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Le mal est-il inné ? Nathalya en est convaincue. Fugitive, elle tente d’échapper à son destin et se réfugie, sans crainte aucune, dans un internat plutôt étrange. Dès lors, la démence qu’elle désirait fuir la rattrape. En proie aux fantômes du passé, Nathalya déclenche une malédiction vieille de 600 ans. Une histoire parallèle commence alors : celle d’Elizabeth. Une héroïne sinistre victime de son penchant pour la mort et le sang. Coincée entre les limbes de son psychisme déchiré et les déboires d’un triangle amoureux, Nathalya pourra-t-elle se libérer de cet Inferno ?
A PROPOS DE L'AUTEURE
Bercée dès son plus jeune âge par la littérature gothique et fantastique,
Natascha Muthuwahandi Mendes consigne par écrit son passé au travers de
L’éternelle maudite : Inferno en y ajoutant une face occulte. Ainsi, mêlant vampirisme, maladie psychique et amour, cet ouvrage met en lumière le côté sombre de l’âme humaine.
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Seitenzahl: 232
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Natascha Muthuwahandi Mendes
L’éternelle maudite :
Inferno
Roman
© Lys Bleu Éditions – Natascha Muthuwahandi Mendes
ISBN : 979-10-377-5535-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mes amours déchus et mes amis perdus…
Le monde est en véritéempli de périls, et il y a en lui maintslieuxsombresmais il y en a encorebeaucoup de beaux, et quoiquedanstous les pays l’amour se mêlemaintenant d’affliction, il n’en devientpeut-être que plusgrand.
Le Seigneur des anneaux (1954-1955)
John Ronald Reuel Tolkien
Pour des raisons occultes, l’être humain entre dans le théâtre de la vie sans même le savoir et en ressort contre son gré, par la simple force des choses. Seuls restent alors des fragments épars essayant de conter une histoire. Une histoire que j’aurai préféré ne pas entendre, car tout cela revient à écouter des mots en exil : remplis d’espoir mais encore perdus… Après tout, ne dit-on pas que les gens heureux n’ont rien à raconter ? Mon récit n’est sans doute pas différent des autres, si ce n’est qu’il puisse représenter un esthétisme débraillé dont j’en avais fait le maître-mot d’une vie incontrôlable. Il y eut un temps où jusqu’aujourd’hui, je savais exactement ce que je devais faire et qui je devais être. Mais prévoir chaque fait et geste en feignant un semblant de bonheur ne suffisait pas pour repousser la fin inéluctable de l’ordre des choses. Une seule option s’était alors offerte à moi, l’option des lâches : la fuite. Et à présent, il n’y avait plus qu’à s’en remettre au ciel et attendre comme nous le faisions si bien, nous mortels. Le destin n’est pas à contrôler, surtout quand il n’y a plus d’échappatoire. Je m’arrêtai quelques secondes avant de continuer mon chemin. Le vent était doux et apaisant, si agréable que l’on en oublierait presque sa propre existence…
Mais assez rêvasser comme ça ! Il était temps à présent de voir ce que le monde avait à m’offrir et d’y trouver une place – ou du moins y prétendre. Je repris ma trajectoire jusqu’à arriver là où je devais être. Devant moi se dessinait un immense château. Le style d’édifice tout droit sorti d’un roman gothique par excellence. Cela n’avait rien à voir avec les monuments classiques que l’on avait l’habitude d’envier aux architectes français. Ici, nous étions plutôt face à « Bienvenue en enfer et que puisse la contingence vous épargner du sort funeste qui vous attend ! ». Le château, vieux comme le monde, était sombre et imposant. Il se donnait en spectacle à travers ses arcs surdimensionnés et ses grandes pierres sculptées aléatoirement par le temps. Dressé là, tel un monstre, il était prêt à anéantir tout ce qui paraissait faible et insignifiant sur son passage. Il était difficile d’imaginer comment un tel édifice de cette envergure avait pu être construit au sommet des collines si sinueuses, qui montaient les unes sur les autres… Néanmoins, il fallait admettre que la vue était surprenante, pour ne pas dire redoutable. Ces bois sombres mais accueillants et cet écoulement trompeur d’une rivière parfaitement calme et inoffensive étaient la preuve que cet endroit pouvait en une fraction de seconde vous déposséder de vous-même, et ce, jusqu’à la moelle. Mais où avais-je mis les pieds ? Un lieu reculé de notre monde, là où seules les personnes insensées se réfugieraient. Au moins, ici, ils ne me retrouveront pas… Je fis le tour de la fontaine pour prendre le chemin le plus proche qui, d’après moi, menait à l’entrée de l’internat. Les créatures mi-anges, mi-démons faisaient légèrement sortir de leurs gueules quelques filets d’eau sales. Un petit coup d’œil sur la plomberie n’aurait sûrement fait de mal à personne !
