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Puisque vivre c’est avoir des sensations. L’amour serait-il l’essentiel de l’âme ? Mais ressentir son âme, est-ce vraiment possible ?
Une expérience dans le but de contrôler la pensée des animaux afin d’améliorer leurs capacités à servir les hommes. Le besoin d’un professeur de trouver une aide discrète pour ses recherches et d’un étu-diant surdoué.
Lorsque Fracasse, un éminent scientifique propose à Jacques, sous condition d’une loyauté sans faille de l’aider sur ses travaux en laboratoire, il accepte :
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L’expérience va emmener le jeune homme dans une aventure qu’il ne soupçonnait pas.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean-François Zamboni écrit depuis plusieurs années, roman, BD. Il est l’auteur de "HELENA" un roman qui a été en vente au format numérique, de plusieurs projets BD avec Philippe Marin ; 1,2,3 samouraïs et les aventures de la princesse Ying. Mais aussi d’autres projets, notamment "DEPROFUNDIS" le livre du diable avec Frédéric Mené et Jean-Laurent Nijean
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Seitenzahl: 532
Veröffentlichungsjahr: 2024
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J-F Zamboni
L’Homme qui voulait sauver sonâme
À mon épouse Hélène qui m’a soutenu dans mon travail littéraire.
«...et déjà je m’efforçais d’imiter les mouvements d’un oiseau en agitant alternativement les bras, mais pas le moindre duvet, pas la plus petite plume nulle part, au lieu de cela, mes poils s’épaississent et deviennent des crins, ma peau si tendre, se durcit et devient un cuir, aux extrémités de mes mains je ne sais plus combien j’ai de doigts, tous se ramassent en un seul sabot, et, au bas de mon dos pousse une immense queue. »
L’Âne d’or ou Les Métamorphoses d’Apulée.
Auteur Berbère du IIe siècle après Jésus-Christ.
« Les hommes ignorent leur place dans l’univers. » Manifeste hédoniste de Michel ONFRAY.
Au petit matin, l’air frais du printemps glissait sur le 4x4 et s’échappait en petits tourbillons éphémères. À gauche de la banquette arrière, Jacques regardait son visage dans la vitre sous forme d’un hologramme qui se faufilait sur les arbres de la forêt solognote. Il avait accepté avec Julie l’invitation du professeur Fracasse pour connaître la culture de la chasse qui, au dire du professeur, reliait l’homme moderne à ses plus profondes racines.
–La chasse dévoile la bête cachée dans l’homme, son instinct primitif et son long parcours philosophique. Elle est le vrai visage entre la vie et la mort, avait dit Fracasse.
Le vrai visage entre la vie et la mort ! Julie et Jacques venaient voir ce visage qu’ils méprisaient et sans rien se dire, dans la Mercedes du professeur, ils pensaient la même chose. C’était il y a quelques jours, lors d’un cours de parasitologie du professeur où il comparait le plaisir de la recherche à celui de la chasse en citant Blaise Pascal.
–On aime mieux la chasse que la prise, et il ajouta laissant traîner les mots : Blaise... Pascal !
Pour le professeur, le chercheur avait le goût de la traque et devait avoir les stratégies du chasseur qui repère les défauts de la nature pour la maîtriser. C’est là que Julie et Jacques avaient critiqué la chasse et les chasseurs, arguant l’inutilité de leurs existences et citant, pour preuve, les fermes industrielles et les grandes surfaces, fournisseurs de chairs fraîches. Ils avaient piqué au vif Fracasse, mettant indirectement en cause le philosophe et sa morale. Le professeur de biologie moléculaire était un adepte de la chasse autant que de la philosophie, qu’il utilisait sans cesse auprès de ses élèves. Mais il n’acceptait pas la contradiction de ceux qu’il considérait comme inférieurs. Un élève n’était digne de respect qu’une fois diplômé, une fois que le récipiendaire pouvait transmettre et développer lui-même ses capacités, son autonomie scientifique à découvrir l’avenir. Les cours du professeur, malgré son côté irascible, étaient toujours pleins. Bon nombre de ses élèves étaient devenus à leur tour des scientifiques de renommée mondiale sans compter les étudiants venus de disciplines différentes qui s’étaient inscrits pour quelques cours ouverts sur des sujets de recherche pluridisciplinaire. Ainsi, se côtoyaient des disciplines comme la chimie, la médecine ou les mathématiques. C’est comme cela qu’ils s’étaient rencontrés avec Djamel, un jeune étudiant d’origine tunisienne, mince et élancé, d’un mètre quatre-vingts. Un véritable génie en informatique qu’il cachait derrière ses grosses lunettes pour corriger sa myopie. Trois amis aux études différentes qui aimaient se retrouver de temps en temps pour raconter leurs aventures, un verre à la main. Mais un jour nos jeunes tourtereaux avaient critiqué la chasse. Fracasse fronça ses sourcils épais et ses yeux se noircirent. Il parla de la chaîne alimentaire et de l’Homme au sommet, du ridicule de la place animale.
–Il n’y a pas de philosophe, chez les animaux ! Votre moralité n’est pas la leur ! gronda-t-il.
Le professeur s’approcha des étudiants qui entouraient Julie et Jacques. La voix de Djamel résonna doucement à leurs oreilles.
–Ho, ho,ho !
Ce qui voulait dire que les choses allaient être plus compliquées que prévu. Ils regardèrent arriver le mètre quatre-vingt-quinze du professeur et sa tête se placer au-dessus d’eux. La bouche du géant s’ouvrit et déchargea l’anathème.
–L’ignorance est mère de tous les maux aurait dit François Rabelais !
Fracasse eut une moue de réflexion qui parcourut son visage professoral et se transforma en éclaircie laissant échapper la solution.
–Puisque vous ne connaissez pas la chasse, je vous propose de découvrir votre lien avec la nature ! La chasse est fermée, mais si vous surmontez vos préjugés, vous jugerez par vous-même !
Julie regarda Jacques avant de répondre :
–On ne changera pas d’avis, monsieur, mais nous viendrons.
Jacques avait appelé ses parents la veille, pour surtout rassurer sa mère et lui expliquer qu’exceptionnellement, il ne l’appellerait pas ce week-end. Samedi et dimanche, il serait avec Julie en Sologne, invité par leur professeur. Nantes était loin de Paris, même si le TGV transformait en banlieue les grandes villes entre elles. Pour les anciens comme ses parents, la distance était encore immense. Il avait dû leur expliquer que Fracasse s’occupait de leur transport depuis Paris. La voiture prit un petit sentier qui se faufilait à travers l’immense forêt où quelques arbres morts aux branches écartelées semblaient abandonnés par leurs congénères. Sur le sol, l’odeur de l’humus flottait et pénétrait dans le véhicule. Des branchages craquaient, des cailloux roulaient sous le passage des grosses roues. Le 4x4 paraissait fuir la lumière comme happé par des millions de feuilles accrochées dans tous les sens sur les géants de la forêt. De temps en temps, un pneu s’enfonçait dans la route sans ralentir le véhicule, rien ne perturbait leur progression vers le repaire des chasseurs. Julie cherchait dans la végétation qui défilait le moindre indice manifestant la présence d’un animal sauvage. Elle commençait à les croire tous morts, lorsqu’elle aperçut un faisan sortir d’une broussaille et s’envoler. Fracassecria.
–Faisan à trois heures !
Jacques regarda du côté de Julie, mais l’animal avait disparu. Ils roulèrent encore un kilomètre et traversèrent une clairière.
–Lièvre à dix heures ! hurla Fracasse.
–Je ne vois rien ! pesta Jacques.
–Cela va venir, Jacques, les hommes ont la chasse dans le sang !
Julie et Jacques échangèrent leurs regards et ils pensèrent ensemble : « Il se trompe. »
–Nous sommes bientôt arrivés, dit Fracasse enthousiaste.
