L’œil du phare - Ernest Chouinard - E-Book

L’œil du phare E-Book

Ernest Chouinard

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Beschreibung

Une maisonnette aux murs blanchis s’élève, isolée, sur une colline dont le pied baigne dans le Saint-Laurent. C’est la première de Saint-Germain-de-Kamouraska, du côté de l’Est.
Quand le voyageur ou le touriste suit le contour de l’anse qui tend son arc et creuse les terres en face du phare, l’été, il aperçoit de loin un pignon rouge comme un sourire au travers d’un voile de feuillage. Aux soirs d’automne et d’hiver, la lumière d’une lampe qui brille à ce foyer perce la fenêtre et indique la route à poursuivre dans la brume humide ou la giboulée des neiges aveuglantes.
C’est là que vit, dans le travail et la solitude de chaque jour, la veuve de Gilles Pèlerin qui ne lui a laissé pour tous biens qu’un arpent de terre à cultiver, son fils Jean à élever et le souvenir d’un bonheur domestique dont elle entretient le reste de sa vie.

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L’œil du phare

Ernest Chouinard

© 2023 Librorium Editions

ISBN : 9782385744250

TABLE DES MATIÈRES.

AVANT-PROPOS

I Aux « Pignons-Rouges »

II Le Cousin d’Amérique

III Première absence de Jean

IV L’effet moral

V Idées nouvelles et projets nouveaux

VI Aux rayons d’un bonheur anticipé

VII Le Carnaval au village

VIII La trame rompue et la grande pitié de Jean

IX Loin de la terre natale

X Retour et Départ

XI Au Travail

XII Fortune léguée et fortune acquise

XIII Nostalgie

XIV Sous l’œil du phare

XV Patrie

FIN

AVANT-PROPOS

Est-il vrai que là où l’on vit bien là est la patrie ?

Nous avons essayé de démontrer que le souvenir, le regret lancinant du pays natal, des faits géographiques où se sont manifestées les premières impressions tristes ou joyeuses de sa vie, reste au cœur de l’homme pour compromettre son bonheur terrestre dans le bien-être sous d’autres cieux.

Comme l’œil de la conscience qui suit le coupable partout, il est un sentiment qui rappelle, ne serait-ce que par intermittence, la pensée de l’être bien né au sol natal. Pour Jean Pèlerin, nous avons voulu dire que ce sentiment fut, entre autres et surtout, comme cet éclair du phare, regard d’un œil symbolique et fascinateur, qu’il aperçut au sortir du berceau, qui veilla sur son enfancedépourvue, qu’il aima tant revoir après avoir atteint l’âge mûr, satisfait de sa vie bien ordonnée, et qu’il voudra savoir encore là, pour entrer dans sa tombe.

Ce qu’il en est de l’individu ne pourrait-il se dire de la famille qui a son habitat comme la plante ; ce que nous aurions encore voulu faire entendre dans les regrets platoniques de l’enfant d’une patrie simplement d’adoption.

Raison chez l’un, instinct chez l’autre concourraient donc à démontrer que là où l’on est matériellement bien, là n’est pas toujours la vraie patrie.

IAux « Pignons-Rouges »

Une maisonnette aux murs blanchis s’élève, isolée, sur une colline dont le pied baigne dans le Saint-Laurent. C’est la première de Saint-Germain-de-Kamouraska, du côté de l’Est.

Quand le voyageur ou le touriste suit le contour de l’anse qui tend son arc et creuse les terres en face du phare, l’été, il aperçoit de loin un pignon rouge comme un sourire au travers d’un voile de feuillage. Aux soirs d’automne et d’hiver, la lumière d’une lampe qui brille à ce foyer perce la fenêtre et indique la route à poursuivre dans la brume humide ou la giboulée des neiges aveuglantes.

C’est là que vit, dans le travail et la solitude de chaque jour, la veuve de Gilles Pèlerin qui ne lui a laissé pour tous biens qu’un arpent de terre à cultiver, son fils Jean à élever et le souvenir d’un bonheur domestique dont elle entretient le reste de sa vie.

