus de vingt ans, en accompagnant son enfant dans la création d’une première histoire. Depuis, elle façonne des univers imaginaires peuplés de créatures étonnantes et de mystères à explorer. Ses récits invitent à l’évasion, en faisant vivre au lecteur des aventures riches en émotions et en rebondissements.

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Seitenzahl: 435

Veröffentlichungsjahr: 2025

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L’enfant du pacte

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© Lys Bleu Éditions – Patricia Lafon

ISBN : 979-10-422-7511-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

Chapitre I

Premiers contacts

 

 

 

Thalia se tenait bien droite et soutenait sans sourciller le regard inquisiteur que sa mère et ses amies posaient sur elle. Elle était plus pâle que d’habitude et ses grands yeux verts brillaient d’inquiétude. Sa mère s’approcha d’elle et, avec douceur, replaça une mèche rebelle qui, on ne savait comment, avait réussi à s’extraire du chignon qu’elle avait serré plus qu’à son habitude.

« A-t-on idée d’avoir de tels cheveux ! maugréa Réna d’une voix acide. Si elle était ma fille, il y a longtemps que j’aurais tondu cette tignasse ! » Thalia lui lança un regard noir, mais ne répliqua pas, se contentant de détailler la lingère du coin de l’œil. C’était une femme de presque soixante ans, grande et maigre, le visage sévère. Thalia ne l’avait jamais vue tête nue. Elle portait toujours un foulard, soi-disant parce que cela se faisait lorsque l’on avait de l’éducation, mais Thalia la soupçonnait plutôt de vouloir cacher les cheveux gris et ternes qui parsemaient son crâne. Elle soupira discrètement puis, ne sachant quoi faire d’autre, elle reporta son attention sur le visage parcheminé de la lingère tout en se promettant de tout faire pour ne jamais ressembler à cette femme froide et dure.

— Ne fais pas attention à elle, murmura Maëlle à son oreille. Ce n’est qu’une vieille grincheuse doublée d’une envieuse et, si tu veux mon avis, elle aimerait bien en avoir des cheveux comme les tiens. La cuisinière lui pinça gentiment la joue de ses petits doigts dodus et lui fit un clin d’œil. Depuis son plus jeune âge, Thalia avait toujours eu beaucoup d’affection pour Maëlle qui le lui rendait bien. La cuisinière se débrouillait toujours pour avoir dans ses poches des bonbons ou des gâteaux pour le cas où elle rencontrerait Thalia, ce qui arrivait tous les jours, car, par un hasard inexplicable, leurs routes se croisaient avec une régularité exceptionnelle. La jeune fille étouffa un gloussement et reprit son sérieux. Dans quelques minutes, sa mère la présenterait au roi qui, comme le voulait l’usage, déciderait en quelques secondes de ce que serait son avenir et quelles tâches elle devrait accomplir, et ce, jusqu’à sa mort.

— Maman, c’est bien toi qui t’occupes de tout le personnel du château alors pourquoi faut-il que je sois présentée au roi ?

— Parce que c’est lui qui décidera de ton futur travail.

— Et moi qui pensais qu’un roi se contentait de faire la guerre et la fête ! marmonna Thalia.

— C’est vrai dans la plupart des royaumes, mais notre roi est différent et il veut que tous ses serviteurs lui soient présentés.

— C’est bien ma chance ! Moi qui voulais passer inaperçue, je vais me retrouver dans une salle immense à attendre qu’on ait fini de me détailler comme un animal de foire !

— Thalia ! s’exclama sa mère. Tu as beaucoup de chance de pouvoir travailler au château ! Nous y sommes bien traités et nous mangeons tous les jours à notre faim. Tout le monde ne peut pas en dire autant !

— Je sais, excuse-moi. Je suis juste un peu nerveuse.

— Hum ! Sa mère lissa encore ses cheveux puis arrangea sa robe. Voilà, tu es parfaite à présent. Et ne t’en fais pas, tout se passera bien. Peut-être même que tu auras autant de chance que ta sœur et que, comme elle, tu deviendras demoiselle de compagnie pour un membre de la famille royale.

— Cela n’avait rien à voir avec de la chance, grinça Réna. Coralie est une jeune femme posée, douce et obéissante. Elle avait toutes les qualités pour devenir demoiselle de compagnie, ce qui n’est pas le cas de tout le monde, acheva-t-elle en lançant un regard dur à Thalia.

— Il est temps ma chérie, lança précipitamment sa mère de peur que la jeune fille ne réplique vertement et ne rende ses relations avec Réna plus tendues qu’elles ne l’étaient déjà. Alors qu’elle s’apprêtait à sortir de la chambre de sa mère, Thalia aperçut son reflet dans le miroir. C’était vrai qu’elle ne ressemblait pas à sa sœur. Elle avait de longs cheveux roux et rebelles qu’elle avait toutes les peines du monde à discipliner et ses grands yeux verts semblaient défier tous ceux qu’elle regardait alors que sa sœur, elle, avec ses cheveux noirs et brillants et ses yeux bruns empreints de douceur, était l’image même de la bonté et inspirait confiance.

— Cesse de rêvasser, souffla sa mère légèrement excédée en la poussant hors de la chambre. Elles empruntèrent alors une infinité de couloirs pour finalement se retrouver devant une grande porte. Alors que sa mère allait l’ouvrir, Thalia recula. Elle était encore plus pâle et ses mains tremblaient.

— Je… je ne peux pas y aller, murmura-t-elle au bord de la nausée.

— Ma chérie, le roi t’attend et si tu ne te présentes pas devant lui, il prendra cela pour un affront ! Ce serait le déshonneur pour toute notre famille. Thalia baissa la tête et réprima son envie de fondre en larmes.

— Mais peut-être que si tu y allais et que tu lui demandais de me laisser vivre au village, il accepterait.

— Notre famille est depuis toujours au service de la famille royale et il en sera toujours ainsi ! déclara sa mère d’un ton sans réplique. Puis elle ouvrit la porte et poussa discrètement sa fille dans la salle. Voyant qu’elle n’était pas seule, Thalia se détendit un peu et prit place dans la file. Une dizaine de membres du personnel venaient, comme sa mère, présenter leurs enfants en âge de travailler. Elle attendait depuis quelques minutes lorsque le roi entra et s’installa sur son trône. Son fils était avec lui et semblait trouver la corvée peu digne de son rang et totalement dépourvue d’intérêt. Le premier de la file s’avança puis le deuxième et bientôt, ce fut le tour de Thalia qui avait bon espoir de pouvoir rester avec sa mère puisque cela avait été le cas de toutes les filles présentes. Les garçons, eux, avaient le choix. Soit ils suivaient les traces de leurs pères, soit ils devenaient soldats. Thalia sentit sa mère bouger et son estomac se contracta. Elle la regarda s’avancer et s’incliner devant le roi.

