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"L’Espace d’une Heure" vous plonge dans le destin de sept individus liés par une existence commune, mais dont les trajectoires personnelles prennent des tournants imprévus. Colette Harbonn, l’auteure, vous invite à découvrir leurs parcours uniques, chacun confronté à des défis qui les mènent à transformer l’obscurité en lumière. Au fil de cette intrigue, ils évoluent face aux aléas de la vie, révélant leurs forces insoupçonnées ainsi que leurs failles. Ce roman ne se contente pas d’être une simple narration ; il constitue une véritable immersion dans des aventures intérieures, où chaque personnalité est mise à l’épreuve. Préparez-vous à une réflexion profonde sur la nature humaine et les mystères de l’âme.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Après s’être consacrée à l’écriture de poèmes et de nouvelles,
Colette Harbonn a rédigé son premier roman, à la suite d’un conseil de M. Christian Giudicelli. Cette œuvre explore en profondeur les multiples facettes de la condition humaine.
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Seitenzahl: 195
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Colette Harbonn
L’Espace d’une Heure
Roman
© Lys Bleu Éditions – Colette Harbonn
ISBN : 979-10-422-5015-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Il était petit, laid, le regard torve. Toujours hargneux, peut-être blessé d’une invisible flèche, il en envoyait chaque seconde à qui s’intéressait à lui. Il était méchant, hurlait de rage pour tout et rien, ne blessait que les faibles qui se penchaient sur lui et finissaient quand même par partir écœurés. Il décourageait les meilleures intentions, n’aimait que l’amour des autres pour lui, mais n’avait de cœur que pour ceux et celles qui le lui refusaient. Il grognait. Il grinchait. Il fut baptisé Grincheux. Solitaire entre tous, il partit de par le monde, toujours râlant, toujours pestant, à la recherche d’un havre pour abriter sa cuirasse. Elle était épaisse, métallique, surmontée de poignards dont il donnait des coups dès qu’on s’approchait trop de lui. Porc-épic mortel, il se roulait en boule et ses lames se lançaient à l’assaut de l’intrus qui voulait briser sa coque. Il était malheureux. Il trouva refuge au cœur d’une montagne. Une crevasse dans la paroi permettait d’accéder à une immense salle où il élut domicile. Personne ne le dérangeait plus. Seul un être identique à lui pourrait franchir ses frontières, mais la montagne s’érigeait au centre d’un désert de lave et les gnomes sont rares. Il se sentait à l’abri de tout envahissement intempestif. Il avait bien mené sa barque.
Il était parti un jour brusquement car la joie des autres le blessait. Il fut désagréable pour tenter de la briser, mais, depuis longtemps, plus personne ne prêtait attention aux infimes gargouillis qu’éructait sa gorge minuscule. Dans un dernier hurlement de rage, il sortit. Dans le jardin, quelqu’un manqua de l’écraser par mégarde, mais l’air frais lui faisait déjà du bien. Il savait qu’il partait loin et pour toujours. Avant de claquer la porte, il avait emporté une orange. Il ne voulait mourir ni de faim ni de soif. La mort de l’espoir lui suffisait. Il se régénérerait dans la solitude. Ragaillardi par son projet, il se dit qu’il avait le temps. Il était jeune et plein d’allant. Il avait un répit.
Désormais seul, le monde lui parut mieux adapté à sa taille. Il en devint presque de bonne humeur. Si les animaux familiers des grands le terrorisaient d’ordinaire, ici, les insectes l’amusaient. Magnanime, il ne les écrasa pas. Il avançait serein, indifférent à son passé. La nature lui souriait à présent, mais c’était trop tard. Il ne voulait plus de son aide. Il voulait maintenant que son horizon soit aussi désertique dehors que dedans. Alors, il humait les fleurs et regardait les papillons en cherchant un sol mort. Après une longue marche, il atteignit une zone aride. Les pierres s’amoncelaient en d’étranges pitons. Il faisait chaud le jour, sans ombre pour s’abriter. Il faisait froid la nuit, sans refuge pour se réchauffer. Il avait soif et il n’y avait pas d’eau. Il avait faim et rien ne poussait à l’horizon. Il crut avoir trouvé le bonheur dans l’austérité, car il ne pourrait être déçu par cette terre qui n’aguichait pas le passant. Tandis qu’il installait un abri au cœur de la pierraille, il découvrit sur le sol le squelette d’une brindille d’herbe. Son espoir s’écroula : il y avait eu un jour de l’eau en ce lieu. Il refit son baluchon, partit sans regret. Il changea de direction, car le désert ne mène qu’au désert et celui-ci n’était pas absolu.
