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Quand le cœur de l’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg cesse de battre après 200 ans de bons services, le Maître du temps, horloger du vénérable monument, se doit de consulter un ancien manuel détaillant chacun de ses rouages. Que signifie le message hermétique qu’il y découvre et qui en est l’auteur ? Le déchiffrement de cette énigme entraîne trois amis dans une enquête à travers les rues de Strasbourg, talonnés par d’inquiétants individus en noir, un chanoine fanatique et la cheffe Hélène Maillard sur les traces d’un illustre enfant du pays…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Alain Ozanne a suivi un cursus en histoire et histoire de l’art à la faculté de Strasbourg avant d’embrasser le monde de l’informatique bancaire. Helléniste enthousiaste, membre de l’association des Amis de la cathédrale de Strasbourg, amateur de romans historiques et polars régionaux, sa passion pour l’histoire de sa ville l’a amené à en découvrir certains secrets qu’il aime à partager en y instillant un sens philosophique ou spirituel.
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Seitenzahl: 217
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Alain Ozanne
L’horloger de Notre-Dame
La mécanique des âmes
Roman
© Lys Bleu Éditions – Alain Ozanne
ISBN : 979-10-422-5487-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À ma famille et aux anciens
à qui on aurait souhaité présenter cet ouvrage…
Samedi 30 octobre 2021
Il n’est nul monument comparable à elle. Symbole par excellence de la ville de Strasbourg, couronnée de son unique tour de dentelles de grès rose, Notre-Dame de Strasbourg se dresse depuis plus de mille ans, tel un phare reconnaissable de loin, dans la plaine alsacienne.
En ce début d’automne, la douceur du climat strasbourgeois attirait une foule clairsemée de touristes, heureuse de pouvoir découvrir paisiblement la riche histoire de cette ville avant le déferlement frénétique provoqué par les festivités de Noël.
Devant le croisillon sud de la cathédrale, un groupe discipliné de touristes attendait avec impatience l’ouverture de la porte, signal du début de la visite guidée de l’horloge astronomique.
Le soleil était à son zénith quand un homme, débouchant du presbytère de la rue de Rohan, traversa l’esplanade du château et fendit les attroupements de têtes levées devant les portails du massif ouest. Il portait une simple soutane noire à longues manches. Une mosette de même couleur lui couvrait les épaules et faisait ressortir ses cheveux argentés. D’un pas encore leste pour son âge, le chanoine Bernard avançait en considérant d’un œil bienveillant cette gentille cohue venue tout exprès pour contempler sa cathédrale. Lui n’avait pas besoin de lever les yeux. Comme beaucoup de strasbourgeois qui la croisent chaque matin sur le chemin de leur travail, il savait qu’elle se tenait là, à ses côtés depuis l’aube de sa vie et qu’elle lui survivrait bien des années encore. Elle était comme un gigantesque vaisseau de pierre échoué là, un vaisseau immobile dont le voyage se situait bien en dehors des limites de l’espace et du temps. Ce navire était celui de l’esprit et des âmes.
La vieille Roumaine était à sa place comme à son habitude devant le portail sud de la façade de la cathédrale, quêtant la main levée vers le ciel, et semblant réciter sans cesse une rengaine bien lasse. Les visiteurs quittant la cathédrale feignaient de l’ignorer ou la dévisageaient telle une bête de foire surgie du fond d’un Moyen Âge obscur. De rares âmes charitables offraient une obole à cette lointaine descendante d’Esmeralda, sans se rendre compte de la scène les dominant, sculptée quelques mètres au-dessus de leur tête sur les trois registres du tympan : le jugement dernier.
Parvenu à la hauteur du portail central qui n’est plus ouvert qu’en de rares grandes occasions, le religieux tourna le regard, presque par automatisme, en direction de la Dame des lieux à qui il adressa, les paupières closes une seconde, un salut de la tête empreint de respect et d’amour.