— Lona ! s’exclama-t-il. Je suis ravi de te revoir ici. Ma tante ne tarit pas d’éloges sur ta fille Coralie et je ne peux que t’adresser mes compliments pour la parfaite jeune femme qu’elle est devenue. Qui es-tu venue me présenter aujourd’hui ?

— Il s’agit de Thalia, ma seconde fille, sire.

— Qu’elle approche. Sans trop savoir comment, Thalia réussit à bouger et se retrouva auprès de sa mère. Le prince qui somnolait sur son siège se redressa brusquement et l’observa avec attention avant de se pencher vers son père.

— Père, elle est parfaite ! murmura-t-il.

— Tu en es sûr ?

— Absolument ! C’est elle qu’il nous faut !

— Hum… dans ce cas, il faudrait lui trouver un poste où elle ne serait plus en contact avec le reste du personnel.

— Nous pourrions la placer comme demoiselle de compagnie auprès de mère.

— Mais ta mère a déjà une dame de compagnie et je doute qu’elle accepte de s’en séparer.

— Aucune importance, je m’occupe de ce détail !

— Ce poste est le plus important qu’un serviteur puisse obtenir et cette fille est bien jeune pour mériter un tel honneur. Il faudrait trouver un moyen de la nommer sans éveiller les soupçons.

— Que nous importent les soupçons et les commérages des domestiques ! grinça le prince. Mais bon, ajouta-t-il radouci. Puisque tu sembles y être sensible, je vais faire en sorte que personne ne puisse trouver à redire.

Il se redressa et observa les deux femmes.

— Lona, ton mari se nommait bien Thibault, n’est-ce pas ?

— C’est exact, mais… il est mort il y a presque dix ans.

— Je le sais puisque c’est pour sauver ma vie qu’il a donné la sienne ! Quant à toi, tu as toujours rempli tes fonctions de façon irréprochable et nous sommes aussi très satisfaits de ta fille Coralie. Aussi, avons-nous pensé qu’il était temps d’honorer ta famille comme il se doit et de faire de Thalia la demoiselle de compagnie de ma mère.

— C’est… c’est vraiment un très grand honneur que vous nous faites, seulement… Thalia est une jeune fille impétueuse et quelque peu… réfractaire aux règlements. Je ne voudrais pas que son comportement incommode la reine.

— Je suis sûr que ce ne sera pas le cas et puis ma mère a grand besoin d’être divertie. Sa dame de compagnie est mourante et elle se sent très seule.

Thalia, qui avait gardé les yeux fixés sur le sol jusque-là, les releva et croisa le regard du prince qui, aussitôt, lui adressa un sourire rassurant.

— Un serviteur viendra te chercher demain matin pour te conduire auprès de ma mère. Sois prête !

— Elle le sera ! répondit sa mère avec force avant de quitter la pièce, couvant sa fille d’un regard chargé de fierté.

— Te rends-tu compte ? souffla Lona dès que la porte fut refermée. Demoiselle de compagnie de la reine ! Quel honneur pour nous tous.

Elle lui adressa un sourire plein de tendresse et caressa sa joue avec douceur.

— Ton père aurait été tellement fier de toi. Demoiselle de compagnie de la reine, répéta-t-elle. Allez, viens, allons annoncer la bonne nouvelle à mes amies. Et elle l’entraîna vers les cuisines où les attendaient Réna et Maëlle.

— Alors ? demanda Réna hautaine. Ta fille sera chargée de laver le linge des domestiques ou de préparer leurs repas ?

— Rien de tout cela ! En fait, dès demain, Thalia prendra ses fonctions auprès de la reine dont elle est la nouvelle demoiselle de compagnie, déclara Lona avec fierté.

Incapable d’articuler un mot, Réna laissa échapper un bruit sourd qui ressemblait étrangement à un grognement. Ne pouvant en supporter davantage, elle quitta la pièce en claquant la porte, non sans avoir pris le temps de lancer un regard meurtrier à la jeune fille. Maëlle, pour sa part, la prit dans ses bras et la félicita chaleureusement. Moins d’une heure plus tard, l’incroyable nouvelle avait fait le tour du château et les serviteurs ne parlaient plus que de ça. Ceux avec qui elle avait grandi lui parlaient comme à une étrangère et lui lançaient des regards envieux, voire haineux. Thalia prit alors conscience que plus jamais elle ne serait la petite sauvageonne rebelle qui passait son temps à s’attirer des ennuis, mais qu’elle était devenue la respectable demoiselle de compagnie de la reine. Ce soir-là, elle mangea à peine, tant l’ambiance qui régnait dans la salle réservée aux domestiques était tendue. Et, dès qu’elle le put, elle se retira dans sa chambre.

— Décidément, je me demande si ce n’est pas un cadeau empoisonné, pensa-t-elle en se glissant dans son lit. Mes amis me fuient comme si j’avais la peste. Elle souffla sa bougie et ferma les yeux. Bah, je suppose que cela leur passera avec le temps. Et elle s’endormit sans plus s’en inquiéter.

Elle avait l’impression de ne dormir que depuis quelques heures lorsque deux coups secs et impatients frappés à sa porte la réveillèrent en sursaut. Elle sauta de son lit et alla ouvrir pour se retrouver face à un homme âgé d’une cinquantaine d’années, au visage inexpressif.

— Il me semble que vous deviez vous tenir prête ! lança-t-il sèchement.

— Je vous ferai remarquer que le soleil se lève à peine ! répliqua-t-elle avec humeur.

— Eh bien, sachez que dorénavant, c’est à cette heure-ci que vous devrez vous lever pour le cas où la reine aurait besoin de vous. Habillez-vous, grinça-t-il avant de refermer la porte.

Aussitôt, Thalia sauta dans ses vêtements, essaya tant bien que mal de discipliner ses cheveux et rouvrit la porte. L’homme était toujours là. Son regard critique se promena de ses mèches folles à sa robe défraîchie.

— Qu’est-ce que cela ? demanda-t-il en pointant un doigt vers le grand sac qu’elle tenait à la main.

— Mes vêtements.

— Si ce qui se trouve là-dedans ressemble à ce que vous portez, alors vous n’en aurez pas besoin ! Donnez-moi simplement l’une de vos robes afin que la couturière puisse vous confectionner une garde-robe digne de vos nouvelles fonctions.

Sous son regard hautain, Thalia se sentit rougir. Elle se baissa, ouvrit le sac et en retira la première robe qu’elle trouva. Il la prit du bout des doigts comme s’il s’était agi d’une serpillière usagée.

— Il faudra aussi apprendre à vous coiffer correctement, reprit-il d’un ton acide. Et maintenant, suivez-moi.

— Attendez ! Laissez-moi au moins le temps de prévenir ma mère.

— Votre mère n’a pas à être informée et sachez que dorénavant, vous n’aurez plus de contact qu’avec les serviteurs de la reine, les autres domestiques n’étant plus dignes de vous parler.

