L’escalier de tous les dangers - Dominique Philippon - E-Book

L’escalier de tous les dangers E-Book

Dominique Philippon

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Beschreibung

L’escalier de tous les dangers tisse une intrigue policière captivante autour du décès de Nathalie, survenu dans un escalier majestueux, mais assassin. Cette fin brutale laisse un mari dévasté, une fille en pleurs et un amoureux en son sillage. Au-delà des évidences surgissent une myriade de doutes, de réflexions et de peines. Au cœur de cette histoire palpitante, une question essentielle prend forme : et si le passé pouvait être modifié juste avant la disparition tragique de Nathalie ?


À PROPOS DE L'AUTEUR

Après des années passées à composer des notes de service et à faire des commentaires professionnels, Dominique Philippon plonge enfin dans l’univers des récits habités par des personnages et des situations qui ont longtemps animé son esprit. De ce processus est né "L’escalier de tous les dangers", son tout premier roman, un condensé d’émotions et d’intrigues mêlées.

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Seitenzahl: 235

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Dominique Philippon

L’escalier de tous les dangers

Roman

© Lys Bleu Éditions – Dominique Philippon

ISBN : 979-10-422-0402-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À ma famille,

ce groupe de personnes unies par le sang ou les alliances.

Partie I

Des marches assassines

Chapitre I

Paris – jeudi 14 juin 2018

Par une belle matinée ensoleillée

Nathalie

Putain d’escalier !

Je m’appelle Nathalie Châtaignier épouse Destertres. J’ai 56 ans et je vais mourir dans ce putain d’escalier.

Tout le monde peut se dire qu’il va mourir un jour ou l’autre, mais moi je sais que cela va m’arriver dans quelques fractions de seconde.

Pourtant, en cette mi-juin, le soleil brille à Paris et la température se fait douce. Est-ce plus sympa de mourir quand il fait beau ou quand il pleut ? Quitter ce monde sous la lumière du soleil, est-ce mieux que sous la pluie ? Je ne saurai jamais. On ne meurt qu’une fois ! Et dire que j’ai failli ne pas venir travailler ce matin. Cela ne pourra même pas me servir de leçon !

Je ne sais pas ce qui m’arrive, mais depuis une semaine, je suis très fatiguée, lasse, épuisée comme jamais je ne l’ai été. Encore quelques semaines avant les vacances d’été, j’aurais pu tenir encore un peu !

Mais, quand j’ai ressenti cette douleur immense, puissante, incomparable dans ma poitrine, que j’ai senti mes jambes se dérober au moment où je me suis instinctivement retournée pour lancer un appel au secours vers la réceptionniste, que je me suis sentie partir en arrière sans avoir la force d’entamer le moindre mouvement, que j’ai senti ma tête rebondir violemment, que j’ai entendu l’arrière de mon crâne s’ouvrir et ma nuque se briser, à ce moment précis, j’ai compris que j’allais mourir.

Je vais mourir dans ce putain d’escalier. Pourtant, il est magnifique, majestueux, que dis-je, impérial, en marbre blanc immaculé, évasé en bas, les premières marches légèrement arrondies, une rampe en maçonnerie, élément de décoration principal du vaste hall d’entrée de ce bâtiment du XIXe siècle ? Escalier prestigieux, mais escalier assassin. Je l’emprunte deux fois par jour pour me rendre à mon bureau situé au second étage. Je ne prends pas l’ascenseur (du XIXe siècle aussi ?) pour « garder la forme » et surtout ne pas me retrouver en tête à tête coincée dans cette cage avec un ou une collègue.

Je vais mourir, c’est certain ! En effet, on dit que dans les derniers instants, on revoit sa vie se dérouler, que le cerveau renvoie par flash une dernière fois toutes les images accumulées durant son existence avant de se débrancher définitivement. C’est exactement ce qui se passe maintenant. Cela me confirme que je vais mourir… dans ce putain d’escalier.

