L’espoir d’une vengeance - Geofrey Renaud - E-Book

L’espoir d’une vengeance E-Book

Geofrey Renaud

0,0

Beschreibung

Rugnir, gouverneur de la station spatiale Vigrid, est un redoutable tyran. Vali et Sifara, frère et sœur, oppressés par la dictature de ce dernier, s’enfuient sur Terre. Ils trouvent refuge à Idavoll et peaufinent alors leur vengeance : tuer le responsable de la mort de leurs parents et empêcher l’invasion de leur refuge par l’armée de Vigrid. Parviendront-ils à vaincre cet ennemi infernal ? Quel est le prix à payer pour libérer l’humanité de cette tyrannie ?


A PROPOS DE L'AUTEUR
Geofrey Renaud a fait des études de lettres modernes à l'université de Caen. Avec L'espoir d'une vengeance, il nous plonge dans ses mondes où règnent le chaos et la destruction imminente de l'humanité.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 325

Veröffentlichungsjahr: 2022

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Geofrey Renaud

L’espoir d’une vengeance

Roman

© Lys Bleu Éditions – Geofrey Renaud

ISBN : 979-10-377-5641-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Première partie

Le retour sur Terre

Car où dois-je aller ? Et d’après quoi me

dirigerai-je ? Quelle doit être ma quête ?

Frodo Sacquet

Chapitre 1

Vali, 3050 : La station Vigrid

Vali repoussa la mèche brune qui le gênait et demanda au vieillard de répéter. Il n’en revenait pas : le vieux lui assura une nouvelle fois qu’une résistance s’opposant à Rugnir existait bel et bien. L’opportunité de quitter les lieux se présenterait peut-être enfin à eux. Vali songea à sa vie de bagnard et plaça ses espoirs dans les paroles du vieil homme. Près de lui, sa sœur Sifara avait des étoiles plein les yeux. Les deux jeunes pensaient rêver. L’année 3050 avait été particulièrement pénible pour les détenus de la Station. La Station, c’était une sorte d’immense plate-forme spatiale, une arche de Noé du futur appelée Vigrid. Mille personnes, précisément, y vivaient. La société présente sur Terre le siècle dernier, son organisation, ses institutions et ses règles, y avaient été reconstituées. Rugnir était le gouverneur de la Station. Tous le trouvaient froid, narcissique et autoritaire. Ce dernier critère lui assurait sa place de chef suprême au sein du Conseil. Il faisait fonctionner la communauté de la Station à sa manière, avec ses méthodes drastiques et personne n’y trouvait rien à redire. Les fortes têtes et les feux follets se retrouvaient emprisonnés, sinon exécutés. Les prisonniers de la Station sortaient uniquement de leur cellule pour exécuter les corvées ingrates que le système leur infligeait. Vali et Sifara en faisaient partie. Cela faisait respectivement vingt-cinq et vingt-deux ans qu’ils habitaient la Station et leur horizon se limitait aux barreaux de leur cellule. Vali avait toujours essayé de se satisfaire de son sort. Il était encore en vie, contrairement à ses parents. Il n’était pas non plus sur Terre. Vivre sur Terre en 3050 devait être épouvantable. Vali s’était fait ses idées sur la chose à partir des histoires que sa mère lui racontait lorsqu’il était petit. La Terre donc, pour lui, enfant né sur la Station, était un mythe, et ce qu’on racontait à son sujet, des légendes. Cependant, il était sûr d’une chose : en 3002, une catastrophe nucléaire avait tué la Terre, empoisonné l’atmosphère et ses habitants. Les survivants de la Station pouvaient donc s’estimer heureux d’avoir échappé à la fournaise. Mais Vali s’était toujours senti entravé dans sa prison de métal ; la Station et ses lois l’étouffaient.

— Nous n’avons que peu de temps, continua le vieillard en fixant Vali de ses yeux verts. Demain matin, le Conseil des Quatre dont je fais partie va envoyer une navette de reconnaissance sur Terre. Officiellement, le taux de radiation dans l’air a suffisamment chuté pour nous permettre de rejoindre la base terrestre d’Idavoll. Nos soldats iront en reconnaissance, mais je crains que Rugnir ait quelque sombre projet pour la Terre. C’est pour cela que nous devons envoyer des membres de la Résistance surveiller ces soldats de la Station. Nous pouvons mettre cinq personnes dans la soute de la navette.

Vali écoutait le vieillard tout en jetant des coups d’œil aux deux hommes qui se trouvaient à côté de lui. Ils avaient l’air anxieux : ils jouaient gros sur ce coup-là et si la Garde les surprenait ici à une heure si tardive, ils seraient accusés de conspiration contre la Station avant d’être exécutés.