Thalia se figea et le regarda, sidérée. Elle n’aurait plus le droit de parler à ses anciens amis, ce qui, en soi, n’était pas bien grave puisque ceux-ci la considéraient à présent comme une étrangère, mais elle ne voyait pas pourquoi on lui interdisait tout contact avec sa mère ! Elle baissa la tête et, avec la démarche d’un condamné que l’on mène à la potence, suivit l’homme. Après quelques minutes, ils arrivèrent dans une partie du château que Thalia n’avait jamais vue. L’homme ouvrit une porte et lui fit signe d’entrer. Elle se retrouva alors dans une pièce spacieuse et pourvue de tant de fenêtres que la luminosité l’obligea à plisser les yeux. Mais ce qu’elle remarqua avant tout fut l’immense porte-fenêtre donnant sur une terrasse. Son regard se posa ensuite sur l’imposante armoire, sur la coiffeuse surmontée d’un beau miroir, sur la table entourée de quatre chaises et enfin sur le grand lit qui semblait lui tendre les bras. Les murs étaient ornés de tapisseries et de quelques tableaux champêtres et tout, des rideaux au-dessus de lit, semblait neuf.

— Est-ce la chambre de la reine ? demanda Thalia timidement.

— Certes non ! s’exclama l’homme scandalisé. Cette chambre est la vôtre et ceci, ajouta-t-il en ouvrant une porte qui se trouvait à côté de l’armoire, est votre salle d’eau. À présent, si vous voulez bien m’excuser, j’ai du travail !

— Excusez-moi, mais je… personne ne m’a dit ce que je devais faire, s’écria-t-elle paniquée.

— Ce n’est pas bien compliqué, répliqua-t-il avec mépris. Vous attendez ici que la reine vous demande.

Il sortit et Thalia se retrouva seule. D’abord un peu perdue, elle regarda autour d’elle puis se mit à rire et à danser. À bout de souffle, elle se laissa tomber sur le lit et enfouit son visage dans l’oreiller. Il était doux et agréablement parfumé. Elle se releva et alla toucher les rideaux qui ornaient les fenêtres. Ils étaient magnifiques et d’excellente qualité. En passant, elle promena ses doigts sur le manteau de la cheminée puis ouvrit la porte de la salle d’eau. Elle était très grande et, contre le mur du fond, se trouvait une sorte de grand bac rectangulaire. Sa mère lui en avait parlé une fois : elle avait appelé ça une baignoire et lui avait dit que les dames de qualité les remplissaient d’eau et s’y allongeaient pour s’y laver. Depuis, Thalia avait toujours rêvé d’en voir une, mais n’avait jamais pensé en avoir à disposition et pour elle seule ! Il y avait aussi une pompe qui amenait l’eau directement dans la pièce ainsi qu’une cheminée dans laquelle se trouvait un chaudron servant à faire chauffer l’eau. De l’autre côté de la baignoire se trouvait un petit meuble sur lequel étaient disposés de petits savons aux couleurs variées. Elle s’en approcha et les prit chacun leur tour pour les sentir et sourit. Elle ouvrit le placard qui se trouvait à côté et découvrit qu’il contenait des serviettes si grandes qu’elle n’aurait aucun mal à disparaître dedans. Ravie, elle retourna dans sa chambre, ouvrit l’armoire et la commode qui, comme elle s’y attendait, étaient vides. N’ayant plus rien à voir à l’intérieur, elle ouvrit la porte-fenêtre et sortit sur la terrasse respirer l’air doux et léger du printemps. Elle aurait voulu laisser libre cours à sa joie, mais des sanglots provenant de la pièce voisine la ramenèrent à la réalité. Elle retourna dans sa chambre et frappa à la porte qui se trouvait à côté de son lit et qui donnait sur les appartements de la reine. Personne ne répondit. Thalia ouvrit alors doucement la porte et se glissa dans la pièce. Jamais elle n’aurait cru qu’une pièce puisse être aussi vaste. En comparaison, la sienne ressemblait à un placard. La jeune fille regarda autour d’elle et finit par apercevoir une femme d’un certain âge assise dans un fauteuil si large qu’on avait du mal à la voir. Sans bruit, elle s’approcha du fauteuil et posa une main sur l’épaule de la femme. Surprise, celle-ci sursauta et leva la tête. Elle était encore très belle malgré son âge et malgré la douleur qui marquait ses traits.

— Madame ? Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ? demanda Thalia comprenant qu’elle s’adressait à la reine. D’un geste élégant, la reine essuya ses yeux et lui adressa un sourire désenchanté.

— Hélas, mon enfant, je crains que non, murmura-t-elle. Je viens d’apprendre que ma chère Bérénice était morte pendant la nuit. Elle a commencé à avoir des douleurs d’estomac hier matin, mais je ne pensais pas que cela pouvait être aussi grave.

— C’était votre dame de compagnie n’est-ce pas ? La reine hocha la tête. Je suis désolée pour vous, madame. Thalia regarda le visage fin et délicat de la reine et sentit son cœur se serrer en y voyant tant de tristesse.

— Et vous mon enfant, qui êtes-vous ? demanda la reine en réalisant qu’elle n’avait jamais vu la jeune fille.

— Je m’appelle Thalia et… si vous voulez bien de moi, je tâcherai de faire de mon mieux pour être aussi capable que l’était Bérénice.

— Vous voulez dire que mon époux vous a choisie pour être ma demoiselle de compagnie ? lança-t-elle surprise. Vous me semblez bien jeune pour occuper ce poste !

— Heu… En fait, c’est votre fils qui a pris la décision. Il… Il a pensé que quelqu’un de jeune vous apporterait un peu de joie, et si vous me dites ce que vous attendez de moi, je me ferai un plaisir de vous être agréable.

La reine ouvrait la bouche pour répondre quand quelqu’un frappe à la porte. À sa demande, Thalia alla ouvrir. Une servante tenant un plateau surchargé de nourriture entra et déposa son fardeau sur une petite table située à côté du fauteuil dans lequel la reine était assise.

— Désirez-vous autre chose, Madame ? demanda la femme.

— Non, vous pouvez vous retirer.

La servante s’inclina et quitta la pièce non sans avoir jeté un regard hautain à Thalia qui rougit à nouveau. Par réflexe, elle lissa sa robe d’une main tremblante et replaça quelques mèches de cheveux.

— Que vous arrive-t-il, mon enfant ? s’enquit la reine qui avait remarqué son trouble.

— Tout le monde me regarde d’une façon si étrange, murmura Thalia au bord des larmes. Ai-je fait quelque chose de mal ?

Mais elle n’eut pas de réponse, car à nouveau quelqu’un frappait à la porte et, avant que Thalia ait pu faire un geste pour ouvrir, l’homme qui l’avait conduite à sa chambre entrait.

