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L’idéal pendu explore l’intensité du conflit politique algérien, où des groupes de « suppôts » défient les « saufs » sous le regard vigilant des « saints » et à l’insu des « sains ». Ces individus, mus par la convoitise, brouillent les frontières entre l’autorisé et l’interdit, prêt à tout pour atteindre leurs objectifs, tout en piétinant la loi et la morale. Mais les « saufs », bien que protégés, se dressent contre leurs manœuvres et commencent à dénoncer leurs complots aux « sains », armés de leur seule foi. Dans cette lutte de pouvoir, un sous-préfet ambitieux, aveuglé par son désir de grandeur, se laisse séduire par la tentation. Un complot mystérieux se tisse autour de lui, et plus il avance, plus il se retrouve piégé. À mesure que ses secrets émergent, il se voit acculé par ses ennemis et désavoué par ses supérieurs. Sa carrière, son idéal, et même sa famille sont en jeu. La fin approche, mais peut-il encore échapper à la tragédie qui semble inévitable ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Ali Kherbache est chargé de la correspondance locale pour des titres nationaux en Algérie, une mission journalistique qu’il mène avec une plume engagée au service du citoyen. Son vif intérêt pour son pays ainsi que ses compétences littéraires lui ont permis de partager son regard aiguisé sur la société politique algérienne à travers cet ouvrage.
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Seitenzahl: 275
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Khali Ali
L’idéal pendu
ou les enfants du péché
Roman
© Lys Bleu Éditions – Khali Ali
ISBN : 979-10-422-7199-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Depuis son accession à l’indépendance, l’Algérie a testé plusieurs stratégies de gestion, mais le système, né dans le berceau de l’autoritarisme couvé en dehors du territoire recouvré, a préféré sa seule voie de gouvernance : l’accroc au Pouvoir pour perdurer. Et il est toujours présent, faisant fi des aspirations populaires et des aléas socio-économiques. Les parvenus aux fonctions décisionnelles, trop émerveillés par le statut acquis et le nouveau mode de vie, s’ancrent dans le lucre, ne pensant qu’à leur aisance. La populace, reléguée au plus bas des valeurs, vivote dans une mélasse où s’entrechoquent les us, le copinage et le clanisme savamment entretenus et exploités par quelques décideurs, poussant leur outrecuidance jusqu’à mettre en cause l’identité algérienne. Et pourtant, cette mosaïque, soudée et unie, allait tirer des griffes du joug colonial, la souveraineté d’une patrie lésée et blessée jusqu’au tréfonds de son âme. Aussi, la course au pouvoir et aux privilèges qui en découlent, est-elle devenue un jeu « où tous les coups ne sont pas omis », y compris les plus vils. La corruption, monnaie courante, a supplanté les vertus cardinales et entaché le civisme d’un peuple majoritairement croyant et souvent pratiquant. Les titres sont brigués au prix fort, un investissement profitable « à haute valeur ajoutée ». Et pour cause. L’accès au titre ouvre la voie de l’aisance politico-financière. Le Chef ne se gêne pas et incite les malléables à user des corvéables, les mauvais élèves de l’histoire. La fraude, le passe-droit et le clientélisme font foi de droit.
L’ouvrage, inspiré de quelque fait réel, met en évidence cette lutte fratricide entre les opportunistes de mauvais aloi et les cerbères de l’équité et de la dignité, bien que la liberté demeure un leurre tenu en laisse par des mécanismes tout aussi sournois qu’acceptables religieusement. La foi est utilisée à des fins cupides. Les alliances partisanes se forment et se défont au gré de l’intérêt recherché. Toutefois, si les attentistes restent à l’affût et guettent la moindre voix, sirène du profit, les sains au demeurant passifs se rebiffent, lassés par les envies des exigeants et les désirs des insatiables. Ces franges s’attellent à compacter la conque protectrice, une carapace étanche aux velléités rivales. Ceints dans leur coquille multicolore, les versatiles, appelés « les saufs » en raison de l’ambiguïté de leur opinion, peuvent se ranger avec l’un et s’arranger avec l’autre, appâtés en fonction de la circonstance. Le gain et l’appétence représentent leur souci majeur.