Pas maintenant, non, pitié, pas encore !

Je revois mon enfance de petite fille unique, faisant la joie de mes parents aujourd’hui décédés ; je me revois à l’école, au collège, au lycée et recevant mon diplôme de HEC pour mes 24 ans. Oui, il y a plus de trente ans déjà. Comme le temps passe vite.

Je revois le beau jeune homme que j’ai rencontré par un hasard de la vie et qui est devenu mon mari et le père de ma fille.

Je revois notre rencontre. C’était lors d’un stage « à la con » intitulé pompeusement « Contrôle interne : approche systémique ». La boîte de formation avait jugé intéressant de mélanger les cadres du public et du privé. Nous avions sensiblement le même âge (j’étais plus jeune de trois ans et demi) et il sortait de l’ENA (mazette, ce n’était pas rien !). Je me suis assise juste à côté de lui. Il y avait d’autres places de libres, mais… qu’il était beau et charmant. Il l’est toujours d’ailleurs à son âge.

Le premier jour, nous étions l’un à côté de l’autre, à la fin de ce stage d’une semaine, l’un contre l’autre et une semaine plus tard… l’un sur l’autre. Pauvre Marc. Je l’ai allumé comme un arbre de Noël. S’il savait ! S’il avait su !

Je vais mourir dans ce putain d’escalier et je revois cet homme qui m’a porté et supporté, avec qui j’ai presque tout partager. Lui partageait tout, moi… beaucoup moins ! Il travaille au ministère des Finances à Bercy depuis… toujours. Je ne sais pas trop ce qu’il fait, comme lui-même ne sait pas exactement en quoi consiste mon boulot de « Responsable Grands Comptes France » dans l’entreprise de visserie pour l’aéronautique qui m’embauche. Boulot qui m’oblige à me déplacer partout en France. S’il savait comment j’occupe mes nuits en déplacement…

C’est un compagnon un peu taiseux, jamais un mot au-dessus de l’autre, doux, réservé et sensible. C’est vrai qu’avec moi dans sa vie, il n’a pas eu beaucoup l’occasion de s’exprimer. Non, j’exagère, c’est un compagnon exemplaire… mais sans surprise, sans fantaisie, le genre à traverser dans les passages protégés quand le petit bonhomme est vert uniquement, à respecter les limitations de vitesse, jamais un verre de trop (pourtant il aime passionnément les grands crus), toujours à remercier sincèrement les gens, etc. Costume, cravate, cartable, boulot et retour à la maison à vingt heures maximums. Cartésien jusqu’au bout des ongles. Sportif un peu, sa pratique de l’aviron dans sa jeunesse lui a donné un corps athlétique sur lequel je pouvais reposer ma tête, et des mains fortes, mais qui savaient se faire douces pour me caresser. Je ressentais un immense sentiment de confort contre ce corps puissant et entre ses bras protecteurs.

Et puis, il m’a donné la plus merveilleuse enfant du monde, Diane. Bon, j’ai un peu participé aussi ! Malheureusement, il n’y a pas eu d’autre enfant. Sa venue au monde a été une boucherie et quand le diagnostic ignoble que je ne pourrai plus jamais avoir d’autres enfants est tombé cruellement, j’ai beaucoup pleuré. Lui, il était là pour me soutenir avec sa force de caractère naturelle et sans laisser voir la douleur qui devait aussi le ronger. Nous avons traversé ensemble cette épreuve comme d’autres avant nous et, hélas, tant d’autres après nous.

