L’inspecteur Etrune - Renaud Cousin - E-Book

L’inspecteur Etrune E-Book

Renaud Cousin

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Beschreibung

Il est faible. Il se hait. Il n’est rien. Il se cherche. Cependant, au milieu de l’ombre des individus plus forts qu’il envie secrètement, il entreprend un voyage intérieur pour se réinventer. Combien de force faut-il pour être ce qu’on veut ?


À PROPOS DE L'AUTEUR

Professeur de lettres modernes, Renaud Cousin a toujours eu un penchant pour la littérature. Cette passion l’a conduit à découvrir la magie des vers puis l’a amené à explorer la narration avec une dimension plus personnelle. Cependant, c’est grâce à l’œuvre de Honoré de Balzac qu’il a trouvé l’alchimie parfaite entre l’intime et la pensée, et qu’il nous présente "L’inspecteur Etrune".

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Renaud Cousin

L’inspecteur Etrune

Roman

© Lys Bleu Éditions – Renaud Cousin

ISBN : 979-10-422-1958-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Livre I

1

Henri-Georges Buisiez, un requin en affaires, s’enfonçait dans Paris sous les hauts lampadaires. Une pipe à la bouche, un journal à la main, il sifflotait dans l’air un entêtant refrain.

La nuit déjà pesait sur les rues endormies recouvrant le trottoir de ses ombres amies, enveloppant le monde en un drap silencieux et délassant les corps d’un sommeil délicieux. Henri-Georges Buisiez adorait les ténèbres : loin d’y voir un glas sombre, une chanson funèbre, il se sentait puissant dans cette obscurité, capable d’écraser, de soumettre à ses pieds le vorace avocat à la gueule de flammes, son enfant rédigeant de lourds épithalames, sa femme dépensière et pleine de candeur, le juge martelant sur ses écarts de cœur. Mais il avait un plan pour régler ses problèmes : il savait un courtier, homme courtaud et blême, qui servait en secret les honteux intérêts du très haut magistrat qui sur lui s’acharnait. Il pourrait obtenir, en faveur d’un service, que le courtier révèle au monde ces sévices et jette les parfums de l’humiliation au juge trop zélé à remplir sa mission.

C’est donc d’un pas confiant, plein de mâle assurance, qu’Henri-Georges Buisiez partait forcer sa chance, multiplier ce qu’il arracha aux impôts, mettre à genoux Fortune en quelque obscur tripot.

C’est alors que survint, au loin par son arrière, une soudaine et brusque et troublante lumière. Elle arrivait bien vite et progressait vers lui comme la pierre tombe jusqu’au fond du puits, sans que rien en ce monde ne semble capable, pas même l’animal des plus magiques fables, d’interrompre sa course ou d’arrêter le temps pour que la faux se voit ne fût-ce qu’un instant. Mais le temps défila, il reçut la voiture qui lui marqua la chair de sa carcasse dure.

Il gisait sur le sol, corps désarticulé comme gît dans la chambre le jouet délaissé.

On ne le retrouva qu’au lendemain matin quand sortit de chez lui monsieur Gaston Samin dans la demi-clarté, sur le coup de six heures, surpris, même troublé, qu’un homme en sa rue meure. Il prit son parapluie et en piqua le corps comme pour s’assurer que l’homme était bien mort, puis retournant chez lui, raccrocha sa pelisse, posa son parapluie, appela la police, prévint son patronat du retard qu’il aura, s’assit dans son fauteuil, s’empara d’un Zola.

2

Etrune l’inspecteur sortit de sa masure sous un ciel empourpré que l’aube à l’Est azure. Il portait un manteau en synthétique gris et titubait un peu, de la veille encore gris. Il fit tinter ses clefs en refermant sa porte et dirigea ses pas vers la victime morte.

Il était satisfait, car c’était à côté que le crime commis avait ensanglanté le trottoir abîmé et la rue envahie d’un millier de curieux dont le souffle de vie perturbait la police et insultait le mort ; mais avaient-ils raison ou bien avaient-ils tort de vouloir assister à cet odieux spectacle qui emplirait alors leur triste réceptacle d’abord de gêne et puis de joie et de bonheur, de ce bonheur malsain qui fait bondir le cœur, la joie d’être vivant, de se savoir capable, quitte à en éprouver un sentiment coupable ?

