L’énigme des pigeons du Mont Athos - Marie-Claire Cardinal - E-Book

L’énigme des pigeons du Mont Athos E-Book

Marie-Claire Cardinal

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Beschreibung

Xénon Papageorges, un vétérinaire belgo-grec hermaphrodite, passionné par les pigeons de concours, champion toutes catégories et lié à la spiritualité athonite, a disparu mystérieusement sur l’Athos. Son père Hippoltyte le cherche avec l’aide de Claire Berg, cheffe de la section fédérale des personnes disparues, et Marie Cardinal, journaliste. Xénon aurait développé un système de pigeons voyageurs pour véhiculer des informations confidentielles, échappant à toute interception. La piste mène au Mont Athos et à des découvertes surprenantes concernant des voiliers du ciel hybrides et des substances végétales indétectables, stimulant les performances des pigeons de compétitions. 

Une sombre enquête se déploie dans cette presqu’île où les hommes qui y habitent meurent toujours au terme d’une vie monastique hors normes, mais où aucun ne peut y naître puisque les femmes y sont toujours interdites.


À PROPOS DE L’AUTRICE

Passionnée de colombophilie, Marie Claire Cardinal a été de nombreuses années partenaire du magazine La Colombophilie Belge. Elle y a écrit des centaines d’articles sur la colombophilie et est l’auteure de Meurtre au colombier publié en 2016, de L’énigme du pigeon qui valait 2 400 000 € en 2020, et de L’énigme de la porte-guillotine paru en 2021.

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Marie-Claire Cardinal

L’énigme des pigeons

du Mont Athos

Roman

© Lys Bleu Éditions – Marie-Claire Cardinal

ISBN :979-10-422-0504-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Il y a un endroit dans le monde, Le Mont Athos, digne de la plus grande admiration.

Son climat est exceptionnel et il accueille toutes les variétés de plantes qui n’existent pas ou plus autre part.

Il est inondé de soleil radieux et couvert d’arbres de toutes sortes, de forêts, de prairies.

Il est riche du travail des hommes.

Ici se trouvent rassemblées toutes les marques de la vertu, que l’on se tourne vers la nature, ou vers la vie monastique des hommes qui ont choisi ce lieu comme lieu de retraite.

Grigoras (chroniqueur byzantin)

Avertissement

Ce roman est une fiction, j’ai choisi le cadre du Mont Athos parce que je le trouvais propice à mon intrigue particulière et inédite.

En me documentant sur ce lieu magique, en l’approchant sans y pénétrer, j’ai été séduite par une forme de pureté des moines qui y vivent.

Si, dans mon livre, certains vous paraissent caricaturaux, je n’ai pas à m’en excuser puisqu’il s’agit bien d’une fiction.

Chapitre 1

Cette montagne sacrée,

les hommes y meurent toujours,

mais n’y naissent jamais !

J’essayais vainement de boucler le dernier article colombophile de ma vie journalistique sans trémolos larmoyants ni nostalgie désuète et j’avoue que je n’y parvenais point.

Mon GSM crépita avec ce bruit particulier et unique qu’il émet quand… les ennuis se pointent.

« Marie, je te dérange ?

— Non, tu interromps un pensum que je dois clore, mais que je procrastine encore et encore, comme d’hab ! Dis-moi ce qui amène la ravissante Claire Berg, commissaire de police à Charleroi à s’enquérir de mes affres journalistiques ?

— C’est que, ma poule, la commissaire Berg vient d’être mutée à sa demande et promue “cheffe” de la cellule fédérale des personnes disparues.

— Félicitations, tu gagnes du galon ma belle, faut dire que tu le mérites, c’est pour me convier à la “fiesse” que tu m’appelles ?

— Oui, on ne manquera pas de se faire une fête à cette occasion, mais comme de coutume, j’ai besoin de tes connaissances dans le monde colombophile, je ne peux plus me passer de ton expertise encore et même surtout cette fois.

— Mais, ma parole, tu n’as plus en charge que des meurtres colombophiles, alors que j’écrivais récemment qu’il n’y en a guère plus que dans d’autres disciplines sportives !

— Non, plus de crimes, j’innove. Il ne s’agit pas d’un meurtre, mais d’une disparition inquiétante d’un jeune colombophile de Gosselies, vétérinaire de son état qui a disparu sans laisser de traces avec quelques pigeons renommés et un beau pactole de plus d’un million d’euros, tu ne devineras jamais où ?

— Le seul jeune vétérinaire colombophile que je connaisse à Gosselies est Xénon Papageorges.

— Son père…

— Hippolyte Papageorges, un sacré colombophile du coin, il n’a pas disparu lui, je l’ai vu encore il y a quelques jours et, à présent que tu m’en parles, il n’exhibait pas la mine radieuse du grand vainqueur des lauriers olympiques qu’il a ceints cette année pour la troisième fois !

— Justement, les lauriers olympiques, son fils Xénon a disparu… en Grèce, enfin au Mont Athos.

— Tu plaisantes ? Disparu depuis quand ?

— Des mois déjà, depuis six mois exactement sans laisser de traces, ni d’adresse. J’hérite de ce dossier en souffrance, personne ne sait par où commencer de fait, depuis six mois, rien de rien, aucun signe de vie, ni de mort non plus par ailleurs.