— J’ai connu vos parents, Od et Freyja, poursuivit le vieillard. Je les ai aimés et admirés. Leur implication dans la résistance nous a permis de découvrir ce que complotait Rugnir. Je vous ai longtemps observés et j’ai hésité à venir vous trouver. Mais je ne pense pas m’être trompé en vous proposant de nous rejoindre. Personne ne devrait grandir dans une prison. La Terre, aussi dévastée soit-elle, vous offrira la liberté dont la Station vous a toujours privés.
— Mais, on est sûr de pouvoir y vivre ? demanda Vali. Je veux dire, l’air y est vraiment respirable ?
— C’est ce qu’on espère, répondit le vieil homme en réprimant une quinte de toux. Le gouverneur de la Forteresse d’Idavoll nous a donné son feu vert. L’atmosphère est bien moins irradiée depuis quelques mois. La navette devrait atterrir non loin de cette ville, dans les montagnes. Mais les radiations ne sont pas le seul danger sur Terre. Buri, celui qui vous guidera demain et tout au long de votre voyage, connaît plus en détail les surprises que la Terre vous réserve.

Vali hochait la tête, attendant la suite avec impatience mais un des résistants guettant le couloir agita ses bras. La conversation fut abrégée.

— N’oubliez pas que les soldats de la Garde seront eux aussi sur Terre, chuchota le vieillard. Soyez toujours d’une extrême prudence.

Puis, il donna rapidement un papier plié à Vali avant de se relever. Les résistants se séparèrent et disparurent dans l’obscurité des couloirs. Vali et Sifara s’éloignèrent à leur tour du bruit des bottes de la Garde. Ils regagnèrent leur cellule. Là, leurs geôliers les fustigèrent à propos de leur retard avant de les remettre en cage. Des insultes fusèrent, traitant le frère et la sœur comme de vulgaires animaux. Les prisonniers ne répondirent rien, comme toujours, préférant une rapide humiliation verbale à une longue correction corporelle. La lourde porte de métal blanc percée d’une ridicule fenêtre à barreaux se referma derrière eux. Les yeux inquisiteurs d’un des gardes les scrutèrent avec mépris quelques secondes avant de s’en aller.

Alors que Sifara s’asseyait sur le bord de sa couchette, Vali se tenait debout, dos à la porte, et balaya la pièce du regard. Sur la gauche, un matelas défoncé qui torturait son dos depuis des années. À côté, une armoire de métal contenait ses quelques vêtements et effets personnels. Puis, un lavabo qui avait connu des jours meilleurs sur lequel étaient posées deux brosses à dents. Sur le côté droit, tout était semblable, hormis le lavabo, qui était remplacé par des toilettes sans intimité. Au centre, entre les deux lits, une table de chevet, elle aussi en métal, contenait quelques livres, vestiges de la civilisation terrestre, lus et relus par les deux occupants de la cellule. Juste au-dessus, et c’est là que les yeux noisette du garçon s’arrêtèrent, il y avait un large hublot donnant sur l’espace et son infini. Les étoiles chatoyaient dans l’éternelle nuit. Vali aspirait à la liberté. Il repoussa ses cheveux bruns qui tombaient sur son visage et continua à admirer les lumières quelques instants. Finalement, sa sœur se releva pour faire quelques pas dans leur minuscule espace.

— T’en penses quoi, toi ? demanda-t-elle à son frère. Le vieux Bragi, on peut lui faire confiance ?

Vali cessa de rêver et tourna la tête vers Sifara.

— C’est l’un des quatre membres du Conseil, répondit-il. C’est un dirigeant, de ceux qui nous oppressent, mais contrairement aux autres, Bragi a toujours été juste. Le mois dernier, quand je nettoyais la salle des machines avec d’autres détenus, un prisonnier a endommagé un appareil. Le garde qui nous surveillait a vu la maladresse de notre compagnon et l’a battu pour ça. Il l’aurait sûrement tué si Bragi n’était pas intervenu en entendant les cris du malheureux. Il a arrêté le garde, aidé le détenu à se relever, avant de déclarer que ce n’était rien, que la machine pouvait être réparée. Et de fait, elle l’a été. Mais Bragi n’a pas fait que ça. Il a obligé le garde à s’excuser !
— C’est vrai, se rappela Sifara, tu m’avais raconté. Le garde a été tellement blessé que ses excuses lui ont arraché une larme de rage.
— Ouais, et ça nous a permis de voir qu’ils n’étaient pas tous des salauds, là-haut, continua Vali. En tout cas, Bragi est quelqu’un de bien. Avant de prendre notre décision, il faut lire sa lettre.

Sifara acquiesça et s’installa sur sa couchette. Vali sortit le papier de sa poche avant de rejoindre sa sœur. Là, sur le lit, il lut à voix haute les lignes suivantes :

« Le 29 septembre 3050, à bord de la station Vigrid, pour Vali et Sifara.

Je ne savais si mes rapides explications allaient suffire à vous convaincre, alors j’ai préparé en amont un papier attestant de la sincérité de notre engagement. La résistance est réelle. Si vous n’en aviez jamais entendu parler, c’est qu’elle réussit au moins en un point : rester secrète. Nous ne sommes pas très nombreux, quelques dizaines seulement. Nos membres sont choisis avec examen. J’avoue vous avoir en quelque sorte pistonnés, souhaitant vous avoir avec moi. Od et Freyja ont aidé la résistance au prix de leur vie. Je ne peux m’attarder sur cet épisode qui n’a pas encore lieu de vous être raconté. Sachez simplement que je leur suis redevable et qu’en cela je promets de tout faire pour vous et je tiens déjà à vous faire sortir de cette prison.

