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Au cœur des vitrines élégantes d’un grand magasin, suivons Battisti Fabiola et son équipe de détectives privés alors qu’ils dévoilent progressivement une réalité troublante : le monde impitoyable du travail. Dans ce tableau sombre, l’obsession pour la carrière règne en maître, au détriment des employés. La gestion chaotique du personnel, sous la férule d’un encadrement inhumain et incompétent, est motivée uniquement par une obsession pour les résultats et les apparences. Pourtant, il est strictement interdit de perturber cette façade…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Avec son tout premier ouvrage publié,
Michel Trotta nous entraîne dans un monde peuplé de personnages énigmatiques. Sa plume dénonce les dérives de l'univers professionnel.
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Seitenzahl: 214
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Michel Trotta
L’envers du travail
Le loup dans la bergerie
Roman
© Lys Bleu Éditions – Michel Trotta
ISBN : 979-10-422-1126-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
5 heures du matin, la ville s’éveille. Encore une nuit à travailler. Ces derniers temps cela était monnaie courante. À cause de cette sale affaire de prostituées assassinées en pleine nuit, six au total.
C’est son vieil ami le commissaire Lino Pergalo qui avait demandé l’aide de Battisti Fabiola. Et il y avait urgence, une prostituée assassinée toutes les semaines. Il fallait agir et vite. Les médias s’étaient emparés de cette affaire faisant chaque jour la une du journal télévisé et de la presse écrite. Alimentant ainsi un peu plus la psychose régnant dans le milieu de la prostitution. Pergalo avait été convoqué par son supérieur. Énervé, il lui avait demandé quand celui-ci comptait se mettre au travail « débrouillez-vous comme vous voulez, mais il faut résoudre cette affaire au plus vite. »
Pergalo ne se laissait pas impressionner par son supérieur. Il en avait vu d’autres et savait très bien que ce dernier avait subi lui-même la pression de sa hiérarchie dès lors que la presse se faisait l’écho de ces meurtres. Pas de vague, lui avait-on dit…
Le commissaire Lino Pergalo était responsable du service de criminalité du commissariat de Metz. Entre les suppressions de postes, les nombreux congés maladie non remplacés, il ne pouvait faire face sérieusement à toutes les enquêtes. Malgré cela, régulièrement, son supérieur lui rappelait qu’il fallait agir au plus vite sur toutes les procédures en cours. Faire autant, voire plus, avec moins de moyens humains et matériels. Une énigme impossible à résoudre pour lui. Voilà pourquoi, de temps à autre, il faisait appel à son vieux pote Battisti Fabiola, ancien inspecteur devenu détective privé. Ces deux-là se connaissaient depuis très longtemps.
Ils se rencontrèrent sur les bancs de l’école de police. Rapidement, ils se trouvèrent de multiples points communs : leur origine italienne, l’amour de la musique et des pâtes à toutes les sauces. Mais ce qui les rapprochait encore plus fut la similitude de leur parcours scolaire. Ils avaient connu tous les deux un parcours atypique : manque de motivation, décrochage scolaire… ils ne travaillaient pas. Ni l’un ni l’autre ne croisèrent comme on peut parfois l’entendre le chemin d’un professeur stimulant et valorisant. Celui qui donne envie d’apprendre et qui détient la pédagogie nécessaire. Leurs parents étaient immigrés italiens, parlaient un français mélangé à un dialecte du sud de l’Italie. Comme disait Battisti « nos parents parlent hybride. » Seuls, leurs proches pouvaient les comprendre. Malgré leur envie d’aider leurs enfants, ils étaient dépassés. Alors, ils n’avaient pas d’autres solutions que de leur faire confiance « maman, aujourd’hui je n’ai pas de devoirs à faire, je peux sortir ? » Autant dire qu’ils passaient plus de temps dans la rue de leur quartier que devant leurs cours à travailler.