Je vais mourir dans ce putain d’escalier. Je revois bien sûr aussi le visage et le corps d’Adrien. J’ai l’impression de ressentir encore le plaisir de ses caresses. Adrien est mon amant depuis… la première fois que nous avons couché ensemble (1 an déjà !). Adrien est le responsable informatique de la boîte. Il n’a pas tout à fait vingt ans de moins que moi. Il m’a draguée ouvertement et je ne sais toujours pas pourquoi je lui ai cédé. Si j’ai allumé Marc, il y a presque trente ans, Adrien a fait briller dans mes yeux toute la Voie lactée. Cela a commencé bêtement par un dîner pizza Uber-Eat sur le coin de mon bureau, à la presque fin d’une journée de travail intense où nous sommes restés l’un à côté de l’autre (de plus en plus près ?) devant un stupide écran d’ordinateur qui ne voulait pas recracher en tableaux intelligibles les données que je lui demandais.

À la fin de ce repas mal bouffe, rapide et professionnel, il m’a proposé :

« Pourquoi ne pas dîner ensemble une prochaine fois sans avoir à parler tableaux ou statistiques. Juste pour le plaisir et dans un endroit plus… chic ? »

Et moi, comme une andouille, de lui répondre :

« Pourquoi pas ? »

Et de fil en aiguille, nous nous sommes retrouvés, nous avons sympathisé et plus, car vraies affinités.

Pour une femme d’âge mûr (snif !), plaire à un gamin de trente-cinq ans, c’est flatteur, non ?

Bien que j’estime que je suis encore pas mal foutue. La ménopause n’a pas eu d’effet sur mon physique. Je suis resté mince sans faire de sport, sans faire attention à mon alimentation et en fumant comme un pompier au grand dam de Marc… et d’Adrien.

J’aime encore et toujours Marc. Nos rapports sexuels sont toujours là, mais plus éloignés, moins dans la passion, plus dans la tendresse, mais nous y prenons encore chacun du plaisir.

Mais avec Adrien, c’est différent. Croquer dans le « fruit défendu », n’est-ce pas excitant ? Beau gosse aussi, costume bleu marine, chemise blanc immaculé et chaussures-ceinture marron. L’archétype du jeune cadre parisien, quoi ! La passion est bien là, renforcée par le goût de l’interdit ou de l’aventure et pour moi d’un regain de jeunesse. J’ai connu Marc assez jeune et je n’avais jamais eu d’autres compagnons. Après nos ébats avec Adrien, c’est lui qui pose sa tête sur ma poitrine et c’est moi qui le protège. Un peu Œdipien quand même ! Mais avec Adrien, comme avec Marc, le fait d’être peau contre peau me suffit souvent. L’âge peut-être ?

Je suis attachée à Adrien, mais est-ce que je l’aime comme j’ai aimé Marc à nos débuts ? Lui est fou de moi. Pourtant je lui en fais voir ! Secret absolu – rendez-vous organisés au cordeau – aucune improvisation.

Adrien ne sait pas que je suis marié, car je refuse de lui parler de ma vie privée. La dernière fois que je me suis confié « intimement » à une collègue de travail, cela s’est terminé de manière dramatique. Une fois, suffit !

Il ne connaît pas mon adresse, je ne connais pas la sienne, juste nos numéros de téléphone. Nos rendez-vous amoureux se déroulent toujours lors de mes déplacements en province (deux nuits, une semaine sur deux). Ce sont les conditions sine qua non qu’il a dû accepter. Le pauvre… il bouffe tous ces congés pour me rejoindre aux quatre coins de la France. Le prochain rendez-vous amoureux était prévu la semaine prochaine. Tant pis pour nous !

Comment ai-je pu trahir ces deux hommes, mes deux amours ? C’est trop tard maintenant pour se poser des questions existentielles, puisque mon existence est… terminée. J’avais sans doute besoin de deux hommes si différents pour vivre pleinement ma vie.

Je meurs dans ce putain d’escalier. Toutes ces images, tous ses sons, ses odeurs, ses sensations revécus en quelques dixièmes de seconde.

