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Alors que la paix règne depuis des années grâce au retour de l’héritier légitime sur le trône, un sinistre présage obscurcit l’horizon du continent et de ses habitants. Une lune d’un vert maléfique s’élève sur la Gastienne, apportant une menace inquiétante. Des créatures étranges envahissent leurs terres, laissant derrière elles pillages et carnages, propageant un mal mystérieux susceptible de n’épargner personne. Dimitri, notre héros, réussira-t-il à réunir ses forces à temps ? Le roi saura-t-il mettre de côté son orgueil pour conclure une alliance, avec la plus puissante des immortelles, dans l’espoir de sauver son royaume de l’inéluctable destruction qui le guette ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Férue de littérature fantastique, médiévale et de suspens,
Allison Zizzo s’autorise à créer des mondes refuges où tout est possible. Par sa plume, elle donne vie aux merveilleuses aventures que son imagination a forgées au fil des ans. Cet ouvrage constitue le second volume de la saga "L’immortelle".
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Seitenzahl: 767
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Allison Zizzo
L’immortelle
et les larmes des sirènes
Roman
© Lys Bleu Éditions – Allison Zizzo
ISBN : 979-10-422-1486-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
La nuit était enfin tombée sur le village de pêcheurs dans la contrée de Nambryl. Elle était arrivée par la mer des heures plus tôt et s’était cachée aux yeux des villageois patientant longuement, seule, sur une terre inconnue. Elle avait eu le loisir d’observer la houle et le va-et-vient des oiseaux marins qui suivaient les bateaux de pêche. Elle avait froid, et faim de sensations qu’elle avait découvertes récemment et auxquelles elle s’efforçait de s’accoutumer. L’air iodé lui rappelait qu’elle ne venait pas d’ici, elle était désormais proscrite et ne reverrait probablement jamais son monde, mais peu importe. Elle avait choisi sa voie, choisi son destin et elle ne serait pas l’instrument d’une volonté qu’elle ne comprenait pas. Quoi qu’ils en pensent, elle avait de la valeur bien plus qu’ils ne le prétendaient. Ils avaient tort et elle le prouverait même si elle devait en payer le prix fort. Elle n’avait plus le choix. Alors que ses yeux fixaient un horizon ondulé au gré des vents, un horizon qu’elle ne voyait même pas en réalité. Le crépuscule arrivant la sortit de ses songes tourmentés. Encore chancelante, elle entreprit de partir à la recherche d’un abri loin des habitants de cette terre dont elle ne connaissait les mœurs que d’après les histoires qui lui étaient parvenues. Mieux valait éviter ces êtres inférieurs qui risquaient de lui attirer encore plus d’ennuis qu’elle n’en avait. Les habitations des locaux étaient trop en vue pour qu’elle se risque à l’extérieur de son abri. Ce ne fut que lorsque la nuit fut entièrement tombée qu’elle osa enfin quitter la plage de galets pour gagner l’intérieur des terres le long des falaises où venait mourir le mini reg. L’influence de ses fortes chaleurs se voyait dans le paysage, la végétation y était rachitique et très sèche. Le sol n’était pas plat et de nombreuses roches le jonchaient rendant d’éventuelles randonnées difficiles. De nombreux grillons se turent sur son passage et reprirent ensuite leur chant dans l’espoir de séduire une partenaire. Malgré l’obscurité, elle avançait et même plutôt rapidement.
Elle souleva sa robe longue pour traverser une rivière peu profonde. Elle prit son temps en prenant soin de ne pas glisser bêtement. L’endroit qu’elle avait choisi était peu profond puisque l’eau ne lui arrivait pas plus haut que les mollets. Alors qu’elle pensait que son plan se déroulait jusqu’à présent comme prévu, elle fut saisie d’horreur en apercevant le reflet de la lune dans l’eau.
Elle se retourna promptement pour la regarder en face. Le dernier quartier de lune qui s’était levé de sa couleur naturelle était désormais d’un vert flamboyant.
Ils savaient… Ils étaient en colère… Ils n’auraient de cesse de la traquer désormais…
Un vent glacial se leva subitement, faisant dangereusement danser les arbres. Les insectes cessèrent leur parade nocturne et le ciel se chargea de nuages. De terrifiantes formes se dessinèrent dans le ciel et plusieurs masses se rencontrèrent pour former une tornade, une deuxième puis une troisième. Malgré le fait que celles-ci étaient encore en mer, elle ressentait leur pouvoir d’attraction. Si elle n’agissait pas maintenant, elle serait entre leurs mains avant d’avoir pu tenter sa chance.
Déterminée, elle puisa la magie qu’elle avait recueillie dans les quelques gouttes de sang de cet être magique. Alors que les tornades fonçaient droit sur elle détruisant tout sur leur passage, un éclair aveuglant la frappa et, dans un fracas lumineux, la silhouette de la femme disparut.
Ce jour-là, sans raison évidente, Dimitri s’était levé d’excellente humeur. Sa journée avait pourtant commencé comme toutes les autres. Il s’était levé avant l’aube, avait fait un détour par les cuisines où on avait pris note de ses nouvelles habitudes et un copieux petit déjeuner lui avait été servi avant même qu’il ne passe la porte. Les cuisinières connaissaient bien sa routine et se faisaient un devoir d’anticiper ses désirs. Leur souverain avait un bon appétit et il ne s’en cachait pas, aussi, venait-il souvent en dehors des heures habituelles de repas chaparder quelques victuailles. Le personnel s’en était vite accoutumé et ils avaient même pu partager quelques moments de simplicité ou le roi n’était qu’un homme humble qui venait leur raconter quelques ragots en savourant des fruits, du fromage ou encore du pain.
Il avait réussi à créer un climat de confiance entre lui et certains de ses domestiques et il en était plutôt satisfait. Le ventre plein, il s’était ensuite rendu aux écuries où Oswald, son étalon, l’attendait.
Il avait pris cette habitude singulière de s’occuper lui-même de l’animal et il ne le regrettait pas. Il s’était instauré avec l’animal un lien invisible, mais puissant qui lui permettait d’obtenir le meilleur de sa monture sans le demander en force. Il y avait aussi le fait qu’il montait l’équidé depuis maintenant une dizaine d’années alors leur complicité était désormais une évidence. Il se connaissait si bien que chacun ressentait les futures actions à venir de l’autre et les anticipait au mieux.
Il avait galopé jusqu’aux champs où pendant deux heures il s’était mêlé à ses paysans pour leur prêter main-forte dans leurs activités de la terre.
Si les autres représentants de la noblesse n’avaient pas apprécié cette initiative, celle-ci lui avait pourtant beaucoup appris.
Il était satisfait de l’avancement des récoltes, en rentrant il était allé voir le temple qu’il faisait ériger par des bâtisseurs de renom. Il tenait à remercier les Dieux de leur soutien pour toutes ces années, où avec force et détermination, il avait relevé le défi de devenir un homme digne de la lignée du trône. Il souhaitait surtout rendre un hommage à tous ceux qui avaient pris des risques inconsidérés pour que tout ceci devienne possible. Il avait fait venir divers conteurs et écrivains pour relater et retranscrire les histoires de chacun afin de les faire perdurer.
Cela faisait maintenant une longue demi-heure qu’il se prélassait dans un des bassins au niveau des fondations du château. La peau fripée, il se décida finalement à sortir pour se sécher quand une silhouette se faufila à l’intérieur en prenant garde à ne pas être repérée.
Cette attitude amusa le jeune homme qui était capable de reconnaître son essence entre mille. Il y avait différentes salles avec des bassins pour se purifier, mais celle qu’il affectionnait particulièrement était la plus petite certes, mais la plus belle. Ici les pierres étaient recouvertes de marbre jusque sur les murs, de nombreuses fresques relatant des scènes importantes du passé occupaient l’espace. Les couleurs s’étaient dégradées avec le temps et certaines parties étaient même effritées laissant place à des traces blanches. Des colonnes entouraient le bassin pour remonter jusqu’au plafond, des marches permettaient de rentrer dans le bassin et peu à peu, celles-ci se transformaient en une légère pente douce. Le roi récupéra une serviette qu’il avait déposée en arrivant et l’enroula autour de sa taille tandis que son ami le rejoignait.