Vous vous demandez certainement ce que j’ai à y gagner. Je n’agis pas uniquement par devoir envers vos parents (je ne serais qu’un hypocrite en prétendant le contraire). Si vous quittez votre cellule, et plus largement la Station, vous pourrez être utiles à la résistance. Comme je vous l’ai dit, nous sommes peu et avec l’expédition qui se prépare, nous aurons besoin de nouveaux bras. Si vous souhaitez vous lancer dans l’aventure, lisez la suite, sinon, rien ne sert de vous fatiguer les yeux et vous pouvez retourner à vos occupations, quelles qu’elles soient.

Si nous pouvons compter sur vous, il faut que vous soyez informés de bien des choses. La Station a tendance à étouffer les faits, à enfouir les dires et de manière générale, à garder le silence, si bien que nos citoyens ne sont au courant de rien, ou presque. Je ne parle même pas des détenus qui sont totalement mis à l’écart. Voilà quelques points qui méritent donc d’être éclaircis : Rugnir a toujours gardé contact avec la Terre, ou plutôt ce qu’il en reste, c’est-à-dire la Forteresse d’Idavoll. Cette immense ville bâtie dans de hautes montagnes est dirigée par Hodère. Ce scientifique a sauvé les hommes des radiations. Lors de la grande catastrophe, il a trouvé un médicament qui immunisait les receveurs contre la radioactivité. Il en fit fabriquer un grand nombre et, loin des explosions nucléaires, à l’abri dans les montagnes, dans une base militaire, des milliers de personnes furent sauvées. La base fut agrandie au cours des décennies et Idavoll devint un vaste fort.

Hodère fit fortifier sa ville car, sur Terre, tout n’avait pas été oblitéré, non. Les hommes, les bêtes et les plantes avaient muté. Autour d’Idavoll, les dangers crûrent. J’ignore la nature de ces menaces, mais les hommes alentour n’étaient pas tous morts. Les survivants, accablés par les radiations, trouvèrent la Forteresse d’Idavoll. Jaloux et hostiles, ils entamèrent une discussion avec Hodère, réclamant le fameux antidote. Malheureusement, il n’y avait plus de quoi en fabriquer et il était trop tard pour eux. Un jour, le chef des survivants revint à Idavoll accompagné de quelques guerriers. Hodère les décrit comme primitifs, sauvages. Les radiations n’avaient pas uniquement altéré leur physique (plus grands que la moyenne, pâles, brûlés, monstrueux) : leur cerveau avait été très endommagé. Ils n’ont aujourd’hui encore qu’une intelligence réduite, et lors d’une nouvelle négociation, le chef de ces clans barbares se montra si agressif que les gardes de Hodère durent l’abattre. Les autres furent désarmés de leurs haches et bâtons puis Hodère les renvoya dans la forêt, à l’extérieur de la ville. Ce fut sûrement l’une des décisions les moins sages qu’il eût prises car les sauvages retournèrent auprès des leurs, annonçant l’assassinat de leur chef. La nouvelle se répandit dans les villages et bientôt, le continent entier en voulait à Idavoll. Les survivants enviaient ces gens qui avaient été privilégiés. Une guerre commença alors et depuis, les sorties à l’extérieur des murs d’Idavoll sont rares et périlleuses. Plus de vingt ans après la mort du chef barbare en 3029, les sauvages haïssent toujours autant Idavoll et ses habitants.

Hodère prévint Rugnir de cette menace mais notre gouverneur refusa de l’aider. De toute manière, nous aurions eu du mal à le faire. Quoiqu’il en soit, Hodère est revenu vers nous depuis peu, affirmant que les radiations commençaient à disparaître. Du moins, elles ne doivent plus nous être mortelles. Il demande l’assistance de la Station contre les barbares. Rugnir a donc décidé d’envoyer des soldats en reconnaissance. Mais je connais Rugnir, et si vous en saviez autant que moi à son sujet (et cela je le tiens de vos parents), vous vous méfieriez. Rugnir est un homme de convoitise. Il est orgueilleux et prétentieux. Hodère est un grand homme qui pourrait lui faire de l’ombre. Je crains que Rugnir ne voie en lui un rival. Une fois sur Terre, méfiez-vous des barbares et de votre environnement, mais songez surtout aux soldats de la Station.

Pour rejoindre la navette demain matin, après votre petit déjeuner, vous serez amenés vers le hangar de lancement. L’homme qui vous y amènera est l’un des nôtres. Il vous fera monter dans la navette, vous cachera dans la soute et alors vous n’aurez plus qu’à attendre le grand départ. »

C’était signé « B ». Vali posa le papier sur la table de chevet. La lettre l’avait bouleversé. La liberté s’offrait à lui, pour de vrai ! Avant la lecture du message, il était déjà convaincu que le vieillard disait la vérité et aurait rejoint sans tarder la résistance, mais maintenant qu’il savait que la Terre était à nouveau habitable, il lui tardait de quitter la Station pour retourner « en bas ».