Le rôle de l’éducation, à cette époque, incombait la plupart du temps aux mères. Les pères, eux, avaient comme rôle de subvenir aux besoins financiers de la famille ; le schéma familial classique à cette époque. Ils travaillaient et ne s’occupaient pas ou peu de la scolarité de leurs enfants. Les mères se chargeaient également des tâches ménagères et des repas. Elles ne sortaient pas beaucoup. Hormis les courses, elles n’avaient pas l’occasion de parler la langue de Molière pour se faire comprendre. Au domicile, la langue d’origine était d’usage. Quant aux pères, ils travaillaient et de ce fait leur intégration se faisait plus facilement. Pour eux, l'apprentissage de la langue française était plus rapide même si elle se limitait à une fonction usuelle parlée et plus rarement écrite.
C’est après moult petits boulots mal payés et précaires qu’ils eurent tous les deux la même envie de reprendre leurs études sur le tard. Ils passèrent, en cours du soir, le Diplôme d’Accès aux Études universitaires (DAEU). Puis deux années de Fac de droit. Ensuite, ils furent reçus au concours de lieutenant de police et après 18 mois de formation prirent ensemble leur nouvelle fonction.
Un parcours honorable pour deux anciens cancres qui n’avaient pas trouvé leur place sur les bancs de l’Éducation nationale. Mais là, l’envie de réussir leurs études était bien présente. Ils débordaient de motivation et mirent tout en œuvre pour aller au terme de leur projet. Une belle rencontre.
Depuis quelques années, Battisti avait quitté la police et ouvert son agence de détective privé. Il ne supportait plus les injonctions de ses supérieurs, de plus en plus fréquentes. Ceux-ci ne pensaient qu’à se protéger. Ils avaient peur pour leur place, leur comportement avait progressivement changé. Ils devenaient susceptibles, agressifs et autoritaires. L’ambiance, au quotidien, était devenue malsaine. L’erreur n’était plus permise. Au moindre faux pas, c’était la convocation et la réprimande assurée. Comme à l’école et cela Battisti ne pouvait pas le supporter. Contrairement à son vieil ami Lino qui, lui, se sentait moins touché personnellement par cet autoritarisme. Cette gestion du travail pouvait s’avérer destructrice. Plusieurs de ses collègues pensaient la même chose. La pression exercée venait du plus haut niveau de l’État. Elle redescendait, par ricochet, un à un les échelons hiérarchiques jusqu’au personnel de terrain. Eux la vivaient au quotidien. Le sans faute était de rigueur et c’est avec la peur au ventre que les agents allaient travailler.
Le malaise était de plus en plus palpable, les arrêts maladie se succédaient, les demandes de mutations dans les services réputés pour être plus humains étaient courantes. Et même certaines personnes, comme Battisti, écœurées, avaient fini par quitter leur poste de fonctionnaire de police.
Quel soulagement le jour où il remit sa lettre de démission ! Il ressentit au plus profond de lui-même un sentiment immense de liberté qu’il n’avait plus connu depuis fort longtemps. Et même si l’avenir était plus incertain financièrement, tant pis, il diminuerait ses désirs d’achats superficiels. Quel bonheur !
Son ami, Lino Pergalo, avait été promu voilà trois ans au grade de commissaire de police. Il s’était juré de tout mettre en œuvre pour ne pas faire ressentir à son équipe la pression qui lui était imposée. Il en était convaincu, pour lui un chef doit protéger son équipe, être bienveillant et valorisant dans ses propos. Il le savait, ainsi ses collègues se sentiraient mieux dans leur travail et donneraient le meilleur d’eux-mêmes. Cette méthode de manager ne plaisait pas à sa hiérarchie, mais qu’importe, les résultats étaient là ! Son équipe allait mieux, la joie et la sérénité revenaient progressivement, l’envie de travailler également. Elle était plus efficace, c’était bien cela le plus important.