Il retraversa les terres peuplées et, malgré lui, l’odeur de l’herbe fraîche le pénétra. Sur sa peau de nain fripée, le soleil glissait doucement et l’humidité du soir la rendait plus douce. Il s’endormit en pleurant, râlant de pleurer, chassa cruellement une souris qui s’approchait, car il la savait vivante et chaude. Il établit son camp près d’une araignée venimeuse. Il la voulait compagne pour sa nuit, acceptait l’éternité qu’elle pourrait lui donner. L’araignée ne toucha pas à ce frère de tristesse et chacun garda son poison par-devers soi.
Le lendemain, il avait faim et soif. Il consentit à boire de l’eau d’une rivière, à manger des fruits tombés à terre. Il n’avait rien demandé à la nature. Il prenait ce que l’arbre avait rejeté. Il faillit choisir les fruits les plus pourris, mais craignit de sombrer dans la coquetterie. Puis il reprit sa route. Il maigrissait à ce régime austère, mais bizarrement doté d’une masse constante, il se mit à grandir. Il ne s’en aperçut pas tout de suite, trouvait seulement que les arbres rapetissaient. Il n’avait pas tout à fait tort. L’herbe devenait plus rare, plus courte, les branches plus basses, plus tassées. Enfin, ce fut la clairière qu’il espérait. Une immense étendue de lave entourait un volcan mort. Il marcha deux jours sur cette pierre dure et lisse qui semblait l’attendre. Il ne dormit pas. Il était pressé d’arriver. Quand il fut au pied de la pente qui menait au sommet, il hésita. Alentour, aussi loin que son regard portait, il n’y avait que la lave. Trouverait-il plus sévère que ce bouclier sans faille qui lui interdisait la terre et ses richesses ? Oui, car il pouvait encore se diriger comme il le voulait, sans aide, mais sans contrainte. Il commença l’ascension vers le cratère, s’agrippant aux aspérités qui parsemaient le flan du volcan. Son pied glissait souvent comme si la roche, blessée, brûlée, se dérobait à ce nouvel amour. Il fit deux chutes et son sang marqua de son sceau ce territoire qu’il voulait conquérir. Puis, femme coquette, la montagne se rendit sous ses assauts répétés, facilita les derniers mètres qui s’élevaient presque verticaux. Enfin, il fut sur la crête. Il était seul sur cette terre désertique, les mains décharnées, les pieds en sang. Il regarda vers le cratère. Il était froid et gris, inhospitalier à souhait. Grincheux se laissa couler vers lui pour végéter en son sein. Mais la montagne ne le voulait pas en surface. Elle s’ouvrit doucement et l’accueillit au centre de son cœur mort. Là était la place de Grincheux dans le monde.
Après quelques secondes de chute libre, il atterrit dans le noir absolu. Il savait qu’il était seul. L’écho lui confia que la salle était grande. Le voyage était fini. Grincheux était heureux. Il avait le droit de renaître à la vie comme il le voulait, s’il le voulait. La température était tiède, agréable. Il décida de dormir avant de choisir de vivre ou non.
