L’héritage Valmont - Réjane Edouard - E-Book

L’héritage Valmont E-Book

Réjane Edouard

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Beschreibung

Luc, Pierre et Francis, trois frères réunis pour les obsèques de leur père, Edmond Valmont, ancien président d’une prestigieuse entreprise française, s’attendent à tourner définitivement la page d’une existence marquée par la froideur paternelle. Mais la lecture du testament change tout. Dans un ultime acte de contrôle, leur père leur impose un défi surprenant : une série d’épreuves à surmonter pour prétendre à leur héritage. Ce jeu cruel réveille de profondes rancunes et ravive les conflits enfouis, transformant leur quête d’héritage en une course effrénée vers une vérité insoupçonnée. Entre secrets de famille et révélations inattendues, ce récit dévoile peu à peu les réelles intentions d’un père au-delà de la mort. Une intrigue où l’héritage devient bien plus qu’une simple question d’argent.

 À PROPOS DE L'AUTRICE

Installée depuis dix-sept ans dans la campagne du Lot, Réjane Edouard, influencée par Bernard Werber, Dan Brown et Joël Dicker, se lance en 2022 dans l’écriture de son premier roman. Inspirée dès l’enfance par l’univers du "Club des cinq", elle construit une intrigue où mystères et secrets s’entrelacent avec finesse.

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Seitenzahl: 236

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Réjane Edouard

L’héritage Valmont

Roman

© Lys Bleu Éditions – Réjane Edouard

ISBN : 979-10-422-5103-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

– Une famille normale, Le Lys Bleu Éditions

– Les vagues ont tout effacé, Le Lys Bleu Éditions

À ma sœur Annie,

À nos parents partis trop vite,

À ma fille,

À notre famille soudée

où aucun secret n’a terni l’enfance

Les différences au sein de la famille humaine devraient être la cause de l’amour et de l’harmonie, de même qu’en musique l’accord parfait résulte de la résonance simultanée d’un grand nombre de notes différentes.

Abdu’l-Bahá

Prologue

Depuis toujours, j’avais arpenté les pièces de cette maison. J’y avais vécu toute mon enfance avec mes deux frères et mes parents. Il y avait maintenant quinze ans que j’en étais parti. À vingt-deux ans, ayant terminé mes études d’art, j’avais pris un appartement à Londres. Mes deux frères, un peu plus jeunes que moi y étaient restés encore quelques années. Francis, le cadet, avait fait des études de médecine et, comme chacun sait, étant très longues, il avait continué à vivre chez nos parents jusqu’à ses vingt-huit ans. Pierre, de deux ans de moins que moi, était parti peu après, pour un voyage autour du monde. Je ne m’étais jamais entendu avec mon père. Mes études d’art avaient toujours été un sujet de discorde.

Je me souviens de sa réaction lorsque je lui annonçais ma volonté de poursuivre mes études aux Beaux-Arts.

« Luc, je te l’interdis. Si tu ne choisis pas un domaine plus convenable, je te couperais les vivres. »

Mon départ pour Londres fut mon salut. Il me coupa effectivement les vivres, mais je réussis à me débrouiller en prenant un emploi de serveur dans un pub.

Dirigeant d’une grosse entreprise familiale cotée en bourse, il tenta de nous élever comme il régissait ses employés. Rigueur, ponctualité, sérieux… Très tôt, il avait tenu à nous associer à la direction de l’entreprise et exigeait que nos études nous permettent d’en assurer la succession. Son souhait était que nous nous formions à l’école des Hautes Études Commerciales. J’étais l’aîné, et vous comprendrez aisément que mon parcours artistique n’était pas ce dont il avait rêvé. Aucun de mes frères ne lui fit ce plaisir. De nous trois, celui qui avait le mieux réussi, était Francis, son statut de chirurgien, ainsi que le salaire qu’il générait, rendait fier notre père. Pierre était sa plus grande déception. Du plus loin que je me souvienne, il a toujours été en opposition. Il rêvait d’espace, d’écologie et son horizon était à l’opposé de celui de Père.