Le ménage de Gilles Pèlerin et de Cécile Dubreuil avait été de courte durée. Caboteur d’une rive à l’autre du Saint-Laurent et de Québec aux ports du golfe, Gilles avait à peine défrayé le coût de sa goélette qu’il songea à se créer un foyer domestique, à se loger chez lui, sur la bonne terre de sa paroisse natale. Dès ce moment, l’attache au foyer lui devint pénible quand il lui fallait partir, non plus allègrement comme autrefois, mais avec le regret au cœur de laisser à terre des êtres chéris qui pourraient souffrir de son absence. Aussi, lorsqu’à la mort de son vieux père, le poste de gardien du phare de la Grosse-Île devint disponible pour les partisans fidèles du gouvernement, il n’hésita pas à rechercher à son tour cette fonction en même temps que cet honneur officiel, puisque, — c’était bien connu —, jamais, à aucune élection générale ou particulière, les Pèlerin, de père en fils, n’avaient trahi leur allégeance de partisans.

C’était la vie facile, l’émargement au budget gouvernemental, et, malheureusement, beaucoup trop de nos cultivateurs seront prêts comme lui à délaisser le travail et le rendement des champs pour une pitance de six cents dollars au service de l’état. Mais aux yeux des villageois, n’est-ce pas un prestige d’être le choix des gens en autorité ?

Le printemps, quand les glaces des battures, surchargées des neiges fondantes de l’hiver, se seront détachées de la rive pour suivre l’attraction des courants du grand chenal, la famille délogera de la maisonnette aux pignons rouges, où les longs mois de la saison mauvaise auront été vécus dans le bonheur domestique, l’aisance relative et l’assurance du lendemain. On s’en viendra habiter, comme dans une villégiature, le chalet propret édifié par le gouvernement à l’ombre de l’immense tour au sommet de laquelle, chaque soir, par le vent d’orage ou sous un ciel serein, s’allumera l’œil incandescent du phare, clignotant toute la nuit à double intermittence, au-dessus de la forêt de sapins, dans le clair-obscur des feux attardés du crépuscule jusqu’aux rayons anticipés de l’aurore.

Dans l’isolement et le silence, la petite famille vaque aux occupations domestiques, tandis que son chef, une fois le phare éteint, s’amusera à la culture d’un potager, peut-être, à la pêche et à la navigation de plaisance dans un joli yacht que lui fournit le gouvernement. Deux ou trois fois la semaine, le dimanche si la marée adonne, pour assister à la messe dans l’une ou l’autre des paroisses de la rive sud, plus souvent, pour aller quérir les papiers de la poste, les nouvelles du village ou quelques effets des magasins, il traversera les deux milles du bassin qui le retiennent à l’écart de ses coparoissiens. Pourvu que, le soir, il soit là pour mettre et tenir en mouvement le mécanisme de l’œil de feu qui veille et brille durant toute la nuit sur ce mauvais parage !

Un soir d’automne, quand novembre avancé avait déjà jeté sur la nature la teinte de ses tristesses ; quand les champs dénudés, les routes noyées et le rocher des grèves toujours ruisselant offraient partout à l’œil le spectacle de la misère succédant à l’enchantement, Gilles Pèlerin se trouvait seul à son poste, veillant au salut des navigateurs en péril, dont il connaissait bien l’anxiété par un temps pareil pour en avoir tant de fois lui-même couru l’aventure. Car une affreuse tempête soufflait du nord-est, creusant dans les eaux insondables, au nord de l’île, des vagues furieuses dont les embruns se confondaient avec une neige épaisse à l’assaut des contreforts du rocher et de la tour. La veille, heureusement, — il les avait lui-même reconduits, dans la joie prévue d’un hivernage heureux, — sa femme et son enfant avaient réintégré, sur la terre ferme, la maisonnette aux pignons rouges.

Ce fut l’une de ces nuits lugubres qui offrent toujours aux âmes inquiètes des familles de marins le décor terrifiant du naufrage. De temps à autre, à travers la nuit noire et les tourbillons rageurs de l’ouragan, le phare lançait son jet de lumière, comme l’adieu d’un œil mourant, sur la fenêtre du pignon rouge. Et jusqu’aux premières heures du matin la lampe du foyer, accrochée au chambranle du châssis sans rideaux, resta, elle aussi, vacillante et vaillante, pour dire au veilleur de l’île qu’on ne l’oubliait pas dans sa détresse, que par la pensée et par la prière on lui restait secourable.

La tourmente se prolongea durant toute la journée du lendemain, sans qu’il fût permis d’apercevoir du rivage le profil des îles, sans qu’aucune embarcation pût risquer d’affronter les flots courroucés. Mais sur le soir, lorsque la tempête s’apaisa et le ciel s’éclaircit, on remarqua, hélas ! que le phare ne s’allumait pas. Impossible, à cette heure de la marée basse, de rallier l’île en canot et de s’enquérir de Gilles Pèlerin.