— Pour moi, il n’y a plus de questions à se poser, dit-il à sa sœur. Bragi est notre seul espoir d’une vie meilleure. La Station nous tue à petit feu. Nous sommes enfermés au nom de Rugnir et de ses lois. On travaille et on souffre pour lui, sans jamais le voir ! Notre punition dépasse de beaucoup nos méfaits. L’enferment à vie pour quelques vols, c’est là la décision d’un mauvais homme !
— Je suis d’accord avec toi, répondit Sifara. Rugnir est une charogne. Je n’en peux plus de cette vie. Quand je pense à la Terre, à ses vastes plaines, à ses grandes étendues, à ses immenses paysages, j’ai envie de sauter, de courir, de respirer à plein poumon. Ici, c’est impossible. Si je saute, ma tête cogne le plafond et je n’ai que quelques mètres pour bouger. On porte le poids de nos chaînes depuis trop longtemps, Vali.
— Tu pourras faire tout ça quand on sera en bas, la rassura son frère. Nous suivrons les conseils de Bragi et partirons demain matin.

Le jeune homme se leva pour rejoindre son lit mais sa sœur le retint par le poignet et le serra fort. Vali la serra à son tour avec amour. Sifara ne put retenir ses larmes, des larmes de bonheur, avant de s’allonger dans son lit. Vali la regarda affectueusement. Sa sœur était une belle femme. Elle était presque aussi grande que lui. Les traits de son visage étaient fins. Ses yeux bleus étaient encadrés par de longs cils et ses cheveux, d’un blond presque platine, ajoutaient à sa grâce naturelle bien qu’ils n’étaient jamais véritablement coiffés, toujours attachés à la hâte.

— Tu ressembles de plus en plus à maman, tu sais, fit Vali.
— Non, je ne sais pas, répondit sa sœur.

Sifara était encore très jeune lorsque Freyja avait été exécutée. Elle n’avait que peu de souvenirs de sa mère.

— Excuse-moi, dit Vali. Je voulais dire que tu lui ressembles, que tu es aussi belle qu’elle l’était.

Sa sœur lui adressa un sourire amer avant de se tourner vers le hublot. Vali s’installa sur sa couchette et plongea ses yeux marron dans l’espace noir. Finalement, beaucoup de questions trottaient dans sa tête. Pour prendre sa décision, il lui suffisait de dormir et d’attendre le lendemain matin. La nuit lui porterait conseil. Sifara finit par éteindre la faible lumière de leur geôle. Vali ferma alors les yeux. C’était la dernière fois qu’il s’endormait dans cette cellule. Cette nuit-là, il fit de nombreux rêves et cauchemars. Son esprit agité ne put se reposer. Mais la voie onirique était la seule qu’il avait pour s’évader de prison, alors bons comme mauvais, il aimait les rêves.

À six heures trente du matin, lorsque le garde frappa violemment sur la porte pour réveiller Vali et Sifara, le jeune homme se dit qu’il n’aurait bientôt plus besoin des rêves pour se sentir libre. Sans même avoir eu l’impression de bouger, il était déjà debout. Il fit une rapide toilette avant d’enfiler ses vêtements de prisonniers, gris et usés. Il s’accorda ensuite quelques secondes d’oisiveté, observant le soleil qui se levait dans l’espace, derrière la Terre. À peine sa sœur avait-elle fini de se vêtir qu’un garde entra dans la cellule pour les mettre dehors.

— Petit déjeuner et ensuite ce sont les sanitaires pour vous, aujourd’hui, leur annonça-t-il.

Poussés à l’extérieur, Vali et Sifara gardèrent le silence. Dociles, ils se rendirent au réfectoire pour avaler un bien maigre repas. Vali ne regretterait pas ce décor austère, gris et silencieux. Il était sept heures du matin, l’heure à laquelle les prisonniers déjeunaient. Malgré les dizaines de personnes présentes dans la grande salle, le calme régnait. Les gardiens ne toléraient au mieux que quelques chuchotements. Empêcher la communication c’était empêcher un soulèvement contre le gouverneur. Mais Vali se moquait bien de tout cela désormais. Il échangea quelques regards de politesse avec les autres détenus, des visages fatigués qu’il voyait tous les matins, avant de sortir du réfectoire avec Sifara. Mais à la porte, un garde les attendait. Vali pensa qu’il s’agissait du résistant. L’homme leur fit un bref signe de la main avant de s’engager dans les couloirs de Vigrid. Le frère et la sœur le suivirent. L’angoisse nouait l’estomac de Vali. Ses jambes semblaient être du coton. Une terrible appréhension l’empêchait de raisonner correctement. Il avançait sans faire attention, sans regarder autour de lui. Ses yeux restaient fixés sur le dos du garde qui marchait à vive allure. Même Sifara ne semblait plus être à ses côtés. Le jeune homme espérait tant avancer vers la liberté. Mais était-ce vraiment le cas ?

— Pressons, ordonna le garde à voix basse.

Quelques minutes plus tard, le trio arriva dans le hangar de lancement, immense salle encombrée de divers vaisseaux. Le lieu était désert. Les voyageurs officiels n’étaient pas encore arrivés. Le garde amena Vali et sa sœur dans une salle vitrée à l’arrière d’une grande navette noir et blanc. Il tapa trois coups contre l’acier et une porte s’ouvrit. Un visage caché par l’obscurité les pressa d’entrer. Vali ne voyait même pas s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme. Le garde leur souhaita bonne chance, fit entrer les deux jeunes détenus dans la sombre soute de la navette avant de refermer la porte. L’obscurité envahit totalement la pièce. Vali ne savait si elle était grande ou petite. Combien de personnes y avait-il ici ? Dans combien de temps partiraient-ils ? Soudain, la même voix commanda aux voyageurs clandestins de s’asseoir. Vali put cette fois-ci deviner qu’il s’agissait d’un homme.