Je me dirigeai vers la porte d’entrée et l’enjambai avant d’atterrir dans un long couloir froid et peu éclairé. Le décor ténébreux du lieu ne se suffisait-il pas à lui lui-même ? Bien sûr que non, il fallait, en plus, plonger tous les étudiants dans la pénombre… Mais assez critiqué ! Je fouillai dans mon sac à dos et trouvai les papiers dont j’avais besoin. Mon écriture en pattes de mouche me valut d’intenses minutes de déchiffrage. Aile droite sud, salle 9. Bien ! Ça devrait être facile à trouver… Allez, faisons appel à nos talents d’orientation et essayons de rejoindre la populace sans se perdre ! Je parvins à trouver la salle tant bien que mal. Ma main se posa sur la poignée quand tout à coup je pensai aux nombreuses têtes qui allaient sans doute se tourner vers moi pour me juger et sonder l’âme de cette intruse que j’étais… J’ouvris la porte et entrai dans la salle de classe bruyante. Trouver une place… Trouver une place… Mon esprit était si obsédé par cela que je heurtai quelqu’un.
— Excuse-moi, je ne t’avais pas vu…
La jeune fille aux cheveux roux vénitien se retourna et me regarda de haut en bas. Elle jeta sa chevelure ondulée en arrière et me lança un « Pardon ? » avec un ton irrité que je ne relevai pas, bien évidemment. Je haussai les épaules.
— Tu ne m’as pas vue ? Eh bien achète-toi donc une paire de lunettes pour commencer, veux-tu ? Ici, tout le monde fait attention à moi.
— Si je ne t’ai pas vue, c’est que tu ne m’es d’aucune importance. Et puis, tu ne sors pas vraiment du lot si je puis me permettre…
Nathalya… Tu cherches les problèmes. Pour quelqu’un qui ne voulait pas se faire remarquer, c’est raté !
— Et qui es-tu ? Oh ! Mais attendez ! Regardez-moi ça, notre fameuse nouvelle est arrivée !
Génial ! Elle criait afin que tout le monde puisse l’entendre.
— Je me présente, moi c’est Sam. Tu n’es sûrement pas au courant de l’ordre des choses ici, alors laisse-moi t’éclairer un peu, ma petite brebis égarée. Tu vas t’asseoir au fond et la fermer jusqu’à ce qu’on t’ait donné l’ordre de l’ouvrir à nouveau. Compris ?
Son sourire et son regard étaient tellement méprisants qu’une claque ou deux ne lui auraient pas fait de mal.
— Mais tu sais quoi ? C’est exactement ce que j’allais faire quand une chienne de bas étage s’est jetée sur moi.
Les rires des autres étudiants autour se firent ressentir tandis que le sourire de Sam s’effaçait. Elle allait littéralement se jeter sur moi quand une fille s’interposa entre nous.
— Combien de fois vas-tu nous faire ton show, Samantha ? Tu n’en as pas marre ? Change de disque, tu as passé l’âge !
Samantha resta sans voix et me jeta un regard noir. Je sentis que cette histoire n’était pas finie… La fille me prit par l’épaule et me conduit vers deux places libres côté fenêtre.
— Ne t’inquiète pas pour elle, plus on l’ignore plus elle disparaît de la circulation, m’expliqua-t-elle en s’asseyant.
— Peut-être qu’il faudrait envisager quelque chose de plus… Permanent, si tu vois ce que je veux dire.