Après cette deuxième nuit d’anxiété encore plus profonde pour la pauvre femme et son enfant, le premier communiqué apprit à tous que le yacht du gouvernement avait été trouvé au plein. Ses voiles encore carguées et sa chaine de mouillage rompue indiquaient qu’il ne s’était pas perdu en course mais qu’il avait tout simplement été entraîné par la bourrasque. Quant à Gilles Pèlerin, les recherches les plus empressées, les battues les plus complètes dans les cinq îles et sur tous les rivages n’apprirent à personne ce qu’il en était advenu, si ce n’est que sur la grève de la Pointe-aux-Orignaux, à sept milles en amont, son canot fut retrouvé ; ce qui servit de base à la théorie de son naufrage et de sa perte. À la vue du yacht chassant sous la bourrasque, il aura voulu aller à son sauvetage, n’hésitèrent pas à croire tous ceux qui connaissaient sa témérité et son zèle. Seul dans la vague qui se creuse et se redresse avec furie, il aura été submergé. Et son cadavre, entraîné par les courants, est là probablement au fond des précipices sous-marins de ces parages, où la sonde perd sa touée et où la pression énorme des eaux l’empêchera de remonter jamais à la surface.

Pendant quelque temps encore, le deuil des parents, la sympathie des amis, l’anxiété des recherches entretiendront dans les âmes le souci du sort de Gilles Pèlerin et des siens. Puis, l’absence d’informations nouvelles, l’inanité des suppositions étendront peu à peu l’indifférence sur son souvenir, de même que se sera rétablie la placidité des eaux sur ses restes mortels.

Non, pourtant, ne médisons pas du cœur humain. Du fond de l’abîme, il remontera sans cesse, ce souvenir de Gilles Pèlerin, pour hanter l’âme pieuse d’une femme et d’un enfant, qui n’apprendront pas à l’oublier.

Chaque fois que du haut de la tour blanche s’ouvrira l’œil fulminant du phare, par-dessus les embruns des vagues tourmentées ou l’irradiation des feux crépusculaires sur les ondes alanguies, il surgira, ce souvenir, dans ces cœurs aimants ; il appellera sur les lèvres la prière, seul foyer d’amour qui reste aux morts. Car c’est pour ceux-là surtout qui vivent dans la peine que la confiance en Dieu se fait consolante et douce. Quand le monde avec ses antipathies méchantes, ses égoïsmes inconsidérés et ses goûts frivoles s’impatiente enfin aux redites des mêmes doléances, il fait bon de pouvoir ouvrir son âme à Celui qui, un jour heureusement inévitable, rétablira un équilibre éternel entre les parts de ceux dont la vie fut une jouissance et ceux qu’elle a fait amèrement pleurer.

Cette lumière intermittente, aujourd’hui de malheur, en d’autres temps et sous d’autres cieux, elle deviendra encore symbolique et représentera l’âme canadienne aussi en péril. L’amour du sol natal dans la vie, n’est-ce pas ce phare qui ne s’éteint jamais que pour se raviver bientôt ? Encore une fois, et pour cette fois comme pour l’avenir, ne médisons pas du cœur humain ; car depuis cette catastrophe, la veuve Pèlerin et son fils ont su vivre, avec le regret sans doute de leur bonheur familial trop tôt révolu, grâce à l’aide et à la sympathie pratiques de bons voisins.

Pendant les premiers mois de leur détresse, la charité discrète de leurs covillageois s’employa à trouver les moyens de parer à l’imprévu de leur nouvel état de vie. C’était l’automne, à l’époque où l’on ne peut, avant de longs mois, demander à la terre le salaire de son propre travail, mais où l’on doit compter sur ce qu’elle a bien voulu donner aux autres. C’était à l’époque aussi où dans nos campagnes, une belle coutume vous obligeait, quand la saison vous avait été propice, de faire honneur à celui-ci, ou de faire aumône à celui-là d’une pièce particulièrement bien venue dans le potager ou des morceaux de choix de la boucherie. De-ci, de-là, cadeaux complimentaires ou charitables affluèrent dans le garde-manger de la pauvre famille qui se trouva amplement pourvue pour les mauvais jours.

