« L’infine » - Phil. C. Mérien - E-Book

« L’infine » E-Book

Phil. C. Mérien

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« Allons, voyons cela ! Allons, voyons cela, me suis-je dit. Lentement, je me suis hissé sur la pointe des pieds et, sous l’effet d’une brusque impulsion, mon corps s’est élevé du sol pour retomber aussitôt. Brièvement élevé du sol pour retomber lourdement. J’ai recommencé l’opération en y mettant un peu plus de conviction, quelques malheureux centimètres, quinze tout au plus. Une fois, deux fois, trois fois et je me suis lassé. Je marche, il faut marcher, il faut bien avancer. Décoller du sol n’a rien d’un mouvement libérateur et force m’est de constater – empiriquement – qu’il est pratiquement impossible de s’affranchir, par soi-même, de cette foutue attraction terrestre. Quinze centimètres ne constituent pas un affranchissement significatif, pas vraiment. Un pas, deux pas, ces pas difficiles n’arrivent pas à me libérer d’un rêve de légèreté. La gravitation G est égale à 9,81 m²/s, la vitesse est proportionnelle au temps écoulé depuis la chute, mince alors ! Quinze centimètres. Quelle était ma vitesse juste avant de retomber sur le sol ? »

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Seitenzahl: 134

Veröffentlichungsjahr: 2022

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« L’infine »

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© Lys Bleu Éditions – Phil. C. Mérien

ISBN : 979-10-377-7731-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

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Allons, voyons cela !

Allons, voyons cela, me suis-je dit. Lentement, je me suis hissé sur la pointe des pieds et, sous l’effet d’une brusque impulsion, mon corps s’est élevé du sol pour retomber aussitôt. Brièvement élevé du sol pour retomber lourdement. J’ai recommencé l’opération en y mettant un peu plus de conviction, quelques malheureux centimètres, quinze tout au plus. Une fois, deux fois, trois fois et je me suis lassé. Je marche, il faut marcher, il faut bien avancer. Décoller du sol n’a rien d’un mouvement libérateur et force m’est de constater (empiriquement) qu’il est pratiquement impossible de s’affranchir, par soi-même, de cette foutue attraction terrestre. Quinze centimètres ne constituent pas un affranchissement significatif, pas vraiment. Un pas, deux pas, ces pas difficiles n’arrivent pas à me libérer d’un rêve de légèreté. La gravitation G est égale à 9,81 m²/s, la vitesse est proportionnelle au temps écoulé depuis la chute, mince alors ! Quinze centimètres. Quelle était ma vitesse juste avant de retomber sur le sol ? Sans vouloir faire de jeux de mots vaseux, c’est la gravité de cette situation qui bloque tout espoir de libération du bipède insatisfait, maladroit dans sa démarche, que je suis. Dans la vase, je m’enfonce un peu plus et la cause de tout cela est ce G sclérosant, ce G qui me tire avec une constance désespérante vers un nadir esclavagiste. Moi je suis pour la force centrifuge, aux gémonies la force centripète, je me suis dit, aux gémonies ! Le nadir esclavagiste de la force centrifuge devrait être l’objet de toutes nos recherches scientifiques, devrait être le point de convergence de l’ensemble de nos savoirs afin que nous puissions nous en libérer pour tous décoller et voler vers l’infini de notre force centripète, voilà ce que me suis dit. Je pense souvent à une ligne qui me relirait de ce point G infamant à l’infini d’une liberté cosmique. Le problème c’est qu’il faut un point de départ, le problème c’est l’origine, je me suis dit. Le problème est que nous venons de quelque part pour aller vers une autre part indéfinie. Indéfini certes mais surtout incertain, je me suis dit, incertain et même improbable. Ne suis-je pas retombé sur le sol après avoir décollé de quelques malheureux centimètres ? Voilà, je suis retombé lourdement, rien d’exceptionnel à cela, je suis retombé et un jour je ne me relèverai pas. Le problème est que pour créer cette ligne infinie, libératrice, de la force centripète il faut un attachement premier, sclérosant, un nadir impossible. Il n’y a pas de force centripète sans force centrifuge, voilà le problème, je me suis dit, en faisant quelques pas douloureux dans ma cuisine.

