Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Il est faible. Il se hait. Il n’est rien. Il se cherche. Cependant, au milieu de l’ombre des individus plus forts qu’il envie secrètement, il entreprend un voyage intérieur pour se réinventer. Combien de force faut-il pour être ce qu’on veut ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Professeur de lettres modernes,
Renaud Cousin a toujours eu un penchant pour la littérature. Cette passion l’a conduit à découvrir la magie des vers puis l’a amené à explorer la narration avec une dimension plus personnelle. Cependant, c’est grâce à l’œuvre de Honoré de Balzac qu’il a trouvé l’alchimie parfaite entre l’intime et la pensée, et qu’il nous présente "L’inspecteur Etrune".
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 98
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Renaud Cousin
L’inspecteur Etrune
Roman
© Lys Bleu Éditions – Renaud Cousin
ISBN : 979-10-422-1958-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Henri-Georges Buisiez, un requin en affaires, s’enfonçait dans Paris sous les hauts lampadaires. Une pipe à la bouche, un journal à la main, il sifflotait dans l’air un entêtant refrain.
La nuit déjà pesait sur les rues endormies recouvrant le trottoir de ses ombres amies, enveloppant le monde en un drap silencieux et délassant les corps d’un sommeil délicieux. Henri-Georges Buisiez adorait les ténèbres : loin d’y voir un glas sombre, une chanson funèbre, il se sentait puissant dans cette obscurité, capable d’écraser, de soumettre à ses pieds le vorace avocat à la gueule de flammes, son enfant rédigeant de lourds épithalames, sa femme dépensière et pleine de candeur, le juge martelant sur ses écarts de cœur. Mais il avait un plan pour régler ses problèmes : il savait un courtier, homme courtaud et blême, qui servait en secret les honteux intérêts du très haut magistrat qui sur lui s’acharnait. Il pourrait obtenir, en faveur d’un service, que le courtier révèle au monde ces sévices et jette les parfums de l’humiliation au juge trop zélé à remplir sa mission.
C’est donc d’un pas confiant, plein de mâle assurance, qu’Henri-Georges Buisiez partait forcer sa chance, multiplier ce qu’il arracha aux impôts, mettre à genoux Fortune en quelque obscur tripot.
C’est alors que survint, au loin par son arrière, une soudaine et brusque et troublante lumière. Elle arrivait bien vite et progressait vers lui comme la pierre tombe jusqu’au fond du puits, sans que rien en ce monde ne semble capable, pas même l’animal des plus magiques fables, d’interrompre sa course ou d’arrêter le temps pour que la faux se voit ne fût-ce qu’un instant. Mais le temps défila, il reçut la voiture qui lui marqua la chair de sa carcasse dure.
Il gisait sur le sol, corps désarticulé comme gît dans la chambre le jouet délaissé.
On ne le retrouva qu’au lendemain matin quand sortit de chez lui monsieur Gaston Samin dans la demi-clarté, sur le coup de six heures, surpris, même troublé, qu’un homme en sa rue meure. Il prit son parapluie et en piqua le corps comme pour s’assurer que l’homme était bien mort, puis retournant chez lui, raccrocha sa pelisse, posa son parapluie, appela la police, prévint son patronat du retard qu’il aura, s’assit dans son fauteuil, s’empara d’un Zola.
Etrune l’inspecteur sortit de sa masure sous un ciel empourpré que l’aube à l’Est azure. Il portait un manteau en synthétique gris et titubait un peu, de la veille encore gris. Il fit tinter ses clefs en refermant sa porte et dirigea ses pas vers la victime morte.
Il était satisfait, car c’était à côté que le crime commis avait ensanglanté le trottoir abîmé et la rue envahie d’un millier de curieux dont le souffle de vie perturbait la police et insultait le mort ; mais avaient-ils raison ou bien avaient-ils tort de vouloir assister à cet odieux spectacle qui emplirait alors leur triste réceptacle d’abord de gêne et puis de joie et de bonheur, de ce bonheur malsain qui fait bondir le cœur, la joie d’être vivant, de se savoir capable, quitte à en éprouver un sentiment coupable ?
À neuf heures précises, Etrune sur les lieux fendit d’un geste sec la foule des curieux. Quiconque résistait au coup de son épaule, quiconque ignorerait quel était là son rôle, recevait sur le chef d’un sachet violet qu’Etrune transportait un coup qui l’écartait.
Recevant un sourire, Jean-Eudes l’officier regarda l’inspecteur peu à peu s’éloigner.
La porte était de bois, derrière régnait l’ombre, des formes se mouvaient, alcooliques sans nombre : des femmes inondant quelque rêve brisé, un silence gardé, un amoureux secret ; des hommes gémissant quelque attente déçue, un « oui » qui se refuse, un sentiment qui mue.
Etrune repoussa la porte devant lui, pénétra dans la salle et en fut le seul bruit, non pas qu’il attirât une attention curieuse, qu’on questionnât l’entrée d’une âme impétueuse, que face à ce vacarme tout le monde cessât de parler pour savoir qui était entré là. À vrai dire, personne ne regarda Etrune : les corps restaient figés comme de vieilles runes. Il était de ce bar la seule animation, le seul qui ne semblait pas en expiation.
Sur ce, se relevant, Etrune trébuchant s’en alla de ce bar, l’air aviné, méchant.
Le lendemain, Etrune vint frapper à la porte de la veuve Buisiez, éteinte, à demi morte. Quand elle entrouvrit l’huis, il ne vit que chagrin, s’attendant à trouver sous ces longs cheveux bruns un visage de marbre à la fierté altière ou un crâne sourire et des yeux de lumière. Une robe en couleur, des miroirs au pourpris et un temps s’écoulant l’eurent bien moins surpris. Il quêtait une reine trônant en sa demeure dont la voix sans conteste aurait tonné : « Qu’il meure ! »
Mais ce qu’il vit alors le déçut quelque peu : une femme replète grisonnant aux cheveux. Madeleine Buisiez, un petit bout de femme, qu’un mari éloignait des combines infâmes, eût été incapable de s’opposer à lui, sauf si une tierce âme lui donnait son appui.
Elle avait refermé la porte sur son nez. Sa voix était traînante et son rythme épuisé. Elle avait cet air doux, abattu de misères, ce regard oublié qui observait la terre, ce froid religieux, ce douloureux émoi qu’appliquaient les pinceaux aux anciennes pietàs. Elle ne voulait pas se montrer impolie ou d’un homme de loi se faire l’ennemie, mais le monde avait pris pour elle une saveur d’agueusie triomphante et d’horrible fadeur. Pour ces sentiments noirs, ce terne en la prunelle, Etrune se sentit une âme fraternelle.