— Qui cherches-tu à éviter ? demanda-t-il amusé.
Si Dimitri abordait un air taquin, ce n’était pas le cas d’Elfrid qui se tordait les mains et qui craignait de faire voler en éclat la jovialité de son souverain.
— Je souhaitais m’assurer que nous serions bien seuls, répondit-il de plus en plus mal à l’aise.
Les deux hommes étaient devenus proches durant cette dernière décennie, ses talents et son dévouement lui avaient valu une place de choix au sein de la nouvelle monarchie. Si l’ancien paysan se pliait aux règles de bienséance et aux usages de l’étiquette en public, il savait qu’il pouvait dans l’intimité s’adresser à Dimitri comme il l’aurait fait avec un frère de sang.
L’air de gêne qu’il peinait à lui dissimuler le mit en alerte.
— Que s’est-il passé ? demanda-t-il plus inquiet cette fois-ci.
— Je… j’ai… peur d’avoir commis l’irréparable, avoua-t-il en s’empourprant.
— À quel propos ?
— Sylvianna.
— Encore cette fille ! Ne t’avais-je pas demandé de ne plus t’en approcher, ne t’avais-je pas prévenu que je ne pouvais intervenir dans ce mariage ?
— Cela a été plus fort que nous, je confesse ma faiblesse.
— Qu’attends-tu de moi exactement ? questionna Dimitri qui voyait déjà les complications se profiler à l’horizon.
Sans aucune gêne, le souverain lâcha sa serviette et entreprit de se revêtir.
— Elle est enceinte, lâcha-t-il sans détour.
Cette révélation le laissa incrédule pendant un bref instant avant qu’il ne sente une demande à laquelle il ne pourrait répondre favorablement arriver.
— Pour résumer, tu as mis enceinte une femme que je t’avais demandé de ne plus approcher, pour ne pas nourrir des sentiments vains, puisqu’elle est fiancée à un homme qui a beaucoup de valeur à mes yeux ainsi que des ressources dont Gaïa ne peut se passer. Tu l’insultes en engrossant une pucelle que tu as souillée n’étant autre que sa future épouse. Je précise que cette union a été arrangée il y a trois ans déjà et alors qu’enfin la demoiselle arrive en âge d’enfanter, et donc d’être donnée en mariage, toi tu me crées un incident diplomatique pour un coup non réfléchi ! Pourquoi ?
— Je n’ai pas réfléchi à…
— Toutes les conséquences ! le coupa-t-il le regard plus dur. Cette fois-ci, il n’était plus du tout amusé.
— Je ne comprends pas, reprit Dimitri, tu as toujours réussi à courtiser de nombreuses femmes et je t’ai connu bien des maîtresses, alors pourquoi ? Qu’y a-t-il de différent pour que tu enfreignes ainsi les règles ? insista-t-il.
Après un long soupir, il ne put que lui avouer l’entière vérité.
— Je l’aime, souffla-t-il presque au bord du désespoir.
Cette réponse inattendue finit de déconcerter son souverain, qui venait de terminer de se rhabiller.
— Laisse-moi quelques jours pour trouver une solution, lui répondit-il finalement.
Dimitri n’était pas en colère contre son ami, car après tout, il était bien placé pour savoir que les caprices du cœur étaient toujours aussi improbables qu’illogiques. Il savait aussi qu’ils pouvaient conduire un homme des plus respectables à faire n’importe quoi. Lui-même avait longtemps souffert d’un amour inassouvi. En revanche il était dérangé par la tournure désagréable que risquaient de prendre les prochains jours.
Alors qu’ils sortaient tous deux des thermes, ils furent rejoints par une troisième personne.
— Décidément, mes habitudes ne sont un secret pour personne, commenta Dimitri.
— Majesté rien de vos faits n’est un secret, répliqua Nino.
— Vraiment ?
— Pour ma part en tout cas.
— Je suis étonné que tu aies déjà quitté les bras de ta femme, se moqua Dimitri en remontant le couloir qui menait jusqu’aux jardins.
— Constance apprécie aussi mes absences, rétorqua l’immortel qui avait enfin accepté de laisser son passé reposer en paix pour s’octroyer le droit d’être heureux aux côtés d’une femme.
— Une vraie femme ! lâcha Elfrid.
— Sire, je me dois d’insister quant à la lune verte, dit Nino.
Dimitri grimaça, agacé par ce sujet qui semblait tant préoccuper son immortel, et lui demanda pour la énième fois de ne plus y prêter attention. Ce n’était qu’une lune après tout.
Le demi-quartier de lune s’était levé au cours d’une nuit où le ciel était si dégagé que la lumière de l’astre avait anormalement illuminé les cieux. Depuis, l’immortel n’avait de cesse de le mettre en garde contre des conséquences désastreuses qui risquaient de surgir à tout instant.
— Certes, mais elle demeure annonciatrice de malheur et de désastres. La dernière fois que cela s’est produit il y a des centaines d’années…
— Oui oui… trois tornades ont ravagé le continent… je sais cela, tu n’arrêtes pas de me le rappeler.
— Mais pas seulement ! Les eaux de pêche au nord-ouest de Tarbiel sont devenues sources de mort, les marins et navigateurs ne s’y aventurent plus car leurs prédécesseurs ne sont jamais revenus et sans oublier…
— Nino, le moment est vraiment mal choisi, lui rappela Dimitri. Les régents vont arriver dans l’après-midi et je suis déjà en retard pour mes doléances.
— Vous devriez savoir mieux que n’importe qui que les lunes sont un présage à ne pas prendre à la légère, s’entêta l’immortel.
Comprenant qu’il ne le lâcherait pas tant qu’il n’aurait pas obtenu satisfaction, son roi décida de céder.
— Que veux-tu exactement ?
— Si j’insiste de la sorte, c’est que moins d’un mois après cette lune, votre père s’est fait assassiner et le chaos a fait sombrer notre monde.
Le roi s’arrêta net et jeta sur son mentor un regard horrifié. Il comprenait enfin pourquoi tant d’insistance, mais que pouvait-il bien y faire ?
— Qu’a fait mon père la dernière fois ? demanda-t-il.
— Personne ne connaissait la signification exacte d’une telle lune alors nous n’avons rien fait.
— Quelle signification a-t-elle aujourd’hui ? s’enquit Elfrid.
— Nous n’avons pas eu le temps de nous pencher sur le sujet puisque le pire s’est produit. Tout ce que je retiens de cette lune c’est qu’elle frappe par le malheur.
Contrarié et tentant de réfléchir, il fixait ses deux compagnons sans vraiment oser croire que cela pouvait de nouveau se reproduire.
— Alors que dois-je faire ? questionna-t-il en quête d’un conseil avisé.
— Mettez les récoltes à l’abri et faites de la place pour accueillir les paysans vivant à l’extérieur des murs, les métayers comme les journaliers ainsi que les prêtres et prêtresses.
— C’est tout !
— Pour l’instant.
— Soit, je vous laisse prendre les mesures qui s’imposent, autorisa-t-il avant de s’éloigner à grandes enjambées.
— Merci Altesse, dit Nino satisfait en s’inclinant avant de se retirer.
— Toi aussi Elfrid, ajouta Dimitri arrivé quasiment à l’autre bout du couloir.
— Moi ?
— Oui, ça ne te fera pas de mal d’être occupé ailleurs pour le moment.
Ennuyé par cette décision, il s’exécuta cependant et alla rejoindre l’immortel au pas de course.