— Cette année est une année pourrie, m’assène Martineau en fermant les yeux, assis derrière son bureau couvert d’un ensemble désordonné de dossiers débordants de feuilles et de plans. De poussière aussi, il y a des dossiers partout, dans un coin un vieux téléphone, seule concession à une modernité réactionnaire.

— Oui, je confirme d’une moue dubitative.

— Il y a la crise et le reste, ajoute-t-il. Le reste, tu sais, le reste, tout ça…

À ce moment précis, ce qui m’intéresse n’est pas la force centripète ni la force centrifuge d’ailleurs, ce qui m’intéresse c’est ce faisceau de forces qui, partant du centre de la Terre, s’évanouit dans l’infine. L’infine est pour moi cet ensemble d’infinis à jamais inexplicable vers où ce faisceau de forces me tend. Pas vraiment une force centripète, je veux dire par là que la force centripète se définie par rapport à un point, le centre de la Terre. L’infine c’est à la fois le centre de la Terre, la force centrifuge, la gravitation et aussi la force centripète, la ligne qui me relie depuis le centre de la Terre vers l’infine, la direction et tout le reste, comme ce que me dit Martineau, sans je pense, vraiment en avoir conscience. Pas vraiment tout le reste, non, pas vraiment…

Martineau ferme les yeux, c’est la seule personne de ma connaissance qui est capable de me regarder droit dans les yeux, si je peux dire, tout en fermant les yeux. Martineau vous regarde droit dans les yeux, l’ensemble de son visage, de son corps est tourné vers son interlocuteur, ses yeux fermés sont braqués sur moi comme s’il voulait voir non pas mes yeux mais ce qu’il y a exactement derrière. Mon âme peut-être… Il doit avoir besoin de faire cela pour retrouver en lui-même l’introspection nécessaire à toute confrontation avec un interlocuteur, je me dis. Pendant les deux, trois secondes où Martineau ferme les yeux tout en les braquant aux tréfonds de vous-même, pendant ces deux ou trois secondes, Martineau erre dans cette infine porteur de ma détestation du gravitaire. 9,81 on pouvait vraiment rêver mieux comme chiffre pour coller l’humanité à cette terre castratrice. L’infine ne m’aide pas à vivre, l’infine est toute ma vie, avant aussi et après certainement après, mais après sans aucune certitude. Voilà ce à quoi je pense en ne regardant pas Martineau dans le fond des yeux.

— Impossible, il est impossible de savoir tout ce que cela va donner je lui dis sans savoir vraiment pourquoi.

— Ouais, n’empêche qu’on se dirige vers un truc pas clair.

Effectivement, les choses ne sont pas claires, l’ont-elles jamais été ! Je pense en regardant Martineau qui, à nouveau, ferme les yeux dans un accès compulsif d’introspection. C’est quand même bizarre cette manière qu’il a de fermer les yeux tout en les gardant grands ouverts, ça lui donne un physique particulier, assez unique. Martineau m’aime bien, on ne se dit pas grand-chose, lui derrière son bureau, moi devant, il m’appelle aussi de temps en temps, pour me parler de la pluie et du temps, de ces orages qui planent sur nos existences dévouées corps et âmes au culte de l’économie de marché, au culte de ce libéralisme économique qui ravage notre bien être en donnant l’impression de ne vouloir que cela, notre bien être. 9,81 à Martineau cela parle, il gère un bureau d’études béton, une société qui s’occupe de la résistance des matériaux, du rapport de la résistance de la croûte terrestre avec les forces constructives de l’architecture, un business solide, une entreprise avec les pieds bien ancrés dans la tectonique des plaques, un savoir où le doute n’est pas permis, où le doute est impossible, exactement l’inverse de ce qui me tourmente, voilà certainement pourquoi la présence de Martineau me fait du bien, voilà peut-être aussi pourquoi Martineau ferme les yeux en regardant profondément son interlocuteur, il doit être assailli d’incertitudes mais il ne veut surtout pas les laisser s’échapper de son cerveau, et la crise, la bourse qui s’effondre, les valeurs qui, du jour au lendemain se réduisent à néant, tout cela tourmente Martineau. Et si demain G passait de 9,81 à rien du tout, plus de business, plus de chiffre d’affaires, plus rien.