— Qu’y a-t-il, Philibert ? demanda la reine agacée.

— Monsieur votre fils m’a envoyé vous prévenir que… ! Il ouvrit soudain la bouche comme un poisson hors de l’eau et écarquilla les yeux, horrifié. Vous ! s’étrangla-t-il en se ruant sur Thalia. Que faites-vous ici ? cria-t-il en l’attrapant par les bras et en la secouant. Et dans cette tenue en plus ! Comment osez-vous vous présenter devant la reine vêtue comme une mendiante ? Quelle honte ! Quel déshonneur ! Quel… Quel… !

Il serrait le bras de Thalia si fort qu’elle en avait les larmes aux yeux.

— En voilà assez Philibert ! s’exclama la reine d’une voix dure.

Philibert se tourna vers elle et reprit son calme.

— Je vous prie de bien vouloir excuser cette fille pour son comportement outrageant, mais après tout, ce n’est qu’une fille de cuisine que je vais immédiatement renvoyer là-bas !

— Thalia est ici à ma demande, reprit la reine d’une voix cinglante.

— Mais Madame… Regardez-la ! bredouilla-t-il. Votre Majesté ne devrait pas avoir à assister à un spectacle aussi lamentable. Il n’est que trop clair que cette fille n’est pas digne de vous servir, je…

— Taisez-vous ! cria la reine en voyant des larmes rouler sur les joues de Thalia. Elle frappa si violemment sur la table que la porcelaine manqua de se renverser. Je ne vous autorise pas à parler ainsi à cette jeune fille que je trouve pour ma part tout à fait convenable, même si elle vient des cuisines. Et je vous trouve bien hautain pour quelqu’un dont les origines sont plus que modestes. Car si mes souvenirs sont bons, votre père était jardinier et votre mère fille de paysans. Philibert devint écarlate et lança un regard venimeux à la jeune fille.

— Mais que se passe-t-il ici ? demanda le prince en entrant. Mère, on vous entend crier jusqu’à l’autre bout du château !

— Eh bien, si vous ne voulez plus m’entendre crier, dites à vos domestiques de traiter ma demoiselle de compagnie avec les égards et le respect qui lui sont dus ! déclara la reine avec humeur.

Le prince regarda Thalia et se mit à rire doucement comprenant tout de suite le pourquoi de la dispute de sa mère avec Philibert.

— Monsieur ! Sa robe… Sa coiffure… bredouilla Philibert. C’est très inconvenant. Je lui avais pourtant dit d’attendre que la couturière lui procure des tenues plus adéquates pour se présenter devant Madame votre mère.

— Ainsi donc, parce que la tenue de cette jeune personne ne vous convient pas je devrais me passer de compagnie plusieurs jours durant ? ironisa la reine. Eh bien qu’à cela ne tienne ! Anax, allez donc fouiller dans ma penderie et apportez à Thalia deux ou trois robes dont je ne me sers plus, lança-t-elle avec autorité en regardant son fils qui rit de plus belle en voyant l’air scandalisé de Philibert qui, à n’en pas douter, n’était pas loin de la crise d’apoplexie. Quant à sa coiffure, je la trouve tout à fait charmante. Vous avez des cheveux magnifiques mon enfant et il est dommage de les emprisonner ainsi dans un chignon. Dès demain, je vous enverrai ma coiffeuse afin qu’elle vous montre comment les mettre en valeur. Ah, enfin ! s’exclama-t-elle en voyant son fils revenir avec trois robes splendides qu’il tendit à Thalia. Mais la jeune fille resta immobile, les jambes tremblantes.

— Madame, je ne peux pas accepter, souffla-t-elle d’une voix sourde.

— Bien sûr que si ! affirma le prince. Elles vous iront à la perfection et vous blesseriez ma mère si vous refusiez ! De plus, je ne pense pas qu’elle soit en état de supporter une contrariété supplémentaire.

Thalia regarda la reine et s’aperçut qu’elle était très pâle. Son visage était recouvert de fines gouttes de sueur et sa respiration semblait difficile. Thalia jeta plus qu’elle ne déposa les robes sur une chaise et se précipita vers elle. Puis elle remplit un verre d’eau bien fraîche et l’aida à boire.

— Vous sentez-vous mieux, madame ? demanda-t-elle la voix et les yeux empreints d’inquiétude.

— Beaucoup mieux mon enfant, merci. La reine prit dans sa main celle de Thalia et lui sourit. Cela faisait si longtemps que personne ne lui avait manifesté le moindre intérêt et, en dehors de son fils, jamais personne ne semblait s’inquiéter de son sort, même pas Bérénice, qui, malgré le fait qu’elle soit sa dame de compagnie depuis une trentaine d’années, se contentait de rester auprès d’elle et de lui faire la conversation lorsque sa santé s’y prêtait. Tu as eu raison de me l’envoyer Anax. Cette petite est un rayon de soleil pour la vieille femme malade que je suis.

— Je l’ai su dès que je l’ai vue, répondit le prince en lançant à Thalia un regard qui la fit rougir. Saviez-vous, mère, que le père de Thalia était un grand soldat ? C’est d’ailleurs pour cela qu’il était le chef de nos armées !

— Était ? demanda la reine.

— Hélas, il est mort au cours d’une bataille à laquelle moi-même je participais. Et pour être plus exact, c’est pour sauver ma vie qu’il a donné la sienne.

— Thibault ! Ainsi, mon enfant, vous êtes la fille de Thibault ! Sachez que j’estimais beaucoup votre père autant pour son courage que pour sa gentillesse. Prenez-en de la graine, vous ! lança-t-elle à Philibert qui baissa la tête, non sans avoir jeté à Thalia un regard haineux. Et maintenant, veuillez me laisser. Je veux pouvoir me restaurer en paix ! Philibert se rua sur la porte et l’ouvrit pour le prince puis du regard, il fit comprendre à la jeune fille qu’elle devait sortir à son tour. C’est alors que la voix de la reine s’éleva de nouveau. Restez Thalia ! Comme à son habitude, la cuisinière a surchargé mon plateau, nous allons partager ! Cela fait si longtemps que je n’ai pas eu de compagnie pour le petit-déjeuner, et tel que je connais Philibert, je suis sûre qu’il vous a tirée du lit et traînée ici sans même vous laisser le temps d’avaler quoi que ce soit !

Elle confirma et toutes deux se mirent à rire comme si elles étaient de vieilles amies. Philibert acheva de fermer la porte et se retourna pour se retrouver nez à nez avec Anax.

— Il n’est pas toujours bon d’écouter aux portes ! s’exclama-t-il. Il est rare que les choses que l’on entend soient agréables.