Si la matinée se déroula finalement rapidement et sans accroc, ce ne fut pas une partie de plaisir que de se retrouver en compagnie des divers représentants des contrées tandis que chacun d’entre eux tentait d’obtenir un peu plus de privilèges que ses voisins.
Cela faisait désormais plus de deux heures qu’ils étaient attablés ensemble dans une somptueuse pièce où on venait leur servir des rafraîchissements ainsi que des collations régulièrement. Le printemps battait son plein et les journées étaient chaudes et ensoleillées alors que les nuits étaient fraîches et revigorantes. La pièce était aussi blanche que le reste du palais, mais cette pièce circulaire avec son plafond en coupole avait l’avantage de ne pas être entièrement fermée puisqu’une ouverture béante, décorée par de nombreuses statues en guise de colonnes, laissait une vue imprenable sur l’océan.
Une heure plus tôt, il pensait encore que cette assemblée était judicieuse, il n’en était à présent plus certain. Les débats, quel que soit le sujet d’origine, déviaient irrémédiablement sur les mêmes désaccords où aucun ne s’écoutait ou même, n’envisageaient un compromis.
Le Sénéchal régent de Nambryl s’était éteint deux ans auparavant de vieillesse. Son fils Logmer avait donc repris sa succession. Il avait trente-six ans et sa femme lui avait déjà donné cinq enfants, dont deux garçons. Cet homme au physique banal était en apparence calme et discret. Il portait des cheveux bruns très courts et prenait soin de tailler sa barbe, toutefois il avait un regard avide et calculateur. Ses petits yeux noisette, enfoncés sous ses arcades sourcilières, observaient et sondaient avec une insistance assez déroutante et il n’avait de cesse de se plaindre du moindre infime avantage que pouvaient tirer ses voisins. Cette attitude agaçait le roi, qui jusqu’à présent préférait demeurer silencieux et observer le comportement de chacun.
Les dix années qui s’étaient écoulées depuis cette nouvelle ère où le sang couronne avait retrouvé sa place, se lisaient sur le visage des hommes attablés qu’il retrouvait maintenant régulièrement.
Adémar avait désormais les cheveux plus blancs que gris et de nombreuses rides s’étaient dessinées au fil des ans. Il avait amené avec lui sa femme et son jeune héritier mâle d’une quinzaine d’années.
L’enfant était impressionné et intimidé par les lieux, mais il observait et retenait chaque détail.
Roland, régent de Quania, était demeuré fidèle à lui-même si ce n’est que son teint demeurait violacé en permanence et que son ventre était si proéminent qu’en plus de ne plus voir ses pieds, il respirait et soufflait de manière désordonnée lorsqu’il se déplaçait.
Il devait donc trouver ses visites désagréables puisque la cité de marbre comptait un nombre incalculable de marches.
Quant à Harold, il n’avait jamais eu d’héritier et son âge avancé le mettait face à de futures complications pour la succession de Beryl.
Les représentants de Séryl eux changeaient tous les ans à l’exception d’Ismaël qui aimait bien trop les festivités qui suivaient ses retrouvailles annuelles pour les rater.
— Je souligne juste qu’il n’est nullement juste d’avoir augmenté le prix de la laine, alors que nous avions déjà convenu des termes en amont. Moi, j’ai respecté les tarifs que nous avions convenus pour l’exportation du vin et des pierres, reprit Harold.
— Nous avons eu un hiver plus difficile que les précédents et bon nombre de bêtes ont succombé au froid, il y a eu beaucoup trop de demandes par rapport à nos capacités d’exportation, se justifia Roland.
— Pouvons-nous en revenir au problème des paysans déserteurs ? coupa Logmer. Devant leur expression vide, il comprit qu’ils n’avaient rien écouté, c’est pourquoi il répéta :
— Certains de nos paysans journaliers désertent leur domaine seigneurial pour aller travailler sur des terres qui ne sont pas sous la juridiction des…
— Vos seigneurs auraient-ils besoin qu’on leur explique comment s’occuper de leurs métayers ? se moqua Roland, ce qui fit rire ces autres confrères.
— Vous pourriez au moins retranscrire les événements de manière plus réaliste, seigneur Logmer, se permit Ismaël. Vos journaliers vont travailler sur les terres des prêtres et prêtresses, car eux les paient avec de l’argent, non avec deux poulets et la vie sauve… Qui peut blâmer vos gens de vouloir vivre décemment ? Vos seigneurs sont trop avares et se comportent comme des enfants capricieux et vous ne faites rien à part vous plaindre. Son petit sourire suffisant, qui accompagnait sa remarque n’avait rien de sympathique bien au contraire, il était là pour se moquer ouvertement.
— Si nous abordons tous les petits débordements que vous êtes censés savoir régler, on en a encore pour trois jours, compléta Adémar.
— Vous voulez donc vraiment débattre de l’offre et de la demande ! reprit Logmer, condescendant.
Cette remarque fit fuser bon nombre de commentaires désobligeants et tous se mirent à parler en même temps.
Devant ce brouhaha général, Dimitri sortit enfin du silence pour demander à chacun de se taire, ce qu’ils firent à son grand soulagement.
— Chaque sujet inscrit sur le registre sera débattu et traité, maintenant donnez-moi cette liste, je prioriserai moi-même, dit-il en tendant une main par-dessus la table. Un des chambellans s’avança pour lui remettre le fameux rouleau. Il en parcourut rapidement le contenu avant de reprendre la parole.
— Toutefois j’aimerais aborder un sujet qui n’est pas inscrit ici. Il concerne vos esclaves à Séryl. Les raids n’existant plus, je sais que vous en avez encore, comment vous les procurez-vous ?
Les visages des régents se crispèrent et Ismaël sourit de toutes ses dents.
— Contrairement aux esclaves qui furent ceux de vos ancêtres autrefois, car rappelons-le. Il fut une époque où des peuples pirates furent soumis et utilisés comme esclaves, de même pour les voleurs, violeurs et bonimenteurs…
— Cela est révolu et hors de propos ! coupa Adémar. Tout ceci s’est produit à la suite de la chute du sang couronne, quand de faux rois ont essayé de s’emparer du trône.
— Deux cent cinquante ans pour être précis. Ce que je voulais dire, c’est que nos esclaves travaillent certes, néanmoins elles sont bien traitées et jouissent d’un statut à part entière.
— Cela n’est pas une réponse à ma précédente question, souligna Dimitri.
— Certaines de vos femmes ont le sens des affaires…
— Par tous les dieux ! s’outra Logmer.
— Trop pauvres ou malheureuses de leur sort, elles ont négocié ce statut au sein de notre civilisation, expliqua-t-il.
— Négocié ? Êtes-vous fou ? s’emporta-t-il cette fois-ci.
Le brouhaha reprit de plus belle et Dimitri comprit qu’ils en avaient encore pour des heures entières ce qui l’irritait bien plus qu’il ne le montrait.
Ils dînèrent tous ensemble dans la salle et le roi ne leur accorda aucune pause afin d’éviter de reprendre une nouvelle séance le lendemain.
Lorsque le dernier sujet fut enfin abordé, il était déjà près de minuit.
— Altesse ? demanda Adémar. Connaissez-vous la signification de la lune verte ?
Tous les regards convergèrent vers lui.
— Je sais que les lunes de couleur se lèvent pour un évènement précis et qu’elles sont liées à la magie. Je sais également qu’une lune verte s’est levée il y a plus de deux cents ans et que de nombreuses catastrophes ont frappé ensuite.
— Et qu’en dit votre immortel ? A-t-il interprété un message dans les étoiles ? questionna Harold.
— Nino est aveugle, il ne peut donc lire aucune prophétie à travers les cieux, leur apprit-il, désolé.
Cette réponse n’était satisfaisante pour personne, mais aucun d’eux ne pouvait apporter mieux dans l’immédiat.