— Il est peut-être rentré dans un monastère sacré sur le Mont Athos.

— Mais, il aurait prévenu sa famille, sa patientèle, sa banque, plus aucune trace, son GSM ne borne plus, pas un seul retrait bancaire, il vit de quoi et où ?

— C’est maintenant que tu me préviens ? Bravo, je croyais qu’on formait un duo de choc sur ces coups-là depuis ta dernière enquête…

— Dans laquelle je n’ai trouvé la clé de l’énigme que grâce à toi, je sais…

— Bon, écoute, on ne va pas se crêper le chignon avec de stériles reproches, voyons-nous pour en discuter, veux-tu ?

— Oui, mais comme de coutume en stoemmelinks (en catimini, en tapinois), juste toi et moi. Il ne s’agit que d’une recherche internationale, mais dans le cadre européen complexe et délicat vu la situation juridique de ce dernier sanctuaire orthodoxe indépendant.

On n’enquête pas sur un meurtre cette fois, mais bien sur une disparition inquiétante, pas un mot dans ton milieu de coulonneux, encore moins à tes potes de la presse, surtout à Pierre Dupont, tu vois déjà les titres qu’il sortirait !

— J’en ris déjà si ce n’était si dramatique cette disparition. En effet, à présent que tu en parles, cela fait longtemps que je ne l’ai plus aperçu dans les cénacles colombophiles notre Xénon.

Son père, Hippolyte, avec qui il joue en tandem, a cartonné, une saison vraiment fantastique, et a décroché l’or olympique avec une de ses femelles et un de ses mâles est aussi sur le podium, déjà vendu à un prix d’or à Dubaï ! Un beau couronnement d’une vie colombophile où il n’avait pas performé pourtant, mais depuis qu’il joue avec son fils, il a décollé, cela fait jaser dans le landerneau, tu penses !

— Combien la vente à Dubaï ? » s’enquit Claire.

« Dans le top 3 de l’année pour la Belgique, si je me souviens bien 1 950 000 dollars.

— Ah ! Oui, quand même !

— Ben ! C’est un mâle, on en tire plus de rejetons que les femelles qui ne pondent que deux œufs à la fois, alors qu’avec les mâles c’est… Byzance !

— Le marché n’est pas à la baisse à ce que je vois, la guerre en Ukraine n’a pas fait monter les prix ?

— Bah ! L’Ukraine n’est pas un pays spécialisé en colombophile. En revanche la Roumanie et la Bulgarie commencent à aligner des prix conséquents, moins que la Belgique, mais ils boostent aussi le marché. »

Nous convînmes d’un rancard en ma demeure le soir même.

Je me sentais revigorée par le coup de téléphone de Claire, ma chère et fidèle comparse d’université qui n’avait jamais quitté ma vie surtout depuis que nous créchions dans la région de Charleroi, à Gosselies et que je lui avais prêté main-forte dans deux sombres histoires d’empoisonnements dans lesquelles, par hasard, deux ténors de la colombophilie avaient comparu.

C’était avec beaucoup de nostalgie déjà que je mettais fin à une collaboration de plus d’une décennie avec un prestigieux magazine colombophile « La Colombophilie belge » qui cessait ses activités. Même les nonagénaires, nombreux dans notre passion, font leurs emplettes colombophiles sur internet et boudent un peu ce média, le seul bilingue encore dans notre petite patrie d’héroïsme (colombophile en tout cas).

Pour ma part, j’avais été recrutée par un éditeur chinois qui souhaitait traduire mes articles sur les pigeons européens, pas que je sois la meilleure chroniqueuse colombophile, mais juste parce qu’il voulait publier dans son magazine mes livres par chapitre à chaque publication, permettant de la sorte de tester l’intérêt de ses lecteurs pour ma prose (dans ce cas des dizaines de milliers. Hors concurrence avec l’Europe !). J’avoue que je ne sais pas comment on traduit mes articles en mandarin, mais bon, le deal me flattait et me plaisait, sans compter, enfin si en comptant que cela me rapporterait tellement plus que mes petits tirages belgo-belges et que par les temps qui courent…

La colombophilie avait été une passion pour moi depuis plus de 10 années et si, comme toutes les passions, elle avait fini par se tiédir et s’affadir, elle irriguait encore bien de son adrénaline mes neurones et mes vaisseaux du cœur.

Les pigeons me fascinent, je l’ai déjà tellement écrit, pas seulement par leurs performances aux concours, même si je ne les dénie nullement, mais par le fait que ce sport nous fait des centenaires à n’en savoir que faire comme chantait Jean Ferrat. La dernière rencontre avec un champion colombophile, Joseph Liégeois, grand vainqueur international et national du difficile Narbonne, qui a ceint des lauriers de la victoire pour la première fois à 86 ans, m’avait confortée dans cet état d’esprit.

Les Belges furent, dès 1830 (date de la proclamation de notre indépendance), la matrice de la nouvelle colombophilie. Ceux qui lisent mes livres le savent pertinemment, je ne leur attribue pas du tout la paternité ou la maternité (rire) de la discipline, même s’ils restent la nation du premier pigeon créé sans aucune manipulation génétique et qui est toujours l’étalon du pigeon voyageur mondial actuel.