La voiture arriva au bout du sentier et pénétra dans une petite clairière où une grande flaque d’eau miroitait sous les assauts du soleil. Une gerbe de boue gicla sur le carreau. Julie recula devant la vitre voilée de mouchetis occultant son regard. Jacques, de son côté, voyait s’éloigner le miroir. Ils firent une courbe sur la droite et ils aperçurent une grande maison en rondins de bois construite de plain-pied. Un homme rondouillard de petite taille, d’une cinquantaine d’années, attendait devant la porte en treillis militaire. Fracasse s’arrêta devant lui et coupa le contact. Ils descendirent du 4x4, l’homme salua le professeur.
– Bonjour monsieur. L’homme prononça les mots avec déférence.
–Bonjour Étienne, je vous présente deux de mes étudiants, Julie et Jacques.
L’homme les salua.
–Étienne est le garde-chasse, précisa Fracasse.
–J’ai nettoyé et déposé les draps avec les couettes dans les chambres. J’ai aussi rempli le frigo et rentré du bois pour la cheminée. Je vais vous laisser et je repasserai demain soir, monsieur.
–Merci Étienne. Demain matin nous irons vers le grand mirador.
–La chasse n’a pas commencé, Monsieur, mais prenez votre fusil au cas où. J’ai repéré les traces d’un solitaire et il doit bien peser ses deux cents kilos !
–Ne vous inquiétez pas, je n’ai pas envie de perdre mes meilleurs étudiants !
Julie et Jacques se regardèrent avec un petit sourire, Fracasse venait de faire un compliment et cela tenait du miracle. Le garde-chasse les salua et s’en alla vers la forêt où il disparut mystérieusement. Fracasse ouvrit la porte du relais de chasse et fit un signe de la main pour inviter Julie et Jacques à entrer. Le bruit d’un moteur de quad se fit entendre, puis disparut au loin. Le grand salon faisait office d’entrée. C’était une pièce à vivre où la cuisine était intégrée et éclairée avec des ampoules tenues par de simples douilles. L’ameublement disparate était néanmoins de qualité et posé en direction d’une cheminée qui pouvait recevoir au moins quatre personnes. Il y avait, en face, un canapé en cuir craquelé, accompagné d’une chaise Voltaire aux tissus cloutés portant l’emblème de la fleur de lys et d’un rocking-chair en rotin agrémenté d’un gros oreiller pour adoucir son confort spartiate. À l’arrière du canapé, une table rectangulaire en chêne était entourée de six chaises. Sur les murs, des trophées de chasse aux regards vitreux, aux poils à demi poussiéreux peignaient l’ensemble des animaux chassables sous des formes taxidermiques. Julie et Jacques imaginaient les animaux vivants et leurs morts atroces. Un chevreuil, une biche, un cerf au trophée à sept branches. Et deux énormes têtes de sanglier armées de deux défenses sortant de leurs mâchoires inférieures de plus de trente centimètres. Elles étaient usées sur le bord intérieur de leurs extrémités. Julie eut un sentiment de peur et se figea devant, Jacques prit sa main et sentit son angoisse.
–Impressionnant ! dit Fracasse.
Il s’approcha de ses étudiants et posa sa main sur la plus grosse des têtes de sanglier, sa voix résonnait...
–Nos deux mâles représentent cent quatre-vingts kilos et deux cent vingt kilos ! Quatre cents kilos à eux deux ! Il vaut mieux qu’ils soient accrochés là que de les rencontrer dans la forêt !
–Vous les avez tués ? dit Jacques.
–Mon grand-père a tué celui de deux cent vingt kilos. Mon père celui de cent quatre-vingts kilos. Un jour peut-être que je pourrais les imiter ! Mon plus gros cochon était de cent-quarante kilos, il serait ridicule à côté !
–Votre cochon ? dit Julie étonnée.
–Les chasseurs disent « cochon » pour sanglier. Demain, lorsque vous découvrirez la forêt, j’espère pouvoir vous montrer différentes traces de sangliers.
–Vous ne craignez pas que nous en rencontrionsun ?
Jacques imaginait, en questionnant Fracasse, voir le sanglier de deux-cent vingt kilos foncer vers lui en pleine forêt.
–Non, les sangliers se cachent, sauf si vous trouvez des marcassins, la laie devient féroce pour défendre ses jeunes enfants !
–Comme toutes les mères !
Julie regarda le chasseur dans les yeux affirmant ainsi son soutien féminin à la mère animale.
–Il y a des femmes qui abandonnent leurs enfants et même qui les tuent chez les humains ! Lorsque cela arrive chez les animaux, c’est pour la survie. Une symbiose naturelle fait évoluer la nature. Mais certains humains refusent d’écouter la nature. « Les hommes ignorent leur place dans l’univers », a si bien écrit Michel Onfray.
–L’animal meurt rarement de manière naturelle ! Avez-vous songé à votre vie, si vous étiez un animal ? Je suis à la fin de mes études de médecine et je peux vous dire que tous les êtres vivants souffrent.
–Julie, l’anthropomorphisme « chez l’animal » n’existe que dans l’esprit des hommes ! Bien sûr que personne ne veut mourir. Mais un animal n’est pas doué de conscience comme nous. Il a la sensation de la douleur ou du plaisir, mais pas du bien ou du mal. Il défend son groupe quand il est attaqué par le danger qu’il ressent. Il y a une symbiose dans la nature et les animaux la suivent, c’est ce que nous appelons l’instinct ! L’homme, lui, arrive à maîtriser une partie de cette nature, et peut-être demain encore plus ! Nous avons la conscience par le savoir, c’est notre responsabilité, pas l’animal ! Nous sommes les maîtres sur terre et non les animaux !
–La terre n’appartient pas qu’aux hommes ! Je ne pourrai jamais comprendre !
Julie finit de répondre et tourna le dos à Fracasse. Jacques alla vers elle et posa son bras avec tendresse sur ses épaules. Elle était en colère et s’en voulait d’être venue. Il lui parla à voix basse.
–Nous rentrons demain soir Julie, ça va aller, hein ?
–Oui, Jacques, ça va aller.
Fracasse se déplaça devant eux, et ostensiblement leur offrit un sourire forcé pour montrer à Julie que tourner le dos n’était pas un comportement d’adulte. Il leur montra la direction d’une porte au fond du salon.
–Il y a une suite dans cette maison et c’est par là. Le petit couloir pour aller vers les trois chambres, mais aussi les toilettes et une salle de bains avec une grande douche à l’Italienne !
Les chambres étaient petites et identiques. Un lit au matelas épais équipé d’un oreiller et d’une couette, une petite table de chevet et un tabouret occupaient chaque espace de ce confort spartiate. Dans les trois entités, une lucarne, faisant office de fenêtre, logée à mi-hauteur sur le mur face au lit, était équipée d’une moustiquaire. « Certains arrivent à sentir le cochon en se levant !» dit Fracasse avec amusement. La largeur des lits ne donnait pas à imaginer plus d’une personne, les chambres étaient conçues seulement pour dormir. Fracasse attribua les chambres. Il prit la première près du salon, Julie la seconde et Jacques se retrouva au bout du couloir. Chacun déposa sa valise sur la table de nuit. Fracasse termina la visite par la salle de bains. Julie et Jacques furent étonnés par le contraste, car autant les chambres étaient petites et sobres, autant la salle de bains était grande et spacieuse, presque un deuxième salon.
Tout avait l’air neuf carrelé d’un blanc crème. Les chromes brillaient, aucun robinet entartré. Un lavabo immense et rectangulaire, une grande douche à l’Italienne, un WC installé entre deux murets d’un petit mètre de haut où étaient entreposés, au-dessus sur une étagère, des rouleaux de papier toilette. Enfin, une grande baignoire avec un pommeau de douche extensible « C’est pour nettoyer ses affaires après la chasse », leur explique Fracasse. Une buanderie, qui servait également de dressing, occupait le fond de la salle de bains constituée de cinq grands chariots équipés de cintres, dont l’un portait des serviettes de bain. « Vous choisirez la serviette que vous voulez et après vous la déposerez dans le panier. » Fracasse montra le bac à linge qui était caché derrière les chariots avec la machine à laver et le sèche-linge. Il y avait même des radiateurs porte-serviettes.