Encore plus tard dans la nuit, Dimitri fut soulagé de se glisser dans son lit cette nuit-là.
Allongé sur le dos, il savourait la brise qui s’insinuait par la fenêtre et venait chatouiller son corps nu sous un simple drap. Les yeux clos, la respiration calme et régulière, il perçut la présence de sa maîtresse avant que celle-ci ne s’infiltre dans sa chambre.
La jeune femme s’approcha sur la pointe des pieds, se dévêtit, dénoua ses cheveux et se glissa aux côtés de son amant avant de s’allonger sur lui.
— J’ai besoin de dormir, femme ! souffla-t-il sans ouvrir les yeux.
— Mais avant cela, tu as besoin de te détendre et je peux t’y aider, contra-t-elle en l’embrassant dans le cou tout en lui caressant le torse.
— Si j’accepte, tu me laisseras dormir ensuite ?
— Seulement si tu m’autorises à dormir à tes côtés, en échange je te promets d’avoir disparu avant les premières lueurs de l’aube.
— J’ai toujours aimé ton esprit pratique, dit-il en la retournant sur le dos avant de la chatouiller.
La damoiselle s’éclaffa avant de profiter de leurs ébats.
À genoux sur le sol glacé du temple des Dieux situé au-dessous des jardins, à la lisière de la forêt menant à la table des Dieux, Dimitri priait en silence.
Il se trouvait devant l’imposante statue de l’être divin suprême Thorn. Il lui intimait silencieusement de se montrer clément envers son peuple qui retrouvait à peine une certaine sérénité depuis que les anciennes valeurs avaient retrouvé leur place. Le roi ne le montrait pas, mais il était inquiet quant à la lune verte qui s’était levée. Il avait cherché des réponses à travers le saphir serti sur son trône, mais celui-ci ne l’avait guère avancé et il en était de même pour Nino.
Il se tournait donc vers les Dieux, la liesse des festivités qui allait démarrer dans quelques heures l’aidait à s’occuper l’esprit et à ne pas trop penser.
Pour le moment rien de catastrophique ne s’était produit et il commençait à se convaincre que peut-être tous les derniers malheurs qui avaient frappé leur monde la dernière fois n’étaient que coïncidence.
Il espérait que la signification serait toute autre, mais laquelle ?
Il soupira, car un grand nombre de dilemmes à résoudre avaient été relégués en attendant que la fête des moissons soit terminée. Il avait hâte de profiter des festivités et de s’amuser un peu, mais l’idée qu’une montagne de litiges importants était mise entre parenthèses lui gâchait son plaisir. Toutefois, rien de comparable face à l’idée que l’apocalypse puisse s’abattre sur eux d’une minute à l’autre.
Il savait que sa femme était arrivée un peu plus tôt juste avant le début des réjouissances et il avait tout fait pour l’éviter.
Voilà quatre mois qu’il ne l’avait revue et à aucun moment elle ne lui avait manqué. La reine Gwendrisse était une femme érudite aux jolis traits, elle avait su le charmer par son humour et son cœur tendre malgré un mariage de convenance. Mais elle était romantique et s’était vite lassée d’un époux qui lors de leurs ébats imaginait une autre femme. Malgré leur amitié et un profond respect mutuel, leur mariage était un échec. Les rumeurs allaient bon train et elles n’étaient pas des plus flatteuses pour lui.
Remerciant une dernière fois les Dieux pour leur clémence accordée jusqu’à présent, il quitta le temple.
Il adorait flâner dans les bois alentour et pourtant, aujourd’hui il avançait à grandes enjambées pour profiter lui aussi d’un moment de fête.
À peine était-il arrivé dans l’arrière-cour que déjà l’agitation générale le gagnait. Durant trois jours, toutes les strates des couches sociales se mélangeaient pour évoluer ensemble et jouir de l’euphorie des spectacles où certains se couvraient de gloire.
Dans l’arrière-cour, plusieurs gens se massaient autour de plusieurs tonneaux ou des dés étaient lancés décidant du sort de chacun. Les commentaires et paris allaient bon train, les Serliens étaient friands des jeux de hasard et la plupart d’entre eux participaient en toute fraternité avec des paysans et la petite bourgeoisie.
Nombre de ménestrel et joueur d’instrument longeaient les ruelles en régalant leur public. Des poètes contaient des fables devant des spectateurs suspendus à leurs lèvres. Certains tourtereaux profitaient de l’allégresse générale pour assouvir des désirs trop longtemps étouffés. Des bambins sans surveillance courraient dans les villes en criant et chahutant. Certains larcins étaient commis à l’insu de tous et passaient inaperçus. Certaines volailles et chèvres avaient échappé à la vigilance de leurs propriétaires et se promenaient en liberté dans l’indifférence générale. Plus il se rapprochait du cœur des festivités et plus il devait ralentir pour ne bousculer personne. Bon nombre de gens se massaient près des tribunes et gradins dans l’espoir d’avoir la meilleure place pour observer. Avançant péniblement, il se dirigea finalement près de la tente royale où les invités de prestiges étaient réunis.
Le spectacle des rapaces et leurs démonstrations venaient de prendre fin, les dames saluaient un public conquis avant de quitter le seul concours où elles étaient autorisées à participer.
Un peu plus loin, sous la tente royale, sa femme discutait à gauche de son propre siège avec ses invités de marque. Elle était incroyablement à l’aise dans ses fonctions et semblait passer un bon moment.
En s’approchant, il lui prit poliment la main et la salua d’un baise-main avant de lui reprocher son retard.
— Allons, ce n’est pas comme si je vous avais manqué, lui répondit-elle.
— Hum… c’est ma foi vrai, admit-il sans plus se préoccuper d’elle.
Il entama ensuite la conversation avec Adémar en jubilant des combats à l’épée qui approchaient. Chacun en allait de ses théories quant au vainqueur et aux stratégies à adopter.
La reine tourna ses traits fatigués vers Ismaël, homme qu’elle trouvait étrange, mais avec lequel elle aimait converser, car elle ne se lassait pas d’entendre ces histoires plus invraisemblables les unes que les autres et surtout, il était le seul qui acceptait de lui parler de cette immortelle qui avait autrefois pris la décision d’abandonner le roi et la cité dès le sang couronne établi. Son voyage depuis le temple de Tornel, l’avait fatiguée bien qu’elle ne souhaitait l’admettre, son visage, malgré de nombreux sourires, la trahissait.
La reine était une jolie femme d’une trentaine d’années aux cheveux brun foncé ondulés. Elle avait de grands yeux noisette et de très long cil qu’il lui conférait un regard de biche qui émoustillait plus d’un homme. Ses traits étaient fins et doux et le grain de beauté qu’elle portait au-dessus de sa lèvre côté gauche la rendait unique. Les affrontements aux épées qui avaient lieu sous son nez ne l’intéressaient guère. Elle se félicitait d’avoir pris place à côté de l’homme du désert qui lui offrait une bien meilleure distraction.
Lorsque les combats furent finis et que le vainqueur dûment félicité par son roi eut récupéré son trophée, nombreux hommes s’affairèrent à modifier l’arène, pour faire place aux joutes à cheval. Le tournoi étant de loin le plus populaire et attendu de la foule.
— Messieurs pourquoi ne pas profiter de cette pause pour nous dégourdir les jambes ! proposa Dimitri.
— Excellente idée, nous en profiterons aussi pour demander du vin ! s’exclama Roland.
Tandis que les régents se levaient, un page arriva près d’eux, assez essoufflé, les joues cramoisies, les yeux écarquillés.
— Votre Altesse ! parvint-il à dire avant de reprendre sa respiration.
Le roi cessa de rire pour le regarder, tentant de deviner son message, il devint alors plus sérieux quand il ressentit l’inquiétude de son serviteur.
— Parle, je t’écoute.
— Il y a des visiteurs qui insistent pour vous voir maintenant. Ils prétendent que c’est très important.