Il dormit longtemps, somnolait parfois, se réveillait de temps à autre sans comprendre où il était, s’habituait à l’obscurité. Dans ses rêves, il tournait et se retournait sur son lit devenu étrangement dur. Il chercha quelques secondes sa lampe de chevet, retomba rapidement dans un sommeil protecteur. Enfin, il s’éveilla. Le contact avec la réalité fut brutal. Il cherchait un isolement réparateur : il était désormais seul vivant au centre d’un monde mort. Il ne subsistait de l’ouverture qui l’avait accueilli qu’une mince fente par laquelle la lumière se frayait un vague chemin. Elle lui suffisait. Il remercia sa route de l’avoir amené si profond et réfléchit. Il respirait sans problème. L’oxygène arrivait normalement. Il choisit de vivre, car c’était une gageure dans cet univers clos et aride.
De quoi avait-il besoin ? D’eau, de nourriture et d’un endroit propre pour faire ses besoins. Dans l’immédiat, comme il ne mangeait rien depuis plusieurs jours, le dernier problème n’était pas urgent à résoudre. Il décida d’aménager son domaine. Sur le sol, le trait de lumière s’effilochait sur les bords. Il le garderait toujours en vue pour se repérer d’où qu’il soit, puis il regarda le plancher et eut un mouvement de surprise heureuse. Si la montagne à l’extérieur n’était recouverte que de lave stérile, le cœur de son abri était plus chaleureux. Une terre fine et tiède, parsemée de cailloux, s’offrait à son regard. Il eut envie de visiter son domaine, mais l’obscurité absolue qui régnait dans la grotte au-delà de la clarté le fit reculer. Il dut s’avouer qu’il avait peur. Il craignait de disparaître dans un trou noir et glauque au fond de ce désert de mort. Son désir d’isolement se satisfaisait de la vie sous la faille. Il essaierait même de sortir, puisqu’il pouvait revenir. Il regarda le décor. Le plafond était très haut et il n’en voyait pas la texture. Il eut vaguement envie de crier pour écouter l’écho, mais la perspective d’un son mat le mit mal à l’aise. Il aurait trop l’impression d’être dans un cercueil et son optimisme naissant se satisfaisait mal de cette image. Il réalisa tout de même qu’il n’avait entendu aucun son de voix depuis son départ. Il récita à voix basse un poème qu’il aimait et cela lui fit du bien. Il s’en réciterait un nouveau tous les jours, apprivoiserait sa peur en parlant de plus en plus haut. Il visiterait son domaine phonétiquement. Il espérait que les crevasses rendraient un son différent.
Elle enfonça discrètement sa boule quies au fond de l’oreille dans laquelle il parlait. C’était la gauche. Elle laissa plus d’espace à droite entre la cire et le tympan, d’abord pour ne pas devenir complètement sourde, ensuite pour pouvoir répondre adéquatement si, d’aventure, une question arrivait dans ce flot de paroles. Elle n’en pouvait plus. Elle avait beau l’aimer, elle ne supportait plus ce verbe fleuve qui sortait de ses rives pour des motifs tout aussi divers qu’imprévisibles, et qu’elle ne pouvait endiguer. L’épaisseur de la cire lui rendit une sérénité qu’elle était en train de perdre. Elle regarda la foule autour d’elle avec bonheur. Il faisait beau, il faisait bon, le printemps sentait le printemps et les gens dans la rue semblaient heureux.
— Tu ne m’écoutes pas ?
— Si, si… Elle eut une pensée reconnaissante pour son oreille droite mal bouchée.
— Qu’est-ce que je viens de dire ?
Elle répéta les derniers mots qu’elle avait retenus de mémoire, fut soulagée quelques instants par le silence interdit qui suivit, puis la souffrance sonore recommença. Là encore, elle ne se plaignait pas trop, car ils étaient dehors. Le pire, c’était quand ils étaient dans une maison, surtout à table, en face l’un de l’autre, et qu’elle ne pouvait s’échapper.