Elle rit. Son sourire était radieux tout comme sa façon de parler. On aurait dit une enfant débordant de vie, qui ne pouvait pas cacher sa joie de vivre. Ses cheveux mi-longs et fins étaient teints d’un rouge profond, ce qui lui donnait un air mystérieux qui lui allait parfaitement.
— D’après mes faibles notions en droit, je suis presque sûre que cela serait illégal. Mais si tu t’asseyais à côté de moi, on pourrait essayer de trouver une solution qui ne nous enverrait pas en prison.
Je m’exécutai.
— Au fait, moi c’est Mélanie ! Et toi ?
— Nat’. Enfin Félèxçia-Nathalya…
— Partons sur Nat’, c’est plus pratique ! s’exclama Mélanie. Alors, quel bon vent t’amène au sein de notre si magnifique établissement ?
— Disons que je me suis perdue en chemin et que le château avait l’air tellement chaleureux que j’ai décidé de m’y arrêter, lui dis-je avec ironie.
— Ha ! Ha ! Je te comprends, nous avons tous fait la même chose. D’ailleurs, on t’a donné ton numéro de chambre ?
— Oui, j’ai toutes les informations nécessaires, c’est gentil. Tu es chargée du comité d’accueil ici ou bien ? lui répondis-je en la taquinant.
— Ah non ! Je ne fais pas dans le bénévolat, me fit-elle savoir en secouant ses mains couvertes d’un vernis noir qui commençait à s’écailler. Mais si tu n’y vois pas d’inconvénient, je serais enchantée de t’escorter jusqu’à ta nouvelle chambre.
— Ce serait avec grand plaisir, ma chère dame, déclarai-je en imitant une révérence solennelle.
Elle passa ses doigts dans ses cheveux couleur bordeaux et coinça une mèche derrière son oreille, ce qui mit en valeur ses innombrables piercings. Son style étrangement sombre, m’intriguait. Elle avait quelque chose de plus que je n’arrivais pas à cerner. Elle se pencha vers moi laissant flotter une légère odeur de fruit frais.
— D’ailleurs, comment as-tu fait pour entrer en cours d’année ? On n’a jamais accepté des nouveaux, c’est la même promotion tous les ans et les mêmes professeurs depuis que je suis ici.
— Il faut croire que tout est question d’argent en fin de compte. Il suffit en réalité d’avoir un compte en banque similaire à l’avidité de ce monde et le tour est joué.
Elle me regarda avec des yeux ronds.
— Mais ne t’en fais pas, j’ai un très bon dossier aussi ! ajoutai-je avec un sourire forcé.
— Ça se tient… me répondit-elle avec un air pensif. Pour en revenir aux chambres, tu verras que ça valait vraiment le coup de te ruiner, continua-t-elle cette fois, avec un visage illuminé. Ils les ont rénovées récemment. On se croirait à Versailles !
Je souris. Décidément, cet endroit avait un côté ténébreux et très attirant à la fois : son invitation à découvrir l’inconnu en faisait presque oublier son cadre lugubre. Sans parler des chambres, à en croire Mélanie.
Lorsque le cours toucha à sa fin, les étudiants se bousculèrent frénétiquement pour sortir. Mélanie et moi allions suivre cette horde humaine quand la professeure m’interpella.
— Mademoiselle… Mendes ? C’est cela ?
— Oui, c’est cela… affirmai-je en regardant ma camarade qui, comme moi, s’interrogeait sur la nature de cette intervention.
— Je suis madame Deguilhem. Je vous épargne le speech de bienvenue, car je vais être brève.
Quelle gentillesse ! Je ne vous ai rien demandé à vous, mais si vous y tenez… Son visage était aigri et son âge se faisait ressentir dans ses traits prononcés. Elle arborait un chemisier blanc opaque, boutonné jusqu’au col avec une longue jupe noire en velours, ce qui lui donnait un air encore plus formel et strict.
— Vous êtes en retard sur le programme, et cela ne m’enchante pas, lança-t-elle froidement.
Moi non plus madame, mais que voulez-vous ? Nous avons tous nos problèmes.
— Pour la semaine prochaine, vous me rédigerez une analyse détaillée sur ça, continua-t-elle avec un ton machinal tout en pointant du doigt un exemplaire du célèbre Dracula de Bram Stoker.