— Pourquoi je devrais céder à leurs exigences quand bien d’autres ont la patience d’attendre trois jours ? Dis-leur qu’ils reviennent après les festivités.
— La femme a dit que si vous refusiez, il fallait que je vous dise qu’elle est celle qu’ils ont autrefois surnommée la sorcière bleue.
Cette révélation laissa le souverain stupéfait pendant un long moment. Gwendrisse n’était pas un être magique et à cet instant précis, contrairement à l’ordinaire, elle savait exactement ce que ressentait son époux.
— Dites-lui de me rejoindre au trône, répondit-il finalement d’une voix neutre, aucune expression ne transparaissant de son beau visage. La page s’exécuta et disparut en courant.
— Puis-je proposer que nous vous accompagnions ? demanda Adémar avant qu’il ne leur demande de l’attendre ici.
Les autres régents aussi surpris et ne sachant que penser de ce retour imprévu et inopportun étaient toutefois curieux d’en connaître la cause.
— Je n’y vois pas d’objection, Gwendrisse, attendez-nous là ! ordonna-t-il ne souhaitant pas l’avoir dans les pattes pour ses retrouvailles inattendues.
— Et manquer l’occasion de la voir ! s’exclama-t-elle non sans une pointe d’agacement et de jalousie.
Le regard noir que leva sur elle son mari aurait dû la mettre en garde, toutefois elle s’en moquait bien. Elle connaissait l’histoire et la réputation de cette femme et malheureusement les sentiments qu’elle inspirait à son mari… La tentation était bien trop forte… elle voulait voir cette femme, mais aussi et surtout la réaction de son époux.
Elle ne désobéit pas ouvertement, elle patienta plusieurs minutes avant de finalement elle aussi se mettre en route. Les hommes avaient pris de l’avance, mais peu lui importait, elle devait assouvir ce besoin, dût-elle essuyer les foudres de son époux par la suite.
Les nobles qui remarquèrent ce départ se laissèrent aller à quelques spéculations, mais furent bien vite détournés par l’ambiance générale.
La reine se rapprocha en gardant une bonne distance avec eux, elle se dissimula derrière une des nombreuses statues de marbre. La foule alentour l’avait dissimulée sans qu’elle n’ait eu à faire d’efforts.
Dimitri était assis sur le trône et son expression figée indiquait qu’il était nerveux. Un petit groupe de cinq personnes arriva et deux d’entre elles se détachèrent pour s’approcher du roi. Un homme et une femme. Ça y est, la voilà enfin. Son compagnon l’empêchait de voir son visage. L’homme était d’une carrure imposante, trois épaisses nattes prenaient naissance au sommet de sa tête pour descendre jusqu’à sa taille, ce qui tranchait avec ses tempes entièrement rasées. Une barbe lui encerclait la mâchoire et son regard espiègle observait chaque détail. Une certaine force tranquille émanait de son aura. La femme était terriblement jeune. Gwendrisse l’avait imaginé du même âge qu’elle, or, on voyait bien physiquement que ce n’était pas le cas. Ses cheveux blonds étaient détachés, seules deux tresses lui faisaient le tour de la tête à la manière d’une couronne. Elle ne portait pas de robe. Seulement un pantalon marron rentré dans de grandes cuissardes ainsi qu’une chemise en lin bleu clair dont une énorme ceinture lui servait de corset. D’un pas assuré, les visages impassibles, les deux êtres s’avancèrent près de leur souverain s’inclinèrent en demeurant silencieux. La reine ne put s’empêcher de remarquer que physiquement elles étaient à l’opposé.
Celui-ci les observa attentivement avant de les autoriser à se relever puis à prendre la parole.
Comme il s’y attendait, Maëlys fut le porte-parole.
— Majesté, pardonnez notre intrusion pendant vos festivités, mais nous sommes porteurs d’une nouvelle des plus alarmante, leur apprit-elle.
Les régents qui étaient debout de chaque côté les observaient comme on regarde d’étranges animaux. On aurait dit qu’ils cherchaient à savoir s’ils devaient se méfier ou pouvaient au contraire se détendre. En revanche, la situation paraissait beaucoup amuser Ismaël.
— Moi qui pensais que je vous manquais ! choisit-il de répondre pour dissimuler ses émotions.
L’immortelle esquissa un sourire, elle retrouvait l’homme qu’elle avait quitté dix ans auparavant.
— Tant pis, je vous écoute.
— Une lune verte s’est levée… reprit-elle en plongeant son regard dans le sien.
Dix longues années s’étaient écoulées et pourtant rien n’avait changé, ils se fixaient avec la même intensité et chacun d’eux était capable de ressentir l’autre avec une précision déconcertante. Il la regarda soudainement avec une envie non dissimulée. Ses pulsions trop longtemps ignorées s’autorisaient un retour à la surface. Pendant un bref instant, Maëlys aurait souhaité être seule avec lui dans une chambre. Il sembla capter cette pensée et il s’en amusa. Le lien qui existait entre eux à travers le saphir qu’elle portait au médaillon et dont il avait autrefois bloqué l’accès disparut soudainement comme s’il n’avait jamais été rompu. À cet instant, il était évident pour tous que les deux âmes étaient liées par autre chose que de la magie.
— Mère ! hurla une petite voix fluette mettant fin à la magie de ses retrouvailles.
Un petit garçon sortit alors de nulle part et se jeta sur la jeune femme, l’interrompant, intimidé par l’assemblée autour de lui, il s’accrocha à la jambe de sa mère.
Elle se dégagea de l’emprise de l’enfant et lui jeta un regard courroucé.
— Alois ! Ne t’avais-je point demandé de m’attendre ? Pourquoi n’as-tu pas obéi ? s’agaça-t-elle tandis que les joues et les oreilles de l’enfant viraient au rouge. Il serra ses poings et leva un regard plein d’espoirs sur le roi.
— Pas maintenant… lui souffla-t-elle.
— Tu as eu un enfant ? comprit le roi en la regardant désormais avec colère. Il détailla l’enfant puis sa mère à tour de rôle. Elle était demeurée identique, rien de surprenant, toutefois puisqu’en devenant immortelle, elle avait scellé son apparence pour toujours. L’enfant semblait avoir six ans tout au plus. Il ne ressemblait en rien à sa mère hormis un regard malicieux qui laissait deviner une certaine curiosité et une vivacité d’esprit. Le petit avait les cheveux noirs et bouclés ainsi que des yeux d’un bleu profond. Comme sa mère, il avait quelques taches de rousseur sur le nez.
Maëlys ressentit monter la vague de rancœur de Dimitri à son égard, la colère le crispait et bien qu’il dissimulât désormais mieux ses émotions, celles-ci ne pouvaient lui échapper.
— Oui, répondit-elle.
— Où est son père ?
— Là n’est pas le sujet, répondit-elle sur la défensive.
— Quel âge a-t-il ? voulut-il savoir.
— Six ans, mentit-elle.
Pierce et Alois regardèrent tous deux l’immortelle les yeux écarquillés, mais elle les ignora.
— Je vois… Son visage s’assombrit et il s’assit plus au fond du trône, sa respiration trahissait son agacement, mais son ancienne maîtresse le connaissait bien et elle patienta le temps qu’il fallut que son visage se décrispe, toutefois son regard ne se radoucit pas.
La reine savait fort bien que les colères contenues de son mari étaient nettement plus dévastatrices que celles où il explosait sur le coup.
— Merci pour l’information, tu arrives avec plus d’une semaine de retard !
— Elle a déclenché une ancienne magie, j’ignore de quoi il en retourne, mais des choses que nous ne pouvons plus arrêter sont en marche. Une chose terrible est sur le point d’arriver.
L’effroi tomba sur les oreilles qui écoutaient ce discours, soulevant une multitude de questions.