Le Chef en question, dont les semblables sont légion, et, malgré l’apanage du poste, versera dans l’illégal qu’il est sensé combattre et éradiquer. La recherche du profit, par devise interposée et imposée, s’avère une gymnastique enviée où tous les exercices sont permis pour un taux de change réciproquement avantageux. La pratique est appliquée aussi bien pour les besoins essentiels (soins médicaux et visites familiales), ceux aléatoires (tourisme et échanges) que recommandables (pèlerinage), du fait de la dévaluation de la monnaie nationale. La révision à la hausse de l’allocation touristique ne résoudra nullement le problème, « et ne fera qu’amplifier le négoce informel », attisant les exigences des uns du change informel et avilissant le citoyen lambda dans le besoin de la devise.
Et souvent, les Chefs perdent la raison en optant pour des moyens qui ne justifient aucunement la fin.
Aux scouts,
de tous les pays du monde
À mes camarades de promotion,
Ceg Albert Camus, Saïda,
École normale, Oran,
Inped, Boumerdès
et mes professeurs.
À mes copains de régiment,
les réservistes
Amia Cherchell (1969/71),
Efor Blida (1977)
Aux martyrs de l’injustice
Octobre 88 (fin du parti unique)
Décennie noire (1992-2002)
Février 2019
(la révolution du sourire, le hirak)
Vous ne pouvez combler les gens par vos biens, mais comblez-les par un visage souriant et un bon comportement.
Le prophète Mohamed (QSLPSSL),
rapporté par El Mendhiri
Car c’est par l’écriture toujours qu’on pénètre le mieux les gens. La parole éblouit et trompe, parce qu’elle est mimée par les lèvres, et que les lèvres plaisent et que les yeux séduisent. Mais les mots noirs sur le papier blanc, c’est l’âme toute nue.
Guy de Maupassant
Notre cœur
J’ai beaucoup de problèmes dans ma vie. Mais mes lèvres ne le savent pas. Elles sourient toujours.
Charlie Chaplin
K.O, il l’était presque le Chef. En route vers sa nouvelle résidence, il ne cessait de ruminer les instructions du directeur des personnels au ministère de l’Intérieur. Confortablement installé dans un somptueux bureau situé au quatrième étage de l’imposant palais du gouvernement, il avait froidement lancé :
« Faites très attention, car vous avez affaire à une population, qui sans être particulièrement intellectuelle, est très cultivée et rebelle. Le moindre fait ou geste génère des flots de lettres semi-anonymes que déverseront les bureaux de poste de la Capitale. Le “21/27” et le “bic” demeurent, de nos jours, leur arme redoutable ».
Le nouveau promu songea un instant soit à récupérer tout le papier disponible dans la contrée, soit à en réguler l’utilisation, mais se ravisa, car l’opération s’annonçait impossible.
« Et puis, ajouta le haut fonctionnaire ministériel, ne décevez surtout pas votre parrain originaire de la région. Il s’est porté garant de votre intégrité et de votre docilité. Ce personnage est très écouté par… qui vous savez ».
Il quitta le bureau directorial tête basse et s’en voulait d’avoir eu recours à l’intervention, au copinage.
Zut, se dit-il tout haut, advienne que pourra.
Le paysage qui s’offrait à la curiosité du Chef ne lui était guère familier. Bien calé sur la banquette arrière du véhicule qui le conduisait à sa nouvelle demeure, il contemplait les immensités de sable qui lui lassaient la vue. La flore desséchée et la rocaille brûlée par le soleil du Sud crient leur soif en l’absence de pluie et la fréquence du sirocco, ce vent chaud à couper le souffle. De temps à autre, il vit paître de chétifs troupeaux où la frêle silhouette, à peine visible du berger, se confond avec les bêtes. Les secousses, dues aux fosses oubliées d’une route rapiécée, ramenèrent le Chef à la réalité. Il se gronda, en son for intérieur, d’avoir accepté ce poste dans un bled perdu, isolé. Mais l’ambition et le désir « d’arriver » auront vite fait d’effacer les souvenirs d’une vie facile, douillette du fonctionnaire qu’il était. La grande ville, dont il était natif, avait régulé sa vie et ses habitudes allaient être terriblement perturbées. Il s’épongea le front ruisselant de sueur. La poussière, infiltrée par la vitre, chouia rabaissée, noircit son blanc mouchoir repassé la veille par sa femme qui s’était donné toutes les peines du monde à faire les valises. Cette fidèle compagne lui avait rangé ses vêtements et pris le soin de tout plier, en dépit de son médiocre état de santé. Le pli impeccable de son pantalon s’était déformé par les mouvements incessants de ses jambes qu’il n’arrêtait de croiser et de défaire chaque fois que des fourmillements envahissaient ses pieds engourdis par l’immobilisme.