— Combien de pages ?
— Une petite dizaine suffira…
— Seulement ? Tout va bien alors ! m’exclamai-je railleuse.
Mélanie pouffa de rire tandis que madame Deguilhem resta de marbre.
— Une dizaine par chapitre, chapitres que l’on a vus en classe durant votre absence, cela va de soi, rajouta-t-elle en insistant sur le mot chapitres.
— Oui madame, répondis-je avec le plus grand des sérieux.
— Néanmoins, je vous ai sélectionné les chapitres les plus importants que je désire que vous étudiiez en priorité, expliqua-t-elle en me tendant un morceau de papier. Bonne journée à vous !
J’acquiesçai et nous sortîmes de la salle de classe. Mélanie était toujours en train de se tordre de rire.
— Tu ne rates jamais une occasion pour l’ouvrir, hein ? demanda-t-elle riant. Ça te fait énormément de pages en une semaine ! Je te passerai mes devoirs, mais la prochaine fois, tais-toi !
— J’essayerai, mais il m’arrive quelques fois de confondre pensées et paroles, me confiai-je en faisant la moue.
Je suivis Mélanie qui slalomait avec un pas léger les couloirs du château.
— Tu vas trop vite, attends ! J’ai besoin de prendre mes marques, lui criai-je au loin.
— Active toi, princesse, je dois aller manger.
Je la rattrapai à moitié essoufflée. Le sport et moi ça ne faisait décidément pas bon ménage. Nous arrivâmes dans une vaste pièce, digne d’une salle de bal. Étrange… Un château gothique avec une salle de bal digne du classicisme ! Quel choix… intéressant ! Cet endroit n’était peut-être pas si lugubre après tout ! À notre droite, se dressait un escalier suspendu, couvert d’un tapis pourpre qui épousait parfaitement la forme des marches. Il montait suffisamment haut pour se séparer ensuite en deux branches. L’on retrouvait sur notre gauche, un escalier similaire qui montait puis qui se dissociait en deux, lui aussi. Une parfaite symétrie ! De part et d’autre de ces impressionnants escaliers étaient encastrées de hautes portes-fenêtres, qui devaient chacune donner sur un balcon.
— Ces fenêtres donnent sur la cour intérieure du château et celles de ce côté-ci donnent sur la forêt et les montagnes, me dit Mélanie en me montrant avec de grands gestes les deux côtés de cette somptueuse salle.
— C’est… Étonnamment lumineux, lui fis-je remarquer émerveillée par les quelques rayons de soleil qui venaient donner un semblant de vie à ce triste établissement.
— Et encore, tu n’as rien vu ! Il ne fait pas super beau dehors, mais lorsque le soleil est à son zénith on pourrait presque brûler ! Pour te dire la luminosité aveuglante !
Nous empruntâmes l’escalier droit et nous nous retrouvâmes à l’intersection. L’escalier principal se ramifiait en deux autres escaliers, mais au lieu de continuer, chacun disparaissait sous un palier. Je relevai la tête et compris l’ingéniosité de cette architecture. Nous étions enfin arrivées aux dortoirs. Le palier droit ou gauche n’avait pas d’importance puisque le couloir dessinait un arc de cercle, exposant les différentes portes en bois massif. Il formait un tour en laissant un grand vide au milieu. Je me rapprochai de la rambarde en bois vernis et regardai en bas. Brillant ! On pouvait apercevoir, d’en haut, le parquet satiné de la salle.
— Nous y sommes !
Je relevai la tête un peu trop vite.
— Il n’y a que sept portes ? Donc sept chambres ? demandai-je.
— Non ! Il y a trois personnes dans chaque chambre. Le deuxième escalier principal mène également à sept chambres de trois personnes elles aussi. Ça va ? Le calcul n’est pas trop compliqué ? m’interrogea-t-elle en esquissant un sourire. Quarante-deux.
— Ah oui je comprends, vous êtes une espèce de secte très sélective !
— Ha ! Ha ! Si tu savais ce que l’on fait pendant la pleine lune, tu serais choquée…
— Très drôle, madame la sorcière ! Donc la chambre 5, c’est celle-ci, affirmai-je à voix haute.