À la maison, nous n’étions heureux que pendant ses absences. On s’est toujours demandé comment notre mère faisait pour le supporter, mais elle semblait l’aimer. Elle avait pour lui des gestes tendres qu’il ne remarquait même pas, passant son chemin sans même la regarder. Elle avait essayé de nous vanter ses qualités et s’ingéniait à nous raconter ses bons côtés, mais nous n’avons jamais réussi à les découvrir. On se disait que réellement l’amour rendait aveugle. Quand il était là, l’atmosphère devenait invivable. Notre manière de vivre ne lui convenait pas, il nous imposait son rythme, réveil à l’aube, sport dès le matin, tenue correcte pour les repas… Je crois que ni moi ni aucun de mes frères ne l’avons jamais aimé, et à part le futur médecin, nous avons fui la maison le plus vite possible.

J’ai reçu un télégramme hier, m’annonçant sa mort. J’ai aussitôt réservé un vol, afin d’être là pour les funérailles qui auront lieu jeudi matin. J’étais arrivé le premier. Je ne savais pas si on avait réussi à joindre Pierre. Où était-il ?... Dans quel coin du monde ? Je n’avais pas eu de ses nouvelles depuis cinq ans. À l’époque, il vivait en Australie, près de Sydney.

Francis arriva dans l’après-midi. Il avait son cabinet à Paris et la Touraine n’était pas très éloignée pour lui. Sa femme Julie l’accompagnait. Je ne l’avais pas rencontré depuis son mariage, et j’avoue qu’elle avait bien changé. Elle s’était arrondie et ses cheveux bruns étaient devenus blond platine. Je ne l’aurais pas reconnue si je l’avais rencontrée par hasard. Lui, toujours aussi sérieux, portait un costume de tweed et une chemise blanche avec cravate. À côté, mon jean et mon sweat faisaient un peu négligés. Je me demandais à quoi ressemblait Pierre. Certainement pas à Francis. Il me dit l’avoir contacté par l’intermédiaire de l’ambassade de France à Sydney et qu’il serait là pour l’enterrement.

On s’était assis dans le salon, rien n’avait changé.

Le décor austère me donnait froid dans le dos. Les boiseries cirées, la cheminée de marbre rose, la table en acajou et les chaises Henri II garnies de cuir marron étaient d’un autre temps. Je les avais toujours connus et détestés. Au centre de la pièce, le portrait de mon père, en costume sombre, les bras croisés, le buste fier nous toisait de son regard sévère. C’était intolérable.

Une seule chose était différente dans cette pièce, le tableau au-dessus de la cheminée. Je ne l’avais jamais vu.

Je demandais à Francis s’il l’avait connu, mais lui aussi s’en étonnait. Il était surprenant. Il n’allait pas avec les goûts de Père.

C’était un tableau religieux représentant la Cène. Son encadrement, orné de grosses moulures or, faisait qu’on ne voyait que lui. Mon père serait-il devenu mystique en vieillissant ?

Chapitre I

Les funérailles

Le corps avait été exposé au funérarium de Tours durant les trois jours précédant son inhumation. Une foule incessante était venue s’y recueillir et nous présenter leurs condoléances. Toute l’élite locale était présente ainsi que quelques hauts dignitaires de la République. Son statut de président d’une grande entreprise française l’avait fait connaître en haut lieu. Pendant ces trois journées, nous nous étions relayés auprès du cercueil, afin de les accueillir. Pierre avait fini par arriver, il était méconnaissable, barbu, viril, c’était devenu l’image même du baroudeur. Indiana Jones n’avait qu’à aller se rhabiller.

Au milieu de tous ces gens vêtus de noir, il dénotait. Peu de monde le reconnaissait et leurs regards en disaient long. Je n’ose imaginer la tête de père s’il le voyait. Pour ma part, j’étais heureux de le revoir et impatient d’en savoir un peu plus sur sa vie. Père avait fait trois garçons, mais aucun ne lui ressemblait, tant physiquement que moralement. Nous étions si différents. Je crois que l’acharnement qu’il avait mis à nous dresser avait fait de nous ce que nous étions devenus. Ça nous avait poussés dans nos retranchements, et en quelque sorte, c’était grâce à lui que nos vies étaient ce qu’elles étaient. On avait chacun affirmé nos différences et nos personnalités.