« Mmmm, murmure-t-il, c’est encore loin ce bled ? » questionnant le chauffeur, un rude gaillard au nez rectiligne et teint hâlé, rongé par la fatigue. Il avait rejoint très tôt le siège de la préfecture pour le raccompagner. Il s’était contenté, sans commenter, d’épier par le rétroviseur, son blanc passager emmailloté dans un costume beige, produit de Bougie, qu’il n’aurait jamais préféré à sa gandoura rayée, une offrande de Tayeb à son retour de la Mecque.
Je me demande comment qu’il arrive à supporter ces langes, se dit le chauffeur pensif.
Le Chef avait, un clin, deviné les pensées du conducteur et se fit une réflexion :
« Un chauffeur en gandoura, c’est du jamais vu. Mais laissons tomber pour l’heure, j’aviserai ultérieurement. »
En posant machinalement ses mains de part et d’autre de son corps pour se redresser, le Chef sentit ses fesses baigner dans une flaque d’eau due à une sudation abondante. Un léger courant d’air rafraîchit son dos trempé. Gêné et usant de délicatesse, il se déporta légèrement sur la gauche, tout près de la portière dont il entrouvrit la vitre pour se sécher, à l’insu du chauffeur.
Au loin apparaît une tache verdâtre, ramenant un brin d’espoir de vie dans cette contrée désertique. Le Chef fixait ce point de salut et reprend sa forme. Bientôt il arrivera à destination, car des palmiers se dessinaient déjà et il songea, un moment, à un mirage des contes de jadis. Il ôta ses lunettes et se frotta les yeux, emporté par une secrète sensation de bien-être. Peu à peu, le paysage changea et des habitations, quoiqu’éparses, apparaissaient enfoncées dans le sable. Un semblant d’aise l’enveloppa. Au sortir d’un virage cousu entre d’immenses dunes, il aperçut, dormant dans un lit d’oued, un joli verger ceint de pins d’Alep et au milieu duquel trônait un puits. L’eau, cet élément vital en ce milieu aride, se déversait en coulées douces et lentes dans des ruisseaux de fortune taillés à même le sol. L’eau pure et limpide, où scintillait le reflet du soleil, désaltère à distance, mais assoiffait le citadin qu’est le Chef. Ce tableau tiré des contes des mille et une nuits ne dura que le temps d’être dépassé. Le chef regrettait de ne pas avoir pris le temps de contempler spécieusement, alors que le chauffeur, soucieux de rentrer tôt rejoindre les siens, accéléra davantage. À la descente d’une pente qu’elle avait grimpée sans difficulté, la Mazda officielle avala d’un trait trois bonnes bornes en ligne droite. Elle dépassa le cimetière des Martyrs, récemment inauguré à l’entrée de la ville. Près de la stèle gisaient les débris d’un hélicoptère, trophée d’une guerre sans nom et symbole d’une lutte acharnée et farouche qui démontre le caractère guerrier des habitants de la localité. Le véhicule trébucha, dans sa lancée, sur une crevasse occultée et secoua son occupant au moment même où il traversa l’arc de triomphe dénudé et qui ne revêtira ses panaches qu’à l’occasion des fêtes et festivités diverses. Le Chef ne se remet de cette agitation que lorsque la voiture s’avança, après un stop brusque, en direction d’une bâtisse de style colonial ayant servi de résidence au gouverneur de l’époque. Des palmiers géants surplombaient la haute muraille. Le portail, grand ouvert, leur céda le passage. Dans un ultime crissement de pneus, la Mazda s’immobilisa. Quatre personnes surgirent de la demeure. Ces fonctionnaires locaux venaient accueillir leur hôte, dans la simplicité et sans tambour ni trompette.
Le Chef fut conduit dans ses quartiers. Il préféra l’appartement au bureau. Le nouveau patron des lieux devait se reposer et casser le grain pour se remettre autant d’aplomb que de ses émotions.
