L’éternel retour - Tome 1 - Angela P. Kitsune - E-Book

L’éternel retour - Tome 1 E-Book

Angela P. Kitsune

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Beschreibung

Nyx et Théia, deux sœurs aux liens indéfectibles, voient leur existence bouleversée par d’étranges cauchemars et des révélations qui remettent en question leur propre identité. Entre visions troublantes, prédictions ancestrales et pouvoirs occultes, elles devront affronter un héritage maudit qui les dépasse. Tandis que les frontières entre les vivants et les morts s’effritent, leur choix scellera le sort du monde. Cependant peuvent-elles réellement échapper à la fatalité du destin ? Laissez-vous entraîner dans cette fresque mystique où providence, trahison et magie s’entrelacent.

À PROPOS DES AUTRICES

Plongée dans la littérature dès son plus jeune âge, Angela P. Kitsune n’a jamais pu s’en éloigner. Les mots l’ont toujours fascinée, nourrissant un rêve profond : celui de devenir écrivaine. Chaque histoire qu’elle lit alimente son imagination, chaque page tournée la rapproche un peu plus de son propre univers littéraire.

Depuis son enfance, Clhoé B. Gonthier nourrit une passion inébranlable pour la lecture. Chaque ouvrage qu’elle défait est une porte vers un nouvel univers. Son imagination débordante lui souffle sans cesse des histoires qu’elle façonne dans son esprit. Rêveuse insatiable, elle tisse des récits avant même de les écrire, laissant libre cours à sa créativité.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Angela P. Kitsune

&

Clhoé B. Gonthier

L’éternel retour

Tome I

La malédiction

Roman

© Lys Bleu Éditions – Angela P. Kitsune & Clhoé B. Gonthier

ISBN : 979-10-422-6479-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Prologue

Qu’est-ce que le destin ? Une puissance qui écrit un avenir inévitable. Des événements qui arrivent quoi que l’on fasse pour l’éviter, d’autant plus lorsque l’on cherche à l’éviter.

Alors cette nuit aussi noire que les enfers, uniquement illuminée par les flammes qui ne cessaient de grandir autour de nous, mes mains couvertes de sang, la douleur qui brillait dans ses yeux, tout cela constituait notre destinée. Tout nous avait conduits à ce moment inéluctable.

— Je t’en prie arrête ! hurla-t-elle, couchée au sol, tentant péniblement de se relever.

Les yeux plongés dans son regard identique au mien, je ne pus m’empêcher de sourire froidement.

— Regarde autour de toi ! lançai-je en balayant les ruines en flammes et les corps sans vie qui nous entouraient. Il est déjà trop tard. Tu ne peux plus l’arrêter, tu ne peux plus m’arrêter. Le destin s’écrit ce soir, ma sœur.

Les flammes redoublèrent d’intensité comme pour m’approuver. Je me retournais et contemplais un instant la pierre d’un rouge rubis qui flottait dans les airs, entourée d’éclairs du même rouge hypnotisant. J’avançais la main vers elle, sentant déjà toute la puissance de ce joyau. À peine l’avais-je touchée que je ressentis une décharge électrique me parcourir toute entière. Je ne pus retenir un cri de douleur. Ma sœur hurla derrière moi, m’implorant une nouvelle fois de renoncer.

— Rien ne pourra arrêter le destin à présent, lançai-je en me retournant, resserrant mon emprise sur la pierre.

Mon regard croisa soudain celui de ma sœur à seulement quelques centimètres de mon visage. Elle pleurait, fixant ma poitrine où était plantée une dague qu’elle tenait à deux mains. La douleur se répandait dans ma poitrine alors que, secouée d’une quinte de toux, je me mis à cracher du sang. Je sentais mes jambes se dérober sous moi. Elle tenta de me retenir, mais nous finîmes toutes les deux à genoux. Dans ma main droite, la pierre était instable. Les éléments commençaient à s’affoler autour de nous alors que des éclairs rougeoyants ne cessaient de nous frôler, lacérant le sol à chaque impact.

— Tu peux encore t’en aller. Tu peux encore te sauver, soufflai-je sentant mes forces m’abandonner peu à peu.

Ma sœur posa sa main sur la mienne, maintenant la pierre prisonnière entre nous deux. Je vis la douleur ronger son visage. Péniblement, elle se tourna vers moi en souriant, les larmes aux yeux.

— Je ne t’abandonnerai pas, quoi qu’il arrive.

Je fermais les yeux en posant mon front contre le sien alors que la pierre s’emballa dans une explosion qui nous ravagea toutes les deux.

Cela aurait dû être la fin. Mais le destin est cruel. Il ne se satisfait pas aussi aisément. La mort ne nous libérerait pas. Alors, toi qui entends cette prédiction, sois attentif, car…

« Des cendres de la pierre écarlate naîtra une nouvelle ligne de sorcières. Maudites à leur tour, dévorées par leur propre magie, elles connaîtront toutes un sort funeste. Jusqu’au jour où, sous une lune de sang, naîtront enfin deux enfants issues de la mort. L’une portant le sceau de la lumière et l’autre celui des ténèbres. Destinées à l’éternel retour, pour qu’enfin la balance bascule. Brisant à jamais l’équilibre, brisant à jamais la frontière du monde des vivants et des morts. Altérant à jamais la magie elle-même pour qu’il ne reste que le choix du sang. »

Chapitre 1

Nyx

Tout était en ruine et en flammes autour de moi. L’air était étouffant, chaque inspiration me brûlait les poumons. J’étais incapable de bouger, de dire le moindre mot. Je baissais soudain les yeux sur mes mains pour les découvrir couvertes de sang. Un cri retentit, brisant le silence et les flammes semblaient se refermer brusquement sur moi. Je sentis mon corps tout entier dévoré par les flammes. Je hurlais en me relevant en nage, réveillée par une douleur sans nom dans la poitrine. J’écartai les draps furieusement pour m’assurer qu’il n’y avait aucune brûlure sur mon corps et découvris sans surprise, comme chaque matin depuis des mois, que tout ça n’était encore qu’un mauvais rêve. Je fixais mes mains immaculées et tremblantes. Pas de trace de sang non plus. Je pris de profondes inspirations, tentant de me calmer. Je me levais et attrapais un calepin, un crayon et mon paquet de cigarettes avant de passer par la fenêtre, de gravir l’escalier de secours et m’asseoir au bord du toit pour dessiner. J’allumais une cigarette et fermais les yeux pour apprécier les effets apaisants de la nicotine ainsi que l’air frais qui était un vrai soulagement sur ma peau brûlante. La ville paraissait paisiblement endormie au crépuscule, comme pour me narguer. Moi qui n’avais pas fait une véritable nuit de sommeil depuis des semaines. Au début, les cauchemars n’étaient que de simples mauvais rêves erratiques et flous. Mais plus les jours passaient et plus ils devenaient omniprésents et réalistes. Il serait plus exact de parler de cauchemar au singulier puisque c’était toujours la même scène qui se répétait en boucle et elle se terminait toujours dans les flammes et la douleur. Au point que je craignais chaque matin que les flammes soient bien réelles. J’avais lu une quantité incommensurable de livres sur le sujet, et la seule explication plausible que j’avais trouvée était la thèse des terreurs nocturnes. Mais ce qu’ils ne disent pas dans leurs stupides livres, c’est qu’on a l’impression de mourir à chaque fois.