Ça y est, maintenant, je vois mon corps d’en haut comme si j’étais accroché au lustre, mon corps désarticulé, ma tête faisant un angle improbable avec le reste, une maigre traînée de sang déroulée sur quelques marches. Je vois sans entendre la réceptionniste que j’ai saluée d’un sourire il n’y a même pas quelques poignées de secondes courir vers moi ou plutôt vers mon corps sans vie, se pencher sur celui-ci, puis repartir en courant, la main devant la bouche pour s’empêcher de hurler, et saisir le téléphone derrière le desk. Ne cours pas Elodie, c’est trop tard pour moi !

Oh, mon dieu (je saurai d’ailleurs très prochainement si tu existes), me voici comme aspirée dans le grand tunnel noir avec la lumière aveuglante au bout. Je n’entends plus rien, je ne vois plus rien, je ne ressens qu’une immense lassitude.

Je suis arrivée au bout du voyage. Je vais bientôt savoir s’il y a un au-delà. J’aurais dû me pencher sur la question plus tôt, car sauf si je dois me réincarner en quelque animal ou humain, pour mon corps et mon âme, ce sera probablement voyage direct vers les enfers.

Mes toutes dernières pensées sont pour Diane et pour Marc.

Diane, que penserais-tu de ta mère si tu savais ?

Marc, si tu apprends ce que je t’ai fait, je t’en supplie… Pardonne-moi !

Chapitre II

Annie

Pourquoi suis-je de mauvais poil ce matin ? Parce que j’ai renversé mon café sur mon chemisier juste avant de partir ce matin ? Parce que j’ai cinquante ans et que je vis seule avec mon chat ou parce que quelque chose me dit (instinct primaire de bonne femme) que cela va être une journée de merde ? À peine le temps de poser mon sac que mon téléphone sonne déjà. Mon téléphone sonne tout le temps d’ailleurs. Quand tu es DRH dans une boîte de visserie de 1 500 personnes, siège social à Paris, usine dans l’Allier, multiples représentations en France et à l’étranger, ton téléphone sonne tout le temps.

Cette fois-ci, c’est la réception. Bizarre, je n’attends pas de visiteur !

« Allo ! Annie Gueffier, je vous écoute !

— Bonjour madame. C’est la réception (ça, je sais, c’est marqué sur mon téléphone “intelligent”), il faudrait que vous descendiez, il y a un problème. »

Depuis quand la réceptionniste donne des consignes à la DRH ? On aura tout vu, bon, passons !

« Quel problème, et pourquoi vous m’appelez, moi ?

— Mme Châtaignier, elle est tombée dans le grand escalier et je crois qu’elle est morte. Comme le patron n’est pas encore arrivé, je me suis dit…

— Mme Châtaignier ? Morte ? J’arrive ! »

Même pas eu le temps de retirer ma veste !

Je déboule dans le hall et là…

Un petit attroupement au bas de l’escalier, la réceptionniste, Elodie, retenant ses sanglots et visiblement très choquée.

« Elodie, que s’est-il passé ?

— Mme Châtaignier est arrivée… Elle a commencé à monter, comme tous les matins… je la suivais des yeux parce que pour son âge, c’est une belle femme…

— Après…

— Après ? Elle a poussé un petit râle genre “Argh” et elle est tombée en se retournant. Sa tête, le bruit de sa tête cognant les marches… Oh, mon dieu, c’était horrible !

— Et ?

— Ben, j’ai couru vers elle et j’ai vu tout ce sang sur les marches… J’ai bien vu qu’elle était morte !

— Arrêtez de pleurnicher. Vous avez appelé les Sapeurs-pompiers ?

— Non, madame, j’ai fait le 15, le SAMU et puis je ne savais plus quoi faire, alors comme le patron n’est pas là… Ben, je vous ai appelé…

— Vous avez bien fait, merci ! Cela s’est passé depuis combien de temps ?

— Trois minutes, pas plus, le SAMU n’est pas encore là. Ils m’ont dit qu’ils partaient tout de suite et qu’ils en avaient pour 10 minutes. »

Le temps de cette conversation coupée de sanglot, j’entendais déjà la sirène du SAMU remonter le boulevard St Marcel.