Mais il fallut aussi pourvoir à l’avenir ; à quoi le curé de la paroisse consacra toute l’ardeur de son zèle pastoral. L’éducation de Jean, l’orphelin, lui revenait de droit, dit-il. L’enfant, grâce à ses soins tout particuliers, eut l’avantage de fréquenter quotidiennement l’école du village, trop éloignée cependant pour qu’il put s’y rendre deux fois le jour, l’hiver surtout. Le bon curé faisait alors de l’orphelin son hôte au dîner ; ce qui lui permettait non-seulement de suivre ses progrès scolaires actuels, mais de préparer insensiblement son instruction supérieure.

Maintenant, sur la fin du jour, puisque le phare est éteint, c’est à travers champs que maman Pèlerin jettera le plus souvent les yeux, pour voir si Jean s’en revient de l’école, anxieuse de lui entendre raconter les faits intéressants de sa journée. Car ils étaient bien intimes, bien consolants aussi, les colloques de la mère et de l’enfant, l’échange des idées qui leur étaient venues à l’esprit, de ce qu’ils avaient vu ou entendu durant la longue journée d’absence. Et cette intimité établissait entre eux une confiance sérieuse qui transformait à leur insu l’autorité de l’une et l’ingénuité de l’autre. La mère ne commandait plus à son fils, elle le consultait sur toute chose, inquiétudes lancinantes ou vétilles. Elle en faisait le confident de ses appréhensions et de ses espérances, comme de ses peines et de ses consolations ; des menus détails de ses ennuis, durant son absence, ou de son labeur rétribué qu’elle ne dédaignait pas d’aller offrir dans les habitations du voisinage.

De son côté, Jean avait à lui raconter ce que monsieur le curé voulait bien lui dire, ce qu’il avait fait lui-même au cours de toutes les longues heures qui l’avaient dérobé à sa vue.

Oh ! Jean, c’était son univers, à elle, pauvre femme seule et désolée ! L’horizon de son savoir et de ses affections ne pouvait plus dépasser désormais le rayon des courses quotidiennes du petit orphelin.

Plus tard, quand les bancs de neige qui encaissent les pignons rouges auront disparu, quand le renouveau de la nature appellera au dehors ceux qui vivent de la terre, elle l’attendra, son aide et son confident, pour lui apprendre ce qu’elle entend faire de l’arpent de terre, pour situer ici ou là l’ensemencement du jardin potager. À cette époque aussi s’accuseront de nouveau les sympathies pratiques des voisins, qui ajouteront discrètement à leurs travaux annuels du printemps la culture charitable de cette pauvre glèbe.

Le calme et une aisance relative régneront donc aux « Pignons-Rouges » durant les beaux mois qui vont venir.

À la fin du mois de juin, un soir, Cécile Pèlerin, assise à la fenêtre de sa maisonnette, regardait avec un amour plus intense son fils Jean dont les succès scolaires avaient été couronnés, à la grande joie de monsieur le curé, sous les yeux attendris des villageois, au cours de la distribution solennelle des prix, qui avait eu lieu dans l’après-midi. Elle voyait l’enfant s’amuser à lancer du rivage de petits galets qui s’en allaient ricochant deux ou trois fois sur le miroir rutilant de l’onde endormie, pour s’y engouffrer ensuite, qui, un peu plus tôt, qui, un peu plus tard, mais infailliblement. A son esprit de paysanne monta alors de son pauvre cœur toujours endeuillé, comme un regret vague et mal compris de l’inanité finale de tous nos efforts et de toutes nos allégresses, sur la scène parfois sereine et riante aussi de notre vie.

Soudain, son front s’assombrit, ses yeux se fermèrent à demi, et d’une voix tendrement émue :

— « Viens, dit-elle, viens donc, mon Jean ! pour le chapelet des morts ! Voilà le phare qui s’allume ! »

 

IILe Cousin d’Amérique

Cette vie-là durait depuis une dizaine d’années déjà. Jean Pèlerin en aura bientôt seize, et rien n’avait troublé durant ce laps de temps la sérénité toujours quelque peu empreinte de tristesse qui régnait aux « Pignons-Rouges ». Mais l’heure viendra prochainement où de nouveaux soucis vont naître, où il faudra définitivement orienter l’orphelin dans son avenir. Ses succès rapides à l’école élémentaire, sa conduite exemplaire, son ardeur au travail, les aptitudes plus que moyennes de son intelligence, tout chez lui avait concouru à capter l’estime du public, et plus que toute autre, celle du vieux curé qui valait bien une affection toute paternelle. Entre le prêtre et son élève, les entretiens étaient devenus plus sérieux. Le programme des études primaires avait depuis assez longtemps fait place à celui des premières classes d’humanités. C’était toujours un plaisir pour le vieillard de revenir avec cet enfant intelligent sur les brisées maintenant lointaines de ses premiers efforts personnel chez les classiques et pour Jean, c’était un honneur, qu’il n’aurait pu de lui-même convoiter, d’être ainsi appelé à monter un jour, peut-être, au niveau d’esprit de l’homme le plus cultivé de tous ceux qu’il lui avait été jusqu’à présent donné de voir et d’entendre.