À neuf heures précises, Etrune sur les lieux fendit d’un geste sec la foule des curieux. Quiconque résistait au coup de son épaule, quiconque ignorerait quel était là son rôle, recevait sur le chef d’un sachet violet qu’Etrune transportait un coup qui l’écartait.

— Jean-Eudes, je voudrais savoir ce qu’il se passe. Qui était la victime et quelle était sa place ? Dites-moi si la nuit où la mort le frappa, un résident aurait ouï quoi que ce soit.
— Etrune, il faut savoir que la chair étendue qui salit de son sang l’asphalte de la rue, est celui d’un nommé Henri-Georges Buisiez, financier chevronné. Sa femme l’a quitté il y a de cela trois ou quatre semaines.
— Divorce demandé ?
— La procédure traîne. Madame veut tirer de lui un gros profit, mais l’homme dans l’affaire faisait jouer ses amis.
— Nous tenons sans effort un suspect à cette heure. A-t-elle répondu comme veuve qui pleure ? Ou comme ménagère que sa botte de choux semble plus inquiéter que la mort d’un époux ? En fut-elle étonnée ? A-t-elle eu l’air surprise ? Sa voix vous semblait-elle contenir quelque crise ? Auriez-vous entendu aux flexions de sa voix qu’elle cachait sa joie et forçait son émoi ?
— Inspecteur, arrêtez ! Je ne saurai que dire. À vouloir le meilleur, on n’obtient que le pire. Je venais à l’instant de rassembler pour vous ces informations : je vous dis déjà tout. Laissez-moi appeler cette femme suspecte ; je vous dirai alors si le chagrin humecte jusqu’au son de sa voix ou si un calme plat répond à la nouvelle du récent trépas.
— J’irai la voir moi-même. L’appel est inutile. Au revoir.
— Inspecteur ! Il serait malhabile de partir sans avoir interrogé celui qui découvrit le corps à la fin de la nuit.
— S’il vous avait dicté quelques grandes nouvelles, vous m’auriez déjà annoncé pêle-mêle ou une heure précise ou la marque d’auto ou si le conducteur était homme ou ado. Mais comme vous n’avez rien dit sur ce chapitre, je m’en vais disposer pour vider quelque litre avant d’aller trouver l’épouse de monsieur, contrôlant au passage l’état de ses essieux ; car si cette voiture a servi pour le crime, on gomme du devant les traces de victime, mais qui pense à gommer la trace du trottoir que le choc, la vitesse laissent sans le vouloir sur l’essieu avant quand, lors de la montée, elle s’en vient frotter la bordure empierrée ?

Recevant un sourire, Jean-Eudes l’officier regarda l’inspecteur peu à peu s’éloigner.

3

La porte était de bois, derrière régnait l’ombre, des formes se mouvaient, alcooliques sans nombre : des femmes inondant quelque rêve brisé, un silence gardé, un amoureux secret ; des hommes gémissant quelque attente déçue, un « oui » qui se refuse, un sentiment qui mue.

Etrune repoussa la porte devant lui, pénétra dans la salle et en fut le seul bruit, non pas qu’il attirât une attention curieuse, qu’on questionnât l’entrée d’une âme impétueuse, que face à ce vacarme tout le monde cessât de parler pour savoir qui était entré là. À vrai dire, personne ne regarda Etrune : les corps restaient figés comme de vieilles runes. Il était de ce bar la seule animation, le seul qui ne semblait pas en expiation.