« Elodie, sortez pour les guider jusqu’ici, je me charge du reste. Après, allez vous mettre un peu plus loin, boire un verre d’eau et vous asseoir avant de tomber dans les pommes, vous aussi. »

Elodie se précipite vers l’entrée, mais l’équipe de secouristes est déjà entrée avec leur gros sac à dos.

Ambulance et voiture du médecin stationnées en vrac devant la porte, gyrophares qui tournent, ambiance garantie.

Heureusement, la majorité des employés est déjà rentrée et il ne traîne que cinq ou six personnes dans le hall.

Je hurle dans le hall :

« Quelqu’un, ici, peut accompagner Elodie ? »

Spontanément, deux collègues lui emboîtent le pas vers la machine à café et les toilettes.

Un homme se présente comme le médecin urgentiste et je lui déballe tout ce que je sais de l’accident.

Après m’avoir écouté, il examine le corps, lampe électrique dans les yeux, pouls, tension, mais rapidement, il ne peut que constater le décès de Nathalie. Un secouriste sort une couverture de survie (trop tard pour la survie, ai-je fugacement pensé) et recouvre le corps. C’est à ce moment-là que je commence à craquer. Ben, oui ! Quoi ! Une morte ici, devant moi, ce sang, cette pagaille.

Je me mets à crier :

« Allez dans vos bureaux, éloignez-vous, ne restez pas là, cela ne sert à rien », provoquant un départ de tous comme une envolée de moineaux.

Comme une bonne gueulante peut faire du bien !

« Madame, pour un décès sur le lieu de travail, je dois avertir la Police pour les constatations d’usage », m’avertit très calmement le médecin.

La Police, il ne manquait plus que ça !

« La mort paraît naturelle vu les circonstances. Je demande une ambulance des Sapeurs-Pompiers pour emporter le corps à la morgue de l’hôpital de garde. Un médecin là-bas décidera de faire des investigations complémentaires sur le corps s’il a un doute. Ne vous inquiétez pas, c’est la procédure habituelle. »

Habituelle pour lui, mais pas pour moi !

« Ils n’emporteront le corps que quand la police sera passée. »

Quelle merde !

« La victime a de la famille ? Vous les avez avertis ? » me demande le médecin.

De la famille ? Aucune idée, elle était tellement réservée, secrète sur sa vie privée. Je dois avoir une fiche dans son dossier. Le truc que l’on fait remplir à chaque employé : « Personne à avertir en cas d’urgence ». Ben, tiens, pour une fois, cela va servir !

« Oui, bien sûr, je vais les avertir. »

Mais d’abord avertir le patron. Parce que, quand il va arriver, voir le tintouin qu’il y a dans le boulevard, il ne va pas être content. Bon, c’est vrai, le Boulevard St Marcel est large et la circulation n’est pas bouchée, mais un patron pas content… pas bon gri-gri.

Téléphone portable – appel boss.

« Bonjour monsieur, c’est Annie Gueffier, je me permets de vous appeler, car nous avons un gros problème au siège. Mme Châtaignier vient de tomber dans l’escalier principal et est décédée sur le coup. Le SAMU est là, ils ont constaté le décès et on attend la police. »

J’ai tout lâché d’un seul coup pour être certain d’arriver au bout sans craquer.

Grand blanc à l’autre bout du fil… ou plutôt à l’autre bout du réseau !

Au bout de cinq secondes…

« Je suis sur le chemin, j’arrive ! En attendant, prévenez la famille, la médecine du travail et… je ne sais pas qui, on verra ensemble. Je suis là dans 10 minutes. »

Et il raccroche.

Le médecin du SAMU s’est mis dans un coin, téléphone je ne sais où et remplit des fiches ou peut-être le certificat de décès, que sais-je, moi ?

Elodie réapparaît, un peu rassérénée, et vient vers moi.

« Madame, si je peux… je crois qu’il faudrait prévenir M. Blagis.