Je fixais un instant le dessin que je venais de faire, perdue dans mes pensées. Il représentait une fille de dos dans des ruines en flammes, elle scrutait ses mains. Mais il manquait quelque chose, comme si elle tenait un objet, mais j’ignorais de quoi il s’agissait. Pourtant, dans mon rêve, mes mains étaient vides, juste couvertes de sang. Mais je savais au plus profond de moi qu’il manquait quelque chose à ce dessin.

— Tu es vraiment très douée, souffla une voix à mon oreille.

Je sursautais en manquant de peu de tomber dans le vide.

— Vraiment désolé. Je ne voulais pas te faire peur.

Je lançais un regard noir à l’intrus.

— Salut Peter, le saluai-je en me levant, cachant mal mon irritation.

Ne laisse rien paraître, n’oublie pas que tu squattes un matelas dans son atelier. Montre-toi avenante et laisse-le croire qu’il a ses chances, histoire qu’il ne te vire pas comme une malpropre.

— Qu’est-ce que tu fais là ? l’interrogeai-je bien que je connusse la réponse.

— Je voulais juste m’assurer que tout aille bien pour toi et j’ai aussi apporté le petit-déjeuner, dit-il en brandissant un paquet de viennoiseries.

Mais il était clair au regard qu’il posait sur moi que la seule gâterie qui lui ferait plaisir, c’était moi. En suivant son regard, je compris pourquoi. Je ne dormais qu’avec une brassière de sport noir et un short évasé gris. J’imagine qu’il pouvait bien se rincer l’œil s’il me permettait de vivre ici gratuitement.

— Il est quelle heure ? demandai-je en éteignant ma cigarette et en le suivant pour redescendre du toit.

— 8 h 30.

— Quoi ?!

Je le dépassais, j’arrivais dans le débarras qui me servait de chambre, j’attrapais des affaires au hasard et m’élançais dans la salle de bain. J’avais dû prendre la douche la plus rapide du monde, car quand j’étais ressortie habillée de la salle de bain, Peter était toujours planté au beau milieu de la pièce, l’air bête.

— Tu es en retard pour quelque chose ?

— J’ai un cours ce matin, lançai-je en courant chercher mes affaires.

— Je peux t’emmener si tu veux.

J’eus un moment d’agacement en voyant sa bouille de labrador. Il était trop gentil, tout à fait le genre de ma sœur. À la seule exception, qu’il pensait vraiment que jouer le gentil petit ami docile et serviable, allait le mener tout droit dans mon lit. Le pauvre n’avait aucune chance. J’attrapais mes clés et les secouais devant lui comme pour souligner l’absurdité de la situation.

— Ça va aller, je me débrouillerai.

Je ne lui laissais pas le temps de sortir une autre ineptie et dévalais les marches quatre à quatre avant d’enfourcher ma moto.

— Attends ! lança-t-il alors que j’enfilais mon casque. Je me disais qu’on pourrait sortir tous les deux ce soir. Je connais un resto très sympa, je suis sûr que tu vas adorer.

C’était officiel, j’avais envie de le frapper sur le museau avec un journal pour qu’il comprenne enfin que je n’étais pas intéressée par les mecs bien sous tous rapports.

— Désolée, mais ce soir ça ne va pas être possible, c’est l’anniversaire de ma sœur.

Sur ces mots, j’enfilais mon casque et démarrais en trombe.

— Quelle chance ! Mademoiselle Khal nous fait l’honneur de sa présence.

Tous les élèves de la classe se tournèrent comme un seul homme vers moi. Dire que j’avais voulu faire une entrée discrète, c’était raté. Je refermais la porte que je tenais encore et me redressais pour me donner plus d’assurance.

— Je suis vraiment désolée, j’ai grillé tous les feux rouges pour être à l’heure, je vous assure, mais j’ai dû m’arrêter pour laisser passer une petite vieille.

Toute la classe s’esclaffa de rire alors que le professeur me fusillait du regard en m’ordonnant d’aller m’asseoir. Dire que toute cette histoire était vraie, sans cette vieille, je serais arrivée à l’heure. Je verrai plus tard si cet excès me coûterait mon permis. Je m’installais et me fis la plus invisible qui soit durant les deux heures qui suivirent. Le cours terminé, je rangeais mes affaires quand le professeur Salomon m’interpella.

— Nyx, j’aimerais que tu restes un peu, j’ai à te parler.

C’était certainement la pire phrase au monde. Rien de bien ne s’est jamais passé après un « j’ai à te parler ». Je regardais les élèves partir les uns après les autres en me jetant des regards compatissants. La classe enfin vide, le professeur s’approcha et s’assit en face de moi.

— Tu fais certainement partie de mes meilleurs élèves et je ne dis pas ce genre de choses à la légère.

— Merci.

— Mais ton travail est inconstant tout comme ton assiduité. Tu n’arrêtes pas d’être en retard, et quand tu es là, tu as l’air d’être à deux doigts de t’effondrer. Je me sens forcé de te demander, est-ce que tout va bien dans ta vie ?

Oui, très bien. Ça fait juste des mois que je fais des cauchemars, ne me laissant aucun répit dès que je ferme les yeux. J’ai fui la maison où j’ai grandi avec la peur que qui que ce soit se rende compte de quoi que ce soit, je squatte chez le premier mec venu. Autant dire que je joue à la roulette russe en passant la nuit chez, de quasi, inconnus qui pourraient très bien ne pas être comme ce cher petit toutou docile de Peter. Mais sinon tout va bien. Comme si j’allais dire ça à un professeur.

— J’ai tendance à me laisser déborder, je le reconnais, je suis désolée. Mais je vous promets que je vais me reprendre.

Il n’eut pas du tout l’air de me croire, mais il n’était qu’un prof de fac et j’étais majeur. Il ne pouvait rien faire de plus. Il poussa un profond soupir, signe qu’il laissait tomber. Il jeta un œil à mon calepin que j’avais laissé ouvert au dessin que j’avais fait ce matin.