Elle avait tout essayé : L’intérêt, la patience, la résignation discrète, la révolte, la tentative de changer de sujet (mais il agrippait l’autre sujet), la franchise brutale et vexante qui, un jour ou deux, réduisait le propos aux faits essentiels et le rendait intéressant, puis de nouveau la plaie verbale se rouvrait. Un pus tumultueux de souvenirs, d’explications, de démonstrations en tout genre déferlait sur elle sans qu’elle y puisse mais.Parfois, un mot, un nom, une image évoquait en l’homme un autre souvenir et, tandis qu’elle essayait de s’accrocher au fil du discours, la bifurcation brutale sur un autre récit, qui bifurquait lui-même sur un autre récit, finissait par lui donner la nausée. Il était impossible de poser une question précise pour se repérer dans ce labyrinthe, car il s’énervait : elle coupait son fil. Si d’aventure elle manifestait de l’impatience, il disait, irrité : « Si tu ne m’interrompais pas tout le temps, j’aurais déjà fini ». Il aurait fini pour rebondir ailleurs. Elle fut tentée de voir un jour si la source pouvait tarir en l’absence d’intervention, mais elle s’aperçut au bout de quelques heures que seuls le sommeil et la mort auraient raison de ce bruit.
Il lui avait plu parce qu’il parlait bien. Il était prof, habitué à captiver un auditoire, didactique et clair. Son âge entre deux âges lui donnait autant de souvenirs que de projets. Par quel biais pervers ce qui fut bonheur était-il devenu vomissement laryngé ininterrompu ? Il s’était tu quelques instants, distrait par un objet qu’il ne manquerait pas de lui décrire alors qu’elle le voyait elle-même, qu’elle en connaissait l’usage et dont il lui démontrerait avec application tous les avantages et les inconvénients. Pour l’instant, c’était le calme. Elle décolla légèrement sa boule gauche pour entendre les bruits de la rue en stéréo et le regarda, heureuse. Elle se sentait proche de lui dans le silence. Elle s’interdit de réfléchir à l’origine de son malheur. Elle respirait tranquille, profitant de l’instant présent. Elle savait que le discours de l’autre la décérébrait peu à peu, mais elle récupérait dans l’apnée verbale. Le silence se prolongeait. Elle en fut d’abord tout autant soulagée qu’étonnée, puis elle découvrit qu’il boudait. Il s’était aperçu de quelque chose. Sans doute pas des boules quies, mais de l’absence totale de ponctuations pour acquiescer ou relancer l’entretien. Elle essaya de réagir. Pourquoi n’arrivait-elle pas à partir ? Curieusement parce qu’elle l’aimait et qu’il l’aimait. Elle recommençait à réfléchir. Une impression de bonheur furtif l’effleura, mais le plaisir de la récré était un peu gâché par la fâcherie. Elle sentait cependant le couvercle qui pesait sur son esprit s’alléger. Elle laissa le mutisme s’installer. Ils avançaient côte à côte et de l’extérieur on aurait pu croire leur promenade complice.
Ils marchaient maintenant depuis plus d’une heure dans un silence épais. Aucune expression n’éclairait leurs visages. Elle avait rangé les bouchons dans sa poche, prête à les reprendre en cas de danger, mais elle savait déjà qu’elle n’en aurait pas besoin de sitôt. La crise s’annonçait en gros nuages lourds et crèverait l’abcès, provoquant peut-être la rupture. Elle ne savait pas si elle souffrirait. Elle ne savait pas ce qu’il pensait.
Il était outré, bouffi d’orgueil blessé. Des femmes, il en avait connu beaucoup, qu’il avait toutes passionnées. Pourquoi lui semblait-il voir parfois sur le visage de celle-ci l’ombre vague d’une expression d’ennui ? Quand il pensait qu’elle n’avait pas compris, il recommençait patiemment son explication détaillée. Et plus il expliquait, plus elle prenait l’air buté des mauvais élèves, sauf aujourd’hui, il ne savait pas pourquoi. Un mur semblait s’être élevé entre eux. Elle ne s’était même pas aperçue qu’il s’était arrêté en pleine phrase, en plein mot. Depuis qu’il se taisait, elle avait l’air lointaine, plus aérienne, presque plus grande. Il se souvint brusquement qu’elle lui parlait parfois de vie intérieure qu’il écrasait quand il lui donnait trop de souvenirs ou d’instructions en pâture. Que voulait-elle dire par là ? Pouvait-elle être pleine d’autres choses que de ce qu’il lui déversait méthodiquement ? Le doute commençait à poindre en lui. De quoi cette enveloppe femelle était-elle gorgée pour déborder dès qu’il parlait ? Quel intrus la remplissait ? Elle en devenait presque intéressante malgré le manque d’attention qu’elle lui manifestait. Il décida de reporter la rupture, n’osant s’avouer qu’il aimait cette femme qu’il ne comprenait pas. Il marmonna quelques mots inintelligibles pour se donner une contenance et continua d’avancer la tête haute.