Alors, scandalisé par ce qui se passait derrière la porte, Philibert s’éloigna d’un pas raide. Les jours qui suivirent furent pour Thalia un véritable bonheur. Elle passait tout son temps à discuter, à jouer aux cartes avec la reine et parfois, il leur arrivait même d’aller faire quelques pas dans les jardins ce qui, au grand regret de la jeune fille, n’arrivait pas souvent, car la reine souffrait énormément et avait beaucoup de mal à marcher. D’ailleurs, ce jour-là, alors que la pauvre femme venait de s’endormir, Thalia alla s’accouder à une fenêtre et regarda le jardin avec nostalgie. Cela faisait deux jours qu’elle n’avait pu sortir, car, malgré les remèdes que le roi avait fait venir de très loin, la reine souffrait atrocement et n’avait pu quitter son lit. Thalia avait remarqué que les remèdes la faisaient beaucoup dormir, mais n’apaisaient en rien sa douleur et c’est à regret que ce soir-là elle la quitta pour regagner sa chambre. Plusieurs fois au cours de la nuit elle s’était levée pour aller éponger le visage de la reine et poser sur son front un linge frais, mais rien ne semblait pouvoir la soulager. Aussi, lorsqu’à l’aube les gémissements se firent plus insistants, elle se précipita au chevet de la reine sans même prendre le temps de s’habiller.

— Madame ? appela-t-elle doucement. Mais la reine ne répondit pas. Son visage était très pâle et couvert de sueur. Thalia posa sa main sur son front. Il était brûlant. Elle retourna dans sa chambre, remplit un petit baquet d’eau bien fraîche, jeta un linge dedans et revint auprès de la reine. Cela va vous soulager, murmura-t-elle en posant le linge sur son front.

— Merci, murmura la reine faiblement. La douleur est si forte aujourd’hui.

— Si vous m’y autorisez, je peux aller voir ma mère et lui emprunter un remède très efficace contre la douleur. Je suis sûre de pouvoir vous soulager un peu avec ça.

— Alors, allez-y, mon enfant ! Je souffre tant aujourd’hui que je suis prête à essayer n’importe quoi ! J’avalerais même un crapaud vivant si on me disait que c’est nécessaire, ajouta-t-elle avec un sourire crispé.

Thalia s’enroula dans un châle et partit en courant. Ce n’est qu’en arrivant dans le couloir qu’elle se rendit compte qu’elle était pieds nus. Le contact de la pierre froide sur sa peau la fit frissonner, mais elle ne s’arrêta pas. Depuis qu’elle avait pris ses fonctions auprès de la reine, elle n’était plus retournée chez sa mère et il y avait tellement de couloirs qu’elle se perdit plusieurs fois. Finalement, elle finit par arriver et donna un coup sec à la porte de la chambre de sa mère avant d’entrer. Surprise, mais heureuse de la voir, Lona, qui finissait de s’habiller, la serra dans ses bras.

— Ma chérie ! murmura-t-elle les larmes aux yeux. Mais… que fais-tu là à cette heure-ci ? Et dans cette tenue ? On m’avait dit que tu ne pourrais plus venir me voir.

— La reine m’y a autorisé ! Et si je suis là, c’est pour savoir s’il te reste encore de cette pommade que je t’avais préparée pour ton dos.

— Bien sûr ! Le pot est là, sur la commode. Pourquoi ?

— C’est pour la reine. Elle souffre vraiment beaucoup aujourd’hui et ses remèdes habituels ne la soulagent pas.

Sa mère ouvrit un tiroir et en sortit un autre pot.

— Tiens ! Prends celui-là, il est plein. Et ne t’en fais pas pour moi, j’en ai encore plusieurs d’avance. Ah, et prends ça aussi, ajouta-t-elle en lui tendant un sachet d’herbes. Pour ma part, je trouve que c’est plus efficace que la pommade, malheureusement, je ne peux pas m’en servir parce que cela me fait dormir.

— J’essaierai de l’améliorer quand j’en aurai le temps, répliqua sa fille en attrapant le sachet. Tu m’as manqué, tu sais ! murmura-t-elle en embrassant sa mère.

— Toi aussi tu m’as manqué. Et maintenant, file avant que quelqu’un ne s’aperçoive que tu es venue ici.

— Je t’aime ! ajouta la jeune fille avant de se sauver.

— Moi aussi je t’aime ma chérie, murmura Lona en fixant la porte que sa fille venait de refermer.

Comme il était encore très tôt, elle eut la chance de ne croiser personne et arriva à la chambre de la reine sans encombre. Sans faire de bruit, elle ouvrit la porte et se faufila à l’intérieur. Terrassée par la douleur, la reine s’était rendormie. Thalia fit quelques pas vers elle quand soudain, comme surgi de nulle part, Philibert lui barra la route.

— Où étiez-vous passée ? grinça-t-il d’un ton menaçant. Comment avez-vous osé abandonner la reine alors qu’elle est au plus mal ? Et ne me dites pas que vous étiez dans votre chambre, je suis allé vous y chercher !

— Je suis juste partie quelques minutes pour aller voir ma mère qui…

— Votre mère ! Vous profitez du fait que la reine soit souffrante pour aller voir votre mère ? s’indigna-t-il.

— Si j’y suis allée, c’est pour…

— Vous n’avez aucune excuse ! hurla-t-il. Je vais vous faire donner le fouet ! Vous serez chassée du château et plus jamais vous n’y remettrez les pieds ! Toute votre famille sera déshonorée par votre faute et peut-être même qu’eux aussi seront chassés !

— Mais laissez-moi vous expliquer ! s’énerva Thalia. La reine m’a autorisée à…

— Dans l’état où elle se trouve, elle n’a même pas dû entendre ce que vous lui disiez ! gronda-t-il entre ses dents serrées. Son regard tomba alors sur le sachet d’herbes qu’elle tenait à la main. Qu’est-ce que c’est ? Donnez-moi ça ! ordonna-t-il.

— Jamais ! s’écria Thalia en mettant ses mains derrière son dos.

— Que voulez-vous faire de ce qu’il y a dedans ? C’est pour la reine ! Vous voulez l’empoisonner !

— Mais vous êtes fous ! s’exclama Thalia qui ne put s’empêcher de rire tant la situation lui paraissait folle. Ces herbes sont bien pour la reine, mais elles sont destinées à soulager la douleur, pas à tuer !

— Vous mentez ! hurla-t-il. Donnez-moi ça !

Thalia recula et secoua la tête. Il se rua vers elle et l’agrippa par un bras, mais elle parvint à se dégager et recula encore.

— Donnez-moi ça ! hurla-t-il fou de rage.

— Non ! s’entêta-t-elle.