— Alors, tu n’as toujours pas trouvé ce qui te manque ? m’interrogea-t-il.

Quand les cauchemars avaient commencé, je m’étais mise à les dessiner pour les exorciser. J’en avais montré un à monsieur Salomon, une fois, dans un pur élan artistique et je lui avais aussi parlé du fait que j’avais le sentiment qu’il manquait quelque chose dans mes dessins sans que je sache vraiment comment l’expliquer. Bien entendu, j’avais tu tout ce qui concerne mes cauchemars dérangeants.

— J’y ai réfléchi et j’ai trouvé quelque chose qui pourrait peut-être t’intéresser.

Il se leva et alla récupérer un livre dans son sac avant de me le tendre.

— Est-ce que tu as déjà entendu parler de Nicolas Flamel ?

— Non, ça ne me dit rien.

— On dit qu’il était alchimiste et qu’il aurait créé une substance capable de rendre immortel.

— Y a vraiment des gens qui croient à ça ?

— Plus que tu ne le crois, mais qu’on y croie ou non, le fait est que cette création est représentée par des symboles d’alchimie que j’ai remarqués dans certains de tes dessins.

Je restais bouche bée un instant. Je n’avais pas remarqué de symbole qui se répétait dans mes croquis. J’observais la couverture du livre qu’il venait de me donner. Il n’y avait qu’un simple dessin sur un fond rouge. Un enchevêtrement de figures géométriques. Un cercle contenant un triangle dans lequel il y avait un carré autour d’un cercle.

— Comment est-ce qu’il a appelé sa découverte ?

— La pierre philosophale.

Je sentis une force invisible m’entourer tout à coup, me donnant des frissons dans le dos.

Théia

Driiiiiiing ! driiiiiiing !

Je cherchais mon téléphone à tâtons et finis par éteindre ce fichu bruit de sonnette. Je me roulais en boule sous la couette tout en m’encourageant à me lever… C’est si dur… pourquoi je suis si fatiguée ?! … Quand une merveilleuse pensée surgit dans ma tête, aujourd’hui, c’est mon anniversaire ! Prise d’hystérie passagère due à la célébration de ma venue en ce monde, je sautais du lit et courus me réfugier sous la douche. Tandis que l’eau chaude ruisselait sur mon dos, un flash-back me revint, je me souvins enfin de mon rêve, tout était un peu flou, mais il y avait des ruines, ma sœur était là et… Du sang ?! Je secouais la tête pour essayer de me souvenir des détails, mais rien ne vint… les pensées m’échappaient, des bribes apparaissaient et puis s’estompaient un peu comme un vague souvenir d’une soirée trop arrosée… Non pas que ce soit mon quotidien, à vrai dire, c’est plus la spécialité de Nyx, ce genre de choses, mais j’ai déjà eu 2 expériences de black-out et très peu pour moi… J’aime me souvenir, ou comme dirait ma sœur : « Tu aimes toujours tout contrôler ! » Sur cette pensée, je sortis de la douche et me séchais tout en me contemplant dans le miroir. Mince ! J’ai des cernes sous les yeux ! Espérons que le baume aux vignes de vin fait encore effet. J’essayais tant bien que mal d’atténuer tout ça sinon tout le monde saura que ça fait plusieurs semaines maintenant que je dors mal. Ce n’est pas que je me couche trop tard, chaque nuit, je suis au lit à 22 h, pour me réveiller à 5 h 45, ça fait bien 8 heures de sommeil, je suis réglée comme une horloge. Pourtant, j’ai la désagréable sensation que chaque nuit, je fais des cauchemars… mais au réveil, tout est flou, que des bribes… C’est extrêmement perturbant !

Je me perdis si facilement dans mes rêveries que la buée de mon bain chaud avait recouvert le miroir dans son entièreté, la sensation de chaleur envahit tout mon corps et l’odeur de mon gel douche mangue, coriandre embauma la pièce. J’aurais voulu rester dans cette salle de bain… mais il fallait que je me bouge ! Je passais donc la main sur le miroir, pour effacer la buée et filais dans ma chambre pour me changer.

Immobile devant mon dressing, je réfléchissais longuement, peut-être trop, sur la tenue que j’allais porter aujourd’hui. Je devais être époustouflante ! Le meilleur choix serait la nouvelle robe que je venais d’acheter, une jolie coupe ballon que l’on pouvait serrer à la taille grâce à un cordon. Le tissu était rose pâle, recouvert de jolis dessins de roses rouges, avec des manches bouffantes qui m’arrivaient aux coudes. J’hésitais quelque peu puis finis par céder à ce choix plus que raisonnable, « maintenant les cheveux ! » Je m’installais à ma coiffeuse et observais mon visage avec dépit. Mon teint n’était pas si mal, mais mes yeux me trahissaient, mes pupilles vertes remontaient un peu le tout, mais mes poches, bien qu’elles eussent dégonflé, avaient laissé place à des cernes. Il va falloir que je couvre tout ça. J’ouvris un de mes tiroirs et en retira ma crème matifiante pour l’appliquer sur mon visage tout en m’acharnant à rafistoler les dégâts de mon mauvais sommeil. Un coup de mascara Chanel et de baume à lèvres à la cerise et c’était bon, j’étais fin prête. Avant de me relever, j’ouvris mon petit coffre en bois posé sur la tablette du haut de ma coiffeuse. Une multitude de bracelets en pierre semi-précieuse s’offrait à moi. Je choisis un bracelet composé de plusieurs perles rosées et de cinq couleurs vert d’eau, le mélange était harmonieux et doux. Je pris le papier qui se trouvait en dessous pour me rafraîchir la mémoire sur ses vertus : « Apaise les chagrins, même anciens, et les chocs affectifs. Elle vous enveloppe d’un voile de tendresse, favorise l’harmonie et rassure face à la peur de l’inconnu. »

Bizarre, je suis pourtant persuadée que cette journée va bien se passer… Peut-être qu’elle me sera utile ce soir pour le repas avec Nyx et Freya. Sur cette pensée, je ne pus m’empêcher de lever les yeux au ciel. Je réalisais une demi-queue et attachais un ruban rose autour de l’élastique, mes cheveux bouclés tombaient en jolie cascade rousse sur mes épaules. Enfin prête, je m’extirpais de sous ma coiffeuse et descendis dans la cuisine pour le petit-déjeuner.

Arrivée aux dernières marches des escaliers, j’aperçus ma mère, debout, appuyée contre le plan de travail, sa tasse fumante de café à la main.