— Quel genre de chose ? reprit-il, ignorant les commentaires des uns et des autres.
— Je l’ignore, avoua-t-elle.
— Quand va-t-elle se produire ?
— Je l’ignore.
— Je vois que ton utilité a aussi ses limites. L’attaqua-t-il pour décharger sa frustration et sa contrariété.
— Ma magie est puissante, mais je ne suis pas un dieu, répondit-elle ne souhaitant pas rentrer dans son jeu. Écoutez-moi, dit-elle en s’adressant à tous cette fois-ci. Je sais que certains d’entre vous se méfieront de moi, mais sachez que tout comme vous je veux protéger le roi et ce nouveau monde. Je ne suis hélas pas omnisciente et encore moins parfaite comme chacun le sait. Mais laissez-moi être à vos côtés et faire tout ce qu’il m’est possible. Je suis désormais maîtresse de mes dons, affirma-t-elle.
— Personnellement, je préfère avoir toute cette magie de mon côté, s’amusa Ismaël.
Les autres régents, hormis Logmer, avaient des souvenirs plus douloureux de cette femme, mais ne valait-il pas posséder une arme aussi dangereuse soit-elle que de s’en priver en cas de danger ?
— Te voilà enfin prête à prendre la place que je voulais tienne des années plus tôt, poursuivit le roi.
— Nous savons tous deux qu’elle n’est pas celle que tu espérais, mais aujourd’hui je suis en mesure de te satisfaire, osa-t-elle.
La reine sentit son cœur se serrer. À ses yeux les doubles sens étaient des plus évidents. Ils s’aimaient encore. Elle n’était pas idiote et avait cessé d’attendre depuis longtemps après un homme qui chérissait un souvenir, cependant se retrouver aujourd’hui dans cette position lui faisait mal. Blessée, elle jugea préférable de s’éclipser.
Dimitri était en colère, mais si ce qu’elle disait était vrai, il lui était reconnaissant d’être revenu à lui, il regrettait seulement que ce fût la contrainte et non l’envie qui l’ait ramenée.
— Taisez la situation ! Amusez-vous comme si de rien n’était, mais restez sur vos gardes. Le souverain se massa les tempes en se demandant comment il pouvait gérer un drame imminent dont il ignorait tout ? lui reprocherait-on son oisiveté ? Il ne pouvait tout de même pas créer une panique encore plus grande que ce drame à venir.
— Mes seigneurs, Votre Altesse ! Les joutes n’attendent que vous, annonça un Hérault qui ignorait tout de la raison de cette réunion improvisée.
— Soit, êtes-vous fatigués ? Préférez-vous vous joindre à nous ou vous reposer ? demanda poliment Dimitri.
— Nous serions ravis de nous joindre à vous, répondit Pierce avec un sourire respectueux.
— Dans ce cas, suivez-moi, vous serez mes invités dans un premier temps, poursuivit-il en se redressant. Il passa devant son amour d’antan sans lui accorder le moindre regard et se dirigea parmi la foule, suivi de tous.
Maëlys saisit la main de son fils et lui demanda de rester près d’elle, l’enfant n’émit aucune objection.
— Crois-tu que Nino soit dans les parages ? chuchota le cavalier noir à l’oreille de son amie.
— Il y a trop de monde, je ne le vois pas.
— Comme si tu ne pouvais pas le retrouver avec ta magie.
Bien qu’ils avançaient au milieu de la cohue, elle ferma les yeux en sachant qu’elle ne trébucherait pas, elle déplaçait sa conscience à l’extérieur de son corps, elle sonda les environs, rencontra de nombreuses âmes, jusqu’à ce qu’elle touche enfin celle qu’elle cherchait. Nino était occupé avec une femme. L’immortel la reconnu en détectant sa présence et se réjouit de son retour, mais il repoussa son contact et elle réintégra son corps.
— Il est plus loin, mais ce n’est pas le moment, il nous rejoindra plus tard. À présent il sait que nous sommes là, lui apprit-elle.
Le spectacle offert par les joutes à cheval tint ses promesses de divertissement. La foule en liesse vivait avec intensité chaque moment, chaque action. Elle acclamait avec ferveur ses vainqueurs et moquait parfois les vaincus. Les hérauts portaient aux nues les valeurs de leurs maîtres lors des annonces avant leur entrée en piste, contant parfois des histoires abracadabrantes, mais qui faisaient tout de même leur petit effet. Les chevaliers qui concourraient aujourd’hui étaient ceux qui avaient remporté les plus gros tournois de la saison à travers tout le continent. Les chevaux étaient équipés de caparaçons, ils portaient des draps de coton sur le corps et la tête où se trouvaient les armoiries de leurs maîtres. Le cheval blanc entrant en piste était entièrement vêtu de jaune et rouge et des têtes de buffles étaient représentées. Son cavalier abaissait la visière de son heaume, prêt à en découdre. Son adversaire avait sans doute des moyens un peu plus modestes puisque sa monture ne portait qu’un simple couvre-reins, en revanche il était paré d’une armure lui longeant entièrement l’encolure et le chanfrein.
Installé sur une estrade et sous des tonnelles en compagnie des autres personnalités influentes, personne ne semblait avoir remarqué que la reine n’était pas revenue et avait préféré s’isoler dans ses appartements.
Alois était fasciné par ce spectacle inédit à ses yeux bien qu’il n’en mesurât pas toutes les règles.
Sa mère s’approcha de lui pour lui en expliquer les subtilités.
— Chaque cheval se met d’un côté de la piste séparée par la barrière pour faire face à son adversaire. Les chevaliers doivent briser le plus de lances sur le bouclier ou l’armure de leurs adversaires, la poitrine est souvent la zone la plus touchée, mais garde à ne pas viser trop près des épaules, la lance glisse alors facilement et ne se brise pas. Le chevalier doit prendre garde à détourner le regard au dernier moment pour ne pas recevoir d’éclat dans les yeux, mais pas trop tôt non plus pour ne pas manquer sa cible. Si un chevalier tombe alors, son adversaire gagne son cheval. En cas d’égalité de lance brisée après trois passages, alors on regarde la plus importante longueur de lance qui a été brisée.
— Peut-on perdre la vie ?
— C’est déjà arrivé, avoua-t-elle.
Dimitri les observait du coin de l’œil tout en luttant contre sa propre colère à l’égard de l’immortelle. Il était blessé, vexé qu’elle ait pu accorder ses faveurs à un autre, alors que lui avait été incapable d’aimer sa femme qui avait pourtant tout pour satisfaire un homme. Il reconnaissait ses qualités et il était conscient qu’elle méritait mieux, mais il était incapable de lui donner son cœur, car en vérité celui-ci ne lui appartenait plus depuis longtemps. Il avait laissé Maëlys le lui dérober et depuis…
Il avait des maîtresses et ne s’en cachait pas, mais avec elle c’était facile. Elles se satisfaisaient de simples nuits en sa compagnie sans chercher à en obtenir davantage puisque cela était évidemment impossible. Sa femme en revanche était en droit d’en attendre plus, ce qu’elle avait fait au début. Elle s’était employée à combler ce vide en lui, puis s’était finalement lassée de jouer les faire-valoir. Pouvait-il vraiment l’en blâmer ?
Le martèlement des sabots, le tintement des boucliers et le fracas des lances brisées résonnèrent tout l’après-midi durant, leur offrant un divertissement des plus épiques. Il eut au total quatre blessés, dont un qui finit par succomber. Ils assistèrent à des chutes impressionnantes, mais aussi à de jolies victoires inattendues.
Les champions furent applaudis et leur réputation en sortit grandie. Ils récupérèrent leur récompense et furent invités à partager la table du roi pour le dîner.
