L’envoûtement de la bête noire - Christian Busseuil - E-Book

L’envoûtement de la bête noire E-Book

Christian Busseuil

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Beschreibung

La chasse au sanglier est une culture, une passion, et même un envoûtement. C’est ce que l’auteur, Christian Busseuil, nous transmet à travers ce livre. En amoureux de sa Meuse natale, il nous entraîne dans un univers parallèle dont les histoires nous font voyager à travers ses forêts, peuplées de personnages vibrants et colorés, le tout enrichi par des expressions locales qui confèrent à ces aventures une authentique vérité.


À PROPOS DE L’AUTEUR

Christian Busseuil, profondément ancré dans le monde rural, a cultivé dès son plus jeune âge une passion ardente pour la chasse, et plus particulièrement pour la chasse au sanglier. Il pratique toutes les méthodes de chasse, allant de la chasse à l’arc à la chasse à l’affût. Il a également fait de ce sujet une spécialité, écrivant à ce propos dans différents magazines spécialisés. Ces écrits sont dédiés à son ami Jean François Renard de qui il a tant appris.

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Seitenzahl: 179

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Christian Busseuil

L’envoûtement de la bête noire

Roman

© Lys Bleu Éditions – Christian Busseuil

ISBN : 979-10-422-0122-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Je dédie ce livre à Jean François Renard, mon Maître de Chasse

qui a su ajouter l’élégance à la passion et à l’éthique.

Introduction

L’envoûtement du sanglier est une espèce de magie, un virus qui soumet le chasseur à une passion irrésistible, un charme incontrôlé. Il n’y a que le sanglier et l’ours, son compère, qui sont capables, depuis la nuit des temps, de lui faire subir cet effet mystérieux, qui provoque immanquablement l’abandon de tout comportement raisonnable.

Un genou à terre et dans la plus grande humilité, j’implore le grand Saint-Hubert de m’absoudre de tous mes crimes. Ils n’ont été que le fruit d’une passion venue du fond des âges, celle de la chasse.

Depuis la plus haute antiquité, le sanglier est l’animal emblématique. Il est cité dans la bible et l’Iliade glorifie ce valeureux guerrier qui ne succombe que sous la masse de ses assaillants. Le quatrième des 12 travaux d’Hercule n’a-t-il pas consisté à rapporter vivant le sanglier d’Érymanthe ?

Victime de sa force et de son courage, il sera poursuivi sans pitié pendant des siècles.

L’automobile qui a permis au citadin de se replonger facilement dans le milieu rural le week-end a permis l’augmentation d’une pression de chasse déjà forte et, dans les années 1980, on a vu le fond du panier.

C’est en Meuse que quelques sociétés, particulièrement cantonnées dans le célèbre massif 56 et sous l’impulsion de JF Renard, Alain François et Germain Maucourt, pères de l’AMCGG, se sont alors essayées à l’application des règles de gestion proposées par les chercheurs et appliquées à Arc en Barrois. Leurs efforts furent rapidement couronnés de succès et par les honneurs Laurent Perrier de la Chasse.

Là où toute autre espèce aurait disparu, le sanglier a résisté. Il a même toujours étendu son aire géographique, et, venu d’Iran, il colonise aujourd’hui toute l’Europe.

Le sanglier est une prodigieuse machine construite pour résister à tout : c’est un tank, une masse de muscles que rien n’arrête. À l’avant, les défenses aiguisées sont montées sur une tête étroite comme un hélicoptère d’attaque, les épaules sont blindées et tout le train arrière est fait pour pousser. Le cou n’est pas mobile, le sanglier charge droit, d’un trait, ne laissant aucune prise.

Le sanglier est un monogastrique omnivore. Il peut changer instantanément de régime alimentaire et passer sans problèmes de la consommation de végétaux à celle de rongeurs, de vers ou de charognes, grâce à ses diastases toujours en sécrétion. S’il s’adapte à la variété de son alimentation, il s’adapte également aux quantités disponibles. Faire de grandes réserves de graisse ou présenter un amaigrissement spectaculaire est dans cette espèce monnaie courante selon le lieu ou la saison.

Côté reproduction, le sanglier est également bien doté. La gestation est courte et les naissances sont nombreuses. Si les marcassins sont longtemps dépendants du lait maternel, ils sont rapidement autonomes physiquement et leur mimétisme les dissimule efficacement aux prédateurs. Ils sont d’autre part très combatifs quand ils se sentent pris.