Les yeux de Philibert se plissèrent tant qu’il n’en restait à présent que deux fentes brillant de haine. Alors, avec une rapidité étonnante, il leva la main et la laissa retomber sur la joue de Thalia avec une violence incroyable. Déséquilibrée, la jeune fille tomba sur le plancher et lâcha le sachet d’herbes et le pot contenant la pommade. Philibert se précipita pour les prendre, mais elle fut plus rapide et, dès qu’elle les eut en main, elle se releva d’un bond. Philibert leva à nouveau la main, mais cette fois-ci elle fut plus rapide et évita la gifle. Puis, en guise de représailles, elle lui donna un formidable coup de pied dans les tibias. C’est à cet instant précis que la porte s’ouvrit et que le prince entra. Il s’immobilisa et regarda Thalia bouche bée. Elle se mit alors à rougir et à bégayer.

— Ce… Ce n’est pas… Je vais vous expliquer ! En fait…

— Cette petite peste a quitté son poste, abandonnant votre mère au plus mal pour aller voir sa mère ! clama Philibert en se frottant les tibias. Et lorsque je lui ai signifié qu’elle serait punie pour cela, elle m’a frappé !

— Mais… Mais… bafouilla Thalia outrée de l’entendre mentir avec autant d’aplomb.

— Je vous écoute ! gronda le prince d’une voix dure.

Thalia baissa la tête. Elle était sûre qu’il ne la croirait pas puisqu’il était arrivé au moment où elle donnait un coup à Philibert. Elle serra les dents pour empêcher ses larmes de couler et releva la tête, déterminée à ne pas se laisser accuser à tort.

— Je suis effectivement allée voir ma mère, commença-t-elle d’une voix claire.

— Qu’est-ce que je vous disais ! lança Philibert d’un ton triomphant.

— Mais seulement après que votre mère m’y ait autorisé et afin d’aller chercher de quoi soulager sa douleur.

— Elle ment ! cracha Philibert. Tout ce qu’elle cherche à faire c’est se débarrasser de votre mère afin de ne plus avoir à la soigner !

— Cette accusation est des plus graves, reprit le prince. En avez-vous la preuve ?

— Grave et mensongère. La voix faible de la reine s’éleva et toutes les têtes se tournèrent vers elle. Thalia a dit la vérité. Elle s’est occupée de moi toute la nuit, pourtant, ce matin, la douleur était si forte qu’elle m’a proposé d’aller demander à sa mère de quoi me soulager. J’étais si fatiguée que pendant son absence je me suis endormie et ce sont les cris de Philibert qui m’ont réveillée. C’est là que je l’ai entendu l’accuser de vouloir me tuer. Il l’a aussi menacée et lorsqu’elle a refusé de lui remettre les remèdes, il l’a violemment giflée. J’aurais voulu intervenir plus tôt, mais la douleur m’a tellement affaiblie que je ne parvenais même pas à prononcer le moindre mot. Je suis désolée, mon enfant.

— Il ne faut pas Madame, murmura Thalia en se précipitant à ses côtés. Anax s’approcha de la jeune fille et, délicatement, posa sa main sur la joue douloureuse et brûlante de la jeune fille.

— Je suis désolé de m’être montré si dur envers vous, murmura-t-il avec douceur. Elle sentit alors son cœur cogner dans sa poitrine et le reste de son visage devint aussi rouge que sa joue. Quant à vous, ajouta-t-il en se tournant vers Philibert, sortez d’ici. Je m’occuperai de votre cas un peu plus tard. Le majordome baissa la tête, et quitta la pièce.

— Qu’allez-vous lui faire ? demanda Thalia.

— Je vais les renvoyer lui et sa femme sans le moindre gage et sans aucune recommandation.

— Pourquoi ?

Le prince qui s’apprêtait à sortir se retourna et lui jeta un regard étrange.

— Drôle de question. Il vient de vous menacer, de vous frapper et vous vous inquiétez de son sort ?

— Je suis sûre qu’il pensait bien faire et que tout ce qui lui importe c’est le bien-être de la reine.

— Ce n’est pas mon avis et s’il a agi ainsi, c’est uniquement par jalousie et par dépit parce que vous avez eu le poste qu’il espérait pour sa femme. Tout ce qu’il voulait, c’est vous faire renvoyer !

— Ne le chassez pas, je vous en prie, pas à cause de moi. Cela fait si longtemps qu’il vous sert. Si vous l’avez gardé tout au long de ces années c’est parce qu’il faisait bien son travail alors, donnez-lui une autre chance, supplia-t-elle.

Le prince la fixa pendant quelques secondes puis son visage se détendit et il lui sourit.

— C’est entendu, mais je ferai en sorte qu’il ne croise plus votre chemin et il aura interdiction de se rendre dans cette partie du château.

— Merci, murmura Thalia.

Le prince fit un pas vers elle, puis se ravisa et quitta la chambre. Thalia resta immobile un moment, le regard rivé sur la porte puis elle se rendit dans sa chambre, mit un peu d’eau à chauffer et retourna auprès de la reine.

— Si vous me montrez où vous avez mal, je pourrai vous passer de la pommade.

La reine lui indiqua les points douloureux et la jeune fille passa un long moment à lui masser toutes les articulations du corps. Quand elle eut fini, elle retourna dans sa chambre et en revint avec un grand verre rempli d’une mixture brunâtre qui dégageait une étrange odeur.

— Il faut tout boire ! dit Thalia en lui tendant le verre. Cela devrait rapidement vous soulager, le seul problème c’est que ce mélange fait dormir.

— Aucune importance. J’espère seulement que c’est efficace, ajouta la reine en grimaçant à cause de l’odeur. Après une brève hésitation, elle trempa ses lèvres dans le liquide et sourit. Ce n’est pas si mauvais ! ajouta-t-elle avant de vider son verre.

Thalia le posa sur la table de nuit et s’assit sur le fauteuil qui se trouvait près du lit pour discuter avec la reine jusqu’à ce que celle-ci s’endorme. Alors, elle regagna sa chambre où elle fit un brin de toilette et s’habilla. Quand elle revint, le prince était assis sur le fauteuil qu’elle avait quitté quelques minutes auparavant.

— Comment va-t-elle ? demanda-t-il doucement.

Thalia s’approcha du lit et posa la main sur le front de la reine.

— La fièvre est tombée et son visage est détendu ce qui me laisse penser que la douleur est devenue supportable ou qu’elle a disparu.

— Apparemment, le remède détenu par votre mère est très efficace ! Où se l’est-elle procuré ? Thalia se sentit rougir puis pâlir.

À aucun moment, elle n’avait songé que l’on pouvait lui demander d’où il venait.

— Eh bien… Je… Je… bredouilla-t-elle. Le prince se leva et s’approcha d’elle.

— Qu’y a-t-il, ma chère ? Est-ce donc un secret honteux ? demanda-t-il en prenant sa main.

— Non, enfin… Je ne crois pas. Seulement, je ne voudrais pas que ma mère ou ma sœur aient des ennuis par ma faute.

— Qu’avez-vous donc fait de si grave pour vous les procurer ? Racontez-moi ! Sa voix était si douce et son regard si charmeur que Thalia céda.

— C’est moi qui les ai préparés !