— Jolie robe ! Elle te va à ravir, me complimenta-t-elle. Y aurait-il une occasion particulière ?! demanda-t-elle, tout sourire.

Je ne savais pas si elle faisait semblant d’oublier qu’aujourd’hui était une journée particulière…

— Non ! je suis toujours jolie voyons ! répliquais-je, en versant de l’eau chaude dans une tasse pour me préparer du thé.

— Aurais-je quelque chose à te dire ?! se questionna-t-elle tout en sirotant une gorgée de son café.

— La question ne se pose même pas… Quelle mère serais-tu si tu oubliais l’anniversaire de ton enfant ? dis-je sur un regard de défi.

Elle sourit derrière sa tasse avant de la poser et de se diriger vers moi, les bras grands ouverts.

— Joyeux anniversaire ma puce ! 22 ans déjà… Comme le temps passe vite… souffla-t-elle dans mon oreille tout en me serrant contre elle.

— Maman, tu m’étouffes ! grognais-je, tout en me dégageant de son étreinte. Peut-être que 22 ans, c’est le bon âge pour enfin prendre son indépendance, non ?!

Mais à cet instant, je me mordis la lèvre de remords. Je n’osais pas la regarder dans les yeux. Car depuis un mois, ma sœur et ma mère étaient en froid… Nyx avait décidé de quitter la maison et je ne savais pas pourquoi. Freya ne voulait pas en parler et c’était devenu un sujet tabou. Le pire dans cette histoire, c’est que j’étais dans l’ignorance, j’essayais de jouer les intermédiaires, mais ma sœur m’ignorait. Bien sûr, elle faisait comme si ce n’était pas le cas, mais je savais qu’elle me fuyait comme la peste. Elle ne voulait pas vraiment m’expliquer les raisons qui l’avaient poussée à ce choix. Je détestais ça, car depuis que nous étions petites, nous nous confions toujours tout… Je ne sais pas quoi, mais quelque chose avait changé et je me sentais comme privé d’une partie de moi.

— Alors qu’est-ce que tu attends pour me donner mon cadeau ?! dis-je pour dévier la conversation.

Ma mère sortit de ses pensées et me regarda d’un air que je n’avais jamais capté auparavant, elle avait l’air perplexe, presque gênée ?!

— Tu vas bien m’offrir un cadeau, n’est-ce pas ?! dis-je inquiète.

— Mais oui voyons !

— Alors pourquoi cette tête ?

— C’est un cadeau… particulier… finit-elle par dire avec beaucoup d’appréhension.

Mon excitation monta et je ne pus me contenir.

— Qu’est-ce que c’est ?! Tu me le donnes maintenant ? Allez, s’il te plaît ! Pour super bien commencer la journée ! la suppliais-je.

— Non, Théia Khal, tu attendras ce soir. Je veux le remettre, elle se tut un instant, comme pour digérer la douleur d’un coup de poing qu’on lui aurait donné, à ta sœur et toi en même temps.

— Okay… dis-je dubitative, mais… N’oublie pas, tu as promis que son départ ne serait pas abordé durant la soirée.

— Je sais… Mais ça ne te dérange pas toi qu’elle soit partie comme ça en pleine nuit en plus, sans nous dire où elle allait, avec qui… Je suis sa mère, c’est normal que je m’inquiète pour elle !

— Maman… On en a déjà parlé, c’est son choix. Elle a 22 ans. Tu ne peux plus l’obliger à rester, promets-moi juste que ce soir, on va passer un bon moment et qu’il n’y aura pas de dispute.

— Oui, oui…

— Non, promet ! insistai-je.

— Je te le promets ! finit-elle par céder.

— Joyeux anniversaire ! me hurla Lili, tout en courant pour me rejoindre.

— Merci ! lui dis-je en la gratifiant d’un sourire, ça fait un quart d’heure que je t’attends…

— Désolée, mon bus était encore en retard.

— Pourquoi tu ne me laisses pas t’emmener ?! Je te jure que ça ne me dérange pas et ça m’éviterait de rester assise sur un banc à rêvasser, le temps que tu arrives.

— Je t’assure que ça va, ça te ferait faire tout un détour pour moi et puis tu ne rêvasses pas, tu lis, dit-elle, un sourire moqueur aux lèvres.

— Excuse-moi, mais tu n’es pas censée être la plus merveilleuse des meilleures amies aujourd’hui ? Parce que c’est mon anniversaire et tu sais ce que ça implique. On doit être gentil avec moi, pas un mot plus haut que l’autre et la journée doit être formidable.

Lili leva les yeux au ciel pour montrer la folie de ma requête. Je sais que c’est peut-être exagéré, mais pour moi un anniversaire est une journée sacrée, où tout est beau et formidable et où je dois nager en plein bonheur. Bien évidemment, Nyx m’a toujours reproché d’être trop idéaliste, pour elle, c’est un jour comme tous les autres.

— Ne t’inquiète pas, je n’avais pas oublié, d’ailleurs tiens.

Elle me tendit une petite boîte couverte d’un joli papier bleu nuit.

— Oulala ! qu’est-ce que c’est ?! demandai-je, les yeux écarquillés.

— Bah ouvre et tu verras.

Je pris le cadeau entre mes mains et je commençais avec délicatesse à enlever le papier qui l’enveloppait. J’ouvris le couvercle pour y découvrir un pendentif en or en forme d’arbre.

— Oh merci ! C’est le plus beau des cadeaux ! la remerciais-je.

— Mais de rien, je connais ta passion pour les arbres. En le voyant, j’ai tout de suite pensé à toi.

— Je l’adore, d’ailleurs, je vais le mettre tout de suite.

Prenant le collier entre mes mains, j’admirais l’arbre quand tout à coup, j’eus un flash-back.

Je me trouvais au pied d’un immense tronc aux feuilles longues comme des tiges, on aurait dit des cheveux qui bougeaient au gré du vent. Je connais cette espèce… Un saule pleureur !

***

Juste le temps de cligner des yeux et j’étais assise à genoux, à présent les mains retournées, paume face au visage et elles étaient recouvertes de sang, autour de moi, tout n’était que ruine et désolation, une atmosphère pesait dans l’air. J’avais envie de pleurer, mais rien ne venait… J’étais sous le choc, je m’apprêtais à…

***

— Théia ! Ça va ?

La voix de Lili me tira de ce cauchemar et je la regardais tandis que je tenais solidement le collier dans mes mains, d’une telle force qu’il avait entaillé ma paume droite. Des gouttelettes rouges jaillissaient et ruisselaient lentement le long de mon bras.

— Oh mon Dieu, mais tu saignes ! s’inquiéta Lili.