Haj Cheikh habitait, au coin de la rue des Allongés. La grandiose demeure donnant sur deux façades conférait à son puissant propriétaire le statut envié de notable de la ville. Il avait, auparavant, occupé maintes fonctions politiques et administratives et s’était forgé une expérience indéniable. Une réunion peu commune eut lieu, chez lui la veille, et à laquelle étaient conviés ses pairs. Après s’être gavés de méchoui, les présents avaient abordé le sujet du jour en sirotant le thé soigneusement préparé selon le rite local par Mekki. Le rôti du mouton de la fête, une bête gracieusement offerte par un éleveur de la région, distingué pour son monopole de la commercialisation de l’aliment de bétail nécessaire à la survie du cheptel en ces années de disette pluviométrique, fut tout bonnement succulent.
Messieurs, débuta le maître des céans, bénis soit le Prophète.
— Que le salut et la paix célestes soient sur Lui, répond le chœur assis.
Les verres à thé sont aussitôt posés en un bruit sec et saccadé sur les plateaux. L’homme, ayant interrompu les tirades, se dressa sur ses jambes pour dominer l’assistance.
Les présents baissèrent la tête comme pour s’accorder un temps de réflexion plongeant la salle dans un bref silence. Le froissement d’une gandoura en soie tira les convives de leur perplexité. Haj Larbi ajusta les oreillers de laine pure sur lesquels il s’était accoudé.
Haj Cheikh était catégorique. Quoique l’idée fût commune, les intérêts divergeaient, la hiérarchie tribale aidant.
Résignés, car ne pouvant contredire celui qui les hébergeait, les hajis reprennent leur position d’aise. Ils se réaccoudaient dans un mouvement d’ensemble uniforme, à demi allongés, les jambes repliées.
L’approbation unanime qui suivit la proposition de Haj Slimane, un respectable boulanger, mettra un terme à la discussion. Kouider trouva utile d’ajouter :
Le but de l’assistance est d’asseoir une certaine autorité qui leur permettrait de fructifier leurs avoirs et diversifier leurs ressources. Les dernières élections ont été catastrophiques et les sièges, locaux et nationaux mis en jeu, remportés par des opportunistes, incapables, amorphes, passifs et quelques-uns analphabètes. La commune est présidée par un jeune inexpérimenté, maniable à merci par la famille pseudorévolutionnaire qui l’avait cautionné. La majorité d’une population tenue en laisse a plébiscité le choix d’un système en déliquescence. Les jeunes tenant au modernisme, à la rénovation sont freinés dans leur élan par une élite jacobine conservatrice. Le bureau communal s’est, dès son installation, penché sur la réalisation d’un centre culturel doté d’une bibliothèque, d’ateliers éducatifs et la prospection d’assiettes de terrain dans le Nord du pays pour y implanter des centres de vacances. La culture et les loisirs furent la priorité d’une jeune équipe que les anciens, rompus et non repus, ont grandement dénoncée. Cette attention particulière portée à une frange toute désignée exaspérait les conservateurs, portés résolument sur le foncier, l’agriculture et le bétail. Ils tenaient particulièrement à la fête traditionnelle, une ouâda annuelle qui rassemble, à la mi-octobre de chaque année, les descendants et adeptes du vénéré saint de la région, patron incontesté des lieux. Le commerce fleurit à l’occasion et les collectes se multiplient, un prétexte pour l’enrichissement illicite aux dépens de quelques naïvetés entretenues à bon escient. Le malade vient quêter la guérison, la femme stérile l’enfant désiré et le pauvre implorer les moyens pour chasser la misère. Seul le riche concrétise ses desseins par la disponibilité et les connaissances.
La sortie à l’étranger nécessitait la devise manquante. L’allocation touristique allouée aux nationaux désireux de découvrir d’autres cieux s’avère insuffisante, voire insignifiante. Les monnaies étrangères, notamment l’euro et le dollar, sont échangées au marché noir, à l’informel appelé le trabendo, à un taux exorbitant. En période estivale, où la demande dépasse l’offre, ces monnaies s’envolent au change. Chacun y va de son mieux et au diable la crise économique, ânonnée par les officiels. La ouâda, fête périodique, donne lieu à des rencontres inattendues, des contacts surprenants et des contacts divers. Toutes les activités sont présentes et les désirs assouvis. Cette manifestation citoyenne, organisée à l’imploration du Créateur s’est substituée à l’invocation du saint local et aux plaisirs.
Des sourires illuminèrent les visages pensifs. Les hajis acquiescèrent convaincus des capacités persuasives de l’orateur. Ils imitèrent haj Djelloul récitant la Fatiha, puis implorant le Seigneur pour exaucer leurs vœux, assis en tailleurs. Le haj enchaîna par des invocations interminables.