Le soir, nous nous étions retrouvés à la maison. On avait fait livrer des pizzas, et installés dans la salle à manger, nous discutions de nos vies respectives. Les trois frères, comme à l’époque de notre enfance, mais sans Père pour nous brimer, on se sentait libre de rire, de parler fort. L’atmosphère n’avait jamais été aussi légère entre nous. L’épée de Damoclès avait disparu. On s’était permis, avec un plaisir non dissimulé, de se servir un verre de son whisky et fumer un de ses cigares. L’humeur était à la détente et l’on ne s’était jamais si bien entendus. On avait quand même évité de nous installer dans la même pièce que son portrait. À chaque fois que nous passions sous celui-ci, son regard désapprobateur nous faisait frissonner et l’on ne pouvait s’empêcher de baisser les yeux.

Francis nous raconta son quotidien de chirurgien, sa vie à Paris, sa difficulté à avoir un enfant, ainsi que de désir partagé avec sa femme d’adopter.

Je ne l’enviais pas. Il semblait fatigué et peu enjoué. Elle, elle était insignifiante, fade et superficielle à la fois. Je ne suis pas certain qu’il soit vraiment heureux. C’était, des trois, le plus cultivé, celui qui avait suivi les études les plus élevées, celui qui avait réussi, mais je ne l’enviais pas. Aucune fantaisie, aucun grain de folie.

Pierre, lui, me surprenait. Sa vie semblait riche et variée. On était pendu à ses lèvres. Son parcours était incroyable, après des années à arpenter le monde, il avait fini par s’installer à un peu moins de trois heures de Sydney, dans la Hunter Valley.

C’était la plus ancienne région viticole d’Australie. Pierre y avait travaillé pendant plus de deux ans afin d’acquérir les ficelles du métier. Aujourd’hui, il était devenu propriétaire d’une grosse exploitation viticole. Son vin était réputé. Égal à lui-même, il avait orienté sa production vers le bio, et la mode faisant, il répondait à une demande sans cesse croissante. Côté sentimental, il nous montra la photo de sa femme et de ses trois enfants. C’était une très jolie brune à longs cheveux, le visage buriné par le soleil, les yeux foncés, un large sourire éclairait son visage. Deux garçons et une petite fille l’accompagnaient. Ils étaient aussi décontractés que lui et leurs visages transpiraient de bonheur. C’était une très jolie famille. Père serait surpris de voir que Pierre avait réussi et qu’en quelque sorte, il s’était lancé dans les affaires. Jamais on n’aurait parié sur lui en matière d’entrepreneuriat. Il nous demanda si l’un d’entre nous avait une tablette. Je lui prêtai la mienne et il nous montra le site internet de son exploitation. Ça n’était pas un petit domaine, on devinait des vignes à perte de vue, les bâtiments et les caves étaient incroyables. On y voyait des hommes et des femmes s’activer au milieu du vignoble. Il faisait défiler les photos de son site, quand on le vit au pied d’un petit avion. Il avait passé son diplôme de pilotage et survolait régulièrement son domaine avec son appareil. Il nous expliqua que l’Australie étant un territoire très étendu, il avait décidé d’apprendre le pilotage et de s’acheter cet Airkraft 24 afin de faciliter ses déplacements. On était sidéré. C’était un tout autre Pierre que nous découvrions. J’étais heureux pour lui. Francis, lui, ne disait mot. Ils se regardaient avec sa femme, semblant désapprouver ce qu’ils voyaient. Était-il jaloux ? Mais de quoi, de son bonheur, de sa réussite, de la jolie famille qu’il avait fondée ? Je ne savais qu’en penser.

Je lui demandai jusqu’à quelle date il comptait rester en France. Il me répondit qu’il ne savait pas, car il en profiterait pour acquérir des cépages inexistants en Australie.

C’était à mon tour de leur dérouler ma vie. Lorsque j’avais quitté la France pour Londres, j’étais sans un sou, mais j’avais de nombreux contacts dans le monde de l’art. Au fil des années, j’avais réussi à dénicher des peintres encore inconnus auxquels j’avais cru. J’y avais investi mon peu d’argent et j’avais bien fait, car leur côte avait rapidement monté. J’avais répété l’opération plusieurs fois et rapidement avais racheté une galerie en plein centre de Londres. Aujourd’hui j’étais reconnu et de nombreux artistes se battaient pour y exposer leurs œuvres.

On trinqua à nos trois réussites, considérant le chemin que nous avions fait, dans trois domaines complètement différents. La médecine, le vin et l’art. Qui l’eût cru ?