Régulièrement Battisti et Lino échangeaient sur les méthodes de gestion d’équipe. Ils étaient sur la même longueur d’onde. Pour eux, un chef ne devait pas s’imposer par un excès d’autorité ou par un abus de pouvoir lié à son statut. D’ailleurs, il ne devait pas s’imposer aux autres, mais plutôt être avec eux, juste dans son comportement, à l’écoute, intègre et disponible. Ne pas opposer les membres de l’équipe, mais les fédérer autour d’un projet commun en permettant à chacun de s’épanouir en respectant leur singularité. Voilà ce qu’ils souhaitaient mettre en œuvre chacun dans leur service.
Battisti Fabiola n’avait pas hésité à répondre favorablement à l’appel de son ami Lino Pergalo. En tant qu’ancien inspecteur de police, il avait mené plusieurs enquêtes dans le milieu de la prostitution. Ils savaient où trouver les filles, de jour comme de nuit. Certaines d’entre elles l’appréciaient, car il avait toujours été poli et respectueux. Comportement auquel elles n’étaient pas habituées.
Sans difficulté, elles avaient accepté de le rencontrer. Toutes étaient terrifiées et craignaient le pire.
« Tous ces meurtres, six au total. Tu t’en rends compte. Demain, ça peut être n’importe qui d’entre nous. »
« Et pourquoi, on ne comprend pas… Tu le sais toi ? »
Effectivement, elles n’avaient observé rien d’inhabituel durant ces précédentes semaines. Les filles retrouvées mortes n’avaient sur elles aucune trace de violences physiques. Le médecin légiste était formel, les six décès sont dus à un arrêt cardiaque.
« Battisti, dis-nous s’il te plaît, on a entendu dire qu’elles sont toutes mortes d’un arrêt cardiaque. C’est vrai ? »
Elles étaient terrorisées et il hésita un court instant à leur répondre. Fallait-il leur dire la vérité ?
« Oui, c’est bien cela. »
« Mais comment… Ce sont des meurtres ? »
« Elles ont toutes été empoisonnées de la même façon. Comment, je ne sais pas encore ? Donc, on pense qu’il s’agit des mêmes personnes ou d’une même personne. Pour cette raison, je me permets d’insister, avez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel ces derniers temps. Même si ça vous semble anodin, une personne, un détail sans importance… »
Elles prirent le temps de réfléchir, mais rien.
Une d’entre elles lui demanda.
« La police n’a aucune piste, c’est ça, n’est-ce pas ? »
Il les regarda, l’air gêné, et fit oui de la tête.
« De toute façon, on ne les a pas beaucoup vu tes collègues flics. Six prostituées assassinées, ça n’intéresse personne. »
« Des journalistes s’y sont intéressés. Répondit Battisti. Ces meurtres ont fait la une des journaux et sont remontés jusqu’au ministre de l’Intérieur. »
« Alors, merci les journalistes. C’est grâce à cette médiatisation si ça bouge. Sans cette une des journaux, on en serait encore au point mort. »
« Oui c’est ça. Comme maintenant tout le monde en parle, les politiques ont plutôt intérêt à se bouger le cul pour montrer qu’ils font quelque chose. Ce milieu me dégoûte. »
« On peut aussi faire passer dans les journaux les noms de toutes ces personnes importantes qui viennent nous voir. »
Elles étaient à fleur de peau. Le silence devenait pesant. Une d’entre elles craqua. Ses sanglots étaient incontrôlables. Une autre se mit à crier :
« Mais pourquoi on s’en prend à nous, Battisti, dis-nous, pourquoi ? »
Que dire, il ne savait pas.
« Je vous propose de faire une pause, d’accord. Chacun essaie de réfléchir à un détail, un élément. J’insiste, mais c’est important. Sans aucune piste l’affaire sera plus longue à résoudre et vous savez ce que cela veut dire… »
Après une vingtaine de minutes. Tout le monde reprit sa place.
« Bon, écoute, Battisti, rien ne colle. On a fait le tour de nos clients, tu le sais comme nous, si l’un d’entre eux devait s’en prendre à nous il ne ferait pas dans la dentelle et ça se verrait. »
« Eh oui, je n’imagine pas nos clients chercher à nous empoisonner. Tu comprends, c’est pas le genre. »
« En plus, il faut s’y connaître, non ? »
À ce moment, Battisti se leva et dit :
« Mais oui, c’est ça, vous avez raison. Une autre personne… »
Elles se regardèrent toutes, l’air interrogatif.