E…, petite localité située à une cinquantaine de kilomètres à vol d’oiseau, du chef-lieu, et rattachée territorialement à cette dernière, se réveille ce jour-là comme à son accoutumée. Dès l’aube, les hommes sortent les bêtes. Vaches, moutons et chèvres constituent l’essentiel de l’avoir des habitants. Les animaux, guidés par leur seul instinct de survie, prennent le chemin d’un pâturage aride. Les bêtes rejoignent, par des ruelles étroites qui débouchent sur la placette, un point de ralliement convenu. Le berger, payé par la djemaâ (assemblée locale), attend patiemment le troupeau, appuyé sur un bâton noueux, le baluchon à ses pieds. Son chien, attentif aux arrivées, semble compter les bêtes. Quelques vaches capricieuses, ou nouvellement acquises, se font accompagner par leurs propriétaires. Une fois rassemblées, les bêtes s’en vont à la recherche d’un herbage desséché, broutant çà et là tout sur leur passage. Papier, carton, restes de légumes et d’ordures ménagères ne sont guère épargnés. La sécheresse a estompé les gâteries. L’orge, très cher, et le fourrage sont rationnés. Le cheptel ne pourra en prendre qu’au crépuscule, à son retour d’un sevrage quotidien coutumier. Aussi avaient-elles quitté à regret des écuries de fortune, aménagées à même les habitations de cette oasis qui conserve encore son ksar, un fort séculaire construit en terre battue. La charpente est fabriquée à partir de troncs de palmiers et le plafond consolidé de branches de lauriers coloriées. Il est vrai que les anciens s’ingéniaient à agrémenter les intérieurs et sécuriser les leurs. Deux portails, dont l’un en bois dur à l’entrée principale, et le second à la sortie en opposé donnant sur les vergers sont les témoins d’une époque florissante. Le temps et ses caprices climatiques n’ont cessé de ternir les habitations délaissées par leurs occupants regroupés en sol plan par la coloniale durant la guerre de libération. Dès l’indépendance, de nouvelles constructions se sont érigées sur la terre ferme. Les constructions en pierre taillée contrastaient avec le paysage saharien où dominait la couleur sable. Les quelques cheminées crachaient des fumées fines et bleuâtres de palmiers brûlés. Dans un coin de la maison où la table basse faisait angle, l’homme préparait lui-même le thé, selon le rite local. Les enfants, à peine éveillés, vont puiser l’eau de la citerne posée dans la cour principale et se débarbouiller avant d’aller à l’école. Les plus petits dorment encore du sommeil paisible de l’insouciance dans le lit commun aux parents qui occupe une grande partie de la pièce. La maîtresse de maison s’affairait à nettoyer l’étable vidée par la seule vache et les cinq chèvres sorties paître. Le pain cuit au tadjine fume encore sur la table. La dame ira battre le lait du matin contenu dans l’outre en peau de chèvre tannée accrochée à un trépied de fortune. Le petit lait et le beurre qui en seront soutirés serviront à la pause du milieu de matinée, entre autres utilisations. Elle s’active avant que n’arrivent ses voisines achever la djellaba à tisser sur le métier qui s’étend sur un pan horizontal du mur. La touiza, entraide commune, ne cessera qu’une fois le produit fini chez l’une pour reprendre aussitôt chez une autre voisine. Cette pratique constitue une source de gain pour la femme au foyer et une occupation artisanale utile. Les jeunes filles sont associées à ce travail pour apprendre la technique et perpétuer la tradition. Les tapis, les burnous et autres djellabas sont vendus au souk hebdomadaire de la ville par les mâles. L’heure du thé accompagné d’un « r’fis », du pain de semoule finement émietté et mélangé à la chair de datte et beurre rassis interrompra le tissage. Le plat, très appétissant, est pris derrière le métier à tisser, la trame tirée. Les tisseuses profiteront du répit pour se raconter les potins de la veille. L’approvisionnement de la surface commerciale locale n’échappe point à la discussion. La distribution des produits, importés dans le cadre du programme anti-pénuries, demeure le sujet favori. Interdites de fréquenter la grande surface, elles s’interrogent sur la disponibilité, en qualité, de produits prisés par la gent féminine, car l’autorité masculine est avare en informations. L’intérêt des femmes se porte sur les produits propres à la ménagère, comme les ustensiles, les produits d’entretien et aussi d’esthétique. L’époux tait le contenu des étalages, de peur d’en acheter. Les rares escapades de quelques dames feront l’objet d’interminables assises intimes où se querellent les approbations et les appréhensions.