Elle réfléchissait maintenant tout à fait bien, repensait à l’homme qu’elle avait rencontré et voyait ce qu’il était devenu. Tandis qu’ils avançaient sans but, elle tenta de trouver la faille qui avait fait de cet homme intelligent un épouvantable assommoir. Il prononça quelques paroles. Elle n’essaya même pas d’en découvrir le sens. La voix était belle et grave, bien timbrée, mais elle ne voulait plus le devenir à force de la subir. Était-il trop prof et elle pas assez élève ? Devait-elle être élève et lui prof ? Savait-il qu’il la détruisait ? Le détruisait-elle par son silence ? Leur couple de vie devenait-il couple de mort au cours des cours ? Pouvait-il être autre chose que prof ? Elle ne voulait plus être l’élève. Elle haussa légèrement les épaules et s’enferma dans son mutisme. Il trouverait sans doute une solution pour raccrocher le fil. En tout cas, il y aurait une suite. Peut-être la tuerait-il de dépit. Peut-être s’étiolerait-il comme une étoile qui meurt de ne plus émettre de lumière. Elle le regarda, légèrement inquiète, de biais. Sur le visage de l’homme, la surprise et la mauvaise humeur alternaient. La bouche ne demandait qu’à s’ouvrir sur un flot de reproches. Elle se jugea suffisamment éclairée.
Leur dispute silencieuse dura plusieurs jours. Personne ne parlait et personne ne partait. Elle avait pris l’habitude, pour échapper à la sensation de malaise grandissant que provoquait ce face-à-face anonyme, de se coucher très tôt et de se lever très tard, une fois l’après-midi commencée. Un jour, cependant, elle fut chassée du lit vers onze heures du matin par un besoin bien naturel. Dans la maison régnait une étrange lueur glacée. L’hiver approchait sans doute, mais elle fut surprise par le givre qui se déposait déjà sur la glace de la salle de bain. Elle courut, dès que ce fut possible, se réfugier sous la couette. Le fait d’être en froid jouait-il sur la température de la maison ? Le lendemain, aux alentours de minuit, elle tournait et retournait dans son lit à la recherche du sommeil. Elle envisageait de se lever pour se dérouiller les jambes et se fatiguer un peu, mais eut peur de geler encore dans les couloirs. De son bras tendu, elle ouvrit la porte de la chambre pour tâter l’atmosphère. Une étrange chaleur régnait et la sueur se mit à couler de son corps sur les draps encore secs. La réconciliation était-elle proche ? Elle se leva doucement et se dirigea vers le salon où il avait élu résidence. La porte était fermée, mais une fabuleuse lueur se faufilait à travers les interstices. Elle mit la main devant la lumière. C’était chaud. D’abord agréable puis bientôt trop chaud. Elle restait sans comprendre, eut envie d’entrer pour voir, puis craignit d’en voir trop. Elle admira l’autruche savante devant les problèmes difficiles à résoudre et décida d’en faire autant. Retournant au lit, elle ferma bien la porte pour retrouver un climat supportable et s’endormit sur un matelas de points d’interrogation.
Elle sortit de sa chambre vers quatorze heures. La température était normale dans le couloir. Elle se dirigea vers le salon. L’homme était assis à sa table de travail et ne lui lança qu’un vague regard maussade. Elle en eut brusquement marre des glaçures du matin, des brûlures du soir, et de la trop tiédeur de l’après-midi. En même temps, la curiosité la dévorait. Auprès de qui vivait-elle donc depuis des mois ? Elle aurait aimé bavarder, mais redoutait une dispute ou, pire encore, une réconciliation avec retour à l’identique. Elle décida d’explorer patiemment le terrain.