Alignés à trois au premier rang des chaises de l’église Saint-Étienne, on entendait la foule s’engouffrer dans l’allée centrale. Un nombre incroyable de personnes avait tenu à assister aux obsèques de notre père. Tous n’avaient pu entrer, et une longue file patientait sur le trottoir devant l’église. Le cercueil était installé au centre de la nef, devant le chœur. Le prêtre nous avait demandé une photo de père et l’avait déposée à l’avant du cercueil. Même le jour de ses obsèques, il semblait nous regarder sévèrement. Je n’arrivais pas à en détourner mon regard.

Cela m’avait semblé une éternité. S’asseoir, se lever et s’asseoir à nouveau, l’Ostie, l’encens, la quête, et… le pire, les condoléances, toutes ces mains à serrer, ces petites phrases de réconforts… Je n’en pouvais plus.

Les pompes funèbres emmenèrent enfin le cercueil jusqu’au cimetière de Sainte Radegonde, là où se trouvait le caveau de famille. Nous n’avions pris qu’une seule voiture et accompagnions le fourgon funéraire. Une file ininterrompue de véhicules nous suivait. On avait marché à l’arrière du cercueil, porté par les opérateurs funéraires, jusqu’à la tombe. Le caveau avait été ouvert et un vaste trou noir s’ouvrait à nous. Ils l’avaient descendu à l’aide de cordes. Plusieurs personnes avaient tenu à faire un petit discours, mais ni mes frères ni moi n’avions rien préparé. C’était terminé, petit à petit, les véhicules s’étaient éloignés et nous nous retrouvions enfin seuls.

« Il a eu des obsèques comme il aurait aimé les avoir, dignes d’un homme célèbre qui avait compté pour sa communauté », dis-je à mes frères.

« Oui, la ville lui doit beaucoup. Il était bien meilleur chef d’entreprise que père », répondit Francis.

On n’avait pas préparé de réception pour clôturer la cérémonie. Ce moment de convivialité qui est généralement proposé après la mise en terre, afin de rendre un dernier hommage au défunt, ne nous semblait pas indispensable. Nous avions fait le maximum.

Le lendemain matin, nous avions rendez-vous chez le notaire afin de régler la succession. Nous ne nous attendions à rien de spécial, car la loi en France oblige à répartir l’héritage de ses enfants en parts égales. Normalement, il n’avait pas pu avantager l’un par rapport à l’autre ni nous déshériter. Nous ne savions pas s’il avait rédigé un testament.

Cela faisait plus de vingt minutes que nous patientions dans la salle d’attente de l’étude, quand on nous fit entrer. Le notaire, un petit homme brun dans un costume étriqué, les cheveux gominés, s’était levé et était venu nous serrer la main. Il nous fit asseoir face à lui. Installé dans un fauteuil de cuir vert olive, il chaussa ses lunettes en écaille et ouvrit un dossier qu’il prit sur une pile à sa gauche. Sur la couverture, on pouvait lire Succession Valmont.

« Je vous ai réuni ici, afin de vous donner connaissance de l’existence d’un testament rédigé par votre père il y a maintenant six mois. »

Après nous avoir identifiés comme seuls héritiers, il établit le bilan complet du patrimoine, biens immobiliers et financiers, ainsi que leur évaluation financière. Suite au bilan établi pour la succession, nous avions quatre mois pour signifier notre choix au notaire. Jusque-là tout se déroulait comme prévu. Nous en avions discuté et étions d’accord pour vendre les biens immobiliers et nous en partager la vente.

Ce que nous n’avions pas prévu c’était la suite.

Le notaire sortit une enveloppe en kraft du dossier. Je reconnus l’écriture de Père. Il la décacheta et nous lit ce qui y était écrit.

Tours, mardi 6 juin 2022

Je vous imagine assis tous les trois devant le notaire, attendant avec impatience ce que j’ai bien pu vous préparer, et j’avoue que ça me fait sourire.

Ceci est mon testament :

Au-delà de la succession normale des biens immobiliers et financiers, il existe l’entreprise familiale. Seul l’un d’entre vous peut en être le président, et j’avoue que je n’en vois aucun capable de la diriger. J’ai donc vendu une partie des actions. Aujourd’hui elle appartient à la famille à 51 % des parts du capital. Il y aura donc, à partir de maintenant, un conseil d’administration, dont l’un de vous sera le président. N’ayant pu déterminer celui à qui j’en donnerai la direction j’ai pensé que la solution viendrait de vous.