— Sur votre gauche, il y a un banc, continua l’homme.

Vali et Sifara s’exécutèrent.

— C’est vous, Buri ? demanda le jeune homme dans la nuit.
— Nous parlerons plus tard, répondit l’homme. Pour l’instant, ne faites aucun bruit.

Le silence régna alors pendant un bon quart d’heure avant que des voix à l’extérieur de la navette ne raisonnent dans le hangar. Vali crut reconnaître celle de Bragi mais il n’en était pas sûr. Un bruit sourd claqua dans le hangar et la navette trembla : la porte était ouverte. Des dizaines de bottes ferrées s’avancèrent sur le métal, faisant ainsi vibrer la soute qui se trouvait juste en dessous d’elles. Les échanges oraux continuaient. Quelques coups résonnèrent au plafond. Vali imagina que les soldats apportaient de lourdes caisses d’armes et de nourritures pour le voyage. Un énième « boum » se fit entendre, une ultime voix lança un « bon voyage » puis la porte de la navette fut refermée. Ensuite, on ouvrit celle de la vaste pièce. Toujours caché dans l’obscurité, Vali songeait à l’espace qui s’offrait devant eux, devant la navette prête au lancement. Les moteurs rugirent soudainement et le vaisseau s’ébranla violemment. Les résistants, mal attachés, se cognèrent brusquement aux parois de métal. Vali frotta sa tête. Il était tombé au sol et ne savait plus où était son banc. Il commença à chuchoter dans la nuit, demandant l’aide de sa sœur. Mais la vue lui revint : une lumière rouge fut allumée et éclairait à présent la soute. C’était un endroit encombré de caisses et de sacs. Le jeune homme aperçut tout d’abord Sifara, assise à sa place. Il se retourna pour découvrir ses compagnons de voyage. Buri, la quarantaine passée, l’homme dont lui avait parlé Bragi, venait d’ouvrir une petite lucarne donnant sur l’espace et ses étoiles. C’était un grand gaillard au crâne rasé. Immédiatement, ses yeux verts plongèrent dans ceux de Vali. À côté du chef de la mission, deux jeunes de l’âge de Vali se tenaient assis. Le premier était un garçon : vêtu d’une combinaison rouge, il avait un visage creusé et déjà marqué par le bagne de Vigrid. Ses courts cheveux noirs étaient sales et son regard bleu était presque transparent. Il tourna la tête vers la fenêtre que venait d’offrir Buri. Le cinquième passager clandestin était une passagère. Vali ne s’attarda pas trop sur la demoiselle : elle avait une trop grosse tête sur un corps trop petit. Elle avait des yeux sans charme, un nez aquilin et sa chevelure à mi-chemin entre le blond et le roux ressemblait à du crin de cheval. Vali avait vu de ces animaux dans les livres. La jeune femme lui adressa un sourire auquel il ne répondit pas.

— Rien de cassé ? demanda Buri qui fixait toujours Vali.
— Non, ça va, répondit le jeune homme en reportant son attention vers le guide.
— Bien, faisons d’abord connaissance, continua l’homme en s’asseyant entre les deux autres résistants. Je t’en prie, Vali.

Il lui fit signe de s’asseoir à son tour. Le jeune homme, se sentant bête de rester seul debout, au centre de la pièce, s’exécuta et retourna auprès de sa sœur.

— Je commence, puisque c’est moi qui serai votre chef lors de cette mission sur Terre, reprit Buri. J’ai l’expérience et surtout les connaissances requises en matière de survie et je sais ce qui nous attend en bas, enfin plus ou moins. En tout cas j’en sais plus que vous. Je suis dans la résistance depuis plus de dix ans, alors autant vous dire que je sais comment ça marche, comment on fonctionne. Écoutez-moi et tout devrait bien se passer. Quand vous vous serez adaptés au climat terrestre, je verrai si vous pourrez bosser en solo et prendre des initiatives. En attendant, je suis aussi là pour répondre à vos questions, mais d’abord, on continue les présentations.

Ce fut la fille qui prit le relais. Tête baissée, elle dit d’une voix très calme, presque inaudible :

— Je m’appelle Mimir, j’ai vingt-trois ans. Je suis dans la résistance depuis quelques mois seulement, mais Rugnir a tué mon frère, et pour m’être plaint de l’injustice dont il a été victime, il m’a jetée en prison. Je le hais, je hais la Station, je hais ce système.

Sa voix s’était durcie. Vali la regarda avec compassion.

— Moi c’est Lodur, enchaîna le jeune homme assis sous la lucarne. Ça fait deux ans que je suis dans la résistance. Pareil, j’aime pas Rugnir et ses sbires. Tous des crevards.