— Oui. Je te laisse découvrir, on m’attend pour manger. Ravie d’avoir fait votre connaissance, madame.
Mélanie me fit une révérence avec un clin d’œil et partit.
— Attends !
— Oui ?
— Je fais comment pour te retrouver ?
— Mystère… Surprends-moi, Nathalya !
Sur ces mots énigmatiques, elle s’en alla. Je toquai à la porte numéro 5 et une jeune fille en peignoir bleu m’ouvrit. Elle avait de longs cheveux épais, couleur chocolat. Ses yeux marron étaient pétillants et son teint légèrement halé. Ses pommettes étaient subtilement creusées et son gloss rendait ses lèvres pulpeuses. Elle se tenait de façon gracieuse.
— Oui ?
— Je crois que tu es ma nouvelle camarade de chambre… lui annonçai-je en me tripotant la frange.
— Oh, c’est donc toi ! Eleanor Meynard. Enchantée, petit être nouveau, me répondit-elle avec une voix amusée. Entre !
— Nathalya Mendes, me présentai-je en entrant dans une sorte de petit salon élégant.
— Ah oui, tout le monde sait qui tu es ! J’ai entendu Samantha jurer qu’elle aurait ta peau un jour.
— Entrée fracassante, que veux-tu… lui marmonnai-je en posant mon sac à dos par terre.
— Entre nous, je ne suis pas une grande fan de cette… Hum…
— Je crois que l’on pense au même mot.
— Toi, je t’adore déjà ! Alors voyons voir… chuchota-t-elle en arrangeant ses cheveux en un chignon haut. Te voilà dans notre modeste petit salon ! affirma-t-elle avec un léger rire.
Ah ! D’accord ! Avoir des chambres ne suffisait pas, il fallait des petitssalons pour chaque dortoir ? Mélanie avait raison, le confort n’avait pas de prix. La pièce commune était meublée de façon très moderne. Il y avait également des moulures au plafond. On pouvait voir une table basse en verre au milieu, une commode minimaliste à côté de la porte d’entrée (avec les nombreux escarpins d’Eleanor en dessous, je suppose), deux canapés d’une couleur gris perle se faisant face et devant nous, une de ces fameuses portes-fenêtres qui donnait sur une vue imprenable de l’arrière-jardin.
— La petite porte à droite donne sur ta chambre et celle juste en face mène à la mienne.
— Et celle juste ici ? lui demandai-je en pointant la porte d’un rouge maronné qui se trouvait à gauche de l’entrée.
— C’est celle d’Ava. Elle est déjà descendue au réfectoire. Mais entre nous, elle ne sert pas à grand-chose, tu verras.
Eleanor me tendit deux clés en m’indiquant celle de ma chambre et celle de notre salon.
— Je vais me changer. Tu peux aller voir ta chambre, tes affaires sont déjà là.
— Quel service étoilé, dis-moi !
— Ne t’y fais pas, me prévint-elle en commençant à défaire son peignoir tandis que j’essayai d’ouvrir la porte de ma chambre.
La chambre sentait le renfermé. Une fenêtre, vite ! Il y en avait justement une à ma gauche. Et bien sûr, je me fis mal en tournant cette fichue poignée. Pas douée !
— Mmmh… De l’air frais…
Je me laissai envelopper par cette légère brise, qui m’effaça toute notion du temps.
Cette époque avait une autre odeur, une autre couleur. Tout paraissait si facile, si bon, si beau en ce temps-là lorsque la petite n’avait que sept ans.
— Carter ! Attendez-moi ! Vous courez trop vite !
La petite fille essoufflée essaya de rattraper le jeune garçon du mieux qu’elle pouvait. Ses joues pourpres et ses boucles emmêlées lui donnaient un air sauvage. Elle dégagea ses cheveux en bataille et un sourire espiègle se dessina sur son visage enfantin.
— Touché ! C’est à votre tour maintenant ! Essayez donc de m’attraper ! cria-t-elle en riant.
La fillette courut aussi vite qu’elle put sans se retourner. Le vent effleurait son visage heureux et insouciant. Les deux enfants jouaient dans l’arrière-jardin du château sous les regards curieux des quelques passants habituels de la cour. Ils ne faisaient pas attention à ce que l’on pouvait dire ou croire, ils jouaient. C’était l’innocence. Pure et douce enfance perdue dans les méandres des rayons ensoleillés d’un été d’antan.