Cette démonstration de chevalerie avait replongé Maëlys dans une partie de son passé. Elle se remémorait les événements qui avaient accompagné son adolescence en compagnie de son oncle bien aimé. Elle se souvenait aussi de lui avoir promis de le visiter et pour l’instant elle n’avait pas encore honoré sa promesse et ce constat l’attristait, même si elle avait de bonnes raisons. Pierce, quant à lui, exultait et retrouver un semblant de sa vie d’antan lui redonnait de la force. Il avait grande hâte de retrouver des hommes qui pendant un cours instant avait été ses compagnons de route. Hayden, Ulric, Conrad, mais aussi Lenny. En attendant, il profitait comme les autres du spectacle.
— Les tournois sont terminés pour la journée, dommage. J’aurais bien souhaité en voir davantage… Mais j’y songe ! dit Ismaël. Puisque vous, vous contrôlez, pourquoi ne pas nous faire une démonstration de magie ? suggéra-t-il à l’immortelle.
— Je ne pense pas que cela soit judicieux, rétorqua-t-elle.
— Et pour qui ? insista le sérylien.
La jeune femme coula un regard en direction de Dimitri à la recherche de son approbation, mais celui-ci se désintéressa de la situation et il lui fit comprendre par un geste du revers de la main.
Qu’elle fasse donc ce qui lui chantait, après tout depuis quand le sollicitait-elle ?
Elle soupira avant de quitter l’estrade royale à la recherche d’un cheval. Sa recherche fut brève, un gentil homme eut la courtoisie de lui prêter son hongre bai.
Elle guida donc le cheval au centre de la piste sableuse où la ligne séparatrice des joutes venait d’être retirée du terrain.
Maëlys ôta le harnachement de l’équidé avant de le laisser à terre. Il lui fut aisé de se fondre à l’esprit de l’animal. En plus d’être d’une nature docile, il était déjà détendu à la suite de ses précédents passages au galop lors des joutes.
Elle s’éloigna un peu du hongre pour lui laisser de l’espace. Le cheval se mit alors à décrire des cercles autour de l’immortelle, d’abord au pas, puis au trot. L’animal ralentit subitement l’allure pour trotter quasiment sur place. Les mouvements étaient aériens, souples et ralentis volontairement. L’ensemble était harmonieux, magnifique. Le cheval enroula ensuite son encolure et leva ses antérieurs en avant l’un après l’autre. Ensuite, l’équidé jeta son encolure de gauche à droite tout en jetant ses membres avant de côté, il semblait danser. Le charme de l’animal capta l’attention des spectateurs qui n’étaient pas habitués à voir un cheval travailler de la sorte. Il bondit ensuite en avant au galop, se défoulant un peu avant de charger la jeune femme. Celle-ci ne broncha pas et continua de lui faire face. Au dernier instant, l’animal se stoppa et se cabra avant de retomber sur ses quatre pattes. Il renâcla puis appuya son front sur la poitrine de l’immortelle puis cessa tous mouvements.
Si la foule applaudit, ce ne fut pas le cas d’Ismaël.
— Numéro de cirque !
— C’est de la belle magie, que vouliez-vous ? Une démonstration de force ? Il me semble qu’il y en a eu assez pour aujourd’hui.
— Ce n’est même pas du dressage, c’est juste…
— Vous pensez que je ne pourrais pas obtenir cela avec du travail et de la patience ?
— Vous êtes un être magique, vous ne pourrez jamais le prouver sans qu’on accuse votre magie, expliqua le sérylien.
— Alois, va chercher ta ponette ! ordonna-t-elle.
Le gamin ne se fit pas prier pour sauter par-dessus la rambarde et s’enfuir à toute jambe.
Le propriétaire vint récupérer son cheval, heureux de voir qu’il était capable de telle prouesse.
— C’est un bon cheval, lui assura Maëlys.
Elle retourna ensuite auprès d’Ismaël.
— Vous conviendrez que mon fils n’est point un immortel.
— Pour l’instant ! maugréa-t-il.
Maëlys ne s’outra pas de ce commentaire, car ce n’était en aucun cas une menace, elle savait en réalité à quel point il détestait avoir tort. L’enfant finit finalement par revenir après un moment en compagnie d’une ponette toisant un mètre vingt au garrot. Elle était fort jolie avec son épaisse crinière et sa robe pie marron.
Pour une raison qui lui échappait, Dimitri éprouvait de la tendresse pour ce garçon qu’il venait de rencontrer. Il était animé par un profond ressentiment envers sa mère, mais pour lui c’était différent, il était curieux de voir ce qu’il allait faire.
Il imita sa mère et se plaça à quelques mètres de l’animal le laissant en apparence libre. Il avait saisi dans sa main une fine et longue tige de bois souple.
— Mon fils monte à cheval depuis ses trois ans et je lui ai appris à s’occuper des chevaux, expliqua la mère emplie de fierté.
L’enfant fit un appel de langue et la ponette habituée aux ordres de son petit maître se mit en cercle au pas au tour de lui, elle augmenta l’allure et la ralentit au gré de ses demandes.
Elle vint finalement lui faire face et à la suite d’une stimulation sur son épaule, le poney tendit sa jambe droite et baissa l’encolure, se mettant en position de révérence.
Ensuite, l’enfant dut demander à deux reprises, mais l’animal finit par obéir et accepta de se coucher. L’enfant enfourcha sa bête et celle-ci, se releva avant de prendre un petit galop et de s’arrêter. La mère émue que son enfant partage son amour des chevaux fut la première à se lever pour le féliciter. Elle était trop occupée pour s’apercevoir qu’elle n’était pas la seule à ressentir de la fierté, Pierce qui avait également élevé l’enfant partageait ce sentiment, mais aussi le roi. Pour une raison inconnue, cet enfant ne le laissait pas indifférent.
Les nouveaux arrivants ne se mêlèrent pas aux convives pour le repas du soir, ils avaient mis en avant une immense fatigue due au voyage pour la bienséance, mais en réalité, il avait préféré des retrouvailles dans l’intimité avec Nino.
Les jours suivants se succédèrent rapidement. Aucune catastrophe ne s’était encore produite, si bien que certains commençaient à croire que tout ceci n’était que sottise.
Dimitri s’était forcé à assister aux dernières épreuves comme le tir à l’arc ou au jeu de paume qu’il affectionnait particulièrement. Cette année, il n’avait même pas daigné y participer, il était bien trop préoccupé à ravaler une immense colère à l’égard de Maëlys. Il l’imaginait se donnant à un autre et cela le rendait malade. Il avait toujours pensé qu’elle s’était éloignée pour se reconstruire à la suite de la possession de son frère sur son esprit, il n’avait jamais douté qu’ensuite elle lui reviendrait.
Il ne parvenait plus à se calmer et encore moins à tempérer sa mauvaise humeur, il s’en voulait encore plus de sa réaction et de ne pas parvenir à mieux la contrôler. Il avait pris soin de l’éviter, il ne lui pas adressait une parole ni même un regard. Elle avait bien essayé de lui parler à plusieurs reprises, mais il l’avait ignoré avec une immense froideur.
L’immortelle avait finalement décidé d’exaucer son souhait et se montrait le moins possible à sa vue. Il avait pourtant officiellement annoncé ses invités et les avait installés dans les anciennes ailes du château dédiées aux immortels.
Il tempérait ses humeurs en public, mais en privé…
La colère avait toujours été son plus grand défaut, il avait pourtant cru parvenir à faire de bon nombre d’efforts, mais visiblement face à une situation où il se sentait trahi, ce n’était pas suffisant.
Il se tenait dans une immense pièce où il venait souvent consulter des rouleaux ou édits qu’ils avaient mis en place pour structurer leur vie au cours de la dernière décennie.
Il était en train de consigner par écrit ses récents verdicts entre différentes querelles survenues pour des lopins de terre à la suite de successions douteuses. Il tenait à rendre certaines décisions officielles de manière durable et incontestable pour ne plus avoir à régler ce genre de litige par la suite et que le successeur soit facile à identifier.