–La visite est terminée, je vais préparer le repas. Si vous voulez en attendant faire un brin de toilette, ne vous gênez pas ! On se donne rendez-vous dans trente minutes pour passer à table.
Julie et Jacques suivirent les conseils de Fracasse et se retrouvèrent dans la salle de bains.
–Je me… demande... ce que… nous allons… manger ?
Le dentifrice lui parcourait la bouche et les mots. Elle le regardait assise sur le rebord de la baignoire, l’air déconfit.
–Tu ... n’as… pas… l’air… en forme, moncœur.
–J’ai un peu mal au ventre.
–Tu es… un peu… stressée. C’esttout.
–J’espère que je ne me suis pas trompée avec ma pilule !
–Tu n’es pas… enceinte ?
Du dentifrice coulait sur le côté de la bouche de Jacques. Il attendait la réponse suspendue aux lèvres de Julie.
–Non, je ne crois pas, juste que j’aurais dû avoir mes règleshier.
–Cela n’empêche pas… de se faire un… câlin ?
Jacques regrettait sa réponse.
–Tu ne penses qu’à toi et à te brosser les dents tout le temps !
Jacques se rinça la bouche.
–J’ai lu un article sur la santé par un dentiste qui disait que pour garder les dents blanches, il fallait les laver même avant le repas !
Puis, il regarda son sourire dans la glace et continua sa phrase.
–Mais ne fais pas la tête, je disais ça… comme… ça, excuse-moi !
–Ici, avec toutes ces bêtes accrochées aux murs du salon, non ! J’aurai l’impression de faire l’amour dans un cimetière !
Jacques se mit de penser au lendemain soir. Quand ils seront rentrés, ils pourront partager leurs corps. Julie se rapprocha de Jacques et l’entoura de sesbras.
–Tu n’y es pour rien ! dit Julie.
Jacques déposa de petits baisers qui parcoururent le corps de Julie en recherche de réconfort et finit par se poser sur sa bouche. La voix de Fracasse résonna…
–Le repas est prêt dans cinq minutes !
Elle sourit, Jacques fit une grimace et retira sa main qui était partie dans l’entrejambe de Julie améliorer la volupté de leurs baisers. Lorsqu’ils arrivèrent dans le salon, une odeur d’épices à base d’ail, d’oignons, de thym et de laurier flottait dans l’air.
–Je vous ai préparé une recette qui est dans ma famille depuis plusieurs générations : carottes, topinambours, quelques noisettes avec des morceaux de cèpes, un peu d’huile d’olive et un bouquet garni, petit secret de la maison et ce n’est que l’accompagnement ! Goûtez, je vous dirai la suite après !
Il n’y avait pas de nappe sur la table en chêne clair, mais le bois brillait de propreté. Les couverts étaient en inox et ils ne faisaient pas de doute sur leur provenance. Il suffisait d’avoir été un jour en grande surface au rayon vaisselle pour en reconnaître les modèles. Les assiettes provenaient d’un vieux service en porcelaine de Limoges décorées finement, sur le bord, de petites fleurs des champs. Au centre, une bergère attendait, le regard au loin, tandis que deux moutons, devant elle, broutaient paisiblement. << Les assiettes viennent d’une vieille tante>> leur annonce Fracasse en commençant à les remplir. Julie et Jacques prirent place comprenant qu’il n’y aurait pas d’entrée. La vieille marmite en fonte, au ventre bien plein, était posée sur deux briques. Lorsqu’il eut fini de servir, Fracasse, leur donna un verre à eau et un verre à vin, en s’excusant de ne pas les avoir mis plus tôt. Il servit l’eau et posa la bouteille en plastique sur la table. Il alla chercher le vin, qu’il avait déjà débouché. Il porta le goulot à deux centimètres de son nez pour en apprécier les effluves tout en regardant ses étudiants.
–Jeunes gens, je vous propose de ne pas faire attendre ce délicieux repas et d’honorer ce vieux bordeaux !
Julie lança un regard de reproche et commença à prier, Jacques hésita n’étant pas croyant, mais pour ne pas la laisser seule, il la rejoignit dans le bénédicité.
–Oh ! Bien sûr, allez-y ! Je ne suis pas croyant, mais je respecte lafoi !
Il servit du vin de nouveau, puis, lorsque les deux regards se tournèrent vers lui, son couteau, ostensiblement, marqua le dos du pain de campagne d’une croix. Il découpa des tranches pour chacun. Fracasse humecta ses lèvres et sa bouche à la manière d’un baiser et laissa rentrer l’âpreté de la vigne sur sa langue, puis, la rondeur du vin éblouit son visage.
–Le petit Jésus en culotte de velours !
Devant les regards incrédules, il ajouta :
–C’est une expression du coin, le vin est excellent !
Le tanin colora la bordure des lèvres de Julie qui toussota quand l’alcool rougit son visage. Jacques but le vin cul sec et il sentit remonter de son estomac une chaleur qui se propageait en lui. Ses vêtements lui semblaient serrés, il eut la sensation d’être un radiateur. Il chercha à se contenir, mais ses oreilles le trahirent. Fracasse fit semblant de ne rien voir et avec délectation du coin de l’œil, il regarda les deux tourtereaux découvrir le plaisir de la vigne. Un silence passa et les assiettes qui avaient été remplies laissèrent apparaître leur fond. Fracasse proposa un second service à ses invités. Jacques reprit une pleine assiette suivant ainsi l’appétit de son professeur. Julie se contenta de quelques légumes agrémentés de sauce.
–Professeur, vous êtes un sacré cuisinier !
–Merci Jacques. Je vous ai fait un sauté de chevreuil à la solognote.
Les apprentis chasseurs se regardèrent comme s’ils venaient de commettre un crime. Leurs regards glissèrent en direction de la tête de chevreuil naturalisée, la beauté de l’animal paraissait les accuser. Ils recroisèrent leurs regards et sans rien dire, ils finirent leurs assiettes comme des condamnés.
–Allez-y, les enfants, régalez-vous ! Ce n’est pas de la viande de supermarché !
Le supermarché, là où l’animal n’a jamais été pour le consommateur un être vivant. L’endroit où l’on choisit son cadavre à consommer. Julie imaginait le chevreuil perdu dans les rayons. Les clients et leurs Caddies remplis de têtes d’animaux empaillés et Jacques qui la regardait nue devant le rayon boucherie, les pieds dans le sang et les mains faisant des signes désespérés au chevreuil pour qu’il s’éloigne. Jacques voyait Julie perdue dans ses pensées, la fourchette en sustentation au-dessus de son assiette. Un morceau de topinambour embroché et une rondelle de carotte oubliaient le temps. Jacques fixait la bouche indécise. Il pensa à leur premier baiser et cette première fois où la nourriture les avait réunis. C’était à une soirée entre étudiants, ils avaient dévoré ensemble toutes les olives noires. Julie lui avait parlé de sa passion pour la nature et il lui avait proposé de cultiver des oliviers. Elle avait ri et sa voix sensuelle avait pénétré son âme. Elle connaissait le chant des sirènes et Jacques accepta le sort du marin. Un écho retentit et il retrouva la table, Julie s’était mise à manger et il sentait sur son épaule le poids pesant de la main de Fracasse.
–Tu rêveras tout à l’heure, Jacques ! Ce soir il faut prendre des forces, demain nous nous levons à cinq heures du matin !