Vali fut déconcerté de voir un être si chétif tenir des propos si tranchés. Il hochait la tête en l’écoutant. À présent, son tour était venu, mais un écran qu’il n’avait pas encore remarqué s’alluma dans un coin de la soute. Vali devina rapidement que le message était destiné aux soldats de Rugnir. Il n’oubliait pas qu’eux aussi attendaient avec fébrilité leur arrivée sur Terre. À l’écran, un visage pâle apparut. On aurait dit un cadavre. Ses longs cheveux coiffés en arrière étaient noirs comme l’espace. Ses yeux étaient aussi sombres. Deux billes noires fixaient les résistants. Vali craignait que ce triste personnage ne pût les voir. Mais il savait que c’était ridicule. Le visage à l’écran s’anima et d’entre ses fines lèvres d’un rouge presque fantastique, sortit une voix rauque mais agréable et posée, presque envoûtante. Vali reconnut Rugnir, le gouverneur de Vigrid. Il adressa quelques mots à ses hommes, mais Vali ne put en saisir le sens. Tout ce qu’il avait compris, c’était que Rugnir avait ourdi un sale plan. Quand la transmission fut coupée, Buri enchaîna sur un ton de confidence :

— Je pense qu’on a bien fait de partir avec eux. L’arrivée de cette navette sur Terre risque de sonner le glas de ses habitants plutôt que de les sauver.

Chapitre 2

Sifara : Funeste rencontre

« Vendredi 30 septembre 3050,

Je suis à bord de la navette qui nous amènera mon frère et moi sur Terre. Trois résistants sont avec nous. Ils ne sont pas désagréables. Lodur, le garçon, il est peut-être un peu étrange. Je n’arrive pas à le cerner. Il parle peu. Je m’entends mieux avec Mimir et je la plains : j’ai perdu mes parents, mais elle a perdu un frère. Je ne sais ce qui est le pire. De toute manière je n’entrerai pas dans ce genre de comparaison stupide et après tout je n’ai même pas eu le temps de les connaître, papa et maman, Od et Freyja, ceux qui auraient dû nous guider avec Vali… quelle que soit la manière dont on les appelle, je les aime et les regrette.

Aujourd’hui, je suis heureuse car j’ai l’impression d’apprendre à les connaître. Je suis dans la résistance, je marche dans leurs traces, fais comme eux et pense qu’ils seraient fiers de nous. Vali ne dit pas grand-chose à propos des parents mais je sais que son cœur est plein de haine pour Rugnir. Plus je grandis, plus nos parents me manquent et plus je le déteste moi aussi, celui qui me les a volés, celui qui m’a volé mon enfance et détruit ma famille.

Hier soir, j’ai dit à Vali que cette navette pour la Terre nous permettrait de démarrer une nouvelle vie, mais surtout de nous venger. Je vais m’arrêter là, il y a des turbulences dans la navette. Les autres s’agitent. »

Une onde de choc fit vibrer les parois métalliques de la navette. Sifara tomba au sol, près de Lodur qui se cramponnait à une barre. Soudain, tout s’ébranla et les occupants de la soute furent projetés contre un mur.

— Nous sommes arrivés dans l’atmosphère, avertit Buri en se relevant. Vite, asseyez-vous !

Chacun reprit alors sa place et se cramponna. Un sifflement désagréable commença à résonner dans la soute. Les secousses empirèrent.

— J’espère qu’ils ont prévu quelque chose pour ralentir notre chute, fit Buri. Ils sont peut-être…

Mais il n’eut pas le temps d’achever sa phrase : le sifflement s’arrêta dans un terrible fracas qui assomma Sifara.

Lorsque celle-ci reprit ses esprits, la première chose qu’elle vit fut un ciel bleu, puis les yeux noisette de son frère qui l’observaient avec inquiétude. Il la secoua, lui demandant de se mettre debout. La jeune femme se redressa et découvrit ce qu’elle n’avait jamais connu : la nature. Ils étaient sur Terre ! Ils venaient d’atterrir dans une forêt. Les arbres étaient immenses. Sifara laissa s’échapper un cri de joie. Le soleil brillait faiblement derrière quelques nuages au-dessus d’un fleuve qui coulait paisiblement non loin d’eux. Sifara détourna son regard du groupe pour regarder l’eau, une eau claire, presque transparente. On voyait le fond malgré la profondeur. Des poissons se faufilaient entre les plantes aquatiques et disparaissaient parmi les rochers. Enfin, Sifara leva la tête au ciel et prit une grande inspiration, appréciant le vent sur sa peau dorée. Puis une main lui attrapa l’épaule.

— On bouge, lui souffla son frère à l’oreille.
— On va où ?
— Il faut qu’on suive les hommes de Rugnir jusqu’à Idavoll, répondit Buri en se retournant.

La petite compagnie avait ramassé tous les sacs de la soute et se tenait prête pour le départ. Il en restait un pour Sifara.

— Ton matériel, ordonna Buri en désignant le sac. Dépêchons.

Il tourna le dos au fleuve et s’enfonça dans la forêt, attaquant du pied une butte de terre et de racines. Lodur et Mimir suivirent rapidement mais Vali attendait sa sœur.

— Tout va bien, petite sœur ?
— Ça va, merci. C’est juste qu’on est sur Terre. C’est extraordinaire ! Vali, on est libres !
— Encore faut-il qu’on le reste et surtout, qu’on reste en vie. Viens, on y va.