— Oui, c’est assez inquiétant, la montée des océans, une grande marée dévastatrice annoncée, ce n’est pas bon, pas vraiment bon, je dis pour maintenir la discussion à un haut niveau de cogitation.

En fait, ce n’est pas seulement pour passer le temps que nous discutions de la montée des océans, Martineau cela le concerne directement la fonte de la calotte glacière, il possède une maison sur une île plutôt au raz de l’eau et il est assez inquiet des nouvelles directives gouvernementales en termes de non-constructibilité des zones inondables.

— T’en fais pas, je dis, rien n’est fait et ils ne vont pas déclarer du jour au lendemain l’ensemble des terres inconstructibles, cela ruinerait l’économie locale… Tu me diras, pour ce qu’il en reste, je surenchéris.

— Ouais, t’as peut-être raison, n’empêche que les politiques sont montés au créneau, ils ont interpellé le préfet et toute l’administration, c’est pas possible que tout bascule du jour au lendemain. Ces politiques, quand même, tous des incapables, dit-il en oubliant qu’il parle de ceux pour qui il a voté aux dernières élections.

Moi la tectonique des plaques cela m’interpelle, c’est une chose qui n’intéresse pas grand monde mais qui me semble une base incontournable, un point de départ réflexif permettant d’appréhender l’infine, ce concept on ne peut plus personnel dont je présents la possible existence lorsque le soir, fumant cette cigarette interdite sur ma terrasse, je lève les yeux au ciel pour tenter d’apercevoir un semblant de solution. L’infine, après tout, qu’on le veuille ou pas, prend pour point de départ la tectonique des plaques, c’est un peu comme si, copiant Martineau, je regardais mes pieds en fermant les yeux. Que la terre soit demain recouverte par les océans a, de mon point de vue, peu d’importance, ce qui m’intéresse ce sont les abysses et dessous les abysses le point de départ de tous les G de l’univers, des galaxies et du reste. Pas d’autres moyens que de fermer les yeux pour être conscient de tout cela. Je lève vers le plafond mes yeux grands fermés, oubliant Martineau qui m’interpelle d’un :

— Ça va ?

— Oui, oui, je pensais à tout ce qu’on allait perdre avec ces histoires de zones inondables, je dis pour relancer la chose.

— Tu parles qu’il me dit, pensant en cela appuyer une réflexion profonde sur le réchauffement climatique.

— À qui tu le dis ! Je renchéris.

Effectivement, l’année était pourrie, pendant les six premiers mois, cela avait été latent, comme une sorte de sensation récurrente que tout allait finir par péter, comme un malaise qui, les mois passants, métastasait sur le plein des jours mais aussi sur le vide situé entre les rares secondes de plénitude que la vie offre parfois. Pour faire simple, disons comme Martineau que l’année était pourrie mais qu’on avait mis six longs mois à s’en rendre compte. En fait, c’est à la fin du sixième mois que les choses ont vraiment basculé. Dans mon agence, l’ambiance n’était pas au beau fixe et, alors même que je venais de prendre la décision de déposer le bilan de ma petite société d’architecture, le téléphone a sonné. Mon fils m’annonça que ma mère venait de se casser le col du fémur et qu’on l’avait emmenée vers je ne sais plus quel hôpital. À quatre-vingt-six ans, on pouvait rêver mieux. Ce qui, à ce moment-là, m’a interpellé c’est que, noyé sous les ennuis administratifs, enterré sous les prêts bancaires, harcelé par des salariés qui, jour après jour faisait passer mon statut de patron sympathique (légèrement paternaliste je l’avoue) à celui d’infâme salaud exploiteur des forces laborieuses, donc, noyé sous la vague d’un tsunami gestionnaire, j’avais hésité quelques minutes avant de me décider à me rendre au chevet de ma vieille mère qui, après tout, ne possédait comme défaut impardonnable que celui de la vieillesse.