— Pourquoi Adrien Blagis, rien à voir avec l’informatique.

— Non, bien sûr… mais Mme Châtaignier et M. Blagis…

— Quoi Mme Châtaignier et M Blagis ?

— Ben, vous savez quoi !

— Non, je ne sais pas, expliquez-vous !

— Ben voilà, sans vouloir dire… Ben, je crois qu’ils… étaient ensemble. Souvent, je les vois s’échanger des petits regards, et puis j’ai remarqué, sans arrière-pensée, hein ! que quand Mme Châtaignier descend fumer dans la rue et bien M Blagis descend quelques minutes après, et lui, il ne fume pas. Et puis ils vont un peu plus loin, mais avec le gros miroir dehors quelquefois, sans regarder hein, eh bien, je les vois qui discute. Et puis quand Mme Châtaignier est en déplacement, M Blagis est en congé. Alors vous comprenez, je croyais moi que… enfin, voilà ! »

Encore, ça continue !

« Bon d’accord, j’ai compris, je réfléchis (comme si j’en étais encore capable), je vais voir… Bon, OK, je l’appelle sur son portable. »

Après tout, au point où j’en suis aujourd’hui… Un peu plus ou un peu moins !

Le tam-tam chez VISAVIA est plus rapide que le réseau téléphonique.

Je vois mon Adrien débouler comme un fou de l’ascenseur et se précipiter vers le corps de Nathalie.

Heureusement, un secouriste arrive à le bloquer avant qu’il ne l’atteigne.

« Ne touchez pas le corps, s’il vous plaît, il faut attendre la police ! »

Pas beau à voir l’Adrien. En pleurs, le visage décomposé. La petite avait raison : ils « fricotaient » bien ensemble. Mme Châtaignier, ça alors ! C’est vrai que c’était une belle femme. Mais Adrien, il pourrait avoir l’âge de son fils. D’ailleurs, est-ce qu’elle a des enfants ?

Adrien se bat presque avec le secouriste. Heureusement, la police arrive. Tous sauvés par le gong.

« Bonjour, Police, je suis le lieutenant Chevreuse du commissariat du 7e arrondissement. »

Un mec que l’on attend, qui rentre avec un brassard POLICE, accompagné d’un agent en tenue, un pistolet à la ceinture, tout juste caché, et descendant d’une voiture sérigraphiée, je commençais à me douter qu’il était flic.

« Bonjour, lieutenant, je suis Mme Gueffier, la DRH de VISAVIA.

— Bonjour madame. Je vais m’entretenir avec le médecin et je reviens vers vous. C’est vous le témoin de l’incident ? »

Tu parles d’un incident !

« Non, c’est la demoiselle là-bas », en désignant Elodie qui commence à se remettre de ses émotions tout en expliquant à Adrien ce qu’il s’est passé.

« Bien, je vais l’interroger juste après. Qu’elle ne bouge pas ! Vous êtes certaine de l’identité de la victime ?

— On ne peut plus certaine. C’est une cadre de VISAVIA. »

Je ne peux m’empêcher de jeter un énième regard sur ce corps sans vie. Ce n’est pas vrai, je rêve !

Pauvre Elodie ! Quand je lui dis qu’elle doit faire une déposition, elle se voit déjà menottée, embarquée. Je la rassure en lui disant que ce n’est qu’un problème de responsabilité, etc.

Pas le temps de finir, que le patron arrive. Dites-moi quand je respire !

Un patron reste un patron et s’impose tout de suite comme interlocuteur vis-à-vis du lieutenant de police.

Entre deux mots, il m’envoie avertir la famille. Quelle famille ? L’amoureux éploré a dégagé en voyant le patron arrivé et doit pleurer tout son saoul dans son bureau. Pauvre garçon, il devait vraiment être amoureux.

Bon, au boulot. La fiche de Nathalie !

Nom : Châtaignier – prénom : Nathalie.

Nom d’usage : Châtaignier.