Elle réalisa bientôt qu’elle ne l’avait jamais vu à midi ou à minuit. Le matin au réveil, il était agréable. Comme elle s’était elle-même reposée, le verbiage l’amusait d’abord avant de la saouler rapidement. Elle fuyait dès que possible sous un prétexte quelconque pour échapper au tête-à-tête de midi à table. Elle le retrouvait le soir au dîner qui pouvait être heureux. Il racontait sa journée avec moult détails. Elle sombrait dans l’abrutissement vers 22 h 30.
Elle réfléchit calmement, calée contre les coussins de sa chambre. Valait-il le coup de vivre 24 h réveillée près de lui pour éclaircir le mystère ? Sûrement pas. Elle ne connaissait que trop les épisodes phraseurs. Seules l’intéressaient les phases de lumière qui semblaient tout aussi brèves qu’alternatives. Et brusquement, elle comprit. Il fonctionnait comme une étoile à neutrons : brillant aux deux pôles, c’est à dire à midi-minuit, sombre le reste du temps.
Elle regarda sa montre : 15 h… Elle était désormais impatiente de voir minuit près de lui, mais ne voulait pas risquer le discours monolithique et devint fin stratège. Il lui fallait 9 heures de patience pour mériter ce moment qu’elle supposait éblouissant. Elle revint vers le salon, entra comme si aucun conflit ne les avait jamais séparés, prit un livre dans la bibliothèque et s’installa sur le canapé. Son visage n’était ni boudeur ni réconciliateur. Il était neutre comme celui de quelqu’un seul dans une pièce. Les attentions qu’elle avait pour lui se remarquaient toutefois. Quand elle fut lasse de tenir son livre sans le lire, elle le replaça sur l’étagère. Ses déplacements étaient discrets. Elle marchait sans bruit, saisissait ou reposait les objets avec douceur. Puis elle mit un disque qu’ils aimaient. Elle l’écoutait en sourdine, juste assez pour partager, pas trop fort pour ne pas le violer. Enfin, elle sentit à la souplesse de l’air fondre la raideur de l’homme. Elle attendit encore un peu puis se tourna vers lui. Elle était si radieuse qu’il en oublia sa rancune. Il sourit et se remit à parler. Elle l’écouta quelques instants pour le plaisir de la voix retrouvée, mais sentit bientôt la chape de plomb écraser sa pensée. Elle se boucha soigneusement les oreilles. Elle se réservait pour le festival de la nuit.
Tandis qu’il bavardait, un peu de salive sèche s’accumulait aux commissures de sa bouche. Femme attentive, elle essuya d’un doigt l’écume puis tira doucement vers elle le fil de mousse. Elle eut peur d’entraîner avec lui une parole ou deux, qui la poursuivrait toute la journée, mais il n’en fut rien. Le discours se libérait dans le vide. D’un signe de tête, elle entraîna son compagnon vers l’extérieur car elle savait qu’ils avaient besoin d’espace. Il la suivit mots disant. Le fil de mousse épaississait. Elle put enfin le diviser en trois liens flexibles qu’elle se mit à tresser, puis elle s’assit sur le méridien silencieux qui guiderait sa journée. Elle redevenait heureuse. Elle déboucha ses oreilles et reçut avec bonheur les bruits du monde extérieur : les rires dans la foule, le vent dans les arbres. Sa voix à lui était lointaine, les mots inaudibles. Seul persistait le timbre grave et la femme se laissa bercer par ce chant. Il parlait droit devant lui. Elle comprit que les phrases se dirigeaient vers le pôle, faisant d’elles-mêmes une trame solide qui reliait les deux points de lumière. C’était l’axe de l’ellipse. Elle regarda l’heure à sa montre : bientôt 6 heures du soir. Elle avait bien travaillé. Le méridien était solide. Il lui fallait maintenant incurver doucement le fil pour rejoindre minuit en pente douce.