L’encre n’allait pas tarder à lui manquer alors que sa plume grattait inlassablement le papier, c’est alors qu’Elfrid le retrouva comme il lui avait demandé le matin même.
Sans même lever un sourcil, le roi attendit qu’il s’approche.
— Vous vouliez me voir ?
— Oui, je voulais t’annoncer une nouvelle, lui révéla-t-il en posant sa plume dans l’encrier pour enfin le regarder.
Il joignit ses deux mains, soupira et reprit la parole.
— Je voulais que tu saches que Sylvianna a épousé hier soir dans la plus grande intimité. Le seigneur Peyley. Je me suis assuré que leur union soit consommée devant témoins et notre ami a dès le lendemain fait envoyer sa nouvelle épouse sur ses terres pour qu’elle puisse remplir ses futures fonctions en toute quiétude. Autrement dit, le problème est réglé.
La dureté de la révélation et la froideur avec laquelle il l’apprenait, causèrent une terrible douleur au pauvre homme.
— Le problème est réglé… répéta-t-il d’une voix chevrotante.
— Aurais-tu préféré avouer publiquement ton péché et être puni en conséquence ? demanda le roi sans la moindre empathie.
La voix d’Elfrid s’étouffa avant d’avoir pu prononcer le moindre mot, il peinait à contenir ses larmes et sa dignité en face d’un ami qui ne s’était jamais montré aussi cruel auparavant qu’à cet instant. Seul le silence lui permit de maintenir un semblant de contrôle sur ses émotions.
— Bien, c’est ce qu’il me semblait. Tu peux disposer, le congédia-t-il en reprenant ses écrits, sans plus lui accorder la moindre attention.
Furieux, l’ancien paysan quitta la pièce avant de prononcer des paroles qu’il regretterait par la suite.
***
Prostré dans sa chambre, le roi observait le ciel et les étoiles qui le paraient. Sa magie était moins subtile que celle des immortels, eux avaient ressenti la menace imminente alors que lui n’avait pas vu de différence, or ce soir c’était différent.
Une étrange sensation s’emparait de son être sans qu’il ne s’explique pourquoi, la seule explication plausible était que la catastrophe annoncée était sur le point de se produire.
Il aurait sans doute dû garder les idées claires pour réagir au mieux le moment venu et pourtant il ne cessait de vider des coupes de vin les unes après les autres.
Les bougies étaient déjà à moitié consommées lorsque l’on frappa à sa porte. Il ignora l’appel et demeura silencieux.
— Je sais que vous êtes là ! lui parvint la voix de sa femme qui, elle aussi, l’avait évité ces derniers temps.
— Pourquoi ne rentrez-vous pas alors !
— Pour que votre putain ait le temps de se revêtir, je souhaitais m’épargner ce spectacle, lui répondit-elle en passant la porte.
— Eh bien comme vous le constatez je suis seul.
— Ainsi je ne suis pas la seule à ne plus supporter vos petites crises de colère, s’amusa-t-elle.
— Que voulez-vous ?
— Vous parler.
— Alors, venez-en au fait ! s’agaça-t-il en se resservant un verre qu’il déposa sur une petite table avant de lui faire face.
— Vous n’êtes pas juste ! Vous n’êtes plus ce grand homme. Depuis qu’elle est revenue…
— a y est c’est le moment où je vais subir votre crise de jalousie ou vous allez la traiter de sorcière…
— C’est exactement de ça que je parle ! le coupa-t-elle. La reine eut un rire amer avant de le regarder de nouveau dans les yeux.
— Je n’avais jamais imaginé à quel point vous l’aimiez avant cela. Vous êtes aigre, amer et cruel, vous traitez vos amis comme des chiens ! Vous vous octroyez le droit d’être méprisable parce que vous êtes blessé. Vous vous conduisez comme un mari dont sa femme aurait commis l’adultère. Vous n’acceptez pas l’idée qu’elle ait pu porter l’enfant d’un autre parce qu’en votre cœur elle est vôtre. Si j’avais eu une liaison et croyez-moi ce ne sont pas les occasions qui m’ont manqué. Je suis certaine que cela vous aurait été égal. M’avez-vous au moins aimé ?
— Oh ! Gwendrisse, souffla-t-il, pris de remords vis-à-vis d’elle en tentant de s’approcher d’elle, mais elle recula aussitôt.
— Non, je ne demande pas votre pitié, mais simplement la vérité. M’avez-vous aimé ?
Il s’approcha d’elle malgré sa défiance et lui caressa la joue.
— Belle et douce Gwendrisse. J’ai toujours eu de la tendresse et de l’affection pour vous. J’ai essayé de vous aimer et d’une certaine façon je vous aime. Mais notre rang ne nous offre pas le luxe de l’amour passionnel.
— Moi je vous aimais et autrefois votre tendresse et vos attentions me suffisaient. Mais voilà après cinq ans de mariage, je n’ai pas conçu d’héritier. Il faut dire que ces deux dernières années vous ne m’en avez pas vraiment donné l’occasion. Vous avez préféré collectionner les conquêtes éphémères, lui reprocha-t-elle. Quand mon père m’a appris notre union, j’ai eu peur, je ne savais pas quel genre d’homme vous étiez. Et puis je vous ai vu. Vous étiez si doux, si courtois, j’ai alors cru que ce mariage était une bonne idée. Il me semble que dans les débuts nous avons été heureux. J’ai même cru que vous sauriez me faire une place dans votre cœur, je me suis trompé. Moi je vous ai aimé, mais il est épuisant d’attendre une chose de quelqu’un, d’espérer et de le voir finalement nous décevoir encore et encore. Vous n’avez jamais été méchant à mon égard, vous avez même été un bon époux, alors j’ai supporté vos humiliations privées. Vous n’avez encore une fois pas pris la peine d’être discret, à croire que vous n’en aviez que faire que vos coucheries soient rendues publiques, ce n’était pas mon cas. Vous et moi sommes coincés dans ce mariage stérile et si aujourd’hui je vous fais ces aveux, ce n’est nullement dans un but de vous faire des reproches. Je ne veux pas que vous rompiez notre mariage à un prix trop lourd à payer pour moi. J’ai fait de nombreuses retraites aux temples des Dieux, mais je ne deviendrai pas une prêtresse pour vous laisser la voie libre. Je ne sacrifierai pas davantage ma vie de femme, lui avoua-t-elle déterminée à avoir gain de cause.
— Vous voulez en finir avec notre mariage ? demanda-t-il surpris.
— Bien sûr que non ! Mais j’ai appris à mes dépens qu’il ne sert à rien d’espérer auprès d’un homme qui en aime une autre. C’est fini, il y a longtemps que je ne souffre plus de votre manque d’intérêt pour ma personne. Ce qui me fait mal aujourd’hui c’est que vous, vous pouvez prendre votre plaisir et moi je suis prisonnière de ma condition. Je ne peux plus vous aimer, mais je ne suis pas non plus autorisée à offrir mon cœur à un autre. Je ne vous donnerai pas de prétexte pour vous débarrasser de moi. Je n’accepterai la fin de cette union qu’à la condition que vous reconnaissiez votre stérilité et que vous me libériez de mon serment. Ainsi, je serai libre de choisir mon prochain époux.
Il aurait voulu lui lancer une réplique cinglante, mais il ne le fit pas. Pourquoi la punirait-il d’avoir le courage de s’exprimer à cœur ouvert et d’enfin lui révéler ses véritables pensées ?
Il baissa la tête et lui tourna le dos, en réfléchissant à ses dernières paroles.
— Dimitri, nous avons essayé avant que vous ne vous lassiez de moi. Ni moi ni aucune de vos dizaines et dizaines de maîtresses depuis le début n’avons porté d’enfant. Nous savons tous deux que vous êtes le seul facteur commun. Et le fait que votre grand amour ait donné la vie alors que vous…