Discuter de la montée des océans dans le bureau de Martineau avait comme un avant-goût de vacances irréfléchies sur une île du pacifique. La montée des océans me concernait certes directement mais ni plus ni moins que chacun d’entre nous, c’était comme une chose sérieuse certes mais absolument hors de portée. Un problème dont on parle sans vraiment savoir, qui reste inatteignable dans sa substance.

— Ouais, certain, avec cette fameuse côte des quatre mètres vingt c’est plutôt le bazar. Et puis on n’a aucune carte altimétrique valable de l’île, donc pas de référence, me dit Martineau.

— Ils vont en sortir une, paraît-il, mais on ne sait pas quand, je réponds.

Cela doit être un problème de référence, je me dis. De références, je n’en avais, à cet instant précis, plus beaucoup. Celles matricielle partaient en morceaux sous la force de la gravitation, celles financières se tarissaient d’un coup, celles philosophiques, sous le poids des deux précédentes, semblaient vaines et sans consistances. Que restait-il ?

Pour finir, après quelques minutes d’hésitation sur la marche à suivre, je suis allé voir ma mère à l’hôpital, m’octroyant en cela un après-midi de congés avant le grand saut dans le dépôt de bilan. Ma mère était sur un lit d’hôpital, l’économie de marché pouvait bien attendre. Un peu plus tard, en voyant sur ses lèvres blanches le sourire extatique de la mort, il m’a semblé que l’infine ne devait pas être si loin même si, à l’époque, cette sensation n’avait été qu’un effleurement puisque ce n’est que bien plus tard, dans le bureau de Martineau, face à la béance de ses yeux grands fermés, que la prégnance de ce concept me submergea.

— Les temps sont durs pour tout le monde, me concéda Martineau. Ils vont même être de plus en plus durs, il faut se serrer les coudes et attendre.

Je levais les yeux vers le plafond de son bureau en constatant qu’il avait besoin d’un bon coup de peinture.

— Ouais, ça va durer quelque temps, un an, peut-être deux, en fait personne ne sait.

— C’est le bordel.

C’était indiscutablement le bordel, je n’avais plus accès à aucun de mes comptes bancaires, mes salariés me traitaient comme une ordure (de leur point de vue, j’étais bizarrement devenu l’homme à abattre), mes clients me considéraient tous subitement comme un incapable, pensant en cela pouvoir échapper au paiement des ultimes factures, mes créanciers n’allaient pas tarder à me pister jour et nuit, ma mère se brisait dans les odeurs de formol et d’urines et il ne me restait, pour finir le mois et commencer les autres, que le recours de sa carte bleue. Les relations affectives de la frairie étant réduites à leur plus simple expression, je n’allais pas tarder à passer pour le fils indigne dilapidant un maigre héritage familial sur le lit même de la mort du ventre qui m’avait donné naissance.

Poussant sur mes pieds, en cet été pluvieux, je me suis imaginé cette ligne qui me reliait au nécessaire point de la force centrifuge, au nadir de ce 9,81 qui me collait sur le carrelage poisseux de la cuisine. Il fallait réagir. J’ai alors pensé à la continuité de cette ligne vers l’infinité des solutions s’offrant à moi. Simplement les yeux grands fermés, comme Martineau dans son bureau, je me suis dit. Les yeux grands fermés je me suis détaché de la contemplation de mes pieds pour m’ouvrir au zéphyr du G. Là, les yeux grands fermés vers le plafond de la cuisine, il m’a semblé entrevoir non pas une mais une multitude de solutions et je n’avais d’autre alternative que celle de toutes les explorer.