Les Chinois, les Grecs, les Égyptiens, les Ottomans, les Turcs… connaissaient les vertus du retour au colombier de nos voiliers du ciel. Ils ne mesuraient pas toujours la vitesse ni l’endurance de leurs messagers, mais les utilisaient à bon escient depuis des millénaires. Les pigeons belges sont devenus depuis quelques décennies déjà les pigeons les plus onéreux du monde et notre meilleur produit d’exportation au prix du gramme.

Je lis souvent dans la presse que le cheval le plus cher du monde s’appelle Green Monkey, un fort beau pur-sang de 540 kg vendu en 2006 pour la somme pharaonique de 12 600 000 €.

Je prends ma calculette et j’en déduis assez primairement que cela nous fait 23 € le gramme.

En comparaison c’est un peu plus que la moitié du gramme d’or 18 carats qui se négocie à 40 €.

Mais, ce n’est rien à côté de notre femelle New Kim qui, en 2020, s’est vendue en Chine à 1 600 000 € record mondial attesté, il n’y a aucun autre pigeon vendu officiellement avec attestation à ce prix.

Soit pour un pigeon de 450 grammes la somme inimaginable de 3 555,555 555 5 € le gramme !

Ces prix de cinglés ont, bien entendu, changé notre sport, notre discipline, sans altérer pourtant la passion que tous les colombophiles éprouvent pour leurs ouailles.

Même les grandes exploitations, comme les stations industrielles d’élevage, arborent à leurs têtes des managers qui aiment et performent dans cette discipline qui, si elle n’est pas vraiment officiellement olympique, mériterait de le devenir.

Petits ou grands colombophiles sont unis par le même amour sacré du pigeon, j’en reste persuadée. Le problème est que ceux qui peuvent aligner dans un concours des centaines de pigeons jouent dans la même cour de récré que le petit colombophile qui arrive avec son panier de 2, 3 ou 4 compétiteurs et c’est injuste parce que, plus on peut aligner de concurrents, plus on accumule des chances de gagner les épreuves, c’est mathématique.

Pourtant, comme dans d’autres disciplines, parfois c’est David qui bat Goliath, comme dans la bible ! Ces concours-là me rendent heureuse comme une gamine et je me précipite pour avoir le privilège de les relater et de féliciter les vainqueurs. Quelques marchands me tirent un peu la tête pour cela, mais dans l’ensemble, ils me pardonnent, me semble-t-il.

Je passerai sur mes animosités quant à ceux qui croient diriger ce petit monde. Je ne voudrais pas prêter un bâton à ceux que j’appelle les fossoyeurs de la colombophilie pour me battre et me faire taire. Ils ne méritent à mon sens ni cet excès d’honneur ni cette indignité pour paraphraser un classique !

Bref, je prenais le deuil de mon job de chroniqueuse colombophile, pour me consacrer à l’écriture et Dieu sait qu’il reste des anthologies à écrire sur le sujet. Pourtant, cette disparition mystérieuse révélée par Claire m’avait fait saliver, elle me titillait les sens parce qu’avec ces prix de sots comme on dit ici pour les pigeons, il est normal que la discipline attire des malfrats de tous bords.

Exemple ? Lorsqu’un pigeon gagne une compétition nationale ou mieux internationale, le vainqueur va évidemment passer du côté de la force obscure, on ne le remettra plus à aucun concours de peur de le perdre. Notez qu’il officiera en grand maître dans la reproduction, ce qui n’est pas le plus désagréable dans une vie de pigeon. Mais surtout, et c’est nouveau, certains colombophiles vont faire disparaître le pigeon vainqueur, on ne le gardera pas au colombier, et, quand on le garde c’est sous l’égide d’un ou d’une armada de chiens malinois aux crocs acérés qui veilleront sur ce trésor fort convoité par les pilleurs de pigeonniers.

Ce n’est même pas qu’ils puissent le revendre, que nenni ! Avec les tests ADN il est devenu impossible de négocier un pigeon qu’on aurait dérobé, mais quelle délectation de voler un grand vainqueur de concours pour se le réserver dans ses reproducteurs dans le but d’ améliorer sa race, même si on ne pourra jamais mentionner la tête de lignée puisqu’elle aura été déclarée volée. C’est ainsi qu’on voit parfois un pigeon vainqueur émaner d’un petit colombier qui n’a pas fait florès depuis des générations et qui soudain voit émerger Einstein de ses pigeonniers. Ceci dit, cela ne veut pas encore dire charrette, certains petits colombophiles peaufinent leurs lignées jusqu’à ce qu’elles soient parfaites, ce que j’appelle « la perfection colombophile » et parfois atteignent le Graal de la colombophilie, j’en connais et les meilleurs du monde sans conteste !

Je ruminais ces considérations générales quand j’entendis le bruit vrombissant du nouveau bolide de Claire Berg, la nouvelle Harley-Davidson (Livewire 2019, roadster électrique !) Screaming Eagle de 115 CV.

On ne se refuse rien ! Enfin elle me prétendrait, comme d’habitude, qu’elle faisait des essais pour rancarder le fabricant alors que je sais pertinemment qu’elle a hérité de biens considérables de ses parents, de riches propriétaires de lotissements de luxe dans le Brabant Wallon. C’était vraiment par amour de la justice qu’elle continue à risquer sa vie quotidiennement pour un salaire qui ne mérite certes pas l’offrande d’une nouvelle Iphigénie ou d’Antigone (celle d’Anouilh).