Animal physiquement supérieur, le sanglier est en outre servi par une remarquable « intelligence ». Son organisation sociale en témoigne et on ne se lasse pas de l’observer au fil des saisons. La cellule de base de type matriarcale n’est pas figée et s’adapte en permanence suivant des règles immuables. Les relations entre individus et entre familles sont très hiérarchisées et la communication est très élaborée. Un simple grognement peut rassurer ou au contraire alarmer le groupe. Observez cette famille au gagnage. Tout est tranquille et les jeunes se chamaillent joyeusement et bruyamment. Que l’un d’entre eux manifeste une inquiétude et tout le groupe se fige. On peut voir parfois tous les jeunes décamper comme une volée de moineaux, mais tant que la mère, forte de son expérience, reste calme, aucune panique ne gagnera le groupe. Un grognement sec et soudain de la mère peut aussi provoquer une fuite générale immédiate ou plaquer tout le monde au sol. Dans toutes les circonstances de la vie du groupe, une hiérarchie stricte est de règle ; entre les individus d’abord, mais aussi entre les groupes.

C’est à la chasse que le sanglier donne toute la mesure de ses remarquables qualités et de ses capacités de survie.

À l’affût ou à l’approche, tout semble facile quand les animaux sont en confiance. Ils baguenaudent bruyamment et les jeunes jouent ou s’affrontent joyeusement. En été, les laies, harcelées par leur marmaille, rabrouent les plus intrépides avant de se soumettre et de se coucher là où elles sont pour donner la tétée, offrant à l’observateur une scène rare d’amour maternel. Qu’une balle soit tirée et tout change. Après la fuite, s’ils doivent revenir parce qu’ils jugent l’endroit particulièrement attractif, leur comportement sera différent. Les geais trahiront leur présence bien sûr, mais ils resteront longtemps invisibles et silencieux avant qu’un éclaireur ne se montre… et il fera très sombre quand ils se risqueront enfin à découvert.

Le sanglier a une vue médiocre, compensée par une ouïe et un odorat exceptionnels. Cette particularité explique son goût marqué pour les endroits où la végétation est inextricable, là où la vue n’a que peu d’intérêt et où l’odorat et l’ouïe sont privilégiés.

En battue, rien n’est jamais écrit, même avec une compagnie finement rembuchée. Toute la troupe se range à l’expérience des anciens et leurs ordres sont suivis à la lettre. Que le vent change, que l’animal dominant ait un doute sur la sécurité et elle aura disparu, ne laissant au chasseur que des regrets et les traces de son passage. Que le chasseur commette une erreur et ce sera l’échec.

Dès la mise en place des chasseurs, c’est l’alerte générale. Personne ne bouge et on écoute. Il s’agit d’identifier le dispositif mis en place. Le sanglier sait faire la différence entre les chiens d’une ferme et ceux des chasseurs ou entre un promeneur, un bûcheron et un chasseur. Au coup de trompe et au départ des traqueurs, tout est analysé et les décisions sont prises. Les jeunes mâles seront sur pieds les premiers et les laies auront tendance à se caler avec leurs jeunes et à attendre. En gros, plus l’animal aura de l’expérience et plus il hésitera à sauter la ligne. Une technique courante utilisée par les troupes est de s’arrêter trente à cinquante mètres avant la ligne de fusils dont ils connaissent précisément, naturellement, l’emplacement pour observer et écouter. L’animal dominant décidera alors de rebrousser chemin dans le plus grand silence ou de sauter et dans ce cas, toute la troupe sautera d’un bloc. Cette technique de déplacement en masse est utilisée par de nombreuses espèces pour dérouter les prédateurs qui rencontrent des difficultés à se concentrer sur une cible précise. C’est pour cette raison qu’il est si difficile d’éclater les troupes et que le chasseur est également décontenancé devant des sangliers qui sautent en paquet. (C’est tellement plus facile alors d’occire la bête de tête.)

Les chiens aussi seront rapidement jugés et le sanglier sait régler son allure sur celle de ses poursuivants. Il sait aussi croiser les voies, se forlonger ou trouver un animal de change. Blessé ou au ferme, il vendra chèrement sa peau et il saura rester dangereux tant qu’une petite étincelle de vie l’habitera encore.