— Elizabeth !
La petite ne prêtait pas attention. Il n’était pas question d’insolence ici, mais seulement d’une parcelle de liberté volée qu’elle n’avait pas envie de laisser s’évaporer. Il lui fallait ce moment d’allégresse avec son Carter.
— Mademoiselle Elizabeth !
Elizabeth… Ce prénom résonna dans ma tête. Je me penchai par la fenêtre en tenant fermement la rambarde du balcon. Il n’y avait personne. Les enfants avaient disparu. Le jardin était à présent vide, dénué de toute trace humaine. Le soleil avait cédé sa place à un ciel grisâtre. Les nuages se rapprochaient doucement du domaine, plongeant petit à petit le château et ses alentours dans une atmosphère brumeuse. Eleanor me surprit en entrant dans la chambre.
— Alors, mademoiselle ? Comment trouves-tu ta chambre ? me demanda-t-elle avec son sourire éclatant. Par contre, il va falloir astiquer tout ça, continua-t-elle en laissant traîner son doigt sur la poussière de la commode.
Ah oui, la chambre… Je l’avais complètement oubliée…
— Tu n’aurais pas entendu des cris par hasard ?
— Hein ? De quoi parles-tu ? Tout le monde est dans le réfectoire à cette heure-ci, me répondit-elle en levant un de ses sourcils.
— Il y avait des enfants, lui affirmai-je sûre de moi en pointant mon doigt vers la fenêtre entrouverte.
— Des enfants ? Seigneur… Ils sont tous morts il y a bien des années… Une terrible tragédie, si tu savais… m’annonça-t-elle avec une voix à peine perceptible.
Mon visage se décomposa et il y avait de quoi.
— Hé ! Détends-toi ! C’était une blague ! Il n’y a jamais eu d’enfants ici, du moins pas ces derniers siècles. Maintenant viens, on va manger je crève de faim !
Impossible ! La scène venait de se dérouler sous mes yeux. Le soleil, ces éclats de rire, l’appel de la femme… Tout y était, j’en suis persuadée. Eleanor avait déjà atteint la porte de notre pièce commune quand j’émergeai de mes pensées. Ou d’un rêve ? Je ne sais plus… Elle m’ordonna de me bouger les fesses.
— Nat’ ! J’ai faim, magne-toi, pour l’amour de Dieu !
— J’arrive ! lui criai-je, j’arrive…
Je refermai la porte de ma chambre et la rejoignis sur le palier en verrouillant notre porte commune.
— Allons-y ! lui lançai-je avec un sourire plein d’entrain.
Elle leva les yeux au ciel, l’air de dire « Je n’en peux plus ». Je la pris par le bras et nous descendîmes les larges escaliers pour nous rendre au réfectoire.
— Bravo ! Nous sommes en retard !
Je regardai Eleanor en ne comprenant pas ce qu’elle me racontait.
— Les meilleurs plats sont déjà en train de nager dans l’estomac des crétins.
— Réjouis-toi d’avoir de quoi manger déjà…
— Moralisatrice ! Je t’aurai prévenu ! s’exclama-t-elle en prenant un bol de salade coloré et une assiette de lasagnes qui ne ressemblait pas à grand-chose.
Je l’imitai et nous nous dirigeâmes vers une des tables en bois brut du réfectoire.
— C’est sympa ici, on se croirait dans une ancienne taverne ! m’exclamai-je.
— Oui, il ne manque plus que les gros alcooliques, les catins et nous revoilà à l’époque médiévale ! Ah bah non, il ne manque plus que les alcooliques finalement, rectifia-t-elle en passant devant Samantha et sa bande de filles.
Je m’esclaffai. Nous nous dirigeâmes vers une table déjà occupée par deux personnes. Oh non ! Je sens qu’il va falloir sociabiliser !
— Bonjour ! Bonjour !
— Te voilà enfin Eleanor ! s’exclama un garçon aux cheveux bruns en bataille.
— C’est de la faute de Nat’ ! Assieds-toi, ils ne vont pas te manger.