Et il reprit :
« Oui il faut chercher une autre personne, en dehors de vos clients. Vous comprenez, quelqu’un que vous ne connaissez pas. »
Elles se regardèrent à nouveau. Chacune prit le temps de réfléchir.
« Écoute, moi dans le quartier je n’ai rien vu de bizarre. »
Battisti intervint :
« Même si ce n’est pas bizarre. Je ne sais pas, par exemple, quelque chose de nouveau, de nouvelles têtes… ne cherchez pas des choses extravagantes. »
« On a déjà fait le tour de la question, mais on ne voit rien. »
« Ben oui. On ne va pas inventer des choses. »
Une autre prit la parole :
« Il y a bien cette dame que l’on voit régulièrement depuis quelques semaines. »
« Tu veux parler de cette dame âgée, mais elle a au moins quatre-vingts ans. Tu penses, que veux-tu qu’elle nous fasse, elle est inoffensive ? »
« Quelle vieille dame ? » Demanda Battisti.
« Depuis un petit moment, on la voit. »
« Oui, c’est ça. Elle vient dans le quartier. Mais, elle ne fait rien de mal. Elle est même adorable. »
« Elle nous parle un peu, c’est tout. »
« Elle est très gentille avec nous. Elle veut juste discuter. »
« Vous voulez dire qu’elle vous parle ? »
« Oui, elle nous parle et pis après elle part. Mais attends, tu penses à quoi Battisti, on parle d’une mamie là ! »
« Ben oui, tu ne crois quand même pas qu’elle a quelque chose à voir avec ces meurtres. »
« Je ne sais pas, mais pour le moment je n’écarte aucune piste. Dites-moi, à quelle heure passe-t-elle dans le quartier ? »
« Toujours à la même heure, 20 h. »
Silence…
« De l’intérieur du café de Paris, tu pourras la voir. »
« Quand elle sera là, vous pourrez me faire un petit signe discret, comme passer sa main sur ses cheveux pour les recoiffer. Je comprendrais et je m’occuperai du reste. D’accord ? »
Effectivement, à 20 h précise, une ombre vêtue entièrement de noir déambulait sur les trottoirs du quartier. De petite taille et mince, elle semblait, à première vue, inoffensive. Il remarqua un comportement déconcertant, régulièrement elle s’arrêtait et en tournant sur elle-même semblait scruter attentivement l’environnement. Sa tête était couverte par la capuche de son manteau. Il n’arrivait pas à voir son visage. Discrètement, il sortit du café et simula un appel téléphonique.
Elle s’était assise sur un banc et ne cessait de scruter les alentours. Et d’un petit signe de tête, elle souriait volontiers aux passants. Une mamie pleine de bonhomie. L’espace d’un court instant, il eut un doute et s’interrogea sur la pertinence de cette filature. Mais bon c’était la seule piste. De plus, il savait parfaitement qu’il ne fallait pas se fier uniquement aux apparences. Allez, concentre-toi, se dit-il.
À ce moment, elle se leva et se dirigea d’un pas décidé vers une femme. Quand celle-ci vit la vieille dame s’approcher d’elle, surprise, elle recula et en opposition tendit son bras et sa main pour se protéger. C’était Hélène. Une des filles que Battisti avait rencontrées.
Paniquée, elle lui dit en protestant.
« Non pas vous, partez ou je crie. »
« Oh non, se dit Battisti, elle va tout faire capoter. »
Elle regarda fixement Hélène puis autour d’elle et l’air inquiet s’enfuit d’un pas rapide. Il eut du mal à la rattraper. Il se dit que malgré son âge, elle avait encore une certaine énergie. Dès qu’il fut à sa hauteur, il lui mit sa main sur son épaule et lui demanda de s’arrêter. Mais il ne s’attendait pas à son comportement. Elle se mit à lui donner des coups et à crier sans cesse « au voleur, au voleur… » Il ne voulait pas répondre par la force.