Encore quelques foulées, trois marches et il ralentit le pas, sentant déjà le tumulte s’effacer derrière lui en franchissant le portail. Le battant de la lourde porte en bois se referma après son passage dans un bruit sourd, étouffé par le gros coussin de cuir épais placé là comme amortisseur. Il fit un arrêt, comme pour savourer le silence et la sérénité du lieu, comme si le poursuivant invisible qui avait pressé son pas avait renoncé à le suivre dans cet endroit protégé, son sanctuaire.
***
— Nous voici donc devant la célèbre horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg ! Telle que vous la voyez actuellement, c’est en réalité la troisième horloge qui a été construite entre 1838 et 1842 par le génial Jean-Baptiste Schwilgué.
François, guide conférencier depuis bientôt dix ans, venait d’entrer avec un petit groupe avide d’en savoir plus sur la principale attraction de la cathédrale. Une fois par jour en effet avait lieu un événement singulier qui enflammait, depuis des générations, l’esprit des visiteurs qui le découvraient et s’émerveillaient autant par son aspect ludique que par l’incompréhension du fonctionnement d’un tel prodige : l’horloge prenait vie. « Ne manquez pas cela ! » Les guides de voyage à Strasbourg étaient unanimes. Michel avait son billet. Accompagné par son ami Gabriel, ils allaient tout apprendre sur l’horloge.
***
Un visage familier reconnaissant le chanoine lui adressa un bonjour du menton alors qu’il invitait les visiteurs à se diriger vers la sortie de la cathédrale. Un couple de retraités examinait encore la vitrine de la petite boutique située sous la grande rosace, à la recherche d’une babiole religieuse en souvenir de leur passage. En face, la nef était plongée dans une chaude lumière filtrant à travers les vitraux multicolores plusieurs fois centenaires. Le grand orgue polychrome Kern1 à tuyaux Silbermann2, accroché à la deuxième travée nord de la nef comme un nid d’hirondelle, semblait prendre vie en renvoyant des reflets mordorés. Il flottait dans l’air une odeur de sainteté, mélange d’effluves d’encens et de cire chaude des centaines de bougies allumées sur les présentoirs par des fidèles en manque d’inspiration pour une prière. Au plafond, sur le mur séparant la nef de la croisée du transept, anges, chérubins et séraphins voletaient en silence comme sortant d’une ruche céleste. Au loin, quelques voix dénotaient dans le silence qui avait maintenant envahi l’édifice.
Le chanoine savourait cet instant propice au recueillement de l’âme. Il aimait ces petits moments où le temps semble s’arrêter. Il resta là, près de l’immense pilier qui supporte la tour, les yeux mi-clos, la respiration apaisée. Rien de tel pour bien commencer sa journée, pensa-t-il. Vider son esprit, laisser derrière soi tous les petits tracas qui vous encombrent la tête. Il rechargeait ses batteries à l’énergie de la pierre rose de sa cathédrale. Ah ! S’il n’y avait pas ce murmure dans le fond de l’édifice. Tous les touristes n’étaient-ils pas encore sortis ? La cathédrale est pourtant fermée juste avant les visites de l’horloge astronomique. Peut-être un de ces photographes qui traînait et que le gardien n’arrivait pas à convaincre de sortir. Qu’importe, il sentait un fluide invisible le traverser et lui faire du bien. Une énergie verticale montait le long du pilier monumental sous lequel il se trouvait. Ce gigantesque pilier soutenant la flèche de la cathédrale était comme une épine dorsale dont les racines-fondations puisaient la force de la terre noire alsacienne et la faisaient monter dans la fleur-flèche en direction du ciel. À le voir si colossalement ancré, bien peu de touristes peuvent s’imaginer qu’il n’est pas d’origine.
***
Ah ces touristes ! Que ne peuvent-ils respecter ces lieux et faire moins de bruit. À peine l’esprit du chanoine s’était-il élevé quelques instants vers les cieux que la bruyante activité humaine l’avait rattrapé et ramené à la réalité terrestre. Le gardien avait décidément affaire à un énergumène récalcitrant. Longeant le chemin de croix dans le bas-côté nord, il prit la direction de la chapelle Saint-Jean-Baptiste où les préparatifs d’une cérémonie l’attendaient. En passant devant la Vierge aux bras étendus3, statue de bois polychrome représentant la protectrice de la ville de Strasbourg, le chanoine eut l’impression qu’elle aussi se demandait ce que signifiait cette effervescence. Il arrivait à peine à la hauteur de la chapelle Saint-Laurent lorsque le tapage le dérangea à nouveau. Il décida d’aller prêter assistance au gardien et, bifurquant vers la droite, il coupa par la nef.