Situation matrimoniale : Mariée (merde ! mais c’était, il y a cinq ans quand elle est arrivée).

Nbre d’enfant : 1. (Première nouvelle.)

Personne à prévenir : (nous y voilà) Mari – Marc Destertres.

Adresse de la personne : non rempli.

Téléphone port : 06, etc. (Ouf !)

Je n’ai plus qu’à appeler.

Dommage que l’alcool soit interdit dans les bureaux, car j’en aurais bien pris une petite rasade. Allez, du courage, ce n’est que son ex.

Je compose, ça sonne, ça répond tout de suite, c’est parti.

« Marc Destertres, j’écoute.

— Bonjour monsieur, je suis Annie Gueffier, la DRH de VISAVIA, la société pour laquelle travaille Nathalie Châtaignier. Vous êtes bien son ex-mari ?

— Non.

— Pourtant Nathalie, euh, Mme Châtaignier, nous a laissé vos coordonnées en cas d’urgence.

— Quand je vous ai dit non, c’est que je ne suis pas son ex-mari mais son mari, à moins qu’elle ait divorcé depuis ce matin. »

« Je suis désolé, monsieur, je croyais…

— Passons. Qu’arrive-t-il à mon épouse ?

— Voilà, elle a fait un malaise ce matin…

— Elle va bien ? Elle était fatiguée depuis quelques jours, en effet. Et ce matin, elle a failli rester à la maison. Bon, je vais venir la chercher. Je suis là d’ici une demi-heure, le temps d’arriver.

— Monsieur… euh… ce n’est pas ça…

— Vous voulez dire qu’elle est déjà repartie chez nous ou qu’elle est à l’hôpital ?

— Non… c’est que… vous comprenez, euh…

— Non, je ne comprends pas. Expliquez-moi simplement où elle est et comment elle va.

— Où est-elle ? Elle est ici. Et en mots simples… elle est morte. Je suis désolé. »

Je n’ai pas pu faire autrement. Je ne m’en sortais pas de cette conversation et tourner autour du pot n’aurait pas été utile bien longtemps.

« Monsieur, je suis désolé, de vous l’avoir annoncé comme ça, mais… Monsieur ? (Vite un coup d’œil sur la fiche) Monsieur Destertres ? Vous êtes là ? Monsieur ?

— J’arrive ! »

Et il raccroche.

Grande respiration ! Gros mouchoir pour essuyer les larmes qui commencent à descendre en cascade.

Elle est mariée et ils vivent encore ensemble, ils se sont vus ce matin !

Adrien ! Prévenir Adrien qu’il ne me fasse pas un scandale. Les coups sur la tête aujourd’hui (pardon Nathalie), cela suffit.

Téléphone, numéro d’Adrien, trois sonneries avant qu’il ne décroche.

« Adrien, c’est Anne. Viens me voir, j’ai à te parler.

— Non, Anne, me répondit Adrien en sanglot, ce n’est pas le moment.

— Ben si, justement, c’est le moment. Tu rappliques ! Je te veux dans mon bureau dans cinq minutes. Si ce n’est pas dans mon bureau, ce sera dans celui du patron. C’est un ordre ! »

Et je raccroche sans lui laisser le temps de répliquer.

Bon ! Le temps qu’il se refasse une tête présentable, je retourne en bas pour voir où en est l’étendue des dégâts.

Rien n’a franchement évolué. De temps en temps, des têtes d’employés apparaissent fugitivement en haut de l’escalier ou à travers une porte. Il faut avoir vu pour pouvoir raconter plus tard…

Le patron est toujours là. Le lieutenant de police est avec Elodie dans le salon d’attente pour prendre sa déposition « à chaud » sur un PC portable. La police se modernise. L’urgentiste attend l’ambulance des sapeurs-pompiers avant de se retirer.

Le patron me saute dessus.

« Alors, la famille est prévenue ?

— Oui, monsieur, son mari arrive.