Ce que le créateur n’avait pas prévu en construisant cette belle machine, c’est qu’elle serait un jour un enjeu financier qui rend fou ceux qui l’approchent, mais ça, c’est une autre histoire.

La fin de la Vittel délices

Pétillante et fraîche comme une eau de source, voici l’histoire qui, depuis un demi-siècle, fait toujours sourire dans un village lorrain.

Limaille est un petit village tout en longueur, où les fermes et les quelques commerces s’alignent des deux côtés de l’unique rue, le long des larges usoirs. Ce jour-là, à l’heure de l’apéritif, trois chasseurs s’accoudent au zinc du café Dupette : le grand Roger, le Riquet et l’Ernest. S’il n’y avait leur passion commune pour la chasse, rien n’expliquerait leur amitié, tant ils sont différents. Bel homme, le Roger est le type même du grand gaillard toujours habillé avec élégance, le Riquet passe son temps à se plaindre et l’Ernest, agriculteur à la retraite, joue le mentor de l’équipe. Inséparables depuis leur enfance, la chasse les réunit tous les dimanches et quelquefois des jours de semaine, quand leurs occupations respectives le permettent. Sur un ton qui se veut discret tout en éveillant la curiosité, Ernest lâche entre deux apéros : « J’ai vu ce matin les traces fraîches d’un gros sanglier au fond de la Vau. Il marque comme la main et ses gardes sont écartées de plus de quinze centimètres ». Les compères le pressent de questions : « Tourne pas autour du pot… Tu l’as remisé où ce monstre ? ». Et l’Ernest, sûr de son effet : « Il est dans le gros buisson de la Combe, au bout du faux chemin. Si vous êtes libres, on l’attaquera cet après-midi avec la Pépette. Je passerai vous prendre à quatorze heures devant l’église ».

I

Il marque comme un veau !

À l’heure dite, l’Ernest arrive au volant de sa voiture « de chasse ». Assise sur ses genoux, les pattes sur le volant, Pépette donne l’impression de conduire. Impeccable, le grand Roger a enfilé une belle canadienne fourrée, en cuir marron de pilote américain. Pour la circonstance, il a sorti sa carabine des grandes occasions : un Garand semi-automatique offert par un Américain et transformé depuis en calibre 7x64. Une belle arme… de cinq kilos tout de même. Le Riquet, qui fréquente régulièrement la « grande » chasse de son beau-frère, porte un loden, des bottes de cuir et un grand chapeau orné d’une discrète plume de geai. Son drilling Sauer à l’épaule, il ose la question : « T’es sûr qu’il sera encore là ? », lance-t-il à l’Ernest alors que ce dernier descend de la voiture. « Pas de problèmes, ça chasse partout et il n’y a que là qu’il est tranquille », répond calmement ce dernier, véritable stratège de l’équipe. Sa science reconnue de la chasse le fait respecter par ses amis et les autres l’envient pour ses nombreux succès. Il porte, lui aussi une canadienne, mais elle est en forte toile, patinée par les nombreuses sorties qu’elle a faites par tous les temps. Ôtant sa casquette que l’on croirait en cuir, tant elle brille, il donne maintenant les consignes : « Pas question de se poster trop près du buisson… Il faut laisser l’animal prendre son parti et faire plaine… Riquet et toi, Roger, vous l’attendrez à la lisière de la forêt. Naturellement, on ne tirera que le sanglier ».

II

L’aventure, c’est l’aventure !

L’Ernest, la Pépette et le Riquet s’installent sur la banquette avant du véhicule, et le grand Roger prend place à l’arrière. Achetée d’occasion à la société des Eaux de Vittel, la « Vittel Délices » est une pimpante Juvaquatre peinte aux couleurs de la société : du mauve, du rose et du parme avec, sur toute la longueur et des deux côtés, le dessin très réaliste d’une bouteille de la précieuse boisson. « Une chose est sûre, c’est que cette bouteille ne quittera jamais la voiture pour venir sur ma table », précise avec malice le propriétaire. À cette époque, on trouve encore beaucoup de Juvaquatre. Cette camionnette produite par Renault équipait la Gendarmerie nationale et rendait, par sa polyvalence, de grands services en campagne. Pour tenter de passer presque partout, ses roues motrices avaient été équipées de pneus de motoculteurs fortement crantés et c’est en cahotant et à vitesse réduite que notre équipe se rend sur les lieux. « On est quand même très secoué », marmonne le Roger qui ne parvient pas à allumer sa cigarette. Quelques centaines de mètres plus loin, l’équipage quitte le bitume pour s’engager sur le chemin de la Vau. La voiture retrouve son rustique confort et c’est en première vitesse que nos chasseurs arrivent à pied d’œuvre. Le temps pour le Roger de se déplier et chacun gagne son poste, dans le plus grand silence. Le gros buisson de la Combe est un ancien verger abandonné envahi par la ronce, une remise idéale pour les grands sangliers et nos compères n’en sont pas à leur coup d’essai. L’Ernest regarde un instant ses amis s’éloigner, puis entreprend de s’équiper tandis que la Pépette impatiente lui fait fête. « Pas besoin de cuissard, la petite chienne fouillera le buisson. Je resterai en arrière, des fois que… », pense-t-il à haute voix.