Le bruit venait du croisillon sud, et ce n’étaient certainement pas les anges musiciens du jugement dernier, sculptés sur leur célèbre pilier du croisillon sud, qui faisaient tout ce tintamarre. À mesure qu’il approchait, il distingua mieux ce qui le troublait depuis plusieurs minutes maintenant. Ce n’était pas deux voix s’affrontant mais plutôt un murmure constant d’où émergeaient quelques voix plus fortes. La visite de l’horloge avait-elle déjà commencé ? D’habitude, le guide était plus discret. Il semblait qu’une agitation bien inopportune régnait là. Des voix émergeaient de ce brouhaha, tantôt interrogatives, tantôt très affirmatives, voire agressives.
***
Voyant le chanoine déboucher dans le croisillon sud, le gardien qui se tenait à côté du guide conférencier tendit le bras dans sa direction pour l’inviter à le rejoindre promptement. Sa mine était défaite. François, le guide conférencier, n’avait pas l’air dans son assiette non plus. Et les touristes, massés jusque dans le coin devant les portes du portail de la Vierge, n’en finissaient pas de se commenter l’un à l’autre une information apparemment très surprenante.
Le chanoine parvenu en face du gardien, ce dernier laissa enfin s’échapper un « elle est arrêtée ! ».
La main de Thomas s’étant soudain dressée ; elle pointait une direction. Les yeux du chanoine suivirent cette indication en s’écarquillant à mesure qu’ils approchaient de la cible. En effet, dans le même temps, le vieil homme réalisa qu’il connaissait bien l’endroit vers lequel il était en train de se tourner : le buffet imposant de l’horloge astronomique de la cathédrale. Il resta là quelques instants, l’air hébété, se remémorant les mots de Thomas : « Elle est arrêtée ! »
Ce n’était pas la première fois que l’horloge s’arrêtait.
En effet, l’ouvrage que nous connaissons actuellement n’est pas l’horloge originelle de la cathédrale. Achevée en 1354, la première horloge, dite des Trois Rois, qui avait été désirée dès le projet de la cathédrale commencé, était située non loin de l’actuelle, mais sur le mur opposé. Elle était de dimension plus modeste et ne bénéficiait pas de tous les automates de sa successeur. Toutefois, bien que moins sophistiqué, son mécanisme finit par se gripper et malgré des réparations successives dont celle de son coq en 1450, elle se figea définitivement vers 1500.
En 1540, il fut décidé de construire une nouvelle horloge et c’est Chrétien Herlin4, professeur de mathématiques à l’université de Strasbourg, qui débuta la tâche jusqu’à sa mort. Ce n’est qu’en 1571 que Conrad Dasypodius5, qui avait repris la chaire de mathématiques, lui succéda sur ce chantier jusqu’à l’inauguration en 1574, à la Saint-Jean-Baptiste6.
Cependant, tout comme la première horloge, l’œuvre de Dasypodius connut des pannes devant lesquelles les horlogers affectés à son entretien ne furent pas à la hauteur. Ainsi, à mesure que les éléments de son mécanisme se bloquaient, on se contenta de les débrayer. Dès 1740, le chant du coq était actionné manuellement et en 1788 l’horloge retomba dans l’immobilisme sous l’accumulation d’années de crasse d’huile mêlée de poussière.
***
Le guide conférencier ayant rassemblé et rassuré ses ouailles, il commença finalement à improviser une visite avec force détails et grands gestes pour décrire le mouvement des automates, comme l’avaient fait des siècles avant lui ses prédécesseurs devant la seconde horloge arrêtée :
Montrant un petit gamin bien en chair assis au-dessus du cadran principal, François décrivit la séquence qui donne vie habituellement à l’horloge :
Resté un peu à l’écart du groupe, le chanoine Bernard sortit un téléphone portable d’une poche cachée par sa soutane et composa un numéro. Il se retourna et fit quelques pas en direction de la boutique de souvenirs pour parler plus discrètement :
Revenu près du groupe, le chanoine releva la tête vers l’horloge désespérément immobile et silencieuse.