— Patron, comme toujours. Servez-moi !
— C’est-à-dire ?
— Mettez donc dans ce verre le nectar de Palmyre.
— À défaut d’en avoir, je puis vous proposer quelques gouttes de rhum ou un cognac léger. Je dois encore avoir au fond d’une bouteille les restes d’un vieux vin, production de la Treille. Mais si vous le voulez, j’ai de la bière aussi, ou du vin blanc mêlé de crème de cassis. Sinon je vous propose un long verre de Suze. Mais si vous préférez que vos lèvres s’y usent, je puis servir aussi double ou triple whisky. Mais si vous ne cherchez qu’à perdre vos acquis, j’ai sous ce bois pâli une forte eau-de-vie.
— Servez-moi donc plutôt une liqueur, ami. Elle effacera bien mes soucis et mes maux ; après quelques gorgées, tout me semblera beau.
— Racontez-moi un peu ce qui tant vous chagrine en glissant dans vos sangs cette douce toxine.
— Oh ! Si je disais tout, vous seriez bien déçu.
— Dites toujours, mon brave. Un autre par-dessus ?
— Mes peines, cher barman, sont des plus ordinaires : une femme, un divorce, mes affaires à terre. Que peut donc un humain face aux coups du destin ?
— Il ne peut que se plaindre en élevant sa main. J’avais un bon ami, comme vous homme triste. Délaissé par sa femme, il recherchait sa piste. Son chagrin, son espoir mille fois reconduits ont achevé sa vie : il sauta dans un puits. Ami, sachez ceci : les femmes sont de larmes et les hommes de sel, mais quand dans nos alarmes à trop les regarder nous fondons à leur eau, notre solidité ne vole plus si haut. Vous aurez dans ces lieux des amis bien plus fiables, taiseux, mais jamais traîtres, leur cœur est terre arable. Ils arrosent de vin pour faire pousser l’eau, et leur terre s’assèche : c’est là leur triste lot. Ayez un cœur de sel et passez-vous des femmes. Votre vie ira mieux sans tous ces petits drames.
— Le départ de ma femme ne m’afflige pas tant. Qu’elle me quitte ou meure, j’y suis indifférent. Je pleure mon argent, je pleure le partage dont va bénéficier cette numismophage. Toute ma vie durant, j’ai amassé mon bien. Pour m’avoir épousé, la moitié lui revient ? Puis-je avoir, je vous prie, un autre de ces verres ?
— Bien sûr. Mais votre femme a-t-elle père et mère ?
— Oui ! Et je compte bien le mettre en ma faveur. Versez-moi donc encore un verre de liqueur.
— Pas sûr que cela pèse. Sait-elle la nouvelle ?
— La surprise vaut mieux ! Mais le devoir m’appelle.

Sur ce, se relevant, Etrune trébuchant s’en alla de ce bar, l’air aviné, méchant.

4

Le lendemain, Etrune vint frapper à la porte de la veuve Buisiez, éteinte, à demi morte. Quand elle entrouvrit l’huis, il ne vit que chagrin, s’attendant à trouver sous ces longs cheveux bruns un visage de marbre à la fierté altière ou un crâne sourire et des yeux de lumière. Une robe en couleur, des miroirs au pourpris et un temps s’écoulant l’eurent bien moins surpris. Il quêtait une reine trônant en sa demeure dont la voix sans conteste aurait tonné : « Qu’il meure ! »

Mais ce qu’il vit alors le déçut quelque peu : une femme replète grisonnant aux cheveux. Madeleine Buisiez, un petit bout de femme, qu’un mari éloignait des combines infâmes, eût été incapable de s’opposer à lui, sauf si une tierce âme lui donnait son appui.

— Bonjour. Je suis Etrune, inspecteur de police. Puis-je entrer, s’il vous plaît ?
— Oh ! Je suis à mi-drisse. Mes cheveux et mon teint sont pris au dépourvu. Je n’ai pas mes bijoux. Mon apprêt est écru. Veuillez donc patienter, monsieur le commissaire.
— Non, je suis… inspecteur. En voilà des manières !

Elle avait refermé la porte sur son nez. Sa voix était traînante et son rythme épuisé. Elle avait cet air doux, abattu de misères, ce regard oublié qui observait la terre, ce froid religieux, ce douloureux émoi qu’appliquaient les pinceaux aux anciennes pietàs. Elle ne voulait pas se montrer impolie ou d’un homme de loi se faire l’ennemie, mais le monde avait pris pour elle une saveur d’agueusie triomphante et d’horrible fadeur. Pour ces sentiments noirs, ce terne en la prunelle, Etrune se sentit une âme fraternelle.