Je la vis retirer son casque et laisser son abondante chevelure auburn dévaler en cascade de boucles lâches sur ses épaules délicates malgré les nombreuses initiatives sportives pour les rendre plus musclées. Elle était l’apanage de la police carolo qui se flattait de ses taux de réussite dans les homicides qui pourtant ne diminuaient guère dans notre Pays-Noir, même en manipulant sournoisement les appellations des délits. Claire n’aimait pas mes sous-entendus quant à ses performances réelles, c’est pourquoi je me taisais en cette matière, je ne lui rappelais jamais que je l’avais accompagnée dans le deuil de ses parents, comme elle l’avait fait pour moi, sans jamais mentionner que je connaissais sa fortune, disons sa bonne fortune. J’avais décidé, ce soir, de lui laisser le ministère de la parole, c’était elle qui connaissait le problème de Xénon.

Elle grimpa avec agilité et sportivité les escaliers de ma demeure, m’embrassa fougueusement et prit mon salon d’assaut comme à son habitude. Elle plongea la main dans sa besace en extirpant un dossier impressionnant déjà.

« Tu as déjà bien œuvré, ma belle ! » constatai-je.

« L’ouvrage oui, mais il reste tellement d’interrogations que j’ai l’impression de ne pas avancer d’un pouce. »

— Raconte, l’encourageai-je.

« Voilà, il y a six mois déjà, nous avons reçu à la cellule des personnes disparues de la police judiciaire fédérale une plainte d’Hippolyte Papageorges. Vu ma nouvelle mutation, je pris un peu de temps à lui répondre d’autant plus que la police de Charleroi avait commencé une enquête succincte et sommaire sur les éléments immédiats de cette disparition.

Je contactai le dépositaire de la plainte, il était au bord de l’apoplexie encore et me dit que son fils avait disparu depuis 10 jours alors et qu’il n’arrivait plus à le joindre sur son GSM ou par mail, les deux boîtes étaient pleines et son inquiétude était au paroxysme parce que Xénon aurait dû quérir un prix d’élite comme récompense d’un concours. Il parlait alors de l’aile d’or du Barcelone. Il devait aussi être intronisé auprès d’une association colombophile importante qui rassemble des vainqueurs de concours nationaux et internationaux et son fils et lui étaient très fiers d’y être enfin admis…

— Le fameux Flying Club ?

— Oui, quelque chose du genre, j’ai même cru que c’était un salon à l’aéroport pour les passagers de première ! »

J’éclatai de rire :

« Ils seraient flattés, non c’est un club très huppé de colombophiles qui avait son siège sur la Grand-Place de Bruxelles au restaurant Le Cygne, là où a été signé le premier manifeste du parti communiste rédigé par Marx et Hegel.

— Tu vois, il n’aurait raté ça pour rien au monde, dixit Hippolyte !

— En effet, je ne connais aucun champion qui n’accepterait pas d’entrer dans cette confrérie, même s’il faut en avoir les moyens financiers. Ils ne se retrouvent pas à la friterie du coin, chez Robert La frite les gaillards, toujours dans les endroits les plus branchés et friqués ! Et à mon humble avis, aucune femme parmi les membres !

— En parlant de femmes, je saute du coq à l’âne, tu sais que sur l’Athos, les femmes et les femelles des animaux sont interdites ?

— Ben oui c’est le dernier territoire autonome orthodoxe qui pose encore cette interdiction.

— Tu le savais ?

— Oui, tu ne te souviens pas de ces cours en droit européen d’Étienne Cerexhe que nous suivions à Louvain-La-Neuve il y a de cela… si longtemps déjà ? Cela pose problème à la communauté européenne cette interdiction de libre circulation, ils ont tout essayé pour faire plier les moines, mais vainement.

— Quand Tzipas (notre chouchou) était au pouvoir, il exigea que les moines paient l’impôt et autorisent les femmes à entrer dans leur territoire. Ils ont menacé de laisser tomber toutes les œuvres de charité dont ils sont propriétaires et de ne plus s’occuper des services sociaux qu’ils monopolisent sans que cela ne gêne vraiment les gouvernements grecs même progressistes. Certains prétendent que les orthodoxes seraient possesseurs de la moitié des terres du pays et qu’ils seraient la banque même de l’état hellénique. Et même notre beau Tzipas s’est incliné devant ces ukases, point de femmes ni de femelles sur l’Athos ! Seules les taxes persistèrent.

— Voilà encore une des raisons de mon retard dans cette enquête, personne ne veut m’autoriser à me rendre sur place parce que je suis une meuf et je n’ai accès à aucune piste pour mettre la main sur lui sans l’aide de la police grecque. Je possède juste une copie d’un parchemin en typographie byzantine qui sert de visa, avec un timbre fiscal qui vient du moyen-âge, une vierge qui sort d’une montagne béante et un tampon administratif d’extrême droite avec l’aigle à deux têtes !

— Tu ne comptes quand même pas te lancer dans une chasse à l’homme ?

— Pas sans biscuits ma poule ! Et puis, je marche sur des œufs et je ne manifeste aucune dextérité en la matière, tu le sais. Il faut tenir compte de la police grecque qui est quand même responsable des homicides et des manquements graves à la loi de la République hellénique, mais qui n’a pas le droit de demander aux moines des informations, personne sur l’Athos ne doit justifier de son identité, sauf les porteurs du fameux laissez-passer qui ne peuvent y séjourner que trois jours.