Voilà ce que vous devez faire pour prouver que vous êtes le plus apte à garantir la fiabilité de l’entreprise :

J’ai organisé une sorte de chasse au trésor. À vous de découvrir chacune des étapes. À chaque fois que vous trouverez un lieu, vous rechercherez un courrier adressé à votre nom, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le dernier vous ramène là où vous êtes assis en cet instant.

Bonne chasse, le meilleur d’entre vous prouvera son intelligence, sa sagacité, et méritera donc la présidence de la société à qui j’ai donné ma vie.

Votre Père,

Edmond Valmont

Chapitre II

Première énigme

On était sorti de l’étude sans se dire un mot. On était tellement surpris par ce qui venait de nous tomber sur la tête. À la fois, on ne voulait pas de la présidence de l’entreprise, mais on ne désirait pas non plus la laisser à l’autre. Pourquoi l’un d’entre nous serait-il avantagé. De retour à la maison, on s’était assis dans les fauteuils de cuir gold, face au portrait de père. Il était vraiment capable de tout pour nous mettre à l’épreuve. On était resté silencieux, on le regardait, c’était tout. Dans nos yeux, on pouvait lire de la sidération, de la haine, un besoin de vengeance. J’avais envie de lacérer ce tableau pour ne plus voir son regard hautain me toiser.

J’interrogeais Pierre :

« Tu vas rester en Europe ? »

« Oui le temps de trouver ce qu’il a caché », me répondit-il.

« Et toi, Francis ? »

« Je vais jouer le jeu moi aussi », répondit-il à son tour.

On s’était servi un whisky et on a levé nos verres face à son portrait. On avait trinqué et d’une seule voix :

« Que le meilleur gagne. »

La soirée s’était écoulée lentement. Chacun réfléchissant au premier indice. Moi, j’avais une petite idée. Il faut dire que j’avais un avantage par rapport à mes deux frères. Le monde de l’art allait m’aider. J’étais certain que le tableau dans le salon était le premier indice. Je ne leur en soufflais mot et allais me coucher.

À l’aide de ma tablette, je prenais quelques renseignements sur la toile :

La Cène de Leonardo est située dans la salle à manger d’origine de l’ancien couvent dominicain qui appartient à l’église Santa Maria delle Grazie à Milan, et plus précisément dans le réfectoire du couvent. Elle fait partie des œuvres les plus célèbres du monde.

Le matin, je m’étais réveillé tôt et j’en avais profité pour faire mes bagages et quittais la maison sans bruit. Mes frères dormaient et ne m’avaient pas entendu partir. J’avais commandé un taxi pour l’aéroport Tours Val de Loire. Arrivé dans le hall, je me dépêchais de commander un billet direct pour Rome d’où je prendrai une correspondance pour Milan. Il partait dans une heure, j’avais donc le temps d’avaler un petit déjeuner. Je m’attablais devant le seul café de l’aéroport. Je n’osais imaginer la tête de mes frères lorsqu’ils constateront mon départ. C’était un peu vache de ma part, mais chacun pour soi. Je me demandais si l’un des deux allait trouver l’indice du tableau, et si oui, lequel. Je pariais pour Pierre, il était plus imaginatif, plus inventif. Étaient-ils levés ? S’étaient-ils aperçus de mon départ ?

Il était déjà neuf heures du matin et l’avion ne tarderait plus à être annoncé. Au moment où je regardais ma montre retentit l’appel pour l’enregistrement. Je réglais ma consommation et me dirigeais vers les hôtesses. Ça y est, je suis assis dans l’avion, je ne tarderais pas à savoir si j’avais eu raison. Le vol n’était pas complet. Seuls quelques couples et deux ou trois hommes d’affaires se rendaient en Italie. Je me dépêchais de rejoindre la salle d’embarquement pour mon vol vers Milan. J’y serai dans une heure. J’étais impatient.

Mon souci était ma piètre connaissance de la langue italienne. Je cherchais sur mon téléphone la traduction des quelques phrases dont j’allais avoir besoin.