III

Le bestiau !

L’arme est à l’image du bonhomme, un « Robust » de la Manu de Saint-Étienne qui a passé toute la guerre dans un sac à patates sous une gouttière du grenier. Résultat, une crosse en piteux état, des canons piqués et la chambre droite percée qui interdit l’usage des balles. Un coup de 21 graines y est toutefois en attente, alors qu’une neuf graines chaînées est introduite à gauche. L’Ernest se dirige vers le buisson, à la rentrée du sanglier, la Pépette sur les talons. Elle disparaît aussitôt, absorbée par la végétation. Il n’y a plus qu’à attendre. Confiant, l’Ernest sort sa blague à tabac en caoutchouc naturel rouge, qui contient aussi un paquet de feuilles gommées, concentrant alors toute son attention sur la fabrication d’une cigarette. Fier de son œuvre, c’est avec délectation qu’il l’allume pour en tirer une première bouffée quand il entend son chien au ferme. « Bon sang, il est là ! Ah, la brave Pépette, elle l’a trouvé ». La Pépette, prudente, n’approchait jamais les sangliers à moins de cinq mètres, distance suffisante pour les mettre sur pied et celui-là se met à tourner dans le fourré. « Il cherche le vent », la petite chienne à ses basques. Deux chevreuils, dérangés, sortent de la petite enceinte et font quelques sauts désordonnés en plaine et soudain, un fracas de branches cassées trahit le « mahousse » qui vient droit sur l’Ernest. Il épaule et à quinze mètres à peine, lâche les neuf graines de son canon valide. Touché en plein coffre, le monstre s’effondre. « Bon sang de bois, le bestiau ! », lâche-t-il quand ses copains arrivent pour le féliciter, « Armé comme un phaco, il fait au moins 140 kg ».

IV

Sans suites…

La cérémonie de l’émasculation terminée, le chargement que l’on devine est laborieux dans la « Vittel Délices » qui prend séance tenante, le chemin du retour. Un quart d’heure après, nos héros sont au café à raconter leur exploit. Chaque fois qu’un ami entre dans le bistrot pour les féliciter, ils racontent encore et encore, le sanglier gagnant quelques kilos à chaque récit. Enfin, le moment vient de montrer la victime. La préparation psychologique et les avertissements aux âmes sensibles rondement menés, notre petit monde se dirige vers la « Vittel Délices ». Mais, à peine sorti du bistrot, le groupe d’admirateurs est surpris par un tintamarre qu’ils ne tardent pas à identifier. La « Vittel Délices » est secouée dans tous les sens, sous les coups de boutoir que lui porte le fauve ressuscité. Horreur ! Ce qui était une voiture n’est plus maintenant qu’un amas de tôles cabossées quand soudain, le monstre, voyant des ombres menaçantes autour de sa prison, s’acharne sur la portière arrière. Que faire, les armes ayant été laissées à l’intérieur ? Nos chasseurs n’ont pas le temps de se poser plus longuement la question. D’un ultime coup de boutoir, le monstre fait voler le hayon et sautant de la voiture comme un bouchon de champagne quitte son goulot, il disparaît dans la nuit, sans laisser d’autres souvenirs que ses suites pendues dans l’habitacle. Il ne reste sur place, au milieu des badauds médusés, qu’une coque déformée, des portes enfoncées, des sièges aux ossatures tubulaires pliées et un tableau de bord pulvérisé, seul, le porte-clés de Saint-Christophe pendant encore au support du rétroviseur…