On m’a parlé, en lieu bien informé, de nombre de repris de justice qui seraient entrés dans ces communautés orthodoxes pour se livrer en plus de sauvages luttes intestines.

Les Serbes ne côtoient pas les Bosniaques ni les Macédoniens, les Roumains, eux, sont exploités par les autres et les Bulgares sont minoritaires, en revanche, les Russes y sont devenus majoritaires. Je ne sais pas comment ils font avec les Ukrainiens pour l’instant, mais les 20 monastères ne cohabitent pas franchement même dans un œcuménisme de façade. Et, quand je pense que c’est le dernier état monastique autonome en Europe, une vingtaine de monastères qui datent du dixième siècle, rattachés politiquement à la Grèce, mais autonomes économiquement et juridiquement. Dirigés par un cénacle de moines qui se réunissent tous les ans dans la capitale Karyès. Et c’est là que cet imbécile de colombophile a disparu du monde, plus rien, nada, plus de signaux GSM, plus de réseaux sociaux, plus de dépenses, plus de sorties ni d’entrées d’argent, plus de sécurité sociale… disparu du monde des vivants dans cet état où tous les hommes meurent, mais où aucun ne naît ! Bienvenue au paradis ma poule !

— Tu exagères. Ils me plaisent moi ces moines d’un autre âge. C’est là que la vierge aurait fait naufrage. Elle aurait supplié son fils de lui consacrer la presqu’île et les moines ont suivi ses désirs à la lettre, ils s’y sont installés dès le dixième siècle, construit des monastères époustouflants qui tous contiennent les reliques les plus sacrées de la chrétienté, des bibliothèques où j’aimerais passer ma vie, des icônes les plus précieuses et rares, mais surtout, surtout les Saintes Reliques…

— Du genre le prépuce du Christ, l’hymen de Marie Madeleine… » ironisa Claire.

« Vile blasphématrice ! Oui, et si on additionne les pieds de Saint Maxime, les mains de Saint Thomas, les rotules de Saint Sava (si si, ne te moque pas, c’est le Saint Patron de l’île avec Athanase et Maxime) et les oreilles de Saint Pantiléon, on obtient le zoo humain le plus hétéroclite de monstres. Sans compter les fragments de croix du Christ, les couronnes d’épines, de quoi transformer toutes les forêts amazoniennes en un désert aride !

Rigole si cela te chante, mais l’Athos a résisté à tout. À la chute de Byzance, à l’invasion de l’Islam, au pouvoir hégémonique de Rome, aux Ottomans, aux Mamelouks… au communisme, et il résistera certes encore au libéralisme sauvage des Ricains !

— Je vois que comme d’habitude tu connais mieux que moi le dossier que je potasse depuis des mois avec Wikipédia !

— Forcément, tu as une mémoire de poisson, tu ne te souvenais même pas que nous avions suivi un cours en droit européen sur ce genre d’états et que j’ai suivi le cours de Gabriel Ringlet sur le mysticisme chrétien.

— Oui, c’est vrai que tu étais assidue, j’en ris encore. Faut dire que Gabriel était un vrai archange !

— Je vais même ajouter pour te faire rentrer ta langue de vipère en bouche que nous avons aussi “subi” un cours sur la libre circulation des capitaux et que l’Athos est encore étiqueté : “paradis fiscal”, certains disent même que c’est la véritable banque des Grecs, comme tu viens de me le confirmer. Lors de l’invasion ottomane, les Grecs ont perdu toute autonomie, toutes les provinces et tous les districts sauf l’ATHOS. Les Ottomans n’étaient pas idiots, ils n’osèrent pas toucher à un bastion de la religion d’État pour ne pas renforcer encore la détestation et la résistance à leur égard.

Alors l’Athos a commencé à héberger des fonds secrets qui servirent par ailleurs à aider la résistance grecque et la guerre d’indépendance. Je ne te dis pas l’argent qui a coulé comme le vin sur Canaan. Le Mont a gardé son statut de théocratie autonome, il fait ce qu’il veut sur son mouchoir de poche, y compris recevoir des hôtes sans devoir s’enquérir de leurs identités. Ils sont même indépendants juridiquement, les Higoumènes (les supérieurs des couvents) font les lois et châtient qui ils veulent, comme ils l’entendent.

— Fuck the money ! Tu te rappelles, notre mantra à l’unif ?

— Cela te va bien, toi », osai-je quand même !

Elle me foudroya du regard et je crus être transformée en statue de sel.

« Qu’attends-tu de moi, Claire ? » poursuivis-je.

« Voilà, je te dis que dans cette affaire tout est en nuances, on ne peut même pas s’enquérir sur place de la situation. Alors, je te propose notre modus operandi devenu déjà coutumier entre nous. Il est évident que Xénon a disparu, sans doute mort, accidentellement ou de la main de quelqu’un qui avait une bonne raison et/ou un intérêt à le tuer.

Je suppose et je crains qu’on ne retrouve jamais le corps, les disparitions sur le Mont Athos sont florès, toutes internationales, rarement grecques.