« Je suis détective privé, je vous demande d’arrêter. La police est en route. »
Mais elle continuait de plus belle. Hélène arriva, accompagnée des autres filles. Rapidement elle attrapa le bras de cette pauvre femme et pour l’immobiliser lui fit une clef vigoureuse.
« Tu vas te calmer, vieille folle ! »
Battisti prit son sac et à l’intérieur trouva un sachet de madeleines. Il la regarda et elle répondit d’une voix haineuse.
« Allez-y, mangez-les, il y en a assez pour tous. Allez, allez, mangez qu’on en parle plus. »
Les filles n’y croyaient pas.
« C’est vous n’est-ce pas qui avez empoisonné toutes nos collègues. »
Elle ne répondait pas, pas encore.
« C’est bien vous, je le vois dans vos yeux. En fait vous nous haïssez. »
Et précipitamment elle se mit à hurler.
« Oui c’est ça. Vous avez trouvé le bon mot, je vous hais. Vous m’avez volé mon fils ! »
Et elle se mit à les insulter.
Les forces de l’ordre étaient déjà là et prirent le relais.
En regardant la fourgonnette partir, Battisti ressentit un long frisson parcourir son dos : « Qui l’aurait cru ? » se dit-il.
Une simple filature aura suffi… La petite dame était démasquée !
Enfin, cette affaire était résolue grâce à un détail qui semblait sans importance.
Une sombre histoire.
Une femme âgée vivant seule n’avait pas supporté que son fils unique, déjà d’un âge avancé, quitte le domicile familial pour s’installer avec une prostituée repentie. De rage, elle se vengeait en offrant, avec un large sourire, chaque semaine à une prostituée des madeleines empoisonnées. Ses connaissances d’ancienne pharmacienne, aujourd’hui à la retraite, lui servaient encore. Au gré de ses promenades programmées, elle repérait plusieurs prostituées, retournait à son domicile et choisissait qui serait la prochaine victime. Aucune d’entre elles ne s’était méfiée de cette vieille dame âgée de 83 ans, très sympathique au premier abord…
Lino avait longuement remercié Battisti de son aide. Il faut dire que ce dernier avait demandé à chaque membre de son équipe de s’investir dans cette affaire.
Le responsable hiérarchique de Lino ainsi que le ministre de l’Intérieur s’étaient emparés de ce succès. Ils vantaient à tous les médias « le grand soutien qu’ils apportaient au quotidien à tous les membres de la brigade criminelle. Nous sommes à leur écoute, le dialogue entre nous est primordial. C’est grâce à cela si nous avons de si bons résultats… » et blablabla…
Le téléphone de Battisti sonna, c’était Lino :
« Allô. »
« Ciao bello, tu regardais le journal à la télé. »
« Malheureusement oui, à les voir défiler avec leur costume cravate, leur regard dédaigneux et leur ton solennel j’en ai la gerbe. »
« À croire que c’est grâce à eux si l’affaire a été résolue. Ils ne savent que supprimer des moyens humains et matériels et imposer une pression énorme pour que ça tourne quand même. Les arrêts maladie et le malaise ambiant bien sûr, ils n’en parlent pas… Quelle bande de faux culs ! »
« Je ne sais pas comment tu fais Lino pour supporter de tels cons. Et sur l’échelle des cons, je peux te dire qu’ils battent des records. »
« Oui, mais il y a encore plus grave. Ils sont toxiques, manipulateurs et dangereux pour les autres. Je me demande si je ne suis pas un peu maso parfois pour travailler sous leur responsabilité. »
Ils raccrochèrent.
Battisti sortit, il avait envie de marcher. Il aimait ça, c’était même un besoin pour lui. Cela lui permettait de réfléchir, d’évacuer le stress et de se vider la tête. Surtout après avoir entendu de telles conneries.
Il était 21 h 45, en ce mois de septembre la température était encore agréable. L’air était même doux.