Le plat liquidé, ils eurent droit à un plateau de fromages où un grand camembert normand au lait cru offrait le présage de la force et de la douceur. Il était légèrement coulant sur le bord et son odeur rappelait la traite des vaches. Six crottins de Chavignol en robe blanche pigmentée de bleu l’accompagnaient. Ils sentaient la noisette et la fraîcheur de l’humus. Les arômes envahissaient la pièce. On eût dit qu’un caprin venait tourner autour de la table. La Normandie et la Beauce trouvèrent à nos convives un appétit qu’ils pensaient combler. En dessert, Fracasse apporta une petite tarte aux pommes et leur proposa un limoncello fabriqué par un ami Napolitain. <<Un alcool doux à base de citron>> annonça Fracasse. Julie et Jacques tendirent leurs verres et la couleur jaune monta de trois centimètres dans les verres.
–Pourriez-vous me donner vos sensations ?
Julie ne répondit pas à Fracasse. Elle le regarda et laissa couler le liquide doucement entre ses lèvres. Le spiritueux s’installa dans son corps. L’odeur du citronnier frôla son nez et quelques millimètres cubes envahirent sa salive. Sa langue baigna dans un champ de citronniers jaunes. Le goût sucré alcoolisé descendit dans sa gorge et la chaleur de l’été napolitain l’inonda par capillarité. Le verre de vin et l’alcool de citron firent venir la fatigue. Elle était portée par du coton et pensait à son lit. Dormir pour récupérer demain sera toujours trop tôt. Jacques avala à son tour le limoncello et contrairement à Julie, il en ressentit une force. Il regarda les seins de son amie, puis plongea son regard dans ses yeux. Elle comprit son désir. L’assurance portée par l’ivresse faisait penser à Jacques que malgré les animaux empaillés, ils pourraient faire l’amour. Il s’imaginait sans retenue, leurs peaux dans la fusion des sens. Jacques posa sa main sur celle de Julie et il sentit l’abandon, puis elle lâcha :
–Je suis crevée, je sais que cela ne se fait pas, mais je vais vous laisser là, tous les deux. Désolée, monsieur Fracasse !
–Ne t’en fais pas Julie, il faut que tu sois en forme demain. Nous allons débarrasser avec Jacques et après nous irons nous coucher. Nous aussi nous devons être en forme ! Levez à cinq heures et à six nous serons dans la forêt !
–Bonne nuit, Julie ! dit Jacquesdéçu.
Le temps que les hommes eussent fini de débarrasser la table et laver la vaisselle, Julie dormait déjà à poings fermés. Fracasse installa sur la table les bols pour le petit déjeuner et parla sans détour à Jacques.
–Julie est une fille super-sympa. Elle fera sûrement un bon médecin. En plus, elle est bien gaulée, si tu me permets, comme c’est ta petite amie. Mais tu as un grand avenir comme chercheur et tu le sais. Jacques, tu as la recherche dans lesang.
Jacques fut surpris du compliment de Fracasse, mais les propos sur Julie le perturbèrent. Il se demandait ce que son professeur insinuait. Il aimait ce qu’il apprenait. La chimie et la biologie moléculaire le fascinaient et le passionnaient. Fracasse posa ses deux mains sur ses épaules et continua.
–Je suis sur l’étude du nématomorphe Spinochordodestellinii.
–Un drôle d’asticot mi- bernard-l’hermite, mi-sorcier vaudou !
–Oui, tu as raison Jacques ! Un drôle d’asticot ! Le philosophe Michel Onfray en parle dans son livre Cosmos. Et j’ai réussi à en extraire la molécule de contrôle et même à la garder en parfait état !
Jacques buvait les paroles du professeur.
–Professeur ! Vous allez être le prochain prix Nobel !
–Pour l’instant, il faut garder le secret. Je voudrais réaliser une expérience.
–Si je peux vous aider, professeur ?
–Je te fais confiance Jacques, je t’expliquerai cela dans mon laboratoire. Mardi matin, rejoins-moi à neuf heures, tu comprendras. L’après-midi, nous avons cours ensemble, tu ne diras rien aux autres élèves. Je te promets de mettre ton nom dans mes remerciements lorsque je vais révéler au monde scientifique ma découverte. Maintenant, allons-nous coucher ! Le territoire de chasse nous attend ! Même si nous n’y allons pas pour chasser, il faut se lever tôt pour mériter Dame nature.
Jacques était invité par Fracasse à rentrer au cénacle de la science. La chimie moléculaire, maîtresse du feu, de l’eau, de la terre et du vent. Le secret de l’alchimie moderne. Mais malgré cette nouvelle, il devait aller se coucher. Demain, il irait avec Julie découvrir le territoire des chasseurs. Pourtant, son esprit était comme enflammé. Une fièvre montait en lui, une force mystérieuse, sa passion l’emportait. C’était quelque chose à l’intérieur de lui qui avait toujours existé. Une addiction, une drogue de l’esprit, cela n’avait d’autre logique que le plaisir intense d’être l’explorateur d’un pouvoir potentiel. La folie du chercheur d’or à la vue d’une simple paillette. Lorsqu’il s’allongea dans son lit, la molécule de contrôle du nématomorphe Spinochordodestellinii se promena un long moment dans ses rêves sous forme de question. De quelle expérience Fracasse avait-il besoin avant de publier ses recherches ? Il pensa aussi aux possibilités de ce parasite qui dirige sa victime en envoyant des codes chimiques à son cerveau, contrôler un animal, mais sans risquer de le tuer. Juste, le soumettre à la volonté de l’homme, c’était peut-être faisable. Fracasse avait-il ce projet ? Pourrait-on éloigner les sauterelles des champs, dresser un chien à ne pas mordre, transformer les singes en auxiliaires de vie. Améliorer le monde des Hommes à la condition de ne pas se brûler, car tout rêve a son Icare. Mais, c’étaient ses hypothèses, quel but avait Fracasse ? Jacques eut du mal à trouver le sommeil. Toutes les questions qu’il se posait et le bruit de la forêt solognote murmurant son mystère retenaient sa conscience. Il se leva plusieurs fois pour aller aux toilettes et boire de l’eau dans un verre à moutarde. Il entendit au milieu de la nuit un cri strident, qu’il pensa être celui d’une chouette. Il regarda sa montre, les aiguilles indiquaient trois heures et quart. Il bâilla profondément et le sommeil l’emporta. Julie a les fesses rondes. Jacques les regardait et répétait avec plaisir : « Julie a les fesses rondes ! ». Elle était nue sur le clic-clac, les draps abandonnés gisant au sol. La lumière traversait les vitres de la fenêtre, sans rideau ni volet de son petit studio parisien. Leurs cœurs battaient, tels deux métronomes enlacés, et il sentit sa verge prendre place entre ses jambes. Ils échangèrent des murmures, et c’est alors qu’il entendit Fracasse, le sortir de sonrêve.
–Debout, les enfants ! Le petit déjeuner est prêt !
Jacques passa dans la salle de bains, le plus rapidement qu’il put, sans prendre le temps de nettoyer son lit imbibé de son rêve érotique. Lorsqu’il arriva dans le salon, Julie et Fracasse déjeunaient.
–Dépêche-toi Jacques !
–Désolé professeur, il fallait que je me lave le visage pour bien me réveiller.
Julie le regarda, cherchant s’il n’avait pas une quelconque maladie cachée.
–Tu vas bien ?
–Oui, Julie ne t’inquiète pas, tout va bien !
Il se pencha vers elle, et l’embrassa sur les lèvres. Le bruit sec de la culasse du 300 Verney Carron attira leurs regards. Fracasse était devant eux en habit de chasseur, la carabine à lamain.
–Vous nous avez dit que nous allions découvrir votre zone de chasse, sans chasser !
–Oui, tu as raison Julie, mais il faut toujours prévoir, un animal enragé ou un braconnier ! Il fit un petit sourire et rajouta : « Mes balles sont dans ma poche ! »
Les étudiants se vêtirent pour leur sortie avec des bottes en caoutchouc et de gros blousons d’hiver. Fracasse, leur fournit des gilets fins fluorescents orange, qu’ils mirent avec difficulté sur leur blouson. Ils reçurent chacun, du professeur, un petit sac à dos en toile de jute marron contenant une bouteille d’eau et un paquet de gâteauxsecs.