C’est toujours le même schéma, un homme traqué par la justice nationale ou internationale disparaît complètement… au Mont Athos, volatilisé de tous les écrans radars de la société actuelle. Jamais on ne retrouve trace de son passage dans un ou l’autre monastère, c’est comme si l’Athos était un trou noir qui engloutissait l’individu sans laisser ni stigmates ni réminiscences.

La police hellénique essaie vainement de déployer un arsenal de recherches sur l’Athos avec chiens pisteurs, drones, moines chercheurs, mais c’est toujours un fiasco.

Les Athonites ne collaborent nullement sauf peut-être de jouer des différentes influences, mais, encore là, ils sont orthodoxes avant d’être ennemis, on ne tire rien d’eux. Ajoute à cela qu’on peut fouiller de fond en comble les monastères, rien !

Ils ont la furieuse habitude d’abandonner les dépouilles des moines morts à la nature, on les enterre sommairement et anonymement. Un an après on les déterre, et là le miracle opère, si les chairs sont bien dissoutes et séparées des os, le moine était pur, il avait atteint un très haut niveau de sainteté sur leur échelle terrestre et on brûle les os, on garde le crâne qu’on jette dans un ossuaire et qui, bien entendu, n’est jamais identifiable même avec l’ADN puisqu’on ne sait pas qui est sous le suaire !

Si les chairs tiennent encore aux os, il n’était pas un bon moine et on enterre le tout sommairement avec une croix, anonyme toujours. Ajoute à cela qu’en plus des 1 700 moines dans les 20 monastères, il existe d’autres religieux, ascètes ou ermites qui ne vivent pas selon la règle monastique. Ils veulent que le temps leur appartienne et créer des skites, des petits monastères où chacun suit sa voie sans dirigeants ni hiérarchie. Il y en a des centaines sur le territoire et, cerise sur le gâteau, il faut encore compter sur des individus seuls qui vivent dans des grottes inaccessibles se contentant de ce que la nature leur fournit pour arriver à l’état de presque sainteté dans un dénuement complet et que plus personne ne connaît, sont-ils morts, vivants ? On ne s’en enquiert jamais !

Voilà, alors comment veux-tu esquisser une recherche sur un territoire, inaccessible par endroits, sans compter sur l’aide ou la bienveillance des moines qui protègent leur autonomie des ingérences des mécréants qu’ils viennent de Grèce ou d’autres contrées.

— Et qui sont tous des mecs.

— Tu penses bien ! Mais je n’ai pas dit mon dernier mot, Marie, je n’irai peut-être pas moi-même pour éviter un incident diplomatico-policier, mais je pourrais déléguer à un homme mes prérogatives, un policier des recherches internationales par exemple.

— Donc, je ne pourrais t’être d’aucune utilité, tu vois !

— Si, parce que pour percer le mystère de cette disparition saugrenue, nous revenons toujours… à ta fichue colombophilie. Si Xénon est mort ou a disparu c’est parce qu’il trafiquait des pigeons avec les moines, c’est certain dans mon chef !

— Mais, il ne peut pas y avoir de colombier sur l’Athos puisqu’il ne peut y avoir de femelles.

— Je te croyais plus subtile que cela, ma poule, tu es certaine ?

— Sans femelle, point d’œuf et sans mâle, point de fécondation !

— Mais les moines sont des arrangeurs, ils ont bien des poules et des poulaillers, pourquoi pas des pigeonniers ?

— Oui, je vais m’enquérir si tu veux, en effet il y a des possibilités chez les pigeons que deux femelles ou deux mâles élèvent des petits, mais pour la fécondation, elle peut se faire dans d’autres colombiers.

— Tu vois !

— Mais qu’auraient ces pigeons de plus que les nôtres, qui sont déjà les meilleurs au monde et les plus prisés ?

— Qui sait ? La grâce divine », rit-elle.

« Je ne connais aucune vente au monde de pigeons de l’Athos, tu penses que cela se saurait !

— C’est ce que je te demande de découvrir, c’est ton job, ces pigeons valent-ils tripette et pourquoi ?

— Pour cela il faudrait pouvoir les mesurer aux nôtres dans des concours et comment faire concourir ces pigeons avec les nôtres ?

— En les ramenant en Belgique, pardi !

— Oui, c’est possible enfin techniquement, il faudrait les faire muter par la fédération colombophile, c’est compliqué, mais pas impossible en effet, mais encore faudrait-il que le jeu en vaille la chandelle. Franchement, je ne vois pas comment ces pigeons pourraient surpasser les nôtres, c’est presque inimaginable.

— Une graine, une herbe, un breuvage…

— Rire ! Le Graal colombophile, si je me doutais qu’un jour tu me la sortirais celle-là ! Le Graal, Claire c’est un mythe.

— Bon, avoue qu’une race de pigeons voyageurs qui dépasserait la nôtre en vitesse, en endurance, en dextérité… Cela vaudrait très cher sur le marché colombophile, non ?

— Déjà une race qui égalerait la nôtre serait impayable pour le vulgum pecus !

— Tu vois, et si c’était cela la cause de la disparition de Xénon ?