J’ouvris des yeux ronds tandis que je fixais ma main me rappelant des images de mains en sang.

— Mince… Je ne sais pas ce qui m’a pris…

— Tu es sûre que ça va ?

— Oui, oui, enfin, je crois… dis-je, pas très sûre de moi. Attends, j’ai un mouchoir dans mon sac, je vais m’essuyer.

Je farfouillais dans mon sac pour y trouver un bout de tissu blanc. Notre mère avait toujours eu la manie de mettre des mouchoirs en tissu partout et j’avais pris son habitude. Je vins poser le tissu doux contre ma blessure, dans le but d’essuyer le massacre que mon flash-back avait généré.

— Un mouchoir en tissu ? Il n’y a que toi pour avoir ça dans son sac, me fit remarquer Lili. Il est beau, dommage qu’il soit taché maintenant.

Je regardais le bout de tissu et j’eus un moment de panique en m’apercevant qu’il s’agissait de celui de ma mère, son préféré en plus… il était blanc délavé avec des initiales cousues dessus un G et un F en mauves avec des fleurs. Heureusement que c’était mon anniversaire, elle n’en ferait peut-être pas tout un plat.

— On devrait peut-être déjà se diriger vers la salle de cours, non ? proposa-t-elle face à mon silence.

— Oui, faisons ça avant que je ne me coupe autre chose, dis-je accompagnée d’un rire jaune pour détendre l’atmosphère.

On se mit en route et je ne pouvais m’arrêter de penser à ce qui venait de se passer. Les images semblaient si réelles, comment était-ce possible ? Est-ce que je devenais folle ?

Nyx

Après ma conversation avec le professeur Salomon, je me réfugiais dans la bibliothèque, pour me plonger dans le livre qu’il m’avait donné dans un coin tranquille à l’écart des autres étudiants.

— La pierre philosophale prétendument inventée par Nicolas Flamel, le père de l’alchimie française. La pierre était censée pouvoir transformer les métaux en or. Elle était aussi capable de guérir les maladies et de prolonger la vie humaine au-delà de ses bornes naturelles. Les circonstances de la mort de Flamel restent floues, certains pensent qu’il aurait été tué parce qu’il refusait de partager les secrets de la vie éternelle. Ses disciples furent, eux aussi, exécutés pour cette même raison, lis-je à voix basse.

Je me mis à compter dans ma tête. L’avarice, l’orgueil, l’envie, la paresse, la colère. Cinq des sept péchés capitaux. À croire que Flamel cherchait à battre un nouveau record. Plus j’en lisais et plus cette sensation d’être observée s’intensifiait. Je relevai les yeux du livre et balayai la pièce du regard. Installée à ma table, j’étais dos au mur et accoudée à une fenêtre cachée par les rayonnages de livres, personne ne pouvait me voir alors que je pouvais voir arriver n’importe qui. Il n’y avait personne, mais cette sensation ne voulait pas me lâcher. Je sortis mes dessins. Salomon avait dit qu’il avait vu le symbole de la pierre philosophale dans certains d’entre eux. Pourtant, je n’avais jamais remarqué de symbole similaire à celui de la couverture du livre qu’il m’avait donné. En sortant mon calepin de mon sac, une feuille s’en échappa et alla voler quelques mètres plus loin. Je me levais pour aller la récupérer, mais à peine m’étais-je penché pour l’attraper que les néons autour de moi se mirent à clignoter me plongeant dans le noir quelques secondes avant de se rallumer et ainsi de suite. Je relevais la tête et eus un frisson glacial en voyant une femme rousse dans une robe blanche, les pieds nus, à l’autre bout du rayonnage. C’était comme dans les pires films d’horreur. À chaque fois que la lumière se rallumait, elle semblait plus proche et ses mains me semblaient couvertes de sang. Je reculais brusquement, prête à m’enfuir alors que la femme n’était plus qu’à quelques mètres. Quand une main se posa sur mon bras. Je poussais un hurlement strident qui résonna dans toute la bibliothèque.

— Wow ! calme-toi, s’exclama l’étudiante qui m’avait tapoté l’épaule. Je voulais juste savoir si la place en face de toi était prise, continua-t-elle.

Je la scrutais, hébétée sans comprendre. Je me retournai vers le rayonnage face à moi pour découvrir qu’il n’y avait plus rien. La femme avait disparu et les néons avaient cessé leurs cliquetis terrifiants. Des étudiants passaient la tête çà et là pour comprendre ce qui se passait pour que je hurle ainsi.

— Tu as vu ça ? interrogeai-je, la fille face à moi, cherchant une preuve que je n’avais pas rêvé.

Elle regarda l’allée avant de me regarder comme si j’étais folle.

— Voir quoi ?

— Une femme qui était juste là.

— Y a jamais eu personne d’autre que toi ici… Sinon pour la place ?

Je ne lui répondis pas et ramassais furieusement mes affaires avant de partir en trombe de la bibliothèque. J’entrais dans les premières toilettes que je trouvais et me posais face à un miroir en laissant tomber mon sac par terre. J’avais encore le cœur qui faisait des bonds ahurissants dans ma poitrine, je me passais furieusement de l’eau froide sur le visage, cherchant par tous les moyens à retrouver mon calme. Lorsque je relevais les yeux vers le miroir, tout ce que j’y vis, c’était mon teint blafard et les immenses cernes que j’avais sous les yeux. Salomon avait raison, je n’avais vraiment pas l’air d’aller bien. Le manque de sommeil me faisait halluciner. C’était de pis en pis. Jusqu’à présent, ce n’avait été que des silhouettes floues au loin qui apparaissaient et disparaissaient de temps à autre, comme des mirages que j’étais la seule à voir. Des inconnues que j’imaginais parce que mon cerveau avait besoin de repos. Mais cette fois, la sensation était différente, plus forte que jamais. Comme si elle allait réellement m’atteindre, comme si elle était vraiment là. Mon cerveau me jouait des tours, c’était la seule explication plausible. Parce qu’il n’y avait rien dans cette allée. Aucune femme terrifiante tout droit sortie d’un film d’horreur. J’avais beau me le répéter, tout mon corps ne pouvait s’arrêter de trembler. Je n’avais pas seulement senti de la peur en la voyant, mais aussi une tristesse sans nom et une ombre, quelque chose de très sombre, la mort elle-même ?! Je ne savais comment l’expliquer ou plutôt je ne préférais pas penser à l’explication qui impliquait que je perdais la tête pour une autre raison que le manque de sommeil.