À Limaille et dans les environs, personne n’a jamais revu ni entendu parler d’un vieux sanglier émasculé. Si vous passez un jour dans ce petit village, prenez le temps de flâner. Au milieu d’un parterre d’orties, à la sortie du pays, derrière le garage Favel, vous ne tarderez pas à trouver la Juvaquatre et si vous vous attardez un peu, il se trouvera bien un villageois qui s’approchera de vous pour vous raconter « la fin de la Vittel Délices » et vous montrer le porte-clés pendu au rétroviseur avec son saint Christophe hilare qui se balance toujours…

Le glorieux temps des chevrotines

Pendant la dernière guerre, la chasse était interdite. Malgré un braconnage aussi dangereux qu’intensif, les sangliers pullulaient.

En trouvant à la libération la table mise, les chasseurs, complètement irresponsables, ont réglé le problème de la surpopulation en quinze ans. C’était l’époque où l’on affirmait haut et fort que les grandes migrations de sangliers arrivaient chaque année des pays de l’Est et qu’il n’y avait qu’à se servir quand ils étaient de passage. Tirant sur leurs bretelles, bedaine en avant, les plus grands connaisseurs affirmaient même doctement au bistrot du village, que ces mouvements migratoires étaient suivis par des « gens, probablement des savants » en hélicoptère. En rupture avec les traditions d’avant-guerre, c’est en jeep, Dodge et autres GMC que les chasseurs pénétraient maintenant les grands massifs forestiers pour « débarder » leur gibier.

I

Les sciences occultes

En Argonne précisément, pays de toutes les passions, on pendulait même les sangliers selon une méthode hautement scientifique. La technique, fort simple au demeurant, est encore utilisée aujourd’hui, dans le secret de certaines baraques de chasse et ne fait rire personne. On se rassemblait autour de la carte du massif, que le gourou du coin, appelons le… Bernard, parcourait de son pendule. Si l’objet du sorcier se mettait à… penduler, il trahissait immanquablement la présence des sangliers, dont on pouvait même estimer le nombre en fonction de l’excitation de l’instrument. Surtout, pas de deuxième passage qui aurait fait fuir les animaux, trop magnétisés ! Lors de la chasse du lendemain, deux hypothèses étaient alors possibles, toujours très scientifiques : la première était que l’on rencontrait des sangliers, le gourou était alors encensé, et la seconde, si on faisait buisson creux, on cherchait alors le « foutu salopard » qui avait fait fuir les sangliers en les pendulant une fois de trop. Il ne venait à l’esprit de personne de douter un instant de l’efficacité de l’outil.

II

C’est fini, on ne rêve plus !

Dans les années 60, c’est le dur retour à la case départ et on ne trouve pratiquement plus de sangliers en dehors des grands massifs. Dans l’impossibilité d’être à l’heure au rendez-vous, le Jean a prévenu ses amis qu’il arriverait par la plaine et qu’il se posterait en bordure de la forêt. Le Jean n’y croit pas trop à cette histoire de sanglier rembuché au grand carré. Depuis l’ouverture de la chasse au bois, c’est la bredouille à chaque sortie malgré le pendule, alors qu’il reste encore quelques lièvres en plaine. Au moment de partir, il hésite entre sa cartouchière « de bois » et celle « de plaine ». L’une est remplie de chevrotines alors que l’autre, garnie de petit plomb, ne contient que trois cartouches remplies des précieuses graines à bourre Gabel. Nous ne sommes pas très loin de Montfaucon-d’Argonne, et, en ce mois d’octobre, la plaine est bien tentante, toute faite de vieux chaumes, de gros labours, de friches d’herbes sèches et d’épais buissons. Considérant qu’il a plus de chance de rencontrer un lièvre que de voir un sanglier, notre ami choisit de prendre sa cartouchière de plaine. Par cette pluie, car il pleut, il décide de chasser les vieux labours. Le Browning à cinq coups est chargé jusqu’à la gueule : deux coups de six en tête, suivis de trois coups de quatre. Trois perdreaux et un lièvre feront bientôt les frais de cette initiative et lesteront le filet du vaste carnier de cuir patiné. Le cinq coups (on disait toujours un cinq coups avec beaucoup de dévotion) était une arme très consommatrice en cartouches. C’est ainsi qu’alors que notre chasseur approche de son poste, il ne lui reste plus que ses trois chevrotines et quelques coups de huit.

III

Pan, dans la tête !