Sifara jeta un dernier regard vers le fleuve et rejoignit son frère qui se dirigeait vers des arbres majestueux. Derrière eux, la navette fumait sur la berge rocheuse. Rapidement, la clarté laissa place à l’obscurité. La forêt était sombre et épaisse. Un silence inquiétant y régnait en maître. Naturellement, on se mit à chuchoter puis à ne plus parler du tout. Buri indiqua que les gardes étaient à une vingtaine de mètres devant. C’est ainsi que la discrète poursuite débuta. Mais Sifara prêtait plus attention à l’environnement qu’aux gardes qu’ils suivaient. C’est avec un ravissement ineffable qu’elle regardait, touchait, humait la forêt. Cette nouvelle vie, avec toutes ses possibilités, avec toutes ses promesses, lui plaisait déjà.

— Ils se sont arrêtés, alerta Buri en mettant un genou au sol.

Sifara s’avança à sa hauteur pour voir les gardes avant de se remettre à couvert dans un bosquet.

— Qu’est-ce qu’ils font ? questionna Mimir.
— Tu veux aller leur demander ? répondit Lodur, ironique.

Mimir baissa les yeux et cacha son visage derrière ses cheveux qui glissaient par paquets sur son crâne. Buri se releva pour jeter un rapide coup d’œil.

— Ils ont un problème. Quelque chose les préoccupe. Je ne sais pas ce que…

Sifara n’écoutait plus Buri et se dirigeait silencieusement entre les sombres arbres. Elle entendit son frère l’appeler à mi-voix, sur un air de reproche. Néanmoins, elle ne s’arrêta pas, s’approchant des gardes pour découvrir la raison de cet étrange arrêt. Lorsqu’elle fut assez proche, elle regarda à travers quelques feuilles d’un arbuste. Les soldats de Rugnir tiraient une sale tête. L’un d’eux semblait pressé de partir. Un autre lança :

— On y va ! Pas besoin de savoir ce que c’est, on le devine bien assez.

Sifara aperçut alors devant l’un des soldats un pieu planté dans le sol, orné de crânes et de divers morceaux de tissus. En haut, un crâne plus gros semblait la regarder. Sifara sa baissa.

— T’as raison, on y va, dit l’un des gardes.

Isolée du groupe, Sifara commençait à avoir peur. Finalement, cette forêt n’était pas si accueillante que ça. Elle ferma les yeux mais les ouvrit rapidement en entendant des pas venir vers elle. Les autres venaient la rejoindre. Son frère l’interrogea du regard.

— Ils reprennent la route, dit-elle.

Soudain, un hurlement déchira l’atmosphère et la petite compagnie sursauta. Elle entendit des voix paniquées qui criaient. Elles étaient confuses. Sifara ne comprenait pas et se redressa pour voir ce qu’il se passait. L’un des gardes gisait au sol, une flèche en pleine tête. Les autres s’étaient regroupés près d’un arbre gigantesque et observaient frénétiquement les bois. Une seconde flèche transperça la poitrine d’un autre garde sans que Sifara ait pu voir d’où elle venait. La panique gagna le groupe de Rugnir qui ouvrit le feu de manière aléatoire. Sifara et ses amis plongèrent à couvert derrière de larges troncs. Les détonations agressèrent les oreilles de la jeune femme qui eut du mal à rester calme. Elle essuya la sueur de son front d’un rapide coup de manche en regardant Buri : il était le chef, il devait les guider, leur dire quoi faire !

— Ce sont les barbares, dit-il d’une voix angoissée. Il ne faut pas rester là.
— Mais on ne sait pas où ils sont ! répondit Sifara, paniquée.
— On sait qu’ils sont là, lui dit Vali, alors on fait comme Buri a dit, on bouge. Ça ira ?
— J’ai pas envie de crever, pas déjà ! lâcha Sifara.

D’un regard, la troupe se mit en marche derrière Buri et elle dépassa les soldats sur le côté gauche en tâchant de ne pas se faire repérer. Les détonations cessèrent. Après une seconde de silence, des cris sauvages les remplacèrent et Sifara aperçut des silhouettes humanoïdes bondir entre les arbres pour assaillir les derniers hommes du gouverneur de la Station. Mais elle ne vit pas grand-chose : son frère la pressait.

— Non, attendez ! lança Buri à l’avant. Ils sont partout !

Sifara, comme les autres, vit avec horreur des ombres remuer devant eux dans la forêt. Des barbares venaient à leur rencontre. Les cris du combat derrière eux diminuaient tandis que de nouveaux débutaient au loin. Bientôt, toute la forêt gronda de hurlements gutturaux.

— Par-là, décida Buri en courant sur le sol couvert de racines.

Mais il s’arrêta quelques enjambées plus loin. Sifara voyait les silhouettes qui se rapprochaient d’eux et arrivaient de toute part. Une flèche siffla près de son oreille. Se refusant à avancer davantage, elle se jeta à terre, regrettant presque la station Vigrid. Autour d’elle, ses amis étaient paniqués, désemparés. Personne n’avait songé à ce cas de figure. Personne n’avait imaginé se faire cueillir par les barbares juste après l’atterrissage. Sifara eut envie de vomir. Une grimace déforma son visage. La haine et un sentiment d’injustice enflammèrent son cœur. Toutes ces voix tonnantes, voilà quel serait son dernier instant ? Mais brusquement, les cris cessèrent et un murmure parcourut la forêt. Sifara regarda tout autour d’elle. Les ombres ne bougeaient plus. Le silence se fit.