Au logis maintenant, l’entre-temps des classes reste rempli sans doute des effusions d’amour maternel et filial ; mais que d’heures aussi s’écoulent silencieuses, pour l’un devant le livre, et pour l’autre, à l’évocation secrète de choses inconnues de l’avenir, et de choses, hélas ! trop connues du passé.

Le beau rêve d’avenir, il s’était inopinément offert un jour à l’esprit de la pauvre mère comme un rayon de soleil perçant tout à coup son ciel bas et morne.

— « Savez-vous, maman, lui avait dit Jean, un soir, ce que pense de moi monsieur le curé ? Hier, me parlant un peu, comme ça, des choses tristes dont il est témoin, dans les familles du village, où il est chargé d’aller annoncer quelque malheur et plus souvent appelé pour les consoler, il a fini en me disant : — « Tu en verras bien d’autres, va, mon Jean, quand tu seras prêtre ! »…

Lui, Jean Pèlerin, prêtre un jour ! Elle, un jour, l’ignare, presque la miséreuse, voir son fils unique monter à l’autel, la bénir, la communier !…

Non, ce ne sera qu’un rêve ! Si heureux cependant qu’il fut du perfectionnement moral et intellectuel de son élève, le prêtre s’inquiétera bientôt du résultat de son zèle, du mode tant soit peu inconsidéré de son action charitable. Cet enfant, ainsi élevé, n’aura pas joui des amusements de l’enfant. Retenu trop tôt et trop longtemps dans l’orbite, chez lui, d’une âme toujours en deuil, chez son précepteur, d’une intelligence trop au-dessus de son niveau, il n’aura rien connu des folâtreries de l’enfance, qui s’évaporent sous l’ardeur du grand jour, mais qui sont à la vie ce que la rosée et les clairs rayons du matin sont à l’élaboration des fleurs et des fruits.

Et quand, une couple d’années plus tard, le vieux précepteur enfin s’apercevra que cette plante sauvage s’est étiolé en serre chaude, ne sera-t-il pas déjà trop tard ? En outre, Jean n’aura-t-il pas déjà revêtu la mentalité de l’homme instruit seul, qui n’a pas suffisamment pratiqué la vie d’ensemble à l’école, au collège surtout, où les caractères, comme sous un frottement inévitable, perdent forcément ce qu’ils auraient naturellement pu offrir de trop anguleux. Il sera intelligent, digne, brillant, soit ! — mais aussi, probablement, entier, personnel dans ses déterminations, seul à comprendre et interpréter la vie comme il aura compris et interprété sa jeunesse.

Au reste, une considération plus certaine, sinon plus terre à terre, devait faire songer à modifier, à quelque temps de là, ce train de vie. — Les vacances d’été s’ouvraient et tous ceux qui voulaient bien, à cette occasion, féliciter comme toujours l’adolescent pour son travail et ses succès, ne manquaient plus d’ajouter qu’il avait besoin de repos ! C’était connu ; le médecin du village n’avait-il pas affirmé, dans un moment d’humeur, que malgré tous ses progrès intellectuels, à ce jeu-là, le fils de la veuve Pèlerin ne ferait qu’un neurasthénique !

Il fallait rompre un peu avec la monotonie de cette existence. Or, précisément, plusieurs choses allaient s’y prêter cette année-là.

Jean, par ses études et son développement physique n’est plus l’enfant, mais disons plutôt le jeune homme. Assagi de bonne heure par l’épreuve, de moitié dans tous les soucis dont s’ordonne le train de vie de l’humble maisonnée, il se trouve pour ainsi dire émancipé de la sujétion puérile et naturelle qui s’impose aux autres étudiants de son âge. On lui permettra donc de faire des projets, d’émettre des opinions, d’en venir même à des décisions qui eussent paru intempestives ailleurs. Or, voici venir l’heure où le caractère déjà formé de Jean va s’affirmer pour la première fois.