D’abord pour le taxi : « Voglio andare alla chiesa di Santa Maria delle Grazie a Milano. »

J’étais prêt. Pourvu que je ne me sois pas trompé et que le tableau soit bien l’indice. Incroyable ce que mon père avait mis en scène. Aller jusqu’à nous envoyer à Milan. Que sera la prochaine destination ?

Décidément, il m’étonnera toujours. Je constatais que sous ses airs rigides, il était finalement capable de fantaisie. Dommage qu’il ne nous en ait pas fait profiter de son vivant.

J’avais pris un taxi pour rejoindre le centre de Milan. Je traversais une ville aux bâtiments très éclectiques. De magnifiques jardins ponctuaient les avenues bordées d’immeubles où les balcons agrémentés de décorations surplombaient des bas-reliefs représentant des figures féminines de style Art nouveau. Rien à voir avec les avenues parisiennes ou londoniennes.

Le taxi m’arrêta au bord d’une place où des plots interdisaient le passage. De là, je pouvais admirer ce pour quoi j’étais venu jusqu’ici : l’église Santa Maria delle Grazie.

Au centre d’une grande place pavée, trônait un magnifique édifice de style Renaissance italienne fait de briques rouges. Sa forme était étonnante. Le corps du bâtiment était surplombé par une coupole posée sur un cube monumental orné de décors géométriques où le rouge des briques s’opposait au jaune de l’argile.

Je franchissais la porte et admirais l’intérieur de l’église richement décoré, avec des figures de Saints et des moulures décoratives.

J’accédais ensuite au cloître au nom curieux : le cloître des grenouilles, et, en effet, une fontaine ornée de batraciens en bronze en composait le centre. Je l’admirais tranquillement, visitais le couvent, le jardin, avant de me rendre dans le réfectoire où se trouvait l’un des plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art. L’avance que j’avais prise sur mes frères me permettait de découvrir pleinement les lieux.

Léonard de Vinci avait peint La Cène sur un mur du réfectoire où les frères du couvent autrefois se restauraient.

Afin de réaliser cette peinture de grandes dimensions, le maître employa une technique originale, en peignant directement sur le plâtre, ce qui fut malheureusement à l’origine de sa rapide dégradation.

La fresque représentait le dernier repas que le Christ avait partagé avec ses apôtres, le soir du Jeudi saint, la veille de sa crucifixion.On y voyait les douze apôtres, dont Judas, et la seule femme Marie-Madeleine. La fresque recouvrait la totalité du mur du réfectoire. J’étais émerveillé par le réalisme des visages, leurs expressions.

L’œuvre avait-elle inspiré mon père comme elle avait influencé Dan Brown dans son roman Da Vinci Code. Était-ce un hasard, voulait-il ici évoquer notre famille et la possibilité d’un traître ? S’était-il imaginé en Jésus au centre de nous trois et de notre mère en Marie-Madeleine ? Et le partage du pain symbolisait-il le partage de ses biens ?

Je n’avais pas la réponse, mais je vivais cette expérience avec beaucoup d’intérêt et d’excitation, comme un gosse participant à une chasse au trésor. Je n’étais jamais venu à Milan, et ma visite me comblait tant par intérêt artistique que pour ma recherche d’indice. Maintenant, il fallait trouver le courrier dont parlait mon père. Je me retournais, regardais partout dans le réfectoire. À l’opposé de la Cène, on découvrait, évoquant le jour suivant celui du repas, une fresque représentant la crucifixion. Elle était beaucoup moins célèbre, car elle n’était pas peinte par Léonard. Inspectant chaque recoin du réfectoire, je ne voyais rien qui puisse être un indice.

Je m’approchais d’un panneau accroché à l’entrée. Des feuillets mentionnant les horaires des messes y étaient affichés, mais là non-plus, rien qui ressemblait à un message de mon père.

Je quittais l’église et allais me reposer en terrasse d’un café. Je réfléchissais. Où pouvait se trouver ce courrier ?

À mon arrivée, je m’étais rendu à l’accueil pour acheter mon ticket d’entrée. Était-ce là que l’on me le remettrait ?