–Gardez les sacs de chasse en souvenir et ne vous privez pas de manger les gâteaux et de boire de l’eau !
Quelques minutes après, ils marchaient entre les arbres de la forêt où la nuit régnait encore. Fracasse précédait le groupe dans l’humidité fraîche et glacée du matin. Julie regrettait la chaleur de son lit et Jacques bâillait à répétition.
–Plus on avance, plus il fait froid !
–Tu as raison Julie, on rentre dans un frigo !
–Oui, Jacques, un frigo !
Fracasse s’arrêta et les regarda. Il leva son index droit sur ses lèvres, puis ouvrit sa main en direction du sol. Alors, Julie et Jacques s’efforçaient au silence, malgré le refus de leurs pas. Au sol, la décomposition des feuilles et des brindilles ressemblait à la fin d’une bataille où l’odeur de mort sentait l’humus. Quelques branches éventrées pourrissaient çà et là en cadavres abandonnés par les grands chênes qui semblaient vouloir fuir le charnier en regardant vers le ciel. Des champignons aux formes biscornues se rassemblaient par genre en survivalistes entre la terre et les sommets abandonnés par la sève des arbres en fin de vie. Julie et Jacques découvraient, sur le chemin sinueux qu’ils empruntaient, des petits sentiers qui apparaissaient et se faufilaient dans des ronces de différentes hauteurs, vers de mystérieux passages. De hautes herbes infestées de jeunes branches boutonneuses avaient élu domicile dans les endroits où passait la lumière. Le soleil donnait ainsi la vie au pied des arbres à un labyrinthe d’herbes folles escortées par des régiments de fougères. Les chaussures qui soulevaient par endroits la terre révélaient les rhizomes qui unissaient les plantes et apportaient au sinus un parfum de bruyère. Des toiles d’araignée emprisonnaient la rosée et leurs locataires à huit pattes les regardaient passer. Un geai des chênes au bec noir se posa sur la branche d’un arbre. La beauté de son plumage coloré brun rosé aux ailes et d’un bleu étincelant à pointe blanche attira les regards de Julie et Jacques. L’oiseau poussa un cri. La forêt rendit un écho. Quelques bruissements au loin disparurent aussi vite qu’ils étaient venus. Il y eut le sentiment d’une attente, une scène devait se jouer dans un théâtre à ciel ouvert et le geai des chênes venait de taper les trois coups. Fracasse bifurqua dans un petit chemin qui descendait d’une dizaine de mètres dans une pente douce, où de grosses pierres aux trois quarts enfoncées tachetaient dans la verdure du sous-bois. Les deux étudiants cherchaient les zones où leurs chaussures ne glissaient pas. La terre se fit plus compacte et les arbres plus espacés, ils arrivèrent dans une grande allée où l’herbe devenait plus dense et plus verte. Un murmure d’eau grossit pour devenir un petit ruisseau sifflant à travers les cailloux et les feuilles mortes. Ils les enjambèrent facilement. Fracasse semblait avoir un rendez-vous, il avançait sans rien dire. Le froid commença à disparaître et les rayons du matin traversèrent les interstices entre les branches, dans des halos de plus en plus grands. Ils arrivèrent à une grande clairière où de jeunes pousses d’une hauteur d’un mètre, de blé, d’orge, de seigle et de maïs avaient été plantées afin de nourrir le gibier pour le garder sur la zone de chasse. L’hiver n’avait pas été trop rude et à l’intérieur du champ se côtoyaient la future nourriture et les anciens pieds céréaliers qui étaient encore debout. Il y avait quelques maïs oubliés à moitié pourris. Des ronces et des baies qui s’étaient invitées loin des arbres, pour profiter du soleil. Fracasse, leur fit signe de le suivre discrètement, et, ils découvrirent, en lisière de la forêt, un grand mirador en bois. Ils s’y installèrent et contemplèrent, à cinq mètres de haut, le réservoir de nourriture qui était encerclé par la forêt. Ils posèrent leurs sacs à dos pendant que Fracasse sortit du sien trois paires de jumelles de petites tailles, mais au focus puissant. Leurs regards se portèrent au loin et le moindre mouvement d’herbe fut analysé avec précaution. Aucun animal ne perturbait l’espace caressé par un léger vent sous le soleil qui remontait les effluves de la terre nourricière. Une douce chaleur s’installait, quelques pigeons ramiers firent un cercle dans le ciel et l’un après l’autre se posa à l’autre bout de la clairière, se soustrayant aux regards des jumelles. Des mouches, venues de nulle part, au-dessus des céréales qui pourrissaient, formaient des tourbillons sans fin. Un frelon rasa la jumelle de Julie qui sursauta sous les regards étonnés des deux hommes. La surprise passée, les jumelles se remirent à l’ouvrage. Et Julie, qui avait été perturbée, fut la première à voir bouger le haut des céréales de l’autre côté de la clairière. Une danse étrange au-dessus de la plantation volait en infimes brindilles tourbillonnant comme des mouches. Elles s’écartaient, balayées par un peigne invisible, disparaissant dans les grands cheveux qui mûrissaient et pourrissaient au soleil. Un petit grognement ressemblant à un nez bouché s’échappa de l’écartement des céréales. Il se formait comme la propagation d’une onde, du fond de la prairie, en direction du mirador. L’animal venait vers eux. Leurs yeux se mirent à explorer l’arrivée annoncée. Au ras du sol, un autre regard sur le monde traversait l’endroit cassant de tiges odorantes et prometteuses en nourriture. L’estomac affamé courait sur quatre pattes, ressentant le vide à contenter. À chaque instant les tiges couchées sur son chemin faisaient résonner sa panse. Une odeur plus forte que les autres le guidait. Quelques gouttes de sang séché qui traînaient sur la terre, éparpillées entre le maïs et les blés. Il ralentit et vit planté, dans la terre, un petit morceau de patte de lapin, qu’il avala d’un coup. Sa gorge le fit sursauter. Le morceau était gros pour lui, mais son estomac l’apprécia. Il entendit des coups de bec et il ressentit un effluve plus fort, plus puissant, grisant. La direction s’imposait d’elle-même. Le regard d’un corbeau surpris en plein banquet, dépouillant une maigre carcasse, le défia. Il ralentit sa course, mais déterminé, il avançait. Le bec furieux claqua et, avec ses puissantes pattes, telles des serres, il déplaça sa proie derrière lui. La faim et la bravoure étaient dans les deux camps. Il n’y a pas besoin d’autre motif, pour aller au combat. Pour eux, le ciel s’assombrit. Dans le paysage calme de la prairie, un cri se fit entendre et au loin les trois témoins aveugles cherchaient une réponse au-dessus de la plantation. Le bec puissant frappa, perçant le cuir de l’animal qui grogna sa rage. Au-dessus voltigea une nuée de brindilles et bientôt le corbeau. La volonté et la puissance étaient dans l’autre camp. Un long croassement s’éloigna au-dessus de la forêt, racontant à qui voulait l’entendre sa cruelle histoire. Dans le champ de céréales, le reste du lapin disparut dans l’estomac affamé du sanglier. Il y eut un silence de quelques secondes, comme si la nature voulait récupérer l’émotion du conflit. Un vent léger vint caresser les hautes herbes, libérant les chants des oiseaux et des insectes. La bête reprit sa route à couvert de la plantation, ne signalant sa présence que dans les pointes des feuillages. Fracasse tendit la main dans la direction du mouvement. Julie et Jacques retenaient leur souffle, la bête arrivait. Inconsciemment, ils comptèrent la distance en même temps. L’éternité soupesait chaque seconde et l’attente chargeait l’air d’adrénaline. Un grognement sec et court de nez bouché retentit trois fois. La bête semblait accélérer. Les jumelles n’étaient plus nécessaires et la sortie hors des céréales touchait à l’imminence. La terre résonna et la bête rousse apparut. Un jeune sanglier de vingt-cinq kilos aux poils roux et durs. Ses yeux noirs cherchaient de droite à gauche, puis la bête s’arrêta au pied du mirador. Julie sortit son téléphone portable pour prendre des photos. Jacques ouvrit son paquet de gâteaux secs, et il en envoya un au sanglier qui avala d’un coup la nourriture tombée du ciel, sans se soucier des photos de Julie. Jacques voulut envoyer un deuxième gâteau, mais la main de Fracasse l’arrêta. Il fit signe à Jacques de ne pas continuer et il lui glissa à l’oreille : « Il doit apprendre à se nourrir seul ! » L’animal chercha au sol si d’autres nourritures étaient présentes. Il arpenta, devant le mirador, le moindre recoin. Puis, il finit par repartir doucement dans la forêt, passant, sans se douter, derrière ses trois spectateurs. Julie et Jacques l’accompagnèrent du regard, aussi loin qu’ils purent.