Il marchait d'un pas tranquille vers la rue gourmande, de chaque côté on y trouvait des restaurants. Il y en avait pour tous les goûts ; japonais, italiens, français… La traversée de cette rue ressemblait à un véritable bain olfactif : odeurs de légumes et ail frit dans l’huile d’olive, poissons, épices. Un vrai régal pour l’odorat. Les terrasses étaient encore remplies. Elles étaient illuminées par des lumières tamisées. On entendait le bruit des couverts dans les assiettes. Battisti aimait cette ambiance feutrée de la nuit.
Les personnes se délassaient, elles étaient bien et ça se voyait. Ici et là on pouvait entendre quelques bribes de conversations. Les voix étaient basses comme pour respecter le silence et la quiétude de cette fin de journée.
Il entra aux Saveurs d’Oran, un restaurant tenu par Yassine et Esma. Battisti les connaissait depuis son enfance. Ils avaient grandi ensemble dans la même cité. Il se souvenait très bien de Yassine adolescent, grande gueule, toujours prêt à raconter des histoires rocambolesques. Mais dès qu’il croisait sur son chemin Esma, il changeait du tout au tout. Il devenait muet, rouge écarlate, ses yeux devenaient ronds comme des billes et il arborait un sourire niais qui lui donnait un air simplet. Voilà le tableau. Pour revenir à son état normal, il lui fallait un certain temps.
« Yassine, hé Yassine qu’est ce qui t’arrive ? Tu beugues ou quoi. Ton histoire tu la finis ? »
Il ne répondait pas. Il gardait cet air d’ahuri si bien que les gens que nous croisions se retournaient sur nous l’air désolé en disant « oh, le pauvre garçon. »
Avec les copains, il nous avait fallu du temps pour comprendre ce qu’il arrivait. Un jour, alors que nous étions comme à notre habitude à squatter notre banc préféré, Esma et deux de ses copines vinrent nous voir :
« Salut, vous avez deux minutes on aimerait vous parler d’un truc ».
Elles ne nous laissèrent pas le temps de répondre oui ou non.
« Avec les éducateurs du club de prévention, on organise une manifestation sur le quartier. On a besoin de faire de la pub pour qu’il y ait un max de personnes. On a pensé à vous, pour nous aider à distribuer les tracts, alors ? »
Et à ce moment Esma se tourna vers Yassine, elle attendait une réponse. Celui-ci était debout raide comme un piquet, il la regardait avec un visage figé, mais heureux et illuminé.
« Hé, tu m’entends ? Silence. Votre copain, il a perdu sa langue ou quoi ? Et c’est quoi cette tête-là, il va pas bien ? »
C’est à ce moment que je compris, cet air était dû à la présence d’Esma, ce petit bout de femme pleine de vie. Deux minutes avant, Yassine était en train, comme à son habitude, de faire le clown en imitant sa voisine. Et tout d’un coup, en la présence de cette fille, son comportement devint vraiment bizarre. Il était comme envoûté. C’était plus le même Yassine.
Lui, grand, maigre, longiligne et plutôt lent, et elle plutôt petite avec de belles formes et pleine de vie. Au premier regard, on ne peut pas dire qu’ils allaient bien ensemble et pourtant rapidement je sentis que ces deux-là étaient faits pour vivre ensemble. Ils formaient un beau couple. Mais fallait-il vraiment se ressembler pour vivre ensemble ? Une chose était certaine, leurs valeurs, elles, étaient communes.
Avec le temps, Esma avait fini par le trouver touchant. Elle s’en amusait même. Progressivement, elle sentit son regard changer. Elle ressentait l’envie de mieux le connaître, de passer plus de temps avec lui. Contrairement à son comportement de pitre avec ses copains, Yassine auprès d’Esma arborait toujours ce visage illuminé et restait presque muet. C’est elle qui ne cessait de parler. Elle lui racontait ses états d’âme, sa vision de la société, son amour de la cuisine… Lui, il se limitait à l’écouter et à acquiescer à chaque fin de phrase. Tout ce qu’elle disait, il le trouvait formidable. Elle appréciait de plus en plus ces moments passés ensemble. Elle le trouvait tendre, agréable, sensible. Puis, avec le temps, elle lui trouva d’autres qualités. Il était doux, attentionné, charmant et beau. Oui, elle sentait naître en elle des sentiments nouveaux. C’était la première fois que cela lui arrivait. En son absence elle ressentait un vide, un manque. Et une drôle de sensation, surtout là, au creux de son ventre. Son souhait le plus profond était d’être à ses côtés, de sentir sa présence. Elle se sentait bien avec lui. Il la rassurait, la comprenait, ne la jugeait pas et son regard sur elle était valorisant. Il l’acceptait telle qu’elle était.