— Vous ? Mais… comment ?

— Voyez-vous, lorsque j’étais plus jeune, j’étais plutôt… indisciplinée et j’adorais faire tout ce qui était interdit. Aussi, dès que j’en avais l’occasion, je me sauvais et j’allais au village jouer avec les autres enfants. Un jour, alors que je faisais un détour par la forêt, j’ai rencontré une vieille femme qui ramassait des plantes. Elle en avait tant que je n’ai pas résisté à l’envie de lui demander ce qu’elle voulait en faire. Elle m’a alors répondu qu’elle était la guérisseuse du village et que les plantes qu’elle cueillait, si elles étaient correctement associées, pouvaient soulager les douleurs et guérir un grand nombre de maladies. Je lui ai demandé de m’apprendre et elle a accepté. Mes parents ont fini par découvrir où je passais tout mon temps, ils se sont mis très en colère et m’ont interdit d’y retourner seulement…

— Vous ne leur avez pas obéi ! acheva le prince.

— Non ! J’ai continué à aller la voir presque tous les jours jusqu’à ce que…

— Oui ?

— Elle… elle est morte voilà presque six mois.

— J’en suis désolé pour vous, mais je suis aussi heureux qu’elle ait eu le temps de vous apprendre tout ce qu’elle savait, car grâce à vous ma mère a l’air d’aller beaucoup mieux.

— Est-ce que cela veut dire que je ne vais pas être punie pour avoir transgressé la règle ?

— Bah, cette règle est stupide et n’a aucun sens. Je ne vois pas quel mal il peut y avoir à ce qu’un enfant du château aille jouer avec ceux des villages voisins. Il se dirigea vers la porte, l’ouvrit et se retourna. Je repasserai plus tard afin de voir comment ma mère se porte, ajouta-t-il avant de disparaître.

Une fois seule, elle regarda autour d’elle et cette fois encore son regard tomba sur l’immense bibliothèque qui recouvrait un mur entier et qui débordait de livres. Elle laissa ses doigts courir sur plusieurs couvertures avant d’en prendre un puis retourna s’asseoir près de la reine et commença à lire.

— Très bon choix ! murmura la reine. Thalia sursauta, referma le livre d’un geste sec et, comme un enfant pris en train de faire une bêtise, elle cacha le livre derrière son dos.

— Je… Je ne savais pas que vous étiez réveillée, madame.

— Je ne savais pas que vous saviez lire, répliqua la reine.

— Je vous en prie, ne le dites à personne, murmura la jeune fille paniquée.

— Ne vous affolez pas ainsi, mon enfant. Ce sera notre petit secret bien que je trouve complètement stupide d’interdire aux enfants non issus de familles nobles d’apprendre à lire et à écrire. S’il ne tenait qu’à moi, il y aurait une école dans chaque village du royaume.

La reine se redressa et lui lança un regard intéressé. Cela fait bien longtemps que je n’ai pas eu la joie d’ouvrir un livre, il faut dire que la maladie qui me ronge ne me laisse que peu de répit, aussi j’aimerais beaucoup que vous me fassiez la lecture.

— Tout de suite si vous le voulez ! s’écria Thalia en reprenant son livre.

— Plus tard mon enfant. Mon fils ne va plus tarder ! En effet, Thalia avait à peine rangé le livre que le prince entrait dans la chambre.

— Mère ! s’exclama-t-il en l’embrassant sur le front. Je vois avec plaisir que vous allez beaucoup mieux !

— Oui, et ce, grâce à notre petite Thalia ! À ce propos, mon enfant, il faudra que vous me disiez où me procurer ces remèdes.

— Cette petite cachottière ne vous a donc rien dit ? reprit Anax. Elle les fabrique elle-même.

— Je ne sais pas trop si je dois m’en étonner ! gloussa la reine en faisant un clin d’œil à la jeune fille.

Anax vint s’asseoir près de sa mère et passa un long moment à discuter avec elle. Pour ne pas les déranger, Thalia alla s’installer dans le coin le plus éloigné de la pièce et se mit à broder. De temps en temps, elle levait les yeux et, à chaque fois, son regard croisait celui du prince ce qui, apparemment, ne semblait pas déranger la reine. De ce jour, afin qu’elle puisse continuer à fabriquer les remèdes de la reine, Thalia reçut l’autorisation de se rendre dans la forêt deux après-midi par mois et ces soirs-là, elle pouvait dîner avec sa mère. Et, ce qui avait encore ajouté à sa joie, c’est que plus jamais elle n’avait croisé Philibert.

 

 

 

 

 

Chapitre II

Étranges révélations

 

 

 

Ce matin-là, Thalia se leva et se prépara bien avant l’aube. Cela faisait maintenant un mois que la reine prenait son nouveau remède et elle se sentait si bien qu’elle avait décidé de faire une grande promenade dans les jardins et de prendre son petit déjeuner sur la terrasse. Dès qu’elle fut prête, elle s’assit sur son lit et attendit que la reine l’appelle. Au bout d’une heure, n’y tenant plus, elle ouvrit doucement la porte et glissa la tête de l’autre côté pour voir si la reine était réveillée.

— Entrez mon enfant, l’entendit-elle dire.

— Je suis désolée, s’excusa Thalia en s’avançant. Je ne voulais pas vous réveiller si tôt.

— Mais vous ne me réveillez pas, ma chère. Je le suis depuis bien longtemps. Vous voyez, j’ai même eu le temps de m’habiller.

— Vous auriez dû m’appeler.

— Cela fait si longtemps que je dépends des autres pour faire des choses aussi simples que je suis ravie de les faire seule. Et puis, il est encore tôt et je pensais que vous dormiez.

— Oh non ! J’ai tellement hâte d’aller visiter le parc avec vous !

— Dans ce cas, allons-y ! Thalia prit un châle et le posa sur les épaules de la reine.

— Il fait beau, mais les matinées sont encore fraîches, s’exclama-t-elle avant d’ouvrir en grand la porte-fenêtre qui donnait sur la terrasse. Elles s’avancèrent et s’accoudèrent à la balustrade qui donnait sur l’immense parc qui entourait le château. Puis, elles descendirent les quelques marches qui y menaient et commencèrent leur promenade dans les allées fleuries.

— Je suis malade depuis tant d’années que je n’avais plus de souvenirs de cet endroit, murmura la reine en s’asseyant sur un banc de pierre à l’ombre d’un grand arbre. J’avais oublié à quel point c’était beau. Thalia vint s’asseoir près d’elle et la reine prit sa main. Et ce bonheur, c’est à vous que je le dois, mon enfant. Des bruits de pas sur l’allée de gravier leur firent tourner la tête.

— Mère ! s’exclama le prince. Je vous cherche depuis plus d’une heure. Je ne pensais pas que vous iriez si loin.