–Il est si beau, vous ne les tuez pas quand ils sont si petits ?
Julie regarda Fracasse droit dans lesyeux.
–Julie, aussi cruel que cela te paraisse, le jeune sanglier que tu vois a peu de chances de survivre.
–Comment pouvez-vous affirmer qu’il ne peut survivre ?
Le mécontentement était sorti d’un coup de la bouche de Jacques.
–Il doit avoir six mois et il devrait être avec sa mère. Les sangliers vivent en groupe. La laie de tête guide le groupe. C’est pour cela qu’un chasseur ne doit jamais tuer la laie de tête, sinon il condamne le groupe. Ce jeune sanglier a perdu sa famille. Il n’a plus de guide. Il peut peut-être s’en sortir comme il a fini d’être sevré, mais c’est rare. Et puis, il y a aussi les mâles solitaires, ses propres congénères qui sont un vrai danger pour lui. Les renards et les plantes et champignons qu’il ne connaît pas, la forêt est pleine de dangers.
–On ne peut pas le mettre à l’abri ?
Julie se désolait et tourna son regard vers l’endroit de la forêt qui avait attiré l’animal.
–J’espère qu’il va s’en sortir !
Jacques n’en voulait plus à Fracasse, c’était la nature.
–Et la laie de tête et le groupe, ils sont passésoù ?
Julie regarda la carabine de Fracasse.
–Il n’y a pas que les chasseurs qui tuent les sangliers, les automobilistes et le braconnage aussi !
Un couinement retentit là où le sanglier était parti.
–Il lui est arrivé quelque chose !
Julie descendit du mirador, juste après avoir terminé sa phrase et elle courut en direction du sanglier.
–Non, Julie ! Reviens ! hurla Fracasse.
– Mais il était trop tard, elle s’enfonçait dans la forêt. Jacques et Fracasse se mirent à sa poursuite.
–Quelle idiote ! maugréa Fracasse avec peine. Il avait du mal à suivre Jacques.
Au bout de cinquante mètres, Jacques avait vingt mètres d’avance sur le professeur. Au bout de cent mètres, Jacques avait disparu devant Fracasse. La jeunesse avait quitté l’homme de science, et chacun de ses pas, demandait un effort supplémentaire. Il soufflait de plus en plus fort et sa carabine devenait de plus en plus lourde. Il entendit Julie hurler au loin. Il courut du mieux qu’il put, en essayant de sortir les cartouches de sa poche, pour armer sa carabine. Une branche le déstabilisa, et il tomba à terre. Sa lèvre avait touché une pierre en silex sous les feuilles. Un peu de sang coulait dans sa bouche et sur son menton. Il se releva et arma son calibre 300, puis repartit vers Julie qui criait, de plus en plus fort. Fracasse parcourra encore quelques mètres, il entendit vociférer Jacques. Il avança à travers les branches du mieux qu’il put, et, il commença à apercevoir, perché sur un arbre, Julie affolée qui braillait en faisant de grands signes. Il sentait l’adrénaline qui l’aidait à avancer plus vite. Il vit alors Jacques, suspendu par les bras à une branche, et, une grosse ombre noire à quatre pattes qui sautait essayant de l’atteindre. Il s’avança encore, manquant de trébucher. Il finit par voir la bête noire. Un sanglier de deux cents kilos, sautant malgré son poids à plus de deux mètres, au ras des fesses de Jacques, accroché à sa branche avec la force du désespoir. Le démon allait et venait menaçant Jacques et Julie tout en empêchant le jeune sanglier, coincé sous les racines d’un arbre déraciné, de fuir. Jacques se sentait glisser et Julie le voyait doucement finir dans la gueule de la bête. La faim et la rage ne faisaient plus qu’un, et, le maudit animal rejetant la peur des Hommes, ne pensait plus qu’à occire. Le mortifère semblait être partout. Personne ne pouvait échapper à sa folie. Julie, désespérée, regardait la tempête comme la proue du navire sous le beaupré, espérant la clémence des dieux. Le jeune sanglier luttait contre son propre instinct, lui signifiant la fin. Jacques glissait encore, rencontrant le premier accroc. Un léger pincement sur sa fesse droite. Il sentit la poche de son pantalon arrachée net. Le diable trouva la force de cent démons, l’étincelle des mauvais présages. Il repartit à la charge, décidée à en finir avec l’ennemi, il ouvrit sa gueule de Léviathan pour emporter Jacques dans le chaos. Il poussa sur ses pattes arrière, projeta son corps en boulet de canon. Les fesses de Jacques furent bientôt entourées par la denture du monstre des ténèbres. Une détonation brisa le cœur même de la forêt. D’un coup la bête fut arrachée au temps. Un petit trou dans le cuir de son flanc faisait sortir du sang en face du fusil de Fracasse. Sur l’autre flanc, une ouverture béante laissait passer ce qui restait du cœur accroché sur les côtes brisées de la cage thoracique. Dans un dernier râle de son enveloppe charnelle, l’animal s’effondra sur la terre solognote. Jacques se laissa choir à terre, les bras trop fatigués, il contempla, assis sur son séant, la bête, les fesses douloureuses et les jambes en coton. La peur était encore présente en Jacques. Il retenait sa respiration, ne voulant réveiller le démon. Julie n’arrivait plus à accomplir le moindre geste. Les yeux noirs du démon ne voyaient plus la vie. Fracasse vérifia ce qu’il savait déjà, un peu par habitude. La bête était bien morte et il posa sa main gauche sur l’épaule de Jacques.
–C’est terminé pour lui, tu ne crains plus rien, Jacques !
Jacques ne bougeait pas, il contemplait la bête qui faisait plus de deux fois son poids. Fracasse fit descendre Julie qui pleura dans sesbras.
–Malheureusement, il n’y avait pas d’autre choix, Julie ! Il faut vous dire qu’il aurait pu attaquer une personne dans la forêt. Il y a des cueilleurs de champignons et des joggeurs à cette saison.
Il laissa Julie à côté de Jacques, ils se collèrent l’un à l’autre, unissant leurs émotions. Fracasse sortit une cordelette de sa poche, la transforma en collet. Il s’approcha du jeune sanglier et il installa dans un petit passage son lasso, qu’il fixa solidement à une grosse racine. Il se mit à l’opposé pour chasser l’animal, dans la direction du piège. Les yeux apeurés le regardèrent. Un grognement nasal essaya d’impressionner l’ennemi. La peur fut la plus forte, la bête rousse alla se prendre au piège.
« Notre civilisation tant vantée est née dans le sang, est imbibée de sang, et ni vous, ni moi, ni personne ne peut échapper à cette tache écarlate. » Le Talon de Fer, Jacques London.