Et il s’en retourna vers la boutique de souvenirs devant laquelle il fit une nouvelle fois la danse de la pluie. Il resta ainsi quelques minutes au téléphone, s’exprimant à grand renfort de gestes qui ne bénéficièrent pas à son interlocuteur, puis revint à côté de Michel.
Un peu surpris par la requête du chanoine, Michel tenta d’esquiver :
Gab et Michel se regardèrent pour se consulter et finirent par acquiescer.
Ses explications terminées, François répondit aux nombreuses questions des visiteurs, puis le groupe se dirigea dans le calme vers la sortie.
Gab et Michel restèrent avec le chanoine près du pilier des anges.
***
Mais déjà la lourde porte s’était refermée sur le môme qu’on entendit à peine répondre « oui, oui ! » en descendant les escaliers à toutes jambes. Le bruit de ses petits souliers de cuir usés frappant sur le bois des marches s’éloigna progressivement pour disparaître dans le claquement sourd de la porte de l’immeuble.
Parvenu dans la rue, il se dirigea vers le Sud en sautillant à cloche-pied dans la rue des Charpentiers. Arrivé au croisement avec la rue des Juifs, il s’arrêta un instant pour regarder passer le tombereau du livreur de charbon qui laissa un sillage noir sur son passage. Le gaillard bien bâti qui tirait la charrette à bras passa lentement en criant « chaaaaaaar-bon » de sa voix devenue rocailleuse à cause des fines particules qu’il respirait quotidiennement. Le gamin traversa alors la rue, sautant de pavé en pavé comme on traverse une rivière, afin d’épargner ses chaussures et également ses oreilles.
Il continua tout droit dans la rue du Faisan puis tourna à droite pour couper par la place nouvelle du Marché-Gayot7. Là, sur des étals couverts, se tenait le marché aux herbes et à la volaille. L’odeur qui régnait ici mêlait les senteurs épicées aux relents des cages à volatiles. La place fourmillait encore de monde à l’approche de midi et les discussions allaient bon train. Le garçon se faufila donc entre vendeurs et acheteuses, prenant soin au passage de titiller quelques poulets effrayés.
Il passa ensuite à côté du collège royal qui jouxte le grand séminaire et déboucha sur la place de la Responsabilité8 devant le portail sud de la cathédrale.
Il admira, avant de poursuivre, les trois cadrans solaires aux lettres dorées que Dasypodius avait installés sur la façade pour régler son horloge et gravit les marches du perron en quelques bonds.
Il était temps. Déjà le géant garde suisse pénétrait dans la cathédrale par la porte latérale, suivi d’un petit groupe de curieux qu’il avait habilement convaincus d’entrer en les étonnant par ses anecdotes originales et pittoresques sur l’histoire de l’horloge astronomique. En le voyant débarquer sur le perron, le géant qui refermait la porte lui fit un clin d’œil suivi d’un signe de la tête pour l’inviter à entrer prestement. Le gamin, tout sourire, se faufila tel un chat par l’étroit entrebâillement et alla se cacher dans l’angle à droite de l’horloge. Le Suisse avait l’habitude de voir le petit traîner autour de l’horloge car il est vrai qu’habitant à deux pas de là, le garçon avait tout loisir de venir encore et encore écouter les explications du géant. Il était en quelque sorte son plus fidèle auditeur mais aussi le plus avide d’explications. Et il est un fait que l’enfant s’intéressait vraiment à l’horloge et que la mécanique le passionnait, car il faut bien se remémorer qu’à l’époque évoquée, c’est une œuvre monumentale entièrement figée, à l’exception des aiguilles donnant l’heure, qui s’offrait au visiteur. De la merveille de mécanique du XVIe siècle ne subsistait que le corps momifié. Il n’y avait que les descriptions imagées du Suisse et ses mimes qui redonnaient vie aux automates grippés, et de la voix au coq grisonnant de poussière.