— J’ignorais qu’elle était mariée. C’était une belle personne. Finir comme ça, ici, quelle horreur !

J’attends son mari avec vous pour l’accueillir.

— Si cela ne vous dérange pas, monsieur, j’ai un souci, disons collatéral, à régler en urgence. Je remonte dans mon bureau et redescends le plus vite possible. Dès qu’elle a fini avec la police, il faudrait renvoyer Elodie chez elle. Elle est choquée et si vous n’y voyez pas d’inconvénient, il faut lui donner congé jusqu’à la fin de la semaine. En outre, elle a particulièrement bien réagi.

— Oui, OK, pour Elodie, veillez à la faire remplacer. C’est quoi, ce problème collatéral ?

— Monsieur, laissez-moi quelques minutes et je vous explique.

— C’est bon, allez-y ! »

Je remonte dare-dare dans mon bureau. Ça va chauffer avec Adrien.

Justement, il m’attend à la porte. Je n’ose pas le regarder, rentre comme un boulet et le fais asseoir.

« Adrien, je ne vais pas tourner autour du pot. J’ai une seule question, mais il faut que tu y répondes vite et franchement. As-tu une liaison avec Nathalie ?

— Euh…

— Je ne vais pas me répéter ! Réponds-moi !

— Oui, j’ai une liaison avec Nathalie. Nous étions amoureux, libres tous les deux, alors pourquoi pas, et…

— Je ne veux rien savoir de plus ! Cependant, je vais t’en apprendre une bien bonne. Tu sais qui je viens de prévenir au téléphone et qui rapplique ventre à terre ? Je te le donne en mille… Son mari.

— Son mari, Adrien. Tu as compris ?

— Qui ? Son mari ? Elle ne m’a jamais dit qu’elle était mariée. Je ne savais pas, tu es sûre de toi ?

— Oh oui ! Ils se sont quittés ce matin, donc ils vivent ensemble.

— Oh merde !

— Tu l’as dit. Alors maintenant, tu prends tes cliques et tes claques, tu rentres chez toi, on évite la rencontre car je ne sais pas s’il sait pour toi et je ne veux pas d’un esclandre, d’une bagarre ou d’un meurtre ici et aujourd’hui. Remarque, la police est déjà là, on gagnera du temps.

— OK, je vais faire ça !

— Ce n’était pas une proposition, mais un ordre. Tire-toi, et vite ! »

Assommé comme il l’était, je ne sais pas où il a trouvé la force de se lever et de sortir.

Moi, je retourne en bas. J’espère que le patron aura oublié, entre-temps, le dommage collatéral.

Je le retrouve dans le hall en grande discussion avec le chef des services généraux qui arrive seulement. Comme les carabinièri, après la bagarre. Ils doivent discuter du remplacement d’Elodie et des mesures à prendre. Le policier, quant à lui, prend quelques photos de Nathalie, ou plutôt de son point de vue, de son cadavre. Photos de loin, de près, il fait son boulot, quoi !

Le patron se tourne vers moi.

« Mme Gueffier, c’est quoi, cette histoire de dommage collatéral ?

— Écoutez, patron… difficile à expliquer là, maintenant… dans ces circonstances. »

Sur ce, mon imbécile d’Adrien, le visage défait, sort de l’ascenseur et se dirige à grands pas vers la sortie en essayant d’être le plus discret possible (au moins, il a fait ce que je lui ai dit).

« Il va où, lui ? s’étonne le patron.

— Chez lui ! Monsieur, le dommage collatéral, c’est lui.

— Aïe ! J’ai peur de comprendre ! »

Réglé comme pour un vaudeville, au moment pile où sort Adrien, débarque d’une voiture grise banale, officielle quoi ! Un monsieur grand, chic, élégant, costume-cravate –, petit cartable, frisant la soixantaine d’années et visiblement en proie à une grande émotion. Le mari !

« Patron, je vous explique plus tard ! »