Jacques n’avait pas réussi à honorer dans son étreinte sa passion pour Julie. Il y avait trop de choses dans sa tête. Il revoyait la gueule affamée et ressentait encore son odeur. Et puis, Julie lui avait fait comprendre, elle n’avait pas envie, mais il pouvait jouir en elle ! Comment pouvait-il faire pour que le sexe soit le sens de l’amour ? Il avait pensé prendre son temps, lui donner du plaisir malgré son refus. Il ne ressentit que le corps à l’abandon et une impression de masturbation. Il respira profondément sans succès, son phallus s’abandonna entre ses cuisses et il entendit Julie lui expliquer qu’il fallait se reposer. Il était allongé à côté d’elle torturé par l’échec de sa virilité, son regard fixait le plafond dans son petit studio à la recherche d’une réponse, la nuit lui parut longue. Lundi matin, Julie était déjà debout à préparer le petit déjeuner avec le pain mou du supermarché et un café lyophilisé. Le bruit de la bouilloire et l’effluve de la caféine le firent sortir de sa léthargie. Il se leva nu et vint la rejoindre pour déjeuner sur la petite table. Julie lui donna un grand bol de café, hésita, puis, elle finit par lui avouer ce qu’elle avait sur lecœur.
–Demain, je n’irai pas au cours de Fracasse.
–Je comprends Julie, j’ai rêvé de sanglier toute la nuit !
–Tu vas aller le voir dans son laboratoire ?
Jacques hocha la tête, les recherches prometteuses du professeur lui donnaient envie de quitter sa vie d’étudiant ordinaire et de vivre un vrai travail scientifique. Le visage de Julie se ferma et Jacques mordit dans sa tartine de pain beurré.
Elle mit un nuage de lait dans son café, et y noya trois sucres.
–Tu as décidé de grossir ?
Elle se contenta de boire en guise de réponse.
Ils se regardèrent un long moment. Jacques se rapprocha de Julie et ses mains essayèrent de briser le silence. Elle fit une moue qui allongea sa bouche en signe de refus. Un mur invisible s’installa entreeux.
–Julie, pourquoi tu réagis commeça ?
–Le professeur ne m’inspire pas confiance. Nous sommes coupables d’avoir partagé sa nourriture et ce que nous avons vu, ce n’est pas la nature Jacques ! Fracasse et tous ceux qui lui ressemblent ont fait la catastrophe que nous avons vécue.
–Julie, tu ne peux pas direcela.
–J’ai vu le plaisir du garde-chasse et du professeur lorsque nous sommes rentrés, et tu as vu commemoi.
Une première larme coula sur sa joue et ses yeux commencèrent à se noyer. Jacques brisa le mur et la serra dans ses bras. Il se rappelait la fin de leur aventure. L’arrivée du garde-chasse et de ses trois chiens croisés épagneul et fox-terrier. La vitesse des mâtins mordant le cadavre en jappant de plaisir. Le quad tirant l’animal attaché à une corde jusqu’à la cour devant la maison. Les paroles de Fracasse.
–Vous voulez assister à lafin ?
La fin ? Julie et Jacques pensaient que la fin avait déjà eu lieu, ils assistèrent à la transformation. Les poils du sanglier rougis par le chalumeau, puis dispersés par la brique qui frottait sur la couenne. La bête suspendue à un crochet passant par la gueule et son élévation mortuaire que tirait une poulie. Fracasse affûtant un grand couteau pendant que le garde-chasse attachait ses trois chiens. La bête sans ses poils, nue comme un nourrisson avait la peau presque humaine. Une grande bassine installée sous le corps attendait que la pointe de la lame fasse l’incision chirurgicale de l’anus en remontant à la verticale de la cage thoracique. La libération des entrailles remplissait la bassine des tripes fumantes sous les hurlements des chiens. Fracasse fit un signe au garde-chasse qui libéra la horde. Le Cerbère à trois têtes, formé par les trois chiens, représentait l’enfer. La plongée dans le sang des gueules affamées rouges d’hémoglobine. La danse des intestins dans la gamelle et la joie frénétique des démons. Les encouragements du garde-chasse, et Fracasse poursuivant son travail. La lame découpant l’animal transformé en une multitude de morceaux. Enfin, la tête fut décrochée. Il ne restait plus rien de cet être vivant qui rappelait sa force majestueuse et terrifiante dans la forêt, hormis sa gueule au regard perdu. L’âme, l’esprit n’avait plus aucun sens, sauf peut-être, si l’on croit en Dieu. Sur le côté de la maison, une porte discrète révéla la chambre mortuaire équipée de deux gros congélateurs. Le farouche combattant y fut déposé, chaque parcelle de son corps emballée séparément, dans l’hiver éternel. Julie et Jacques avaient été au-delà d’eux-mêmes, au-delà de la terre. Ils avaient goûté son sang, et maintenant, ils portaient sa tache écarlate. « Je me sens sale », lui murmura Julie. Sans le vouloir, le monde avait changé. Ils n’étaient plus semblables.
–Jacques, dis-moi que tu ne vas pas devenir comme le professeur ?
Il posa sa réponse sur ses lèvres. La défaite de la nuit ressembla à un lointain souvenir. Il sentit sa puissance résonner dans la respiration de Julie. Ils étaient hors du temps et lorsque le coït bouleversa leurs émois, ils échangèrent leur plaisir. La réalité les surprit, ils étaient en retard. La journée passa pour nos deux étudiants dans l’attente d’échanger le midi leurs sentiments par téléphone. De discuter avec leurs amis et promettre par SMS à ceux qu’ils ne voyaient pas de leur raconter la Sologne. Le soir ils se retrouvèrent tous les deux et partagèrent leurs sensations. Au matin Julie ne dit rien, c’était mardi, elle n’irait pas au cours de Fracasse. Paris était assiégé par les embouteillages, les transports ressemblaient à des bétaillères et les trottoirs se réchauffaient sous les pieds des passants. Jacques se faufilait tant bien que mal dans la cohue. Il savait qu’il allait être en retard. Mais, s’il arrivait à prendre la bonne rame du métro, il pourrait ne pas trop faire attendre Fracasse. L’université Paris 7 n’était pas si loin dans le XIIIe arrondissement. C’est pourquoi, depuis le XXe, à la limite de la ville de Montreuil, Jacques devait bien compter à cette heure de la matinée, une bonne demi-heure. Le chemin de l’université lui parut plus long, et l’air du métro moins respirable. Il ne prenait pas le temps, comme à son habitude d’écouter les bribes de conversations. Ni même de regarder discrètement les femmes se maquillant à la va-vite, se fardant d’un surpoids de poudre au moindre bouton ou la moindre ride. Des filles très jeunes voulant être plus vieilles, et celles âgées qui regrettaient leur jeunesse. Il se demandait ce que Fracasse allait lui révéler. Il se demandait pourquoi Fracasse l’avait choisi, lui ! Le professeur connaissait tellement de grands scientifiques. Il savait qu’il était doué et qu’il fallait le plus grand secret. Il se dit aussi qu’il était peut-être comme Bill Gates, à l’orée d’une grande aventure. Les secousses du métro résonnaient tel un avertissement. Jacques savait qu’il allait vers l’inconnu, même si la biologie moléculaire était la base de la recherche. Fracasse devait l’initier à la pierre philosophale et rien ne pouvait avoir un sens plus profond. Il aimait Julie, mais elle ne faisait pas les mêmes études et il devait avancer pour réussir. Il y avait les arguments de Julie, leurs arguments pour la défense des êtres vivants, contre la chasse ! Et maintenant quoi ? Que devrait-il expérimenter avec Fracasse ? Fallait-il torturer un animal ? Jacques était anxieux. Le métro arriva enfin à destination et il dut jouer des coudes pour sortir. L’avenue de France offrait de larges trottoirs. Il se mit à courir et bouscula quelques marcheurs dont la lenteur dissonait dans le mouvement général. Il passa les rues Lévi et Goscinny et tourna dans la rue Thomas-Mann. Le nom des Grands Moulins de Paris, souvenir conservé depuis l’installation de l’université, devenait de plus en plus lisible. Il traversa le carrefour et fut interpellé par des étudiants qui distribuaient des tracts « contre la tyrannie » disaient-ils.