Et la discussion reprend de plus belle, sur les djinns, le mauvais sort, la magie, et les talismans, agrémentée par des cas de sorcelleries avérés. Les battements saccadés et réguliers des cardes accompagnent les ragots, tandis que le couscous cuit à la vapeur et sera prêt à l’heure du déjeuner. Une soupe succulente, préparée à base de légumes bio cultivés dans les jardinets individuels, est en train de bouillir dans la marmite en fonte et le mets sera servi en l’absence du mari, occupé dans le verger. Il avait rejoint sa petite parcelle tôt le matin, sa fala (bêche) sur l’épaule, soucieux d’entretenir sa récolte et frayer un passage à l’eau dans les rigoles obstruées par des herbes mortes. Ce rude fellah ne rentrera qu’au crépuscule, le couffin garni de fruits précoces.
Le paysan éreinté souhaitait posséder un véhicule utilitaire pour se rendre au souk vendre le fruit de son labeur afin d’améliorer ses revenus. Dire que son frère émigré n’a pas songé à lui en acheter.
Plongé dans ses réflexions, il n’entendit point son beau-frère, Aissa, s’approcher et ne s’aperçoit de sa présence que lorsque ce dernier lui tapote l’épaule.
L’intervention du proche lui fut bénéfique. Il quitta sa bêche, plantée au sol, et s’assied sur un tas de fumier.
Aissa avait même félicité Fawzi au sortir de l’armée.
Dans cette contrée, les hommes, plutôt âgés du village, ne vivent que des travaux champêtres. Les jeunes, pour la plupart émigrés en France ne rentrant au bled qu’une fois l’an, rassasient les enfants de jouets, de vêtements et autres attirails des soldes de Barbès, des puces de Montreuil et des magasins Tati. L’argent gagné est jalousement gardé dans les banques du pays hôte, tandis que la modeste somme ramenée et exigée au débarquement permet des bénéfices appréciables, puisqu’échangée à l’informel, prohibé. Le surplus de vêtements est revendu. Il en est de même pour tout autre produit ayant déplu à son destinataire. Le gain récolté constitue l’argent de poche des travailleurs de l’hexagone. Aussitôt rentrés, ils noient leurs habitudes d’outre-mer dans d’interminables parties de leur jeu favori : les dames. Sur les trottoirs cimentés sont dessinés les jeux et les groupes formés se livrent des parties acharnées que seul le muezzin est capable de rompre à l’heure de la prière.
Dans une épicerie du village, carrefour de l’information, quelques individus collecteurs épandeurs de nouvelles, gesticulent et discutent bruyamment, s’offrant de temps à autre un médius offensant. Tahar, un chômeur de Paris, faisait la polémique. Il n’était guère sérieux et se contentait, fainéant qu’il était, de l’allocation rétribuée. Par contre Kamel arrondissait ses fins de mois les jours de marché et excellait dans la vente de chaussures et le tissu. Khalil, pour sa part, manipulait la plume. Il tenait, pour ses copains analphabètes du foyer, le courrier peu abondant en fait. On évita de parler des tenanciers de brasseries, car ceux-là pouvaient s’offrir la Tour, « tant ils sont riches et peu dépensiers », précise un fan de la médisance. Ils sont cités comme modèles des laborieux et ramènent, à chacun de leurs congés, des véhicules de l’année. Mansour ne s’est-il pas permis une Renault coûtant une fortune en France ? Quel chic ! Le benjamin de l’assistance, frère de l’épicier, ramena ses camarades à la réalité.
De longs soupirs, capables de dévier de sa trajectoire un dirigeable, suivirent ce rappel à l’ordre.
Ce changement de ton figea l’auditoire et la nouvelle tomba aussi sec :
Des exclamations et des marmonnements libèrent les faciès figés.
La remarque, au lieu de s’estomper, raviva la discussion. Chacun y mit du sien. Les critiques les plus acerbes fusèrent de toute part. L’intérêt et la convoitise menèrent les débats.
Fort de son expérience, Miloud expliquera qu’il attend depuis deux ans un dossier formalisé.