— Qu’est-ce qui se passe là ? fit Lodur en se dressant sur la pointe des pieds.

Soudain, un épouvantable grognement raisonna dans les bois. Des branches craquèrent. Ce n’était pas un homme, ni même un animal. Sifara imagina un monstre, une terrible créature avide de chair. Un nouveau grognement se fit entendre et les ombres entre les arbres s’agitèrent. Sifara crut discerner quelques mots échangés par les barbares :

— Elivagar créature, Elivagar bête !

Puis un atroce cri de douleur qui venait de derrière effraya Mimir si bien qu’elle bondit en avant et courut à l’aveugle dans la forêt malgré les appels de ses compagnons. Ceux-ci, pétrifiés par la peur et l’incompréhension s’efforcèrent à bouger pour la suivre et ne pas la perdre. Autour d’eux, des hurlements de frayeur et de douleurs retentissaient, comme si toute la forêt souffrait. Sifara crut voir, le temps d’une seconde pendant sa course folle, une créature un peu semblable à ce qu’elle avait vu dans les livres sur Vigrid, un loup ou un ours, elle n’était pas sûre. Mais la chose était plus grosse, plus rapide, plus agressive. La créature balaya une silhouette qui se trouvait sur sa route et bondit dessus. Sifara entendit un craquement puis de brefs gargouillis. Détournant le regard, elle s’enfuit si vite qu’elle rattrapa bientôt Mimir. La peur et la confusion menèrent finalement le groupe loin du danger, loin des soldats de Rugnir, loin des barbares et loin de la bête d’Elivagar. Seuls quelques grondements persistaient au loin dans la sombre forêt. Mimir avait cessé sa course folle et les cinq compagnons s’arrêtèrent dans une clairière. À bout de souffle, ils s’effondrèrent dans l’herbe fraîche. Sifara, en sueur, retira son pull gris et regarda à nouveau en l’air. Le ciel la rassurait. C’était à la fois un espace de liberté et un souvenir qui lui rappelait d’où elle venait : la station Vigrid et sa prison. À présent qu’elle était sous le ciel et non plus au-dessus, elle se sentait plus vivante que jamais. Elle se sentait aussi plus vulnérable que jamais.

Le groupe resta un moment assis dans l’herbe de la clairière, au pied des grands arbres.

— On va par où ? finit par demander Vali en jetant une branche devant lui.
— Ce sont les soldats de Rugnir qui devaient nous amener jusqu’à la Forteresse d’Idavoll, répondit Buri. À présent nous sommes perdus dans ce labyrinthe vert.
— On attend quoi pour en sortir ? lança Lodur en se relevant.

Alors les autres l’imitèrent et, reprenant leurs sacs, ils se mirent en route. Sifara n’avait aucune idée de ce qu’il leur arriverait. Trouveraient-ils la sortie ? Tomberaient-ils sur d’autres barbares ? Les hommes de Rugnir étaient-ils tous morts ? Les rayons du soleil faiblissaient déjà au-dessus de la cime des arbres. À l’ombre, le froid ankylosait les doigts de la jeune femme. La nuit arrivait et qui sait ce qu’elle amènerait avec elle. Les cinq naufragés de Vigrid errèrent de longues heures dans ce que Lodur baptisa « l’enfer vert ». La nuit tomba et Lodur grogna une énième fois.

— Je hais déjà cette maudite planète. On va tous crever dans cet enfer vert.
— Arrête un peu ! répondit Sifara en se mettant devant lui. Ici on est libres au moins. Là-haut, on vivait même pas. Là-haut, Rugnir avait fait de nous des prisonniers sans avenir. On n’était rien. Ici, on peut tout faire.
— Surtout crever, marmonna Lodur en fronçant ses épais sourcils noirs.
— Ça ne tient qu’à toi, ça.

La jeune femme reprit la route derrière son frère et Buri. Mimir trottinait à côté. Quand l’obscurité devint trop épaisse, le froid trop agressif, la compagnie s’empressa de trouver un refuge pour la nuit. Alors qu’ils cherchaient une grotte ou n’importe quel abri de fortune, Sifara aperçut entre les arbres épais une maigre lueur orange, dansant au loin dans la forêt. Après avoir averti ses compagnons, elle prit les devants et se dirigea silencieusement vers cette lumière chaude.

— C’est un feu de camp, chuchota-t-elle.
— On va pas plus loin, ordonna Buri. Combien de personnes autour ?
— Ce sont des barbares ? demanda Mimir d’une voix tremblante.
— Ça n’y ressemble pas, répondit Vali en s’approchant un peu plus.
— Vali, stop ! s’étrangla leur chef en l’attrapant par le bras. On ne sait pas qui sont ces gens.
— Certainement pas des sauvages, dit le jeune homme. Regarde leurs vêtements. Ils ne sont que deux. S’ils nous attaquent, on en viendra à bout. Sinon ils pourront peut-être nous aider à sortir de cette forêt.