— À force de lire toutes ces conneries sur des histoires de meurtre et de pierres magiques, tu t’es fait peur toute seule ma pauvre, me dis-je à moi-même en riant nerveusement pour me rassurer.

— Théia ? lança soudain une voix familière.

Je me tournais pour voir Lili à la porte, figée sur place.

— Nyx. Se corrigea-t-elle en me regardant plus attentivement.

Je sentais la panique à l’idée que si Lili était là, ma sœur ne devait pas être loin. Je n’avais aucune envie qu’elle me voie comme ça. Je me passais une main dans les cheveux pour me redonner de la contenance et attraper mon sac avant de me diriger vers la sortie. Lili resta un moment sans savoir quoi dire. Elle était la meilleure amie de ma sœur et j’imagine qu’à ce titre, elle avait envie de dire quelque chose sur mon comportement. Elle ouvrit la bouche, mais je l’interrompis avant qu’elle ne prononce le moindre mot.

— Tu peux bouger ? Tu es dans le passage, lançai-je d’un ton glacial.

Elle s’exécuta en me jetant un regard désapprobateur. Mais je préférais ça plutôt qu’elle me regarde avec compassion et aille dire à ma sœur dans quel état pitoyable, j’étais. Je quittais la fac, je n’étais pas en état de me rendre aux cours de l’après-midi. J’avais besoin de prendre l’air. Où que j’aille, j’avais bien trop l’impression que les murs se rapprochaient et surtout, j’avais peur qu’au détour d’un couloir, je ne recroise la femme en robe blanche. Je grimpais sur ma moto et me mis à rouler sans but fixe. Je choisis de m’éloigner le plus possible de la ville et de passer par les petites routes entourées de forêts avoisinantes, peu fréquentées. J’adorais ces lignes droites sur lesquelles je pouvais accélérer autant que je le voulais, voir le paysage défiler à toute vitesse et sentir l’air fouetter mon blouson en cuir. Je me sentais libre et inarrêtable sur ma bécane. Soudain, du coin de l’œil, je crus voir une silhouette blanche dans les fourrés. Je sentis une sueur froide me parcourir la nuque. Je secouais la tête en me répétant que j’avais certainement halluciné et accélérais pour fuir mes cauchemars. Quand, en arrivant sur le vieux pont qui se trouvait à la limite de la ville, la silhouette apparut comme sortie de nulle part face à moi. Par réflexe, je braquais brusquement pour l’éviter. Me dirigeant tout droit vers la rambarde. Je freinais des quatre fers pour l’éviter, mais je roulais beaucoup trop vite, je perdis le contrôle de ma moto et percutai de plein fouet le garde-corps. Le bois usé se brisa dans un fracas et je fis une chute libre de plusieurs mètres dans le vide avant de finir ma course dans l’eau du canal. J’avais l’impression que le temps s’était arrêté une seconde et que je voyais la scène de loin. Mon corps flottait dans les airs juste avant de plonger brutalement dans les eaux sombres. La douleur du choc me ramena tout droit dans mon corps. Je coulais de plus en plus profond dans l’eau, incapable de bouger alors que mon casque commençait à se remplir d’eau. J’allais mourir comme ça dans ces eaux de jade et pour tous, je serais seulement la sœur qui s’est enfuie, qui a disparu sans donner de raison. Je fermais un instant les yeux à cette pensée. Ça ne pouvait pas se finir comme ça. Pas maintenant, pas aujourd’hui. Je rassemblais mes forces et me mis à me débattre pour regagner la surface. Je me battis pour retirer mon casque, mais lorsque je rouvris les yeux, je me trouvais dans une immense prairie entourée d’arbres. La lune était si proche qu’elle semblait disproportionnée dans le ciel et elle brillait d’un rouge éclatant qui semblait teinter tout ce qui m’entourait.

— N’est-elle pas magnifique ? m’interrogea une voix féminine derrière moi.

Je me retournais brusquement pour découvrir la femme à la robe blanche de la bibliothèque. Elle se tenait devant un immense saule pleureur.

— Qui êtes-vous ? l’interrogeai-je en balayant sa question d’un revers de la main.

— Toi qui entends cette prédiction, sois attentive, car des cendres de la pierre écarlate naîtra une nouvelle lignée de sorcières. Maudites à leur tour, dévorées par leur propre magie, elles connaîtront toutes un sort funeste. Jusqu’au jour où, sous une lune de sang, naîtront enfin deux enfants issues de la mort. L’une portant le sceau de la lumière et l’autre celui des ténèbres. Destinées à l’éternel retour, pour qu’enfin la balance bascule. Brisant à jamais l’équilibre, brisant à jamais la frontière du monde des vivants et des morts. Altérant à jamais la magie elle-même pour qu’il ne reste que le choix du sang.

— Qu’est-ce que ça signifie ?

Elle eut pour seule réponse un sourire triste avant de tendre les mains devant elle. Du sang commença à ruisseler sur sa peau translucide et à se répandre au sol. Le sol se gorgea du liquide écarlate jusqu’à ce qu’il ne puisse plus et le sang commença à monter, me recouvrant bientôt les chevilles. Je reculais, voulant m’enfuir de cette prairie, mais plus je me débattais et plus, je m’enfonçais dans ces eaux sanglantes.

— Tu ne poses pas les bonnes questions.

La femme m’attrapa les poignets. Des pleurs d’enfants retentirent au loin. Je secouais la tête à la recherche de la source du bruit et crus reconnaître la silhouette familière d’une femme élancée aux longs cheveux bruns et à la peau mate s’éloignant derrière le saule pleureur, elle tenait deux nourrissons dans les bras.

— Tu connais la réponse, insista la femme rousse.

Je la regardais pour la première fois. Des yeux étrangement familiers, l’un d’un bleu azur comme les miens et le second vert émeraude identique à ceux de ma jumelle. Je secouais la tête, refusant d’admettre ce qu’elle voulait que je reconnaisse. Elle planta ses griffes dans mon bras gauche pour me retenir. Je hurlais et me débattais de toutes mes forces pour me soustraire à son étreinte. Dans un ultime geste brusque, je me libérais et basculais dans les eaux rubis. Je hurlais dans l’eau, laissant échapper ma dernière bouffée d’air. Je luttais et finis, enfin, par atteindre la surface. Je repris mon souffle en toussant l’eau de mes poumons. Je nageais péniblement vers le bord, continuant à tousser. Je scrutais les alentours et découvris que j’étais de retour en contrebas du pont duquel j’avais fait une chute vertigineuse. Je tentais tant bien que mal de reprendre mes esprits. Qu’est-ce qui venait de se passer ? Est-ce que j’avais eu une hallucination sous l’eau à cause du manque d’oxygène ? C’était forcément ça. Il n’y avait pas d’autre explication. Je me relevais difficilement en m’appuyant sur un arbre et enlevais mon blouson qui me paraissait peser une tonne trempée. Une douleur m’arracha un gémissement lorsque je retirais mon bras gauche du vêtement. Je me figeais en contemplant les profondes griffures à mon poignet. La griffure que la femme m’avait laissée juste avant que je ne m’échappe de ce cauchemar. Cette fois, rien de rationnel ne pouvait l’expliquer.