— Xénon est un vétérinaire doué dans notre discipline, c’est certain. Il a réussi à faire décoller la race de son père qui végétait, il faut bien l’avouer. J’ai été très surprise de son ascension en colombophilie, j’ai même cru à du dopage, mais il est passé sous la loupe de toutes les expertises possibles, toujours blanc de blanc le vétérinaire, et ce depuis des années. Oui, le cas m’a interpellée, je le reconnais et ses pigeons valent cher, très cher, trop cher, en effet. C’est suspect, j’en conviens, mais il ne triche pas, c’est impossible dans la structure actuelle des instances de contrôles.

— Mais, cette fédération, tu dis toi-même que ce sont les fossoyeurs de la colombophilie.

— Excellente élève, Claire, je le dis in petto, je ne l’écris jamais. Je n’ai aucune preuve de ce que je soupçonne ! Non je n’aime pas l’équipe actuelle qui dirige les instances colombophiles, mais ils ne peuvent pas se permettre de tricher sur les contrôles des dopages. Ils peuvent passer l’éponge parfois pour certains, ce qui déjà n’est pas très équitable, mais de là à tronquer les résultats, non, il y a trop de contestations possibles de la part des autres participants. Non, je n’envisage même pas cette hypothèse. Revenons à nos moutons, tu me demandes d’investiguer sur les pigeons de Xénon et d’Hippolyte, sur leurs ventes, leurs performances, les contrôles qu’ils subissent ou pas, c’est un peu cela ?

— Excellente élève comme tu dis, oui, et ça tu peux le faire, j’en suis certaine !

— C’est dans mes compétences ou incompétences en effet, je vais m’y astreindre illico, mais je ne te promets pas d’arriver à ce que tu souhaites démontrer.

— En attendant, je vais chercher l’oiseau rare qui pourrait se rendre sur les lieux et trouver d’autres pistes !

— Tu me tiens au courant, moi de même ! »

Chapitre 2

Les moines de l’Athos et Mark Zuckerberg,

même combat !

Je me replongeais sans aucun plaisir dans mes résultats colombophiles. Les bons ou mauvais bulletins des pigeons belges, ceux qui déterminent le prix de vente des voiliers du ciel tant en Belgique qu’à l’étranger.

De fait, il s’agit de deux marchés différents, l’international exige une excellence terminée qui donnera des descendants à l’image des géniteurs. Ces pigeons-là seront directement affectés à la reproduction ou viendront s’ajouter aux autres « races parfaites » d’un collectionneur comme monsieur Wei de Chine qui possède déjà Armando, le mâle le plus onéreux et New Kim, la femelle la plus chère du monde, je l’ai déjà mentionné. Ceci n’est que la face visible de l’iceberg. En effet, ici les transactions sont publiques et sur les réseaux sociaux. Cela ne signifie pas qu’elles soient toutes honorées. Le marché national, lui, fonctionne avec des marchands qui ont pignon sur rue, mais aussi de bouche à oreille, on achète directement chez le colombophile qui a cartonné dans un ou plusieurs concours ou qui cumule des résultats qui sortent des normes.

Des chroniqueurs ont déjà évoqué un marché artificiel pour faire mousser certaines lignées ou un marché de transactions financières établies pour blanchir de l’argent douteux. Voici donc le grand secret de la conquête du Graal colombophile, que vaut mon pigeon ?

Pour ma part, c’est une des premières questions qui me turlupinait en commençant mes petites chroniques. J’avoue aussi n’avoir nullement résolu cette énigme.

Lors de la sortie de mes livres, les journalistes non colombophiles m’ont tous posé la colle et j’avoue qu’alors, je m’en tire sur une pirouette verbale parce que, de fait, je ne sais quoi répondre cartésiennement.

Un auteur célèbre écrivait : « les seules femmes vertueuses sont celles qui n’ont pas trouvé d’acquéreur au prix où elles s’estiment ! », une assertion quelque peu machiste, mais qui pourrait aussi s’appliquer à nos voiliers du ciel : « les seuls pigeons encore payables sont ceux qui n’ont pas trouvé d’acquéreur au prix où les colombophiles les estiment ». Mais ne restons pas figés sur ce postulat, ce n’est pas si simple de fait.

Je discute souvent avec des vainqueurs de grandes compétitions et ils sont unanimes sur un point, le prix qu’on leur propose pour leurs cracks est dérisoire et en baisse très nette depuis des années, alors que, paradoxe suprême, certains raflent des milliers d’euros pour des performances parfois… très bien mises en scène sur les sites de ventes, les réseaux et valorisées à coups de photos magnifiques, de reportages parfois partiaux, de vidéos bien léchées. Pour ma part j’oserais même ajouter… d’annonces de prix et de performances qui ne sont en rien prouvées, parfois même fictives.

En effet, lorsque vous demandez des factures qui attestent du paiement des sommes faramineuses publiées… la baudruche se dégonfle et on nous répond invariablement : « Non, l’acompte a été payé, le reste suivra… » Mais, comme sœur Anne, je ne vois jamais rien venir, juste l’horizon qui flamboie et la plaine qui poudroie.

Ne croyez pas que je sois la seule dans ce cas, un très ancien journaliste que j’interrogeais à ce sujet me confirmait cette tendance il y a quelques jours encore.

Donc, toujours pas de réponse ! « Pourquoi certains amateurs peuvent-ils vendre des pigeons à des prix inimaginables alors que d’autres, aux performances aussi ou même plus notoires, n’arrivent pas à tirer plus de 15 000 € d’un champion qui cartonne depuis des années ? »

Toujours incriminée, la presse !