Je m’installai et me présentai.
— Moi c’est Anthoine, à ton service !
Le garçon avait des yeux couleur noisette. Son regard était vif et sa façon de se tenir témoignait un excès d’énergie qu’il n’arrivait pas à contenir.
— Calme tes phéromones Anthoine, lui lança Eleanor.
— Et moi, je suis Ava.
— Ah oui ! Ma deuxième camarade de chambre.
Elle hocha la tête tout en mordant dans sa pomme. Ava paraissait calme et observatrice du monde qui l’entourait. Sans grand artifice, elle avait l’air un peu négligé dans la manière de s’habiller.
Nous parlâmes quelque temps du sujet inévitable qu’était mon arrivée ici, puis notre conversation dériva sur d’autres sujets bien plus sympathiques tels que les choses banales de la vie. Un silence s’installa pendant que tout le monde était concentré sur sa nourriture.
— Les gars… commença Eleanor, vous êtes-vous déjà demandé ce qu’il y avait ici avant l’internat ?
Nous la dévisageâmes et fîmes « non »de la tête.
— Je pense qu’il y avait un orphelinat…
— Quoi ? De quoi tu parles ? Elle est tombée sur la tête ? demanda Anthoine en finissant son verre de jus de fruits.
— Nathalya, tu as entendu des enfants, non ?
— Oh, tu sais entre ce que je crois avoir vu ou entendu et la réalité… lui dis-je en haussant les épaules.
— Tu ne disais pas ça tout à l’heure… Je me demandais… Enfin… Vous pensez qu’il y a un monde entre le nôtre et celui des disparus ?
Je décidai de ne pas répondre à cette question.
— Tu nous fais une séance de spiritisme ? se moqua Anthoine.
— Je ne rigole pas ! Tu ne me prends jamais au sérieux de toute manière, toi !
— Eleanor a une passion un peu trop prononcée pour l’occulte, me chuchota Ava.
Eleanor regarda mal Ava.
— Bon… Je vais vous laisser avec vos délires de magiciennes, je vais rejoindre Raphaël. C’est cool de t’avoir croisée, Nat’ ! me salua Anthoine tout en se levant pour quitter la table. Eleanor fit une grimace, qui d’après moi devait imiter Anthoine, puis se tournant vers nous, insista avec un regard perçant. Ava tripotait ses cheveux châtains et retenait un rire qui n’allait pas tarder à s’échapper.
— À mon avis, il vaut mieux laisser les morts là où ils sont, Eleanor, conseillai-je gentiment.
Nous passâmes toutes les trois dans notre salle commune le restant de la journée. Les filles me firent un débriefing sur les différents cours et surtout les différents bruits de couloir. Fort divertissant, je dois l’avouer !
Les lumières artificielles commençaient à s’allumer dans l’enceinte du château. La nuit tombait doucement et avec elle, la fin d’une journée curieusement intéressante. Une fois dans notre « modeste petit salon », comme le disait Eleanor, je souhaitai une bonne nuit à mes deux nouvelles camarades et m’effondrai sur mon lit. Comme il est confortable ce lit à baldaquin ! Il était fait d’un bois robuste, accompagné d’un drapé légèrement transparent dans les tons crème. Ces simples voilures, donnant l’effet de rideaux, offraient une bulle d’intimité, loin de tous ces mensonges de la vie. Je fermai les yeux et essayai de rejoindre le monde des songes.
— Seigneur ! Elizabeth, regardez-vous ! s’exclama la gouvernante en essayant d’arranger les cheveux bouclés de la jeune fille.
Celle-ci alla s’asseoir sur une chaise placée devant la coiffeuse.
— Marina ! Vous me faites mal ! Aïe ! Laissez-moi en paix ! Vous ajoutez du poids à mon malheur.
— Il n’est pas concevable pour une jeune fille de votre rang d’apparaître comme vous le faites. Tenez-vous droite ! ordonna Marina.
— Père est bizarre… Il ne veut plus que Carter et moi jouions ensemble quand… Je… la voix de l’enfant se perdit dans des sanglots.
— Je suis là, mademoiselle… chuchota la domestique tout en prenant dans ses mains le visage de la petite fille en pleurs.