Théia

— Je commençais presque à m’inquiéter, dis-je lorsque Lili arriva enfin de sa pause pipi. Je nous ai trouvé une super table alors que la bibliothèque est bondée, je t’ai dit qu’aujourd’hui, tout allait être parfait !

— Tu ne devineras jamais ce qui vient de se passer… dit Lili tout en s’asseyant à notre table.

— Quoi ? Vas-y, raconte ! l’implorai-je.

J’étais toujours friand des petits ragots, pourtant au regard que me lança Lili, je n’étais plus vraiment sûre de vouloir savoir…

— J’ai croisé ta sœur aux toilettes… J’ai cru que c’était toi, expliqua-t-elle gênée, et elle avait l’air mal en point…. Elle était blanche comme un linge. Je t’avoue que je ne savais pas trop comment agir vu la situation.

Ses aveux me firent l’effet d’un coup de poing, savoir ma sœur mal, c’était la pire des choses, je crois que je ne vivais pas bien la séparation et surtout pas les cachotteries, car il était évident qu’elle ne me disait pas tout. D’ailleurs, j’avais même commencé à croire que c’était moi le problème parce que je n’avais plus de nouvelles d’elle… Et si elle ne venait pas ce soir ?! La panique montait en moi et ma vision se brouillait.

— Je suis tellement désolée, ça doit être affreux de se rendre compte que sa propre sœur nous fuit, ajouta Lili.

Sur ses paroles, mon sang ne fit qu’un tour.

— Elle ne me fuit pas ! Okay ?! hurlai-je, peut-être un peu trop fort vu que certains étudiants se retournèrent vers nous.

— Moins fort, tout le monde nous regarde ! m’arrêta Lili, rouge comme une pivoine de honte.

Mes oreilles se mirent à siffler.

— Elle pète les plombs aujourd’hui…

— Mais non pas du tout ! Pourquoi tu dis ça ?

— Dire quoi ? C’est plutôt toi, qu’est-ce qui t’arrive ? Tu agis très bizarrement aujourd’hui… Est-ce que c’est encore un genre d’effet secondaire de ton anniversaire ? me sermonna-t-elle.

Le sifflement avait laissé place à un début de mal de tête et mes pensées s’embrouillèrent quelque peu.

— Je crois que je vais avoir une migraine…

— Je suis désolée ! C’est à cause de moi ? À propos de ce que j’ai dit sur Nyx ? Je n’aurais pas dû te dire que je l’avais croisée, s’excusa-t-elle.

— Non ! Tu as bien fait de me l’avoir dit, c’est juste que… C’est un peu compliqué en ce moment.

Mon mal de tête s’intensifiait. Ne pouvant plus me concentrer sur rien, j’abandonnais Lili à la bibliothèque pour rentrer. La route fut laborieuse, ma tête tapait, comme si mon cerveau était à l’étroit et voulait sortir. Heureusement, la maison n’était pas très loin de la Fac. Après avoir réussi à m’extirper de ma voiture, je pris un cachet et me mis directement au lit dans le noir, en espérant qu’à mon réveil, cette horrible migraine aurait disparu.

Soudain, je me réveillai en sursaut, j’avais l’impression de manquer d’air comme si je me noyais. Je repris mes esprits et me souvins de ce que Lili m’avait dit, ni une, ni deux, j’attrapai mon téléphone et composai le numéro de Nyx. Pas de réponse. J’essayais de nouveau et toujours rien. Est-ce qu’elle avait son téléphone au moins ? Ou pire, est-ce qu’elle filtrait mes appels ? Un sentiment d’inquiétude monta en moi, et s’il lui était arrivé quelque chose ? Je secouais la tête comme pour chasser cette éventualité. Il fallait que je réfléchisse, qui pourrait avoir de ses nouvelles ? réfléchis, Théia, réfléchis. En vérité, j’aurais aimé que ma sœur ait des amies, des gens sur qui elle pouvait compter, car je me rendis compte que s’il lui arrivait quelque chose, personne ne le saurait, pas même moi… J’aurais aimé qu’on ait une connexion, comme un lien magique qui nous reliait pour que je sache toujours si elle allait bien. Tout à coup, mon avant-bras se mit à brûler, une plaque rougeâtre se forma et une envie irrépressible de me gratter me parvint. Encore ces fichus moustiques, pensais-je. Ne trouvant aucune autre alternative, je décidais d’envoyer un texto à Nyx avant de sauter sous la douche pour me réveiller.

— Salut, j’ai essayé de t’appeler plusieurs fois, est-ce que tu m’évites ?

Non, trop brutal.

— Salut, Lili m’a dit qu’elle t’a vu et que tu ne semblais pas bien…

C’est sûr qu’elle va répondre là… Théia, concentre-toi !

J’allais tenter de rédiger un message un peu plus inspirant lorsque quelqu’un sonna à la porte. Je descendis à toute vitesse, pensant qu’il s’agissait peut-être de Nyx et que notre connexion avait finalement fonctionné. Mais lorsque j’ouvris, un homme à lunettes, assez énigmatique, se tenait sur le pas de la porte. Il portait un costume vintage à carreaux qui dissimulait une chemise blanche. Un look plutôt rétro pour un homme d’à peu près 30 ans, je dirais. Je le vis me dévisager, l’air perplexe avant d’arborer un sourire gêné.

— Je ne crois pas me tromper en supposant que j’aie affaire à la sœur de Nyx.

— Excusez-moi, mais qui êtes-vous ? demandai-je, l’air encore plus perdu que lui.

— Pardon, j’aurais d’abord dû me présenter, je suis monsieur Salomon, le professeur de votre sœur. Je m’excuse de vous déranger, mais j’ai cru comprendre que Nyx n’était pas en cours cette après-midi et je voulais simplement m’assurer qu’elle allait bien.

Il avait l’air sincèrement inquiet, mais je ne comprenais pas pourquoi un prof de fac ferait tout ce trajet simplement pour s’assurer que ma sœur aille bien…

— J’espère que ça ne paraît pas trop bizarre que je sois ici juste pour être sûre qu’une étudiante soit saine et sauve…

— Si justement…

— Je vous demande pardon ?