–Le gouvernement ne nous écoute pas défendons nos droits, manifestons le15…
–Je n’ai pas le temps désolé !
–On te connaît. Sors de ta bulle ! Ouvre les yeux !
Lui cria un autre étudiant. Mais Jacques était déjà parti. Il emprunta les escaliers du perron accédant à la maison du savoir. Il passa sa carte dans le portique, le vigile le regarda à peine. À l’intérieur le temps était coupé en deux, celui des enseignants aux déplacements mesurés et celui des étudiants courant à la recherche d’une dernière note qu’ils avaient oubliée. Jacques était lui hors de tous les temps et dans l’indifférence, il continua dans l’université Diderot, jusqu’au laboratoire de Fracasse. Il s’arrêta trente secondes devant la porte, souffla pour préparer ses mots. L’accueil de Fracasse fut glacial. Il rentra dans la grande salle équipée pour recevoir une vingtaine d’étudiants. Fracasse en blouse blanche et lunettes en plastique transparent l’attendait. Il se rapprocha vers la table de laboratoire que le professeur préparait. Il y avait un ordinateur portable et un appareil électronique qui contrôlaient une substance dans une éprouvette qui laissait échapper de petites décharges d’électricité statique. Les appareils étaient reliés entre eux par des fils électriques et une petite boîte de dérivation laissait courir deux fils qui longeaient la table et disparaissaient de l’autre côté dans une caisse au sol d’un mètre carré.
–Je suis désolé professeur, la rame du métro a eu du retard, la prochaine fois je partirai plustôt !
Fracasse ne répondit pas et se contenta de lui désigner du menton une blouse blanche près du lavabo. Jacques alla se laver les mains et s’équipa de la blouse où il trouva dans une poche une paire de lunettes en plastique qu’il mit. Lorsqu’il se rapprocha de Fracasse, il vit la masse noire aux poils drus dans la caisse. Le jeune sanglier de la chasse dormait dans la caisse avec un casque rempli d’électrodes sur le sommet de son crâne où arrivaient les deux fils reliés à la boîte de dérivation. Sur l’écran de l’ordinateur, le cerveau du jeune sanglier était représenté par une grille en différentes zones.
–Ce que vous voyez Jacques, représente pour moi des années de recherches. Alors, avant d’aller plus loin. J’ai besoin de savoir si vous êtes sûr de vous investir et de la confiance que vous avez enmoi.
–J’ai complètement confiance en vous professeur !
–Non, j’ai besoin de savoir jusqu’où ?
–Jusqu’où ?
Fracasse durcit son visage accentuant l’importance de ses propos.
–Je vais vous dévoiler le secret de mon travail et mettre dans vos mains mon avenir.
–Je garderai le secret !
–Jusqu’où ?
–Comment cela, jusqu’où ?
–Je n’offre qu’une fois ma confiance, ma vie de chercheur est en jeu. Que pouvez-vous m’offrir ?
–Mon travail assidu, mon silence professeur...
Jacques marqua une pause voyant que Fracasse attendait autre chose. Et il ajouta :
–Ma vie de jeune chercheur.
–Tu n’as rien fait encore Jacques !
–Je n’ai rien de plus professeur !
–Si Jacques, quelque chose qui est toi et qui me prouvera ta confiance.
–Je ne… (Jacques ne savait que dire).
–Ton travail sans aucune question, une confiance absolue, tu dois être prêt à mettre entre mes mains ton esprit, ton âme Jacques !
–Je ne suis pas croyant professeur !
–Fais commesi !
Jacques eut un doute. Il pensa qu’il n’avait pas d’âme et que son esprit serait toujours libre. Il n’avait rien d’autre à offrir, sa bourse d’étudiant l’aidait à peine à vivre. Il sourit dans sa tête à ce qu’il pensait être une bonne affaire ne voulant froisser Fracasse. Il respira fort mimant la gravité de son geste et lâcha :
–Je vous offre mon âme professeur !
–Tu es biensûr ?
–Oui.
–Dis-le-moi, une troisième fois !
–Je vous offre mon âme professeur !
–Alors, va fermer la porte à clé du laboratoire et reviens, les clés sont à la patère près de l’encadrement.
Jacques trouva la clé et ferma la porte. Il laissa la clé sur la serrure comme le lui demanda le professeur et se dirigea vers lui d’un pas lourd. À côté du cerveau sur l’écran, la représentation de deux colonnes qui s’entrelaçaient aux couleurs bleues et vertes s’animait dans un mouvement hélicoïdal. Fracasse montra les mouvements sur l’écran qui s’activaient entre le cerveau et les spirales.
–Grâce au programme informatique, je peux coordonner l’esprit de notre ami à quatre pattes et l’énergie que je provoque dans l’éprouvette.
Fracasse, le plaça devant l’écran en lui laissant le clavier et la souris après lui avoir montré le contrôle informatique qui liait l’animal à l’éprouvette.
–J’ai mis plus d’un an, pour y arriver !
Il le laissa et se dirigea vers un petit frigo muni d’une fermeture électronique. Il tapa un code et il ouvrit la porte. L’intérieur de la chambre froide était rempli de boîtes et de flacons. Il se pencha et récupéra une petite boîte avec une étiquette numérotée, NS 6,4,2 et l’inscription professeur Fracasse. Il l’ouvrit et en sortit un petit flacon au liquide marron. Il s’approcha de l’éprouvette et versa le contenu du flacon. Le liquide se dissipa dans l’éprouvette et une petite forme longitudinale à peine visible se mit à gesticuler dans le tube en verre. Jacques essayait de distinguer ce qui se passait dans l’éprouvette.
–Regarde l’écran, Jacques !
Il regarda l’écran où les colonnes en spirale se désagrégeaient, découvrant une nouvelle couleur d’un rouge pâle sang. Dans la caisse l’animal sursauta.
–Nous y sommes ! Dis fièrement Fracasse.
Jacques regarda le sanglier. Fracasse ne lui dit rien. Il prit sa place à la commande de l’ordinateur. Il cliqua sur le clavier et une nouvelle image apparue représentant le corps du sanglier. Il bougea la souris et la pointe de la petite flèche se déplaça sur l’écran en direction de la patte arrière gauche du schéma de l’animal.
–Regarde bien Jacques, je vais lui ordonner de bouger la patte arrière gauche !
La patte arrière bougea, un peu comme si elle recevait une petite décharge électrique.
Fracasse fit bouger une autre patte. Puis il lui demanda de se pencher sur la tête du sanglier et de lui écarter la paupière de l’œil avec sa main gauche.
–Comme tu es devant le sanglier, je ne peux pas tevoir.
–Vous voulez que je me déplace professeur ?
–Non, Jacques, tu mets ta main droite à 10 cm de son œil, et tu vas lui montrer le nombre de doigts que tuveux.
Jacques montra le pouce et Fracasse annonça un avec le pouce. Puis il montra un autre doigt et de même Fracasse l’annonça. Il augmenta le nombre de doigts et la réponse du professeur était sans équivoque. Il pouvait voir par l’œil de la bête avec la même facilité que s’il s’agissait d’une caméra.
–C’est incroyable professeur.
–En fait, j’ai isolé l’ADN du nématomorphe Spinochordodestellinii. Je le contrôle dans l’éprouvette grâce à l’envoi de micro-décharges qui transportent ses informations chimiques en ondes. Elles passent ensuite dans la boîte de dérivation où une micro pile radioactive relie les ordres simples de l’ordinateur au cerveau de l’animal. Ainsi notre jeune cobaye, sans le savoir demande à son corps de réagir. Mais, ce n’est pas la bonne solution. Car, si j’arrive à voir par les yeux du sanglier et à lui faire exécuter des ordres, je n’arrive pas encore à rentrer dans sa conscience.
–Vous voulez dire son instinct professeur !
–