Elle qui se sentait incomprise par ses parents, sa famille. On lui disait souvent qu’elle avait trop de caractère, et une opinion sur chaque sujet. Qu’elle se comportait comme un garçon manqué. Pour son avenir, ses proches lui conseillaient de devenir « une bonne épouse et une bonne mère de famille. » Autrement dit, se taire et rester chez elle à s’occuper de son intérieur. Esma, aimait les enfants, ça oui. Plus tard, elle se voyait mère, mais aussi indépendante financièrement. Elle avait compris en observant les femmes mariées de son entourage qu’être mère au foyer fragilisait sensiblement leur indépendance. Elles dépendaient financièrement intégralement de leurs époux. Pour subvenir au quotidien, faire les courses, acheter le nécessaire pour les enfants, le médecin, la pharmacie… elles devaient leur demander de l’argent. Et pour elles, se faire plaisir de temps en temps, s’acheter un vêtement, un parfum… là aussi elles devaient demander. C’est sûr, Esma bougeait les normes du schéma familial classique d’une famille maghrébine dans les années quatre-vingt. Elle bousculait les habitudes et poussait les mentalités à progresser. Elle se disait : voilà ce que la jeunesse peut apporter.
Car pour Esma, une telle condition de vie n’était pas envisageable. Elle tenait à sa liberté et se battait contre toutes les formes de soumission. Son souhait était de concilier sa vie de femme et de mère à sa vie professionnelle. Elle s’en sentait capable. Il lui fallait juste tomber sur le bon. Un homme capable d’écouter, d’échanger, de partager. Elle n’en pouvait plus de tous ces hommes au comportement égoïste, qui ne levaient pas le petit doigt chez eux. Ils ne demandaient pas à leurs épouses si elles avaient besoin d’aide. Non, ils se faisaient servir à table comme des pachas, puis se levaient sans même débarrasser pour aller s’affaler devant la télé. Les tâches ménagères, que dalle, ce n’était pas pour eux. Elle était encore plus en colère devant ces jeunes adolescents et adultes qui reproduisaient le comportement de leurs pères. Quand la famille était invitée, ses parents redoutaient le comportement d’Esma. Alors ils lui disaient « si tu dois aller travailler avec une copine tu peux c’est pas grave, l’école d’abord. » Car à plusieurs reprises, elle ne s’était pas gênée pour faire part de ses opinions sur les relations hommes/femmes au Maghreb. Elle provoquait sans aucun complexe les hommes présents et demandait aux femmes de se révolter.
Yassine, lui n’était pas comme ça. Elle le savait. Il ne s’était jamais posé toutes ces questions sur la relation homme/femme. La vie d’après lui devait être simple et surtout pas subie. Il essayait de prendre les choses facilement, qu’elles soient agréables ou non. C’était sa façon de vivre au quotidien.
Aujourd’hui, il avait toujours cette même approche de la vie avec de l’expérience en plus. Il la prenait comme elle venait sans se poser trop de questions. Sans le savoir, il avait une certaine philosophie de l’existence.
Sa présence apaisait Esma, lui apportait une forme de sérénité. Car elle n’avait pas beaucoup changé. L’injustice la révoltait toujours autant. Aujourd’hui, elle militait pour une association pour le droit à la dignité des femmes maghrébines. Elle les poussait à s’émanciper.
Elle avait trouvé un argument de poids et à chaque fois il faisait mouche :