Pour terminer sa visite de façon sensationnelle, le Suisse racontait toujours que le premier magistrat de la ville, de peur que Dasypodius qui avait conçu le mécanisme ne fasse ailleurs une plus belle merveille, ordonna de lui crever les yeux.
Pour se venger, le malheureux désormais aveugle abîma le moteur principal de l’horloge si bien que personne ne put le réparer et que depuis elle ne fonctionnait plus.
Le géant suisse avait à peine terminé sa phrase et s’attendait à récolter le fruit de son éloquence quand une petite voix haut-perchée déchira le silence et s’exclama :
Incrédule devant la soudaine et inopportune intervention du môme, le géant lui envoya du :
Mais le môme qui n’avait pas bougé d’un pouce enchaîna, toujours possédé :
Cette déclaration faite, le jeune Jean-Baptiste Schwilgué quitta la cathédrale en courant, n’offrant pas au géant l’occasion de lui répondre, et laissant l’assistance abasourdie par ce qu’elle venait de voir et d’entendre. C’était l’année 1786.
***
Quelques instants plus tard, Michel, Gab et le chanoine Bernard étaient attablés devant un café.
C’est bien, c’est bien ! approuva le chanoine. Je suis heureux de constater qu’il y a encore de jeunes gens qui s’intéressent à notre histoire, notre culture et notre patrimoine. Nous avons la chance sur notre vieux continent d’avoir une histoire très ancienne et riche, qui remonte presque aussi loin que l’humanité. Ce n’est pas comme ces… mais passons. Où avez-vous établi votre quartier général pour vos escapades strasbourgeoises ?
Un petit air de Bach se fit soudain entendre sous la soutane du chanoine.
***
Dès sa plus tendre enfance, le jeune Jean-Baptiste était un mordu d’horlogerie. Les sempiternelles questions dont il assommait le garde suisse pour comprendre le fonctionnement des rouages dépassèrent rapidement les connaissances du géant. Cependant, sa soif d’en savoir toujours plus sur l’horloge et son mécanisme fut mise à rude épreuve quand son père, devenu veuf en 1785, décida de quitter Strasbourg pour s’installer à Sélestat en 1787.
En 1788 il apprit l’arrêt total de sa chère horloge. À partir de ce moment, son désir de ressusciter la mécanique fantastique ne le quitta plus. Il alla même en grandissant, orientant sa vie, monopolisant ses nuits…
***
Le chanoine Bernard n’en croyait pas ses yeux ; au téléphone il n’avait pas relevé qu’il avait affaire à une voix féminine. Il s’était fait piéger par le ton déterminé de la voix de cette femme de caractère. Et c’est un fait que pour une femme évoluant dans la sphère demeurée très macho de la police, la poigne était de mise. Tout mollissement pouvant être interprété par ses collègues et subordonnés comme un aveu de faiblesse, elle avait pris l’habitude de toujours revêtir sa carapace de dame de fer lorsqu’elle était à son travail.
Elle s’était fait connaître lors de l’affaire du tueur de joggeuses qui avait défrayé la chronique en 2008. D’un coup, elle avait été propulsée devant les projecteurs lorsque les journalistes avaient découvert son gracieux visage photogénique et son franc-parler qui plaisait beaucoup lors des conférences avec les médias. La presse misogyne en avait fait ses choux gras en anticipant une enquête désastreuse parce qu’une femme ne pouvait être jolie et efficace à la fois. Mais finalement, par de fines et audacieuses déductions qui prouvaient qu’elle connaissait mieux les hommes que ces derniers la cernaient, et aussi grâce à d’habiles méthodes de gestion de l’enquête, elle avait géré la crise et résolu le mystère, allant jusqu’à obtenir du meurtrier des aveux complets ainsi que des explications, précieuses pour les profileurs, sur ses motivations. Le ministre lui-même avait reconnu et cité son travail exemplaire lors de son déplacement dans la capitale alsacienne et avait tenu à la saluer.