Je payais ma consommation et y retournais. Utilisant le traducteur de mon téléphone, je demandais tant bien que mal à l’hôtesse, si elle avait un message pour moi. À la vue de son regard, et des grands gestes qu’elle fit, je compris vite que ma question l’avait interloquée. Les sourcils froncés, parlant fort et faisant des moulinets avec les bras, elle me fit comprendre de libérer la file d’attente. Elle m’avait surpris par son débit auquel je n’avais rien compris. Décidément les Italiens sont très volubiles et expressifs. Leur langage corporel est impressionnant et leur niveau sonore est particulièrement élevé. Je quittais rapidement les lieux sous le regard réprobateur de la foule.

Bon, ce n’était pas là. Où chercher un courrier ?

Tout d’un coup, j’eus une illumination. Mais bien sûr, un courrier… La poste, c’était à la poste qu’il fallait aller !

Il fallait trouver le bureau de poste le plus près de l’église. Je cherchais activement la traduction sur mon téléphone.

« Voglio andare all'ufficio postale più vicino ? »

J’évitais de retourner vers la file d’attente, traversais la route et m’adressais à un couple de promeneurs. Par chance, ils parlaient le français et m’expliquèrent la direction à prendre. Il y avait effectivement un bureau de poste à proximité. On ne pouvait pas le rater. De loin, je pouvais lire un gros P et un gros T bleu sur un fond jaune en façade. Avant d’y entrer, je préparais, avec mon traducteur, la question à poser à l’hôtesse et sortais ma carte d’identité. Là également, une file de personnes patientait avant moi. J’y prenais place et attendais. Enfin, je tendis ma carte d’identité et répétais avec le meilleur accent possible ma question. L’hôtesse se leva et se rendit à l’arrière des guichets. Peu de temps plus tard, elle me tendit une enveloppe à mon nom. J’avais réussi !

J’étais heureux et fier de moi, j’avais pris de l’avance sur mes frères et j’avais toutes mes chances pour gagner le poste de président.

Chapitre III

Premier jour de quête

Pierre avait mal dormi. Il n’était plus habitué à l’atmosphère des maisons françaises. Le chauffage l’avait incommodé et le bruit des véhicules circulant à l’extérieur l’avait plusieurs fois réveillé.

Il descendit dans la cuisine et se mit à faire du café. Il mit un certain temps à trouver le nécessaire. Francis et sa femme le rejoignirent quelque temps plus tard et profitèrent de la cafetière que Pierre venait de faire couler.

Ils ne réagirent pas de suite à l’absence de Luc. Silencieux, ils se réveillaient doucement. Il était neuf heures trente comme l’indiquait la pendule du salon qui venait juste de sonner.

« Ahhh cette pendule ! Elle m’a réveillé chaque heure de la nuit ! » se plaignit Francis.

« Moi, c’est le bruit des voitures et il fait trop chaud dans cette maison », lui répondit Pierre.

Comme ils commençaient à reprendre leurs esprits, ils se rendirent compte que Luc n’était pas descendu.

« En tout cas, il y en a un qui dort bien ! » constatait Francis.

Pierre monta quatre à quatre les marches de l’escalier et alla frapper à la porte de la chambre.

Rien, pas de réponse. Il tourna délicatement la poignée et passa la tête. Il redescendit plus vite encore qu’il n’était monté et s’écria : « Il est parti, Luc est parti ! »

Francis en lâcha son bol de café. Ils s’étaient fait avoir. Luc les avait doublés. C’est seulement là qu’ils prirent conscience de l’importance du testament. S’ils voulaient la présidence, il fallait se bouger. Manifestement, Luc avait pris de l’avance et il fallait se séparer. Chacun devait prouver à l’autre et à soi-même qu’il était digne du poste.

Pierre avala rapidement sa tasse et se rendit dans le bureau de son père. Il ouvrit chacun des tiroirs du buffet et se mit à tout sortir. Francis, lui, avait préféré retourner face au portrait du patriarche, croyant y trouver un indice. Il l’inspectait scrupuleusement. Quand Pierre le rejoignit, il le découvrit debout sur une chaise, le nez à peine à un centimètre du tableau.

« Qu’est-ce que tu fais ? »

« Je cherche », lui répondit-il.

Le voyant faire, ça donna une idée à Pierre, qui s’approcha du tableau représentant la Cène. Il le décrocha pensant trouver l’indice à l’arrière, mais rien.

Il le raccrocha et resta un moment pensif à le regarder.