— Pourquoi êtes-vous si inquiet, que vous avez pris la peine de vous déplacer ? dis-je dans l’espoir d’avoir de plus amples explications.

— Je vois pourquoi cela vous turlupine, sachez que Nyx est l’une de mes meilleures élèves et ce matin, nous avons eu une petite conversation sur ses dessins, à la suite de quoi je lui ai donné un livre et je voulais simplement m’assurer que ça ne l’avait pas trop chamboulé.

Je sentais comme des bouffées de chaleur qui m’envahissaient, j’étais stressée !

Mais pourquoi ? Était-ce ce qu’il venait de dire ? le fait qu’il s’inquiétait pour Nyx ou que je le trouvais un tantinet mignon dans son costume ? Mais qu’est-ce qui m’arrive ? Je suis en train de raconter n’importe quoi.

— Et, je pourrai connaître le titre de ce fameux livre que vous lui avez donné ?

— Je pense qu’il est préférable que cela reste entre Nyx et moi.

— C’est ma sœur ! Nous nous disons tout ! Donc, vous pouvez me le dire.

À cet instant, ma vision se brouilla de nouveau et l’épisode de la bibliothèque se répéta. Mes oreilles se mirent à siffler et l’image du professeur Salomon se déforma, laissant place à un cadre complètement différent.

***

J’avais l’impression de rêver, comme si j’étais en dehors de mon corps et que la scène se passait sous mes yeux. J’étais assise à une immense table, il y avait pas mal de monde, surtout des hommes en vérité. L’homme à lunettes était assis en face de moi, ils parlaient tous, mais je n’arrivais pas à me concentrer sur ce qu’ils disaient.

— La malédiction, a-t-elle commencé ? me demanda l’homme à la grande barbe, celui qui était le plus au fond.

Sa question me perturba et alors que j’allais répondre, je vis du coin de l’œil Nyx monter les escaliers.

— Père, s’il vous plaît, l’arrêta le professeur.

— Eliot, on doit le savoir, pas le temps de prendre des pincettes, le sermonna le barbu.

— Excusez-moi un instant, je dois aller me rafraîchir.

Je me précipitais hors de la salle à manger, qui avait un style ancien en passant, alors que l’homme qui m’avait interrogé s’offusqua. L’homme à lunettes essaya de le calmer alors que je me précipitais vers ma sœur.

— Nyx, attends, l’interpellai-je en l’attrapant par le poignet.

Elle retira sa main aussitôt au contact de ma peau et alors que je posais mes yeux sur elle, je crus rêver. Elle était l’ombre d’elle-même. Des poches sous les yeux, le teint blafard. On aurait dit qu’elle n’avait pas dormi pendant des semaines et ses pupilles étaient dilatées comme si elle avait fumé quelque chose. Ses cheveux étaient ébouriffés et en partie rouges, c’est comme si elle était une version amaigrie d’elle-même et dans son regard, je ne voyais que du dégoût.

***

Le professeur était agenouillé, me tenant par le bras. J’étais à demi affalée sur le perron.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? bredouillai-je.

— Je crois bien que vous vous êtes évanouie.

— Quoi ?! criai-je sous le choc.

— Ça va aller ? me demanda-t-il avant de m’aider à me relever.

— Oui, je crois, je suis désolée, je ne sais pas ce qui se passe aujourd’hui, mais ce n’est décidément pas ma journée.

— Je crois que vous et votre sœur devriez en parler.

— Parler de quoi au juste ? demandai-je perplexe.

Je sentais qu’il en savait plus que ce qu’il ne disait.

— Je crains que je ne puisse pas vous en dire plus, mais est-ce que vous faites des cauchemars vous aussi ?

— Moi aussi ? C’est Nyx qui vous a dit ça ? Elle fait des cauchemars ? Quels genres ? questionnai-je affolée.

Comment pouvait-il savoir ça ? Je n’en étais pas sûre moi-même et voilà que ce type débarquait et qu’il me sondait. Nyx avait sûrement dû lui parler de quelque chose. Peut-être qu’ils sont proches, sinon pourquoi aurait-il pris le temps de venir jusque chez nous pour la chercher ? Mais bon, il ne sait visiblement pas tout, car il est venu ici alors que ça fait des semaines que Nyx ne reste plus dans la maison familiale. Puis mon épisode me revint en mémoire, qu’est-ce que c’était que ça ? Moi et ce professeur dans une salle à manger, est-ce que c’était un rêve ?

— Je suis désolé d’insister, mais je pense vraiment que votre sœur et vous devriez parler de tout ça, dit-il tout à coup beaucoup plus sérieusement. Si vous allez mieux, je vais vous laisser.

Il commença à s’éloigner puis fit volte-face pour me lancer.

— Au fait, bonne soirée d’anniversaire à vous ! lança-t-il.

Je fus surprise qu’il ait cette information, bien que ce fût moins choquant que tout le reste. Et alors qu’il s’éloignait, une envie terrible de vérifier si je perdais complètement la boule émergeait en moi et je me surpris à crier.

— Merci, Eliot !

Le professeur Salomon se retourna, me regarda longuement et finit par sourire avant de continuer sa route. À cet instant, je compris que je n’étais peut-être pas folle, mais une question demeurait, qu’est-ce qui nous arrivait ?

Chapitre 2

Nyx

— Tu es sûre que ça va aller ? m’interrogea Peter alors que nous approchions de la maison où j’avais grandi.

Je pris une profonde inspiration en ajustant ma mitaine sur le bandage de mon poignet gauche. J’attrapais la bouteille de Jack Daniel à mes pieds et avalais plusieurs gorgées. Le liquide me brûla la gorge, mais l’ivresse atténua la douleur et aussi toutes les pensées qui se bousculaient dans ma tête.

— J’aurais dû t’emmener à l’hôpital, continua Peter avec son air de chien battu.

Cette moue mi-triste mi-paniquée ne l’avait pas quitté depuis que j’étais rentrée en stop à son garage, l’avant-bras dans un sale état. Il n’avait pas arrêté de dire qu’il devait m’emmener à l’hôpital alors que je m’occupais de nettoyer et panser mes plaies. Je repris une autre gorgée de whisky, cette fois pour oublier son air pitoyable.

— Boire de l’alcool après un accident n’est clairement pas recommandé, insista-t-il.

Je pris une nouvelle gorgée en le fixant comme seule réponse. J’avais tant à penser et à gérer dans ma propre vie que son excès de gentillesse et d’attention ne faisait que de m’exaspérer un peu plus à chaque seconde. Je lui avais pourtant dit que je pouvais rentrer chez moi toute seule.