Ainsi se résumait la discussion de ces personnages attentifs au changement, espérant une justice sociale. En fait, la fréquentation du milieu d’accueil perdrait le nouveau promu. Il se devait de soigner ses sorties, réguler son mode de vie, ne pas céder aux tentations et se conduire en RESPONSABLE, respectueux et respecté. Il doit éviter le parti-pris, car s’il en commet l’erreur, il ne fera qu’attiser les conflits relationnels. Aussi, le Chef doit s’accorder une période de constat et éviter les tâtonnements infructueux risquant de déclencher l’irréparable.
Miloud quitta les lieux, en dernier, s’assurant que l’épicier avait bel et bien fermé son magasin. Il en eut pour son attente.
El Afrit, boucher de métier, eut l’idée de se convertir en fellah. Sa volonté de s’épanouir matériellement l’aida à mettre en valeur une quarantaine d’hectares de terre aride. Grâce à la touiza, il réussit à épierrer le sol et défoncer la surface cultivable. Ses fonds propres lui assurèrent les frais préliminaires et la clôture de l’aire retournée. Il s’emploie à creuser un puits devant servir à l’irrigation. Seuls les matériels nécessaires au puisage et au refoulement de l’élément vital faisaient défaut. Détenteurs de papiers utiles, il ne cessait ses démarches pour l’acquisition de la pompe et des tuyaux indispensables, sachant que l’État encourage le travail de la terre, unique frein à l’exode et source de l’autosuffisance alimentaire. Seulement ses efforts sont annihilés par la bureaucratie rigide et l’avidité démesurée de quelques agents véreux en quête de gain facile. Alerté, plutôt qu’informé, par l’un des participants à l’assise de l’épicerie, il s’activa et songea à s’adresser au Chef. El Afrit convia ses amis et proches conseillers autour d’un thé et du r’fis pour étudier la question.
L’interpellé, rompu à l’administration locale, déclina l’invite.
Smain ne sut que répondre. Il fut étonné qu’El Afrit soit au courant de ses arriérés impayés. Il n’en avait parlé à personne et passait pour un artisan discret. Pris au dépourvu ; il voulut émettre des sons qui refusaient de sortir de sa bouche séchée.
Saïd vint à son secours. Tout en jouant du verre de thé qu’il tenait, il déclara :
L’intervention calma la fougue d’El Afrit. Il acquiesça et rangea sa pile de documents dans un fourre-tout ramené lors d’un de ses voyages en France. Les circonstances l’obligent à se plier aux conseils des convives. D’ailleurs, Saïd n’avait-il pas raison ? Le Chef venait à peine d’arriver. Il faut lui permettre de s’imprégner des problèmes locaux et des attentes de la population. Ce serait encore mieux s’il venait à visiter le village et constater de visu les besoins de « la ferme d’El Afrit », suggère Abdelkader, l’ex-maire de la localité. Aussitôt, El Afrit s’exclama :
Flatté par Abdelkader, El Afrit se lança dans les détails du menu. Son ouvrier s’occupera de rôtir le mouton, pendant qu’il préparerait lui-même le melfouf : des brochettes de foie et de cœur. Le s’fouf, un couscous finement sucré, est déjà disponible. Quant aux dattes, il en achètera de plus fraîches au marché ainsi que du lait frais. Abdelkader se propose pour le thé. Bien entendu le Chef sera satisfait et ordonnera les dépenses en faveur d’El Afrit et le règlement du dû de l’artisan. Ravi de cette issue virtuelle, revêche, il invita ses amis pour le dîner. Le thé pris, les amis quittent le maître des céans et se donnent rendez-vous pour le soir. Smain retient El Afrit et s’empressa de lui demander :
Contrarié, Smain salua l’audacieux d’une poignée de main moite, monta dans sa voiture et démarra sur le chapeau des roues. El Afrit éclata d’un rire sarcastique qui lui fit découvrir la dernière molaire de la mâchoire inférieure. Il vient de prouver au discret qu’il est au courant du moindre des agissements de n’importe quel habitant du bourg, encore moins ceux d’un ami.
Garde-toi de tes amis, car tes ennemis sont connus, se dit le fellah converti. Il se demanda ensuite si ses amis savaient ses disponibilités en France. Ils n’ignoraient certainement pas ce fait, mais le montant du compte leur échappait. À moins que…