Les étrangers ne s’y trompent pas, les magazines colombophiles (dont le mien) se diffusent par milliers d’exemplaires en Chine, Amérique, dans les pays arabes, en Europe, je suis toujours étonnée d’être plus connue à l’étranger qu’ici, normal, me direz-vous, nul n’est prophète en son pays !

Mais ces journaux sont partiaux et partiels (sauf celui dans lequel j’officiais, bien entendu !).

Quant aux sites internet, ils appartiennent aux vendeurs de pigeons (rire), on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Je ne citerai personne, mais un site bien connu pour ses enchères flamboyantes l’est beaucoup moins en « transparence ».

Oui, on a vendu un pigeon plus de 360 000 € (chiffre moyen), mais… les bruits courent (très vite) qu’en plus du pourcentage important pris au passage par le vendeur en ligne, une partie du montant de la transaction doit être reversée dans le pot de l’organisateur de la vente. Ce qui laisse bien moins au propriétaire du pigeon que le prix qui sera annoncé urbi et orbi et que les croyants colombophiles envieront TOUS en se prosternant devant la Ka’ba colombophile de la Mecque de notre religion (rire).

Ces pigeons, achetés à grand renfort de campagnes médiatiques, je me demande aussi où ils vont. On orchestre très bien des remises de pigeons aux acheteurs. Pourtant, il semble impossible d’avoir des nouvelles de ces cracks. J’en ai fait personnellement l’expérience dans cette nouvelle Jérusalem de la colombophilie qu’est… internet et ses ventes virtuelles ! Les pigeons n’arrivent que très rarement dans les pigeonniers des acheteurs, pourquoi ?

En Chine, ils ne seront plus jamais rejoués puisque seuls les pigeonneaux concourent, ils seront cantonnés uniquement à la reproduction. Mais, chose étonnante, jamais aucun résultat n’est diffusé sur la descendance de ces princes de sang, on se demande pourquoi ne pas rentabiliser un achat de ces montants.

La rumeur circule aussi que certains pigeons ne quitteraient même pas le colombier du vendeur. Pourtant, les acheteurs font des déplacements assez longs et coûteux pour venir, soi-disant prendre possession de leurs trésors, on les comprend. À ces prix-là, on ne risque pas de les mettre dans la soute d’un avion ! Et, à nouveau, le rideau se lève… sur une savante mise en scène.

On ajoute même, pour le fun et pour l’audimat, que ces pigeons serviront de grandes causes humanitaires, mais on se demande franchement lesquelles, voile pudique sur la charité qui, vertu chrétienne on le sait, commence toujours par soi-même !

Alors, voyez-vous, mon flair de Tintin ou de Rouletabille me dit qu’il y a un stuut (une arnaque) là-dessous ou, comme dit Anne Roumanov qu’on ne nous dit pas TOUT !

Mais, bien entendu, il n’y a personne aux abonnés demandés, tous les opérateurs sont en ligne… personne ne répond aux demandes d’interviews, je puis vous le garantir.

Ces gens-là ne donnent des commentaires que dans les médias qu’ils contrôlent (et qu’ils possèdent souvent), quant aux acheteurs, ils se taisent dans toutes les langues du monde.

JAMAIS ils ne répondent à une demande d’informations. Pourtant, moi cela m’intéresserait de savoir ce que donnent ces pigeons une fois qu’ils ont franchi notre frontière nationale, comment se comporte la descendance ?

Ce que je pensais in petto, je l’avais maintes fois écrit, je n’ai pas l’habitude de me taire dans aucune des deux langues nationales !

Mais comme dit l’autre : « cause ou écris toujours, tu m’intéresses ! »

J’avais donc suivi avec intérêt et perplexité la montée en puissance du binôme père et fils Papageorges.

Depuis que le père s’était adjoint la participation de son fils, les résultats avaient flambé au point de titiller quelques consciences en haut lieu. Le tandem avait donc été bombardé de contrôles ininterrompus, les bagues des pigeons, la structure du colombier, les contrôles doping se succédèrent en rafale sans jamais rien déceler de frauduleux.

Ils furent souvent déclassés pour « avance anormale », mais curieusement, le premier déclassé, le suivant s’avère aussi être presque toujours un pigeon Papageorges.

Bref, nos deux lascars devaient être fortiches pour passer tous les contrôles de la fédération colombophile, instance dans laquelle ils n’étaient pas en odeur de sainteté, toujours négatifs aux produits interdits. Ils n’étaient pas pourtant dans le cénacle des favoris à qui on passe tout, tous le savaient.

Ils avaient battu les records des concours colombophiles durant plus de trois années, tenant la dragée haute à nombre de grands colombiers belges et européens. C’est que les bougres alignaient des champions dans toutes les disciplines : vitesse, petit demi-fond, demi-fond, fond, grand fond. Leur race de pigeons était devenue si rapidement la meilleure de Belgique et des pays colombophiles limitrophes que c’en était ébranlant et/ou suspect.

Après plusieurs pigeons olympiques, les prix de leurs compétiteurs pointèrent au zénith, ils avaient détrôné tous les records. Pourtant, ils n’avaient pas vraiment changé de manière de vivre, plutôt modeste, seule la Tesla full options d’Hippolyte faisait jaser la communauté jalouse de sa bonne fortune.