— J’en suis la première étonnée, répondit la reine. Thalia, voulez-vous bien nous laisser quelques instants, je voudrais parler à mon fils. La jeune fille se leva et s’inclina puis elle s’éloigna suffisamment pour être sûre de ne pas les entendre et, quand elle fut certaine qu’ils ne pouvaient pas la voir, elle retira ses chaussures et marcha dans l’herbe encore fraîche et tendre.

— Mademoiselle Thalia ? l’appela une voix inconnue. Surprise, elle sursauta, se retourna et se retrouva face à une femme d’une cinquantaine d’années.

— Oui ! Qui êtes-vous ?

— Je m’appelle Cally, je… Je suis la femme de Philibert. Le sourire de Thalia s’effaça et son visage se ferma. Je… Cela fait des semaines que je souhaite vous parler, mais comme ni moi ni mon époux n’avons le droit de nous approcher des appartements de la reine, c’était plutôt compliqué. Aussi, lorsque je vous ai vue vous éloigner seule, je vous ai suivi dans l’espoir que vous m’accorderiez quelques instants.

— Si vous me disiez ce que vous voulez, lança Thalia sèchement.

— Tout d’abord, je voulais vous remercier d’avoir intercédé en notre faveur auprès du prince afin qu’il ne nous congédie pas. Je voulais aussi m’excuser pour ce que mon mari vous a fait et vous demander de ne pas lui en vouloir, car s’il s’est montré aussi dur envers vous c’est uniquement parce qu’il…

— Parce qu’il espérait que vous seriez nommée à ma place, coupa Thalia acerbe.

— Non ! Ce n’est pas ça du tout ! Il voulait simplement que vous ne soyez pas en contact avec…

— Thalia ? Où êtes-vous ? appela Anax.

— Je dois partir, marmonna précipitamment Cally. Et je vous en prie, ne dites à personne que je vous ai parlé, murmura-t-elle avant de s’enfuir à toutes jambes.

— Ah, vous voilà enfin ! soupira le prince en débouchant de derrière un buisson. Ma mère se sent fatiguée et souhaite rentrer.

— J’arrive tout de suite ! Elle s’assit dans l’herbe et, sous le regard étonné du prince, remit ses chaussures.

— Que faisiez-vous pieds nus ?

— J’adore sentir l’herbe sous mes pieds ! bafouilla-t-elle en rougissant. C’est doux et… ça chatouille. C’est très agréable ! Le prince se mit à rire et l’aida à se relever. Thalia le remercia rapidement et courut retrouver la reine. Dès leur retour, Thalia l’aida à passer des vêtements plus confortables et à s’allonger dans son lit puis elle lui apporta son petit déjeuner.

— Nous n’aurions pas dû aller si loin pour une première fois. Vous êtes épuisée.

— C’est vrai, murmura la reine. Mais cela faisait bien longtemps que je ne m’étais pas sentie aussi bien. Et pour une fois, la fatigue que je ressens est bien agréable. Elle repoussa son plateau, s’allongea et ne tarda pas à s’endormir. Ce midi-là, elle mangea de bon appétit au grand bonheur de Thalia.

— Mon enfant, vous devriez aller dans la forêt aujourd’hui. Je me sens très fatiguée et je vais sûrement dormir le reste de la journée.

— Vous en êtes sûre ? En principe, ma sortie ne devait se faire que dans deux jours.

— J’en suis certaine. Et il fait si beau aujourd’hui qu’il serait dommage de ne pas en profiter.

— Dans ce cas… murmura Thalia en essayant de cacher sa joie. Elle se rendit dans sa chambre, enfila l’une de ses vieilles robes et retourna voir la reine. Comme celle-ci s’était endormie, Thalia sortit sans faire de bruit et se faufila hors du château. Une fois dans le jardin, elle se mit à courir et, de peur que quelqu’un ne la rattrape pour lui dire que la reine avait changé d’avis, elle ne s’arrêta que lorsqu’elle eut atteint les premiers arbres. Là, elle se laissa tomber sur la mousse épaisse et regarda les rayons du soleil qui filtraient à travers les feuilles des arbres. Elle ferma les yeux et laissa le vent léger et tiède caresser son visage. Elle commençait à s’endormir lorsqu’elle sentit quelque chose de dur lui tapoter les côtes. Elle ouvrit les yeux et se releva d’un bond.

— Qu’est-ce que tu fais là petite ? lui demanda un homme d’une quarantaine d’années.

— Je… Je suis venue ramasser quelques plantes, répondit Thalia.

— Ah ! Je ne t’avais jamais vue avant ! De quel village viens-tu ?

— Je ne…

— Tu ne devrais pas venir ici toute seule, c’est dangereux ! marmonna-t-il en regardant tout autour de lui.

— Pourquoi ? demanda la jeune fille dont la gorge venait de se serrer douloureusement. Inquiète, elle regarda l’homme et recula d’un pas. Il était beaucoup plus grand qu’elle et d’une carrure impressionnante. De plus, il tenait à la main un bâton de bonne taille et s’il lui prenait soudain l’envie de l’attaquer, elle ne pourrait rien faire contre lui et, même si elle se mettait à hurler, l’endroit était désert et isolé et personne ne l’entendrait.

— Parce que plusieurs jeunes filles ont disparu sans laisser de traces !

— Mais, et vous ? Que faites-vous dans cette forêt ?

— Avec mes compagnons, je surveille les cueilleuses.

— Je vous demande pardon ?

— À chaque saison, les filles du village viennent dans la forêt pour ramasser les baies, les fruits ou les champignons. Mais il s’est passé tellement de choses étranges ces dernières années, que nous avons décidé de les accompagner afin qu’il ne leur arrive rien ! On n’a pas envie qu’une autre disparaisse.

— Qu’est-ce qui vous fait dire qu’elles ont disparu ? Peut-être ont-elles été attaquées par un animal sauvage ou plus simplement sont-elles allées s’installer dans un village voisin.

— Sans prévenir leurs parents ? Quant aux bêtes sauvages, on y a pensé, mais on a vite abandonné l’idée.

— Pourquoi ? demanda-t-elle, sûre de ne pas aimer la réponse.

— Parce que… L’homme se pencha vers elle et prit un air mystérieux. Nous n’avons jamais retrouvé quoi que ce soit leur appartenant ! Ni vêtements, ni bijoux, ni même le plus petit os ! Pourtant, d’après ce que je sais, il y aurait eu pas loin de trente disparitions au cours des dix dernières années. C’est tout de même étrange que tu n’en aies pas entendu parler, on s’est pourtant mis d’accord avec les villages voisins pour que toutes les filles soient informées. De quel village viens-tu ?

— D’aucun. Je viens du château où je suis née et où je travaille à présent.

— Dans ce cas, je vais t’y ramener ! Je n’ai pas envie qu’on vienne nous accuser s’il t’arrive quelque chose ! Attends-moi ici, je vais prévenir mes amis.